Creative Process magazine #17

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P # 17 FÉV MARS 18


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Et voici notre nouvelle livraison de créativité et d’invention. Hiver interminable et ciel bas, certes, mais ca bouillonne de lumière, de chaleur et d’idées fraîches juste en dessous. C’est ce dont nous voulons témoigner ici. Petite touche colorée dans le tunnel de gris de ce début d’année, voici votre nouveau numéro de Creative Process Magazine. On vous emmène à la re-découverte du travail de Speedy Graphito. Le célèbre graffeur est, depuis les années 80, rentré au musée, et donne à voir une rétrospective de son travail à l’occasion d’une exposition de premier plan au Palais du Tau à Reims. Nous l’avons rencontré et interrogé sur son parcours et son travail. Dans le champ des arts visuels, on vous parle aussi de Leo Dorfner, un peintre qui s’approprie des images passées pour en faire le matériau de sa propre création. Il signe notre couverture. Nous avons également rencontré Tania Mouraud, figure française de l’art contemporain, qui nous raconte sa collaboration avec l’association « les amis du Frac Champagne Ardenne » qui a débouché sur l’édition d’un multiple présenté dans nos pages. Ne loupez pas notre sujet sur Jérôme Gromont, un entrepreneur hyper créatif parti de vraiment rien qui est aujourd’hui à la tête du premier groupe de centres de vente et services agrées Apple en France : les boutiques Inter-actif. Autre portrait de créatif : le designer (« culinaire » entre autres) Germain Bourré, dont vous pourrez découvrir le parcours et la collaboration étonnante qu’il développe en compagnie de ses étudiants de l’esad avec le champagne Taittinger. Nous ferons aussi un petit tour dans l’atelier de Sophie Jeandot, une créatrice de vêtements sensible et délicate, ainsi que dans le bureau d’Arnaud Bassery qui nous dit le comment du pourquoi du retour de Quartier Libre, qui ouvre ses (nouvelles) portes courant mars. Petite nouveauté pour finir : le magazine se déploie en région il   ÉDITEUR / DIR. DE PUBLICATION  BENOÎT PELLETIER    RÉALISATION / DESIGN / DIFFUSION  WWW.BELLERIPE.FR    DIRECTION ARTISTIQUE   BENOÎT PELLETIER  ASSISTÉ DE AMÉLIE LUCA

SI VOU S S OUHAITE Z DE VE NIR D I FFU SEU R, VOUS ABONNE R POUR R ECEVOI R L E M AGAZINE C HE Z VOU S, OU E N COMMANDE R UN EXEMP L AI RE , CONTAC TE Z N OUS IC I : H ELLO@P ROC E S S -MAG.COM P OU R D EVE NIR ANN ON C E UR, D I FFU SEU R OU PARTE N AIRE  : BP @P ROCES S -MAG.COM 0 6 80 6 5 89 72

LE MAGAZINE PROCESS ES T ÉDITÉ PAR BELLERIPE SARL - 5 AVENUE VALLIOUD 69110 SAINTE-F OY-LÈS-LYON . TOUS DROITS RÉSERVÉS. TOUTE REPRODUCTION , MÊME PARTIELLE ES T INTERDITE, SANS AUTORISATION . LE MAGAZINE PROCESS DÉCLINE TOUTE RESPONSABILITÉ POUR LES DOCUMENTS REMIS. LES TEXTES, ILLUS TRATIONS ET PHOTOGRAPHIES PUBLIÉS EN GAGENT L A SEULE RESPONSABILITÉ DE LEURS AUTEURS ET LEUR PRÉSEN CE DANS LE MAGAZINE IMPLIQUE LEUR LIBRE PUBLIC ATION . LE MAGAZINE PROCESS ES T DISPONIBLE GRATUITEMENT DANS 170 POINTS DE DÉPÔT À REIMS. RETROUVEZ TOUTE L A LIS TE SUR WWW.PROCESS-MAG.COM MAGAZINE À PARUTION BIMES TRIELLE. LIFE WAS OK © LÉO DORFNER

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est maintenant disponible à Charleville Mézières. Benoît Pelletier


08 / HOP 11 / GOÛT 1 2 / J O Ë L S I M O N  : A L L U M E U R D ’ É T O I L E S 1 4 / G E R M A I N B O U R R É  : L E D É F R I C H E U R D U C R U E T D U C U I T 1 8 / L E S M O T S P O U R F R I R E  : R E I M S S C È N E S D ’ E U R O P E 20 / UN OBJET (REMARQUABLE) 2 2 / J É R Ô M E G R O M O N T  : T O M B É D A N S L A P O M M E 2 4 / «  R I M I N I  » L E S W A M P A S 2 6 / L É O D O R F N E R  : I C Ô N E S , I D O L E S E T F É T I C H E S 3 4 / S O P H I E J E A N D O T  : L A F E M M E S ' E N T Ê T E 3 6 / T A N I A M O U R A U D  : A R T I S T E E T H I Q U E 38 / L’OMBRE DE VENCESLAO 4 0 / S P E E D Y G R A P H I T O  : A I N S I S O I T L A P I N T U R E 4 6 / D U P L AT E A U À L A R E C O N Q U Ê T E D E S P I S T E S D E D A N S E 48 / VISIONNAIRE SUBTIL  N A T H A N Z A H E F 50 / FIGURES

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@ P R O C E S S M AG A Z I N E P R O C E S S _ M AG A Z I N E   BENOÎT PELLETIER  ÉDITEUR  DIRECTEUR CRÉATIF  & PHOTOGRAPHE

ANNE-SOPHIE VELLY  DA DE MAISON VIDE ART CONTEMPORAIN, MUSIQUES   & CONFETTIS

HÉLÈNE VIRION  CHERCHEUR EN ART   & PHOTOGRAPHE

SYLVÈRE HIEULLE  OVNI (& ACCESSOIREMENT   PHOTOGRAPHE)

AGATHE CEBE  RÉDACTRICE   & JOURNALISTE FREELANCE

PEGGY LEOTY  COMMUNICATION / ÉVÉNEMENTIEL /  RELATIONS PRESSE

CYRILLE PLANSON  REDAC-CHEF LA SCÈNE,   LE PICCOLO, THÉÂTRE(S) MAG

JÉRÔME DESCAMPS  RÉALISATEUR   & MONTREUR DE FILMS

FRANÇOISE LACAN  SPÉCIALISTE DU SPECTACLE VIVANT & FAN DE DANCEFLOOR

ANNE DE LA GIRAUDIÈRE  JOURNALISTE

@ M AG A Z I N E P R O C E S S

CONTRIBUTEURS RETROUVEZ NOUS SUR

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PLAYLIST LA PLAYLIST ECRILLUSTRÉE D’ANNE-SOPHIE VELLY

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Seul sur ton tandem

Au bal masqué (ohé ohé)

VOYOU

LA COMPAGNIE CRÉOLE

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En boucle sur mon tandem, la mono maniaque-musicale que je suis a encore frappé. Mes voisins sont descendus voir si je n’avais pas fait un malaise : le morceau passait en boucle depuis 45 minutes sur mes enceintes. Une Pop synthétique poétique et entêtante, Thibaud chante en français sur des mélodies ciselées avec soin. On adore ! Et puis à deux sur un tandem c’est mieux pour avancer, ça fonctionne mieux paraît-il…

2

Mais pourquoi ce morceau ? Parce que cette playlist est un réel espace de liberté, j’y plante une madeleine de temps en temps. Ma mère avait la K7 du best-of de La Compagnie Créole, que nous passions en boucle dans la 405 grise pendant nos douces vacances d’été en Vendée en 1988. Nous chantions fenêtres ouvertes et cheveux au vent. Mais pourquoi ce morceau ? Peut-être aussi parce que nous n’avons pas vu le soleil depuis 38 jours. Mais pourquoi ce morceau ? Peut-être parce qu’il se termine par « (…) je fais ce qui me plaît, me plaît ».

Les demoiselles de Rochefort

You don’t ever have to be alone

JACQUES DEMY ET MICHEL LEGRAND

MICHAEL MASSER ET DONNA SUMMER

On a fêté les cinquante ans des demoiselles de Rochefort en 2017. Delphine la blonde et Solange la rousse chantent toujours l’amour et l’insouciance dans les rues de Rochefort, entre un marin qui peint et quelques forains qui dansent. Sur une fausse naïveté colorée de pastels on fredonne avec eux des morceaux maintenant classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Merci Legrand   et Demy (et pas qu’à moitié).

You don’t ever have to be alone, morceau tiré du film Mahogany, produit par Motown Productions en 1975. Le film met en vedette Diana Ross dans le rôle de Tracy Chambers, une afro-américaine défavorisée vivant à Chicago, qui grâce à l'aide d'un ami photographe devient styliste à Rome.   On se souvient trop peu   des talents d’actrice de Donna Super. Recommandation : morceau à écouter avec un sèche-cheveux ou un ventilateur à la main. Ou pour ceux qui ont les moyens dans un petit   coupé cabriolet décapotable, si possible rouge.

3

5

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Le moment HIFI

Flutes

ANTOINE PESLE ET DOMINIQUE GILIOT

HOT CHIP

Antoine Pesle (musicien)   et Dominique Gilliot (performeuse), nous offrent le moment HI-FI. ll est de ces projets que l’on qualifie d’inclassables… Sur fond de romances et d’histoires haute fidélité aussi fondantes qu'un malabar bigoût. Ils nous embarquent dans leurs récits chantés, dansés, décalés mais pas coupés, entre performance et mélodies sucrées. Le moment HI-FI clignote et oscille entre élégance et folie douce. Impossible de ne pas être touché par la grâce de ce doux duo…

S 05

Il y a peu je suis retombée sur ce morceau Flutes de Hot Chip, c’est fou comme certains morceaux sont rattachés à des moments précis. Hot Chip c’est le premier concert que j’ai vu après les attentat du Bataclan, huit jours après je crois. Il fallait ressortir vite, un peu comme un acte de résistance pour prouver qu’on existe, résiste. Il y a un aspect tribal dans l’intro de ce morceau, et puis résister en musique quoi de plus doux ? « I know it's nothing more than flutes, but something in my heart is loose, there’s never been a better day ».


NEWS CLOUD

M L

FAUT PAS RATER ÇA

JUSQU'AU

25/02

AFTER THE DELUGE  DAVID LACHAPELLE

JUSQU'AU

Après­avoir­longuement mis­en­scène­les­plus grandes ­stars ­de ­sa­ génération­, le ­photographe ­et­ réalisateur américain ­opère ­un ­véritable ­tournant­ artistique ­en 2006 lors ­d’une­visite d ­ e l­a c­ hapelle ­Sixtine à Rome. Ses­œuvres ­actuelles, inspirées d ­ ’un­rapport n ­ ouveau ­entre l­’Homme ­et l­a­nature vous p­ longeront dans ­un ­univers ­onirique, coloré ­et ­mystique.

CÉSAR, LA GRANDE RÉTROSPECTIVE

23/03

BAM / MONS - BELGIQUE

CENTRE POMPIDOU / PARIS

Le Centre Pompidou rend hommage à Baldaccini César, dit César, dans une grande rétrospective qui réunit une centaine d'œuvres venues du monde entier. 20 ans après sa disparition, l'artiste marseillais est toujours d'actualité avec ses oeuvres critiques de la société et de notre surconsommation.

bam.mons.be lachapellestudio.com

JUSQU'AU

04/03

© DR

© DAVID LACHAPELLE STUDIO

centrepompidou.fr

20H30

104 / PARIS

21/02

© DR

"THE TASTE   OF CEMENT"   DE ZIAD KALTHOUM  Bande annonce sur vimeo.com/245161810

Accidents artistiques intentionnels et relecture poétique d’une société technologique perçue à l’heure du numérique sont au cœur de l’exposition centrale de la Biennale internationale des arts numériques (Némo). Une façon pour l’homme de reprendre la main sur la machine ? 104.fr biennalenemo.fr

© DR

CINÉMAS-OPÉRA / REIMS

Superbe documentaire multi-primé projeté dans le cadre du cycle « Monde en Docs ».

LES FAITS   DU HASARD

19H

16/02

© DR

POETRY SLAM   REIMS

CAFÉ DU PALAIS / REIMS

Tournoi de slam de poésie où chaque poète a 3 minutes pour s’exprimer : deux rounds de six poètes, deux poètes choisis par le public pour chacun des rounds, et une finale avec quatre poètes.

DE 8H À 22H

24/03

RASSEMBLEMENT BTTF  CENTRE VILLE DE SEDAN

02> 31/03 GOKAIJU

STUDIO PASTEL / REIMS

L’artiste propose une promenade dans l’imaginaire collectif du cinéma, en donnant un sens nouveau et original avec ses détournements d’affiches. facebook.com/gokaiju

© DR

© DR

Le plus grand rassemblement d'Europe des fans de Retour vers le futur (Back To The Future). Des saynètes, des concerts, des voitures, des sosies des personnages de la saga ainsi que des propriétaires de DeLorean. Immanquable.


MARCHÉ DE LA PHOTO

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DES NOUVELLES DU DUO DES HALLES Le photographe Romuald Ducros mène depuis plusieurs semaines un projet au long cours qui se déroulera sur une année entière : il installe sur les marchés rémois un studio conçu spécialement et immortalise les chalands en compagnie de leurs achats, toujours avec la même lumière, toujours dans la même position. Nous suivons l’élaboration progressive du projet au fil du temps et vous livrons dans chaque numéro quelques unes des dernières images de la série en cours. Une première restitution des images est exposée aux Halles du Boulingrin.

DANS LE CADRE DE LA PROGRAMMATION " ARTS VISUELS " DE LA VILLE DE REIMS AVEC LE SOUTIEN DE VEUVE CLICQUOT, MAISON FONDÉE EN 1772. WWW.LAPRODUCTIONREMOISE.FR


HOP © ALAIN HATAT

PAR AGATHE CEBE

© DR

EWA KRASKA EST UN ÉLECTRON LIBRE, D’ESPRIT ET DE PATRIE. SI SON TRAVAIL S’INSPIRE DE L’INTIME, IL SE PROJETTE DANS L’ESPACE, AU-DELÀ DES FRONTIÈRES, AU-DELÀ DES LANGAGES.

L’EMBRASURE DES ANGLES L’architecture urbaine traverse le temps et dessine l’espace. Et il est des lieux familiers que nous traversons sans jamais plus y prêter l’attention qu’ils méritent. Car l’œil s’habitue, l’émerveillement se domestique, dans un quotidien qui va vite. L’objectif d’Angèle Caucanas enlève cette docilité capricieuse et redonne un peu de lumière à l’étonnement d’un œil neuf. Au gré de ses périples, Angèle capture des angles. De New York à Krakow, en passant par Bruxelles, elle focalise des villes singulières, mais c’est à Reims qu’elle officie le plus, comme pour faire redécouvrir, à chaque cliché, sa ville natale. Des angles, certes, mais vifs. Angèle Caucanas attache beaucoup d’importance au vivant, et, loin des cartes postales de villes mortes, observe les individus de chair qui viennent sublimer le patrimoine de pierre. Et la résonnance, de tous ces cœurs battants, se réfléchit dans les vitres qui, entre le monde et Angèle, donnent des reflets, un monde invisible qui s’imprime, mystérieux. Une réalité augmentée, une réalité transcendée, un retour aux sources du regard, libéré des chaînes des habitudes. « ANGLES VIFS – ET TRANSPARENCES » DU 13 AU 30 MARS À L’ESCAL À WITRY-LÈS-REIMS 03 26 07 86 48 INSTAGRAM @TRIBEKKA

Elle étudiait la littérature et le théâtre à Paris lorsqu’elle rencontra Rita Grombrovicz, épouse de Witold Grombrovicz, sujet de sa thèse. Plus qu’une aubaine : un message. Un appel du théâtre, venu d’un autre monde, et qui l'incite à écrire une première pièce, En attendant le Nobel. Fabrice Melquiot la relit. Rita l’encourage : il y a un festival, en Pologne, à Radom, le International Gombrovicz Festival. Huit compagnies s’y retrouvent. Ewa remporte le prix de la mise en scène et son interprète celui du meilleur comédien. L’année 2012 précipite Ewa vers l’alternative rêvée d’une vie théâtrale. S’ensuit une deuxième pièce, La diagonale du fou, puis une troisième, Rencontre avec Philidor, qui signe, en 2014, la fin de cette création en triptyque. L’écriture dramaturgique et la mise en scène entrent dans la vie d’Ewa comme dans un moulin : c’est l’évidence des rencontres justes autour d’une passion qui sert de moteur. Mais Ewa ne veut pas tourner dans un bocal, aussi cosy soit-il. Elle regarde ailleurs que vers Gombrovicz, et en 2013, elle participe au projet Kami, qui rassemble des auteurs et artistes autour de jeunes des quartiers rémois, comme un tube à essai créatif et créateur. Et en 2015, Marat apparaît. Ewa Kraska travaille sur les traces de ces pôles d’intérêt. Elle avait suivi Gombrovicz jusqu’en Pologne, mais aussi en France, jusqu’à Vence où il est mort en 1969. À partir de 2015, c’est Marat qui distribue les petits cailloux qu’Ewa va suivre, petit Poucet d’un travail de longue haleine qui se recrée, depuis, sans discontinuer. Marat Collection s’est joué en janvier dernier au Musée des Beaux-Arts, comme un retour aux sources après quelques incartades, en 2017, à Dijon, en janvier, ou à Nagoya, au Japon, en octobre. C’est une course-poursuite après le tableau de David La mort de Marat, ou du moins l’une de ses authentiques copies dues aux élèves de David, l’original se trouvant à Bruxelles. Le tableau, gage du jumelage entre Reims et Nagoya, a fait le voyage, en aller-retour, et Ewa l’a suivi. « Le musée est l’endroit où le théâtre prend tout son sens » nous confie-t-elle. L’action de sa pièce, in situ, plonge les spectateurs dans un univers où la réalité rejoint la fiction, et ce flou dégage une fascination perplexe, un questionnement du regard et de la connaissance. Trois comédiens : un gardien de musée, une femme et un visiteur mal voyant en pèlerinage, voulant voir toutes les représentations de Marat avant de perdre la vue. Il apprivoise sa maladie, il tombe amoureux, et la danse se mêle à leurs échanges, de maladresses en langage limité, d’obscurités en visions révélées. La pièce d’Ewa Kraska se réécrit perpétuellement, au gré des musées visités, au gré des confidences de personnes mal voyantes. Elle se prépare à voyager vers les autres copies et interprétations du tableau de David, vers les autres Marat, à Toulouse, Vizille, Londres, Oslo, au Louvre et à Versailles, et enfin à Bruxelles. Mais d’ici là, chaque mot peut changer, selon la lumière, selon la posture, selon la rencontre. LA SUITE DE PROJET DE EWA KRASKA SUR FACEBOOK : @COMPAGNIE.ITEK

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Ian Caulfield, ses cheveux blonds, sa casquette marine, sa moue Kurt Cobain. Vous l’avez certainement déjà aperçu derrière la batterie de Rouge Congo. Et pourtant, depuis quelques mois, c’est en solo qu’il apparaît. Sa première scène, il l’a offerte au festival Ami-Ami, en septembre 2017. Depuis, il écrit, il compose, il recherche. « Com-

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attentif à l’évolution de son projet. Les petites scènes régionales le convoquent : Metz, Troyes, Château-Thierry, et Reims, dernièrement à la Carto pour la chaîne YouTube La Grappe. Et il vise encore plus loin. Car c’est sur scène qu’il décapsule ses compositions, répertoire neuf et naïf qui se trouve plus vite qu’il ne se cherche. À la fois rock et psyché, la musique de Ian Caulfield nourrit majoritairement la scène électro-pop, à l’instar de Winter Leaf, créé avec Guillaume Brière (The Shoes) et Kevin Espich (Le Chalet), premier opus mis en évidence dans sa comm’ récente. Le clip, réalisé avec Cirkus Prod, est sorti mi-janvier, accueilli comme le cadeau caché de Noël, dans les clameurs enthousiastes de la sphère musicale française. À la fois tendre et ravageur, Winter Leaf est un coup de pied dans le fatalisme de l’existence. Et c’est dans une course effrénée, à la poursuite de ses aspirations, de ses inspirations, qu’il s’élance audevant de nos scènes, comme un préambule à © ANGÈLE CAUCANAS

C’est en 2015 qu’Hervé Birolini a commencé son parcours de recherche musicale autour de Bass Exartikulations. Depuis, le projet a fait du chemin, puisque le deuxième opus Exartikulations, co-produit par Césaré, figure au programme du festival Reims Scènes d’Europe. « Exartikulation » provient de l’allemand, et évoque la désarticulation, du corps, de l’instrument de musique, de la composition. Et c’est justement les trois points fondamentaux de la performance travaillée par Hervé Birolini et Aurore Gruel, chorégraphe et danseuse. Ces pièces, vouées à devenir un triptyque avec l'addition d'un troisième volet, répondent à un manifeste, « Sons, Espaces, Mouvements », pensé et écrit par les compagnies respectives d’Hervé Birolini et Aurore Gruel. À travers ce manifeste, les artistes s’interrogent quant à l’interaction possible entre des interprètes – musiciens, danseurs –, le son et la lumière. Ainsi, chaque performance est construite comme un ballet où les fluides auditifs et lumineux passeraient de corps en corps, afin de les mettre en mouvements. Et leurs mouvements, précisément, auraient, en échos, la musique et la lumière. Un cercle vertueux, donc, où l’électronique, le sensoriel et le vivant ne font plus qu’une seule et même entité. Qualifiée de « sculpture sonore » par Hervé Birolini, la pièce Exartikulations laisse aussi la part belle à l’improvisation. Les deux musiciens et la danseuse jouent une partition délibérément ouverte. La musique électronique a été travaillée et mise en forme par un musicologue, sous forme de signes, et ce sont ces signes qui, à la fois injonctifs et libres d’interprétation, dirigent les performeurs vers un spectacle unique, qui se rejoue rarement deux fois à l’identique. Derrière un écran lumineux et sonore de 5 mètres de haut, on ne sait qui, de la danseuse, du contrebassiste ou du percussionniste, danse ou joue, joue ou danse. Ils sont connectés les uns aux autres par une bague conçue pour recevoir les ondes sonores, inspirer un mouvement et ensuite le transcrire en lumière. Bousculant les perceptions du spectateur, Exartikulations étourdit autant qu’il fascine.

mencer seul me laisse une belle marge de création. » confie Ian,

sa participation, le 27 janvier, aux Inouïs du Printemps de Bourges. 2018 regorge de promesses pour Ian qui en a sous le pied, et qui semble vouloir prendre une belle vitesse de croisière.

@IAN.CAULFIELD.MUSIC

AU FARFELU MODERNE Les Nuits Numériques du Centre culturel Saint-Ex ne se présentent plus. Elles rassemblent, c’est entendu, sous la bannière d’une appropriation singulière du digital. Pour sa quinzième édition, samedi 17 mars, la prochaine Nuit Numérique rend à l’absurde toutes les lettres de noblesse qui lui reviennent. À l’heure où la machine numérique inspire souvent la froideur d’une mécanique qui ne laisse pas de place à l’humain, le Centre culturel Saint-Ex détourne l’utilisation du numérique et le rend léger par le biais de l’incongru. Ainsi rendu surréaliste, le numérique surprend étrangement et propose plusieurs lectures possibles, inspirant, pourquoi pas, à la création. Car, pourtant, aujourd’hui, plus que jamais, le numérique participe à la création artistique ! Et ce n’est ni un gros mot, ni un secret. Alors, pour célébrer ce langage qui en dit tant, Saint-Ex organise un événement où plusieurs disciplines se répondront autour des cultures digitales actuelles. Le programme est encore un peu flou… Il faudra attendre le 15 février, et un rendez-vous Bière Social Club, pour en apprendre un peu plus sur les activités qui seront proposées ce 17 mars. Mais le pacte de participation reste inchangé : cette 15e Nuit Numérique sera familiale, conviviale, bon enfant, curieuse, drôle, riche en découvertes, en surprises, musicale, et l’occasion de (re)découvrir le dernier baréphémère, 23e du nom, le BioBôBar. NUIT NUMÉRIQUE #15 LE SAMEDI 17 MARS 2018 À SAINT-EX DE 18H À 01H FACEBOOK @SAINTEXREIMS

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FLUX ET CORRESPONDANCES

© ARNAUD HUSSENOT

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LE VENT DANS LE DOS


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GOÛT LA TISANE DU DIMANCHE MATIN

Une once - Vladimir Prospekt, 1/47, Saint Petersbourg - www.chay.info

" CECI N’EST PAS UN BOUQUET ", mais une création de Marie Guillemot, une fleuriste à la démarche singulière, spécialiste du pas de côté végétal, ultra contemporaine et très sensible. Voici Lucie habillée d'une composition florale made in " Atelier Marie Guillemot ". www.marieguillemot.fr

LA

RECETTE SIMPLE GERMAIN BOURRÉ PARMENTIER TOUT-VENANT

FARCE viande, poisson ou légumes / 40 % de mie de pain rassis /  un peu de lait / un œuf / tiges de persil ciselées PURÉE pommes de terre / morceaux de fromages… Ce qui est essentiel, c’est d’être bien ensemble. Se nourrir ce n’est pas simplement manger. Quand je cuisine, c’est pour la détente. Je n’ouvre pas les livres de recettes que je lis pourtant beaucoup, je fais avec les bases de mes grands-mères. J’aime mettre en avant la cuisine du reste. Le parmentier est un plat de pauvre dans l’intelligence et le respect des produits. La base est connue, ensuite c’est le royaume de la fantaisie selon les produits trouvés. Prendre les petits restes dans le réfrigérateur ou le congélateur, « un peu de ceci, un peu de cela », veau et poulet ou plusieurs légumes ensemble ou du poisson. Dans un saladier bien mélanger tous les ingrédients pour former une farce homogène. On peut ajouter selon son goût des grains de poivre exotique, parfumer avec un des mélanges épicés d’Olivier Roellinger. L’idée est de s’amuser pour avoir un large spectre gustatif. Pour la purée, prendre des pommes de terre Charlotte ou Bintje ou Monalisa. Parfois, je mélange les pommes de terre et je profite de cette purée pour utiliser celles qui sont peu fatiguées, flétries. Parfois aussi, je peux incorporer des morceaux de vieux comté ou de vieux gouda selon ce que je trouve. On étale la farce dans le plat à gratin puis la purée. Pour gratiner ma grand-mère striait la purée avec une fourchette. Les rayures dans la purée durcissent et croustillent à la cuisson. J.D.

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Je me suis couché tard, j’avais un peu trop bu, juste assez pour fêter un anniversaire honorable. État flottant. Je me déplace dans l’appartement avec en moi la chaleur de la couette, les images de la belle soirée, le corps hyper sensible, le gris du temps, une cloche d’église au loin, les mots des conversations nocturnes, le ventre légèrement contrarié. L’eau est mise à bouillir. Je cherche une idée dans le placard. Les pots se cognent les uns aux autres, métal contre céramique, les doigts poussent, écartent. Je l’avais oublié, il est pourtant bien là. Un petit sachet de papier cartonné, couleur bistre. D’un côté un tampon : «   », de l’autre, écrit à la plume «   ». Il est fermé par une languette dorée. À l’ouverture, l’odeur de fenouil m’envahit le nez, un peu de cumin aussi. Saint-Petersbourg est là. Sur une grande place, départ des autobus, la neige commence à tomber très fort. Une boutique d’angle, une herboristerie, un marchand de thé. Le jeune homme derrière le comptoir est très aimable, nous échangeons dans notre pauvre anglais international. Il ouvre des pots, nous sentons. Du thé et des tisanes odorantes. Oui, ce mélange-là. Des dizaines de graines, éclats d’écorces, tiges découpées, quelques pétales, le tout dans des couleurs jaune d’or. Sur un petit secrétaire, le jeune homme trempe sa plume dans l’encrier et dessine les lettres avec élégance. Il emplit le sachet. Quelques années plus tard, Saint-Petersbourg est entré dans mon dimanche matin. Messenger bipe. Svletana, l’amie russe, m’envoie la traduction des deux mentions « Une Once », le nom du magasin, « Collection fines herbes – Rêves de nuit ». Et elle ajoute « on a beaucoup d’herbes superbes en Russie et on aime donner des noms romantiques. » Et vous, qu’avez-vous rapporté de vos voyages ? Jérôme Descamps


JOËL SIMON A L LUM E U R D’ É T O I L E S

Pourquoi le spectacle jeune public ? Sans doute pour ces mêmes valeurs d’éducation populaire qu’il défend depuis son engagement dans le monde associatif. Ou comment provoquer un « changement social » et un épanouissement de l’individu en s’appuyant sur l’art et la culture. Et si, au contact de ces oeuvres qui questionnent, émerveillent et ouvrent l’imaginaire - c’est selon - les enfants se construisaient dans le monde de demain, forcément meilleur. C’est cette conviction chevillée au corps que Joël Simon arpente Reims et de son agglomération depuis trois décennies. Le petit festival de quartier – quatre à cinq spectacles seulement – a bien grandi. Le Manège de Reims – alors le CNAT – lui a ouvert ses portes dans les années 1990, par l’entremise de Serge Gaymard et François Schmidt. Puis vint le tour de la Comédie de Reims, aujourd’hui coproducteur de créations jeune public au côté de Nova Villa, l’association support de Méli’Môme. Aujourd’hui, Méli’Môme est incontournable dans le paysage français et international de la création pour le jeune public. Au-delà de la vingtaine de spectacles qui composent chaque édition, Nova Villa édite (des portraits d’artistes), invite des auteurs à la rencontre des lycéens, collabore avec l’exigeant Bondy Blog… Et toujours, à l’entrée ou à la sortie du spectacle, Joël Simon, à l’affût d’une réaction, en dialogue avec les enfants ou leurs parents, prêt à accepter la critique comme à recevoir les louanges qu’il transmettra quelques minutes plus tard aux artistes. Joël Simon est un homme de contacts. « Ce qui me touche le plus, c’est de voir les enfants sortir du spectacle les yeux emplis d’émotion » expliquait-il déjà à L’Union en 1994. Et ce n’est pas pour rien si ce natif de Questembert, non loin de Vannes mais dans les terres, est le fils de Monique et Léon. Monique qui tenait L’Économique, l’épicerie, pendant que Léon parcourait la campagne dans sa camionnette pour s’arrêter dans chaque petit bourg. En Bretagne, à cette époque, l’épicier ambulant est celui qui colporte les nouvelles, fait du lien entre chacun, devient même parfois l’entremetteur, le « marieur ». Le Joël Simon de 2018, le fils de Monique et Léon, est encore un peu cela. Programmateur à l’instinct, il est avide de lecture, dévore les romans comme les nouvelles pièces à l‘adresse de l’enfance et de la jeunesse. Il « marie » volontiers sur un même projet deux artistes qui ne se connaissaient pas mais dont il « force la nature » pour rendre la rencontre possible. Cette rencontre, elle s’opérait à Reims comme à Questembert, dans le salon de Monique et Léon. Sur ses terres natales, Joël Simon programmait aussi Festi’mômes, un festival dédié à la petite enfance.

Et là, dans le salon années 1970 de Monique et Léon, entre photos des petits-enfants et assiette souvenir d’un lointain voyage, le pavillon de ses parents accueillait à l’heure de l’apéro, quelques artistes d’Europe de l’Est ou de Grande-Bretagne, un journaliste québécois, des nominés aux Molières, un illustrateur bosnien, une pédopsychiatre nantaise… Et pour quelques heures, ce modeste salon d’un couple de retraités devenait la tour de Babel où l’on refaisait inlassablement le monde… de la création pour le jeune public. Épicurien, curieux de tout et de tous, Joël Simon a été chroniqueur pendant plusieurs années sur France Inter, pour l’émission Tartines et Strapontins. Une belle expérience pour celui qui se serait sans doute vu dans la peau d’un journaliste dans une autre vie. Marqué par l’assassinat de Salvatore Allende – il a avait 20 ans –, il a construit sa vie autour des rencontres. Celles des parrains et marraines de Méli’Môme (Albert Jacquard, Marie Desplechin…), celle de ses proches au sein de Nova Villa (Isabelle Leseur, la présidente de Nova Villa, Vanessa Gaunel son « bras droit »…), celle des artistes fidèles de presque toutes les éditions (le Rémois André Parisot, les deux « moliérisés » Christian Duchange et Serge Boulier, Annabelle Sergent plus récemment…). Et il a pu compter, ce qui est loin d’être négligeable, sur le soutien d’une épouse forcément compréhensive (Brigitte) et de deux enfants (Clément et Bertille) qui lui emboîtent aujourd’hui le pas dans le monde culturel.

R

RENCONTRE

Lorsqu’il quittera Méli’Môme – cela arrivera bien un jour –, Joël Simon se voit investi dans d’autres causes comme celle du Samu social, par exemple, dont les maraudes sauvent la vie de plus d’un « sans domicile fixe ». Il poursuivra sans doute ses lectures de romans. Un homme d’Oriana Fallaci, sorti il y a plus de trente ans, et plus récemment L’homme des bois, de Pierric Bailly, font partie de ses coups de cœur. Il voyagera sans doute également. Car ce sont là ses plus belles découvertes. Il est l’un des programmateurs français qui se déplace le plus à l’étranger, peut-être même celui qui tente le plus souvent de partir à la rencontre de cette « différence ». Il ramène alors de Slovaquie, du Rwanda, d’Autriche ou de Norvège des spectacles qu’il souhaite faire découvrir aux petits Rémois. « Pour leur donner à voir la différence, explique-t-il, et leur permettre de découvrir ce que d’autres enfants, à des milliers de kilomètres de là, vivent à la frontière russe ou à celle du Burundi ». La culture n’est pas son seul centre d’intérêt. On s’en serait douté, il aime la bonne chère, le bon vin mais aussi le sport. « Mon vrai grand souvenir, c’est d’avoir été dans le stade de RolandGarros, en 1983, pour la victoire de Noah ! », sourit l’ancien ailier droit – si, si ! – de La Bogue d’or, le club de foot de Questembert, devenu inconditionnel des Merlus, (FC Lorient). Sans doute poursuit-t-il, dans le sport, cette même quête de l’humain qui le guide depuis toujours. « J’aime les personnes qui distillent de l’humanité », assure-t-il. On se souviendra qu’il y a quelques années, le sociologue Azouz Begag, alors ministre délégué à la promotion de l’Egalité des chances, l’a décoré de la légion d’honneur « pour toutes les étoiles allumées dans les yeux des enfants ». © HUBERT LAPINTE

Moustache en bataille, les yeux rieurs, la voix douce, voici près de trente ans que Joël Simon est une silhouette connue de très nombreux Rémois. Trente ans bientôt qu’il a créé un petit festival, Méli’Môme, au sein de ce qui était alors le Foyer de jeunes et d’éducation populaire (FJEP) de la Neuvillette, dans les marges rémoises, en bordure des champs. Un temps fort de quelques spectacles créé sur une intuition – celle qu’il fallait offrir des spectacles de qualité aux plus jeunes – et avec l’expérience d’une première manifestation imaginée sur son précédent poste, à Lorient. Breton pur beurre, il aime à dire qu’il aura connu deux vies professionnelles. Celle d’animateur, puis de directeur de maison de quartier, en Bretagne puis à Reims et enfin celle de directeur d’un festival à part entière, désormais indépendant.

M É L I ’ M Ô M E À R E I M S E T D A N S L ’A G G L O M É R AT I O N D U 2 2 M A R S A U 6 AV R I L T O U T E L A P R O G R A M M AT I O N S U R W W W. N O VA - V I L L A . C O M

TEXTE CYRILLE PLANSON

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Être ou ne pas être dans son assiette, telle est notre question depuis maintenant de nombreuses années. De crises alimentaires majeures en mal-être des agriculteurs, nous prenons conscience que les aliments, de leurs modes de culture à nos casseroles, sont un enjeu essentiel. Non seulement, ils nous procurent bienêtre, immunités et plaisir mais ils sont aussi le ferment d’un autre rapport avec notre planète pour faire advenir une société plus respectueuse et, nous l’espérons, plus heureuse. Nous avons souhaité écouter Germain Bourré, un de ceux qui pense la nourriture de demain. Par chance, il est professeur de design culinaire à l’ESAD de Reims. C’est lui qui imagine les programmes pédagogiques et qui imagine des projets originaux avec le monde de l’entreprise, comme avec la maison Taittinger cette année. Une façon de permettre aux étudiants d’entrevoir leurs vies professionnelles. Tous à vos papilles ! ORIGINES

DEMAIN

J’ai été formé à l’ESAD mais j’ai grandi à Blois, les pieds dans la Loire, la tête dans la Renaissance. J’ai été beaucoup influencé par Léonard de Vinci, il est omniprésent pour moi. Je me plonge régulièrement dans ses carnets, ce sont des bibles de chevet car il étudiait tout. En tant que designer, on doit observer la société, regarder son évolution et ce vers quoi elle pourrait tendre dans ses usages et ses pratiques. Notre métier est d’accompagner, de suggérer.

Beaucoup d’agriculteurs, de maraîchers réinterrogent les produits plantés, la façon de cultiver, les perspectives pour vivre de leur production. Ils récoltent et certains transforment. De nouveaux enjeux adviennent car il y a de plus en plus d’initiatives individuelles. Ces entreprises ont alors besoin d’une nouvelle identité : logique d’emballage, de transformation… Nous sommes là pour les accompagner. Par exemple, nous avons travaillé au lancement d’une gamme de chips de légumes dans le Vexin. Nous sommes intervenus sur le processus de transformation, d’emballage, le plan des laboratoires… Au bout du compte, nous sommes passés d’une cuisson de 20 minutes à 3 minutes pour conserver les textures, les vitamines, les saveurs.

DESIGN CULINAIRE

Une des portes vers le design culinaire a été de questionner les matières comestibles de la même façon que le bois, le métal ou la pierre pour un sculpteur. Nous devons les regarder avec bienveillance et attention, être réceptif à ce qu’elles ont à nous raconter. C’est ce cheminement sensible qui permet d’avoir un regard décalé, de créer de la nouveauté. L’autre porte d’entrée est de prendre la température d’une entreprise, d’une économie, de connaître l’histoire d’une personne, d’un produit, d’aller mesurer sa spécificité, de trouver sa pépite, sa raison d’être. Quand je travaille avec un chef, j’aborde son histoire personnelle et aussi celle du restaurant. Progressivement, être à l’écoute permet de proposer une nouvelle coloration de sa cuisine, trouver d’autres vocables, initier d’autres outils pour exprimer ce qu’il a envie de raconter dans le respect de ses spécificités et des produits. Les designers ne sont pas voués à créer des cartes de restaurant, nous ne sommes pas des chefs de cuisine. Nous ne sommes pas non plus dévolus au seul design des chaises, nous créons un appareillage de réflexion, de création et de relecture pour imaginer ce que pourrait être la carte de tel chef, le repas de tel événement ou proposer des temps de surprises gustatives pour vivre pleinement une expérience.

Nous nous attachons à revendiquer une véritable spécificité culinaire, nous accompagnons de manière sensible, bienveillante et passionnée toutes ces transformations pour ne pas céder à l’axe fatal « produire parce que ça plaît et que ça rapporte de l’argent » sans se préoccuper des retombées à long terme. Je suis persuadé qu’on mangera mieux demain. CUISINE FAMILIALE

Il n’y a pas de vérité, il n’y a que le plaisir. Un bon repas c’est celui où tout le monde est autour de la table pour parler ensemble. La table est une forme symbolique, l’espace de la rencontre. Même pour un pique-nique sans table, l’idée de l’échange est toujours là. En famille, j’épluche seul ou avec mes enfants. En fonction du timing, je taille finement (ou pas) échalotes, légumes à faire sauter vivement dans une poêle pour mélanger à des pâtes. Et s’il n’y a pas de légumes, je grille des graines de tournesol ou je râpe une betterave crue au-dessus des pâtes. Des petites choses simples.

LE DÉFRICHEUR DU CRU ET DU CUIT R E N C O N T R E AV E C G E R M A I N B O U R R É , D E SIG N E R C U L I NA I R E

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_Germain Bourré © DR.

Fiche de note de dégustation basée sur « l’assemblage » de trois valeurs : Structure / texture / couleur dans le cadre des recherches menées autour et avec le Champagne Taittinger Marguerite Frommer, Mélanie Boissié, Eloy Flambeau.

_Marguerite, d'humeur curieuse lors d'une dégustation entourée d'amis, le 9 octobre 2017 à 12h26, cuvée Prestige rosé © DR.

_Eloy, de bonne humeur avec mes proches pour une dégustation mémorable, le 9 octobre 2017 à 12h38, cuvée Comtes des Comtes de Champagne rosé 2006 © DR.

D

DESIGN  CULINAIRE

_Mélanie, dans la quiétude lors d'une dégustation à la Demeure des Comtes de Champagne, le 9 octobre 2017 à 12h51, cuvée Nocturne rosé © DR.

TEXTE JÉRÔME DESCAMPS


L’ESAD

La base du design est le dessin. A l’ESAD, nous accompagnons les étudiants pour qu’ils trouvent leur propre voie en mettant en perspectives les usages, en modifiant le rapport aux matières premières ou leur fonctionnalité. Le pas de côté est indispensable, nous devons les faire descendre du vélo pour se regarder pédaler ! En regardant, on analyse les spécificités. Je reviens toujours à la prospective et à l’observation propres à Léonard de Vinci. Les étudiants doivent prendre en compte la texture de la matière, la couleur, le temps de découpe, goûter le cru et le cuit. Tout est sujet de dessins, de photos, de dégustation. Par exemple, la cuisson d’un produit est une possibilité d’un récit. Une cuisson rapide ne raconte pas la même chose qu’une cuisson basse température pendant 48 heures avec saisissement au dernier moment. Nous ne parlons pas des textures comme les professionnels de la cuisine ou des métiers de bouche. Pour nous, la question est de savoir comment ces textures peuvent aider à donner du sens à l’expérience de la dégustation. Le design est un outil de narration pour exalter le sens potentiel d’un plat. Bien sûr, la nourriture ne peut pas être tout le temps narrative, mais lorsque le design intervient, c’est pour apporter du sens au même titre que la technique et la cuisson. Dans tous ces temps de découverte, on essaye d’être le moins conventionnel, le moins académique possible. L’expérience construit chaque étudiant. Petit à petit, il se découvre tout en partageant avec tous. BANQUETS SCIENTIFIQUES

Trois Banquets scientifiques se sont déroulés à Reims, mêlant chercheurs et étudiants. Les thèmes en étaient « Guerre et alimentation », « Gastronomie et diplomatie » et « Pillage et Gaspillage ». Ces trois thèmes nous ont permis d’interroger l’histoire, les faits historiques mais aussi d’organiser un temps narratif en commun de trois heures et demie. Tout est pensé, de l’accueil des convives au repas. Pour « Gastronomie et diplomatie » au Palais du Tau, les étudiants ont écrit les pistes gustatives pour les présenter aux élèves du lycée Gustave Eiffel avec qui nous collaborons. Parallèlement, nous avons organisé le déroulé de la soirée : comment poser ses vêtements, comment entrer dans la grande salle du Tau, quelle est l’image première du banquet, comment allons-nous enchaîner les plats, comment être soucieux de l’éclairage. Nous nous sommes aussi amusés à mettre certains plats en écho avec des informations scientifiques lues en même temps, une astringence gustative pouvait répondre à l’acidité de certains propos.

ESAD + CHAMPAGNE TAITTINGER,   UNE COLLABORATION   SOUS LE SIGNE DE LA RECHERCHE Juste avant l’été 2017, Vitalie

ger suivie d’une dégustation

Taittinger et Alexis Lyon ont

avec l’adjoint du chef de

sollicité la section design culi-

cave, Alexandre Ponnavoy qui

naire de l’ESAD afin de mener

les a initiés aux bases pour

une introspection sur leur

apprécier un vin, identifier

gamme de trois champagnes

une signature. Ils ont aussi

rosés : Prestige Rosé, Comtes

participé à un déjeuner gastro-

de Champagne et Cuvée noc-

nomique autour des accords

turne. L’idée était d’interroger

« mets et vins » à la maison des

la nature même d’une gamme

Comtes de Champagne.

raffinée et pourtant méconnue.

L’enjeu de ces moments d’intenses plaisirs est de les

Germain Bourré : « Leur intel-

transformer en autant de

ligence d’approche était de

matières à travailler. Pour

s’adresser à nous pour déve-

chaque étudiant, il faut main-

lopper un temps de recherche

tenant métamorphoser ces

fondamentale », de réflexion

expériences sensorielles en

en commun qui aboutira (ou

photographies, courtes vidéos,

non) à un ou plusieurs projets

objets ou sculptures.

concrets. » L’ESAD n’étant pas là pour

Dorénavant, les rendez-vous

répondre à des besoins

de travail sont hebdomadaires

commerciaux, mais bien de

et des workshops sont prévus,

se placer sur le terrain de la

comme au mois de février

réflexion créative, cette pro-

sur le thème des « Natures

position est devenue un défi

Mortes ». Une semaine de

pour les quatrièmes années en

concentration et de création

master et certains étudiants de

pour aborder des notions aussi

troisième année.

vastes que le temps qui passe, les saisons, les 10 ans de cave

DESIGN CULINAIRE ?

En fait, je n’aime pas tellement le terme de « designer culinaire », il est réducteur. Le plus important c’est la sensibilité par rapport au vivant et à l’alimentation. Nous devons garder la passion des matières consommables pour être en pertinence avec différents modes d’expression et d’interprétation car ce que nous allons inventer est dans ce que nous projetons dans la nourriture.

Germain Bourré : « Depuis

pour façonner un vin…

le mois de novembre, nous travaillons sur des objets

Rendez-vous dans le numéro

d’assemblage et aussi des

d’été de Process pour le

objets d’accord pour aborder

compte-rendu de ce travail rare.

ces rosés dont les assemblages de trois cépages sont une spécificité des vins champenois. »

TA I T T I N G E R . F R ESAD-REIMS.FR GERMAINBOURRE.COM GERM-STUDIO.COM

Ils sont environ 25 à travailler en continu par groupes de deux ou quatre. À l’automne, ils ont débuté le travail par une visite des caves Taittin-

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1_

2_

3_

1_Miroir composé de deux cueillettes successives de verre, l’un blanc puis rouge.   La taille du rouge laissera apparaître le blanc pour un assemblage de reflets rosés © DR. 2_Taille du cristal à la meuleuse chez Baccarat © DR. 3_Recherche de motifs de taille du cristal © Sophie Love et Aline Riehl.


LES MOTS POUR FRIRE R E I M S S C È N E S D’ E U R O P E  / LU C J É R ÔM E BA I L L E U L On peut être l’un des plus grands festivals de théâtre de France, qui plus est dédié à la création européenne, on n’en garde pas moins ce qu’il faut de fantaisie pour inscrire à son programme un OVNI théâtral. « Peut-on frire de tout ? », lit-on dans la plaquette du festival. Et l’on se prend à relire cette question pour être bien certain de ne pas avoir ajouté de lettre supplémentaire, tel un acte manqué à l’heure du déjeuner approchant.


Non, c’est bien au cours du week-end de performances que, le 10 février, la Comédie de Reims accueillera la conférence à l’intitulé loufoque mais au contenu aussi docte que fantasque. Son inventeur, Luc-Jérôme Bailleul, est un ancien étudiant en arts plastiques que passionne le petit bâtonnet de pomme de terre. Se présentant comme co-fondateur de l’Amicale de la frite, mais aussi Haut-commissaire aux sauces, condiments et dégustations de l’Internationale Phrituationniste, il a imaginé une performance étonnante. Entre la conférence TED, la réunion Tupperware et la performance pure, il livre ici une étonnante prestation qui s’ouvre sur le tube du Nordiste Simon Colliez, « Ch’est toudis des frites » (Lundi, ch’est des frites / Mardi, ch’est des frites / Bien sûr et el’mercredi / Ch’est des frites aussi / El’dimanche pour canger / Ch’t’einne assiette d’purée). Un QCM plus tard, histoire de mieux situer le niveau de son public, Jérôme Bailleul aborde les vraies questions. « Faut-il légaliser les frites au four ? » ou bien « la frite est-elle de gauche ? », interroge-t-il. Appelant aussi, dans sa conférence, les grands anciens, à l’image de Roland Barthes qui aurait

dit un jour – et c’est vrai, nous venons de le vérifier – : « Associé communément aux frites, le bifteck leur transmet son lustre nationale : la frite est nostalgique et patriote comme le bifteck ». Quant à la seconde partie de la conférence, elle n’a d’autre but que de transmettre à celles et à ceux qui voudraient ouvrir leur start-up « baraque à frites » les clés du succès, avant de terminer sur un troisième volet de conférence dédié au « tuning alimentaire » et à la « typologie architecturale » de la baraque à frites. Vous aurez désormais tous les atouts en main pour lancer votre propre activité !

de la vie ne dispersent ses membres aux quatre coins du Globe. L’occasion pour eux de passer une nouvelle étape et de créer cette « Internationale » gourmande qui manquait au paysage culinaire mondial. « Peut-on frire de tout ? » est une conférence inscrite au catalogue foisonnant de l’agence SuperTalk, spécialisée dans ce type de productions barrées et érudites. On en trouve une sur le thème « connaître son vélo. De Marcel Duchamp à Andy Schleck » ou « Un siècle de hip-hop. De ToulouseLautrec à 50 Cents ».

Cette « passion » pour la frite suit R E N S E I G N E M E N T S   /   R É S E R VAT I O N S Luc-Jérôme Bailleul depuis ses 03 26 48 49 10 W W W. S C E N E S D E U R O P E . E U années d’étudiant, lorsqu’il fonde avec quelques amis l’Amicale de ma frite. Pour ces étudiants en BeauxArts, c’est l’occasion de se lancer dans la production de cartes postales, de tee-shirts et autres affiches. RSE, 9ème ÉDITION Déjà à l’époque, les amis n’hésitaient pas (les 16 et 17, à la Comédie), Avec ces visuels angéliques à produire événequi propose un thriller poliet ces habitants devenus ments et rencontres tique sur fond de changemodèles pour communiquer avant que les aléas ment climatique. La danse sur cette nouvelle édition

P

19

par les artistes invités, à l’image de l’installation de Julien Allouf à la

– la neuvième –, Reims

ne sera pas en reste avec le

comédie, Europia – paysage

Scènes d’Europe affiche une

jeune et très prisé collectif

éclaté d’une Europe incer-

programmation particu-

(La)Horde et To da bone

taine #2, sur les capitales

lièrement dense. Du 7 au

(au Manège, les 13 et 14),

européennes traversées par

18 février, de très grands

un spectacle qui interroge

les crises (migratoires, éco-

noms du théâtre en Europe

la danse à l’heure d’Internet

nomiques…). Ou de la pièce

PERFORMANCE

TEXTE CYRILLE PLANSON

questionnements portés

et des réseaux

Fin de l’Europe de Rafael

sociaux. Ou le

Spregelburd (à La Comédie,

duo Vacuum

le 18) qui convoque, non

du suisse

sans provocation, les

Philippe Saire,

prophéties apocalyptiques

mêlant les arts

de ce siècle (fin de l’euro,

visuels à la

fin de la réalité… et fin de

danse (les 16

l’Europe). Et pour permettre

et 17, toujours

à chacun de se constituer

au Manège).

un vrai parcours de festiva-

Et pour les

lier à moindre coût, le « fes-

seront à l’affiche. À l’image

tout-petits, on pensera à la

tival de tous les possibles »,

de Roméo Castellucci, les

performance d’expérimenta-

tel qu’il se définit, propose

7 et 8 à La Comédie avec

tion musicale Woodpechker

sept soirées duo.

Democracy in America,

(les 10 et 11, au Cellier),

Sept soirées composées

évoquant les tous premiers

de la Company Klankennest

de deux spectacles et un

moments de la constitution

(Belgique) dont ce sera la

principe simple : pour une

d’une nation. Ou la nouvelle

toute première en France.

place de spectacle achetée,

création de la metteuse

L’Europe – ses dérives, ses

la seconde est affichée

en scène belge Anne-Cécile

espérances, son rapport au

à 5 euros.

Vandalem, Arctique

monde - reste au centre des


UN OBJET (REMARQUABLE) Banksy est mondialement célébré pour ses pochoirs de rue, tantôt irrévérencieux, tantôt poétiques, mais tous sensés. Nous avons tous en tête l’utilisation du ballon de baudruche   dans ses œuvres, notamment celui en forme de cœur rouge échappant à une petite fille. Moins connu peut-être, celui distribué aux   enfants de Dismaland, le parc d’attractions éphémères imaginé par l’artiste en 2015,   à proximité de Bristol. C’est l’un de ceux-ci   qui sera proposé à la vente ce dimanche 18 mars  à Châtivesle Maison de ventes. www.chativesle.fr

Banksy (né en 1974)

Ballon de baudruche,

I am an imbecile, 2015

non utilisé. Encadré. 80 x 57 cm Est : 100/150 euros




Si vous aimez l’univers Apple et les objets connectés, vous connaissez certainement la boutique Inter-Actif à Thillois. Mais peut-être moins son fondateur, Jérôme Gromont, actuel président de la holding Inter-Actif Groupe, numéro un en France des centres de vente et de services agréés Apple. Son parcours de vie est atypique et sa réussite professionnelle incontestable. Rencontre avec un homme pugnace et visionnaire. L’ÉTINCELLE

HYPER-ACTIF

Fleuriste, cariste, jardinier, Jérôme Gromont enchaine les petits boulots pour financer des études d’expertise-comptable (DECF), après un bac obtenu à 16 ans. « J’ai eu une enfance compliquée, je cherchais ma place. J’ai compris très tôt que je ne devrais ma réussite qu’à moi-même ». Il se réoriente vers une formation de comptabilité en alternance rémunérée et rencontre Pascal Gayet, dirigeant de la société rémoise de communication Noir sur blanc. « Cet homme était mon mentor. Il a détecté un potentiel chez moi et m’a fait confiance ». Première journée de travail, sur le bureau de Jérôme trône un Mac Plus. « C’est l’étincelle devant cet ordinateur intuitif et accessible. Plus d’écran noir ni de ligne de code mais une souris et des icônes. J’étais ébahi ! » Jérôme, 19 ans, est persuadé qu’il fait face à l’outil informatique de demain. Il s’investit corps et âme dans sa fonction de comptable, participe au comité de direction, met en place des procédures et étoffe ses compétences, notamment en s’essayant aux arts graphiques. « J’ai saisi à ce moment-là que, par le travail, j’avais les moyens de changer ma vie. »

La sortie de l’iMac réaffirme la vision de la marque ; un ordinateur compact, design, aux couleurs acidulées, qui révolutionnera le marché. La boutique de Jérôme s’inscrit parfaitement dans la nouvelle stratégie d’implantation du géant américain : des lieux élégants en centre-ville, une communication forte et le développement de services. Inter-Actif, qui connaît une croissance exponentielle, obtient en 2006 le label Apple Premium Reseller (APR). À l’heure où le marché des iPhone et iPad explose, Jérôme ouvre, en 2009, une deuxième boutique à Troyes. « Progressivement, je suis passé d’un mode de management affectif, au mode collaboratif puis directif. Même s’il faut fédérer des hommes autour d’un objectif commun, une entreprise se dirige fermement et avec conviction. » Le goût d’entreprendre persiste et Jérôme investit en 2013 dans un magasin au cœur d’Aéroville, le centre commercial de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. Ouvert 7j/7, son succès est immédiat. Puis, à la barre du tribunal, il reprend deux boutiques, à Versailles et Thionville.

« ET C’EST LÀ QUE L’HISTOIRE COMMENCE. »

ARTISAN, CHEF D’ENTREPRISE, PDG

« En 2016, il fallait faire évoluer le mode de gestion artisanal qui ne correspondait En autodidacte, Jérôme plonge dans l’univers Apple et crée son entreprise en plus à la taille de l’entreprise. J’ai pris un coach en pilotage d’entreprise et j’ai décou2000, avec 5000 francs en poche. Son concept est simple et avant-gardiste : vulvert tout ce que j’aurais dû faire en termes de stratégie commerciale, d’organisation, gariser l’informatique et démystifier l’outil. Inaugurée en 2001 à Reims, la boude management. À 45 ans, j’ai démarré un nouveau métier, celui de patron. » tique Inter-Actif est un espace haut de gamme qui expose des objets design. Une évolution qui va de pair avec un changement de statut. Inter-Actif Groupe Plus qu’un fournisseur informatique, elle propose des contrats de service sous naît en 2017 et s’envole à la première place des APR français. « 2018 sera l’année forme d’abonnements et des formations aux outils graphiques. « J’avais un coldu virage. J’ai des projets avec un nouveau concept de distribution et de services. laborateur et j’étais à la fois comptable, commercial, vendeur et technicien. Au déOn sera présent sur toute la chaîne : vente, reprise, occasion, financement, formapart, j’embauchais pour combler les manques. J’ai compris beaucoup plus tard que tion, conseil, expertise,… l’enjeu était plutôt de recruter pour répondre aux besoins futurs. » En 2005, InterActif migre boulevard du Général Leclerc, avec QUELQUES CHIFFRES Ce sera l’aboutissement de mon métier. Aujourd’hui pour ambition d’être l’unique référent Apple sur je sais exactement où je vais. » le territoire. « Je misais sur la satisfaction de mes 2000 Naissance de l’entreprise Inter-Actif / clients pour devenir incontournable. J’ai énorméChiffre d’affaires (CA) : 200 000 F 2001 Ouverture de la 1ère boutique rue des Capument travaillé pour cela. J’étais ma propre vache cins à Reims / Embauche d’un collaborateur à lait ! » 2002 Inter-Actif devient revendeur agréé Apple INTER-ACTIF.NET 2003 L’entreprise individuelle se transforme en société 2005 Inter-Actif déménage boulevard général Leclerc à Reims 2006 Obtention du label Apple Premium Reseller 2009 Ouverture d’une 2ème boutique à Troyes 2010 Inter-Actif passe la barre symbolique du Million de CA 2011 Installation dans la zone commerciale de Thillois / CA : 2 000 000 EUR 2013 Ouverture d’une boutique dans le centre commercial d’Aéroville / CA : 7 500 000 EUR 2015 Rachat de 2 sites : Versailles & Thionville / 30 collaborateurs / CA : 10 000 000 EUR 2017 Rachat d’un autre APR iSwitch dans le Nord de la France 2017 Création d’Inter-Actif Groupe : 92 collaborateurs / 10 boutiques / CA : 25 000 000 EUR

B

BUSINESS

J É R ÔM E G R OM O N T

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TEXTE PEGGY LÉOTY    PORTRAIT BENOÎT PELLETIER

TOMBÉ DANS LA POMME


© DR

« LE SOIR QUAND L'ITALIE EST TRISTE / ELLE RESSEMBLE À RIMINI / NON MAIS VRAIMENT QU'EST CE QUI T'A PRIS / D'ALLER MOURIR À RIMINI ? » C’EST SUR CES MOTS QUE S’OUVRE LE TITRE RIMINI, SUR L’ALBUM ROCK’N ROLL PART 9 DES WAMPAS (2006). SUR UN TEMPO LENT, FINALEMENT PEU COMMUN CHEZ CES VÉTÉRANS DU PUNK ROCK FRANÇAIS QUE SONT LES WAMPAS, ON DEVINE ENTRE LES LIGNES UNE HISTOIRE BIEN PLUS TRAGIQUE QU’IL N’Y PARAÎT.


En février 2004, c’est dans une chambre d’un hôtel de Rimini Jusqu’à cette nuit tragique de la Saint-Valentin où, réfugié qu’est retrouvé le corps sans vie de Marco Pantani. À 34 ans, dans cette chambre d’hôtel, dans cette cité balnéaire de la disparaissait un champion cycliste italien, seul et abandonné côte adriatique, bétonnée et triste, l’homme tourmenté prend de tous, au terme d’une vie de gloire et de scandale. Il achevait définitivement le pas sur le champion orgueilleux. Lorsque une longue errance, profondément blessé d’avoir été exclu du le personnel pousse la porte de sa chambre parce qu’il ne Giro, son tour national, trois ans plus tôt. Suspendu six mois répond plus à ses appels, il découvre des meubles renversés et pour dopage, le Pirate était tombé de son piédestal. Celui que le corps de Marco Pantani, mort, blessé au visage. L'autopsie toute l’Italie vénérait, à l’image des « campionissimi » Coppi révélera que la mort fut causée par une overdose de cocaïne. et Bartali, le « furoriclasse » romagnol, n’est alors plus rien. Ni Par la suite, dans ces circonstances troubles, on évoquera la personne. Il tentera bien un ultime retour, sans succès, avant vengeance d’un parrain de la mafia qui aurait perdu beaucoup _Les Chasse-Patates et Didier Wampas © DR. de s’éloigner peu à peu de la compétition. D’idole de tout un d’argent en pariant sur Pantani, ou encore un règlement de peuple, il devient le paria, la victime expiatoire d’un milieu délétère où tout se comptes entre dealers. L’affaire en restera là. Dépossédé du personnage flamsait, se cache, et où celui qui « tombe » devient le bouc émissaire d’un milieu boyant que cet homme en souffrance s’était bâti, Pantani ne pouvait que s’effacer. gangrené par la duperie. Pantani, ou l’arbre qui cache utilement la forêt… Mais Didier Wampas, le leader du groupe parisien éponyme, est aussi un ancien Au-delà de la trajectoire du champion, il y eut celle de l’homme. Journaliste à cycliste, auteur quelques années auparavant d’une ode au champion français L’Équipe, Philippe Brunel est un spécialiste de l’histoire du cyclisme. Il considère Laurent Jalabert. On peut être punk et enfourcher son vélo pour escalader le Pantani comme « le plus grand grimpeur de son temps, peut-être même de l'hisMont Ventoux, s’imaginant dans les roues de son idole Pantani, qui, un jour de toire ». Il parle aussi d’un adolescent « qui ne s'aimait pas, qui ne se supportait juillet 2000, y défit Armstrong, le Texan bionique. Wampas se souvient être passé pas. On l'appelait Il Elefantino à cause de ses grandes oreilles ». C’est à travers un jour à Rimini et d’avoir trouvé le lieu « super pas beau ». En effet, comme il le cyclisme, pour lequel son talent s’est révélé très tôt, qu’il s'était « trouvé une l’écrit dans sa chanson, À côté de Rimini, même Palavas a l'air sexy / Car à côté de identité. Il était devenu le Pirate, il portait un bandana de couleur différente selon Rimini, La Grande-Motte ressemble à Venise. Sur ce titre, à la fois tendre et rageur, son humeur, poursuit Brunel. S’il était noir, cela signifiait qu'il allait attaquer. Il Didier Wampas imagine un jour Pantani « et tous les pirates » revenir « crier venpouvait aussi jeter une boucle d'oreille sur la route pour prévenir les spectateurs geance » et réduire en cendres la ville de Rimini, symbole d’une déchéance qui qu'il allait placer un démarrage. Quand il arrivait en haut des cols, en Italie, dans jamais n’aurait du advenir. Car à la fin de Rimini, les guitares plutôt lestes du les Dolomites, il traversait la foule dans une onde de silence. Il y avait quelque début du morceau, tonnent et se font rageuses pour clore un titre qui compte chose de religieux. C'était un personnage assez théâtral. Il s'était inventé un perdans le répertoire des Wampas. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la sonnage, c'était sa création ». Plus dure fut la chute pour le Romagnol taiseux. geste cycliste n’a jamais été très éloignée de la scène alternative. En témoigne, le Mauvaises fréquentations, dépression, addiction, « malavita » dira-t-on, le grimmythique Louison Bobet for ever de Ludwig von 88, en 1987. Ou plus récemment, peur ailé n’était plus que l’ombre de lui-même en ce début d’année 2004. le Vive Poulidor des bien nommés Chasse-Patates. Sauf que Didier Wampas, a su exprimer ici toute la sincérité d’un vrai « gregario » du Pirate.

« RIMINI » L E S WA M PA S

M

MUSIQUE

25

TEXTE CYRILLE PLANSON


_Lorelei © Léo Dorfner.


L’ARTISTE PLASTICIEN LÉO DORFNER CRÉE UNE MYTHOLOGIE PERSONNELLE ET TROUBLANTE QUI S’APPUIE SUR L’" ESTHÉTIQUE DE L’EMPRUNT ".

LÉO DORFNER IC Ô N E S , I D O L E S E T F É T IC H E S

A

ARTS VISUELS

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TEXTE HÉLÈNE VIRION

Plasticien, Léo Dorfner s’impose sur la scène contemporaine comme une évidence. L’artiste de 32 ans formé à l'École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris commence à être un habitué des évènements artistiques les plus prestigieux. Si sa maîtrise technique de l’aquarelle est l’essence de sa démarche, elle n’est que le cœur d’une pratique protéiforme. Des fragments de corps, de textes, de vie hantent ses images. Ils résonnent comme des mythologies personnelles aux évocations plurielles. L’artiste nous livre en partage des portions de vie, de son intimité. Il dévoile des portraits d’amis une hache à la main, comme une photographie de lui accompagné de sa femme enceinte, nue, publiée en pleine page des Inrocks à l’occasion de l’exposition Chercher / Détruire à la Galerie Anouk Le Bourdiec.

Pourtant cette intimité résiste. Elle semble n’être qu’un mirage. Entre provocation et hommage, il puise de sa vie comme des icônes religieuses ou idoles mass médiatiques l’occasion de frotter plastiquement des réalités d’un prime abord irréconciliables. L’artiste, iconoclaste, prélève des cultures populaires ou savantes autant de signifiants susceptibles de résonner dans son œuvre par un vocabulaire plastique percutant. En témoignent ses statues antiques, ses vierges tatouées à l’encore bleue dans une esthétique résolument rock ou ses interventions sur des paquets de Gitanes. Dans cet univers Léo Dorfner semble chercher de nouvelles icônes. À l’instar de l’œuvre au titre évocateur Where are you rock stars il paraît sonder le monde en quête de nouvelles idoles. Comme il puise des racines iconographiques

culturelles et cultuelles l’occasion d’une tension visuelle particulièrement lisible dans sa dernière série. Par l’hyperréalisme de ses aquarelles il touche à la question de la représentation. Surtout il nous atteint par ses intimités érotiques, ses intimités meurtries jusque dans nos chairs. Comment ne pas ressentir la tension du regard hypnotique du sujet, des corps tuméfiés, des lignes de Prophecie ? La force de l’œuvre entre douceur picturale et violence ne peut que résonner avec l’histoire contemporaine de signes prophétiques. Dans cette ambivalence Léo Dorfner se joue des mots et des images. Il laisse à penser, il nous laisse à croire en une mythologie puissante et évocatrice. Tentons d’en savoir plus sur cet érudit qui mêle sa vie et sa peinture jusqu’à se faire tatouer sur la peau l’histoire de son art.


© Léo Dorfner.


_Where are you rock stars © Léo Dorfner.

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© Léo Dorfner.

© Léo Dorfner.


_La mort d'Hercule © Léo Dorfner.

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_Le suplice de Prométhée © Léo Dorfner.


© Léo Dorfner.

Les icônes, idoles et fétiches sont des

De la peinture à la sculpture, la hache

plus présents dans votre œuvre. Com-

est très présente dans vos œuvres.

ment expliquez-vous cette fascination

A-t-elle un sens particulier dans votre

pour les religiosités et l’envie de les

démarche de plasticien ?

détourner ?

Je trouve que c’est un objet fascinant de part le fait que sa beauté est en contradiction avec son usage.

Premièrement parce que justement ce sont des icônes, dans ce sens que ce sont des images que tout le monde ou presque connaît. Cela veut dire aussi que ces images ont été produites en quantité, et qu’il est donc facile de s’en procurer. Je m’intéresse surtout à la représentation de corps/ figure et au prolongement de l’image, c’est à dire le fait de poser une image sur une image. C’est pour cela que j’utilise des estampes comme base de mon travail. Les deux grands sujets sont la mythologie grécoromaine et le religieux. Votre travail semble profondément autobiographique, alors que paradoxalement, des portraits de vos proches à vos autoportraits, vous brouillez les pistes de l’intime. Dites-nous en plus…

Je dirais plutôt qu’il s’agit d’autofiction, mais cet aspect-là de mon travail tend à s’effacer.

de l'humanité au XIXe siècle. Pour les artistes, il ne s’agit plus de représenter le réel, il faut aller au-delà. Vous citez parfois un extrait d’Alphaville de Jean-Luc Godard « Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale. La légende

Vous associez les contraires, réconci-

la recrée sous une forme qui parcourt

liez les antagonismes dans une forme

le monde ». Êtes-vous dans son sillage

visuelle en tension. Pourriez-vous

un créateur de légendes ?

nous livrer vos intentions secrètes ?

Je pense oui. D’ailleurs j’aime à penser mes peintures comme un film. Il y a toujours une narration, pas forcement évidente, et souvent une référence musicale voire cinématographique. Tous ces emprunts, ces morceaux d’histoires, de fiction, d’autobiographie, une fois mélangés produisent une nouvelle histoire qui pourrait être une légende et qui, je l’espère, parcourra le monde.

_Take a leap of faith © Léo Dorfner. _ © Léo Dorfner.

Je pense que ce qui sous-tend mon travail, c’est l’idée de pousser l’image dans ses retranchements, que cela soit en la modifiant, en la recouvrant ou en la combinant. Nous vivons dans un monde surchargé d’images. Toutes les deux minutes, nous prenons autant de photos que l'ensemble

Vos œuvres étaient présentes au Galeristes Art Fair fin 2017 au Carreau du Temple. Quel est votre prochain lieu d’accrochage ? Donnez-nous rendez-vous…

I am what I am le 8 fevrier à la ici gallery.

LEODORFNER.NET

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IDÉES, TISSUS ET PORT DE TÊTE LA FEMME S'ENTÊTE

La femme s’entête, pour des tissus, pour des couleurs, pour des tendances. Ce ne sont pas des caprices, ce sont des cadences, des souffles donnés à la mode, pour qu’elle habille comme elle respire. Et à la tête de « la femme s’entête », Sophie Jeandot rêve des vêtements qui participent à la vie de ses clientes.

D

DESIGN

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TEXTE AGATHE CEBE

PHOTO BENOÎT PELLETIER

Elle qui fut d’abord styliste et modéliste de formation, puis costumière à Paris, pour l’Opéra, le cinéma ou la publicité, elle n’a jamais cessé de croire en le pouvoir du sur-mesure et son savoir-faire ancestral. « J’ai toujours préféré le dessin et la conception à la couture, mais le goût est venu par la pratique. » confie Sophie Jeandot. De fil en aiguille, donc, l’idée de créer une collection s’est imposée, en duo dans un premier temps, de 2005 à 2010, puis en solitaire, depuis 2011. En solitaire, mais jamais à la dérive. La femme s’entête vogue sur un léger ressac qui efface à peine ses empreintes : Sophie sait d’où elle vient, et construit l’identité de son projet, au fil du temps, sur ses passions créatrices sans cesse renouvelées, sans cesse sollicitées. Entre et sous les hautes poutres du magasin, porteuses d’histoires, les collections choisies avec soin par Sophie s’étendent. Elle en connaît les provenances, les singularités.

Elle en parle comme elle conseillerait un livre : le choix du fil, les motifs jacquards, le point de tricot… Et au delà du vêtement, l’atelier et les mains qui ont œuvré, et derrière ces mains, un visage se dessine, presque familier. Le vêtement nous choisit presque autant que nous le choisissons. Et Sophie rend aux créatrices ce qui leur revient, car elle sait, elle connaît. Elle sait le temps passé, elle sait la recherche, la lumière dirigée, les yeux plissés sur l’ouvrage. Sophie crée, pour ses clientes, des modèles uniques. « C’est une histoire de goûts, de morphologies, d’état d’esprit… » Les projets étonnent toujours par leur diversité, et l’atelier, en arrière de la boutique, ne désemplit pas. C’est un battement de cœur parallèle. « J’ai des clientes très inspirées, qui viennent me voir avec un tissu improbable, totalement inattendu, et la création est en marche. Je fais des croquis, je leur montre, on travaille de concert. » Une histoire de partage, donc, mais aussi de confiance. Notamment lorsqu’il s’agit d’une robe de mariée, la spécialité de Sophie. La robe de mariée cristallise tous les plaisirs et toutes les exigences de Sophie. C’est le seul vêtement qui doive remplir un tel cahier des charges : correspondre à une silhouette, à un goût, à une identité, à un événement, à un idéal. « La confection d’une robe de mariée m’emporte dans un rapport intime avec la cliente, dans une

confiance aveugle. » et Sophie avoue qu’elle y investit autant de temps que d’affect. Dentelle graphique, dentelle fleurie, guipure, échancrure, fluidité bohème : le choix de matière naturelle signe chacune des robes. Les dentelles de l’atelier de Sophie viennent de France, de Caudry, d’ateliers centenaires. Consciente de s’inscrire pleinement dans l’histoire personnelle de sa cliente, la création de Sophie est en perpétuelle recherche, à l’affût de toutes les délicatesses. « Tout m’inspire. Pas seulement les miroirs tendus sur les réseaux sociaux. Mon passé de costumière donne à la culture toute l’importance qui lui revient pour m’inspirer dans mon travail. » Et son observation curieuse du monde se pique dans les tissus, s’étend dans un trait, une audace. La femme s’entête, mais elle a bien raison. Là où on sous-traite, où on délocalise, où on consomme en masse, là où on croit faussement qu’on a le choix, Sophie hoche la tête et propose son blason, tissé en fils précieux, aux couleurs de ses pièces uniques et de ses petites collections. « Être couturière, de nos jours, c’est presque un acte de résistance. »

LA FEMME S'ENTÊTE 12 RUE DE L'UNIVERSITÉ 51100 REIMS I N S TA G R A M . C O M / L A F E M M E S E N T E T E 03 26 06 95 52


Figure importante de l’art contemporain, Tania Mouraud a réalisé une sérigraphie « GET UP, STAND UP », tirée à cent exemplaires, qui vient compléter la collection d'œuvres du Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Champagne-Ardenne. Une jolie réussite pour l’association Les Amis du FRAC qui a sollicité cette artiste emblématique dont le travail autour du langage (entre autres) questionne les rapports de l’art et de la société. Portrait d’une artiste à la démarche citoyenne et humaniste. En 2015, elle exposait au Beaubourg Metz où une grande rétrospective témoignait des multiples facettes de son travail. Artiste atypique, Tania Mouraud n’a cessé de se réinventer depuis la fin des années soixante par le biais de médiums variés : peinture, installation, photo, son, vidéo, performance… Esprit libre, refusant tout attachement à un courant artistique, elle s’inscrit dans une démarche questionnant les rapports esthétiques entre l’art et la violence de notre monde. Pour autant, Tania Mouraud ne se définit pas comme une artiste engagée : « Cela me fait peur d’être rattachée à un groupe ou un mode de pensée. Je me considère davantage comme une artiste citoyenne, un être humain qui réfléchit sur la société. J’ai choisi de parler des choses qui m’importent au plus profond, de partager ce que je pense de ce monde. » PIONNIÈRE DU STREET ART

Dès ses débuts, Tania Mouraud fréquente les avantgardes les plus pointues  : Beuys, Fluxus, la Monte Young, Denis Oppenheim… tout en affirmant sa propre singularité. En 1968, de retour de la Documenta de Kassel, elle brûle la totalité de ses peintures. Depuis cet autodafé, geste artistique radical, elle s’adonne avec autant de pertinence à l’installation et à la vidéo qu’à l’intervention dans l’espace public, toujours ancrée dans des problématiques actuelles, qu’elle dénonce la société de surconsommation ou évoque les blessures de la mémoire, de la guerre, de la terre. Si plusieurs séries sont fondées sur l’emploi de mots, c’est surtout dans les années 80 que Tania Mouraud va traiter le langage comme une matière première. Avec ses « Wall paintings », elle explore le potentiel plastique de l’écriture. Toujours en noir et blanc, avec des lettres étirées et rapprochées à l’extrême, elle crée un univers graphique immédiatement reconnaissable. La lecture des messages (« I have a dream », « Woman is beautiful », « How can you sleep »…) est brouillée par les lettres transformées en éléments géométriques noir et blanc.

« À celui qui s’en donne la peine, l’œuvre sonne à la fois comme une déclaration et une confidence secrète tout en existant, en tant que forme plastique, de manière autonome » confie Tania Mouraud. Pas étonnant que toute une génération d’artistes la considère comme la marraine du Street Art. L’ART POUR TOUS

Le multiple, édité par les Amis du FRAC Champagne-Ardenne, s’inscrit dans cette lignée des « mots de forme » caractéristiques de l’artiste. « J’ai conçu une sérigraphie avec le texte Get Up, Stand Up, un des grands standards de Bob Marley dans les années 70, qui fait partie de mon paysage mental. La musique a toujours joué un rôle central dans ma vie, au plan personnel mais aussi dans ma pratique artistique. Le message pointe vers la responsabilité individuelle et le courage nécessaire pour entreprendre les rêves d’une société plus équitable » précise Tania Mouraud, qui n’a pas hésité à souscrire à l’idée d’un multiple. « Il est très important de rendre l’art accessible au plus grand nombre. J’avais déjà réalisé des sérigraphies pour l’atelier Tchikebe et j’aime l’idée de pouvoir proposer des œuvres à cent euros ». Tirée à cent exemplaires signés et numérotés, cette sérigraphie représente une belle opportunité pour les amateurs d’art d’acquérir une œuvre d’une artiste protéiforme, présente dans les collections de nombreux musées, qui ne cesse de se remettre en question. « Mon moteur est le plaisir de la recherche, souligne Tania Mouraud. Quand je commence à m’ennuyer, à épuiser un sujet, j’abandonne pour explorer de ASSOCIATION DES AMIS DU FRAC nouvelles voies ». Pour l’heure, CHAMPAGNE-ARDENNE cette féministe de toujours se Cette association réunit plus de 150 réjouit d’être nommée au prix adhérents qui souhaitent participer Aware 2018 qui distingue des au développement des actions du artistes femmes du XXe siècle. FRAC Champagne-Ardenne et, plus « On vit encore dans un monde généralement, au rayonnement de dominé par le schéma masculin l’art contemporain. Créée en 1996, du " sois-belle et tais-toi ". Il est l’association permet de découvrir essentiel de valoriser le travail le foisonnement de la scène artistique et de rencontrer des artistes des artistes femmes, souvent dans des conditions privilégiées à trop méconnu, comme celui travers des visites d’expositions, de de Barbara Kruger que j’adore galeries, d’ateliers, des conférences absolument. C’est une action et débats sur l’art contemporain… citoyenne ». On l’aura compris, à À toutes ces activités, s’ajoute la 76 ans, cette artiste éthique, touproduction de multiples d’artistes jours prête à analyser les dérives (25 à ce jour), édités en série limidu monde, dans ses mots et ses tée, numérotés et signés. images, n’a pas fini d’étonner. Une bonne occasion pour l’amateur d’art de débuter une collection à des prix accessibles.

R E N S E I G N E M E N T S E T R É S E R VAT I O N S A U 0 3 2 6 0 5 7 8 3 2 TA N I A M O U R A U D . C O M F RAC - C H A M PAG N E A R D E N N E . O R G

A

TANIA MOURAUD A RT I ST E E T H IQU E

ARTS VISUELS

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TEXTE ANNE DE LA GIRAUDIÈRE

PORTRAIT CHRISTIAN LEGAY


37 _GUSU, 2017 © Tania Mouraud.


CRÉATION ÉVÉNEMENT DE LA SAISON LYRIQUE, UN OPÉRA CONTEMPORAIN EXUBÉRANT OÙ S’ENTRECHOQUENT MUSIQUE ÉLECTRONIQUE, PERFORMANCES VOCALES, ORCHESTRE SYMPHONIQUE ET BANDONÉON.

L’OM B R E DE V E N C E S L AO

UNE ÉPOPÉE ARGENTINE   ICONOCLASTE

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Créée il y a un peu plus d’un an, la nouvelle production du Centre Français de Promotion Lyrique arrive à Reims précédée d’une réputation sulfureuse. Il faut dire que l’on ne va pas entendre L’ombre de Venceslao comme Le Voyage à Reims de Rossini… C’est du Copi, adapté et mis en scène par Lavelli, deux noms issus de la fameuse bande des Argentins qui, avec son sens du délire et de l’utopie, a révolutionné le théâtre à Paris à la fin des années 60.

société rurale d’un côté et urbaine d’un autre, avec les aspirations des uns, les perversions des autres, la recherche désespérée d’un Venceslao qui finira par se pendre, la quête de ces enfants attirés par la ville, miroir aux alouettes où les accents du tango s’éteindront sous les balles d’un énième coup d’État… tous ces ingrédients se croisent, se télescopent, s’empoignent pour composer un opéra au lyrisme exubérant. PERFORMANCES VOCALES

DON QUICHOTTE DES TEMPS MODERNES

Loufoque, iconoclaste, parfois salace voire franchement scatologique, le livret de L’Ombre de Venceslao risque de surprendre. « On y retrouve les thèmes récurrents de Copi, son goût de la transgression, sa fantaisie, sa liberté sans limites et un univers où les humains et les animaux coexistent » souligne Jorge Lavelli, qui avait déjà travaillé sur l’œuvre au théâtre. Les personnages gravitent autour de Venceslao, sorte de Don Quichotte déglingué des temps modernes, embarqué dans un voyage aux confins de l’absurde, qui s’achèvera avec le coup d’État renversant Perón en 1955. La description d’une

O

OPÉRA

39

TEXTE ANNE DE LA GIRAUDIÈRE

PHOTOGRAPHIES LAURENT GUIZARD

Côté musique, il fallait bien toute la liberté de Martin Matalon pour favoriser les folles péripéties de Venceslao. Le compositeur argentin a écrit une partition extrêmement riche et foisonnante, pour créer un univers sonore où un dispositif électronique se mêle aux sonorités de l’orchestre. « L’ensemble de la partition en deux actes, trente-deux scènes, plus l’ouverture et l’interlude, est articulé sur le thème du voyage. Chaque scène correspond à un mouvement dans cette trajectoire, ayant son propre caractère, sa propre couleur, sa propre instrumentation, sa dynamique et sa durée spécifique. Cela confère à l’œuvre un rythme très varié » précise Lavelli.

Terriblement difficile pour les voix, la partition utilise les registres vocaux les plus divers, du sprechgesang au récitatif en passant par la déclamation et le chant pur. Au service de cette œuvre exigeante, la jeune distribution se montre à la hauteur. À commencer par la soprano suisse Estelle Poscio (China) et la mezzo belge Sarah Laulan (Mechita) qui impressionnent tant par leurs performances vocales que par leur présence scénique. Thibault Desplantes campe un Venceslao imposant et puissant, mais aussi très émouvant. Les autres rôles se montrent tout aussi convaincants tandis que le danseur Jorge Rodriguez livre une magistrale leçon de tango. L’ensemble forme une saga épique, un bal des maudits fiévreux et joyeusement désespéré, avec son torrent de sons, de cris, d’orages et d’explosions où résonnent aussi tangos, milongas et bandonéons... Bref, un ouvrage audacieux et iconoclaste qui brise les conventions du grand répertoire. Copi ne pourrait que souscrire !

L’ O M B R E D E V E N C E S L AO À L’OPÉRA DE REIMS LE DIMANCHE 11 FÉVRIER À 14H30 OPERADEREIMS.COM


_Perfect home, 2017 © Speedy Graphito.

A

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ARTS VISUELS


DES PASSAGES PIÉTONS DE PARIS AUX MURS DE LA CITÉE DES SACRES, OLIVIER RIZZO ALIAS SPEEDY GRAPHITO MARQUE DEPUIS PLUS DE 34 ANS SA PRÉSENCE DANS LES RUES COMME DANS LES GALERIES DU MONDE ENTIER.

Dès sa sortie de l’école Estienne en 1983, il attire l’attention du public, du monde de l’art et des médias par ses peintures et pochoirs. Invité de l’émission Lunettes noires pour nuits blanches par Thierry Ardisson, il évoque un lien à l’histoire de l’art très marqué qui n’aura de cesse de résonner dans toutes ses œuvres et séries. Une œuvre plurielle et protéiforme, qui contrairement à son style reconnaissable par la houppette qu’il arbore depuis les années 80, change de manière quasiment compulsive. La rétrospective qui lui est consacrée au Palais du Tau du 27 janvier au 8 avril 2018 en témoigne. Dès la salle des voûtes, l’œuvre Bonjour je m’appelle Speedy Graphito et je fais ce qui me plaît, 1985, nous accueille et donne le ton de l’exposition. Elle n’est que le début d’un voyage surprenant dans les méandres de peintures et de sculptures où se mêlent une mythologie personnelle et une histoire partagée, universelle.

SPEEDY GRAPHITO A I N SI S O I T L A P I N T U R E

Ses œuvres hybrident en effet de manière étonnante des références à l’histoire de l’art, comme à une culture plus populaire. Elles croisent les figures les plus célèbres de l’histoire de la peinture avec des personnages de comics ou des marques de produits dans un univers fantasmé aux couleurs vives. Des murs parisiens sur lesquels il débute en 1983 aux cimaises du Palais du Tau, 34 ans de pratique et de recherches plastiques se déploient en une démarche en renouvellement permanent. Une activité débordante dont les dernières toiles produites pour sa rétrospective rémoise sèchent dans son atelier à l’heure où nous échangeons. Elles rejoindront sa dernière série Mon histoire de l’art dans la salle du couronnement de la Vierge pour parler, par une introspection décalée, de sa présence au monde et de son inscription dans l’histoire de l’art. Sur la toile The Map 2017 que je vous souhaite de découvrir au Palais du

Tau, les références se mêlent jusqu’à l’hybridation. Au cœur de cette œuvre les figures de Miró rencontrent le personnage de Takashi Murakami ou la banane d’Andy Warhol. Comme elles s’entremêlent de manière volontairement anachronique avec le personnage de Marvin le Martien ou un Rubik’s cube posé au sol. En émane un monde fantasmé, percutant, qui fouille et bouscule notre mémoire collective. De l’intimité de son atelier aux murs de Paris ou de New-York, ses pinceaux, ses pochoirs murmurent à chacun d’entre nous une histoire commune. Elle est une invitation au voyage à travers l’intimité que l’artiste nous livre dans le film Ainsi soit Lapinture, projeté à la Cartonnerie de Reims le 24 février. Un film documentaire retraçant plus de 3 ans de création à travers le monde, mais également une injonction aux résonnances mystiques. Tentons d’en savoir plus sur cet artiste qui va marquer de son empreinte l’histoire rémoise.


_Urban smile, 2016 © Speedy Graphito.

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On perd en spontanéité mais on gagne en visibilité.

Les lecteurs de Process Magazine sont curieux des processus de création. Comment sélectionnez-vous et compilez-vous les références qui composent

Vos secrets de production nous

vos œuvres avant de les coucher sur

intriguent. Dites-nous en plus sur

vos tableaux ?

le processus de production de vos

Mes premières compilations datent de mon enfance. À l’époque, internet n’existait pas. Il me fallait aller emprunter des livres à la bibliothèque. C’était compliqué donc je reproduisais surtout des objets présents à la maison comme un buste de Beethoven, un vase ou un paquet de céréales. Aujourd’hui, avec internet, j’ai accès à un flot discontinu d’images. Je stocke les images qui captent mon attention ou qui répondent à une recherche sur mon ordinateur. J’ai alors une formidable banque de données dans laquelle je vais puiser le moment venu lors de la composition de mes toiles, à la manière de collages surréalistes.

murs…

_What's up dock, 2017 © Speedy Graphito.

ment j’aimais lire de la bande dessinée. Je n’ai jamais dissocié les genres car toutes ces images font partie de ma culture et ont fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sortir les images de leur contexte et leur donner la liberté de s’exprimer en dehors de conditions reste une source d’inspiration importante.

Sur ce genre de projet, j’aime avoir une photo du mur pour réfléchir à un visuel. Il me faut ensuite calculer la peinture nécessaire, trouver les meilleurs outils en fonction de la matière du mur et gérer la logistique. L’inspiration se fait en rapport avec mes interrogations artistiques du moment et se réveille souvent peu de temps avant la réalisation. J’aime être en phase avec ma création donc les maquettes se créent au dernier moment. À l’heure où votre pseudo est connu

Vos productions sur les murs pari-

internationalement et où l’art urbain

siens imposaient à vos débuts une

trouve enfin une véritable place dans

rapidité d’exécution indissociable

le milieu de l’art en France, que vous

Votre approche de la création est

d’une certaine forme d’interdit voire

souhaiter de mieux qu’une recon-

singulière, car elle lie aux sujets puisés

de répression. Avec la notoriété et

naissance accrue dans les institutions

dans l’histoire de l’art, une culture

les commandes de « murs », votre

muséales ?

plus populaire, qui semble témoigner

manière de produire a-t-elle pour

d’une véritable philosophie de vie.

autant radicalement changé ?

Pourriez-vous nous en dire plus ?

Oui, bien sûr. Je n’ai jamais trouvé de plaisir dans l’interdit. Si je peignais un mur c’était parce que l’envie était plus grande que la peur de la répression. Aujourd’hui, le street art est devenu populaire et sa marginalité a été remplacée par une médiatisation hors norme. Si je peins un mur, j’ai envi de prendre le temps car je sais par avance qu’il va être photographié et diffusé sur les réseaux sociaux.

Le Musée du Touquet Paris-Plage a ouvert le bal avec ma première rétrospective en 2016. J’avoue que cela m’a causée une impression contradictoire. D’un coté, j’ai été flatté de voir mon travail récompensé et de rejoindre la grande famille de l’art, de l’autre j’ai l’impression de n’avoir pas encore été au fond des choses. Il me reste encore tellement de choses à dire, à vivre, à peindre que ma vie n’y suffira pas.

Je n’aime ni les frontières, ni les étiquettes. Pour moi, le monde est un. Il me paraît donc naturel de puiser mes sources d’inspiration dans tous les champs visuels qui m’entourent. Je me sers de mon vécu pour témoigner de mon histoire, pour exposer ma vision du monde à travers le filtre du ressentir. L’histoire de l’art m’a depuis toujours passionné. Parallèle-

E X P O S I T I O N D U 2 7. 0 1 A U 0 8 . 0 4 .1 8 DE 9H30 À 12H30 ET DE 14H00 À 17H30 S A U F L E L U N D I A U PA L A I S D U TA U 2 PLACE DU CARDINAL LUÇON 51100 REIMS PA L A I S - D U -TA U . F R

PROJECTION DU FILM « AINSI SOIT LAPINTURE » 2 4 F É V R I E R À PA R T I R D E 1 9 H À L A C A R TO N N E R I E 84 RUE DU DR LEMOINE 51100 REIMS CARTONNERIE.FR S P E E DYG RA P H I TO . F R E E . F R

TEXTE HÉLÈNE VIRION

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_Aquarium, 2016 © Speedy Graphito. _The map, 2017 © Speedy Graphito. _Nothing is better than a burger, 2016 © Speedy Graphito.


DU PLATEAU   À LA RECONQUÊTE   DES PISTES DE DANSE

Depuis plusieurs années il y a comme un nouveau souffle sur la danse contemporaine (et dans tous les arts vivants). La furieuse envie des chorégraphes de retrouver les dancefloors et de renouer avec les fondamentaux de la danse marque un renouvellement discret mais sans doute essentiel dans le secteur du spectacle ; un vent de liberté retrouvée pour insuffler une énergie contagieuse. Ça groove, ça électrise, ça bouillonne, ça respire !!! « J’avais 14 ans, et c’était l’été, […] Sur la piste de danse on fait notre entrée, Teeshirt blanc moulant sous l'ultra-violet, Sur la piste de danse on fait notre entrée, On a quatorze ans et on sait danser, » Barbara Carlotti décrit à merveille ces périodes que nous avons tous connues. De la boîte de nuit du coin, aux soirées estivales, d’un night-club pourri à un bal populaire, d’une rave party à un appart enfumé, danser reste une pratique universelle et sociale, un révélateur de nos sociétés. Considéré comme la première expression artistique de l’humanité, la danse est un fabuleux moyen d’expression qui parcourt l’histoire de l’art depuis des millénaires. Sa perception est en perpétuelle évolution dans des sociétés qui le sacralisent, le bannissent voire le cachent. Si on revient rapidement sur l’histoire de la danse contemporaine, la rupture qui a été créée entre les pratiques dites « populaires » et institutionnelles est la fondation des plateaux de danse actuels. Au Moyen âge, danser était associé aux fêtes païennes, et cette période a considérablement marqué la représentation de la danse en Occident. Les bals étaient, d’une certaine façon, les dance-floors de l’époque, lieux de rencontre sans boule à facette, plutôt à la lumière de la lune. C’est Louis XIV qui institutionnalise la pratique chorégraphique. Elle se codifie, la virtuosité du danseur devient un paramètre de la représentation. La danse contemporaine, elle, est née d’une révolution artistique au début du XXe siècle. Traversée par les faits sociaux, parcourue par des écoles, des relations aux autres arts, elle voit actuellement une résurgence de sa relation aux danses populaires. Une réconciliation entre les formes de tous et de chacun, particulières et singulières ; la piste de danse investit l’espace de représentation. Pina Bausch avec son chef d’œuvre Kontakthof en 1978 avait propulsé le bal sur scène, sphère d’amour et de désirs. À présent c’est toute les bandes-sons des trente dernières années qui investissent la scène. Du rock à la free, la techno et le disco, les salles de spectacle se reconnectent avec une part de festivités. Christian Rizzo déploie son amour nostalgique de la new-wave avec le Syndrome Ian, hommage à Joy Division, en donnant à sa pièce des allures de grande hymne aux années 80. Thomas Lebrun décide carrément de mettre en scène des solos de clubbeurs. Parfois grotesque, touchant et avec ses spécificités, chacun défend sa propre chorégraphie rappelant John Travolta dans la fièvre du samedi soir, les

boîtes gays et la fragilité de celui qui révèle sa personnalité unique. Durant le festival Reims Scènes d’Europe, le Manège invite la Horde avec To Da Bone, « jusqu’à l'os », créée avec des danseurs de jumpstyle recrutés via internet. Cette pratique issue des réseaux sociaux fédère une communauté qui la propulse à un niveau international. La Horde aborde, comme l’a fait Blanca Li avec Elektro Kif pour la tecktonik, toutes ces danses nées hors des cadres habituels. Le mouvement est transcendé par les chorégraphes qui signent un intérêt pour l’altérité et la variété des pratiques. Giselle Vienne, avec son spectacle Crowd sublime une rave. Gestes ralentis et décortiqués comme pour mieux souligner la solitude dans la foule. Force de l’individualisme qui cherche à se rapprocher du spirituel et qui renoue avec la catharsis antique, celle qui libère les émotions et nous met face à une société dans laquelle l’individu recherche désespérément des espaces de respiration. Tout cela renvoie finalement aux prémices du mouvement ; la transe pour se connecter aux forces mystiques… Dans la pièce de Rizzo, encore, Sakinan Göze Çöp Batar (C'est l'œil que tu protèges qui sera perforé), le danseur seul en scène entre en transe, la vibration résonne dans tous les recoins de la salle, nous laissant, nous spectateurs immobiles, emplis d’une énergie qui met dans un état de vertige, comme en apesanteur, pour repartir quelques temps sur de nouvelles bases. C’est en cela que résident les forces des dance-floors et des plateaux, nous coller la rage au corps, le désir de se sentir exister. Et, peut-être, se raccrocher à un essentiel corporel que la société efface, une relation avec nous-mêmes qui nous relie à une puissance libératrice. Alors allez dansez de temps en temps, voir un spectacle, et renouez avec votre petite impulsion intérieure, celle de vos chorégraphies dans les salons durant votre enfance !

P O U R P O U R S U I V R E V O T R E E X P L O R AT I O N GISELLE VIENNE CROWD G - V. F R / F R THOMAS LEBRUN LES ROIS DE LA PISTE CCNTOURS.COM/DIFFUSION/LES-ROIS-DE-LA-PISTE

L ' A S S O C I AT I O N F R A G I L E C H R I S T I A N R I Z Z O CHRISTIANRIZZO.COM

TO DA BONE LE 13 ET LE 14 FÉVRIER 2018 AU MANÈGE DE REIMS MANEGE-REIMS.EU


D

DANSE

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TEXTE FRANÇOISE LACAN

© LAURENT PHILIPPE

© THOMAS LEBRUN


LE 31 OCTOBRE 2016, UN GRAND BÂTIMENT VOUÉ À L’ABANDON OUVRAIT GRAND SES PORTES DURANT TROIS MOIS À DES ARTISTES, DES PORTEURS DE PROJETS, DES ENTREPRENEURS, POUR UNE EXPÉRIENCE COLLECTIVE ASSEZ INÉDITE. EN TROIS MOIS, UN SKATE PARK S’EST CONSTRUIT, UN PETIT BAR-RESTO S’EST ÉTABLI, MAIS AUSSI UNE SALLE DE RÉTRO GAMING, UN JARDIN INTÉRIEUR, DE L’AQUAPONIE, UN PIANO. D’ÉTAGES EN ÉTAGES, LES MURS SE SONT PEINTS DE FRESQUES INATTENDUES, LES BUREAUX SE SONT REMPLIS, PEUPLÉS, LES ESPACES DE VIE ONT ACCUEILLI DES SPECTACLES D’ARTS VIVANTS, DU THÉÂTRE, DE LA MUSIQUE. UNE ÉBULLITION HORS DU COMMUN AGITÉE PAR DES RÉSIDENTS PLEINS DE FERVEUR, MAIS AUSSI PAR DES TÊTES PENSANTES AUX IDÉAUX SINGULIERS. NON, QUARTIER LIBRE NE RENAÎT PAS, NI NE SE RÉVEILLE D’UN LONG SOMMEIL DE PRINCESSE. QUARTIER LIBRE N’ÉTAIT NI EN HIBERNATION, NI CRYOGÉNISÉ. ENTRE LA FERMETURE DES PORTES DU 12 RUE DES FILLES DIEU LE 31 JANVIER 2017 ET AUJOURD’HUI, QUARTIER LIBRE A OPÉRÉ DES RECHERCHES, DES AJUSTEMENTS, DES MUTATIONS. TOUJOURS DANS CET ESPRIT PHILOSOPHIQUE LIBERTAIRE ET POSITIF, QUARTIER LIBRE ET SES ACTEURS ONT À CŒUR DE BOUSCULER L’ENTENDEMENT, SANS JAMAIS SE SUBSTITUER À QUI OU QUOI QUE CE SOIT. QUARTIER LIBRE EST. QUARTIER LIBRE FAIT. NOUS RENCONTRONS ARNAUD BASSERY, CO-FONDATEUR, ENTHOUSIASTE SANS LIMITE, SOUS LES FANIONS ACCROCHÉS AU PLAFOND DE SON BUREAU.

I

IDÉES

VISIONNAIRE SUBTIL


Peut-on parler d’évolution ?

Quartier Libre a effectivement évolué. Arnaud Bassery nous rappelle que la structure passe d’une association à une SAS, Société par Actions Simplifiées, Le Bloc, qu’il dirige avec Maxime Valette. « L’entreprise, c’est un outil, elle ne change rien au projet. Il n’y a pas de fantasme derrière. L’expérimentation associative de 2016 a favorisé le dynamisme. Si la pérennisation se tourne vers la SAS, c’est pour la réactivité, l’adaptabilité et l’agilité qu’elle suggère. » précise Arnaud Bassery. On ne peut que le croire sur parole. Pourtant, même sans tirer de plans sur la comète, l’entreprise a besoin d’une petite dose de business. « Effectivement, les comptes doivent être à l’équilibre pour que Quartier Libre ne soit pas une utopie. Cette offre nouvelle répond à de réels besoins à Reims. » Des besoins de porteurs de projets, de petites et moyennes entreprises, des besoins d’aides matérielles et financières, des besoins de locaux, de moyens audiovisuels. Quartier Libre souhaite ouvrir cette boîte à outils multidimensionnelle. Ainsi, dès mi-mars, ce sont deux bâtiments de 1000 m2 qui vont ouvrir leurs portes pour quatre ans. Un bâtiment laboratoire, d’abord, d’expériences, proposant des résidences, des temps de création, un showroom évènementiel, un bar à champagne associé aux Apérovores. À quelques rues, un deuxième bâtiment dédié à la forme

_ Les futurs locaux de Quartier Libre

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TEXTE AGATHE CEBE    PHOTOS AXEL CŒURET

entrepreneuriale, avec un espace projets, des bureaux, du coworking, une pépinière, des outils audiovisuels et des permanences administratives – banques, CCI… Les bureaux de cet espace sont d’ores et déjà tous réservés. Alors, pour pallier le manque, un troisième bâtiment s’ajoute au parc Quartier Libre. Avec des bureaux, à louer, au cas par cas, selon les besoins. L’évolution majeure, ce sont ces 3000 m2 qui distinguent parfaitement les différents pôles de travail. Est-ce une révolution ?

Quartier Libre ne coupe pas de têtes. Une révolution, oui, mais sans violence. « On bouscule juste un peu… » sourit Arnaud Bassery. « On ne renverse rien, on crée l’alternative. » En ne voulant entrer dans aucune case, le projet Quartier Libre les propose toutes aux entrepreneurs qui sont en quête de soutien solide. Le but, c’est d’avoir le choix des cases à cocher. Mais aussi le choix de pouvoir toutes les cocher. Quartier Libre est encore dans une projection idéale. La réflexion se fait au jour le jour. « Nous voulons que la matière grise humaine se transforme en des choses incroyables. » Ce qu’Arnaud Bassery appelait l’année dernière de l’arrogance s’est transformé en fougue. « Notre jeunesse est un alibi, une séduction. » Et la fougue devient actions ?

« Il faut prouver les concepts qu’on a. » Arnaud Bassery croit en l’action comme seul mécanisme du succès. À condition d’y aller étape par étape.

« Un projet n’a jamais de fin, il prouve sa légitimité en se démenant dans du concret. » C’est une force et une limite en même temps. Car Arnaud et Maxime ne savent pas encore ce qui peut agiter ces actions. « On n’en sait rien mais on y va ! » Quartier Libre va proposer, à Reims, un espace d’actions en faveur des entrepreneurs, mais avec de la médiation. Il s’agira de toujours bien expliquer ce qui est proposé, les succès, les échecs. Une expérience à plusieurs qui n’en finira pas de se nourrir des actions pour en créer d’autres, mais sans les connaître à l’avance. Vous suivez ? Une partition inédite ?

S’il existe des exemples comparables à Quartier Libre, il n’y a pas d’autres modèles sains d’argent public. C’est aussi pour ça que tout est à définir. Pas d’argent public, entreprise privée, mais actions pour la collectivité. L’ensemble réclame de la vigilance dans son écosystème. Politiquement, aussi, Quartier Libre marche sur des œufs. « Nous voulions sortir des discours, mais le vocabulaire de Quartier Libre en 2016 est celui du gouvernement 2017. » Visionnaire, Arnaud Bassery ? « Seulement jusqu’au bout de mon nez » s’amuse-t-il. Le rendez-vous est pris, néanmoins, dans quelques semaines : la partition Quartier Libre s’est dotée de ces accords majeurs. Restent les harmonies, à ajouter, au jour le jour, par des résidents, agitateurs de méninges plus qu’objecteurs de consciences.

QUARTIERLIBRE-REIMS.COM


FIGURES N AT HA N Z A H E F DJ

NOM

Nathan Zahef. PROFESSION

Black sympa. ÂGE

21 ans. PLUS BEAU SOUVENIR

Le festival qui embrouille qui. UN RÊVE

Le bonheur de mes parents. UNE PASSION

La memologie.

VOTRE VISION DE REIMS

Reims est ma base et mériterait plus d'implication de la part des différents acteurs locaux et plus de lieux comme la guinguette.

PHOTOGRAPHIE SYLVÈRE HIEULLE

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La CitĂŠ de l'Automobile ZAC Croix Blandin

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