Anne Duvert Illustré par Béatrice Giffo
Cannelle
et l’étoile d’Ouessant
Les Éditions Buissonnières
Anne Duvert a commencé à écrire très tôt. Après une formation à l’œuvre poétique et L’usage du Conte dans la tradition populaire, elle écrit depuis de nombreuses années des nouvelles et romans pour enfants, qui reflètent sa passion pour les mots et leur merveilleux pouvoir de transmission.
Béatrice Giffo est graveur de formation et illustratrice. Elle expose ses gravures dans les galeries et enseigne aux grands et aux petits le dessin et la gravure chez elle, dans la campagne.
En intervenant chacune dans les écoles et les salons littéraires pour parler des métiers d’auteur et d’illustrateur, Anne Duvert et Béatrice Giffo restent en contact avec leur jeune public toujours heureux de découvrir leurs histoires...
Merci à Erwan Julien et Yvan Duque pour l’aide apportée à la conception des illustrations.
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C’est un vrai plaisir de retrouver Cannelle et ses amis pour vivre avec eux cette troisième aventure. Le jeune public sera séduit par leur enthousiasme et leur générosité. Il partagera leurs émotions dans ce conte où le monde merveilleux des Elfes vient à la rencontre de la beauté sauvage de la mer d’Iroise et de l’île d’Ouessant. Un conte, oui, comme ceux de notre enfance, pour faire rêver et aider à grandir. Chacun peut s’identifier aux héros et avec eux travailler à construire un monde meilleur. Chacun découvre la force de la solidarité qui permet au groupe de résoudre les énigmes et de franchir plus facilement les obstacles. Et Léo, le jeune autiste, si sérieux et si savant, prouve que la différence que chacun porte, est une richesse pour les autres. Par son écriture fluide, ses dialogues rythmés, son talent pour construire et conduire l’intrigue, Anne Duvert tient son jeune auditoire en haleine. La suivre sur les chemins du merveilleux et du rêve, c’est aussi découvrir la beauté et la richesse du monde quand il est fait de solidarité, d’attention aux autres et de respect de notre planète.
Pierre Maille Président du Conseil Général du Finistère
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Je dédie ce livre à mes enfants, William, Eva et Hugo, que j’aime et dont je suis fière. Mais aussi à Anna, Chiara et sa petite sœur Charlotte, Raphaëlle, Arthur et Chloé, Sasha, Julien, Jean, Zoé, Léone, Lise, Jules, Clara, Marie, Emma, Léa et Jeanne, Julie et François, Youn et Ana, Basile et son petit frère, Thomas, Candice, Joey, Romann et Laïs, Antoine Maxime et Nicolas, Aurélie, Léna et Maelle, Théo, Nino, Lisa, et Elliot, Swann, Yaelle, Amélie, Noéllie, Laurine, Sayan, Léo, Pauline, Norig, Vona, Erell et Malo, Marie et Sullian… et à tous mes autres lecteurs, sans oublier les enseignants et parents, qui me donnent beaucoup de joie en me témoignant leur attachement à Cannelle, et à mon éditeur qui trouve judicieux de les contenter…
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Chapitre 1
Doucement, la nuit descendait sur le port de Brest. L’agitation joyeuse, qui quelques heures plus tôt régnait sur les quais, avait laissé place à un grand calme. Les marins affairés et les visiteurs emmitouflés venus pour visiter les bateaux pendant le rassemblement d’hiver avaient peu à peu quitté les lieux, rendant les navires à leur tranquillité. Il n’y avait plus de bruit, à part le cliquetis du vent froid dans les haubans, et le grincement des cordages dans les poulies de la Belle Étoile. Le vieux gréement était amarré au ponton, ses mâts se découpant en ombre chinoise sur le ciel. La mer paisible berçait sa coque d’une caresse lente. Quand soudain, sous l’éclat de la lune, une ombre minuscule et filiforme glissa furtivement sur le pont du bateau. À peine le temps d’un battement de cil plus tard, une deuxième ombre se faufilait à la suite de la première. 7
Même le plus attentif des observateurs aurait cru rêver, tant tout était allé vite. Mais le petit bruit que firent les charnières du couvercle d’un coffre que l’on soulevait, suivi de près par le claquement sec qu’il fit en retombant, l’aurait convaincu que quelque chose s’était bien déplacé sur le pont. Quelque chose, ou quelqu’un… Cannelle renversa son sac, pour la troisième fois. Autour d’elle, des papiers s’étalaient sur la table de la cuisine, à côté des restes du déjeuner rapidement avalé. Elle cherchait une pochette violette, tout en jetant de temps en temps un coup d’œil à la pendule. Il lui restait une demi-heure avant son rendez-vous avec ses amis. Elle fonça jusqu’à sa chambre et farfouilla sur son bureau, encombré de livres, comme d’habitude… Enfin, le dossier était là ! Repoussant d’une main les boucles de ses cheveux roux, elle fila à la cuisine, glissa la pochette dans son sac avant de s’élancer vers la porte. Cannelle marchait d’un pas alerte, tout en essayant tant bien que mal de regrouper ses boucles dans une natte. Elle souriait en se disant que les gens qui la croisaient devaient la trouver drôle d’avancer comme ça au pas de charge, les bras en l’air et un élastique rouge coincé entre les dents ! Elle arrivait en vue de la grille du collège lorsqu’elle aperçut ses amis qui l’attendaient déjà. En souriant, elle parcourut les derniers mètres qui les séparaient : 8
— Bonjour ! lança-t-elle joyeusement en balayant du regard le groupe que composaient Marie, Yaëlle, Julien et Léo, leur inséparable copain autiste. Les yeux noisette de Cannelle étaient tout plissés de plaisir. — Salut Cannelle, tu es pile à l’heure, murmura Marie en regardant sa montre. Cannelle lui sourit gentiment. Marie, cachée derrière sa frange de cheveux châtains, avait toujours un petit air inquiet très attendrissant. Julien, impatient, s’interposa entre les filles : — Tu n’as pas oublié le papier de l’inscription j’espère, parce que je te rappelle que c’est toi qui as le numéro de référence ! — Mais comment aurait-elle pu oublier une chose pareille ? bondit Yaëlle avec son espièglerie habituelle, 9
tout en secouant ses longues mèches blondes. On a assez travaillé pour ça ! — Moi j’ai trouvé que c’était facile, ponctua Léo leur copain autiste, avec son sérieux habituel1. — Toi, tu trouves toujours tout facile, dit Marie en glissant son bras sous celui de Léo. Moi, j’ai des « fourmis dans l’estomac » depuis ce matin tellement j’ai le trac. Léo fit une grimace risible, et plissant les lèvres, dit d’un ton sentencieux : — Tu ne peux pas avoir des fourmis dans le ventre dit Léo, qui ne comprenait pas ce que Marie voulait dire. C’est impossible. — Mais Léo, c’est juste une expression ! répondit Yaëlle en riant. C’est pour dire qu’elle a vraiment la trouille ! — Ah ! d’accord, dit Léo. Maintenant je le saurais… — En tout cas, lança Cannelle, en brandissant la pochette violette qu’elle avait sortie de son sac, quoi qu’il en soit, on va le savoir très vite ! — À votre avis, on a une chance d’avoir gagné ? demanda timidement Marie. — Dans la mesure où quinze équipes ont participé au concours et qu’il y a trois prix, on a une chance sur cinq de remporter un prix, conclut sobrement Léo, tout en remuant les doigts de façon incontrôlable. — Waouh… Léo, tu calcules trop bien, dit Yaëlle en posant une main apaisante sur celle de Léo. Bon, on y va ? 1. Voir Le trésor de Cannelle.
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— Allez, c’est parti, dit Julien. On va à la librairie chercher le journal ! Les enfants prirent la direction du port où se trouvait la librairie, dans un étonnant silence. Chacun, dans ses pensées, se remémorait le jour où ils avaient décidé de participer au concours de nouvelles… L’annonce, que la mère de Cannelle avait découpée, avait paru dans le journal régional au mois d’octobre… Les enfants avaient tout de suite été enthousiastes : Écrivez une histoire extraordinaire ! Envoyez-la ! Si vous êtes sélectionnés vous gagnerez un cadeau formidable. Bien sûr, il y avait un critère imposé : constituer un groupe de cinq enfants de 11 à 12 ans, et écrire en commun une histoire d’au moins dix pages racontant une aventure originale. Ils s’étaient lancé un coup d’œil complice et avaient décidé d’écrire ensemble… l’histoire d’une rencontre entre une petite fille et des lutins1 ! Et puis ils avaient envoyé leur nouvelle au journal ; le résultat du concours devait être annoncé dans l’édition régionale du mercredi 17 décembre, pile une semaine avant Noël. Et aujourd’hui c’était le grand jour ! Arrivés devant la librairie, ils s’arrêtèrent, se regardèrent d’un air entendu, et Julien entra. Il prit l’édition locale, paya le journal et ressortit en brandissant la Une. — Résultat du concours régional de Nouvelles, page 3, lut Cannelle en tapotant l’article de l’index. — Vas-y, ouvre-le, trépignait Yaëlle qui avait toujours l’air d’être montée sur ressorts. Un encart se détachait avec le titre en gros caractères. 1. voir Cannelle et le Lutin.
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Leurs cinq têtes penchées sur le journal, les enfants lurent en chœur : Nous avons l’honneur de vous communiquer la liste des participants (et les numéros anonymes d’inscription) et de vous informer qu’à l’issue de l’examen des 15 textes que nous avons reçus pour notre concours, et délibération de notre jury composé de professionnels de la presse et de l’édition, le texte portant le N° 29/010 a obtenu 12 voix décisives… Les enfants se redressèrent dans un bel ensemble, tandis que Cannelle ouvrait fébrilement la pochette à élastique pour y prendre leur bulletin d’inscription… N° 29/010 ! — 29/010 c’est nous ! C’est notre numéro ! Nous avons le premier prix ! hurla Yaëlle en sautant sur place. — Tu es sûre ? Attends qu’on lise la suite, souffla Marie en tirant sur le journal. — Aussi, nous avons le grand plaisir d’annoncer que la nouvelle intitulée Le lutin de la baie de Kerlorc’h, écrite par l’équipe de Camaret-sur-Mer, remporte le premier prix de notre concours, lut Julien. — Tu vois, c’est nous ! Qu’est-ce qu’on a gagné ? demanda Yaëlle. — Mais laisse moi lire jusqu’au bout ! dit Julien. — Conformément à l’accord passé avec la Communauté de Communes de la Presqu’île de Crozon, la nouvelle sélectionnée sera publiée dans l’édition régionale du journal le premier samedi des vacances de Noël. Les gagnants du premier prix recevront un cadeau propice à encourager l’imagination : ils embarqueront pour un voyage de trois jours et deux nuits à bord de la Belle Étoile qui les conduira à l’île d’Ouessant. Nous les 12
invitons à prendre contact avec la Mairie, qui leur transmettra toutes les indications nécessaires. Cannelle, Léo, Yaëlle, Marie et Julien en étaient muets de saisissement. — Quelle chance, murmura enfin Marie. — Et on partirait quand ? demanda Léo qui avait besoin de tout prévoir pour se rassurer. — Le premier week-end des vacances ! C’est dans trois jours ! 13
Cannelle se tourna alors vers ses amis, qui avaient l’air aussi étonnés qu’elle… Et sauta au cou de Yaëlle ! — Je suis trop contente ! s’esclaffa-t-elle en faisant des bonds sur place tout en serrant Yaëlle dans ses bras. — Et moi donc ! renchérit Marie, étourdie de joie. Vous vous rendez compte ? Notre histoire sera dans le journal et des centaines de personnes vont la lire… — Tu veux dire des milliers ! s’exclama Yaëlle. On va être célèbres ! poursuivit-elle en tournant sur elle-même les bras écartés. — Tu fais très bien la toupie, remarqua Léo qui observait Yaëlle, tout en semblant presque indifférent à la gaîté ambiante. — Oui Léo, dit-elle en s’arrêtant devant lui, presque aussi bien que toi ! C’est parce que je suis contente ! — Moi, dit Julien, ce qui me plaît, c’est d’embarquer sur la Belle Étoile ! D’ailleurs, on a intérêt à préparer nos affaires vite fait. — Oh, tu sais, un bon ciré et des bottes suffiront répondit Marie, pratique. — Quelques vêtements seront quand même nécessaires, vous ne croyez pas ? s’inquiéta Léo. — Mais oui Léo, on ne va pas partir en slip ! Dans un éclat de rire, ils s’élancèrent par les ruelles pavées jusqu’à la Mairie. Avertie par la direction du journal, Véronique, la secrétaire, avait tout planifié. Elle les félicita chaleureusement et leur expliqua que leurs parents seraient contactés en fin de journée pour la marche à suivre. Quant à eux, ils n’avaient plus qu’à aller préparer leurs bagages pour embarquer samedi sur la Belle Étoile ! 14
Ce bateau, les enfants le connaissaient bien. C’était la réplique du dernier langoustier construit à Camaret, à la pointe du Finistère. Il paradait lors des fêtes de la mer, sa coque blanche en bois sous ses voiles rouges, comme un grand oiseau entre le ciel et l’eau… Et cette fois, ils en seraient les passagers exclusifs ! La classe ! Un peu sonnés par cette avalanche de bonnes nouvelles, les enfants décidèrent de rentrer chez eux, pour raconter à leur famille ce qui leur arrivait, et ce cadeau inespéré ! Il leur restait peu de temps pour tout mettre au point, parce que, comme le disait si bien Yaëlle : samedi… c’était samedi ! Pendant ce temps, à Brest, l’équipage de la Belle Étoile finissait la grande toilette du bateau. Après s’être activés pendant deux heures, ils avaient envie d’une pose. Leur estomac criant famine, en riant, ils avaient tiré à la courte paille pour savoir qui… ferait à manger ! C’était Yann qui avait gagné ce privilège : — Ragoût de légumes, ça vous va ? lança-t-il joyeusement à Hervé et Steph. À l’avant du bateau, Yann souleva le couvercle du grand coffre en bois, dans lequel on entreposait les provisions fraîches pour les conserver. Il attrapa trois carottes, deux courgettes et un oignon. De curieuses petites encoches marquaient les légumes. En fronçant les sourcils, Yann s’interrogeait : il n’y avait pas de souris à bord, il aurait remarqué des traces de leur présence. Qu’est-ce qui avait bien pu faire 15
ces drôles de marques ? Un mystère qui resterait entier, car il était temps d’avaler quelque chose ! Après leur repas et un dernier coup d’œil satisfait sur le bateau, Hervé, Yann et Steph avaient surtout envie d’un bon café dans un des bistrots du port. Tout en discutant, ils descendirent à terre, et s’éloignèrent lentement. Dans leur cachette, sans faire le moindre mouvement et l’oreille aux aguets, Ellir et Irimor, les deux petits passagers clandestins, étaient transis de froid. On était presque en hiver, et depuis la veille, l’air s’infiltrait par les fissures du coffre qui leur servait d’abri. Ils avaient beau s’être enveloppés dans leurs manteaux en laine, ce n’était pas suffisant. Irimor avait pourtant choisi l’endroit le plus propice à leur voyage secret sur la Belle Étoile. Au moins ils ne mourraient pas de faim : le coffre était plein de fruits et de légumes. Irimor 16
s’empara d’un torchon propre qui couvrait une caisse de pommes et s’en servit pour calfeutrer au mieux les interstices par lesquels les courants d’air passaient. Irimor se rassit près d’Ellir et, avec un outil minuscule, il préleva comme la veille, sur une pomme, un morceau de la taille d’un petit pois qu’il tendit à Ellir, laissant sur le fruit une petite encoche ronde. — Rim hennaïde (merci beaucoup). Quand allonsnous partir, tu le sais ? demanda Ellir. Sa voix était si mélodieuse qu’on aurait dit la caresse du vent dans les cordes d’une lyre. Irimor la serra un peu plus fort contre lui. — Bientôt Ellir… Ce soir. Les Humains ont dit qu’ils iraient chercher des enfants à Camaret avant de prendre enfin la mer pour Ouessant. — Je suis si inquiète. Es-tu sûr que nous serons à temps sur l’île ? l’interrogea-t-elle, tandis qu’un voile traversait son beau regard bleu. — Il le faut, Ellir… Nous devons accomplir notre mission, et pour cela retrouver la clé qui ouvrira la porte du ciel… Il faut absolument que nous réussissions. Etta i mornië ar i mordor vanyuvar (ainsi les ténèbres et les ombres disparaîtront)… Tout va bien se passer, je suis sûr que nous trouverons de l’aide, lui dit Irimor avec un sourire qu’il voulait rassurant. — Je l’espère, je suis si fatiguée… — Repose-toi, Ellir, je vais veiller. — Hannon le mellonamin (je te remercie mon ami). Ellir se blottit contre Irimor et ferma les yeux. Le silence les enveloppa.
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Anne Duvert – Béatrice Giffo
Cannelle et l’étoile d’Ouessant Après avoir gagné un concours, Cannelle et ses amis, dont Léo, leur inséparable copain autiste, se lancent à la recherche d’un sceptre disparu sur une île de légende, en compagnie de deux Elfes qu’ils vont devoir aider dans leur incroyable mission... Mais y parviendront-ils à temps ?
ISBN 978-2-84926-119-4 • Les Éditions Buissonnières • Décembre 2011 • Prix : 10 €