Dictionnaire de la Nature en Bretagne

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Franรงois de Beaulieu Illustrations de

Sandra Lefranรงois

Dictionnaire de la nature en Bretagne

Skol Vreizh


À Jean-René Le Quéau et Paolig Combot sans qui cet ouvrage n’existerait pas. François de Beaulieu

Publié avec le concours de la Région Bretagne, des départements du Finistère, de Loire-Atlantique et du Morbihan. Maquette et mise en pages : Olwenn Manac’h (www.olwenn-manach.com) ISBN 978-2-915623-84-0 Créé, édité et imprimé en Bretagne.

© SKOL VREIZH, 2011 41 quai de Léon - 29600 Morlaix www.skolvreizh.com skol.vreizh@wanadoo.fr


Une belle aventure

l est des aventures qui vous entraînent pendant quelques jours ou quelques mois dans l’imprévu et les découvertes. Il est d’autres aventures, au long cours, dont on ne prend la mesure qu’en regardant, longtemps après, le chemin parcouru. Celle qui a conduit à ce dictionnaire de la nature en Bretagne a commencé en mars 2002, quand Le Télégramme a souhaité pour sa nouvelle formule que Bretagne Vivante-SEPNB s’implique dans une rubrique hebdomadaire sur la nature bretonne. Il fallait pour cela un porte-plume en mesure d’assurer une production hebdomadaire aux normes de la page magazine. Si j’ai pu assumer ce rôle, ce n’est pas seulement parce que j’avais déjà beaucoup écrit sur la nature, mais surtout parce que j’ai toujours trouvé des informateurs, des relecteurs et des collaborateurs généreux, patients et qualifiés. Presque chaque article a bénéficié des conseils d’un naturaliste ou d’une association spécialisée et nul ne sait mieux que moi à quel point on peut se fourvoyer quand il s’agit de faire tenir l’univers d’une espèce en trois petites pages. Grâce au travail de René-Pierre Bolan, le responsable bénévole de la photothèque de Bretagne Vivante et aux dizaines de photographes qui ont prêté leur concours, j’ai pu trouver les illustrations sans lesquelles il n’y avait pas d’article possible. Dominique Py, puis Serge Le Huitouze, ont été les indispensables, patients et rigoureux correcteurs de mes distractions et de mon ignorance. Alain Thomas, enfin, a contribué de toute son expérience et de toute sa sensibilité aux révisions indispensables à la présente édition. D’abord coincée à côté des chiens à adopter, la « page nature » a pu prendre de l’ampleur et composer un véritable ensemble avec les brèves de bas de page préparées par la rédaction. Les échanges avec l’équipe des pages « magazine » ont toujours été très positifs et je souhaite à tous les pigistes de travailler avec des journalistes comme Corinne Abjean. En fait, ce n’est pas la première fois qu’une rubrique naturaliste est rédigée par un adhérent de la principale association de protection de la nature régionale. Au début des années 1970, le journal a accueilli chaque semaine sous le titre « Oiseaux de Bretagne » une photo

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et un texte signés Édouard Lebeurier (1892-1986). Je ne peux donc prolonger sans émotion une formule inaugurée par ce Morlaisien, ornithologue et botaniste exceptionnel, que j’ai eu la chance de connaître. Je peux d’autant moins l’oublier que j’écris désormais face à sa maison et que le souvenir de son savoir réellement encyclopédique et de son doute méthodique m’oblige à penser à chaque instant au long chemin qui me reste à parcourir avant de pouvoir affirmer une certitude. Le format des articles parus dans un journal ne permet pas de tout dire. C’est bien normal puisque même un ouvrage entièrement consacré à une seule espèce n’est jamais que la synthèse de beaucoup d’autres travaux et de quelques observations nouvelles. La cage des mots n’est jamais assez grande. De plus, à vouloir trop dire, on court le risque d’être vite démenti. Ainsi, la valse hésitation des ministres en charge de l’écologie a déjà modifié plusieurs fois le statut de certains petits carnivores : en mars 2002, la belette, le putois et la martre des pins avaient été retirés de la liste des espèces dites nuisibles tout en restant chassables ; elles y ont été réintégrées en novembre de la même année sans qu’aucun argument scientifique nouveau ne soit, bien sûr, avancé pour souligner une abondance particulière de l’une ou l’autre de ces espèces. Je souhaite en fait m’inscrire dans la lignée de ces encyclopédies qui n’hésitaient pas à se proclamer « populaires » et qui ont longtemps nourri mes curiosités. J’ai donc fait le choix de privilégier ici les espèces sauvages les plus banales et les plus accessibles au commun des mortels. C’est pourquoi les oiseaux occupent à eux seuls presque la moitié de l’ouvrage alors que les invertébrés ou même les plantes ne peuvent avoir une représentation proportionnelle à leur importance numérique. Il n’en sera pas moins aussi question, parfois, d’espèces rares, quasi invisibles ou ignorées pour, justement, donner une idée de ces univers qui n’appartiennent pas à notre quotidien mais qui, bien plus qu’on ne l’imagine, en conditionnent la qualité. On trouvera aussi dans les pages qui suivent quelques vaches, chèvres et moutons comme on croi5


sera également l’ibis sacré et le vison d’Amérique, le ragondin et le rat musqué… Qui peut dire où passe la frontière entre le sauvage et le domestique ? Et si elle passe quelque part, elle est de toute évidence bien poreuse dans les deux sens. Qu’on ne compte donc pas sur moi pour la figer. Le but de cet ouvrage est d’abord de donner les éléments de base dont chaque Breton curieux de nature peut souhaiter disposer quant aux espèces qu’il peut rencontrer en Bretagne. J’y ajoute trois objectifs : d’abord ne pas oublier les savoirs naturalistes populaires et la part de la culture qui s’enracine dans la nature ; ensuite ne pas oublier qu’il n’y a pas de sujet ennuyeux mais seulement des articles bâclés ; enfin qu’il s’agit de s’adresser d’abord à ceux et celles pour qui la connaissance et la protection de la nature ne sont pas des priorités. Les éditions associatives Skol Vreizh ont eu le courage de s’engager dans l’aventure pour lui donner une forme nouvelle alors que le seuil des 500 articles publiés est atteint. En laissant de côté tous ceux qui ont fait la part de l’actualité et du périssable, il en reste quelque 374 pour donner un reflet assez fidèle des principales espèces qui constituent la faune et la flore de la région (et, on l’aura remarqué, de la lecture pour chaque jour de l’année). La réalisation de ce dictionnaire n’a été possible que grâce à l’engagement courageux de la dessinatrice Sandra Lefrançois. Elle donne l’unité graphique indispensable à l’ensemble et ses qualités artistiques apportent un regard renouvelé sur la nature.

Le lecteur voudra bien garder à l’esprit que si les pages de ce livre peuvent lui offrir un instant d’évasion, leur but principal n’en est pas moins de dresser un plaidoyer pour la sauvegarde de la biodiversité ici et maintenant. Je m’attache tout particulièrement, quitte à être un peu répétitif, à ce que chaque article ne s’arrête pas à une pure description d’une espèce mais explique ce qui conditionne sa présence et ce que sont nos responsabilités. Nous pourrons donner des leçons à l’Inde pour ses tigres et au Tchad pour ses éléphants quand nous auront fait le nécessaire pour notre mulette perlière, notre sterne de Dougall, notre hermine, notre saumon et notre œillet des dunes. Il faut cesser de considérer le chapitre « biodiversité » des programmes politiques comme, au mieux, la petite fleur qui fait joli mais comme un élément central qui sert de clé de voûte à une société plus harmonieuse. L’aventure, je ne l’oublie pas, s’est aussi déroulée avec les lecteurs dont j’ai senti monter la curiosité et la fidélité. Beaucoup ont répondu aux appels lancés pour affiner la cartographie du machaon, de la cantharide ou des amphibiens et reptiles de Bretagne. Les messages spontanés m’ont aussi apporté des idées, des photographies et des témoignages qui m’ont lancé sur de nouvelles pistes. Et quand, au guichet d’une banque ou au coin d’un champ, on me demande de quelle espèce il sera question la semaine suivante, j’y vois le plus bel encouragement qui soit à continuer l’aventure. Coatserho, le 1er mai 2011


Pourquoi protéger la nature ? Une évidence partagée par tous aujourd’hui, mais qui passe au second plan dès lors qu’il s’agit de la traduire par des mesures concrètes : la protection de la nature mérite bien un petit argumentaire.

uand un petit insecte nommé vulgairement pique-prune bloque pendant six ans un projet d’autoroute, quand une petite fougère oblige à s’interroger sur le bien-fondé d’une rocade, quand la présence d’oiseaux impose de détourner un sentier de randonnée, on se récrie à qui mieux mieux contre les excès des « écologistes ». Sans doute oublie-t-on un peu vite que, bien souvent, c’est faute d’avoir mené à temps des études sérieuses, préservé des espaces sauvages plus étendus, mené des projets moins grandioses.

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Pour la science

Pour sauver la culture et l’homme

Pour prendre un peu de recul, on peut donner cinq brèves réponses principales à la question posée en titre. Elles sont d’ordre scientifique, écologique, économique, culturel et moral. Chaque jour, les spécialistes découvrent de nouvelles espèces animales ou végétales, observent des comportements inédits, analysent des composants inconnus. Il est donc vital pour nous de ne pas brûler au hasard certaines pages du livre avant de les avoir lues.

La civilisation des hommes s’est construite et diversifiée en étroit contact avec les bêtes et les plantes. Nos langues et nos croyances reflètent encore notre si longue cohabitation. Bien qu’entrés dans le troisième millénaire, nous avons encore besoin d’arbres, de fleurs, d’oiseaux et de loups vivants pour communiquer et rêver. Enfin, force est d’abandonner l’idée que nous seuls mériterions d’être préservés. Nous nous sauverons avec les autres êtres vivants ou nous périrons ensemble.

Pour l’équilibre général

Que faire ?

Quelques dérèglements climatiques ont récemment accéléré la compréhension du problème : la fine couche de vie qui s’est développée sur la planète va devoir affronter encore bien des bouleversements. Qui peut dire aujourd’hui comment les écosystèmes vont s’adapter aux nouvelles conditions ? Nos variétés domestiques de plantes et d’animaux n’ont-elles pas été rendues bien fragiles par des sélections toujours plus poussées ? Pourrons-nous compter sur des ressources naturelles en bon état ? Quant à l’économie, ne trouve-t-elle pas régulièrement son compte quand elle peut utiliser une eau pure, des molécules nouvelles venues de végétaux, des modèles de structures imitées de celles expérimentées par des invertébrés ?

Chacun, là où il est, peut contribuer à la protection de la nature. Chacun chez soi peut avoir les gestes qui font la part de l’avenir : éviter les achats énergivores, trier les déchets, désherber autrement qu’avec des produits de synthèse… Il est toujours possible de participer à des actions de protection près de chez vous : contribuer à l’entretien ou à la surveillance d’un site, coller des enveloppes (oui, la protection de la nature passe par beaucoup d’actions de secrétariat hautement spécialisées). Vous n’avez pas de temps ? Il vous reste la possibilité d’adhérer et de faire des dons à des associations agréées. Enfin, il est essentiel de s’informer précisément pour agir, au travail ou en vacances, en toute connaissance de cause.

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Abeilles Il y a plus de mille espèces d’abeilles en France. Toutes ensemble assument un rôle capital pour le bon fonctionnement de la nature. Une seule a été domestiquée sans perdre, pendant des siècles, les caractéristiques de l’espèce sauvage. Mais récemment, les hybridations et les maladies l’ont mise en péril et sa sauvegarde est à l’ordre du jour, tout spécialement en Bretagne.

nviron 80 % des espèces végétales dans le monde dépendent de la pollinisation par les insectes. Les plantes, en effet, ne peuvent se déplacer et il n’est pas souhaitable qu’elles s’autofécondent. Pour transférer le pollen des fleurs mâles vers les fleurs femelles, diptères, coléoptères, papillons jouent leur rôle mais nul auxiliaire n’est aussi efficace que les abeilles. Il y a un bon millier d’espèces d’abeilles sauvages en France. La plupart mènent une existence solitaire, chaque femelle vivant seule dans son nid ; certaines ont une vie sociale plus complexe. C’est bien sûr le cas de l’abeille noire.

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Des adaptations aux conditions locales C’est dans une île que pousse le narcisse des Glénan, seule fleur propre à la Bretagne ; c’est à BelleÎle qu’on a retrouvé des moutons de la race de Deux que l’on croyait disparue ; c’est à Ouessant que se jouent les dernières chances de l’abeille noire européenne (Apis mellifera mellifera). En effet, si l’île n’a pas su conserver ses vaches, ses chevaux et même ses moutons nains, elle retrouve une fonction capitale dans la préservation de souches d’abeilles indemnes des maladies et des pollutions génétiques qui marquent celles du continent. Depuis de nombreuses années, les apiculteurs de France et d’ailleurs ont, comme tous les éleveurs, tenté d’améliorer leur cheptel. En introduisant dans leurs ruchers des reines de sous-espèces européennes plus productives (A. m. carnica, A.m.ligustica, A. m. caucasica), ils ont engagé une dérive génétique incontrôlable. Aujourd’hui, il n’est peut-être plus en France que quelques vallées montagnardes pour conserver des 10

souches d’abeilles noires. Quelques vallées montagnardes et… finistériennes puisque ce département a été beaucoup moins touché que d’autres par l’introduction d’abeilles exogènes. L’abeille noire européenne a mené la conquête de l’ouest du continent et des îles Britanniques depuis la fin de la dernière glaciation. La plasticité des espèces avait jusqu’ici créé des « écotypes » adaptés à chaque région, à chaque climat, à chaque type de miellée. Ces écotypes diffèrent, tant par leur morphologie que par leur comportement. Ainsi, notre abeille noire bretonne a, comme son nom l’indique, une pigmentation sombre qui lui permet une meilleure absorption des rayons solaires (ce dont se préservent les abeilles italiennes plus jaunes) ; ses poils sont particulièrement longs (40 % de plus que les autres sous-espèces) et lui permettent ainsi de rapporter du pollen par mauvais temps ; ses ailes plus puissantes et sa taille plus grande offrent une meilleure capacité à travailler dans le vent et à transporter de plus importantes quantités de produits (moins riches en sucres sous climat océanique). Par ailleurs, l’abeille noire sort tôt le matin pour recueillir la rosée, module sa ponte selon l’abondance de pollen au printemps et se concentre sur le nectar lors de la miellée. Le développement de la colonie est « calé » sur le calendrier local des ressources en pollen et en nectar. En mesurant sur une cinquantaine d’abeilles par colonie des caractères biologiques spécifiques (longueur de la langue, angles des nervures des ailes, taches de couleur, etc.), on peut déterminer si l’on a affaire à de véritables abeilles noires ou à des formes plus ou moins métisses. Ces données recoupent les résultats d’analyses génétiques menées à l’université de Copenhague qui montrent la parenté des abeilles noires bretonnes avec celles des îles Britanniques et les remarquables différences qui caractérisent les autres sousespèces européennes ou africaines.


Rucher conservatoire C’est un petit groupe d’apiculteurs finistériens qui a compris dès 1987 que la région avait conservé un patrimoine presque unique en France. En décembre 1989, ils se sont retrouvés à sept pour fonder l’Association pour la conservation et le développement de l’abeille noire (ils étaient dix fois plus dix ans plus tard !). Sous la conduite de leur président Georges Hellequin (malheureusement décédé en 1999), l’association veut tirer parti de l’éloignement de l’île d’Ouessant pour conserver l’écotype breton. En y développant un rucher conservatoire, il y a toutes les chances pour que les abeilles y soient à l’abri d’un contact avec des souches métisses. Un arrêté municipal interdit d’ailleurs toute importation non autorisée « d’abeilles étrangères » depuis mars 1991. La « masse critique » d’une cinquantaine de ruches en activité étant atteinte, la première récolte de miel a eu lieu en juillet 1998, mais le but, bien sûr, n’est pas la production. Non seulement les colonies insulaires doivent être suivies avec constance, mais, les abeilles ayant horreur de la consanguinité, des échanges avec le continent doivent être maintenus. Des « annexes » sont donc suivies dans les monts d’Arrée. De plus, les adhérents de l’association peuvent disposer de larves (le couvain) leur permettant d’élever des reines de pure souche afin de maintenir un maximum de foyers de résistance à l’hybridation généralisée. Longtemps unique en France, l’association pour la sauvegarde de l’abeille noire participe en fait à une véritable « internationale » apicole qui, d’Oslo à Dublin, tente de préserver un patrimoine unique et irremplaçable. Elle est, fort heureusement imitée ailleurs en France pour sauver un patrimoine essentiel.

La vie et la mort Pendant des siècles, la Bretagne a exporté son miel dans toute l’Europe du nord. À la fin du XIXe siècle, il y avait plus de 100 000 ruches dans le Finistère (le quart aujourd’hui). Ce miel de landes, très épais, presque amer et très foncé, servait, en particulier, à la fabrication des pains d’épices. Malgré cette importante production, on chercherait vainement des recettes traditionnelles à base de miel. En dehors d’une utilisation épisodique pour les affections de la gorge, c’était un produit peu prisé et un pot suffisait très largement pour l’année. C’est que les abeilles offraient un produit autrement plus important pour les humains : la cire. Les ports de la côte nord de la Bretagne en exportaient des quantités impressionnantes. La cire était un élément indispensable au culte des morts et aux relations avec

l’au-delà. Les cierges qui brûlent dans les églises en sont encore la preuve, mais quelques exemples complémentaires souligneront la profondeur des croyances qui s’y rattachent. Les parents de Corentin, le héros de la Vie des Bretons de l’Armorique d’Alexandre Bouët et Olivier Perrin font le vœu à Notre-Dame-de-Vrai-Secours de « ceindre son église » d’un « double cordon de cire blanche » si leur fils échappe aux dangers qu’il va courir. Dans le conte « L’homme juste » publié par Luzel dans ses Légendes chrétiennes de Basse-Bretagne, on découvre une immense salle où brûlent des millions de cierges de toutes dimensions représentant la vie de tous les hommes de la terre. Comment les abeilles ne seraient-elles pas créatures divines, à l’opposé des guêpes ? En mettant un morceau de cierge béni sous la ruche, on pensait empêcher les abeilles de partir, mais on réaffirmait surtout leur lien avec le sacré. De même, en mettant, avec un crêpe ou du laurier, le deuil aux ruches dont le propriétaire venait de décéder, on croyait aussi éviter qu’elles périssent, mais on soulignait encore plus fortement leur rôle dans le passage de la vie au trépas. Les abeilles étaient donc à la fois étroitement associées au plus fort de la culture des hommes et pourtant les plus proches de la nature de tous leurs animaux domestiques. Ceux qui s’en occupaient étaient crédités d’un don qui allait bien au-delà de celui reconnu aux bons éleveurs ; en Haute-Bretagne, les mielliers savaient, de père en fils aîné, prendre les essaims en disant une prière spéciale, chapeau tenu sur l’épaule gauche et œil fixé sur le cœur de l’essaim. La valeur des essaims était importante puisque chaque année on étouffait les abeilles dans les ruches pour récolter les produits. Le tintamarre que l’on faisait quand on poursuivait un essaim n’avait guère d’influence sur les insectes, mais il manifestait une prise de possession qui prévalait sur la propriété des terrains où la capture aurait lieu. Les abeilles sont si précieuses et si originales que les lois de l’apiculture prévalent sur les lois communes. 11


Accenteur mouchet Présent pratiquement partout mais néanmoins largement ignoré, l’accenteur mouchet semble aimer la discrétion et la paix. Des chercheurs ont montré qu’il était au cœur de multiples conflits et pas qu’avec ses prédateurs.

n peut, en toute objectivité, dire que l’accenteur a le dos brun foncé rayé de noir et la tête de couleur gris bleuté avec un bec très fin, que son ventre est gris, ses flancs rayés de noir et que ses pattes sont brun rouge. Il suffit aussi de dire que son nom dans diverses langues correspond au « traînebuissons » français pour avoir une idée de son milieu de vie. Selon que l’on vit en Cornouaille, Léon, Trégor ou Vannetais, on nomme l’accenteur mouchet gwrac’h (ig) ar c’harzh, rouzegig, golvan-garzh ou rouzegan. Autant de choses qui disent qu’il vit dans les haies et ressemble à un moineau plutôt roussâtre. On doit par contre être plus prudent si l’on veut écrire comme le révérend F. O. Morris dans son Histoire des oiseaux britanniques parue en 1856 : « Discret, calme et réservé, sans être timide, humble et simple dans sa tenue et ses habitudes, sobre et sans prétention dans sa robe, bien que soigné et gracieux, l’accenteur fait montre d’un style que beaucoup d’extravertis devraient imiter, avantageusement pour eux-mêmes et à titre d’exemple pour les autres. » Les ornithologues ont, en effet, démontré que la vie de l’accenteur n’en faisait pas le modèle idéal pour les paroissiens du pasteur un peu prompt à moraliser. Mais, c’est dans la nature des pasteurs de moraliser !

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La guerre des sexes C’est principalement à Nicholas B. Davies, professeur d’écologie comportementale à l’université de Cambridge que l’on doit les travaux évoqués ici. Son but est de montrer comment des observations et des expérimentations réalisées directement dans la nature permettent de comprendre la construction du comportement des espèces. Il met en évidence qu’il s’agit avant tout de stratégies optimisées par l’évolution pour favoriser la reproduction. Une étude attentive d’accenteurs munis de bagues colorées a fait découvrir des mœurs tout à fait inattendues. Non seulement chaque femelle crée un territoire qu’elle défend, mais un ou plusieurs mâles peuvent défendre le(s) territoire(s) d’une ou plusieurs femelles. Quand deux mâles s’associent, ce n’est qu’après avoir 12

lutté pour occuper seuls la place et parce que l’un s’est imposé comme dominant tandis que l’autre acceptait d’être dominé. Mais les femelles peuvent rétablir une forme d’égalité en rusant pour échapper à la surveillance du dominant afin de s’accoupler en douce avec le dominé et ce, des dizaines de fois pendant les six à douze jours de la période nuptiale qui ne s’achève qu’une fois le dernier œuf pondu. En utilisant les ressources de l’analyse de l’ADN des parents et des poussins, les chercheurs ont pu montrer que le mâle dominant et le mâle dominé participaient au nourrissage des jeunes proportionnellement au nombre d’accouplements et modulaient donc leur effort parental nourricier en fonction de leurs chances de paternité et non de leur statut de dominant ou dominé. Ainsi donc, mâles et femelles poursuivent des buts contradictoires, le mâle cherchant à obtenir une descendance exclusive d’une et, si possible, de deux femelles ; la femelle cherchant de son côté à disposer de deux mâles pour nourrir une nichée dans laquelle ils estimeront avoir au moins une part de leur descendance. C’est dans la nature de la nature de se perpétuer !

La guerre des oiseaux L’accenteur est aussi impliqué dans une autre guerre au long cours, celle qu’il mène, comme bien d’autres oiseaux, avec le coucou. Les scientifiques ont observé que, parmi les espèces insectivores potentiellement parasitables par le coucou, il existe certains oiseaux, telles les rousserolles, qui sont étonnamment perspicaces, et d’autres, tel l’accenteur, qui ne savent pas différencier l’œuf déposé par le coucou et l’expulser. Dans certaines régions de Grande-Bretagne, on nomme d’ailleurs l’accenteur « petit brun aveugle » (blind dunnock) à cause de cela. C’est que l’accenteur est probablement un parasité « récent » et abondant qui n’a pas encore appris à bien identifier l’intrus alors que les rousserolles ont une grande expérience qui leur permet de limiter la casse. C’est dans la nature des espèces animales de ne pas s’exterminer. Ce n’est pas, semble-t-il, dans la nature de l’espèce humaine, hélas !


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Adventices Ceux qui les trouvent dans leurs champs ne les apprécient guère, mais on découvre aujourd’hui que la disparition des plantes adventices des cultures n’a pas que des avantages.

epuis que les hommes se sont sédentarisés et pratiquent l’agriculture, ils ont appris à travailler le sol, faire des rotations, couvrir la terre pour favoriser les plantes qu’ils souhaitaient récolter et diminuer au maximum la présence des autres. C’est une lutte constante. Grâce à quoi les graines toxiques de la nielle ne se retrouvent plus dans le blé ou l’avoine, grâce à quoi les centaurées épineuses ne peuvent plus blesser le bétail. L’introduction des herbicides a considérablement modifié la donne sans résoudre pour autant le problème de façon définitive. Des plantes résistantes apparaissent, des pollutions se développent, des effets secondaires sur la santé humaine sont découverts.

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Une petite place pour les mauvaises herbes Déjà, l’un des plus grands botanistes français, A. de Candolle, écrivait en 1832 : « Toutes les herbes qui naissent d’elles-mêmes dans les terrains cultivés pour d’autres sont réputées mauvaises herbes, quelle que puisse être d’ailleurs leur utilité. » On ne saurait en effet ignorer l’intérêt des adventices et autres plantes compagnes des cultures. S’il faut en limiter la présence, il ne faut pas pour autant méconnaître leur étonnante diversité et leurs aspects positifs. En matière de biodiversité, il n’y a pas de bonnes et de mauvaises herbes. Il y a surtout la grande ignorance des hommes qui n’ont pas encore tiré tous les enseignements des espèces connues. Ce dont on est déjà sûr, c’est que nombre d’adventices jouent un rôle pour l’alimentation d’autres espèces, en particulier des

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insectes ou des oiseaux, parmi lesquels les hommes apprécient ceux qui pollinisent leurs cultures ou ceux qu’ils chassent. En bordure de parcelle, les herbes, même mauvaises, constituent des abris, des espaces indemnes de traitements qui contribuent à l’équilibre général. Au même titre que le tigre de Sibérie ou la sterne de Dougall, certaines mauvaises herbes sont devenues rares ou ont même peut-être disparu. Elles accompagnaient exclusivement des plantes dont la culture a été abandonnée. Ainsi, on ne trouve plus en Bretagne les originales adventices du lin et du chanvre. À quand de véritables « musées des champs » ? Certaines « mauvaises herbes » ont un rôle paysager non négligeable, tels nos bokedoù, rozaer, roz ki, roz kog, roz moc’h, bref, notre coquelicot, dont on ne peut qu’admirer l’énergie qu’il met pour survivre.

Malherbologie C’est au milieu du XIXe siècle que les agronomes et les botanistes commencèrent à étudier de façon systématique les plantes « nuisibles à l’agriculture ». Une véritable science des mauvaises herbes, la malherbologie, se constitua progressivement et fit l’objet d’un enseignement dans les écoles d’agriculture. Cette discipline demandait une excellente connaissance des sols, de la biologie végétale et des pratiques agricoles. Mais on n’enseigne plus la malherbologie, laissant le soin aux fournisseurs d’herbicides et de semences OGM d’assurer la « formation » des agriculteurs et la recherche fondamentale. Il n’y a donc plus les compétences nécessaires pour faire progresser la lutte mécanique, alors qu’il existe d’importantes marges de progrès et que l’on découvre les limites des herbicides.


Agrions et libellules Les « demoiselles » et les « messieurs » ne sont pas qu’une décoration mobile pour les zones humides. Prédatrices et proies, elles jouent leur rôle dans les grands équilibres biologiques.

l n’est pas indispensable d’être un scientifique diplômé pour distinguer les anisoptères des zygoptères. Partout en Europe, les agriculteurs le faisaient sans peine puisqu’ils distinguaient d’une part, la « demoiselle » et, d’autre part, le « monsieur » (ou l’« aiguille du Diable ») pour ne retenir que les appellations les plus courantes. Comme souvent dans les traditions populaires, les espèces voisines sont classées mâle ou femelle en fonction de leur taille, ce que la langue française a bêtement inversé en disant « un » agrion et « une » libellule. Cependant, il faut reconnaître que certaines demoiselles peuvent être un peu plus grandes que certains messieurs. On dénombre en France 97 odonates (c’est

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le terme qui sert à désigner l’ensemble des anisoptères et des zygoptères) et 57 en Bretagne dont 22 sont considérés comme communes. Au repos, les demoiselles joignent verticalement leurs ailes tandis que les libellules vraies (les anisoptères) gardent leurs ailes étalées. Il y a deux fois plus de libellules que de demoiselles, même si en Bretagne, on s’approche un peu plus de la parité avec 24 espèces différentes de demoiselles. On notera, pour éviter de les confondre avec tout autre groupe d’espèces (et, en particulier, les fourmilions), que les odonates ont quatre ailes membraneuses, très nervurées, parfois tachetées et de très courtes antennes sur la tête.

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Prédatrices

Indicateurs

Les odonates ne s’éloignent guère du bord de l’eau. Mares, marais, étangs, ruisseaux ou rivières, chaque espèce a ses préférences mais toutes ont une contrainte majeure : elles doivent déposer leurs œufs dans l’eau ou les insérer dans les tissus de plantes aquatiques. Les larves qui en naîtront ont, en effet, des branchies et vivent sous l’eau, de quelques mois à quelques années selon les espèces. Ce sont des carnivores dotées d’une bouche aux puissantes mandibules et d’un organe de préhension articulé qui peut être projeté vers l’avant. Les larves se nourrissent de petits invertébrés et effectuent une série de mues, la dernière les amenant à gagner l’air libre. Une fois bien séchés, les adultes s’envolent à la recherche d’un terrain de chasse. Les agrions et les libellules sont de redoutables prédateurs qui capturent moucherons, moustiques et autres petits insectes volants. Quand le temps est trop mauvais, ils patientent en se cachant dans la végétation. Dès que leur maturation est achevée, les adultes se rapprochent de leur milieu d’origine. Les mâles défendent un petit territoire et sont toujours plus actifs que les femelles qui stationnent dans des zones abritées du vent et bien ensoleillées. C’est aussi tout leur intérêt de reproductrices que de s’exposer le moins possible à leurs prédateurs. Certains oiseaux se sont d’ailleurs spécialisés dans la chasse des libellules, c’est le cas du guêpier et du faucon hobereau.

Les odonates sont de précieux indicateurs de la bonne ou de la mauvaise santé des milieux aquatiques. Des inventaires systématiques permettent de réaliser des états des lieux et ensuite d’observer des évolutions significatives. La présence d’un nombre important d’espèces différentes est un indice très fiable de la qualité des milieux d’une zone donnée. Par ailleurs, certaines espèces ne supportent qu’une eau d’excellente qualité et leur raréfaction donne la mesure des dégradations qui ne font pas que brutaliser la biodiversité, mais qui nous privent tous de ressources indispensables à la production d’une alimentation saine et à un développement équilibré de nos sociétés. Un atlas des odonates de Bretagne est en cours et il peut tenter des naturalistes débutants en raison du petit nombre d’espèces à déterminer. Attention toutefois, deux espèces sont protégées, l’agrion de Mercure (Cœnagrion mercuriale) et la cordulie à corps mince (Oxygastra curtisii). Leur capture est donc interdite par la loi et le plus sage est de ne pas attraper les agrions colorés de bleu azur le long des petits ruisseaux, ni les cordulies qui vont et viennent le long des rivières.

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Aigles et vautours Des aigles et des vautours en Bretagne ? Vous n’y pensez pas ! Et pourtant…

es aigles sont de grands rapaces pourvus de larges ailes, d’une grande tête et d’un bec puissant. L’évolution du plumage est très lente, et l’identification des jeunes est parfois difficile. Mâles et femelles sont très semblables, avec un léger avantage de taille pour les secondes. En France, ne nichent, essentiellement à l’est d’une ligne allant des Pyrénées aux Ardennes, que l’aigle royal, l’aigle botté et l’aigle de Bonelli. Le circaète et le balbuzard ne sont pas de véritables aigles et nous en parlerons ailleurs.

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Aigles de papier La une du Petit Journal datée de janvier 1909, montre des aigles attaquant un troupeau de moutons en Bretagne ! On ne peut que saluer la belle imagination du dessinateur qui, sur la foi d’une « information » vague, est parvenu à concevoir une scène dramatique. Non seulement il n’y a probablement pas eu un seul couple d’aigles à nicher en Basse-Bretagne au début du XXe siècle, mais il est même exclu que quelques individus vagabonds s’attaquent à des moutons en bonne santé. Comme les marins qui, à la même époque, accusaient les dauphins de faire fuir les sardines, ne s’agit-il pas d’une habile campagne de communication (déjà !) pour souligner les difficultés d’une profession ? Le lecteur du Petit Journal y trouvait surtout de quoi renforcer les stéréotypes qui fondaient sa vision de la Bretagne : un pays sauvage où une population courageuse (voyez comme ils se battent !) mais archaïque (voyez leurs costumes !) suscite autant la compassion que le mépris.

Le retour de l’aigle botté ? Au XIXe siècle, les grandes forêts de Loire-Atlantique et même d’Ille-et-Vilaine abritaient, comme de nombreuses autres en France, quelques couples d’aigles bottés. Mais le développement de la destruction des « nuisibles » et les captures réalisées par les ornithologues

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pour les collections des musées en sont rapidement venues à bout. Aujourd’hui, l’aigle botté niche à l’est d’une ligne qui va des Landes à l’Oise, avec une présence plus forte dans les contreforts des Pyrénées et le Massif central. Cette espèce se porte naturellement beaucoup mieux depuis qu’elle est protégée. Des observations d’individus erratiques sont régulièrement réalisées dans notre région et de rares cas de nidification en Basse-Bretagne ont même été signalés ces dernières années.

Vautours Vous avez vu un vautour fauve survoler un enclos paroissial en 2005, la campagne du haut Léon en 2001, le pays d’Hennebont en juin 2007 ? Vous n’avez sans doute pas rêvé. On en a même repéré six au-dessus de Dinan en 2005 et chaque printemps apporte dorénavant son lot d’une ou deux observations de vautours erratiques avec même, en 2008, un percnoptère dans les monts d’Arrée. Ces observations ont deux sources probables. D’une part, les opérations de réintroduction du vautour fauve en France ont donné d’excellents résultats dans les Causses méridionaux et les Alpes du sud. Du coup, de jeunes oiseaux reprennent les grands parcours de prospection « initiatique » de jadis vers le nord. D’autre part, des parcs zoologiques, souvent associés à des programmes de sauvegarde, peuvent voir certains de leurs vautours s’émanciper sans attendre que leurs papiers soient en règle. On notera que plusieurs noms de lieux en Bretagne feraient allusion au vautour : Burthulet en Saint-Servais, Roc’h an Burtul à MaëlCarhaix et trois autres mentions finistériennes. Il ne s’agit pas pour autant de falaises propices à la nidification, mais ces noms témoignent peut-être d’un temps où l’espèce pouvait, hors période de nidification, hanter l’ouest de la France.


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Aigrette garzette Depuis quelques années, le paysage littoral s’est enrichi de taches blanches. Ce ne sont pas des chemises ayant rompu les amarres de leurs pinces à linge mais un oiseau d’origine méditerranéenne.

amilière des zones humides du littoral atlantique français depuis une trentaine d’années, l’aigrette garzette en est presque devenue l’emblème, tant son élégante silhouette blanche se repère facilement dans le paysage. Une observation plus rapprochée permet de distinguer les pattes et le bec noirs. Quand l’oiseau vole, on découvre ses doigts jaunes. L’aigrette faite de fines plumes tombant sur la nuque est bien visible au printemps.

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La ruée vers le nord À l’origine, l’aigrette garzette était un oiseau méditerranéen, et 90 % des effectifs français se concentraient encore en Camargue au début des années 1970. Depuis, ce petit héron blanc a réalisé une remarquable colonisation des marais et du littoral atlantique jusqu’en Bretagne, ainsi que du couloir rhodanien. Malgré quelques hivers très froids (800 aigrettes sont mortes en 1985), l’espèce a continué de remonter vers le nord, et conquis la Normandie. Des colonies d’aigrettes existent donc aujourd’hui sur l’ensemble du littoral breton, avec une densité décroissante de la côte sud aux côtes de la Manche. D’abord usagère exclusive des marais humides, elle est même devenue une commensale des goélands et cormorans sur des îlots rocheux où une maigre touffe de lavatères lui suffit désormais à cacher son nid. Les colonies atlantiques représentent désormais environ 60 % des effectifs reproducteurs français. Si toutefois un hiver encore plus dur que les autres faisait des ravages, l’oiseau ne disparaîtrait pas pour autant puisqu’il reste un migrateur partiel et qu’une petite fraction de la population continue à passer l’hiver en Espagne ou au Maroc.

La ruée vers les nids Les aigrettes nichent dans les arbres et apprécient de les partager avec des hérons cendrés. On repère alors facilement ces colonies particulièrement bruyantes.

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Les nids sont faits de petites branches posées sur une fourche. Les pins ou les cyprès du littoral leur conviennent particulièrement. On notera toutefois qu’elles savent faire contre mauvaise fortune bon cœur : dans certaines petites îles dépourvues d’arbres, elles sont capables de nicher au sol. La femelle pond généralement de quatre à cinq œufs, plus rarement six ou sept ; ils sont couvés par les deux partenaires pendant trois semaines. Les poussins sont couverts d’un duvet blanc que les premières plumes commencent à remplacer au bout d’une douzaine de jours. À l’âge de trois semaines, les jeunes commencent à sauter de branche en branche. Ils rejoindront les adultes sur les lieux de pêche trois semaines plus tard. Fin juillet, ils sont autonomes et s’éparpillent. Alors qu’elles passent généralement la journée dans l’isolement, les aigrettes constituent des dortoirs dans les arbres pour affronter la nuit. C’est en comptant alors les oiseaux qui s’installent que l’on peut estimer les populations.

La ruée vers l’avenir L’aigrette chasse à vue les petits poissons dans une eau peu profonde où elle avance avec lenteur, prête à détendre son cou pour saisir sa proie dans son bec. Elle ne gagne pas à tous les coups et il arrive aussi que le petit mulet ou l’anguille s’évade à l’instant délicat où il faut le faire pivoter dans le bon sens pour l’avaler. À défaut de poissons, l’aigrette mange de petits crustacés qu’elle force à sortir de la vase en fouillant du bout d’une patte. Enfin, la chasse à l’affût est souvent pratiquée. Un peu comme le pin maritime implanté sur le littoral breton au fil du XIXe siècle, l’aigrette garzette devient un des emblèmes des espaces « naturels » dont on voudrait croire qu’ils sont immuables, alors que tout nous montre qu’ils sont en perpétuelle mutation. C’est ainsi que se construit notre avenir ; à nous de faire que ce soit pour le meilleur et non pour le pire.


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Aiguillette Nommé aiguillette ou orphie, ce poisson est relativement commun sur les côtes bretonnes, mais il est mal connu des Bretons qui ne le consomment guère.

’aiguillette est un poisson au corps si effilé que dans presque toutes les langues il est assimilé à une aiguille. Mais cette aiguille a ceci de remarquable que ses fines arrêtes sont d’un magnifique vert fluo. On trouve d’ailleurs comme un reflet dans les couleurs du dos tandis que les flancs sont argentés et le ventre blanc. Ce vert serait la trace de phosphate de fer oxydé et l’étrange odeur métallique que dégage l’aiguillette en serait une autre manifestation. Le voyageur et diplomate Balthasar de Monconys (1611-1665) s’est arrêté à Vannes en mai 1645 et il a noté : « J’y éprouvais que la tête du poisson nommé Esguillette éclaire la nuit, sa clarté est pâle comme le corps de la lune. » Il ajoute qu’ayant touché le poisson, sa main était devenue « claire ». Rien pourtant n’empêche d’en manger même si, au XIXe siècle, certains Bretons disaient qu’elles étaient empoisonnées par le vert-de-gris du cuivre des bateaux « où elles plantaient leur bec ».

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Petite torpille L’aiguillette mesure de 30 à 80 cm. On a vu des sujets exceptionnels de 5 kg mais son poids moyen est généralement de 400 g. Les nageoires sont placées très en arrière du corps et permettent à l’aiguillette de nager très vite et même de se propulser hors de l’eau pour échapper à des prédateurs. Ses deux fines mâchoires sont armées de dents pointues ; la mâchoire inférieure dépasse et forme une sorte de bec. Les aiguillettes mangent de petits poissons comme les maquereaux qu’elles peuvent accompagner. Les bancs assez lâches d’adultes se rapprochent des côtes au début du mois de mai. Les femelles (âgées alors d’au moins cinq ou six ans) pondent des milliers d’œufs. Ceux-ci présentent la particularité d’être munis de filaments qui leur permettent de s’accrocher aux plantes et à tout ce qui présente de petites aspérités.

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Petite pêche Le Commissaire de la Marine et Inspecteur des Pêches, François Le Masson du Parc (1671-1741) a été chargé par Louis XV d’enquêter sur la raréfaction des poissons car, à cette époque déjà, on s’inquiétait d’une diminution de la ressource. Grâce à son rapport minutieux, on dispose d’une description très précise de toutes les méthodes utilisées sur le littoral français et on peut même voir que, pour une part, la surexploitation était déjà à l’ordre du jour. C’est en 1728 que Le Masson du Parc est amené à observer la pêche à l’aiguillette dans le golfe du Morbihan. Il s’agissait d’une pêche « au lamparo ». Elle devait se pratiquer par temps calme et nuit noire au printemps. Il y avait quatre hommes par barque, l’un à l’avant tenait un brandon qui attirait les aiguillettes, les autres avaient de grandes foënes à vingt branches qu’ils plongeaient brutalement dans l’eau. Une barque pouvait rapporter de 1 200 à 1 500 aiguillettes dans la nuit. On utilisait aussi des filets. Cette pêche a continué jusque dans les années 1950. Il s’agissait principalement de fournir un appât apprécié pour d’autres pêches.

Des ongles ou des cornes ? L’aiguillette est bien connue des marins-pêcheurs du littoral mais, étrangement, ce n’est pas sa couleur vert fluo qui a été retenue pour la désigner. On trouve en fait trois noms principaux ou leurs variantes : ivineg (« qui a des ongles »), anguilleu (issu du nom français) et kerrigen (usité dans le Trégor). Le nom scientifique Belone belone utilise simplement le terme grec signifiant aiguille. Quant à orphie, c’est un terme fort ancien puisqu’il apparaît dès 1393 sous la forme orfin, puis, en 1549, en Normandie avec horfilz pour s’arrêter à orphie en 1554 ; comme beaucoup de noms de poissons, il est emprunté au néerlandais et vient de hoornvisch, c’est-àdire « poisson à corne ».


Ail sauvage On le connaît bien dans nos cuisines et nos potagers, parfois dans nos jardins d’agrément, mais on ignore souvent que l’ail est aussi présent dans notre flore sauvage.

u sud de la Loire-Atlantique au nord de l’Ille-etVilaine, la Bretagne abrite une dizaine d’espèces d’ail. Mais elles ont des origines très différentes car, si certaines sont autochtones, d’autres se sont échappées de cultures il y a plus ou moins longtemps et viennent parfois du bout du monde.

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Trois aulx L’ail à tête ronde que l’on trouve sur les pelouses dunaires se reconnaît à belles fleurs mauves en cloches rassemblées en une ombelle dense et sphérique. L’ail des vignes qui pousse sur les pelouses sèches et les sols rocailleux est comestible mais on lui préférera l’ail des ours qui est plus commun encore et qui se trouve dans les sous-bois frais en colonies assez denses. Il présente à partir de mars deux feuilles charnues qui mesurent bientôt 15 à 35 cm de haut ; le bulbe est assez coriace. D’avril à juin, la tige porte une boule de fleurs blanches disposées en étoile. En juillet la plante est flétrie. Ceux qui, dans leurs randonnées printanières, ont emporté leur sandwich de fromage blanc peuvent l’améliorer d’une feuille hachée menue. Quelques feuilles rapportées à la maison peuvent être hachées pour donner un goût délicat à une soupe ou une omelette. Il ne faut pas confondre l’ail des ours avec du muguet qui se trouve dans le même milieu mais qui est toxique. Il faudrait toutefois avoir le nez complètement bouché pour s’y tromper dès le départ car, quand l’ail des ours est en fleur, c’est tout le sous-bois qui peut être parfumé. Comme tous les autres aulx comestibles, l’ail des ours est un bon vermifuge.

Un ail L’ail des landes est l’une des 18 plantes dont, selon le Conservatoire botanique national de Brest, la sauvegarde est prioritaire dans les Pays-de-Loire. Malgré son nom, l’ail des landes est absent des landes du reste de la Bretagne et même en Loire-Atlantique, il ne subsiste que sur cinq espaces de la commune d’Herbignac !

C’est d’ailleurs le site le plus nordique de son aire de répartition qui est, au reste, fort limitée puisqu’il ne pousse que dans le sud-ouest de la France et le nordouest de l’Espagne et du Portugal. Au XIXe siècle, les botanistes l’avaient repéré dans au moins une dizaine de communes de Loire-Atlantique et du sud du Morbihan. Comme beaucoup de plantes peu communes, l’ail des landes a des exigences écologiques fortes : il lui faut vivre les pieds au frais et la tête au soleil dans des landes ou des molinaies fauchées ou pâturées – des milieux qui ont beaucoup régressé depuis cent ans. C’est à la fin de l’été qu’il laisse s’épanouir ses têtes blanches. En lien avec le Parc naturel régional de Brière et le Conseil régional, Bretagne Vivante mène aujourd’hui un travail visant à préserver l’ail des landes. Une meilleure gestion des parcelles concernées a, d’ores et déjà, permis de compter 932 têtes d’ail en 2009.

Ail, ail, ail… L’ail rose, l’ail cilié, l’ail paniculé, l’ail hérissé ont été introduits au fil des siècles en Bretagne et s’y sont plus ou moins naturalisés. Aucun cependant ne pose des problèmes comparables à ceux que présente l’ail triquètre ou ail à trois angles qui est originaire du bassin méditerranéen et est apparu il y a une cinquantaine d’années. C’est devenu l’une des plantes invasives les plus préoccupantes de Bretagne et il ne faut pas hésiter à l’arracher et à la détruire. Comme on le voit au terme de cet article sur un groupe de plantes qui pouvait sembler au premier abord sans grand intérêt, tout le monde et chacun est concerné. Tout le monde est concerné car on ne peut protéger la biodiversité en se contentant des moyens prévus par l’État et les collectivités pour identifier les enjeux, protéger ce qui doit l’être et combattre ce qui le met en danger. Chacun est concerné car la protection de la biodiversité passe autant par des gestes quotidiens que par l’interpellation et le choix des élus.

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Ajoncs Difficile d’imaginer la Bretagne sans l’or des ajoncs. Difficile aussi d’imaginer le rôle qu’ils ont eu autrefois.

e vent tiède nous apporte parfois un parfum d’amande tandis que nos yeux se réchauffent aux jaunes tendres des massifs d’ajoncs. Qu’il vente ou qu’il neige, qu’il tonne ou qu’il pleuve, les ajoncs sont en fleurs. Il est vrai que, pour réaliser ce tour de force, ils s’y sont mis à trois. L’ajonc nain, que l’on trouve dans les landes humides de Haute-Bretagne et d’une grande partie du Morbihan, donne, de juillet à octobre, de belles fleurs jaune citron, entourées d’épines courtes, denses et assez droites. Son nom gallo jan, conserve la forme du bas-latin d’où est issu le mot ajonc qui fut donc d’abord « la jon ». L’ajonc de Le Gall arbore en français le nom d’un botaniste breton du XIXe siècle et souligne en breton – lann Breizh – sa valeur de symbole régional. Il présente, de juillet à décembre, une parure jaune légèrement orangée et des épines arquées ; il pousse sur les sols pauvres et dans les landes moyennement humides de Bretagne occidentale. Il est absent d’une grande partie du Morbihan intérieur. Quant à l’ajonc d’Europe (lann), présent un peu partout mais préférant les landes sèches ou peu humides, il donne des fleurs d’octobre à juin, plus abondantes en fin de période. Sur le littoral le plus exposé, les ajoncs ne forment plus que des coussinets très serrés, variétés prostrées des trois espèces.

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De multiples usages L’ajonc a longtemps été une base de l’agriculture bretonne et, rien qu’en Finistère, plus de 600 noms de lieux sont des dérivés du breton lann. Non seulement il constituait, avec les bruyères, la base de la litière que l’on fauchait dans les landes, mais l’ajonc d’Europe était semé et récolté pour servir, une fois broyé, à l’alimentation des animaux les plus prisés, en particulier des chevaux. Toutefois, un produit très toxique, la cytisine,

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se développant dans les gousses, on ne l’utilisait qu’en complément hivernal. Certains n’hésitaient pas, cependant, si le trèfle venait à manquer en début d’été, à le remplacer par de l’ajonc. Aujourd’hui, seuls ou presque, les agriculteurs des monts d’Arrée maintiennent le fauchage des landes pour la production de litière et participent ainsi à la protection d’un des paysages les plus caractéristiques de la Bretagne. Depuis des millénaires, les fleurs d’ajonc ont servi à teinter laines et tissus en jaune. Les petits Morbihannais qui teignaient leurs œufs de Pâques ne faisaient que maintenir une longue tradition. Les vieux pieds donnaient un bois sec, excellent pour lancer rapidement des flambées dans les fours ou les cheminées et, le soir, on montrait aux enfants le coupeur d’ajonc portant son fagot volé dans les dessins de la pleine lune. Usages et traditions se sont perdus, mais quel jeune époux ne ferait pas encore sienne la formule traditionnelle : « Je t’aimerai tant que l’ajonc fleurira » ?

L’origine de l’ajonc Lors de la création du monde, si l’on en croit une légende bretonne, Dieu réalisa le genêt. Le diable, tentant de l’imiter, ne sut faire qu’un tas d’épines. Attristé, Dieu décida qu’en compensation, cette plante fleurirait toute l’année. L’ajonc était né. Mais le diable oublia sans doute l’histoire car un autre récit affirme que, désespéré de ce que les Bretons allassent droit au ciel, il obtint de Dieu les âmes de ceux qui mourraient quand la lande ne serait pas en fleurs. Constatant au bout d’un an qu’il était trompé une fois de plus, le diable fit tant de vignes et de cabarets qu’il put enfin s’emparer de l’âme des Bretons qui arrivaient ivres morts au paradis.


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Algues L’actualité a propulsé les algues vertes au premier plan. Au risque de donner une image bien négative et bien simplifiée d’un univers d’une richesse fabuleuse.

’Empire des algues est le titre d’un livre d’aventures paru en 1935 sous la plume de Jean d’Agraives (1892-1951) et se déroulant en partie au bord du golfe du Morbihan. L’héroïne, une chimiste française, découvre un carburant très économique à base d’algues. Elle est enlevée par des Japonais et des Allemands qui l’obligent à travailler dans leur usine de la mer des Sargasses. Elle parvient à faire échouer leurs projets et à empêcher la guerre en produisant un virus qui ravage les algues de la mer des Sargasses ! Au-delà de l’imagination galopante de l’auteur et de sa vision très juste des liens entre la guerre et les sources d’énergie, on peut saluer la profonde vérité de son titre tant il est vrai, en effet, que les algues constituent un fabuleux empire que des centaines d’articles ne sauraient épuiser.

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Des algues partout L’empire des algues est si vaste qu’il regroupe plus de 30 000 espèces fort différentes les unes des autres : des bactéries (les algues bleues) et des organismes plus évolués, microscopiques (le phytoplancton) ou géants (les macrocystis californiennes qui atteignent 60 m de long). On trouve des algues partout sur la planète où il y a un peu de lumière, d’eau et de dioxyde de carbone ; elles vivent dans la mer, bien sûr, mais aussi dans toutes les eaux douces, sur le sol, les arbres, les bâtiments, les glaces des montagnes et des pôles. On a même trouvé des algues spécifiques au museau de certains lézards et au pelage des paresseux d’Amérique du Sud. Les algues ont aussi inventé les lichens, une association originale avec les champignons qui permet de coloniser des milieux particulièrement inhospitaliers.

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Une centaine d’espèces différentes de lichens occupent ainsi les roches du littoral. Sur les côtes rocheuses soumises aux marées, les algues se distribuent en ceintures traduisant la capacité plus ou moins grande de chaque espèce à résister au stress de l’exondation et au choc des vagues. La petite pelvétie est la toute première algue que l’on rencontre, juste avant le fucus spiralis. Dans l’étage de balancement des marées, les goémons (fucus et ascophylle) constituent un refuge végétal essentiel pour de nombreuses espèces. L’ascophylle ou goémon jaune marque plus les zones abritées car il ne supporte pas les fortes vagues mais peut subir de longues dessiccations, il passe alors du brun olivâtre au noir. Il était parfois nommé bezhin bosoù braz (goémon à grosses boules), à cause de ses vésicules grosses comme un œuf ; il n’en produit qu’une par an, ce qui permet de dire son âge (le record à battre est de 20 ans). La répartition des algues dans les zones qui restent immergées dépend, elle, de l’intensité de la lumière. Elles peuvent localement former de véritables forêts sous-marines (c’est le cas des laminaires) ou des récifs (c’est le cas du maërl). Les algues rouges atteignent les plus grandes profondeurs – jusqu’à 200 m sous les tropiques. Plus discrètes, les algues n’en sont pas moins présentes sur les vasières et les prés-salés.

L’empire des produits dérivés Les algues contiennent beaucoup d’eau (90 %) mais aussi des sucres, des minéraux, des protéines (70 % dans la spiruline). Toute une industrie s’est développée autour des algues des côtes bretonnes pour en extraire la soude (destinée à la fabrication du verre aux XVIIe-XVIIIe siècles), l’iode (XIXe siècle et première moitié


du XXe siècle) puis les gélifiants (depuis une soixantaine d’années). La récolte, manuelle à l’origine, s’est mécanisée et une cinquantaine de bateaux rapportent aujourd’hui environ 50 000 t de laminaires par an. Le chondrus (ou pioca) est une petite algue rouge très utilisée pour ses carraghénanes dans l’industrie alimentaire et dont on ramasse encore 1 000 t par an à la main lors des grandes marées. On ne compte déjà plus les applications des algues dans le domaine de la santé (de la pâte à empreintes des dentistes aux stipes de laminaires des médecins accoucheurs) et les chercheurs n’en finissent pas d’ouvrir de nouvelles perspectives. Tout récemment encore, des substances à base de sucres spécifiques et des composés hormonaux contenus dans des algues brunes ont montré d’étonnantes aptitudes à stimuler les défenses naturelles des végétaux. Quelques raisons de plus pour protéger les équilibres biologiques des océans.

Enquête à la loupe Le dérèglement climatique a probablement une influence sur la composition des champs de laminaires et les scientifiques sont d’autant plus attentifs à leur évolution qu’elles jouent un rôle économique important dans le nord-Finistère. De la même façon, des modifications ont affecté les goémons de la zone de balancement des marées dans un certain nombre de sites. Petit à petit, ils ont été remplacés par des berniques. Les traces laissées sur

les pieds des algues soudés aux rochers présentent des stries caractéristiques : elles n’ont pu être faites que par la petite râpe qui sert de dents aux berniques. Les causes de cette prolifération des berniques au détriment des algues restent à déterminer. La reproduction des berniques a pu être stimulée par l’élévation de la température de la mer, l’eutrophisation des eaux côtières ou la défaillance de certains prédateurs, peut-être par ces trois phénomènes à la fois. Des études plus larges seront nécessaires pour comprendre les mécanismes, mais chacun peut prendre des repères sur les rochers qu’il fréquente habituellement pour suivre l’éventuelle progression de cette inquiétante invasion des tondeuses à goémon.

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Alouette Son chant allègre accompagne les marcheurs dans la campagne, mais de sombres nuages s’accumulent sur la tête de l’alouette.

ès février-mars, le mâle de l’alouette choisit un territoire et commence à chanter. Montant énergiquement vers le firmament au point qu’on le voit à peine, il lance une longue phrase musicale d’une étourdissante virtuosité. Puis, soudain, il se laisse tomber comme une pierre, ouvrant les ailes juste avant d’atteindre le sol.

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Oiseau du paradis Ce chant si caractéristique a frappé l’imagination populaire et les traductions en breton ou en gallo ne manquent pas, chacune tentant d’en retrouver le rythme. Dans le Trégor, an alc’hweder proclame : Per, digor an nor din, / Biken james na bec’hin. / Per, Per, / Sko da fri’ n em revr ! ce qui signifie, quand elle monte : « Pierre, Pierre, ouvre-moi la porte, / jamais plus je ne pécherai » ; comme saint Pierre ne donne pas suite, elle redescend en lui criant : « Pierre, Pierre, / Plante ton nez dans mon derrière. » En pays gallo, on l’entendait dire d’abord « Mon petit soleil, aide-moi à monter » puis, quand elle descend « Couillon ! Couillon ! ». Sa symbolique s’est forgée dans les anciennes mythologies de l’Europe ; il s’agit d’un de ces oiseaux qui relient la terre au ciel, transportent les âmes et les messages, et accompagnent le lever du soleil.

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Une inquiétante régression Un couple d’alouettes peut élever deux à trois couvées consécutives dans une petite dépression aménagée au sol. Oiseau des espaces ouverts, des dunes, des prairies rases et des landes, l’alouette avait vu d’un assez bon œil les opérations de remembrement car le bocage serré ne lui convenait pas vraiment. Mais le calcul était mauvais car, après quelques années d’expansion, l’espèce a découvert les inconvénients pour elle des cultures intensives : traitements phytosanitaires, céréales d’automne, ensilage de printemps détruisent tantôt sa nourriture, tantôt son milieu de vie, tantôt son nid. Aujourd’hui, un cri d’alarme est lancé par les ornithologues européens qui relèvent une régression inquiétante confirmée en France par les statistiques du Muséum national d’histoire naturelle qui constate une baisse de 30 % en 20 ans. Les observateurs bretons notent aussi ce recul, y compris et c’est d’autant plus inquiétant, dans des espaces protégés comme la réserve de Goulien dans le Finistère. D’oiseau banal, l’alouette pourrait devenir un oiseau menacé. Faut-il, pour reprendre une formule connue, souligner que, quand l’alouette meurt, c’est la vie qui est menacée ?


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Amphioxus Il n’a l’air de rien ce petit fuseau translucide que l’on découvre au hasard des explorations dans le sable humide. L’amphioxus est pourtant un précieux témoin de l’évolution et un irremplaçable sujet d’études scientifiques.

n trouve l’amphioxus, nommé aussi lancelet, à de faibles profondeurs (entre un et 25 m), par exemple dans les herbiers lors des grandes marées, mais surtout en plongée, dans les bancs de sable ou de maërl en Bretagne. Il demeure en général planté verticalement, ne laissant dépasser que la tête du substrat. Les amphioxus peuvent former des groupes assez denses et ils sont pêchés et consommés dans certaines régions du monde. Ils se déplacent en ondulant et se nourrissent de particules organiques. En fait, c’est à peine si l’on remarque ces fins fuseaux translucides de quelques centimètres de longueur, six au maximum.

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squelette interne des vertébrés et ils traquent depuis chez l’amphioxus, tout ce qui apparaît comme l’ébauche de nos processus biologiques les plus complexes. Les développements de la génétique ont renforcé l’intérêt de cette espèce et ont conduit au séquençage complet de son génome en 2006. On a pu montrer la présence chez l’amphioxus de duplications génétiques majeures dont on peut retrouver la trace dans le système immunitaire de l’homme. On a même pu calculer que ces événements s’étaient produits chez nos lointains ancêtres entre 766 et 528 millions d’années, juste avant l’apparition des vertébrés à mâchoire.

N’ayons pas peur des mots

N’ayons pas peur de protéger la biodiversité

Une large bouche bordée par les fentes des branchies – mais pas de mâchoire –, de gros vaisseaux sanguins – mais pas de cœur – et une étrange corde dorsale surmontée d’une sorte de tube – mais pas de vertèbres : l’amphioxus n’est donc pas un poisson, mais un invertébré. C’est même le principal représentant des céphalocordés, un sous-embranchement qui ne compte que 25 espèces environ. Il trône donc dans la classification entre les urocordés – 1 500 espèces dont les ascidies – et les vertébrés – 50 000 espèces, dont nous… L’amphioxus se situe en fait à la charnière entre les vertébrés et les invertébrés et offre, à ce titre, des caractéristiques qui peuvent nous aider à comprendre comment s’est effectuée la transition vers des formes qui contenaient en germe les bases des vertébrés et plus tard de l’espèce humaine.

N’ayons pas peur de nos ancêtres Les scientifiques qui s’intéressent à la biologie évolutive ont noté depuis longtemps que la « corde » dorsale qui assure une forme de soutien annonce le

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L’amphioxus est au carrefour de tant de recherches que plusieurs laboratoires européens coordonnent leurs études à son sujet. Le laboratoire de Banyuls-sur-Mer dans les Pyrénées-Orientales s’est ainsi spécialisé dans sa capture et son élevage pour fournir l’ADN nécessaire aux recherches génétiques. Il est vrai que l’amphioxus est particulièrement présent sur la côte catalane. Une fois de plus, on vérifie que des espèces marines sont à la base de découvertes scientifiques essentielles. On sait que plusieurs Prix Nobel n’ont été obtenus qu’au terme de recherches sur des organismes marins, en particulier parce que ceux-ci permettent de reconstituer notre passé biologique. L’amphioxus illustre à quel point les espèces les plus discrètes peuvent s’avérer indispensables aux progrès de la recherche scientifique. Bien malin qui pourrait dire celles que nous pourrions sacrifier aujourd’hui sur l’autel du Progrès en raison de leur prétendue inutilité ! C’est pourquoi la préservation de la biodiversité ne peut être que globale et que les déséquilibres induits depuis deux siècles menacent les bases même du progrès scientifique.


Anatifes On trouve parfois d’étranges organismes attachés aux bois flottés qui s’échouent sur le littoral. Ils ont longtemps fait rêver les hommes.

es anatifes proprement dits sont, comme les balanes et les pouces-pieds, des crustacés modifiés par leur mode de vie fixée, à ceci près que, pour la plupart, ils ont trouvé un moyen de se déplacer en s’installant sur toutes sortes d’objets flottants ou en secrétant leur propre flotteur. Les anatifes ont un pédoncule souple, au bout duquel deux valves, formées de plusieurs plaques soudées, s’ouvrent dans l’eau pour laisser passer six paires de petits appendices, les cirres. L’anatife le plus commun est présent sur les bois flottés et présente un pédoncule extensible brun sombre et des plaques d’un joli bleuté translucide. Trois autres petites espèces peuvent être observées sur nos côtes.

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L’arbre à canards Le mot anatife a une étymologie fort étrange : il est issu du latin anas – canard – et de ferre – porter. En effet, on racontait autrefois que les anatifes donnaient naissance à un oiseau qui était, selon les auteurs et les régions, une bernache ou une macreuse. Le grand intérêt était que ces oies « nées de la mer » pouvaient donc être mangées en temps de carême ! Le sujet est loin d’être anecdotique puisqu’il alimenta pendant près de dix siècles les débats autour des nourritures autorisées pour les croyants et de la génération spontanée ; il a laissé des traces jusque dans notre langage quotidien. C’est dans le célèbre Livre d’Exeter, qui date du VIIIe siècle, que l’on trouve la mention la plus ancienne : des créatures noires et blanches naissent sur l’eau après avoir été attachées à des morceaux de bois. Vers 1186, Gérald de Cambrai s’en inspire peut-être quand il affirme avoir vu « de ses propres yeux » des milliers de ces « petits oiseaux » qui ne font pas de nid accrochés à des morceaux de bois sur les grèves de l’Irlande. De nombreux auteurs vont, tout au long du Moyen Âge reprendre la légende d’un véritable « arbre à canards », seule explication à l’existence d’oiseaux que personne n’a jamais vu couver.

Un petit oiseau noir Fort heureusement, un témoignage extérieur jette une lumière extraordinaire sur la légende. Dès le Xe siècle, un voyageur arabe évoquant le pays des Saxons parle de ces oiseaux noirs nés des arbres qu’on ne trouve jamais vivants mais que les tempêtes rejetaient sur les côtes. Il ne peut s’agir que du mergule nain qui niche dans les zones arctiques et dont on note régulièrement des échouages massifs sur les côtes des îles Britanniques. Il est probable que les mêmes croyances se sont appliquées ensuite aux bernaches et à divers migrateurs apparaissant mystérieusement et présentant l’intérêt d’être disponibles en temps de carême.

Lu dans le canard Nous ne croyons plus à la légende des arbres à canards mais notre vocabulaire en garde la trace : un « canard » est une fausse note, un « cancan » une nouvelle douteuse, un « canasson » un mauvais cheval. Un « canard », c’est aussi un journal peu sérieux mais ce sens péjoratif tend à disparaître. Quant à la « macreuse » que nous achetons chez le boucher, c’est, depuis le XVIIIe siècle, un morceau de viande maigre à pot-au-feu. De même, l’expression « ni chair, ni poisson » sert encore à exprimer l’ignorance dans laquelle on est de la nature d’une chose.

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Âne Définitivement associé à la crèche de Noël, l’âne gris bénéficie d’un capital de sympathie qui s’appuie sur une longue tradition.

e la Nativité aux Rameaux en passant par la Fuite en Égypte, l’âne a joué un rôle important dans la vie de Jésus, ce qui lui a valu une place bien valorisée dans la société traditionnelle. N’allaiton pas jusqu’à dire que, comme le bœuf, il s’agenouille à minuit sonnant pendant la nuit de Noël et que la croix sombre qui marque son dos reste le signe éternel de la bénédiction divine pour services rendus… ? Ce qui n’empêche pas les dictons de souligner sa stupidité : « Bête comme un âne de trois écus » (Dol), « Folle comme un âne » (Penguily), « Saoul comme une bourrique » (Ercé), Azen gorneg (âne cornu, injure de Basse-Bretagne).

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Rare en Bretagne L’âne, domestiqué sans doute en Égypte, a été introduit par les Romains en Gaule. En Bretagne, il apparaît comme la bête de trait des moines défricheurs du haut Moyen Âge (c’est le cas d’Hervé, Envel et Malo). Saint Suliac, quant à lui, n’en avait pas mais, importuné par les deux ânes du voisin, il n’hésita pas à élargir la Rance pour avoir la paix. L’histoire valut pendant longtemps le sobriquet d’ânes aux habitants de Saint-Suliac. Il était aussi attribué aux habitants de La Malhoure, près de Lamballe, qui auraient mangé un malheureux bourricot. Pourtant, les ânes n’ont jamais prospéré en Bretagne. C’est, avec l’Alsace, la région de France où il y en avait le moins à la fin du XVIIIe siècle. Il y a moins de dix ânes dans les districts de Quimper, Brest, Châteaulin, Guingamp ou Loudéac. L’âne ne s’est pas répandu en Bretagne parce qu’il y aurait fait double emploi avec le cheval – qui était alors de petite taille – sans pour autant en avoir le prestige. Beaucoup d’agriculteurs préféraient aller à pied plutôt que de monter sur un

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âne. On en trouvait surtout autour des baies du Mont-Saint-Michel et de Saint-Brieuc. Dans cette dernière, quelques individus servaient encore au transport des coques dans les années 1960.

Le retour de l’âne Comme le poney d’Ouessant et la vache Brune de Guingamp, l’âne breton a disparu sans laisser de traces. Pourtant, depuis une dizaine d’années, des ânes retrouvent une place dans les campagnes bretonnes comme alternative économique au cheval. L’âne devient le compagnon des randonneurs dont il porte les bagages, ou il contribue à l’entretien des friches. Sa capacité à faire fuir les chiens errants en fait un utile complément aux petits troupeaux de moutons.

Chez nos cousins En Normandie, l’âne était très utilisé pour le portage du lait. Une association s’est créée en 1993 pour obtenir la reconnaissance de la race (ce fut aussi le cas de l’âne du Cotentin peu après). Cinq ans plus tard, le Ministère de l’agriculture enregistrait 225 ânes identifiés. Les « races » locales bretonnes ne devaient pas être très différentes ; on pouvait encore voir quelques ânes bien typés il y a une trentaine d’années (en particulier en Trégor et Goëlo). L’âne normand est de taille moyenne (1,25 m au plus), sa robe va du bai au bai brun contrastée par une croix de Saint-André et une raie de mulet, avec ou sans zébrure sur les membres. Les oreilles sont de bonne longueur, les membres solides, les yeux vifs avec des lunettes gris blanc, parfois cernés de roux et des arcades bien marquées.


Anémone Recroquevillées sur elles-mêmes, elles ressemblent à de vilaines verrues mais, quand elles s’ouvrent, nous découvrons d’étranges fleurs sous-marines.

ommençons en caressant l’étrange animal vert ou gris qui semble se recroqueviller au fond de la cuvette de granite que la marée basse a découverte. Ses fins tentacules formant une couronne ondoyante sont légèrement râpeux ; ce sont des cellules urticantes qui assurent à la fois la capture des proies et la défense contre les prédateurs. Les anémones, qui étaient d’ailleurs nommées « orties de mer » dans les ouvrages anciens, ne sont toutefois urticantes que pour nos muqueuses. Elles n’en sont pas moins consommables, en omelettes ou en beignet (faire macérer dans un peu de vinaigre, rincer, égoutter, fariner, frire à l’huile en ne retournant qu’une fois ; pour une omelette, ajouter les œufs battus).

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Simple mais belles Les anémones sont des organismes très simples puisqu’elles se présentent comme un sac cylindrique avec doublure ; son ouverture sert autant à absorber qu’à évacuer et la poche centrale, autant de chambre d’enfants que d’estomac. Quand, comme dans les grottes, le support est dur, les anémones sont collées par une ventouse ; quand, par contre, il s’agit d’un fond meuble, le « pied » est légèrement enterré. Les anémones sont des prédateurs sédentaires même si elles peuvent se déplacer, comme l’anémone marguerite.

Fleurs géantes Il y a tant d’espèces d’anémones que beaucoup n’ont qu’un nom latin et nous ne pouvons évoquer ici que quelques espèces remarquables. On connaît sous les tropiques des anémones d’un mètre de diamètre ; en Bretagne, les plus grandes ne dépassent pas, tentacules déployés, une dizaine de centimètres. C’est le cas

de l’anémone dahlia, présente dans les zones assez éclairées et formant une grosse verrue rougeâtre qui ne paie pas de mine quand elle est rétractée. Mais elle devient l’une des plus grandes et des plus spectaculaires quand elle s’étire et présente, sur un pédoncule qui peut atteindre 15 cm, une centaine de gros tentacules zébrés de rose, de vert ou de rouge. Une anémone commune sur l’estran se présente aussi comme une ampoule brun-rouge (ou verte) quand elle est rétractée, c’est l’actinie chevaline, ou « cul de jument ». Elle est appelée en Haute-Bretagne « gamme de chien » parce qu’on la croyait produite par l’écume des chiens enragés. Heureusement, la vaccination pastorienne ne l’a pas fait disparaître.

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Anguille Abondante autrefois, l’anguille est désormais une espèce en danger. Elle révèle le triste état de nos rivières et les abus d’une exploitation mercantile insensée. Seul un effort exceptionnel semble pouvoir lui donner une chance de survie. n une vingtaine d’années, la situation de l’anguille est devenue catastrophique, tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle bretonne. En 1995, on trouvait une dizaine d’anguilles sur 100 m2 de rivière en Bretagne (ce qui correspondait pratiquement à la moitié du poids total des poissons présents) ; en 2003, il n’y avait plus que quatre anguilles en moyenne pour 100 m2. En 2008, les zones littorales qui sont les plus riches affichent des densités de l’ordre cinq anguilles pour 100 m2 et elles descendent à une anguille pour 100 m2 dans toute la partie centrale de la région. Dans les années 1970, on pêchait 100 t de civelles par an dans l’estuaire de la Vilaine. En 2008, en capturant 90 % des civelles présentes, les pêcheurs en ont pris moins de 6 t. Une situation vraiment catastrophique.

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Anguille sous-marine Rappelons les étonnantes caractéristiques biologiques de ce poisson migrateur. L’anguille grandit dans les cours d’eau européens mais elle naît, se reproduit et meurt en mer des Sargasses. Il faut donc que la larve effectue en s’aidant du Gulf Stream un trajet de plus de 6 000 km. Le voyage dure environ deux ans et demi. À l’approche des côtes européennes, les larves se métamorphosent en jeunes anguilles transparentes, les civelles, qui vont remonter les cours d’eau à la recherche d’un habitat. On parle d’anguille verte pendant la phase d’alimentation en rivière. Elle mesure alors de 30 cm à 90 cm (les femelles étant plus grandes que les mâles). Le corps est jaune à verdâtre selon le milieu où elle évolue. Quand les mâles ont quatre à six ans et les femelles six ans révolus, leur couleur vire à l’argenté sur les flancs et annonce le retour vers les zones de reproduction dans les grands fonds des Sargasses.

Anguille sous surveillance Les caractéristiques biologiques de l’anguille ne sont pas sans effets sur les moyens à mettre en œuvre pour sa protection. Comme la larve ne peut pas choisir l’estuaire où elle arrive, les mesures prises dans un

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bassin versant n’ont pas d’effet direct sur le nombre d’anguilles qui viendront y vivre dans l’avenir alors que, dans le cas du saumon, chaque bassin peut gérer directement son propre stock dans la durée. Il est donc indispensable de penser la gestion de l’anguille à une échelle très large et de s’attaquer à l’ensemble des causes de disparition d’origine humaine : barrages, pêche excessive, destruction de zones humides, etc. Le plan français de restauration inquiétait par ses insuffisances, mais l’Union européenne a pris le taureau par les cornes et, sur avis des scientifiques, interdit en 2011 toute exportation d’anguilles ou de civelles vers des pays tiers. Il faut dire qu’entre 1998 et 2008, 3 000 tonnes d’anguilles, dont 40 % de civelles (soit 2 milliards d’individus), ont été expédiées en Asie pour l’élevage ou la consommation directe. Une manne puisque la civelle se négocie autour de 300 m le kilo. On a évalué à 15 millions d’euros le chiffre d’affaire de la filière française en 2002, abstraction faite du fort braconnage récurrent et, en 2007, la civelle fournissait de 50 à 100 % du chiffre d’affaires des 1 100 professionnels français pêchant cette espèce.

Anguille sous langue L’anguille a laissé une forte trace dans les expressions courantes : « écorcher l’anguille par la queue » (commencer par la fin) ; « rompre l’anguille sur le genou » (tenter l’impossible) ; « il y a anguille sous roche » ; « à trop presser l’anguille, on la perd » (à trop vouloir, on perd tout) ; « femme se retourne mieux qu’anguille ». Toutefois, en matière de gestion des cours d’eau, on ne peut que déconseiller de suivre le dicton « c’est la nuit qu’on prend des anguilles » car, dans la situation actuelle, rien ne sert d’attendre pour agir.


Aplysie Le monde marin est une source infinie d’émerveillement et de découvertes. De multiples espèces sont à la base de découvertes scientifiques. Ainsi, il apparaît que les lièvres de mer ont de la mémoire. a mer est un monde si étrange que l’homme n’a bien souvent pas trouvé d’autre solution pour l’appréhender que de ramener l’inconnu au connu et le marin au terrestre. C’est ainsi que les deux tentacules qui font comme deux oreilles ou deux petites cornes sur la tête de l’aplysie ont valu à cet invertébré le nom de « lièvre de mer », parfois de « vache de mer ». Ces tentacules sont de délicats organes sensoriels à la fois tactiles et gustatifs. Une paire d’yeux est située à leur base. L’animal en lui-même est constitué d’un large pied dont les souples expansions latérales servent de nageoires. Une branchie unique qui forme une sorte de petit buisson sur le dos assure la respiration et une coquille interne, réduite, mesurant à peu près le tiers de l’animal, lui donne une certaine rigidité.

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Marchand de vin ou de vinaigre ? Vache de mer, l’aplysie l’est encore plus sûrement par le fait qu’elle broute les algues, y compris microscopiques, fixées au substrat. C’est un animal hermaphrodite ; ses œufs forment des tortillons blancs agglutinés par de la gelée. Les larves vivent dans la masse d’eau puis se métamorphosent. Les jeunes adultes gagnent alors les zones d’herbiers de zostères qui sont leur habitat préférentiel. On trouve parfois à l’automne de grandes quantités d’aplysies échouées sur le rivage. Il semble s’agir d’un phénomène lié à des conditions météorologiques particulières favorisant la mort et l’échouage d’animaux affaiblis ou en fin de vie. Il y a trois espèces d’aplysies assez communes sur les côtes bretonnes. Mais leur identification n’est pas facilitée par une grande variabilité des couleurs allant du rouge au vert et du noir au brun. On observe surtout deux petites espèces (Aplysia depilans et Aplysia punctata) qui mesurent généralement 15 à 20 cm. La plus grosse (Aplysia fasciata) peut atteindre 40 cm et peser un bon kilogramme, elle semble ne s’être installée que récemment sur le littoral breton. Serait-ce un indice, parmi d’autres, du dérèglement climatique ?

Les pêcheurs de Plougastel et du Tinduff nommaient marc’hadour gwin (marchand de vin) et ceux de Molène lounker gwin (avaleur de vin) une grosse aplysie qui peut devenir envahissante certaines années. Il s’agit d’Aplysia punctata. On la nomme ailleurs « pissevinaigre ». En effet, elle rejette un liquide violâtre, irritant et répulsif pour certains prédateurs. Il semble toutefois qu’il soit du goût de la langouste qui s’en délecte pendant que l’aplysie en profite pour s’échapper. Déjà, les Grecs et les Romains considéraient l’aplysie comme toxique et on a pu mettre en évidence son action inflammatoire sur les muqueuses.

Retrouver la mémoire Cet animal somme toute banal et, qui plus est, toxique, ne semble guère mériter de considération. C’est pourtant le parfait exemple de ces espèces apparemment dénuées d’intérêt qui permettent de grandes découvertes scientifiques. Il se trouve que l’aplysie est dotée d’un nombre réduit de neurones (20 000 environ) dont certains sont si gros qu’ils peuvent même être distingués à l’œil nu. Le neurologue Éric Kandel a mis à profit les possibilités d’observation offertes par l’aplysie pour étudier la façon dont elle pouvait « apprendre » à rétracter sa branchie. Il a montré que la mémoire d’un comportement donné résultait d’une modification de neurones particuliers et a reçu le prix Nobel de médecine pour ce travail qui ouvre de grandes perspectives. Qui sait, par exemple, si des pathologies de la mémoire observées chez les humains ne seraient pas issues de mécanismes cellulaires ancestraux dont la connaissance des mécanismes permettrait d’envisager des formes de réparation ? 35


Araignée de mer La saison des araignées commence vraiment en avril mais l’abondance apparente de l’espèce ne doit pas masquer les menaces qui pèsent sur elle.

st-il besoin de présenter ce crabe épineux aux longues pattes qui vit dans les fonds marins sablonneux et que les pêcheurs vont chercher jusqu’à 50 m en profondeur ? La carapace de l’araignée est très bombée et arrondie, elle présente deux pointes menaçantes à l’avant. Elle mesure de 10 à 20 cm de large. Sa couleur varie du rose au roux mais, dans la nature, l’animal est souvent porteur d’une touffe d’algues artistiquement accrochée sur sa carapace. C’est peut-être pourquoi, en breton, l’araignée est nommée krank pilhaouer (crabe chiffonnier) ; mais on l’appelle aussi kemener (tailleur) car elle semble accroupie comme les tailleurs qui croisaient les jambes.

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Les araignées de saint Gildas Les araignées connaissent d’importants déplacements saisonniers : à partir de janvier, elles remontent des fonds où elles ont hiverné et s’avancent vers les côtes. Il faut imaginer l’extraordinaire grouillement de milliers de carapaces crissant et s’entrechoquant ! Leur progression est assez régulière pour que leur arrivée à proximité des côtes soit prévisible. Ainsi, à l’île d’Houat, on sait que la pêche pourra ouvrir le lendemain de la fête patronale, la Saint-Gildas qui est fixée le 28 janvier. Elle durera jusqu’en juin, quand commencera l’époque du frai. Les larves libérées alors vivent dans la masse d’eau pendant deux à trois semaines, les juvéniles se retrouvant ensuite pour deux ans dans des nourriceries côtières très précisément localisées (les baies du Mont-Saint-Michel et de Saint-Brieuc sont les plus importantes sur la côte nord). À la fin de leur second été, les juvéniles subissent une dernière mue (la quinzième !) qui en fait de vraies araignées. C’est alors qu’a lieu la migration vers

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des fonds supérieurs à 50 m. Un mouvement inverse se produit bien sûr au printemps suivant pour rejoindre les lieux de ponte.

Mâle ou femelle ? Tout au long de la côte nord de la Bretagne, on peut voir, à certaines périodes, les ponts des bateaux de pêche encombrés de casiers à araignées. La Manche, face à la Bretagne et la Normandie, est la première zone de pêche à l’araignée en Europe et il s’y capture environ 5 000 t par an. C’est, bizarrement, une espèce ignorée encore de beaucoup de consommateurs français : 3 % sont acheteurs, sauf en Bretagne, où le chiffre passe à 13 %. Les Espagnols font mieux, mais ils préfèrent les femelles. On distingue le mâle à sa languette abdominale étroite et, s’il est mature, à ses grosses pinces ; la femelle, quant à elle, a une languette abdominale large, bombée chez les adultes, plate chez les jeunes.

Un avenir incertain C’est malheureusement souvent avant même leur premier retour que les araignées sont capturées. La pêche, qui portait autrefois sur l’exploitation de six ou sept générations, repose à 80 % sur celle des nouveaux adultes, dont tous les habitats d’hiver ou d’été sont maintenant pêchés. De plus, le chalutage de fond qui se pratique en Manche ouest d’août à octobre provoque la destruction de plusieurs centaines de tonnes de juvéniles. De leur côté, trop de particuliers pêchent des araignées mesurant moins de 12 cm de large. Ils s’imaginent même, en toute bonne foi, qu’il s’agit d’une espèce différente qu’ils nomment « moussette ». Force est de leur rappeler que, même avec de la mayonnaise, il ne faut pas manger le blé en herbe.


Arbousier Bien des livres vous diront qu’il est méditerranéen, mais l’arbousier pousse aussi en Bretagne et vous propose ses fruits rouges.

ous l’avez sûrement remarqué lors de vos dernières vacances de Toussaint en Corse, dans le Midi ou les Landes : ses beaux fruits rouges légèrement granuleux vous ont fait bien envie avec leur air de fraises arrondies. Mais vous êtes du genre prudent et vous ne mangez que ce que vous connaissez. Vous avez bien raison, mais la prochaine fois, n’hésitez pas : c’est loin d’être du poison même si le produit n’est guère sucré. Notez bien qu’à moins de connaître un jardin où il pousse, vous ne pourrez pas faire l’expérience en Bretagne, seule région de France où cet arbuste est protégé !

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Limite nord en Bretagne ? Symbole, parmi d’autres, du climat plus que clément de certaines de nos côtes, l’arbousier y atteint sa limite nord en France et ne pousse que sur des surfaces réduites. C’est ce qui explique son inscription dans la liste des espèces végétales protégées. Mais il n’est pas défendu de l’admirer, d’autant plus qu’il présente la particularité de porter simultanément des fleurs (blanches) et des fruits issus des fleurs de l’année précédente. On le trouve naturalisé dans quelques sites du Finistère (Carantec, Tréflez, Pontl’Abbé, Fouesnant, etc.), et près des estuaires du Léguer et du Trieux (Côtes-d’Armor) où il pousse peut-être spontanément (certains auteurs considèrent qu’il a pu y être anciennement introduit). Il est plus présent dans le Morbihan, en particulier autour du golfe, et, plus au sud, à Noirmoutier. Il faut toutefois noter qu’on peut aussi voir des arbousiers en Irlande, dans le comté de Kilarney où il existait un énorme pied de près de 3 m de circonférence au début du XXe siècle et où certains sujets font encore plus d’un mètre. Les incendies qui ravagent son habitat en France ne lui laissent guère le temps d’atteindre cette taille ! On se consolera en admirant celui de la rue du professeur Langevin à Lorient, qui culmine à une dizaine de mètres de haut.

Une plante sacrée Nul ne s’étonnera si cet arbuste plutôt rare en Bretagne n’y a pas laissé légendes et traditions et, s’il porte un nom breton peu connu (gwezenn-sivi) alors qu’il a inspiré tous les peuples méditerranéens. Ses feuilles persistantes, ses fleurs mêlées à des fruits spectaculaires ne pouvaient qu’attirer l’attention. Les Romains l’avaient consacré à la déesse Cardea, sœur d’Apollon, qui utilisait une baguette d’arbousier pour chasser les sorcières et guérir les enfants malades. Dans l’Énéide, Virgile décrit l’enterrement de Pallas sur une civière de branches d’arbousier. Les Berbères chassaient les démons avec ses rameaux et y accrochaient les vêtements des malades pour que l’arbre « prenne » la maladie.

Argousier ou arbousier ? L’arbousier, même s’il peut atteindre plus de 10 m de hauteur, appartient à la même famille que les bruyères. Ne le confondez pas avec l’argousier, ou saule épineux, qui est proche de l’olivier. Vous avez pu le voir en Savoie, dans les dunes de Flandres ou dans la vallée de la Durance. Ses baies sont moins spectaculaires mais comestibles et si riches en vitamines, acides aminés et oligo-éléments que l’URSS en avait fait un aliment courant pour ses cosmonautes. Lui aussi pousse en Bretagne. Ses ultimes sites littoraux vers le sud se trouvent à Étables, Fréhel et Saint-Cast mais on ne peut dire s’il s’agit d’introductions anciennes. Les argousiers de Saint-Cast-Le Guildo se situent à quelques dizaines de kilomètres de l’ultime site vers le nord de l’arbousier. Un peu comme si, pour rien au monde, ces deux arbustes ne voulaient se confondre.

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Argiope fasciée Les araignées ont huit pattes et un corps fait d’une seule pièce ; ce ne sont donc pas des insectes qui, eux, ont six pattes et un corps en trois segments. Comme les scorpions et les acariens, les araignées appartiennent à la classe des arachnides.

n estime à 35 000 le nombre des espèces d’araignées dans le monde ; la France en abrite 1 500 et la Bretagne environ 700. Il y en a bien une dizaine sur les murs extérieurs et dans les pièces de votre maison, quel que soit votre goût pour le ménage. Les araignées ont une extraordinaire capacité à coloniser tous les milieux (même le fond des mares) et à développer des techniques de chasse très variées. Ce sont d’extraordinaires prédateurs qui apportent une contribution essentielle à l’équilibre général des milieux : les araignées capturent chaque jour l’équivalent du poids des Français !

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Saut à l’élastique Pour capturer leurs proies, les araignées mettent en place de nombreuses stratégies : certaines chassent à courre, d’autres à l’affût, avec ou sans toile. La soie qu’elles peuvent sécréter sert aussi bien à créer des loges, tapisser des tunnels, emballer des proies ou faire du parachute ascensionnel. Pour s’adapter à tant d’usages, la soie est un prodige de chimie. Comment expliquer, sinon, que la toile attrape sans rompre un insecte en plein vol ou qu’un simple fil retienne sans vriller la grosse araignée qui s’accroche au bout ? La soie est une protéine fabriquée par des glandes situées dans l’abdomen et émise par des filières en fonction des besoins. Les scientifiques commencent seulement à en percer les secrets. Des expériences ont ainsi été menées récemment par des chercheurs rennais pour tester la capacité de divers fils à supporter torsions et oscillations. Ils ont montré que la soie d’araignée retrouve exactement son état d’origine, alors que les métaux ou les produits synthétiques se cassent ou se déforment. La soie d’araignée a d’ailleurs une incroyable capacité à supporter des poids sans rapport avec son diamètre : plus de 45 t par cm2 !

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L’araignée laboratoire Convaincus depuis longtemps de l’intérêt de la soie d’araignée, les scientifiques ont multiplié les tentatives pour tenter de la produire en quantité. De grosses araignées malgaches ont vainement été mises au travail. Les chimistes de la société Dupont de Nemours ont bien isolé et fabriqué la protéine de base, mais ils ont buté sur le filage.


Le génie génétique a changé l’approche. Une tentative récente, menée par des universitaires de Munich, a consisté à faire produire la soie par des papillons infectés par un virus porteur du gène activant la production de soie. Une autre expérience conduite par le même laboratoire a combiné utilisation de bactéries et techniques de clonage pour obtenir des fils aux propriétés très précises. Au Canada, ce sont des chèvres génétiquement modifiées qui produisent un lait porteur des protéines magiques de la soie. Déjà les chirurgiens y voient des fils sans équivalent et l’armée y trouve la matière capable de faire des gilets pare-balles aussi résistants que légers. Si ce sont des chèvres angoras, on pourra en profiter pour doubler les gilets pare-balles des espionnes de luxe. Sans que cela exempte le génie génétique des légitimes interrogations qu’il suscite, ces applications ont le mérite de souligner que nous sommes encore loin d’avoir mesuré toutes les richesses de la nature sauvage et que c’est une raison suffisante pour la préserver. Il a fallu 400 millions d’années d’évolution à l’araignée pour mettre au point cette soie multi-usages. Mais elle ne s’est pas arrêtée à ce seul produit puisqu’elle fabrique aussi un venin qui lui sert à immobiliser ses proies et des sucs pour en liquéfier les tissus. En effet, elle pratique une prédigestion externe car son œsophage est trop étroit pour laisser passer des nourritures solides.

Une grande artiste Les toiles géométriques forment de spectaculaires filets entre les arbustes de nos jardins. Les araignées de la famille des épeires qui les construisent doivent trouver un espace propice à la chasse puis des supports situés aux distances idéales pour ancrer l’armature. Elles réalisent ensuite des rayons sur lesquels elles posent

une première spirale de soie non adhésive. Enfin, elles fabriquent l’essentiel du filet collant. L’une des plus belles toiles d’araignée de nos régions est, sans conteste, celle de l’argiope fasciée, une grande artiste de 15 mm qui signe même sa toile de Z rageurs. C’est une araignée qui chasse de jour, au centre d’une toile accrochée entre des graminées. La belle couleur tigrée de la femelle est probablement une ruse pour faire peur aux oiseaux qui peuvent penser avoir affaire à une grosse guêpe. Le mâle, petit et terne, a pris le parti de la discrétion. Le nom de l’argiope signifie que cette araignée a des yeux brillants. Elle en a huit au total, les plus ternes pour voir le jour, les plus nacrés pour voir la nuit. L’argiope fréquente les milieux ensoleillés, qu’ils soient secs ou humides, avec une préférence nette pour ceux où elle trouve des criquets : rives d’étangs, landes, dunes, prairies, friches et même prés salés de bord de mer… Les adultes sont observables de fin juillet à début octobre. Au début de l’automne, la femelle dépose ses œufs dans un gros cocon. C’est pour elle une véritable cure d’amaigrissement puisqu’elle va y perdre la moitié de son poids. Elle meurt peu après, confiante dans la qualité de la soie de son cocon pour protéger ses petits qui se disperseront au printemps.

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Argyronète C’est une araignée si extraordinaire qu’un écrivain lui a consacré un livre et qu’il a même fallu attendre 1744 pour qu’un ecclésiastique qui vivait près du Mans, le père de Lignac, décrive pour la première fois l’étrange vie de l’argyronète. n sait que les araignées sont présentes partout. C’est si vrai qu’il en est même une véritablement aquatique. Elle ne peut donc être observée qu’en scrutant avec une extrême attention les eaux calmes des mares, des étangs et des fosses d’extraction de tourbe exempts de toute pollution et pourvus de végétation. Il était, semble-t-il, relativement facile d’en trouver en Bretagne il y a un siècle, mais l’espèce est devenue rare, en particulier à cause de la destruction des zones humides et de la dégradation de la qualité des eaux. Grise ou brune, velue, on peut surtout la voir venir faire le plein d’air à la surface : la tête en bas, elle sort rapidement de l’eau la pointe de son abdomen et le bout d’une paire de pattes soyeuses. Elle aspire ainsi une véritable goutte d’air qui semble comme collée aux poils de son corps et la transforme en une bulle argentée qui descend à toute vitesse vers le nid. Le nid est une cloche de soie tissée, accrochée dans la végétation, qui retient l’air que l’araignée y dépose. La cloche sert de salle à manger et d’abri pour l’hiver. Légèrement agrandie, elle accueille les œufs. On est frappé par la couleur argentée très particulière du nid rempli

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d’air, même couleur que celle de la base de l’abdomen de cette araignée. Ce n’est pas par hasard si argyronète signifie « qui file de l’argent ».

Champagne ! Prix Nobel de littérature en 1911, l’écrivain belge Maurice Maeterlinck (1862-1949) a une œuvre abondante. Il a même consacré des livres aux abeilles, aux termites et aux fourmis. En 1932, il a publié un ouvrage, L’Araignée de verre, dont l’essentiel est consacré à la fascinante argyronète. Si on n’est pas obligé de le suivre dans ses développements sur l’instinct, l’intelligence et « l’irréductible ténèbre de l’énigme », on peut lire avec plaisir le résultat de ses observations. Laissons-lui la parole : « À l’heure de l’amour, le mâle construit une cloche non loin de celle de la femelle et tisse un tunnel de soie imperméable qui relie les deux habitations. (…) La ponte des œufs, d’une jolie couleur safranée, et, au bout de huit à dix semaines, leur éclosion, se font dans la cloche maternelle que les jeunes argyronètes, s’élançant tout équipées dans la vie qui commence, quittent enfin en petites bulles de vif argent qui fusent et qui pétillent comme du champagne ».

Araignées marines Il existe quelques rares araignées qui, sans être arrivées au degré d’évolution de l’argyronète, n’en sont pas moins capables de subir des immersions plus ou moins longues. La magnifique dolomède, une grosse araignée ornée de bandes jaunâtres, que l’on peut voir à l’affût au bord des mares, est tout à fait capable de plonger à 20 cm de profondeur. Plusieurs espèces de la famille des désidiopsis, que l’on trouve dans des zones plus chaudes, peuvent chasser dans l’eau de mer ou s’abriter dans un trou de roche fermé par un opercule de soie à marée haute. Il y en a même une qui fabrique une petite cloche sous-marine. Mais les araignées marines n’ont pas l’intérêt gastronomique des araignées de mer !

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Armérie Chaque printemps, grâce à l’armérie, les côtes bretonnes se mettent au rose. Cette plante protège les sols autant qu’elle les décore.

lle est tellement typique du littoral breton que son nom est dérivé d’Armor. L’armérie maritime est en effet présente tout au long de nos côtes dans les rochers, sur le haut des falaises et même sur les vases salées. On la trouvait même autrefois assez loin dans les estuaires, comme à Rieux sur la Vilaine. C’est sur les plateaux qui prolongent les escarpements battus par les embruns qu’elle forme de magnifiques pelouses au printemps. Quelques centimètres à peine de terre noire lui suffisent pour lancer vers le ciel, de mai à juillet, voire septembre, ses tiges couronnées de pompons roses (parfois blancs). Les feuilles étroites ne poussent qu’à la base faite de ramifications ligneuses plaquées au sol.

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Ne pas confondre Sur les côtes sud de Groix, de Belle-Île et d’Yeu, on trouve à ses côtés une plante aux fleurs en épi, qui lui ressemble beaucoup mais qui est particulièrement rare, le plantain caréné. C’est une variété originale qu’on ne trouve nulle part ailleurs au monde et qui est, à juste titre, protégée. Dans les sables de Vendée et du sud de la Loire-Atlantique, on peut observer l’armérie des sables. On la distingue de sa cousine car la gaine qui enserre la tige est beaucoup plus longue que la fleur. Dans tous les cas, ce sont des plantes à respecter, non seulement pour leur beauté mais aussi parce qu’elles sont l’une des meilleures inventions de la nature contre l’érosion.

Une longue histoire L’armérie ne semble guère exigeante quant à ses conditions écologiques si ce n’est qu’elle ne supporte pas l’ombre des arbres. C’est sans doute pourquoi, après avoir connu une phase d’expansion dans la toundra à l’époque glaciaire, elle s’est réfugiée en montagne et sur

les côtes dès lors que le réchauffement climatique a favorisé l’installation de la forêt. Deux sous-espèces sont ainsi nées en s’adaptant progressivement à leurs nouvelles conditions de vie : l’armérie maritime et l’armérie alpine. Pourtant, le nom de cette fleur tellement visible est inconnu de beaucoup de dictionnaires (même si un certain L’Armerye a publié en 1744 un dictionnaire français-breton !). Elle se venge en ayant une belle collection de pseudonymes : gazon d’Olympe, jonc marin, herbe à sept têtes, œillet marin, gazon de Hollande, statice maritime. Qu’importe, l’essentiel n’est-il pas qu’elle mette du rose dans un monde un peu gris ?

Fleurs de pardons Les pèlerins qui allaient au pardon de Saint-Gildas en Penvenan rapportaient un bouquet d’armérie – qu’ils nommaient d’ailleurs « fleur de saint Gildas ». Mais ils utilisaient aussi le silène maritime. De Trélévern, lors du pardon de la Sainte-Anne, ils rapportaient du goémon rouge séché qu’ils fixaient sur leurs armoires. Ceux qui se déplaçaient à Auray pour la même fête rapportaient des épis de millet dans le ruban de leur chapeau tandis que ceux qui honoraient saint Cornély à Carnac revenaient avec des chardons bleus.

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Ascidie Il y a toujours quelque répulsion à découvrir le sac gélatineux et informe crachant de l’eau que l’on nomme ascidie. Elles sont pourtant d’une incroyable diversité, d’une grande beauté et, aussi improbable que cela puisse paraître, notre plus proche cousin parmi les invertébrés. es ascidies vivent isolées ou en colonies et, même si certaines ont une couleur bien caractéristique, il est impossible de distinguer à l’œil nu les multiples espèces ; on en compte plus de 1 400 dans le monde. Il y a des ascidies solitaires et d’autres qui vivent en colonies. Certaines ascidies, toutes petites, se soudent par leur tunique et forment une colonie ; d’autres font un gel rose ou vert-pâle, tandis que les plus discrètes se camouflent sous les algues et les invertébrés. Il en est de rosées, flétries quand on les sort de l’eau et que l’on nomme en breton « seins de grand-mère » (bronnoù mamm gozh). Quant aux ascidies blanches, elles sont plutôt transparentes avec des marques jaunes, et c’était, pour les anciens, des « seins de bonnes sœurs » (bronnoù seurezed). Elles sont communes dans les ports ou à proximité, fixées sur les pierres ; elles filtrent 50 à 100 fois par heure l’équivalent en eau du volume leur corps.

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Au cœur de la recherche En 1877, le fondateur de la station biologique de Roscoff, Henri de Lacaze-Duthiers a réalisé la description scientifique d’un groupe d’ascidies solitaires, les molgules. Il a d’ailleurs baptisé une des quatre espèces Molgula bleizi, la molgule du loup, du nom breton de la grotte dans laquelle il l’avait trouvée. Les quatre espèces apparentées vivent dans deux habitats très distincts de la baie de Morlaix. Deux molgules (Molgula bleizi et Molgula citrina) vivent dans certaines grottes rocheuses. Les deux autres (Molgula oculata et Molgula occulta) sont exclusivement localisées sur des fonds sableux, notamment à la pointe de Bloscon, au nord du môle des ferries. Elles ressemblent à de minuscules pommes de terre panées car elles sont couvertes de débris coquilliers et de grains de sable. Dans le courant des années 1990, plusieurs équipes de chercheurs américains ont fréquenté assidûment la

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Station biologique de Roscoff, s’intéressant particulièrement aux ascidies de ce qu’ils nomment « le groupe roscovite ». Dans ce groupe, l’ébauche de colonne vertébrale et du système nerveux que l’on observe chez les larves a évolué différemment chez Molgula oculata qui est, comme la majorité des ascidies, pourvue d’une queue et chez son espèce sœur, Molgula occulta, dont la larve ne développe pas de queue. En croisant ces deux espèces en laboratoire, les chercheurs américains ont pu mettre en évidence la persistance du gène qui contrôle le développement de la colonne vertébrale chez tous les vertébrés. Ils soulignaient que, de l’embryon d’ascidie à l’homme, c’est le même modèle qui se met en place. L’étude a été publiée en 1996 dans Science, la plus importante des revues scientifiques au monde et amplement citée depuis dans la mesure où l’embryogenèse est au cœur de la recherche fondamentale et de multiples applications médicales.

Des hommes et un milieu Un détail de l’article de la revue Science mérite d’être relevé : les scientifiques américains remercient chaleureusement les marins de la Station biologique car, sans leurs savoirs, la récolte et l’identification de ces deux espèces dans une zone précise, connue d’eux seuls et de leurs prédécesseurs, auraient été impossibles. Il y a là matière à méditer sur un « écosystème » très particulier qui rassemble les très riches milieux marins du littoral léonard, deux espèces apparemment négligeables, des marins roscovites, un vieux savant du XIXe siècle et des généticiens américains parmi les meilleurs. On espère que le port de plaisance de Roscoff et dont on mesure bien l’intérêt pour une partie de l’économie locale ne mettra pas en péril un site et des espèces dont l’intérêt scientifique n’est plus à démontrer.


Asphodèles La floraison des asphodèles est superbe mais brève. Dommage pour ceux qui, en été, ne voient que des tiges noircies !

tranges plantes que les asphodèles dont les plus grands auteurs ont du mal à nous dire si c’est un nom masculin ou féminin, même si les dictionnaires s’accordent à dire qu’ils sont beaux. La première mention en français (1553) se trouve déjà chez Rabelais car le mot n’a pas été composé par un botaniste ; il nous vient directement des Grecs chez qui il évoquait « la vallée de ce qui n’est pas réduit en cendres », c’està-dire le royaume des âmes. Homère évoque d’ailleurs les Enfers où Ulysse est accueilli par Tirésias comme un vaste champ d’asphodèles. La plante aurait été la nourriture des morts et leur est associée dans de nombreuses mythologies. Il est vrai qu’ils sont favorisés par les incendies – donc les incinérations – qui n’atteignent pas leurs racines dormantes.

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Deux asphodèles en Bretagne Il s’agit de plantes vivaces de la famille des liliacées qui sont fréquentes dans les régions méridionales. On trouve les asphodèles principalement dans les vieilles landes ; comme les jacinthes, ils se développent au printemps, avant que les fougères ne les privent de lumière. L’asphodèle d’Arrondeau (nommé aussi bâton blanc d’Arrondeau) est une sous-espèce qu’on ne trouve qu’en Bretagne mais aussi dans le nord-ouest de l’Espagne et au Portugal. Il pousse, en particulier, du littoral de Guérande au sud du Finistère, puis ponctuellement, dans le petit Trégor ou les monts d’Arrée. Il est particulièrement présent à Belle-Île et Groix et sur un large croissant bordant le littoral morbihannais et allant de Redon à Gourin. Il bénéficie d’une protection nationale. L’asphodèle blanc ne se trouve qu’en deux points des Côtes-d’Armor (forêt de Lorge et Plouër) ; en presqu’île de Crozon et à Trégunc dans le

Finistère. Dans le Morbihan, il n’est bien présent que dans le quart sud-est du département, dans les landes de Lanvaux, en forêt de Paimpont, à Houat et Belle-Île.

Fleur de misère Avant d’être supplantées par la pomme de terre, les racines tubéreuses de l’asphodèle servaient à faire une mauvaise farine et même de l’alcool pendant les périodes de disette. Les tiges séchées ou les racines servaient aussi à faire du fourrage. On utilisait parfois la plante pour soigner la gale et les plaies. Poussant sur les sols les plus pauvres, on voit qu’elle cachait mal, derrière ses fleurs éphémères, une image de grande misère.

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Aulne L’aulne glutineux est un arbre si commun, si discret et si peu utilisé de nos jours qu’on a tendance à l’oublier, à ne plus le voir, à l’ignorer. Il mérite mieux.

’aulne occupe une place non négligeable dans les paysages puisque, à côté des saules, il ourle les rives de nombreux cours d’eau et il occupe les terrains les plus humides, de la Suède à l’Afrique du Nord et de la Sibérie à la Bretagne. En breton, c’est d’ailleurs le même terme (gwern) qui sert à désigner l’arbre et le marais. D’où la multiplicité des noms de lieu dérivés, dont la forme Vern ou les traductions du type Launay. Pour faire bonne mesure, le mât des navires porte aussi le nom de l’arbre et atteste ainsi d’un usage très ancien. L’aulne mesure jusqu’à une vingtaine de mètres et peut vivre une centaine d’années. Il porte à la fois les fleurs mâles (longs chatons pendants) et femelles (courts chatons dressés, pourpres) qui se transforment en cônes, les strobiles. Le strobile ressemble à une petite pomme de pin et renferme les graines entre ses écailles. La face inférieure des jeunes feuilles est légèrement poisseuse, d’où le nom d’aulne glutineux (du latin glutinosus, collant, visqueux).

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Un arbre accueillant L’aulne accueille de nombreuses espèces : des oiseaux, des invertébrés, des champignons… Les plus connus de ces derniers sont le bolet livide et le lactaire lilas, mais toute une famille, moins spectaculaire et que l’on nomme les « alnicoles », prospère à son pied. Les racines de l’aulne s’associent avec les champignons qui secrètent des substances protectrices et qui les ravitaillent en eau, en minéraux, en vitamines. De son côté, l’arbre procure aux champignons les sucres simples nécessaires à leur fructification. Comme les légumineuses, l’aulne bénéficie aussi de l’apport d’azote atmosphérique capté par les actinomycètes (des organismes entre la bactérie et le champignon) fixés sur les racines. L’aulne donne donc son nom à des champignons, des insectes et même à un petit passereau qui, lui aussi, lui doit beaucoup. Le tarin des aulnes se reconnaît, pour le mâle, à sa calotte et sa petite bavette noire, sa poitrine jaune et son dos verdâtre rayé de noir. La femelle, plus terne, n’a pas de noir sur la tête 44

et sa poitrine est blanche. Le bec pointu est parfaitement adapté à la recherche des graines dans les strobiles de l’aulne. C’est un nicheur rare en France, mais des centaines de milliers de tarins venant des pays de l’Est, envahissent nos campagnes en hiver.

Un arbre imputrescible Si l’aulne glutineux est négligé, c’est qu’il reste un arbre sauvage dont nul ou presque n’encourage la plantation. Il est pourtant l’un des meilleurs défenseurs de la stabilité des rives des cours d’eau et ses racines immergées font d’excellentes caches pour les truites et le bâti du terrier des loutres. Autrefois, on coupait les aulnes pour fabriquer des échelles, des sabots, des chaises ou des jouets. Les boulangers et les verriers appréciaient leur flamme vive, presque sans fumée. L’écorce, riche en tanins, était utilisée en pelleterie mais, surtout, en teinturerie. Les usages médicinaux valorisaient des propriétés fébrifuges et antirhumatismales. Mais le mérite essentiel de l’aulne était de ne pas pourrir dans l’eau ; il a donc constitué, depuis l’époque préhistorique, le plus sûr des pilotis de toutes les constructions au bord des lacs et des marais. C’est, par exemple, le support principal de toute la partie ancienne de Venise.


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Autour des palombes De tous les rapaces diurnes qui nichent en Bretagne, l’autour est le plus discret. Caché au cœur des plus profondes forêts, il n’en est pas moins l’un des plus impressionnants.

’autour des palombes est un magnifique rapace dont l’envergure varie de 93 à 105 cm pour le mâle et de 108 à 125 cm pour la femelle qui a donc la taille d’une buse. Le dos est marron gris foncé chez la femelle et plus bleu ardoise chez le mâle. Le dessous est blanchâtre, zébré de fines bandes grises. En vol, il montre des ailes larges et arrondies, la queue est longue. On peut confondre l’autour mâle avec l’épervier femelle car leurs tailles sont très proches (la tête plus saillante et surtout l’aile en S de l’autour sont à regarder en priorité). Notons que l’autourserie consiste à dresser des autours, parfois des éperviers, pour la chasse. L’oiseau posé sur le poing de son propriétaire est lancé pour prendre une proie levée par un chien courant. Cet art ancien est pratiqué par une petite minorité de chasseurs dans un cadre légal très strict. La valeur marchande des rapaces dressés reste une cause de dénichages illégaux.

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L’autour prend par surprise Le domaine de l’autour peut couvrir 500 à 5 000 ha de forêt. Il y chasse principalement les pigeons ramiers, des geais et des corneilles, des rapaces tels que le hibou moyen-duc, l’épervier ou la buse, voire des proies plus petites telles que grives, étourneaux, merles et même pinsons. Il ne s’arrête pas aux oiseaux et sait très bien se saisir d’un écureuil ou d’un lapin. Il tue rapidement sa proie et la dévore sur place au sol. Les plumées qu’il laisse sont des indices de sa présence. Sa puissance, son agilité et sa rapidité en font un chasseur redoutable. Il sait attendre à l’affût qu’une proie passe à proximité pour fondre sur elle ; quand le besoin s’en fait sentir, en particulier pour nourrir ses jeunes, il peut patrouiller silencieusement entre les arbres.

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L’autour prend de la hauteur Le meilleur moyen pour voir un autour consiste à trouver à partir de février un point haut à proximité d’un grand massif forestier. Pendant un mois environ, on pourra voir le mâle opérer seul des parades, plutôt en début de matinée. À partir de mars, il continue son petit jeu mais rejoint la femelle quand elle s’élève en début de matinée. Ensemble, ils vont faire de longs vols avec les ailes très tendues qui battent lentement. On peut aussi n’entendre, venant de la forêt, que des cris caractéristiques qui soulignent l’excitation des autours ou une soudaine inquiétude. Ils vont ensuite mener une vie beaucoup plus discrète au cœur de la forêt, construisant ou restaurant un nid très en hauteur (10 à 30 m) dans un gros arbre. La plateforme de branches et brindilles est tapissée de feuilles ou de faisceaux d’aiguilles de pin. Début avril, la femelle pond trois à quatre œufs qu’elle couve pendant 35 à 38 jours. Les jeunes restent un peu moins de cinq semaines au nid et sont en mesure de chasser seuls un mois après leur envol.

L’autour prend des coups Malgré sa suprématie dans les sous-bois, l’autour n’a pas une démographie galopante. Son sens du territoire et l’extension de celui-ci ainsi que, il faut bien l’avouer, une certaine tendance au cannibalisme, font que sa densité ne pourra jamais être forte. On sait que 40 à 80 % des jeunes meurent avant d’avoir atteint l’âge d’un an mais le quart des adultes peut aussi disparaître d’une année sur l’autre. De plus, ces oiseaux ne deviennent adultes qu’à l’âge de deux ans et, chaque année, la moitié des femelles adultes ne se reproduit pas. Ajoutons qu’une étude menée en Allemagne a montré


que l’autour est le rapace le plus susceptible d’abandonner son nid s’il est dérangé, bien plus que la buse variable et la bondrée apivore. C’est dire que dans un contexte forestier où les grands massifs sont rares, activement exploités et très fréquentés comme en Bretagne, l’autour reste dans une situation précaire, tout juste un peu plus favorable en Ille-et-Vilaine. Il y a, au mieux, une quarantaine de couples au total dans les cinq départements de la Bretagne historique, mais deux ou trois seulement à

l’ouest d’une ligne Lannion-Lorient. La population française d’autours se situe entre 5 000 et 6 500 couples. La principale menace qui pèse sur l’autour est l’abattage des vieux arbres dont le maintien n’est pas jugé rentable : ils lui sont indispensables pour installer son nid. Pour les promeneurs comme pour les naturalistes il est impératif de laisser cet oiseau tranquille et de l’ignorer en dehors des rencontres fortuites ou du spectacle de ses parades nuptiales.

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