Mémoire PFE - De l'ivresse du risque à l'urbanisme dégrisé

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De l’ivresse du risque à l’urbanisme dégrisé Les Plans de Prévention des Risques Technologiques comme outils de reconfiguration territoriale

Thibault Chevilliet ENSA Paris-Malaquais Département VAT Projet de Fin d’Etudes 2017 Encadrants

Marc Armengaud Yves Bélorgey


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De l’ivresse du risque à l’urbanisme dégrisé Les Plans de Prévention des Risques Technologiques comme outils de reconfiguration territoriale

Thibault Chevilliet Encadré par Marc Armengaud et Yves Bélorgey

Mémoire de Projet de Fin d’Etude ENSA Paris-Malaquais Département Villes, Architectures et Territoires 2017

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Sommaire

Introduction

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Quitter l’ivresse : le regard clair

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Risque

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Plans de Prévention des Risques Technologiques

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Le territoire & Arpentages

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Traces génériques

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Finir de dégriser : le risque comme occasion

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Dégrisement

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Propriété rediscutée

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Institut du dégrisement

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Rester sobre : éviter la friche

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Modèle

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Devenirs

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Conclusion

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Bibliographie

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Introduction

Quelque chose arrive. Des objets sur notre territoire stockent des hydrocarbures, en produisent les dérivés. Ils sont dangereux, mais nous les regardons peu, du coin de l’œil, comme d’immondes nécessités à nos vies portées par le pétrole. Oui, mais viendra vite le moment où ces constructions seront obsolètes, si quelque chose de plus dramatique n’advient pas avant. Nous les regarderons alors ces lieux, et il faudra décider de leur sort. Que restera-t-il de ces années du pétrole ? De l’acier sans doute, et des terres polluées, certainement… Il s’agit donc de considérer ces adolescentes émergences de nos réseaux bientôt désuets pour configurer, saisissant le risque comme occasion, un devenir collectivement profitable de ces territoires. Ce mémoire se structure donc autour de trois axes de projets. Un premier consiste en une description qui, nourrie par ce que le risque fait au territoire, devient révélatrice de lieux de projections pour celui-ci. Un second est l’occasion de saisir la manière dont le risque remet en jeu la notion de propriété pour en proposer une alternative. Le mémoire se conclura enfin par l’exposition d’une méthode de reconfiguration urbaine propice à l’accaparation, non exclusivement productive et par le collectif, d’un sol malmené.

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La théorie du pic : Constat et prévision de la décroissance de la production de pétrole mondiale par Jean Laherrère, ingénieur polytechnicien ayant travaillé 37 ans pour la compagnie Total


Quitter l’ivresse : le regard clair. On découvre ici que la réglementation urbaine actuelle, en autorisant en certains lieux seulement les activités liées au risque du site, crée une sorte de réserve foncière pour l’exploitant de la parcelle. Cette dernière, grisée sur les zonages réglementaires, semble être évacuée du processus d’aménagement et crée alentours une gestion clivante de l’espace urbain. Lever la brume que le risque pose sur les territoires en les arpentant et retrouver un regard clair sur eux à l’heure d’une disparition à venir de l’activité qui, pour l’instant, les structure : voilà l’enjeu.

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Risque Je commence par dresser les contours de ce que je nommerai “risque” au long du mémoire et de l’attitude que ceux-ci impliquent. Nature « Risque n.m. 1.n : Péril dans lequel entre le hasard. » Littré Le risque est avant tout un danger, quelque chose considéré comme négatif qui peut arriver et ce, de manière indépendante de notre volonté, du moins partiellement. Intrinsèquement, le risque est donc subi avant même d’être défini. Cette nature passive encourage à des options de positionnement clivées : affronter le risque, créer les conditions de son annihilation, ou bien le fuir, éviter de s’y soumettre ; cette même nature nous oblige par ailleurs au positionnement : il est impossible de ne pas considérer le risque, quitte à mettre des œillères. Nombreuses sont les sources autorisées par le caractère hasardeux de la définition du risque. Tout ce qui ne dépend pas entièrement de notre volonté peut être source de risque : notre propre désir, la nature, la volonté des autres, ce que produit l’association des désirs et volontés d’autrui… Quelque soit sa source, le risque, c’est la catastrophe avant qu’elle advienne, mais c’est tout à la fois autre chose. C’est-à-dire que le risque ne serait pas si la catastrophe n’était pas envisageable, mais il ne se réduit pas à elle. Il est un objet indépendamment existant qui contient notre manière de configurer et préfigurer l’avenir. En soi le risque est une perception anticipée du réel nourrie du fantasme et de la connaissance. L’avènement de la catastrophe provoque sa reconnaissance en nous, non sa découverte. « La surprise liée à la représentation anticipée du réel, lorsque celle-ci aboutit à une aperception directe du réel qu’elle représentait, a été aussi évoquée par Péguy dans un texte des Cahiers de la Quinzaine, intitulé « D’un saisissement que nous eûmes dans le même temps », dans lequel Péguy évoque le passage d’une connaissance vague de la menace d’une invasion militaire allemande en France à la prise de conscience, brutale et collective, que cette menace est, au surplus, quelque chose d’imminent, de présent, de réel : « La connaissance de cette réalité se répandait bien de proche en proche ; mais elle se répandait de l’un à l’autre comme une contagion de vie intérieure, de connaissance intérieure, de reconnaissance, presque de réminiscence platonicienne, de certitude antérieure, non comme une communication verbale ordinaire ; en réalité, c’était en lui-même que chacun de nous trouvait, recevait, retrouvait la connaissance totale, immédiate, prête, sourde, immobile et toute faite de la menace qui était présente. » » C.Rosset, Le Réel, Traité de l’idiotie, Éd. de Minuit, p.165 Mesure La préfiguration faite par l’homme ne peut se passer de l’outil de sa raison, maigre rempart face aux avalanches du désir, la mesure. Si la catastrophe advenait, quelle serait sa dimension, son intensité ? Qui serait concerné ? Quelle est la probabilité de son avènement ? Enfin, quelle serait l’intensité de mon gain à me soumettre à ce risque ?

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Cette dernière donnée est essentielle car c’est elle, au regard du reste, qui permettra de confirmer la nature négative de ce à quoi je me soumets. Si je saute de cette falaise : quelle est la chance de tomber sur un rocher au vue de la couleur de l’eau ? Est-ce suffisamment risqué pour que je me passe de l’extase de la chute libre ? Si je voulais partager la décision de mon saut avec autrui, il me faudrait objectiver mon jugement et probablement cartographier les fonds, estimer selon certains outils la hauteur de mon saut et convaincre les autres du bien-fondé de celui-ci par rapport à eux, en quoi ils sont ou non affectés. Bref, mon saut devient un objet en soi, avant tout mouvement de ma part. L’objet mesuré devient objet modélisé, c’est-à-dire une abstraction qui augmente notre puissance d’agir dans un réel hors de nous. Il est également modélisé du fait que certains phénomènes, pour n’être pas advenus, ne peuvent avoir été mesurés à proprement parler. Or tout l’outillage qui permet la construction du modèle est une affaire de choix et la modélisation du risque devient éminemment politique. C’est elle qui va en effet faire exister l’objet aux yeux des acteurs qui décideront, plus ou moins démocratiquement et de manière inégalement impliqués, leur position commune face au risque. Cette mesure du risque est au centre de ce que Ulrich Beck définit comme la problématique majeure de notre société du risque, celle de la répartition inégale des risques et de la légitimité de cette inégalité. Cette répartition ne recoupe pas les limites de la répartition des richesses mais vient l’appuyer ou l’infirmer selon les cas. En cela le risque, en tant qu’objet modélisé, est une occasion politique de redéfinition des groupes d’intérêt. Si le risque est l’objet de notre tentative de mesure, on peut également remarquer que lui-même donne mesure. Le hasard trouve en science une certaine efficience à dimensionner, à l’instar de la méthode dite de Monte-Carlo qui consiste à calculer une aire en considérant aléatoirement un certain nombre de points d’un espace contenant la surface et d’observer le ratio de points contenu dans cette surface. Pensons par ailleurs aux catastrophes et risques nucléaires qui donnent l’échelle de la surface du globe concernée par la décision d’implanter une centrale. Si le gouvernement hongrois décide par exemple d’ouvrir une centrale, le risque, par sa dimension, offre un droit à l’ensemble des européens, aux turcs, aux russes etc. à s’inclure dans le processus de décision. Droit qui n’est donc pas actuellement considéré car la légitimité des décisions ne se fonde pas uniquement sur l’objet modélisé. Le risque en tant qu’objet mesuré et donnant mesure est un projet politique, littéralement une projection de notre société dans un avenir possible qui configure le présent. « Les risques ont donc, contrairement aux richesses, dont l’existence est tangible, quelque chose d’irréel. Ils sont fondamentalement réels et irréels à la fois. D’un côté, il existe des menaces et des destructions qui sont déjà bien réelles : la pollution ou la mort des eaux, la disparition de la forêt, l’existence de nouvelles maladies, etc. D’un autre côté, la véritable force sociale de l’argument du risque réside justement dans les dangers que l’on projette dans l’avenir. A cet égard, il s’agit de risques qui, là ou ils interviennent, correspondent à des destructions dont l’ampleur est telle qu’il devient quasiment impossible d’agir a posteriori, et qui comportent et déploient donc déjà une valeur pour l’action en tant qu’ils sont supposés, envisagés comme menace à venir, pronostiqués selon une logique de déduction préventive inversée. La conscience que l’on a du risque ne se situe pas dans le présent, mais essentiellement dans l’avenir. » U.Beck, La société du risque, Champs, p.61

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Culture La question d’un modèle partagé du risque nous invite également à nous méfier de la trop grande éloquence du modèle et des images qu’il renvoie. Comment puis-je discuter d’une zone rouge vif sur une carte, dont je ne maîtrise pas le mode d’établissement ? Le modèle peut être opaque à double titre : d’abord celui d’une réelle complexité qui nécessite travail et apprentissages dont un citoyen travaillant pour vivre ne peut se permettre le luxe, ensuite celui de la peur produite par l’image que renvoie le modèle. Qui voudrait vivre en zone rouge ? Cette opacité encourage le plus souvent à l’acceptation discrète. Le risque est vécu sous le régime d’un double écueil, celui du déni et de l’expertise. Cet écueil est soluble dans une culture du risque. L’étymologie du risque se présente sous la forme suivante : « À partir de *resecum « ce qui coupe » est né le sens « rocher escarpé », conservé dans l’esp. risco, d’où « écueil », puis « risque encouru par une marchandise transportée par bateau » » CNRTL, étymologie risque Dont acte. Le risque doit être ce rocher, plus ou moins imposant, plus ou moins lointain, ce déjà-là dont nous devons tenter en permanence de nous rendre connaisseur. Sa description doit être mis aux yeux de tous, car cet écueil est une occasion. La crise possible qu’il suggère nous pousse à discuter, à faire projet de manière collective sur ce que nous sommes prêts à risquer pour configurer ce qui adviendra. Le risque est l’occasion d’une projection commune, le risque est un projet.

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Plans de Préventions des Risques Technologiques (PPRT) Brisons la glace, et faisons connaissance avec cette réglementation qui nous occupe1. Nature des PPRT Les PPRT sont des documents qui réglementent l’urbanisation autour d’une activité présentant un risque technologique majeur2. Ils impactent l’existant par le biais de mesures foncières (expropriation, délaissement) et de prescriptions, ainsi que les projets futurs par l’établissement de zones réglementaires. Ces zones peuvent interdire certains types de constructions ou conditionner celles-ci à des prescriptions constructives et/ou d’usage3. Ils ont été instaurés en 2003 par la loi dite Bachelot en réaction à la catastrophe de septembre 2001 à l’usine AZF de Toulouse, où des manquements ont été constatés quant à la maîtrise de l’urbanisation alentour. Cette loi s’inscrit dans une tradition involontairement respectée de ne modifier la législation qu’après l’avènement d’une catastrophe, à la manière dont Chaptal proposa une première législation relative établissements industriels insalubres et dangereux au début du XIXe siècle après l’explosion de la poudrerie de Grenelle4. Démarche Lorsqu’un site remplit les critères imposant l’établissement d’un PPRT, le préfet missionne les services instructeurs, souvent l’inspection des installations classées et les directions départementales des territoires. Ces derniers sont chargés de réaliser ou faire réaliser l’étude des aléas et des enjeux concernant le site. Les aléas représentent le produit, pour chacune des sources de risques, de sa probabilité d’occurrence par l’intensité des dommages causés. Les enjeux, quant à eux, représentent ce qui doit être protéger, les fragilités et vulnérabilités du territoire. De la superposition de ces aléas et de ces enjeux découle un zonage réglementaire utilisant des zones d’interdiction, d’autorisation sous conditions et de prescriptions plus ou moins contraignantes. De là, tous les projets et documents urbains devront s’accorder à ce zonage.

1 L’idée étant, bien sûr, de ne pas noyer le lecteur d’informations non nécessaires, je rappelle ici seulement le cadre global de ce document. Je l’encourage à lire le guide méthodologique des PPRT pour une information plus poussée. 2 La loi parle « d’installation classée […] susceptible de créer, par danger d’explosion ou d’émanation de produits nocifs, des risques très importants pour la santé ou la sécurité des populations voisines et pour l’environnement ». Code de l’environnement, Art. L515-8 3 Les PPRT « peuvent interdire la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages, ainsi que les constructions nouvelles et l’extension des constructions existantes, ou les subordonner au respect de prescriptions relatives à leur construction, leur utilisation ou leur exploitation. » Code de l’environnement, Art. L515-16-1 4 Ce schéma d’une loi découlant de la catastrophe est discuté, notamment par Thomas Le Roux, dans « Accidents industriels et régulation des risques : l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2011/3 (n° 58-3), p. 34-62. Il met en cause la manière dont on ne tire pas tous les enseignements de la catastrophe et décrit comment Chaptal met en place une législation prioritairement favorable aux industriels.

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Zonage réglementaire pour la BASF à Meaux, en Seine-et-Marne Ce plan fait apparaître les différents régimes d’autorisations et d’interdictions qu’un PPRT contient, ainsi que la zone grise qui semble nier ces derniers et être hors de la discussion urbaine. Les formes circulaires sont caractérisiques de la mesure du risque qui n’a pas de raisons a priori de privilégier une quelconque direction, contrairement aux trames de la ville et à son fleuve.

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Et ? Quel est le problème me direz-vous ? A priori aucun, un travail poussé et réfléchi est produit pour évaluer ces risques, s’en protéger tant que faire se peut et permettre les activités industrielles. A moins que cette méthode, cette manière de faire soit symptomatique de ce que j’appelle l’ivresse du risque. En un moment où la question du maintien d’emplois et d’activités est centrale dans les prises de décisions à toute échelle, et particulièrement territoriale, nous5 devenons experts à traiter d’un problème qui aveugle. Que se produirait-il si un incident advenait en ce lieu ? Telle est la question à laquelle nous répondons avec rigueur et à partir de laquelle nous nous protégeons. Mais on semble passer outre la question : que produit cet objet, cause potentielle de l’accident ? Que peut-on en faire ? Sa présence est-elle en soit un incident ? Obsédés par le fait que ces catastrophes radicales n’arrivent pas, nous en oublions presque les questions qui la précèdent et du même coup, nous nous rendons passifs face au risque technologique, comme confrontés à un phénomène naturel, lorsque celui-ci est en tout point généré par l’homme. Vulnérabilité J’ai écrit plus haut que les zones étaient dessinées en superposant aléas et enjeux. Je souhaite évoquer ici le troisième facteur, souvent dilué dans le second, qu’est la vulnérabilité. L’INERIS6 en parle comme « d’une réalité complexe à appréhender », groupant les capacités d’éloignement que possèdent les personnes exposées, l’existence ou non d’une protection plus ou moins performante, les conséquences en chaîne possibles et enfin la « condition socio-économique des personnes ou activités affectées ». Ce dernier critère se comprend : des gens pauvres ou socialement exclus peuvent, par exemple, être moins bien informés sur le risque qu’ils subissent, ou disposer de moins de moyens de protection, de mobilité…etc. Pourtant, la présence de ce critère est inquiétante : doit-on interdire certains usages, certains lieux à des populations sous prétexte qu’elles sont pauvres, peu mobiles … ? Là n’est pas le propos du législateur7, mais je crois nécessaire de mesurer qu’une démarche qui ne parle du risque généré que comme une donnée dont on doit minimiser les conséquences mène à ce genre d’ambiguïté. Au delà de cette dernière, ce critère amène à être spatialement clivant puisque, comme le rappelle le guide, le PPRT peut, en plus d’une action urbanistique et sur le bâti : « [supprimer] des occupations inacceptables du sol (action sur le foncier) ; [restreindre] des usages des espaces publics et non protégés (actions sur les usages) ». Cette action sur l’usage du sol peut être concertée, mais en la matière le Comité Local d’Information et de Concertation (CLIC), chargé d’être le lieu de la négociation, n’a que la possibilité d’émettre un avis8.

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L’emploi du “nous” met ici l’accent sur le corps politique que nous formons.

6 Institut National de l’EnviRonnement Industriel et des RISques, un Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC) sous la tutelle du Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, est l’auteur du Guide méthodologique pour les PPRT. 7 Le guide rappelle que « L’État élabore et met en œuvre des plans de prévention des risques technologiques qui ont pour objet de limiter les effets d’accidents susceptibles de survenir dans les installations (...) et pouvant entraîner des effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques directement ou par pollution du milieu », et ne contient pas de clivage dans sa volonté première. 8 Le CLIC « peut émettre des observations sur les documents réalisés par l’exploitant et les pouvoirs publics en vue d’informer les citoyens sur les risques auxquels ils sont exposés. » Code de l’environnement R.125-31

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Zone Grise Lorsque l’on observe un zonage réglementaire, on remarque que la propriété foncière de l’exploitant à l’origine du risque est rendue invisible par un aplat gris. A l’heure des vues satellites accessibles par tous, serait-il impudique de montrer les courbes de ces cuves ? Derrière ces aplats se cache une disposition réglementaire consistant en une « interdiction de tout bâtiment ou activité ou usage non liés aux installations ». Il est expliqué que cette disposition permet d’« enclencher une révision du PPRT si l’exploitant venait à se séparer de tout ou partie de son terrain ». Cette zone doit donc être peu évolutive, rester sous le regard du préfet, mais à aucun moment n’être débattue dans la commission de concertation notamment, dont le droit de regard s’arrête explicitement aux limites spatiales de la parcelle9. Littéralement grisé par le risque, le sol qui reçoit ces activités est rendu invisible au non expert. Je ne peux que mesurer combien les PPRT, dans leur manière de vouloir prévenir le risque sans toucher à la nature de l’activité qui le génère, créent un mécanisme d’occultation des parcelles concernées, comme si la limite foncière instaurée rendait ces objets hors-sol, hors-ville, au-delà de la discussion urbaine. Par les systèmes d’interdiction de construction qui trouvent exception dans un bâti qui concerne l’activité à la source du risque, les exploitants se voient attribuer de facto une « réserve » de sol hors de leurs limites parcellaires. A travers les enjeux et les critères mis en place pour sécuriser ces territoires, on voit de plus combien clivantes ces zones apparaissent.

Plan de prévention des risques technologiques - SICA de Gouaix Plan de zonage réglementaire

Zonage réglementaire pour le SICA de Gouaix, en Seine-et-Marne Notons la zone d’autorisation sous réserve b qui semble n’être pas fondée sur une mesure de risque, mais plûtot résultée d’une négociation. La zone grise, elle, reste masquée.

9 Le CLIC « peut demander des informations sur les accidents dont les conséquences sont perceptibles à l’extérieur du site. » Code de l’environnement R.125-31

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Les 3 sites Total concernés par un PPRT en Île-de-france au sein de la métropole qu’ils servent et leurs réseaux

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Collage d’une photo de la raffinerie de Grandpuits en novembre 2016 et d’une vue de mon balcon Par d’invisibles réseaux, mon territoire composite porte la vue infrastructurée qui fait mon quotidien. Ou est-ce l’inverse ?

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Le territoire & Arpentages Je cède à l’envie et m’accapare ce qui ne peut s’acquérir, je parle ici de mon territoire. Il est d’abord abstrait, ou bien matériel, mais de papier. Un document législatif, des mots simplement, juxtaposés à ces plans, ces zones aux rondeurs peu usuelles dans nos villes quadrillées. Les couleurs paraissent naïves, mais ce sont elles, ce qu’elles recouvrent et qui les sous-tend qui m’occupent. En tant qu’elles incarnent les modèles de nos ingénieux ingénieurs qui tentent nécessairement de prévenir, et finalement actent avant que cela n’advienne, les risques qu’en tant que groupes nous produisons. Et finalement tout émerge sur notre sol francilien. Alors, mon territoire devient paysage. D’abord lointain. Un horizon dont tranquillement naissent d’énormes cuves, de grandes cheminées et de légères fumées. Chemin faisant, la fumée devient lourde de sens, son odeur est reconnaissable : c’est celle de l’essence. Les frontières sont marquées sur mon territoire. De solides grillages clôturent ces îlots d’activité mourante. Mais mourante à la façon d’un néophyte du grand âge : évidemment conscient de son déclin, mais persistant dans une vigueur qui n’est pas encore celle du dernier souffle. Mon territoire est en fait occupé. Ces objets que je regarde sont le fruit d’une implantation, d’une installation. Ils semblent être là de tout temps, tant ils occupent, par leur échelle, leur économie, leur bruit, les lieux où nos vies se déroulent ; mais ils sont plus jeunes que mes propres parents. Pas sûrs de durer plus longtemps qu’une vie humaine, triste sort pour d’aussi considérables déploiements d’acier. Autour, les villes se font. Au milieux des champs, au sein d’un port fluvial, ou en banlieue d’une capitale périphérique, mon territoire frotte et déplace mes convictions sur ce que je perçois par ailleurs de la ville, de ses qualités. Grands équipements semblant débarqués par hasard dans des lieux qui ne les attendaient pas, les objets de mon territoire sont en fait les pièces bien placés d’un jeu économique et politique, qu’à force de zoom et dé-zoom il faudra bien finir par comprendre. J’oubliais enfin que mon territoire est composé de ce que l’on aimerait déjà ne plus voir, le fruit de nos choix collectifs passés dont on hérite sans voie de sortie dessinée. Reliés par de souterrains réseaux pour servir d’obscures intérêts, mes objets se contentent pourtant de remplir les réservoirs de nos véhicules, à ailes et roues. Mon territoire est « l’inavouable crasse que Dieu enlève aux ongles de ses orteils »1, et qui pour cette raison même, me fascine. Mais je m’oublie et m’égare. Le territoire qui m’occupe, ce sont les sites franciliens du groupe TOTAL, concernés par des Plans de Prévention des Risques Technologiques. Je les ai arpentés.

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Musil Robert. L’homme sans qualités I, éditions du Seuil, p.216

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A Gargenville : base arrière

Je pourrais prendre le train. Mais c’est en attaquant la bête par ce flanc — celui de la gare — que je me suis fait avoir la dernière fois : vigile, contrôle d’identité et suppression des quelques photos réalisées. Je choisis donc une option moins frontale, une approche par l’angle mort, en me garant à l’ouest du site. Là, au bout de l’impasse, j’ai repéré un chemin qui vient coller les grilles du lieu. Que protège-t-elle ici ? Des tuyaux pas suffisamment enterrés probablement ; je bifurque au sud tout de suite pour longer la limite. J’y trouve une carrière, une pelouse, un vide, appelez cela comme vous voudrez ; à dix ans, j’y aurais vu un terrain de foot. La route arrive et le trottoir s’arrête : je marche sur le talus et ressens comme l’ébauche d’une impression d’être là où je ne suis pas prévu. Il fait très froid et le soleil bas de ce jeudi matin ne me réchauffe que trop peu ; ajoutez-y les bruits intermittents mais considérables de la route, l’odeur croissante des pompes TRAPIL que je croiserai plus tard et ma randonnée a pour l’instant peu d’allure. Je passe désormais au-dessus de ces gros oléoducs. Ici transite donc le nerf de la guerre. Entourée de ses réverbères et de drôles de bâtiments peu hauts et tout en rondeurs, la travée où déambulent les tuyaux est semblable à la rue d’une ville nouvelle : beaucoup de ciel et une perspective qui aboutit sur un incertain horizon. Arrivé devant les locaux de Suez, je remarque le soin apporté aux bâtiments de vie : lignes épurées et pléthore de matériaux. Notre station de pompage, là, de l’autre côté de la route est pourtant plus heureuse à regarder, dans ce doux contrejour.

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Passant devant l’entrée (pas mince d’ailleurs, on se figure parfaitement deux poids lourds s’y croiser), je remarque que les barbelés sont neufs, d’un acier immaculé. Et malins, les poseurs de barbelés (est-ce un métier ?) ont doublé les habituels barbelés trônant sur le grillage de leur semblables, mais à terre, j’imagine pour empêcher toute intrusion par le bas. Chemin faisant, la clôture se met à reculer derrière un fossé, véritable petite douve m’interdisant de coller la limite. La façade sud de la parcelle se termine et je fais désormais face à une colline qui semble côtoyer l’est du site tout du long. Tout cela semble a priori peu propice à la promenade. Pourtant, j’aperçois, se faufilant à travers les hautes herbes, un petit chemin qui part de nulle part, c’est à dire où je suis. Est-il public ? Rien ne le laisse penser. Mais rien n’indique le contraire. Alors, bénéfice du doute aidant, je m’y engage, lorsqu’un cri de mouette résonne dans le silence matinal. La vue est belle : d’un côté le dépôt TOTAL, ses cuves alignées et ses rues droites ; de l’autre, la ville et son apparent bazar, et devant, le plateau du Vexin. Des bruissements m’interpellent : un lapin traverse le chemin à toute vitesse. Quelques pas et je constate avec l’émerveillement d’un citadin rompu à l’absence animale qu’une quinzaine de lapins semblent tenir réunion sur la parcelle même, au soleil en contrebas. Mais que fait ce lieu derrière des barbelés ? Protégeant farouchement sa propriété, TOTAL semble apporter aux peureux animaux un refuge préservé des prédateurs moins agiles… Ici le risque préserve donc quelque chose ; les bêtes, ailleurs, se seraient probablement fait tirer par un chasseur quelconque. L’air frais et la vue haute m’accompagne jusqu’au chemin de fer, au nord. Là, un passage étroit mais semblant être « fait pour » longe la frontière. Des arbres me protègent des rails par lesquelles passent les transiliens, tout proches. Les bruits de feuilles m’indiquent une faune active : des lapins encore, des oiseaux beaucoup. Mis à part les barbelés, le décor de la balade devient décidément bucolique : allée de peupliers, tapis de feuilles mortes et chants d’oiseaux. Arrivant à la pointe nord-ouest du site, j’entend derrière moi des pas : un homme, bonnet posé sur le crâne et oreilles libres, marche d’un pas vif. Je ne suis donc pas seul à arpenter ce chemin qui me paraissait un peu plus tôt improbable. La configuration du lieu m’oblige à m’écarter de la frontière pour terminer ma boucle. C’est donc accompagné de l’odeur du pavillonnaire (vous savez, ce savant mélange de feu de bois, d’échappement humide de chaudière et de rosée…), et en croisant les services municipaux, GRDF, une dame allant à la gare d’Issou et des électriciens en pause que je rejoins mon bolide. Chose étrange, autour de tout ce liquide explosif, j’ai vu un lieu qui grouille de ceux qui font la ville… et de lapins.

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Gargenville - Position & Spécificités

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A Gennevilliers : base avant

Gennevilliers, c’est pratique, il y a le métro. Bon, pour le port, il faudra prendre un bus. Le bus est dans 25 min : me voilà donc au-dessus de l’A86, quittant les Courtilles, ce quartier de barres ondulées, au bout de la ligne 13. Je m’oriente à la manière d’une voiture, pas de chemins alternatifs ici. Marchant le long d’une route doublée de rails, dont on ne sait s’ils fonctionnent réellement, je remarque ces tracteurs, camions amputés de leurs remorques, qui stationnent là, attendant probablement une mission, un chargement prochain. Se profile au loin un viaduc : l’A15 traverse la Seine, c’est là que je me rends. Au pied de l’ouvrage, je m’enfonce sur la darse (n°6 je crois). On ne peut avoir lieu moins confortable pour le piéton ici : huile au sol, mur haut et fermé à gauche, le viaduc et son bruit à droite, et entre les deux, une route quasi-exclusivement empruntée par des poids-lourds. Il y a tout de même des trottoirs. Sous l’ouvrage d’art prospèrent des activités qui ne seraient peut-être pas acceptées ailleurs : revalorisation de déchets, stockage de palette… Au bout de cette ligne droite, un poteau coiffé d’un chapeau vert jade : un arrêt de la RATP. Oasis pour un usager des transports publics dans ce désert de bitume. J’arrive au site, qui se présente fermé : le trottoir bute sur une barrière pour véhicule. Sur la gauche, une pelouse au statut incertain qui semble laisser accéder au côté de la parcelle, je m’y engage. Me voilà sur un chemin réservé aux secours. La sérénité soudaine tranche avec le cheminement évoqué. L’eau calme du port bouge à peine les péniches amarrées, qui répondent aux doux noms de « Manu » et « Gérald le gaillard ». Avançant, je constate, les infrastructures permettant de transférer du pétrole des bateaux à la parcelle qui me semblent inusitées depuis quelques temps.

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Soudain, une poubelle. Un peu mal en point, certes, au sac peu rempli également, mais là tout de même. C’est donc bien un espace public, un lieu pensé pour recevoir des gens qui ont besoin de jeter leur déchet. Arrêtant de m’extasier devant une poubelle, je continue ma route le long du grillage noir et uniforme qui entoure le lieu. Loin du bruit du viaduc, seule l’odeur d’essence nous rappelle à son activité. Je retourne à l’entrée par le côté nord de la parcelle et croise un camion et une voiture dans l’attente. Pourtant non loin de la Seine, je ne la vois pas, attiré que mon œil est par les cuves, entourés par de grands bassins de rétention. Revenu au point de départ, je réussis à monter dans une navette RATP où seul, je discute avec le chauffeur : il me parle de ses horaires particuliers, de sa fatigue. Nous discutons de la mauvaise desserte de l’endroit. « Les gens en ont marre de bosser ici, c’est galère pour venir… Mais bon, il faut bien manger ! ». Salariés éreintés, chauffeurs en attente : autant de monde qu’il serait bon de voir déambuler et s’arrêter ensemble pour manger un morceau. Morceau dont l’emballage, évidemment, terminerait dans une poubelle.

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Gennevilliers - Position & Spécificités

9 conteneurs sur 10 entrants ou sortants d’Île-de-France passent par Gennevilliers

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A Grandpuits : usine

D’abord le train, jusqu’à la maison de mon enfance, en Seine-et-Marne. 1h30 plus tard, je récupère une voiture. 1h encore et me voilà garé sur le parking de la piscine intercommunale de GrandpuitsBailly-Carrois. Je sors de mon cocon automobile et je troque sa chaleur contre le froid pinçant de ce mercredi midi. Sur ce plateau briard, de la neige a tenu à la surface des champs, vision apaisante. Une sirène retentit soudain. Enclin à ne pas considérer un danger comme effectif, je me raisonne en jugeant que je viens d’entendre les essais de sirène du premier mercredi du mois. Nous sommes au troisième. Je longe donc avec une once de doute la nationale qui borde notre site. Pris dans les brumes industrielles, le lieu n’est pas sans charmes, mais n’est probablement pas regardé par les voitures qui, dans cette ligne droite vers Nangis, pressent l’allure. Je marche consciencieusement devant des panneaux « Défense d’entrer » et prend soin de respecter la consigne sur cette pelouse où je m’enfonce. L’odeur d’essence brûlée se fait bien sentir ici. Je passe devant ce qui semble être l’entrée des employés et le grand parking qui va avec. A côté de celui-ci, un plan d’eau dans lequel se reflète le réfectoire, que je reconnais grâce à la file qui piétine pour y entrer, protégée dans son attente par la pergola qui relie l’ouvrage aux bureaux. Le paysage est maintenant imposant. Dans un grand plat agricole généralisé, les robustes cheminées se dressent dans le ciel gris. J’ai un sentiment d’écrasement, ressenti pour la dernière fois à la Défense je crois. Plus loin, sur un chemin de moins en moins fait pour le piéton et de plus en plus meuble sous mon pas, je fais face aux cuves qui seraient risibles sans leur dimension. Elles sont en effet peintes « couleur ciel », dans un souci d’intégration paysagère… Le vice est poussé jusqu’au dessin de nuages enfantins sur leurs flancs. Heureusement, la rouille d’une voisine rappelle l’acier dont ces mesdames sont faites. Une barrière de western m’empêche de coller à la limite sur ce côté ouest ; après tout, n’est-on pas dans le « far East » où le train passe de village en village et où l’on se rend pour trouver, dans les sous-sols, de l’or (noir) ? Je longe un champ et m’enfonce dans le bosquet tout proche. Je croise une marre jonchée de déchets en tout genre et une petite tour EDF abandonnée, remplie de sacs de ciment durcis par le temps et de laquelle pend encore deux câbles. La chose s’est faite supplanter par les lignes hautes tensions qui lui tiennent compagnie à travers champs.

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Au loin, une multitude de wagons citernes attend en ligne et dessine l’horizon. M’y pressant, je croise une camionnette où des visages bourrus m’adressent le premier regard de la journée. Le passage à niveau passé, je continue la balade, non sans penser au semblant de perspectives infinies que je viens de voir. Me voilà pris entre des champs qui bordent l’usine Borealis et les maisons de Bagneaux. Le village semble fantôme à ce moment de la journée : volets clos et jardins calmes. Des chiens se font entendre pour défendre un territoire que par ailleurs personne n’approche. Dans cette cour de ferme, j’aperçois quelques caravanes, mais pas de signes de vie. J’aboutis finalement à la bordure du site et ne puis m’empêcher de voir le centre Pompidou derrière de vertes grilles dont la simplicité tranche avec les barbelés premièrement rencontrés. Je constate qu’il manque une cheminée au musée d’art parisien. Je passe devant les employés Securitas qui gèrent l’accès au lieu et qui m’offrent les seconds regards de ma journée au moins aussi soupçonneux que les premiers. Je dépasse le parking poids-lourds, ses 15 engins en attente et file le long du chemin de fer, guettant l’apparition du passage à niveaux à l’est du site. Fatigué de marcher au bord des routes et accompagné par les aboiements excessifs de bergers allemands, trônant sur la butte d’une sorte de décharge, je coupe à travers champs pour accéder au village de Grandpuits. Là, dans l’odeur du pavillonnaire, je croise de jolies maisons, des annonces pour un loto, des poupées angoissantes à travers une fenêtre ainsi qu’un gymnase conséquent et soigné. Je retourne à mon cocon, songeant à la manière dont la ville, arrivant avec ses gros sabots et par grands morceaux d’infrastructures et d’équipements, juxtapose ici de fait les usages urbains et agricoles. C’est dans ces lieux, je crois, que peut se jouer l’invention d’une ville qui préserve des vides cultivés, aidés par le risque.

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Grandpuits - Position & Spécificités

15% du pétrole raffiné à Grandpuits vient des gisements de Seine-etMarne

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Traces génériques Traces Nous avons vu précédemment ce à quoi ressemblent les territoires qui nous occupent. Mais au sein de ces paysages, quelle est la marque du risque ? Comment ce dernier laisse-t-il son empreinte sur ceux-là ? Comment finalement s’incarne-t-il ? Il y a évidemment les signes de sa source. Au premier rang desquels se trouvent les émanations, les fumées, parfois les flammes. Nous sommes habitués à apercevoir des fumées dans nos villes, sans en être constamment choqués. Pour cause, bien souvent, cela se résume à de la vapeur d’eau. Mais dans notre cas, la couleur ne trompe pas. La teinte sombre de certaines des brumes qui chapeautent une raffinerie nous indique la présence de tout autre chose que de l’eau. Ici le risque prend la forme insidieuse de la chose malsaine qui, en quelques instants, finit par se rendre invisible. Où est allée cette substance colorée ? Dans l’air que je respire ? Sur nos terres cultivées ? Ce risque de toxicité permanente est celui qui, je crois, pèse au quotidien du lieu, puisqu’il donne la sensation de n’être jamais à l’abri. Les quelques flammes intermittentes, aux sommets des torchères, ramènent quant à elle au caractère combustible et explosif de ce qui est ici produit et stocké. Hors de la raffinerie, c’est souvent l’odeur qui nous rappelle à l’identité du produit entreposé. Levier puissant de l’imaginaire, l’odeur fait ici son travail, et c’est tout un monde qui apparaît au contact de ces cuves. Les routes omniprésentes, les stations éparpillées et ce produit aux reflets multicolores lorsqu’il gît sur un bitume d’aire autoroutière. D’une source de risque, on souhaite s’éloigner. Alors le risque se fait exister par de grands vides. Même lorsque la ville est là, toute proche, sont préservés quelques mètres, un espace non bâti auquel on s’accroche comme à un talisman qui nous fait sentir un peu d’éloignement. Le vide se fraie un chemin autour de nos dépôts urbains. Traverser ce vide, c’est bien vite être confronté à la limite, celle derrière laquelle se trouve la source. Pour que la catastrophe n’advienne pas, cette dernière bénéficie évidemment d’une protection. Le risque prend donc corps en des clôtures qui parlent de ce qu’elles protègent à travers ce dont elles sont faites et à la manière dont elles sont longées par les hommes en uniforme aux insignes de sociétés de gardiennage. La limite déborde. Elle nous regarde, coupables que nous sommes d’observer ce qu’elle défend. Il semble qu’être à côté de la limite, c’est déjà l’outrepasser. Enfin le risque s’incarne à travers son document légal qui existe sur le territoire par de simples panneaux. Anecdotiques peut-être, dans des temps où nous sommes constamment notifiés, mais symptomatiques du rapport entre le territoire et l’activité qui génère le risque.

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Révéler

Au-delà des traces que laisse le risque, il me semble qu’il met le territoire en état de révéler ce qui, sans le climat instauré, ne serait pas évident. D’abord, envisager la catastrophe, c’est prendre mesure, considérer l’échelle à laquelle penser l’objet productif. En effet, se questionner sur l’impact d’une explosion, d’un effet toxique, c’est d’ores et déjà s’affranchir des habituelles limites administratives de parcelles, de communes, de régions, de pays parfois. Pour les risques de grande ampleur, c’est particulièrement visible : l’exemple des catastrophes nucléaires de Tchernobyl et Fukushima montrent dans ces deux cas la manière dont ils impactent bien d’autres territoires que les leurs. Se pose alors la question de la décision : ne devrions-nous pas avoir notre mot à dire dès lors que nous sommes potentiellement impactés ? Chaque centrale nucléaire serait donc toujours en droit de faire l’objet de choix internationaux ? L’installation dans la ville de l’activité à risque pose la question donc, à plus petite échelle dans notre cas, de ce qui légitime celle-ci, et de l’ampleur du territoire « décidant ». A l’échelle de nos dépôts et raffinerie d’hydrocarbure, cette légitimité vient de l’autorisation étatique, et c’est donc localement une limitation du pouvoir d’aménagement décentralisé. Considérer la zone impactée par le risque revient donc à donner mesure à ce qui légitime l’aménagement urbain autour de ces sites. Dans le même temps, cela souligne la dimension du territoire servi, et l’outil qui génère un risque le prend pour l’ensemble d’un appareil productif qui compte sur lui : le risque vient ici rendre compte de la taille du territoire à laquelle le site est utile. Par ailleurs, marcher au sein de ces zones à risques soulève des opportunités urbaines. A notre regard s’impose des espaces, des situations de ville et de sol qui sont bien souvent au-delà d’une dialectique rural/urbain. C’est le cas à Gargenville et Grandpuits : c’est face au champ que l’on nous indique la zone à risque dans un cas, et c’est entre la ville et l’infrastructure à risque que semble être cultivée la betterave dans l’autre. Le risque m’aura donc poussé à regarder fortement ce sol qu’il hante. C’est donc le mode d’accaparement des sols qui est discuté par la suite. Je tente de saisir la manière de reconsidérer celui-ci dans une dynamique projective.

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Finir de dégriser : le risque comme occasion. En compensation de la privatisation implicite opérée, je propose un dégrisement des PPRT dont je fais par ailleurs l’analyse.. Il s’agit de rendre de la surface d’usage au collectif en prenant sur les parcelles générant un risque là où elles sont le moins risquées et d’étendre la responsabilité des exploitantns à l’ensemble de la zone impactée. La propriété est discutée et l’alternative d’une propriété commune est présentée. L’institut du dégrisement, un établissement aménageur, non spatial mais thématique et au fonctionnement par assemblées, est présenté pour porter cette démarche.

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Atlas dégrisé des PPRT disponible en scannant ce QR-code ou à l’adresse https://issuu.com/pprt_malaquais/docs/atlas_publi_internet

Liberté . Égalité . Fraternité

Issou

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

PREFECTURE DES YVELINES DIRECTION REGIONALE ET INTERDEPARTEMENTALE DE DE L'ENVIRONNEMENT ET DE L'ENERGIE DIRECTION DEPARTEMENTALE DES TERRITOIRES DES YVELINES

Communes de Gargenville, Issou Mézières-sur-Seine, et Porcheville

PLAN DE PREVENTION DES RISQUES TECHNOLOGIQUES (PPRT)

b3u+L

AUTOUR DE LA SOCIETE TOTAL RAFFINAGE MARKETING

PLAN DE ZONAGE REGLEMENTAIRE

b3+L

b3+L Approuvé par arrêté préfectoral du 26 décembre 2012

b1+L b2+L B1+L

B3+L

LÉGENDE

B1+L

b1+L b1+L

b2

b2+L

G

b3+L b3u+L

Gargenville

b2u+L De

B1+L

Zonage réglementaire

R+L

Zone d'interdiction r+L

B+L

Zones d'autorisation limitée B1+L, B2+L, B3+L

b1+L

Zone d'autorisation sous condition b1+L

b2+L

Zone d'autorisation sous condition b2+L

b2u+L

Zone d'autorisation sous condition b2u+L

b2

Zone d'autorisation sous condition b2

b3+L

Zone d'autorisation sous condition b3+L

b3u+L

Zone d'autorisation sous condition b3u+L

G

B2+L

Zone d'interdiction stricte R+L

r+L

Zone grisée

Périmètre d'exposition Périmètre d'exposition aux risques

b1+L

Porcheville

b2

Secteur de délaissement possible

b2u+L De

Secteur où le délaissement sera possible

Eléments de repérage

0

250

Mètres

500

Mézières-sur-Seine

Limites communales Route départementale Ligne SNCF

Source des données : DRIEE - DDT78 Fond de plan numérique : ©IGN-BD Parcellaire 2009

échelle au format A1: 1/5000 cartographie : DDT78/STAN

Zonage réglementaire du PPRT du site TOTAL de Gargenville et son plan dégrisé. On note la manière dont des espaces sous régime d’autorisations apparaissent au sein de la parcelle et sont en capacité de compenser les zones d’interdiction extérieures à celle-ci

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Dégrisement Je me propose de regarder à nouveau l’aménagement de ces zones en dégrisant la parcelle qui génère le risque, et donner à voir ce qui est en jeu au sein même des sites concernés par un PPRT. Le dégrisement proposé consiste à extrapoler à l’intérieur des limites de la parcelle les zones légales établies hors de celles-ci. Je me propose de tracer ces zones en superposant les cartes d’aléas fournies par ailleurs. Pour mesurer l’ampleur d’une telle démarche, j’ai donc réalisé ce que l’on pourrait nommer un « atlas dégrisé des PPRT en Île-de-France »1. J’ai estimé par mesure sur plan le potentiel de dégrisement de chacun des 27 sites franciliens dont le PPRT était validé à l’automne 2016, que j’ai mis en rapport à l’échelle et aux zones d’impact de ces derniers. J’ai voulu compléter ces données en allant voir ce que montrait, à vue d’homme ces lieux. J’ai donc catégorisé nos objets et les ai considérés comme appartenant à une espèce « topophage », dont les individus seraient caractérisés par : -

Leur taille : les individus dont la surface de la parcelle est supérieure à la médiane des surfaces sont grands, les autres petits ;

-

Leur gourmandise, mesurée en rapportant la surface impactée par le risque à la surface de la parcelle ;

-

Leur générosité, obtenue en rapportant ce que les sites sont capables de rendre par dégrisement.

Ainsi, croisant ces traits de caractère, j’obtins 8 catégories allant des grands, gourmands et généreux aux petits, frugaux et avares. Je me suis rendu auprès d’un représentant de chacune d’elles et ai rendu compte de ces rencontres : voilà de quoi se compose mon atlas2. Que nous apprend alors cet ouvrage, excroissance nécessaire du travail que je mène ? Notons bien ici que l’idée qui sous-tend la démarche est avant tout celle d’un mécanisme de compensation : le site bénéficie du risque qu’il génère, puisqu’il en tire profit. L’espace public alentours n’en bénéficie lui qu’indirectement, par le mode de vie permis par l’activité ou encore les emplois qui y sont liés, mais en pâtit directement en voyant son usage conditionné et l’éventualité d’une catastrophe lui peser. Ainsi, on peut imaginer que les zones d’interdiction hors de la parcelle pourrait être compensées par la mise à disposition de sol moins soumis au risque au sein même de celle-ci. Le dégrisement, s’il peut paraître un dispositif léger, représente tout de même 79 hectares sur la région. Si le nombre est faible par rapport aux surfaces impactées, cela représente un territoire plus grand que le parc de la Villette. J’ai pu constater par ailleurs la manière dont ces sites encouragent au projet en des lieux et des modalités habituellement peu centraux.Je crois donc que l’ampleur de cette démarche et la spécificité des sites qu’elle concerne justifie pleinement que l’on repense la manière d’aborder ces territoires techniques, notamment à l’aune d’un droit reconsidéré de la propriété. 1 L’atlas est disponible en scannant le QR-code en haut de la page de gauche ou à ce lien : https://issuu.com/pprt_malaquais/docs/atlas_publi_internet 2 Je mesure combien le terme atlas peut sembler ici détourné. Sa démarche par catégories représentées n’inspire pas l’exhaustivité parfois attendue d’un ouvrage ainsi dénommé. Je m’appuie sur une définition plus simple de l’atlas comme recueil de cartes : ici ce sont celles des PPRT dégrisés.

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Une propriété rediscutée Pollueur-Payeur Actuellement, les exploitants bénéficient d’une pleine propriété de leur terrain. L’usage de celui-ci est donc conditionné par le principe pollueur-payeur1 qui engage le pollueur à supporter les frais de dépollution. Celui-ci a normalement un caractère incitatif : la précaution devient l’intérêt financier de l’exploitant. Quelles sont les modalités de l’application de ce principe ? Pour illustrer la manière dont le principe peut être biaisé, je m’appuie sur l’exemple récent de la reconversion de la raffinerie de Petit-Couronne. Cette usine, exploitée depuis 1929 par Shell, rachetée en 2008 par Petroplus commence sa transformation en 2014. Pour sa dépollution, une première question se pose : qui est ici le pollueur ? Petroplus et ses 6 ans d’exploitation ou Shell et ses 79 ans ? La question est compliquée car il faut également considérer que des conditions ont pu être fixées au moment de la vente pour transférer les charges de l’un à l’autre. La société qui a acheté le site pour le transformer (Valgo) a projeté un maintien partiel d’une activité de stockage de l’hydrocarbure par Bolloré Energie et l’implantation d’un « Pôle d’innovation ». Ce dernier est en fait un programme de location d’espaces pour des entreprises liées à la dépollution. Quant à la formation que pourrait proposer un tel pôle, elle consiste en un partenariat avec l’INSA Rouen qui concernerait une quinzaine d’étudiants2. Côté emplois, 449 ont été supprimés, une centaine est aujourd’hui créée3. On remarque que la reconversion du site profite principalement ici aux acteurs privés qui gravitent autour des activités de l’hydrocarbures et que les sols pollués deviennent ici ressources pour quelques uns. On est face à une équation où finalement l’hydrocarbure est maintenu sur site et où le territoire est globalement perdant. Comment faire profiter au collectif et au sol de ces reconversions ? Epineuse question que l’on va tenter d’aborder. La récupération directe du terrain par le public (Etat, collectivités…) pourrait être envisagée, mais l’on risquerait d’assumer ensuite pour le pollueur le traitement de ses déchets4. Sur la base d’un droit peu ou pas changé, on pourrait donc envisager d’autres modalités de récupération du terrain. Par exemple, le pollueur serait un payeur « à la tâche ». A la manière de grands chantiers publics où 1 Définition dans le Code de l’environnement, Art. L110-1 : « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur » 2 Cf. ces sites locaux d’informations : http://www.ville-petit-couronne.fr/Services-en-ligne/Actualites/Un-Pole-d-innovation http://nor mandinamik.cci.fr/205972-pole-dinnovation-des-couronnes-valgo-deploie-son-projet-dereindustrialisation-du-site 3 Cf. http://www.normandie-actu.fr/ex-raffinerie-petroplus-pres-de-rouen-50-millions-d-euros-investis-et100-emplois-crees_215454/ 4 Article qui alerte sur ce sujet : Billet Philippe. La responsabilité des propriétaires de sites contaminés ou le triomphe des apparences / The responsibility of the owner of contamined sites or the triumph of appearances. In: Revue de géographie de Lyon, vol. 74, n°3, 1999. Industrie et environnement. pp. 225-231

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l’Etat rémunère l’entrepreneur par factures successives, la collectivité facturerait au fur et à mesure de la dépollution ce qui lui en a coûté, en travaux direct ou en sous-traitance. Dans ce cas de figure, le collectif serait pilote du devenir de ces sites, sans assumer la charge de la mutation qui incombe au pollueur5. La propriété comme faisceau de droits Le droit français se sert du triptyque romain pour décomposer le droit de propriété : usus, fructus, abusus. Ainsi, dans des statuts tels que ceux d’usufruitier, de nu-propriétaire et des transactions comme celle de l’achat en viager, la notion est affinée, elle n’est plus la simple pleine propriété. Je pense qu’il serait judicieux dans notre cas de considérer un droit d’usage distingué d’un droit de clôture. L’espace public pourrait user de sols dégrisés dans son intérêt sans compensation, estimant qu’il en paye déjà le prix par le risque encouru. Ce droit d’usage donnerait la possibilité de faire reculer la limite, concrètement de la pratiquer.

Usufruitier

Propriétaire

Nu-Propriétaire

Usus Fructus Abusus

Statuts et droits de la propriété On constate déjà ici une nécessaire décomposition de la propriété pour en affiner l’usage dans les rapports de vente et d’occupation.

5 On pourrait, pour légitimer ce geste, invoquer l’article 9 du préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par celle de 1958 qui indique que ”Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.” Fournir de l’hydrocarbure revêt-il le caractère d’un service public national ? Au moins partiellement je crois, et l’on pourrait donc percevoir notre démarche comme une rémunération par l’exploitant du bénéfice qu’il a pu faire grâce à une privatisation de son activité.

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Propriété commune Elinor Ostrom ébauche dans les années 70 une théorie de la propriété commune où elle définit et affine la notion de propriété autour de ressources collectives (Common-Pool Resources). Elle définit deux niveaux de droits constituant le concept de propriété. D’abord un niveau de droits opérationnels incluant un droit d’accès au système de ressources et un droit de prélèvement des unités de la ressource. Ensuite un niveau de choix collectif incluant : - un droit de gestion, qui permet de décider des règles du droit de prélèvement - un droit d’exclure, qui permet d’encadrer le droit d’accès - enfin un droit d’aliéner permettant de céder ou vendre, entièrement ou partiellement, les droits de niveau de choix collectif Dans notre cas, si l’on considère le sol comme ressource commune, l’occasion donnée d’affiner les usages que l’on pourrait avoir de nos parcelles. Le concept permettrait de donner une structure au dégrisement précédemment évoqué en considérant que les zones dégrisées et correspondant à un risque limité auraient une communauté ayant accès élargie. La question posée alors est celle de la communauté considérée. Qui doit avoir accès à ces zones ? Qui doit pouvoir en faire usage ? Une réponse à ces questions ne peut trouver de légitimité que dans un exercice démocratique de négociations/votes. J’envisage donc dans la suite ce que serait un institut du dégrisement capable de porter l’aménagement de ces zones à risques.

Owner

Proprietor

Claimant

Authorized User

Accès Prélèvement Gestion Exclusion Aliénation

Statuts issus de la décomposition par Ostrom de la propriété La propriété comme faisceau de droits permet de redonner à voir le sol comme ressource commune et de différencier les différents droits que possèderaient les entités concernées

N

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Institution du dégrisement L’Assemblée pour les TERritoires à RISQUES technologiques serait donc un établissement d’aménagement qui aurait pour périmètre d’intervention non une entité géographique, mais une entité thématique, à savoir tous les lieux concernés par un PPRT. Pour les raisons de légitimité précédemment évoquées, je pense son fonctionnement par assemblées qui seules peuvent travailler, publier, émettre des avis mais ne pourrait prendre de décisions qu’en assemblées composites afin d’assurer l’efficience et la légitimité des choix. Sur la base de ces assemblées composites, il serait possible d’envisager une attribution des droits de la propriété commune décrite. Cette assemblée aurait donc la possibilité d’instaurer des usages au sein des parcelles générant les risques comme en dehors, dans la zone concerné par ceux-ci avec pour mission de veiller à la réhabilitation prioritaire des sols pollués et de garantir l’intérêt public dans les villes hôtes des sites à risques.

Managers

Salariés

Managers de l’entreprise

Représentants des salariés de l’entreprise

VEILLE À L’ÉXECUTION DES DÉCISIONS

Managers locaux de l’entreprise

Cellule ministérielle

Représentants locaux des salariés de l’entreprise

Assemblée d’entreprise

Préfets concernés

Exécutif

Députés quelconques

Législatif

Conseillers territoriaux

Territorial

Assemblée des pouvoirs publics

ATERISQUES Assemblée pour l’aménagement des territoires à risques

CRÉATION D’UN DOCUMENT D’INTÉRÊTS COMMUNS

INFORME

Assemblée citoyenne

FINANCE, MISSIONNE ET QUESTIONNE

Assemblée experte INFORME

Locaux

Habitants des villes concernés

QUESTIONNE

CNRS - INRA Instituts publics ...

VALIDE

Non-locaux

Citoyens quelconques

CHOISIT LES INDÉPENDANTS

Juges

Public

INERIS - Laboratoires indépendants

Indépendants

Architectes - Urbanistes - Ingénieurs

Privé

Stratégie urbaine commune sur les territoires concernés avec droits pour éxecution

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Le Parlement

Assemblée d’Intérêt Général

Assemblée Représentative

Assemblée Technique

P

AIG

AR

AT

Assemblée d’entreprise + Assemblée citoyenne + Assemblée des pouvoirs publics + Assemblée experte

Assemblée citoyenne + Assemblée des pouvoirs publics + Assemblée experte

Assemblée citoyenne + Assemblée des pouvoirs publics

Assemblée d’entreprise + Assemblée experte

Les assemblées composites

RESSOURCE

PÉTROLE

SOL

Accès

Entreprise Autres avec contrepartie financière

Fonction des décisions de l’excluant

Prélèvement

Entreprise Annuellement autorisée par AIG

Fonction des décisions du gestionnaire

Gestion

AT avec un droit de véto de l’AR

Cf. Cartes

Exclusion

AR avec conseil de l’AT

AR avec conseil de l’AT

Aliénation

Parlement

Parlement

DROITS

Répartition des faisceaux de droits pour une propriété commune

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Rester sobre: éviter la friche. La méthode employée pour composer une stratégie de reconfiguration des sites permettant un accaparement par le collectif de sols malmenés est ici exposée. Ma perception des lieux dessine un modèle de ce que sont les territoires, et je décris les hypothèses radicales sur leurs devenirs. La démarche de confrontation de ces hypothèses au réel est décrite en 3 temps : contaminer, grignoter, envahir.

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Les écueils du modèle - Plan de Chandigarh superposé à l’Olympia de Manet Le modèle, dans une sorte de perfection, absorbe notre regard, nous faisant oublier ce qui pourtant est là. Projeter un modèle sur un autre... La grille de l’un contraste avec les courbes de l’autre, et les plis des draps sur lesquelles elle repose.

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Modèle Confusion « Si un matin votre four à micro-ondes ne fonctionne pas, vous n’allez pas naturellement penser que les lois de Maxwell qui régissent l’électromagnétisme ont changé pendant la nuit, vous considérerez que celui est cassé. » Etienne Klein Les modèles sont aujourd’hui partout. Dans un monde qui veut avoir le pouvoir d’analyser toute chose, il est naturel d’essayer d’en faire une abstraction pour la manipuler et espérer la comprendre, c’est ce que nous faisons à chaque instant en présupposant tout ce que l’on sait pour agir. Ainsi, nous acceptons intellectuellement sans souci toutes les idéalités que l’on forme à partir du réel : untel dessine en donnant forme géométrique à ce qu’il voit, trace une ligne à partir de cette représentation visuelle, tel autre appuie sur le frein de la voiture au bon moment pour s’arrêter à un feu rouge, car il connaît le comportement de son véhicule en fonction de sa vitesse …etc. Par ailleurs, nous accordons chaque jour notre confiance aux modèles scientifiques qui permettent le bon fonctionnement de nos objets techniques du quotidien, micro-ondes, portables, GPS… Malgré ce glissement de sens qu’a eu le mot, nous continuons, en tant que société, à le penser comme modèle à imiter. S’opère alors un renversement qui fait de l’outil de compréhension construit à partir du réel un idéal vers lequel le réel doit tendre. Prenant des objets maintes fois modélisés comme la ville, cette polysémie devient problématique. Le système de pensée que sous-tend le modèle vient se plaquer au territoire faisant fi de ce qui est. « Modèle n.m. A. - Chose ou personne qui, grâce à ses caractéristiques, à ses qualités, peut servir de référence à l’imitation ou à la reproduction. […]C. - 1. épistémol., sc., Système physique, mathématique ou logique représentant les structures essentielles d’une réalité et capable à son niveau d’en expliquer ou d’en reproduire dynamiquement le fonctionnement (Birou 1966).» Littré Considération Assumer la volonté d’analyser le réel par l’abstraction, avoir conscience de ce mouvement a un double avantage. D’abord celui de l’apaisement de la perception. Voir en permanence le réel comme en écart d’avec ce qu’il devrait être, c’est en effet source évidente de frustration pour celui qui pense. Il y a ressentiment vis-à-vis du réel qui semble soudain se jouer de nous. Si ce ressentiment est évité par une vraie considération du modèle, il en est de même de la surestimation. Une perception qui confirmerait de façon permanente l’idée que l’on se fait du réel encourage à penser une identité directe entre celui-ci et ce que nous en pensons. Il s’agit donc d’avoir en tête la différence de nature entre ce qui est et son modèle, intrinsèquement symbolique. Considérer le modèle, ne pas croire à une perception « vraie », c’est également ne pas céder à l’abandon de la compréhension des phénomènes urbains. La ville, son architecture, les usages qui s’y déroulent sont les moteurs d’une certaine faillite de la compréhension que nous cachons sous les mots idoines : complexité, chaos … Être conscient du caractère entièrement opposable, discutable, non véridique, mais en même temps source de connaissance, des analogies que nous mettons en place pour comprendre les phénomènes, c’est ne pas céder à cette facilité du mot-valise, c’est ne pas céder à l’abandon de notre désir de connaître.

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Hypothético-déduction « Le concept galiléen du mouvement (de même que celui de l’espace) nous paraît tellement naturel que nous croyons même que la loi d’inertie dérive de l’expérience et de l’observation, bien que, de toute évidence, personne n’a jamais pu observer un mouvement d’inertie, pour cette simple raison qu’un tel mouvement est entièrement et absolument impossible. Nous sommes également tellement habitués à l’utilisation des mathématiques pour l’étude de la nature que nous ne nous rendons plus compte de l’audace de l’assertion de Galilée que « le livre de la nature est écrit en caractères géométriques » pas plus que nous ne sommes conscients du caractère paradoxal de sa décision de traiter la mécanique comme une branche des mathématiques c’est-à-dire de substituer au monde réel de l’expérience quotidienne un monde géométrique hypostasié et d’expliquer le réel par l’impossible. » Alexandre Koyré, Études d’histoire de la pensée scientifique, 1996, pp.176-180, P.U.F. Une fois le modèle considéré, autorisons-nous à penser le modèle jusqu’à l’impossible. Il s’agit de s’autoriser les rapprochements hasardeux, les intuitions, les convictions. Pensons les modèles les plus puissants, les plus fous, mais frottons-les au réel pour les bouger, en faire mouvoir constamment les lignes, les principes, pour y accepter les évolutions comme les révolutions. Le réel a priori ne nous dit rien, l’homme naît par hasard dans un monde qui s’en fout, il faut donc le travailler, le torturer pour le rendre audible. Le réel n’induit pas, c’est son approche qui permet de déduire. Il « suffit » donc de constamment faire le travail de juste considération de cette abstraction comme outil de compréhension qui augmente notre puissance d’agir dans un réel hors de nous qu’est le modèle.

Diagrammes des hypothèses pour Gargenville - Gennevilliers - Grandpuits

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Devenirs Il s’agit ici de structurer la pensée du devenir de ces sites. Pour ce faire, je pose en termes simples les options d’évolution de ces derniers : la fermeture, une relance de l’activité liée aux hydrocarbures et une relance alternative, liée plutôt aux énergies nouvelles. Illustrant les scénarios de chacune de ces options, je me fournis une boîte à outils pour penser le futur des territoires qui m’occupent. Je dresse alors des hypothèses radicales à la manière dont je pousserais, jusqu’à l’impossible, les modèles que je tire de ma compréhension des lieux. Voici donc les hypothèses. La Villette à Gargenville A Gargenville, dans un contexte de cohabitation d’espaces agricoles et de zones industrielles d’utilité métropolitaine en pleine mutation (le port de Limay bientôt saturé, la centrale de Porcheville fermée en 2018, notre dépôt) autour desquels s’opère une densification (ZAC de Rangiport) et que traverse un réseau de sentes issues du plateau du Vexin, le site doit permettre d’intégrer les programmes de la ville à venir au sein d’un parc urbain, au sens où c’est le parcours qui structure l’espace, en accueillant les vides - s’il est encore légitime de les nommer ainsi - nécessaires au maintien de l’activité agricole et à la réhabilitation d’un sol malmené. Ce dépôt doit devenir le parc de La Villette, à Gargenville. Baignade à Asnières Gennevilliers A Gennevilliers, au bout du port logistique majeur d’Île-de-France, saturé en 2020 et peu accessible au piétons-travailleurs, le lieu peut devenir l’espace d’un autre temps, d’usages sans lien à la production, une manière de reconnaître le besoin qu’a l’ensemble de la zone d’activité d’un souffle, d’un vide pour continuer son rôle d’engrenage essentiel à la logistique francilienne. Je propose donc de couper notre presqu’île du reste : faisons en une île de la Seine.

Confrontées au réel, les hypothèses s’adaptent.

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Du compost à Grandpuits A grandpuits, entre espaces agricoles et villages équipés, notre infrastructure géante malmène ses sols, au même titre que les champs de culture intensive qui l’entourent, avec certes plus de brutalité. A la dimension de la quantité de déchets putrescibles annuellement produite en Île-de-France, notre site est un levier de mutation de l’est Seine-et-Marnais et de notre rapport aux déchets, envisagés ici comme ressource à la réhabilitation des sols et à la production énergétique. Amener de l’organique dans un lieu de façons diverses artificialisé, tel est la visée de mon hypothèse : faisons de Grandpuits la boîte à compost régionale. Ces hypothèses posées, l’enjeu est de venir les frotter au réel dans le projet et de dessiner la stratégie qui les rend plausibles. Ceci s’envisage en trois temps. Le premier est celui de la contamination Il consiste à prendre les mesures qui permettent d’adhérer au site à travers des usages conviviaux1, d’occuper déjà sa limite par des actions urbaines choisies. Un second consistera à grignoter le site. En supposant en place les outils de dégrisement précédemment décrits et la contamination effectuée, il s’agit là de se réaccaparer partiellement le sol de ces parcelles dont l’usage spécifiquement lié aux hydrocarbures aura disparu ou sera en décroissance notoire. Enfin, il s’agira d’envahir. Envahir le site d’usages à portée collective et qui, faisant aboutir les hypothèses en composant avec le réel, réhabilitera un sol désormais communément considéré.

1 Au sens d’Ivan Illich, dans La convivialité : “J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.”

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Photomontage à partir d’un plan du dépôt de Gargenville et d’un dessin de la promenade cinématique du parc de la Villette par Bernard Tschumi La trame rigide du site industriel est déjà là, rythmant le sol et comme desservant par avance les folies du parc. Le parcours serpente autour des cuves, les traversant parfois. Un collage trop brute certes, mais qui semble indiquer que la typologie d’un parc, sa structure même, est prompte à reconfigurer ce territoire servant en un paysage qui s’arpente et s’habite.

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Baignade à Asnières, par Georges Seurat en 1884 Le tableau donne à voir les fonctions partagées du fleuves. A la fin du XIXe, la banlieue accueillait tout à la fois les plages de Paris et les industries utiles à la métropole. Où se trouve-t-elle aujourd’hui, cette banlieue qui n’a pas peur de juxtaposer les usages ? Les berges sont-elles encore de tels espaces publics, appropriables ? Et si cette oeuvre n’inspirait pas une certaine nostalgie, mais bien une perspective ? Décidons que cette scène a lieu à Gennevilliers, là, à côté des containers en circulation...

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Photomontage à partir d’une photo de l’auteur et d’une unité de méthanisation L’infrastructure est là, elle est hyperconnecté aux réseaux : pourquoir ne pas y penser un autre mode de production énergétique ? En y groupant la biomasse (déchets organiques) produite par les franciliens, on pourrait en faire un lieu de valorisation des compost individuels, penser une nouvelle forme de ramassage des ordures du vivant à partir d’un site aux dimensions et équipements qui appellent un tel usage. Dans le même temps, une synergie avec les champs alentours peut être trouvée.

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Image issue de la chambre à bulle du CERN En 1960, Donald Glazer obtient le prix Nobel pour la découverte, l’invention plutôt (?), de la chambre à bulles. Le principe est le suivant : une chambre contient un liquide transparent porté à température d’ébullition, mais sous une pression suffisante pour éviter celle-ci ; un léger relâchement de la pression met alors le liquide dans un état métastable au sein duquel la moindre perturbation provoquera l’apparition locale de bulles. Un champ magnétique baigne la chambre, on y envoie un faisceau de particules, on y génère éventuellement une collision et on y détecte la trace laissée par les particules sous forme de courbes de bulles. La détection mise en jeu est éloquente : on voit le chemin qu’ont pris les particules, à la manière dont on pourrait suivre une boule de pétanque roulant dans la neige. Tout plaide ici pour une interprétation corpusculaire de la particule. L’éloquence de l’image, l’image qu’elle fait naître en nous est tout à la fois puissante et trompeuse. En effet les particules ne sont ni corpuscules, ni ondes, et c’est d’ailleurs en considérant les comportements ondulatoires de ces dernières que les trajectoires observées peuvent être expliquées et prédites. Cette image nous montre le contraire de ce qu’elle prouve. Ce détour par la chambre à bulle permet de nous rappeler qu’il est souhaitable de se garder d’une interprétation trop rapide de l’image et de la donnée brute. Le filtre de l’interprétation est souvent nécessaire, toujours d’ailleurs, pour expliquer le réel et identifier les causes là où elles se situent réellement. Un document architectural doit parler de lui-même m’a-t-on souvent répété. Oui, à la manière d’une photo prise en chambre à bulle, une carte, une coupe, un plan doivent souligner une évidence, doit rendre éminemment clair le principe que le document sous-tend. Mais je crois que le document ne doit pas satisfaire notre raison sans un récit interprétatif qui l’accompagne. C’est, je crois, le couplage nécessaire d’une évidence et de son questionnement qui rend riche la représentation : l’image doit donc constamment nous dire une chose du réel, mais elle doit être enserré, ou bien contenir, une narration qui nous évite l’écueil de l’évidence.

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Conclusion

Le risque aura donc, à la manière d’une chambre à bulle, mis les territoires étudiés dans un état métastable ou une marche, un regard permettent de saisir des voies de projet. Regarder à nouveaux ces lieux comme espaces de vies, ce qu’ils sont de fait, sans hystérie et en tentant d’en saisir les caractéristiques autres a été le premier projet de ce travail. Dressant un atlas des PPRT en Îlede-France, j’ai pu mesurer combien les questions que posent ces sites, souvent en marge de la métropole, dérangent les repères habituellement clairs : celle du rapport entre espaces agricoles (dans leur diversité) et espaces dits urbains, de notre rapport à la logistique et aux infrastructures, et celle enfin de la propriété. Cette dernière m’a encouragé à remettre en discussion les droits que confère sur un sol le statut de propriétaire et de saisisr comment, considérant la propriété comme faisceau de droits, il était possible de fonder un espace de projet sur l’apparition d’un aménageur thématique des zones à risques. Ces outils m’ont enfin permis d’ébaucher une méthode, celle qui m’a semblée nécessaire au ré-accaparement par le collectif de sols longtemps malmenés, pour en faire les leviers d’une reconfiguration territoriale.

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Bibliographie Propriété & Activité DENEFLE, Sylvette (dir.). Repenser la propriété, des alternatives pour habiter, Presses Universitaires de Rennes (Collection Essais), 2016. ORSI, Fabienne. Elinor Ostrom et les faisceaux de droits : l’ouverture d’un nouvel espace pour penser la propriété commune. Revue de la régulation, Automne 2013, n°14. Article qui explicite la pensée d’Elinor Ostrom, fondatrice de l’idée de propriété commune autour de ressources partagées par une communauté. Sa définition de la propriété en faisceau de droit permet d’affiner la notion. PROUDHON, Pierre-Joseph. Qu’est-ce que la propriété?. Librairie Générale Française (Ldp Classiques Philosophie), éd. 2009, Première édition en 1840. ILLICH, Ivan. La convivialité. Editions du Seuil, 1973. « J’avance ici le concept d’équilibre multidimensionnel de la vie humaine. Dans l’espace tracé par ce concept, nous pourrons analyser la relation de l’homme à son outil. Appliquant « l’analyse dimensionnelle », cette relation acquerra une signification absolue « naturelle ». En chacune de ses dimensions, cet équilibre de la vie humaine correspond à une certaine échelle naturelle. Lorsqu’une activité outillée dépasse un seuil défini par l’échelle ad hoc, elle se retourne d’abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier. Il nous faut déterminer avec précision ces échelles et les seuils qui permettent de circonscrire le champ de la survie humaine. Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. La nature est dénaturée. L’homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle. La collectivité est régie par le jeu combiné d’une polarisation exacerbée et d’une spécialisation à outrance. Le souci de toujours renouveler modèles et marchandises — usure rongeuse du tissu social — produit une accélération du changement qui ruine le recours au précédent comme guide de l’action. Et cela n’est plus supportable. Peu importe qu’il s’agisse d’un monopole privé ou public : la dégradation de la nature, la destruction des liens sociaux, la désintégration de l’homme ne pourront jamais servir le peuple. » Histoire KEROUANTON, Jean-Louis, TRIVIERE, François-Xavier. Donges, patrimoine d’eau et de feu. Editeurs du patrimoine, 2001. Cet ouvrage nous décrit l’implantation de la raffinerie de Donges en Loire-Atlantique, d’un point de vue historique et paysager. Ressort principalement de cette lecture l’importance des caractéristiques paysagères dans le choix d’un lieu où s’établit l’industrie : la géographie participe à la fonction. (Cela rappelle le caractère droit du rivage de la Seine à Porcheville qui a impliqué l’installation en ce lieu de la centrale à fioul.)

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GIRAUD, Thierry, MONIN, Josiane. Feyzin : Mémoires d’une catastrophe. Editeurs du patrimoine, 2006 Cet ouvrage recense certains témoignages de l’explosion qui s’est produit en 1966 à la raffinerie de Feyzin, au sud de Lyon. On y comprend le caractère « géopolitique » de l’implantation de la raffinerie, avec la décision prise par un « comité régional pour l’aménagement et l’expansion économique de la région Rhône-Alpes » qui regroupe un syndicat des industries chimiques, un géographe universitaire de Lyon, un représentant du département du Rhône, un autre du département de l’Isère. Le choix du site s’explique par : sa proximité relative à l’agglomération lyonnaise, la facilité à le remblayer, la présence d’une voie d’eau (canal de fuite du barrage Pierre-Bénite), pas de nappe aquifère en soussol, la proximité de l’autoroute A7 et des voies de chemin de fer moderne. Le site dispose d’une grande quantité d’eau industrielle et d’une desserte par le gaz de Lacq. Evoque l’existence d’un pétrole « d’état » avec l’Entreprise de Recherche et d’Activité Pétrolière (ERAP) qui fusionnera avec la SNPA et deviendra Elf-Aquitaine en 1976, puis sera privatisé en 1994. RAMBAUD, Isabelle (dir.). La Seine-et-Marne industrielle : innovations, talents, archives inédites. Editions Lieux dits, 2010. La Seine-et-Marne semble être une terre exploitée pour ses ressources « depuis toujours », on trouve des traces d’extraction de silex à Jablines. L’ouvrage retrace en partie la chronologie des puits d’exploitation pétroliers, utile pour la carte chronologique des gisements pétroliers. On y apprend que 40% des sites Seveso seuils haut se trouvent en Seine-et-Marne. Sur Grandpuits, on apprend que l’installation de la raffinerie a augmenté fortement la population du village (216 hab. en 62, 320 hab. en 68, 500 hab. en 1970 ; 1023 hab. selon l’Insee actuellement) et que si des lotissements sont construits pour les ouvriers (240 travaillent à la raffinerie en 70), les cadres logent à Nangis. Construction de quartiers ouvriers à Nangis en 65-66. Mécénat de Total : restauration de la halle aux blés de Bray-sur-Seine et réhabilitation de l’usine Leroy à Saint-Fargeau-Ponthierry en centre culturel. GUILLERME, André, JIGAUDON, Gérard, LEFORT, Anne-Cécile. Dangereux, insalubres et incommodes : Paysages industriels en banlieue parisienne, XIXe-XXe siècles. Editions Champs Vallons (Collection Milieux), 2005. Livre retraçant avec précision la gestion politique des sites industriels dans Paris et sa première couronne de l’ordonnance de 1815 à l’après seconde guerre mondiale. Il y est démontré la manière dont le paysage industriel ne procède pas d’une nécessité pure, d’un allant-de-soi, mais bien de décisions politiques mêlant échelles et lieux des dynamiques de choix. On voit comment les maires peuvent peser (contestation, refus, insistance…) en restant souvent soumis aux visions nationales. L’occupation foncière est établie comme enjeu majeur puisqu’elle dépasse les limites du foncier par les désagréments générés. On mesure combien le risque est, pendant toute cette période, dilué (confondu?) au sein des désagréments et qu’il ne fait pas l’objet d’une pensée spécifique, malgré les catastrophes. Cela peut poser la question des conditions qu’a à réunir une catastrophe pour devenir la cause d’un changement acté et législatif. GILLIG, David. Les installations classées. Territorial éditions (Collection Dossier d’experts), 2012.

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Livre sur la réglementation des installations classées. Fait notamment l’historique des évolutions législatives de celles-ci. Très utile pour l’établissement de l’origine des PPRT. Risques BECK, Ulrich. La société du risque : Sur la voie d’une autre modernité. Flammarion (Champs Essais), 2008. [Exposition, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 29 nov. 2002-30 mars 2003]. Ce qui arrive. Réd. Paul Virilio. Paris : Fondation Cartier pour l’art contemporain ; Arles (Bouches-duRhône) : Actes Sud , 2002. Je note deux citations de cet ouvrage : 1. « Si selon Aristote « l’accident révèle la substance », l’invention de la « substance » est également celle de « l’accident ». Dès lors, le naufrage est l’invention « futuriste » du navire, et le crash est celle de l’appareil supersonique, tout comme Tchernobyl l’est de la centrale nucléaire. »-2. « Accident aérien ou sabotage? La question se posera sans cesse, à moins de considérer enfin, que le fait de vouloir faire voler des milliers de passagers au même instant dans un seul et même véhicule aérien est déjà un accident, ou plus exactement un sabotage de l’intelligence prospective. ». Celles-ci posent à leur tour deux questions : celle d’abord des limites et des seuils à notre action (à la manière dont Ivan Illich en parle dans La Convivialité). Il est en effet parfois raisonnable de se retenir de produire ce que l’on a, par ailleurs, inventé, et ce à partir d’ « un seuil défini par une échelle ad hoc ». Cela ouvre l’infini question de la légitimation de la limite que se donne l’homme en tant qu’espèce dans ses activités, ses productions/consommations. La seconde question posée est celle de l’opposition locale entre différents intérêts : un avion plus contenant réduit la quantité de carburant utilisé par personne mais augmente la conséquence de l’accident potentiel. CERTU. Risque industriel et territoires en France et en Europe : Etat des lieux et perspectives. Editions du CERTU (Collection Dossiers), 2004. KLINKE, Andreas, RENN, Ortwinn. Prometheus Unbound : Challenges of Risk Evaluation, Risk Classification and Risk Management. Working Report No. 153, Center of Technology Assessment. Stuttgart, Germany: Akademie für Technikfolgenabschätzung, 1999. Classification des risques selon la mythologie grecque. On y retrouve le besoin de personnifier le risque, que j’ai ressenti en faisant l’atlas des PPRT. Architecture & Urbanisme BARLES, Sabine, BREYSSE, Denys. GUILLERME, André, LEYVAL, Corinne (coord.). Le sol urbain. Economica Anthropos, 2010. Passage sur l’histoire industrielle des sols qui nous explique l’apparition massive au XIXe de l’asphalte et du gaz pour couvrir et éclairer les rues. Cela met en relief le « cycle » de l’hydrocarbure et de sa raison d’être peu conséquente au regard des temps qu’il engage : des substances organiques se déposent au sol, sont transformées par les jeux de pressions et températures terrestres en des temps géologiques et sont extraits avec forte dépense d’énergie pour revenir là où elles étaient sous leur forme non transformée : au sol.

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Les cahiers de la cambre Architecture n°1 : enclaves ou la ville privatisée. S.l.d. Patrick Burniat et Jean-Louis Genard. 2002. Parle des enclaves à la mode des Gated community ou de lieux qui regroupent des services habituellement dispersés en ville (et créant ainsi l’urbain). On peut voir dans nos objets que concernent les PPRT un biais à ce genre d’enclaves. Enclaves, elles le sont, mais en tant que lieu qu’un modèle économique, physique et politique a comme nécessairement généré. La chose a été faite pour répondre à un besoin, pas à caprice ou une psychose. Du moins pas individuelle ou communautaire (L’orientation de l’économie vers une hydrocarbon-based economy est-elle une folie collective ?). MANTZIARAS, Panos, VIGANÒ, Paola. Le sol des villes : Ressource et projet. MétisPresses (Collection vuesDensembleEssais). 2016. MANGIN, David. Infrastructures et forme de la ville contemporaine. Editions de la Villette, 2004. DUPUY, Gabriel. L’Urbanisme des réseaux : théories et méthodes. Armand Colin, 1992. Réoriente vers I.Cerda, O.Wagner et M-F.Rouge pour la pensée des réseaux. Voir Computer city, Archigram, automne 1964.

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Quelque chose arrive. L’économie des hydrocarbures mute et nous devons regarder (en tant que société politique) les sites qui constituent les émergences de son réseau. Légitimés par la législation en cours, les aménageurs semblent percevoir ces territoires comme servants, comme hôtes évidents et indiscutables des cuves d’acier, des cheminées fumantes, et en conséquence les administrent en tentant d’apprivoiser les risques au sein des Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT). Cette attitude a priori sensée relève en fait d’une ivresse : le risque focalise nos regards, nous consommons à l’excès les tentatives de le saisir, donnant l’occasion d’une privatisation implicite du sol public. Il s’agit donc ici de saisir ce que sont ces espaces servants, hors de la fonction qui leur a été attribuée, pour se transformer. La tendance du privé, dont s’accomode la loi, à accaparer les sols à des buts exclusivement productifs, fait courir le risque à ces sites de rester dans leur état malgré les mutations d’usage. Je souhaite penser le devenir de ces sites pour m’inscrire en faux contre cette tendance. Je propose dans ce travail de dégriser, de quitter l’ivresse du zonage préventif et de saisir le risque comme révélateur de ressources des lieux, mais aussi comme outil de rediscution du concept de propriété. En marge du Grand Paris, sur trois sites en réseau (Gargenville, Gennevilliers, Grandpuits), je tente d’établir, à partir de cette réflexion, une stratégie urbaine de réappropriation par le collectif d’un sol malmené.

Photomontage à partir du frontispice du Léviathan de Thomas Hobbes, réalisé par Abraham Bosse en 1651. Ce dessin parle des actions que nous réalisons sur le territoire en tant que corps politique. Aveuglé par une volonté de maîtriser le risque, le législateur oublie les ressources du territoire et le laisse se faire malmener par les acteurs privés.


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