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ACTUALITÉS
NUTRITION Un bon microbiote diminue l’anxiété
Nicola Johnstone et al., Scientific Reports, le 15 avril 2021.
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On le sait bien maintenant : notre intestin et
notre cerveau communiquent en permanence de diverses façons, la santé de l’un influençant celle de l’autre, et vice
versa. Et ce grâce notamment au microbiote intestinal, l’ensemble des bactéries inoffensives qui peuplent notre système digestif. Mais on n’avait pas encore la preuve directe – chez l’homme – qu’un bon microbiote améliore la santé mentale, notamment en diminuant l’anxiété. C’est désormais chose faite avec cette étude de Nicola Johnstone, de l’université de Surrey, en Angleterre, et ses collègues.
Pour ce faire, les chercheurs ont recruté 64 personnes âgées de 18 à 25 ans, en excellente santé physique et mentale, et leur ont fait consommer, chaque jour pendant quatre semaines, soit un prébiotique, à savoir 7,5 grammes de galacto-oligosaccharide (GOS), soit un placebo. Les prébiotiques, tout comme les probiotiques, sont désormais ce que l’on nomme des « psychobiotiques », des substances qui, une fois ingérées, seraient capables d’améliorer la santé mentale. Johnstone et ses collègues ont, en parallèle, analysé l’humeur, le sommeil et le bien-être des participants, ainsi que l’évolution de leur microbiote, par analyse des selles. Résultat : comparé au placebo, le prébiotique diminue bien l’anxiété et améliore le sommeil des individus les plus anxieux. Tout en améliorant la qualité de leur microbiote intestinal, avec notamment davantage de bifidobactéries.
Pourquoi avoir choisi des sujets si jeunes ? Parce que, chez l’être humain, on avait déjà suggéré qu’un bon microbiote dans l’enfance serait associé à moins de risques ultérieurs de dépression et d’autres maladies mentales, suggérant que les effets des bactéries intestinales sur le cerveau sont cruciaux au moment du neurodéveloppement. Mais, pour l’instant, les seules données concernant l’effet direct des bonnes bactéries intestinales sur le cerveau et l’humeur avaient été obtenues sur des animaux de laboratoire. C’est donc la première fois que l’on démontre qu’une intervention avec un prébiotique durant la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte est possible et encore bénéfique. Bien qu’il ne soit pas forcément nécessaire de consommer des compléments alimentaires prébiotiques pour avoir un bon microbiote – car une alimentation saine et équilibrée est souvent suffisante –, peut-être serait-il quand même intéressant d’analyser le microbiote des jeunes les plus anxieux afin de le corriger s’il est déséquilibré. £ Bénédicte Salthun-Lassalle
Faut-il dormir avec son chat?
Si votre enfant dort régulièrement avec son chat ou son chien, faut-il s’inquiéter pour son sommeil ? Certains médecins le pensent, mais sans véritable argument scientifique. Or une nouvelle étude menée par Hillary Rowe, de l’université Concordia, à Montréal, et ses collègues vient battre en brèche cette idée.
Grâce à une batterie de capteurs et de questionnaires, ces chercheurs ont analysé les nuits de 188 enfants âgés de 11 à 17 ans. Plus du tiers d’entre eux dormaient parfois ou souvent avec leur animal, mais cela n’affectait aucun paramètre objectif de leur sommeil. Au contraire, la présence fréquente de leur compagnon à quatre pattes leur donnait le sentiment subjectif de mieux dormir. «Peut-être parce que les enfants considèrent les animaux de compagnie comme des amis proches et trouvent leur présence réconfortante», estime Hillary Rowe. £ G. J.
NEUROBIOLOGIE Des champignons contre la migraine?
E. Schindler et al., Neurotherapeutics, vol. 18, pp. 534-543, 2021. Q
uand on est migraineux et que l’on souffre, trois ou quatre jours par semaine, de crises qui rendent parfois toute activité
impossible, bénéficier d’un traitement efficace est une priorité absolue. Aujourd’hui, une des classes de médicaments les plus efficaces est celle des triptans, des molécules qui imitent l’action d’un important neuromédiateur du cerveau qui semble faire défaut pendant les crises : la sérotonine. Les triptans se fixent sur les récepteurs de la sérotonine et en reproduisent l’action, avec des effets appréciables, mais ils ne parviennent à neutraliser entièrement la douleur que chez 30 % des patients, et chez une bonne partie d’entre eux elle revient dans la journée. Pourrait-on aller plus loin dans l’activation de cette voie de la sérotonine ?
Depuis quelques années, la recherche sur les composés hallucinogènes a le vent en poupe, et certaines molécules comme la psilocybine, contenue dans le champignon psilocybe (que l’on trouve facilement dans nos prés et champs), révèlent des effets thérapeutiques étonnants, notamment dans le traitement de dépressions résistantes aux traitements usuels. Or la dépression est une maladie dans laquelle les taux de sérotonine sont également insuffisants. La psilocybine se fixe sur les récepteurs de la sérotonine et les active : se pourrait-il qu’elle atténue les douleurs des migraines ? Pour le savoir, Emmanuelle Schindler et ses collègues de l’université de Yale ont donné une seule dose de psilocybine à des volontaires qui avaient en moyenne des crises de migraine pendant 3,5 jours par semaine. Résultat : après une brève phase d’hallucinations visuelles (souvent accompagnée d’un sentiment de paix et de calme), la fréquence des crises est passée à 1,7 jour par semaine, et leur durée de 15 à 10 heures. Outre le changement important de qualité de vie, l’avantage est de n’avoir à prendre qu’une seule dose au début de chaque période, sans effet secondaire noté à ce jour. Mais cette étude pilote devra être répliquée sur de plus vastes échantillons avant de déboucher sur des traitements disponibles sur le marché. Et surtout, si vous avez une migraine, n’allez pas consommer de psilocybes récoltés dans les prés ! Leur cueillette est interdite, la psilocybine doit être isolée par des méthodes chimiques contrôlées, et son administration encadrée par un personnel spécialisé. £
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L’homme est-il un animal domestique ?
Par Brian Hare, professeur d’anthropologie évolutionniste, de psychologie et de neurosciences à l’université Duke, aux États-Unis, et Vanessa Woods, chercheuse et directrice de la crèche canine expérimentale de l’université Duke (Duke Puppy Kindergarten).
Nos ancêtres ont domestiqué le chien, le cochon ou la vache en sélectionnant les animaux les plus doux et commodes. En fait, ils pourraient avoir aussi domestiqué… l’homme lui-même.
Nous sommes seuls humains
sur Terre aujourd’hui, mais, à l’échelle de l’évolution, tout récemment encore, nous avions
encore de la compagnie. Pendant les 300000 ans ou plus de son existence, notre espèce a partagé la Terre avec au moins quatre autres espèces humaines, puis, manifestement, elle s’est imposée… Pourquoi ? Parce que nos ancêtres étaient les meilleurs chasseurs, plus intelligents et avaient plus de savoir-faire, c’est évident !
Du moins, est-ce là l’histoire bien gentille que nous nous répétons. La réalité est que certaines des autres espèces ont vécu bien plus longtemps que la nôtre – au moins 1 million d’années de plus –, que le cerveau néandertalien semble avoir été plus gros que le nôtre, et que certains des savoir-faire de nos cousins humains étaient plus avancés que ceux de nos ancêtres…
Ainsi, si un extraterrestre avait tenté il y a 100 000 ans de deviner quelle espèce humaine prendrait le dessus sur la planète, il aurait peutêtre parié sur nos musculeux cousins néandertaliens: l’ancêtre commun que nous partageons avec eux vécut il y a quelque 600 000 ans ; ils ne le cédaient en rien à nos lointains aïeuls pour ce qui est de l’habileté à la chasse, puisqu’ils étaient capables d’abattre des mammouths, des aurochs… et tous les grands mammifères de leur époque; ils étaient également doués d’une pensée symbolique, puisqu’ils décoraient leurs corps de pigments et de parures faites de plumes, de coquillages et d’os;
© Shutterstock.com/Triff Par Nayla Chidiac, psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie clinique, consultante auprès de l’ONU pour la prise en charge des victimes de traumatismes, fondatrice des ateliers d’écriture au centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris.
Après un trauma, l’angoisse et les ruminations empoisonnent souvent l’existence. Mettre par écrit ses ressentis, voire son imaginaire, apporte alors des bénéfices insoupçonnés.
EN BREF
£ Chez les victimes de
stress post-traumatique, la pensée tourne souvent en boucle, sur fond de stress permanent.
£ Écrire sur l’événement
douloureux aide alors à s’apaiser et à sortir de ces ruminations – même si la supervision d’un thérapeute est souvent nécessaire pour éviter des effets contre-productifs.
£ D’autres techniques
d’écriture, qui ne sont pas forcément focalisées sur le traumatisme lui-même, permettent plus généralement un « assouplissement psychique » salutaire.
Q
uand il se présente à ma consultation, Ovide, 28 ans, est dans un état
d’esprit douloureux et indéfini. Expertcomptable, expatrié en Amérique du Sud, il ne peut plus exercer son métier depuis des mois, son entreprise ayant déposé le bilan. Il se sent bloqué, dans une impasse, contrarié, souvent triste sans savoir pourquoi. Alternant entre les attitudes conflictuelles et la fuite, il a l’impression de «fonctionner à moitié». Habitué à décompresser grâce à la musique, il ne parvient plus à se ressourcer en jouant, en particulier dans cette période pandémique où la distanciation sociale lui interdit de retrouver son groupe. Il s’isole de plus en plus, à tel point que sa compagne lui conseille de consulter un thérapeute. Seul avec ses pensées, débordé par leur flux incessant et incapable de les mettre en ordre, il lui faut trouver un moyen d’exprimer son trop-plein d’émotions. En réalité, le manque d’interactions sociales, chez Ovide, n’a fait qu’approfondir un problème plus ancien. Il y a deux ans, il a vécu un deuil traumatique dont il ne s’est jamais remis : le suicide de son frère, qu’il a découvert pendu en entrant dans sa chambre. Comme Ovide n’est pas très à l’aise pour s’exprimer par oral, je lui propose une thérapie par l’écriture – via Zoom, étant donné l’éloignement
La mémoire dans les gènes
Par Johannes Gräff, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse, où il dirige le laboratoire de neuroépigénétique.
Pourquoi vous souvenez-vous encore, des décennies plus tard, de votre tout premier baiser? Des études récentes révèlent que les expériences fortes, bonnes ou mauvaises, s’impriment dans notre ADN.
Q
uand j’avais six ans, je faisais souvent du vélo avec mon meilleur ami. Je me souviens encore des routes que nous dévalions à toute vitesse, évitant les obstacles et tou-
jours en faisant la course. Pourquoi ce souvenir est-il si vivace, si précis? À l’époque où je ne faisais que pédaler, cette question préoccupait déjà Francis Crick, un des récipiendaires du prix Nobel de physiologie ou médecine pour l’élucidation de la structure de l’ADN. Il précisait, dans une publication datée de 1984, que la plupart des composants des neurones ne sont pas du tout adaptés au stockage de souvenirs pendant des années, voire des décennies. En effet, les neurones sont en grande partie constitués de protéines dont la demi-vie est de quelques heures, tout au plus de quelques jours…
L’ADN N’OUBLIE PAS
Comment, dans ce cas, le cerveau peut-il garder la trace d’une information pendant des décennies ? Existerait-il, dans notre organisme, EN BREF
£ Les souvenirs
à long terme laissent des « marques » épigénétiques sur notre matériel génétique : ce sont, entre autres, des groupements acétyles sur les histones autour desquelles s’enroule l’ADN et des méthyles sur certains gènes.
£ En revanche, le
cerveau des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer présente moins d’acétyle – qui favorisent la mémorisation –, tout comme celui des sujets atteints de stress post-traumatique qui n’arrivent pas à guérir.
£ Chez les rongeurs,
on a déjà réussi à restaurer l’acétylation avec des médicaments et ainsi amélioré leur mémorisation ou diminué leur anxiété…
des molécules qui resteraient presque immuables dans le temps ? Une telle molécule est l’ADN. Il code l’information génétique de façon extrêmement stable. Crick s’est donc demandé si les souvenirs ne pouvaient pas être « ancrés » dans le génome, sous forme de modifications chimiques.
Dans les années 1980, ses collègues chercheurs n’accueillirent pas très favorablement cette nouvelle idée. Mais depuis lors, de nombreuses études scientifiques ont prouvé que des changements chimiques de l’ADN interviennent bel et bien : de tels changements modifient l’expression des gènes, sans pour autant changer leur séquence, et ils contribuent effectivement à la formation et au maintien de la mémoire. On parle alors de modifications épigénétiques, du grec épi signifiant « sur » (voir l’encadré page 35).
DES ATTACHES CHIMIQUES SUR L’ADN
La première preuve d’un codage épigénétique des souvenirs nous vient de David Sweatt, de l’université de South Alabama à Birmingham, aux États-Unis. En 2004, il a conditionné des rats à redouter un son particulier. Puis il a remarqué que leur cerveau contenait alors un nombre important de groupements chimiques, comme des acétyles, sur certaines molécules associées à