Provea: Bulletin International du mois de mars 2014

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Programme Vénézuélien d’Education Action en matière des Droits de l’Homme, Provea | Edition N°11 | Mars 2014

Le Programme Vénézuélien d’Education-Action dans le domaine des Droits de l’Homme présente son onzième bulletin international du mois de mars 2014. Le thème central sera consacré à une rétrospective de la protestation sociale au Venezuela afin de rafraîchir la mémoire historique de ceux qui contrôlent l’utilisation de la force de l’Etat. Le thème spécifique sera consacré aux protestations liées au travail, qui sont très importantes pour la revendication des droits des travailleuses et travailleurs vénézuéliens. De plus, nous ferons référence aux recommandations de l’OIT. Finalement, la conjoncture sera consacrée au thème du dialogue national et à l’accompagnement de l’Unasur qui représente un espoir pour trouver la paix sociale en respectant les droits humains de la population et en trouvant une solution collective aux causes de la convulsion sociale actuelle. Notre bulletin est disponible en espagnol, portugais, anglais et en français sur notre site web http://www. derechos.org.ve. Nous vous remercions d’envoyer vos remarques et commentaires à l’adresse suivante : boletin@derechos.org.ve.

Informe-toi sur la situation de 20 droits de l’homme au cours des 15 dernières années au Venezuela. Consulte notre rapport spécial “15 ans sur les droits de l’homme: Inclusion sociale et exclusion politique.”

> THEME CENTRAL

Passé et présent des protestations au Venezuela La vague de protestations réalisées au Venezuela depuis le 4 février dernier, lorsque des étudiants de l’Universidad Nacional del Tachira (UNET) ont manifesté contre l’insécurité et le présumé abus sexuel contre une de leur compagne – qui s’est soldée par 6 détenus – présente des ruptures et des similitudes avec la culture de manifestations populaires réalisées depuis 1958, début de l’actuelle période démocratique du pays. Selon des estimations de Provea, entre le 4/02/2014 et le 31/03/2014, au moins 800.000 personnes ont participé aux manifestations réalisées dans 16 des 24 états du Venezuela. La durée et l’étendue des protestations sont deux nouveautés importantes. Un autre élément en est la diversité: manifestations, concentrations, manifestations silencieuses, chaînes humaines, pancartes, distribution de tracts, musiciens dans la rue, prières collectives, interventions urbaines artistiques, fresques, graffitis, assemblées, cours magistraux à l’extérieur, entre autres. Malgré l’existence de foyers de violence, surtout autour des “guarimbas” - fermeture de rues avec des barricades violentes – si l’on fait une révision globale de l’ensemble des manifestations on voit que celles-ci ont été majoritairement de caractère pacifique. Comment étaient les protestations avant 1999? - date du début de la première présidence d’Hugo Chávez-. L’historienne Margarita López Maya a créé au cours de ces années, la base de données appelée “Bravo Pueblo” pour évaluer les types et les raisons des protestations dans le pays. Entre 1985 et 1999, les trois principales formes de protestation au Venezuela ont été, par ordre d’importance: troubles, manifestations et fermetures de rues. Un trouble est considéré comme une protestation violente en raison de l’affrontement entre les manifestants et la police et la répression de cette dernière contre les manifestants. Les fermetures des rues étaient réalisées non

“Hulk” contre la répression à San Cristobal. Photo : Réseaux sociaux

seulement par les manifestants eux-mêmes mais aussi avec des objets contondants et des pneus en feu, pour faire pression pour obtenir une réponse des autorités. Selon les réflexions de Margarita López Maya par rapport à ce contexte : “La nature et les formes spécifiques de la protestation populaire qui sont généralisées dans la décade conservent une relation très étroite avec le processus de délégitimation des organisations syndicales et corporatives qui a eu lieu depuis la fin des années 80, avec comme conséquence le processus de désinstitutionalisation du système des partis. Le vide laissé par l’affaiblissement de ces institutions de représentation et de médiation a provoqué l’apparition d’acteurs d’urgence”. Il semble qu’il soit encore trop tôt pour faire un diagnostique sur la nature et la signification des protestations actuelles dans le pays.


Pour le moment, nous nous limiterons à décrire la situation actuelle du conflit. La Procureure Générale de la République a informé le 4 avril 2014 que comme conséquence liées aux manifestations on faisait état d’un total de 39 morts et 608 blessés dont 414 civils et le reste correspondant à des fonctionnaires de sécurité. La fonctionnaire a précisé qu’au terme de 26 instructions, il avait été prononcé 21 mises en accusation de 67 personnes et 5 non-lieux. De plus, elle a indiqué que les accusés jouissaient de mesures restrictives de liberté. Elle a mentionné que les autorités enquêtent encore 102 cas pour violations présumées des droits humains, 95 cas pour traitement cruel, 2 pour torture, 2 pour homicide frustré et 3 pour homicide réalisé. Pour sa part, Amnesty International a détaillé dans son rapport intitulé “Le Venezuela : menaces pour les droits humains au milieu des protestations” que plus de 500 personnes avaient été blessées et plus de 2000 avaient été arrêtées. “La majorité des personnes arrêtées ont été libérées de manière conditionnelle pendant que les enquêtes sont réalisées mais elles risquent des peines de prison. Il existe des informations selon lesquelles les forces de sécurité auraient utilisé la force de manière excessive ainsi que des rapports sur des violences réalisées par des groupes armés pro gouvernement et par des groupes de manifestants violents anti-gouvernementaux. Quelques personnes arrêtées ont déclaré avoir reçu de mauvais traitements et avoir été torturées”. Deux jours après la diffusion de ce rapport, le gouvernement espagnol a annoncé qu’il suspendait la vente de matériel anti-troubles au Venezuela en même temps qu’il annonçait qu’il ne donnerait aucune nouvelle autorisation si les circonstances ne changeaient pas au Venezuela. A propos du rôle des groupes paramilitaires contre des manifestants, il a été exprimé dans un communiqué de la Conférence Episcopale Vénézuélienne: “Nous exigeons de nouveau que le Gouvernement désarme les groupes civils armés. Leur rôle coordonné, suivant des patrons déterminés, montre qu’il ne s’agit pas de groupes isolés ou spontanés mais de groupes entraînés pour intervenir violemment”. Le 3 avril 2014, un groupe de personnes armées a attaqué l’Université Centrale du Venezuela et 7 étudiants ont été blessés, et l’un d’entre eux a été frappé, dénudé de force et humilié. Bien que le président Nicolas Maduro ait accusé les “guarimberos”

- personnes de l’opposition qui protestent de manière violentes – des violences, des témoignages et des photographies montrent Kevin Avila (étudiant en faveur du gouvernement) avec les agresseurs. Le Père Raul Herrera, directeur du Centre pour la Paix et les Droits de l’Homme a dénoncé que l’agression a été réalisée après que la Garde Nationale Bolivarienne a empêché que la manifestation pacifique sorte de l’enceinte universitaire.

Quelques donnees utiles Amnesty International a présenté son rapport sur la situation des droits humains au Venezuela entre février et mars 2014, dans le contexte des protestations sociales, des violences et des violations des droits humains qui ont eu lieu récemment dans le pays. Amnesty International a recommandé à l’Etat vénézuélien de : • Enquêter et sanctionner les responsables des violations des droits humains qui ont eu lieu pendant les manifestations. • Garantir aux détenus l’accès à leurs avocats, familles et services de médecine indépendants. • Garantir aux détenus les droits fondamentaux au cours de la procédure. • Garantir aux personnes le droit à la liberté d’expression et de réunion sans peur d’être victimisées. • Garantir le travail des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des medias ainsi que leur protection. Finalement, Amnesty International a demandé à l’Etat vénézuélien de s’engager en faveur d’un Plan National pour les droits humains. Ce plan doit être le fruit d’un dialogue national. De plus, Amnesty International a suggéré quelques points qui devraient faire partie de ce plan.

> THEME SPECIFIQUE

Protestations liées au travail et recommandations de l’OIT PROVEA et plusieurs organisations nationales travaillant pour la promotion et la défense des droits de l’homme du pays, comme el Observatorio Venezolano de Conflictividad Social (OVCS) (Observatoire Vénézuélien des conflits sociaux) et Espacio Público (Espace Public), ont informé que, sur 16.297 protestations réalisées entre 2008 et 2013, 37% correspondait à des revendications liées au travail. Dans son analyse sur les principales tendances des conflits sociaux vénézuéliens en 2013, l’OVCS compare les chiffres des protestations liées au travail au cours des trois dernières années. L’étude montre que, bien qu’il y ait eu une baisse des mobilisations au cours de l’année dernière, certains droits ne sont toujours pas satisfaits et cela est exprimé dans des manifestations constantes, comme on peut l’observer dans le graphique suivant. Les mobilisations pour des problèmes liés au travail au Venezuela s’étendent sur tout le territoire national et la majorité des conflits, avec les grèves, sont pacifiques.

Observatoire Vénézuélien des Conflits Sociaux


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Observatoire Vénézuélien des Conflits Sociaux

Cependant, le manque de réponse aux demandes et la répression de l’Etat se sont traduits par des dénonciations de violation des droits au travail devant l’Organisation Internationale du Travail (OIT). C’est ce qui est indiqué dans le paragraphe 36 du Rapport de la Mission Tripartite de Haut Niveau de l’OIT qui est venue au Venezuela du 27 au 31 janvier 2014. Ce rapport a été présenté lors de la 320ème réunion du Conseil d’Administration faite à Genève en mars de cette année. Le Rapport contient des plaidoyers de la Confederación de Trabajadores de Venezuela (Confédération des Travailleurs du Venezuela), de la Unión Nacional de Trabajadores de Venezuela (Union Nationale des Travailleurs du Venezuela), de la Confederación de Sindicatos Autónomos (Confédération des Syndicats Autonomes), de la Confederación General de Trabajadores (Confédération Générale des Travailleurs), de la Alianza Sindical Independiente (Alliance Syndicale Indépendante), de la Internacional de Servidores Públicos (Internationale des Travailleurs Publics) – Chapitre Venezuela, de la Federación Nacional de Jubilados y Pensionados de Venezuela (Fédération Nationale des Retraités et des Pensionnés du Venezuela), de la Federación de Profesores Universitarios de Venezuela (Fédération des Professeurs Universitaires du Venezuela), de la Federación Médica de Venezuela (Fédération des Médecins du Venezuela), du Frente Autónomo de Defensa del Empleo (Front Autonome de Défense de l’Emploi), de Salario y Sindicato (Salaire et Syndicat) et du Movimiento Sindical de Base (Mouvement Syndical de Base).

Au cours de la réunion du plus haut organisme de l’OIT, il a donc été décidé de : a) prendre note du contenu du rapport GB.320/ INS/8; et b) insister auprès du Gouvernement de la République Bolivarienne du Venezuela pour que, grâce à des consultations avec les interlocuteurs sociaux nationaux, le Plan d’Action recommandé par la Mission Tripartite de Haut Niveau soit développé et implanté. Cependant, des porte paroles du mouvement syndical en faveur du gouvernement ne sont pas d’accord avec cette recommandation. D’un autre côté, des parlementaires nationaux de l’opposition et le mouvement syndical de l’opposition exigent que le Gouvernement respecte les recommandations de l’OIT afin de canaliser les réponses aux demandes liées au travail. Les principales exigences syndicales recueillies dans le Rapport de la Mission de l’OIT sont : 1) dépasser la polarisation politique; 2) installer le dialogue entre travailleurs, employeurs et Gouvernement; 3) que le gouvernement respecte l’engagement d’adapter la législation du travail à l’Accord 87; 4) supprimer le Registre National des Organisations Syndicales; 5) arrêter de criminaliser la protestation syndicale; 6) annuler le jugement de dirigeants syndicaux pour avoir exercé leur droit légitime à la grève; 7) arrêter de licencier de manière injuste et arbitraire des dirigeants syndicaux qui mettent en question le gouvernement; 8) arrêter d’être hostile face au syndicalisme qui critique les actions du gouvernement dans le secteur du travail et restituer des locaux pour les syndicats qui ont été convertis en bureaux du Gouvernement: 9) rouvrir les discussions sur le contrat cadre qui protège les employés du secteur public et qui est paralysé depuis 2004; et 10) respecter les recommandations de l’OIT et reconnaître les organisations syndicales d’opposition qui sont représentatives. PROVEA souhaite que le dialogue politique installé au Venezuela avec la médiation du Vatican puisse répondre à la demande d’un mouvement syndical qui lutte depuis des années pour récupérer le pouvoir d’achat du salaire et pour des conditions dignes pour le travail. Jusqu’à maintenant, les dialogues de haut niveau n’ont pas inclus l’agenda syndical et le mouvement syndical ne s’est pas réuni avec la délégation de l’UNASUR qui a facilité ces dialogues.

> CONJONCTURE

Le dialogue, entre espoir et frustration Le dialogue est la seule solution à la crise politique et sociale que traverse le Venezuela. Un dialogue auquel participent les acteurs clés du conflit actuel mais aussi d’autres secteurs qui pourraient aider à chercher et à trouver des solutions aux facteurs structurels et conjoncturels qui alimentent la crise. Le gouvernement, l’opposition et le mouvement étudiant sont les principaux acteurs en ce moment. Mais, dans un pays où le groupe à avoir le plus protesté au cours des cinq dernières années est celui des travailleurs et travailleuses, il est indispensable d’incorporer le mouvement syndical. Nous avons insisté sur le fait que tous et toutes dans le pays nous devons et nous pouvons contribuer à ce processus de dialogue urgent et nécessaire. Mais les responsabilités ne sont pas les mêmes.

Le gouvernement a la principale responsabilité. Dans ce sens, il faut signaler que le gouvernement n’a pas été cohérent. D’abord, il a convoqué à la Conférence Nationale de Paix. La première réunion a été très positive en raison de la présence d’entrepreneurs et d’Eglises, mais surtout en raison du ton respectueux et conciliateur du gouvernement et des participants. Moins de 48h après cette réunion, plusieurs membres de l’Exécutif National ont traité de fascistes certains dirigeants de l’opposition. Quelques jours après, le Président Nicolas Maduro a convoqué le secteur étudiant au milieu de nombreuses insultes et disqualifications, mais surtout dans le contexte d’une répression démesurée. Dans le contexte du dit dialogue, le Président a aussi incité à la confrontation du peuple contre le peuple avec l’expression “Petit feu qu’on allume, petit feu qu’on éteint” faisant ainsi la promotion de la violence.


humains ainsi que les homicides et les lésions à des personnes qui sont de la responsabilité de particuliers. Mais surtout, ce dialogue pourrait générer de grandes frustrations s’il n’est pas étendu aux secteurs sociaux comme les mouvements étudiants, syndicaux et paysans. Ce dialogue pourrait aussi permettre de créer de meilleures conditions pour réaliser des protestations pacifiques sans risquer de perdre la vie ou la liberté. Mais, il est certain que la paix et les droits de l’homme ne sont pas un “problème interne” des Etats et que l’accompagnement d’autres Etats et d’organismes multilatéraux est aujourd’hui une des pierres angulaires pour désarmer la violence sociale et politique au Venezuela. C’est dans cette logique d’accompagnement que s’inscrivent les bons offices de l’UNASUR et éventuellement des Nations Unies ou de l’Organisation des Etats d’Amérique.

Réunion de dialogue entre le gouvernement et l’opposition.

Finalement, le Président a encouragé la répression en soutenant l’action de la Garde Nationale Bolivarienne, qui est responsable d’innombrables violations des droits humains, en même temps qu’il soulignait le travail des groupes paramilitaires qui ont été la cause de nombreuses agressions contre des manifestants, des logements et des propriétés.

Pour nous, le dialogue est la seule alternative raisonnable et démocratique pour dépasser la crise politique et sociale que vit le pays. Le gouvernement et les autres pouvoirs publics, tout comme l’opposition et les autres forces vives de la nation, ont un grand engagement envers la population. Le nombre de morts et de violations des droits humains ne peuvent pas continuer à augmenter.

Les initiatives pour chercher une solution politique au conflit à travers le dialogue ont été faites dans le contexte de l’intolérance, de la répression, du rôle de groupes paramilitaires et de foyers de violence créés par des secteurs radicaux de l’opposition qui ont conduit à un total de 39 morts jusqu’au 3 avril. Le gouvernement, qui au début avait refusé tout type de médiation internationale, a finalement accepté les bons offices de l’Union des Nations d’Amérique du Sud (UNASUR). Les membres de l’UNASUR se sont réunis avec divers secteurs de la société vénézuélienne pour s’informer sur la situation et pour contribuer à créer les conditions nécessaires pour que l’opposition et le gouvernement dialoguent. Les chanceliers ont joué un rôle clef pour encourager et faciliter la rencontre entre l’opposition et le gouvernement réalisée le 10/04/2014. Un dialogue qui laisse entrevoir des espoirs pour trouver le chemin vers une solution pacifique à la crise. Cependant, il pourrait y avoir des frustrations s’il n’y a pas d’avancées pour résoudre les problèmes qui touchent la population comme l’insécurité, l’inflation élevée, les pénuries et le chômage. De plus, les questions des droits humains doivent constituer un aspect essentiel de l’agenda afin d’arriver à un engagement clair et sincère pour enquêter et sanctionner les violations des droits

Soutenir les défenseurs des droits de l’homme

Le rapport annuel 2012 sur la situation des droits de l’homme au Venezuela est maintenant disponible sur le site web de Provea : www.derechos.org.ve.

Programa Venezolano de Educación – Acción en Derechos Humanos Tienda Honda a Puente Trinidad, Bulevar Panteón, Parroquia Altagracia, Edif. Centro Plaza Las Mercedes, P.B. Local 6, Caracas, Venezuela Apartado Postal 5156, Carmelitas 1010-A Teléfonos: (58) 212-860.66.69 / 862.53.33 / 862.10.11 Sitio web: http://www.derechos.org.ve Twitter:@_provea E-mail: investigación@derechos.org.ve


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