6 minute read

L’évolution, une révolution

3. Darwin, une vie pour une idée

4. L’évolution, une révolution La théorie de Darwin, exposée en 1859 dans L’origine des espèces, apparaît d’emblée comme une nouvelle conception du monde. Était-ce une révolution ou une évolution?

Advertisement

8. L’homme et les singes

La découverte des singes anthropomorphes suscita de nombreuses polémiques dès le début du XIX e siècle. On craignait les retombées iconoclastes d’un rapprochement entre les singes et l’homme.

17. Babouins et métaphysique Le 16 août 1838, Darwin écrit: «L’origine de l’homme a été démontrée. La métaphysique doit prospérer. Celui qui comprend le babouin contribuera davantage à la métaphysique que Locke.»

19. Les années de formation Comme son père et son grand-père, le jeune Charles entame des études de médecine, interrompues en 1827. Lorsqu’on le réoriente vers la vie ecclésiastique, le virus de l’histoire naturelle l’a déjà contaminé.

30. Le long périple du Beagle Lorsqu’il embarque sur le Beagle, en 1831, Darwin est un jeune homme de 22 ans, doté d’une bonne formation de naturaliste. À son retour, après cinq ans de navigation, il est déjà célèbre.

42. Les prémices d’une théorie Après avoir confié à des experts le matériel collecté lors de son voyage, Darwin entreprend en 1837 la rédaction de ses Carnets. Il n’y livre pas toute sa pensée, mais l’expression «ma théorie» devient récurrente.

46. La lutte pour l’existence Si les espèces se modifient graduellement, Darwin doit expliquer leur admirable adaptation à leur milieu. En lisant Malthus, en 1838, il identifie sélection artificielle et sélection naturelle.

52. Événements intimes Le mariage en 1839, les enfants, la maladie: problèmes personnels et réflexions théoriques aggravent chez Darwin le conflit intérieur sur la religion. Il en deviendra agnostique.

57. Premières ébauches En 1842 et en 1844, Darwin écrit deux ébauches de sa théorie de l’évolution. Puis, pour affermir sa réputation, il entame un long travail sur la systématique de certains crustacés, les cirripèdes.

62. Compagnons de route L’été 1858, alors qu’il prépare une troisième version de sa future œuvre maîtresse, Darwin reçoit un article de Wallace qui présente des idées très voisines.

68. L’origine des espèces En 1859, après plus de vingt ans de travail, Darwin publie L’origine des espèces. Il profitera des éditions suivantes pour répondre aux critiques essuyées par sa théorie.

82. L’origine de l’esprit Il devra se faire «une vive lumière sur l’origine de l’homme et sur son histoire» concluait Darwin dans L’origine des espèces. Après un long silence, il aborde cette délicate question en 1870.

L’évolution, une révolution

La théorie de Darwin, exposée en 1859 dans L’origine des espèces, apparaît d’emblée comme une nouvelle conception du monde. Était-ce une révolution ou une évolution ?

4 Darwin a changé les sciences de la vie comme Copernic avait bouleversé l’astronomie: la théorie de Copernic mettait à mal le géocentrisme, celle de Darwin porte un coup fatal à l’anthropocentrisme. Le Système copernicien reproduit ci-dessous est extrait des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle (1657-1757), un des inspirateurs des nouvelles conceptions naturalistes développées au siècle des Lumières.

Les historiens le soulignent: dans son ouvrage le plus célèbre, The Origin of Species («L’origine des espèces»), publié en 1859, Darwin n’employa jamais le terme «évolution», et jamais il ne traita de l’espèce humaine! Darwin était courageux, mais pas téméraire.

L’année 1859 est néanmoins un jalon. Moins de 40 ans après, le paléontologue américain Henry Fairfield Osborn (1857-1935) rédigeait l’une des premières histoires de l’évolutionnisme et, comme ce serait de plus en plus la tendance, cherchait partout où cela semblait possible des anticipations de l’idée d’évolution. En 1894, dans son livre Des Grecs à Darwin – Conception historique du développement de l’idée de l’évolution, il écrit: «“L’avant et l’après Darwin” seront toujours l’ante et post urbem conditam de l’histoire de la biologie.» Selon Osborn, l’idée d’évolution n’était pas neuve, mais elle avait «atteint sa maturité actuelle par de lentes contributions apportées au cours de vingt-quatre siècles. [...] Plus on l’étudie, plus on a la conviction que la loi de l’évolution a été atteinte non pas d’un bond décisif, mais par le développement progressif de chaque idée subordonnée et connexe, avant que cette loi ne soit reconnue comme un tout unique par Lamarck d’abord, par Darwin ensuite».

Osborn raconte ainsi l’évolution de l’idée d’évolution. Cette évolution-là ressemble à un processus darwinien, ce qui n’est pas un hasard. L’évolution darwinienne des êtres vivants procède graduellement, sans sauts brusques,et nous pouvons penser que la connaissance se développe similairement. Cette vision «continuiste» et cumulative de la science est une application (avant la lettre) de la théorie évolutionniste de la connaissance, qui transpose le mécanisme darwinien de l’évolution des êtres vivants à l’émergence et à l’établissement d’idées nouvelles. L’évolution s’applique à l’Évolution.

Le fait que pour Darwin, l’évolution ne soit pas synonyme de progrès, c’està-dire d’une avancée vers une perfection toujours plus grande, semble un détail que l’on pouvait encore, selon Osborn, se permettre de négliger. Par ailleurs, on pouvait aussi ignorer les différences entre la théorie de Darwin et celle de Lamarck, considérées comme de simples étapes dans un parcours fort long. «L’avenir, concluait Osborn, nous dira si les précurseurs de Darwin et Darwin luimême [...] ont résolu de manière satisfaisante cet antique problème, ou s’il nous faut encore attendre un prochain Newton pour notre philosophie de la Nature.» Par son allusion à Newton, Osborn faisait référence à une expression couramment utilisée quelques années avant la mort de Darwin pour lui rendre hommage. Le «Newton du brin d’herbe» dont Kant (1724-1804) n’osait pas espérer l’avènement s’était finalement incarné en Darwin, l’homme qui avait été enfin capable d’expliquer, en termes de lois purement naturelles, le «mystère des mystères», la structuration et la différenciation de la vie sur Terre. Dans la Critique de la faculté de juger (1790), Kant, au point culminant de sa réflexion sur la nature de la science et de la connaissance, avait affirmé: «Il est tout à fait certain que nous sommes incapables de connaître, avec nos principes mécaniques simplistes, les êtres organisés et leur possibilité interne [...]. Il est absurde pour des êtres humains [...] d’espérer que surgisse un jour un Newton qui

«Lorsque nous ne regarderons plus un être organisé de la même façon qu’un sauvage contemple un vaisseau, mais comme un organisme dont l’histoire est fort ancienne, l’étude de l’histoire naturelle gagnera beaucoup en intérêt!», dit en substance Darwin dans L’origine des espèces. L’illustration ci-contre provient de l’Historia naturalis ranarum d’August Roesel von Rosenhof (1705-1759), un naturaliste et illustrateur allemand.

rende compréhensible ne serait-ce qu’un brin d’herbe d’après des lois naturelles que nulle intention n’a ordonnées [...].» Or, en 1868 déjà, dans son Histoire de la création naturelle, le zoologiste allemand Ernst Heinrich Haeckel, disciple autoproclamé et fidèle continuateur de Darwin, s’inscrivait en faux contre le pessimisme de Kant: il proclamait que Darwin avait dépassé la traditionnelle conception finaliste ou téléologique de la nature – celle qui imposait une explication de la nature en termes de buts prédestinés. Débarrassés de ce préjugé, les hommes de science pouvaient étudier les phénomènes de la vie dans leur globalité et les expliquer par des causes naturelles purement mécaniques. Darwin avait en effet conclu L’origine des espèces en affirmant, avec la discrétion et la modération qui le caractérisaient:

Il est intéressant de contempler un rivage luxuriant, tapissé de nombreuses plantes appartenant à de nombreuses espèces, abritant des oiseaux qui chantent dans les buissons, des insectes variés qui voltigent çà et là, des vers qui rampent dans la terre humide, si l’on songe que ces formes si admirablement construites, si différemment conformées, et dépendantes les unes des autres d’une manière si

This article is from: