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Comment surmonter son sentiment d’injustice ?
Victime de discrimination au travail ? Atteint par une maladie handicapante ? Trahi par un de vos proches ? Rien de plus normal que d’éprouver de l’injustice. Mais ce sentiment peut laisser des traces. Plutôt que de le ressasser, voici six clés pour aller plus loin.
«Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », « Pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? », « Ce n’est pas normal », « Ce n’est pas ainsi que les choses devraient se passer »… De tels sentiments jaillissent dans une multitude d’occasions : traitement inique au travail, arnaque, maladie grave, agression dans la rue, accident provoqué par un tiers, deuil d’un enfant… Que se passe-t-il alors à l’intérieur de vous ? Votre cerveau entre tout simplement en ébullition. Votre estomac se tord. Colère et tristesse vous rongent. Avec pour risque que ce sentiment tourne en boucle et prenne toute la place dans votre esprit. Qu’il finisse par vous consumer, vous bloquant dans votre dynamique et vos projets.
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C’est le cas de Jonathan, 34 ans. Licencié sans motif, il gravite depuis constamment autour de cet événement, ne parlant que de ça, dit que tout s’est arrêté ce jour-là, qu’il se sent comme « congelé ». Et se demande s’il n’est pas au bord de la dépression…
En Bref
£ Le sentiment d’être traité de façon injuste, de ne pas mériter ce qui nous arrive, entraîne un mélange délétère de colère et de tristesse.
£ Il est alors essentiel d’éviter de tomber dans des ruminations incessantes, qui ne font qu’entretenir et aggraver la détresse.
£ Plusieurs étapes sont souvent nécessaires : faire retomber la pression, travailler sur des solutions (par exemple avec des techniques d’affirmation de soi) et retrouver la capacité à s’engager dans ce qui compte pour nous.
Rien de tout cela n’est inéluctable. D’autres réussissent à échapper au vortex émotionnel. Ils reprennent leur vie, comme le montre la diversité des réactions après l’annonce d’un cancer : selon des analyses menées par le chercheur canadien Wolfgang Linden et ses collègues auprès d’environ 10 000 patients, une proportion très importante d’entre eux parviennent à surmonter psychologiquement cette épreuve –« seulement » 40 % environ souffrent d’anxiété et 20 % de symptômes dépressifs. Autrement dit, là où certains restent bloqués sur la pensée « Pourquoi moi ? C’est tellement injuste… », d’autres tournent la page, passent à une autre étape. Pas de fatalité, donc. Et pour ceux qui ont besoin d’aide, il existe des méthodes pour ne pas se laisser engloutir par le ressentiment. Dans mon cabinet de psychothérapeute, je reçois de nombreuses personnes qui réussissent à retrouver une vie plus apaisée.
Alors, comment vous en sortir, si vous vous sentez rongé par un sentiment d’injustice ? Il est essentiel d’agir à plusieurs niveaux, en combinant un travail sur soi et une recherche de solutions pragmatiques. Je vais vous livrer six clés pour cela, en les illustrant avec des exemples de mes patients.
La première étape est de chercher à obtenir une compréhension globale de la situation. Nous avons en effet souvent tendance à considérer les actions dommageables des autres comme des affronts personnels et l’idée que l’on est victime d’irrespect agit comme un filtre qui teinte tout de façon négative. Pour mieux cerner le problème, une discussion avec les personnes à l’origine de notre sentiment d’injustice se révèle souvent fructueuse (voir l’encadré ci-contre : « Ne pas croire que c’est “contre soi” »).
Le Pi Ge De La L Gitimit
Mais bien souvent, le sentiment d’injustice est légitime. Il est cohérent avec ce qui nous arrive et avec notre vision du monde. Les événements auraient vraiment dû se passer autrement, si le contrat moral qui nous lie aux autres ou l’ordre souhaitable des choses avaient été respectés. Jonathan n’aurait pas dû être licencié. Il n’a rien fait de mal. C’est injuste.
Toutefois, et c’est là un fait important à saisir pour ne pas faire du sur-place, le problème n’est pas d’avoir raison. Le problème est d’éviter d’y penser continuellement et de ressasser les faits en boucle. Car la tentation est d’entretenir le sentiment d’injustice sous prétexte que, dans le cas contraire, on aurait l’impression de passer l’éponge, de pardonner à son chef par exemple,
La Mise En Perspective
Gabriel vient d’arriver dans un nouvel appartement et trouve que la voisine du dessous est très bruyante, ce qui l’énerve profondément. De fait, quand on a été éduqué à prêter attention au volume de la télévision, à ne pas faire la lessive ou la vaisselle tard le soir et à ne pas hurler au téléphone, on trouve vite insupportables ceux qui ne prennent pas les mêmes précautions. Gabriel peste au moindre bruit, s’irrite en permanence et finit par devenir incapable de passer du bon temps chez lui. Ce qui pèse sérieusement sur son moral.
Son mal-être vient en grande partie du fait qu’il s’estime victime d’un manque de respect. Je lui conseille donc d’appliquer un principe fondamental de ce qu’on appelle les « thérapies cognitivocomportementales » (TCC) : mettre à l’épreuve la pertinence de ses pensées afin de prendre du recul et de s’ouvrir à d’autres possibilités d’interprétation de la situation. Gabriel invite alors sa voisine à discuter autour d’un café, ce qu’elle accepte. Il lance la conversation sur le bruit « en général » et entend avec surprise sa persécutrice affirmer que lorsqu’elle a emménagé, elle entendait les conversations et les pas de tous les voisins, avant de cesser d’y prêter attention. « De toute façon, dans un vieux bâtiment comme le nôtre, on entend tout, conclut-elle. Il suffit de rester cinq minutes dans l’escalier pour se rendre compte qu’on entend même les gens prendre leur douche. » Ainsi, Gabriel constate que le bruit des voisins ne s’explique pas par leurs comportements ou leur absence de considération, mais par la mauvaise insonorisation du bâtiment. Il cesse donc de prendre le bruit personnellement : c’est le monde qui est ainsi fait et les autres sont également touchés. En conséquence, son sentiment d’être victime d’un manque de considération immérité s’atténue considérablement. de « le laisser gagner ». Ce qui reviendrait à minimiser le préjudice que l’on a subi…
Ce qu’on ne voit pas alors, c’est qu’on se met en danger. Les ruminations peuvent être extrêmement dévastatrices pour le psychisme et la santé de l’individu. Car non seulement rejouer en permanence le drame ou la tromperie (dans sa tête ou en discutant avec des proches) n’apporte rien, mais en plus les ruminations prennent souvent la forme d’anticipations catastrophistes (« Je ne retrouverai jamais de travail », « On va me considérer comme un paria »). Les conséquences sur l’humeur et sur l’état psychologique sont désastreuses, comme l’ont bien montré les psychologues britanniques Edward Watkins et Henrietta Roberts dans leurs travaux publiés en 2020 : les ruminations exacerbent et prolongent les émotions négatives, aggravent certains troubles préexistants comme la dépression, l’anxiété ou l’insomnie, entravent la capacité à résoudre les problèmes, diminuent l’efficacité des thérapies et rendent plus vulnérable au stress.
Une deuxième clé pour surmonter votre sentiment d’injustice, après vous être assuré qu’il ne résulte pas d’un malentendu ou d’une vision partielle de la situation, est alors d’accepter l’existence de vos ruminations, mais sans vous croire forcé de les écouter ou de les prendre pour argent comptant. La méthode appelée « thérapie
Séparer les faits et les pensées LE DÉFUSIONNEMENT
Cédricest diagnostiqué à 30 ans avec un début de sclérose en plaques. Lui, qui était sportif, avait une carrière brillante et se voyait bientôt marié et papa, commence à déprimer. Sa vie lui échappe, il s’imagine déjà en fauteuil roulant. Il y pense sans cesse, va lire des articles sur internet, se repasse mentalement les conversations avec le médecin.
Nous appliquons alors une technique qui consiste à « défusionner » les faits et les pensées : il s’agit de considérer chaque pensée comme un phénomène de l’esprit, qu’il faut accepter, mais qu’il n’est pas nécessaire de toujours écouter. Peu importe qu’elle soit vraie ou pas, ce n’est pas la question, on s’entraîne juste à la laisser passer. L’objectif est de ne plus être tiré vers le bas par les pensées répétitives et les prédictions catastrophistes que fabriquent sans arrêt nos ruminations. Cédric apprend ainsi à faire la différence entre les conséquences de la sclérose en plaques sur sa vie quotidienne (« J’ai du mal à marcher ») et les commentaires de son cerveau sur la maladie (« Je serai bientôt en fauteuil roulant »), ce qui diminue l’impact dévastateur de ces anticipations négatives sur son humeur. d’acceptation et d’engagement » (ou ACT, pour acceptation and commitment therapy) parle de « défusion » : il s’agit de bien distinguer l’événement en lui-même (« J’ai été licencié sans raison »), qui est grave et cause une souffrance légitime, des pensées en boucle que nous alimentons par rapport à cet événement. Et surtout, de ne plus considérer ces pensées comme l’affirmation brute de la vérité. Grâce à ce travail de défusion, Cédric, victime d’une maladie incurable à 30 ans, a appris à ne plus se laisser dévorer par de perpétuelles anticipations négatives (voir l’encadré ci-dessous : « Séparer les faits et les pensées »).
Mais tout ne passe pas par un travail intérieur. Pour surmonter un sentiment d’injustice, il est souvent nécessaire de se confronter au problème lui-même : quand un robinet fuit, il ne suffit pas de se répéter « ce n’est que de l’eau », il faut appeler le plombier ! Si c’est un individu tiers qui vous maltraite, vous devrez entrer dans une forme d’opposition avec lui.
Cela n’a rien de simple, tant nous n’aimons pas le conflit. Mais il est possible de développer ses capacités d’affirmation de soi – on parle aussi d’assertivité – grâce à des techniques appropriées. Par exemple, un protocole d’entraînement classique se compose d’une dizaine de sessions d’une à deux heures, où l’on apprend à écouter l’autre, mais aussi à préciser ses propres droits, à faire face aux critiques et à exprimer une insatisfaction ou un refus. La chercheuse taïwanaise Yen-Ru Lin et ses collègues ont par exemple appliqué ce programme avec des
Savoir dire stop
L’ASSERTIVITÉ
Justine, 25 ans, vient de prendre un poste dans une entreprise de publicité. Souvent, en réunion, un de ses collègues plus âgé émet des plaisanteries sexistes et la rabroue sans qu’elle n’ait rien fait pour le mériter. Elle en parle à ses parents, qui lui conseillent de répondre par le silence, l’indifférence. Une stratégie valable quand le comportement déplacé vient d’une personne croisée dans la rue, que vous ne reverrez jamais, mais qui ne fonctionne pas quand ce comportement est le fait d’un collègue que vous fréquentez tous les jours.
Nous pratiquons alors un exercice d’affirmation de soi, ou assertivité, avec Justine, en l’occurrence un jeu de rôle où je joue Robert, son persécuteur, afin de travailler la meilleure façon de lui répondre (voir le dialogue ci-contre).
Au cours de l’exercice, Justine doit ainsi appliquer plusieurs techniques : d’abord, montrer à l’autre qu’on l’écoute et qu’on respecte ses propos, en commençant par des formules comme : « Je comprends que » ou : « J’entends bien que », et en répétant