Prudence Raynes
À la recherche de l’homme perdu L'amour et autres menues contrariétés
Copyright ©2016 par Prudence Raynes. Tous droits réservés Ceci est une oeuvre de fiction. Les personnages et les situations décrits dans ce livre sont purement imaginaires : toute ressemblance avec des personnages ou des événements existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants causes est illicite » (art. L. 122-4).Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Sommaire
PREMIÈRE PARTIE
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QUATRIÈME PARTIE 283
Chapitre 1..................................................7 Chapitre 2................................................14 Chapitre 3................................................23 Chapitre 4................................................29 Chapitre 5................................................38
Chapitre 1..............................................285 Chapitre 2..............................................298 Chapitre 3..............................................312 Chapitre 4..............................................319 Chapitre 5..............................................332 Chapitre 6..............................................342 Chapitre 7..............................................351 Chapitre 8..............................................360 Chapitre 9..............................................370 Chapitre 10............................................379 Chapitre 11............................................390
DEUXIÈME PARTIE
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Chapitre 1................................................49 Chapitre 2................................................60 Chapitre 3................................................69 Chapitre 4................................................81 Chapitre 5................................................95 Chapitre 6..............................................104 Chapitre 7..............................................117 Chapitre 8..............................................121 Chapitre 9..............................................130 Chapitre 10............................................147 Chapitre 11............................................159 Chapitre 12............................................169 Chapitre 13............................................177 Chapitre 14............................................184 Chapitre 15............................................196 Chapitre 16............................................211 Chapitre 17............................................216
TROISIÈME PARTIE 221 Chapitre 1..............................................223 Chapitre 2..............................................234 Chapitre 3..............................................243 Chapitre 4..............................................255 Chapitre 5..............................................262 Chapitre 6..............................................276
CINQUIÈME PARTIE 401 Chapitre 1..............................................403 Chapitre 2..............................................408 Chapitre 3..............................................416 Chapitre 4..............................................421
PREMIÈRE PARTIE
À la recherche de l’homme perdu
Chapitre 1
M
ais où diable était-il ?? En regardant défiler le paysage à travers la vitre sale du wagon, j’eus une révélation foudroyante… Tout ce temps, j’étais passée à côté d’un fait majeur, tellement incontournable et tellement évident, que je l’avais soigneusement refoulé et laissé ramper dans les ténèbres de mon inconscient pour ne pas me heurter à la cruelle et décevante réalité. Cette inébranlable réalité qui, ce matin, me frappa de plein fouet : l’homme tel que je le cherchais n’existait plus… Et moi qui ne me cherchais plus et me connaissais bien depuis longtemps, j’étais cette femme brune de trente ans, les cheveux à la taille, mignonnette et l’air mystérieux de la personne qui parle avec mesure et parcimonie. On m’avait déjà surnommée Pocahontas et longue liane brune car j’étais plutôt grande, un mètre soixante-dix. Assez intelligente, mais à l’intelligence instinctive. À l’inverse des philosophes qui prenaient plaisir à sentir les rouages de leur esprit se mettre à tourner, je préférais que les choses se résolvent par elles-mêmes, sans que je n’aie à surcharger mes neurones d’une activité électrique superflue. J’étais le fruit de l’association de deux névrosés assez singuliers, un père transparent et une mère extrêmement sévère pour ne pas dire sévèrement extrême. C’était donc mal parti pour moi dans la vie, j’avais été obligée étant petite de cultiver mon intelligence pour satisfaire l’ego de ma mère, qui ne pouvait se résoudre à avoir engendré un rejeton médiocre. J’avais gardé cette mauvaise habitude de penser tout le temps, mais en évitant si possible de réfléchir, juste par esprit de contradiction. Il fallait bien que je conserve une partie de mon esprit hors d’atteinte de ses tentatives de bonsaïisation répétées, car elle était convaincue que c’était pour mon bien qu’elle exerçait sa tyrannie dominatrice. Les thérapies n’avaient plus aucun secret pour moi et j’avais cessé de compter les heures passées à raconter ma vie et mes malheurs à des oreilles compatissantes. Cependant, le dressage maternel ayant eu le temps de faire son œuvre, j’étais devenue à mon tour une névrosée de compétition. Heureusement, à la faveur de lectures et de séances de thérapie, j’avais pu commencer à aiguiser mon regard sur moi, sur les autres et aussi sur le monde. Et en ce vaste monde, le prénom qui
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m’avait échu était celui de Galadryel. Je devais au moins reconnaître ça à mes parents, ils n’avaient pas fait partie de ces hordes de couples sans imagination qui avaient appelé leurs enfants Sandrine, Stéphanie, Anne-Sophie, ou Laurence… Je ne comprenais d’ailleurs pas à quoi pensaient ces gens quand ils s’apprêtaient à choisir un prénom pour leurs enfants…À perpétuer une tradition familiale ? À soigneusement rester dans les clous de la norme ? À suivre une mode et nommer leurs enfants d’après les héros de leur série favorite ? Uniques, tous ces enfants l’étaient sans aucun doute. Il aurait autant fallu alors les appeler par des prénoms un tant soit peu originaux plutôt que de les affubler de prénoms pathétiquement banals… Ma mère était sévère et j’avais hérité de ça. J’étais intransigeante. Il valait mieux savoir me concernant que je n’étais pas d’une grande bienveillance, voire même vaguement misanthrope à mes heures… Pourtant, empathique à l’extrême et dotée d’une propension quasi-innée à décrypter les expressions sur le visage de mes interlocuteurs. Elles n’avaient rien de surnaturel, mais ces deux facettes de mon caractère méritaient d’être soulignées. Terriblement observatrice, quelqu’un qui me disait quelque chose en s’imaginant que je ne savais pas qu’il pensait le contraire se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude. En ajoutant un zeste d’une mécanique mentale automatique qui consistait à tout analyser, on obtenait mon portrait-robot. Le portrait-robot d’une girl next door de trente ans, célibataire et sans enfants, qui cherchait l’âme sœur et ne perdait pas espoir de comprendre un jour certains comportements absurdes de ses contemporains. Mais la clé de la mystérieuse énigme des agissements humains ne me serait pas donnée ce jour-là, puisque j’étais assise à côté de voyageurs qui allaient se charger de me rappeler au plus vite qu’il ne fallait pas trop en demander. Tous les jours, en allant travailler, je me retrouvais confrontée à l’incivisme et à la mauvaise éducation, qui se répandaient telle une maladie contagieuse au sein des groupes amenés à se côtoyer dans la routine de la vie quotidienne. Travail, courses, lieux et transports publics, loisirs, vacances, aucun domaine n’échappait au vice de l'impolitesse. Je devais prendre les transports en commun chaque jour de chaque semaine. Si j’avais dû définir ce passage obligé de mes journées, il me serait tout de suite venu à l’esprit les mots de corvée ou torture. Double,
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la torture, puisque l’on savait qu’il faudrait remettre ça une seconde fois le soir en rentrant… J’en riais avec une collègue un jour, sur le chemin du retour. Nous étions écrasés les uns contre les autres dans le métro et nous nous disions que devoir affronter ça après une journée passée au travail, c’était vraiment la cerise sur le gâteau… Qui avait envie de se retrouver pris en sandwich entre une vitre grasse et un inconnu qui vous soufflait son haleine chargée de fumeur à la figure ? En l’occurrence, ce jour-là, nous étions au moins deux à pâtir des relents buccaux de cet inconnu, ma collègue Estella et moi. Entre deux séances d’apnée, je m’adressai à elle. « Ça va Estella ? Je crois que c’est le moment d’appliquer notre technique de visualisation positive… Tu t’imagines ce superbe paysage de montagne en été ? Tu sens l’air pur et frais ? Cette petite brise vivifiante ? » Elle qui avait déjà fait de la plongée était incontestablement aidée dans ce genre de situation. Je la tirai de sa rêverie, hypnotisée qu’elle était par la cravate de notre colocataire de poteau et pollueur, un splendide spécimen orné de Mickeys en noir et blanc. Ce poteau métallique, objet anodin de notre quotidien et auquel nous étions tous accrochés comme si notre vie en dépendait, aurait pu être à lui seul le sujet d’une thèse. Comment était-il possible de garder l’équilibre et de ne pas toucher ce poteau, Dieu seul sachant ce qui se trouvait dessus ?! Dans ma volonté de résoudre cet épineux problème, je m’étais élaborée quelques méthodes d’évitement, que j’avais déjà gracieusement partagées avec ma collègue. La première méthode consistait à se tenir au poteau mais en ayant toujours dans son sac, prêt à être dégainé, un petit flacon de gel hydroalcoolique. L’inconvénient de cette méthode était qu’il fallait bien sortir le flacon, mais que pour ça, on avait besoin de ses mains pleines de bactéries. On pouvait toujours tenter d’y aller avec les dents pour ne pas contaminer son sac au risque de passer pour une psychopathe enragée, mais il était quand même plus sage de le garder à proximité immédiate, par exemple dans une poche de vêtement. Une autre méthode consistait, si l’on était petit ou grand, à tenir la barre hors de la zone médiane la plus utilisée. On pouvait raisonnablement estimer que les parties hautes et basses des barres étaient moins polluées en bactéries et substances diverses. Ce qui ne prémunissait pas de l’usage postérieur du gel. L’inconvénient ici étant de passer pour une
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obsessionnelle compulsive de la propreté. C’était la méthode que personnellement j’utilisais, de même que pour ouvrir les portes des salles de cinéma. Je préférais me pencher légèrement pour attraper la barre sous la zone de contamination, ou au-dessus selon mon humeur, et passer pour une demeurée plutôt qu’enduire mes mains d’un film de bactéries pathogènes. C’était également le choix de ma collègue Estella qui était par chance assez grande aussi. La méthode trois, assez technique, supposait de faire former à son pouce et son index une pince en forme de C et d'utiliser la surface disponible au bout de ces deux doigts pour saisir le poteau avec un risque de souillure minimum. Méthode audacieuse, mais qui pouvait fonctionner si le conducteur de métro oubliait ce jour-là qu’il aurait en réalité voulu être pilote de Formule 1. Méthode qui vous classait immanquablement dans la catégorie des personnes qui faisaient des choses bizarres dans les transports. La dernière méthode était la méthode dite du surfeur. Il s'agissait de ne pas se tenir du tout, de fléchir légèrement les genoux et tel un surfeur sur sa planche, de s’adapter en permanence aux mouvements du métro à l’aide d’inclinaisons du corps et de vifs déplacements de pieds, voire de petits bonds. Pas très sexy pour les femmes qui allaient travailler en jupe et talons, mais c’était une méthode garante d’un bon travail sur les cuisses et les fessiers. Évidemment, en cas de freinage brutal, vous étiez assurée de vous retrouver encastrée à l’autre bout du wagon ou si vous aviez de la chance, d’entrer en collision avec votre futur conjoint. Nous étions donc trois à nous partager ce fameux poteau sur lequel on aurait pu récolter un échantillon impressionnant de germes en tous genres, quand je me mis à observer l’homme en face de nous, qui s’il avait été japonais, aurait eu la courtoisie de porter un masque chirurgical. Sa veste de costume grise anthracite était trop grande et elle lui flottait autour du torse et des bras. Apparemment, tous les hommes n’étaient pas encore au courant du bien-fondé de la mode du costume ajusté. Et c’était toujours l’entourage qui souffrait le plus du mauvais goût en matière vestimentaire des principaux concernés. Le bonhomme était plus petit que nous, le front amplement dégarni et moite de sueur. De quoi nous faire rêver, Estella et moi… Pendant qu’elle contemplait sa cravate avec commisération, lui nous dévisageait sans la moindre gêne. Un coup d’œil à son annulaire
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gauche me confirma ce que je savais déjà : il était marié. En plus d’avoir une amnésie partielle quant à son statut matrimonial, il semblait ne pas avoir été informé de l’invention du déodorant et du chewing-gum à la menthe. D’où la question fort à propos que j’avais posée à Estella sur les relents odorants environnants, qui m’avaient rendue nostalgique de l’air de la montagne… Si lui ne se gênait pas pour nous reluquer, pourquoi irais-je m’encombrer d’un quelconque sens de la diplomatie ? Elle me répondit avec son enthousiasme habituel et son irrésistible accent italien. « Oh oui, j’ai bien senti ! Quand je prends les transports, je voudrais être sourde, aveugle, muette et enrhumée… Quand est-ce qu’ils vont inventer la téléportation ou le transport en bulle stérile ?? » Après un coup d’œil alentour, soulagée de n’apercevoir personne tenant de canne blanche dans le coin, je lui répondis. « Je ne sais pas, mais j’ai hâte… On ne peut pas faire deux pas dans cet enfer sans être agressé par quelque chose… » Je regardai notre voisin bien lourdement. « Les hommes mariés qui reluquent, les mauvaises odeurs, les hommes célibataires qui reluquent aussi, les gens agressifs qui se précipitent en bousculant tout le monde pour atteindre les sièges vides les premiers, les gens qui te poussent pour entrer dans le métro alors que c’est déjà plein à ras bord, les pickpockets et les trois-quarts des gens qui sont stressés, fatigués et pas aimables… On touche à la quintessence du bonheur ici… On a déjà un avant-goût de paradis… » Ce qu’il y avait de bien quand on disait tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, c’est que personne ne mouftait. Pour finir, nous en étions arrivées toutes les deux à la conclusion que tout devenait obstacle et source de contrariétés pour l’honnête travailleur coincé dans les transports en commun. Mais toutes ces années passées à acquérir un savoir-faire et une expérience uniques dans le domaine de l’optimisation des déplacements dans les couloirs souterrains ne s’avéraient pas vaines… Force était de constater que l’on développait un talent assez particulier pour calculer les meilleures trajectoires entre les gens qui n’avançaient pas assez vite - des gens qui ne travaillaient pas ou des touristes -, et un sixième sens pour éviter les empêcheurs de tourner en rond qui s’arrêtaient en plein milieu de ce flux bien huilé pour chercher leur titre de transport… Un don aussi pour choisir le bon tourniquet, celui où la femme qui était devant
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n’allait pas laisser son passe Navigo au fond de son sac et bloquer tout le monde parce qu’elle pensait que oui, avec elle, ça allait marcher. Évidemment, ça ne marchait pas et pourtant, elle insistait sans se préoccuper de ceux qui trépignaient derrière elle. Mais on n’était pas dupes. Pour beaucoup de monde, parsemer son quotidien de petits comportements mesquins destinés à nuire à autrui était devenu un art de vivre. Art de vivre contre lequel je luttais en parlant à des gens que je ne connaissais pas ou en parlant toute seule à défaut. Quand quelqu’un décidait de me casser les pieds en usant à dessein d’une attitude déplacée, je lui expliquais avec des mots et avec le sourire ce qu’il ne fallait pas faire. À force de ressasser tout ce à quoi nous avions eu droit dans les transports, Estella et moi, je ratai ma station… Comme nous arrivions juste à quai à la suivante, je me levai aussi vite que si un vieux pervers venait de me pincer les fesses et essayai de me glisser une jambe après l’autre entre les genoux des mes deux voisins, qui faisaient obstacle à l’accès au couloir. J’en profitai pour leur jeter un coup d’œil, pas vraiment pressés qu’ils étaient de se décaler pour que je passe. Le premier avait la vingtaine et il était affalé les yeux fixés sur une console de jeux portable et l’autre, un quinqua style cadre commercial, était absorbé par la lecture de son journal automobile. J’avais à l'instant devant moi une des raisons pour lesquelles mon opinion des hommes pouvait être grandement améliorée… Juste à côté d’eux, debout dans le couloir se tenaient trois femmes. Elles n’avaient même pas l’air de trouver ça anormal, pas plus que ces messieurs de se trouver tranquillement assis. Et de l’autre côté de l’allée, rien ne me faisait mentir puisque le ratio homme/femme était de trois sur quatre. Voilà ce qu’était devenue la galanterie : un souvenir à ranger sur la dernière étagère de la dernière rangée du dernier étage d’une bibliothèque où personne ne mettait jamais les pieds… Dans un élan de bravoure doublé d’un fol espoir d’éduquer ces inconscients, je lançai à cette troupe d’hommes sans scrupules un retentissant " Ces messieurs sont bien assis ?? " avant de me précipiter vers la sortie sans attendre une éventuelle réponse… On ne savait jamais sur qui on tombait et au milieu d’un attroupement de gens potentiellement susceptibles, une personne prévoyante et avertie se devait de toujours savoir où était la sortie. Je posai un pied sur le quai et entendis un rire féminin derrière moi. Tout en cavalant pour rejoindre le quai opposé et faire demi-tour,
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je pensais à mes réactions vis-à-vis de la gent masculine. Je me dis alors que sous aucun prétexte je ne devais me laisser perturber par une chose à laquelle, finalement, je ne pouvais rien. Essayant de me convaincre que j’étais sûrement victime d’une aigreur mentale passagère, je tâchais de positiver jusqu’à mon arrivée au travail. Il devait malgré tout être possible de pouvoir observer quelques manifestations de courtoisie entre êtres humains qui ne se connaissaient pas. Je grimpai dans la rame et observai. C’était un bon jour pour être aimable, le temps était lumineux et le métro circulait à l’air libre. On pouvait profiter du soleil, les vitres étaient baissées et un courant d’air frais circulait dans le wagon et faisait voleter ici et là des mèches de cheveux. Rien de spécial ne semblait se produire, ni dans le bon sens ni dans le mauvais, quand le métro s’arrêta. Les portes s’ouvrirent pour laisser entrer une femme enceinte. Incontestablement, c’était mon jour de chance. Elle devait en être au moins à son septième mois, donc pas le genre de grossesse qu’on pouvait faire semblant de ne pas voir. Mais je n’eus pas à pousser plus avant ma réflexion car dans la seconde qui suivit, un jeune homme se leva. Je n’aurais pas misé une cacahuète sur lui vu son jeune âge mais il me fallut bien reconnaître que j’avais eu un préjugé à son égard. Son âge et sa tenue décontractée, jogging, baskets et casquette, m’avaient fait placer tous mes espoirs en son voisin, un geek d’une quarantaine d’années. Son look d'intello à lunettes et sa sacoche en cuir lui donnaient un air poli et bien élevé. Poli, il devait l’être, bien élevé aussi mais visiblement pas très réactif. Il n’avait même pas eu le temps de dire linux que notre future maman était déjà assise. Je criai victoire silencieusement. J’aurais volontiers applaudi ce jeune héros. En mon for intérieur, je lui décernai la médaille du courage pour avoir osé se soustraire à l’immobilisme ambiant, ainsi que la médaille de la bonne éducation car non content d’avoir cédé sa place, il se fendit d’un joyeux “ Je vous en prie, c’est la moindre des choses ! ” quand la future maman le remercia. J’étais très reconnaissante à ce garçon d’avoir contribué sans le savoir à mon bien-être en ce début de journée. Bienêtre qui malheureusement allait vite prendre fin…
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Chapitre 2
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evigorée par ce petit bonheur impromptu, je sortis du métro comme une fusée. J’avais été bien inspirée le matin même dans le choix de ma tenue, puisque j’avais opté pour le classique jean et baskets. Ce matin n’était heureusement pas un de ces matins où rien n’allait, où plus rien n’avait de sens dans la garde-robe. Ce genre de matin où l’on essayait les tenues les unes après les autres et où le surnaturel s’en mêlait puisque des vêtements censés nous aller comme un gant se mettaient miraculeusement à ressembler à des sacs à patates… On avait beau tenter toutes les combinaisons possibles, le constat était sans appel : plus rien ne tombait bien. Évidemment, ce genre de situation ne se produisait qu’en cas de retard prononcé. Quand l’univers avait décidé de se liguer contre vous en vous empêchant de vous habiller, il était inutile de lutter. Il valait mieux se résigner à se sentir moche et grosse toute la journée. J’arrivai essoufflée sur mon lieu de travail mais cependant en meilleur état que si j’avais eu à faire ce sprint de quelques centaines de mètres en talons. Notre bâtiment était assez majestueux, il s’agissait d'une ancienne sous-station EDF réhabilitée en hôtel d'entreprises. Toutes les surfaces vitrées avaient été équipées de cellules photovoltaïques carrées bleues qui captaient l’énergie solaire pour produire de l’électricité tout en donnant à l’immeuble un air d’église des temps modernes. Je grimpai les escaliers quatre à quatre, étant membre depuis peu sur Facebook d’un groupe nommé À pied dans les escaliers, les ascenseurs pour les glandeurs, à mort les escalators. On avait beau être une longue liane brune, on n’en avait pas moins une culotte de cheval et un postérieur qui auraient pu faire de l’ombre à ceux des femmes des toiles de Botero. Dont acte : les escaliers chaque jour je monterais et les ascenseurs je boycotterais. Comme à chaque fois que j’avais quelques minutes de retard et que la culpabilité inhérente à ma névrose montrait le bout de son nez, je ne faisais que constater qu’au lieu d’arriver la deuxième, j’arrivais la troisième… Personne n’était encore là pour sévir. Par personne, j’entendais quelqu’un susceptible d’appartenir à la catégorie des chefs, ou
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celle encore plus représentée au sein des entreprises des chefaillons. Notre grand chef, le Chef fondateur, n’était pas regardant sur l’heure d’arrivée des uns et des autres… Une tolérance de quarante-cinq minutes était accordée. Là où son système devenait quelque peu pervers, c’est qu’il l’était beaucoup plus sur les heures de départ… Étaient valorisés les employés qui donnaient l’impression de travailler plus du moment qu’ils ne voulaient pas gagner plus. Malgré les arrivées tardives–voire très tardives–et un poil trop décontractées à mon goût d’amatrice de règlements, ils étaient bien vus car ils restaient plus tard. Non contents d’arriver quand d’autres avaient déjà travaillé presque une heure, ceux-là passaient aussi pas mal de temps sur internet et en pauses café-clope, ce qui en faisait les détenteurs absolus de la palme de la non-productivité. Mais qu’importe. Puisqu’ils restaient plus tard, ils étaient forcément de bons et loyaux employés. Tout ceci sans compter l’absence de motivation généralisée qui régnait sur le plus grand nombre. Car chacun avait vite compris qu’il ne pourrait modifier les fonctionnements complètement aberrants qui sévissaient en ces lieux et finissait par prendre son mal en patience, par impuissance, tout en guettant l’heure bénie où le grand mat pourrait être dressé et les voiles mises pour de bon. À noter qu'une majorité d'employés avaient des enfants alors que la moyenne d’âge tournait autour de vingt-huit ans. Les petits perdreaux de l’année étaient une denrée facile à modeler pour un Chef fondateur qui avait certaines idées en tête… Tous ceux qui étaient passés par là et qui n’avaient pas de contraintes familiales avaient vite pris la poudre d’escampette. Ceux qui restaient ne trouvaient rien d’autre ou s’étaient habitués par dépit à cet étrange manège : la régence du Chef fondateur et de son ex-compagne incompétente qui était devenue son bras droit. Certaines rumeurs couraient à propos d’un harem qui se serait étendu depuis. Mais voyant l’homme, j’avais des doutes sur ce point. D’une timidité qui confinait à l’autisme, s’excusant pratiquement d’être là où il était. Pourtant, mon sixième sens me soufflait que pouvait bien se cacher derrière cette façade un peu fade un homme à l’ambition démesurée et à l’absence totale d’humanité, ne pensant que rentabilité, exploitation, profits et bénéfices. Hermétique, impénétrable, il aimait complexifier les projets à l’extrême, dans le but sûrement non avoué de se donner l’impression de beaucoup travailler. Les cheveux lissés en arrière, un foulard toujours noué autour du cou à l’intérieur de son col, sa
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tenue ordinaire composée d’un pantalon de costume et d’une chemise lui donnait un air vaguement aristocratique. De plus, il s’exerçait à la pratique des danses de salon durant ses loisirs, ce qui lui conférait un maintien de danseur de ballet, à moins qu'il n'ait eu un vrai balai coincé quelque part. Je n’avais jamais eu envie de passer mes pauses café à lui parler du magazine en cours. Au milieu de toute cette complexité, j’étais réglée comme une horloge suisse. Je partais à l’heure et j’étais donc mal vue. D’autant plus qu’ayant vite cerné moi aussi cet endroit maléfique, je renonçais en quelques mois à faire des heures supplémentaires bénévoles. On voulait bien s’investir, mais encore eût-il fallu qu’il y ait un retour. En dépit de qualités professionnelles non discutables et d’une efficacité redoutable, je passais pour la rebelle de l’équipe car j’étais une des premières à rentrer le soir. De toutes les façons, je n’y pouvais rien… L’idée de travailler pour quelqu’un dont le principal but dans la vie était de presser les gens comme des citrons pour mieux pouvoir se remplir les poches me déplaisait au plus haut point. Je n’allais sûrement pas m’investir plus que ça pour un ingrat. J’étais une très bonne employée car performante dans mon travail mais je ne supportais pas le système. M’étant déjà faite virer pour insubordination déguisée en incompétence car je m’étais rebellée contre un petit tyran narcissique, je mettais pour ce poste de l’eau dans mon vin et tâchais de voir les choses avec plus de philosophie. J’arrivais en fin de contrat et je filais doux pour être renouvelée. Mon job me passionnait, j’étais chef de projet dans l’édition. Pour l'heure, je bossais dans une usine à magazines, je manipulais tous les jours une merveilleuse matière. C’est en tout cas ce que notre Chef fondateur semblait penser puisqu’il en avait fait le sujet d’une introduction enflammée lors du discours de fin d’année. Ce qu’il ne savait pas, c’était que la quasi-totalité de ses employés n’avaient pas du tout la même vision des choses. Faire des magazines sur la natation ou le bricolage ne passionnait personne, surtout en ces temps où tout se trouvait en un clic sur internet. Mais c’était le cadet de nos soucis car cela nous valait régulièrement de bonnes parties de rigolade le midi, lorsque nous échafaudions entre collègues des tutoriels pour apprendre à nager. “ - Première étape : allez acheter un maillot de bain. - Deuxième étape : mettez votre maillot de bain.
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- Troisième étape : vérifiez bien que la piscine est pleine… Vous ne voudriez pas sauter dans une piscine vide ?! - Quatrième étape : sautez dans l’eau. Remuez les bras et les jambes. Vous ne voudriez pas vous noyer ?! ” Il y avait aussi la déclinaison bricolage. “ - Première étape : allez dans un magasin de bricolage, achetez un clou et un marteau. - Deuxième étape : rentrez chez vous. Oui, chez vous ! Vous ne voudriez pas planter ce clou chez votre voisin ?! - Troisième étape : plantez le clou. Si vous n’êtes pas doué et que vous avez malencontreusement planté ce clou dans votre doigt, courez aux urgences et engagez quelqu’un ! Mais arrêtez d’acheter des magazines qui ne servent à rien !! ” Au cours de ces conversations du midi, nous nous étions aperçus que bien qu'ayant le même statut de chefs de projet, nous n’avions pas le même salaire. L’ancienneté n’ayant rien à voir avec le schmilblick, nous en avions conclu que c’était une question de tête du client. Notre Chef fondateur était aussi du genre à réunir tout le monde, à féliciter chaleureusement l’équipe pour le travail accompli et à promettre à tous une prime. Prime qui en réalité n’était remise qu’à une minorité d'anciens c’est-à-dire à ceux qui travaillaient le moins. Ou à profiter du congé maternité d’une employée pour supprimer son poste et la réembaucher plus tard à un salaire inférieur. Quant aux jours de récupération du temps de travail employeur, ils étaient posés sur les jours fériés. Donc, malgré les graines de discorde insidieusement semées par la direction dans le but de diviser pour mieux régner et la révolte qui grondait, nous formions une bonne équipe. Ce matin-là, j’étais en train de préparer du vrai café–je ne voulais pas m'imposer le jus de chaussettes qui sortait du distributeur–quand j’entendis une paire de talons se rapprocher, paire de talons dont tout le monde connaissait la propriétaire. C’était Marie-Do, l’assistante de direction et comptable. Comme à son habitude, elle était sexy, vêtue d’une jupe moulante léopard et d’un chemisier non moins moulant beige. En essayant de ne pas trébucher sur les douze centimètres qui ne lui appartenaient pas, elle arriva vers moi et me toisa. « Gala, tu as rendez-vous avec ton chef à dix heures.
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– Mieux vaut tard que jamais… lui répondis-je, un peu énervée par l’éclat que je perçus dans son regard et par son petit sourire sadique à peine dissimulé. – Tu sais bien que le PDG est toujours très occupé, il devait voir son juriste pour des histoires de contrat… – C’est bon signe, alors ? – Je ne sais pas. Vous êtes cinq à arriver au terme de votre CDD et tu es la première sur la liste. Je ne suis au courant de rien. » Je savais très bien qu’elle savait, mais une bonne secrétaire devait fidélité et obéissance à son chef… Je n’aurais jamais pu exercer cette profession, je n’étais pas obéissante si j’estimais que cela n’était pas justifié. Marie-Do faisait partie des rares secrétaires qui n’étaient pas de nature à commérer. Muette comme une tombe, elle était ultra-professionnelle mais aussi capable de venir vous casser les pieds pendant trois jours pour une virgule manquante sur un bon de commande. « Ça fait un an que je travaille ici, ça n’est pas comme s’il n’avait pas eu le temps de réfléchir à mon sort… Je te rappelle que mon contrat se termine dans quinze jours… » Elle haussa les épaules et fit demi-tour. Sa maîtrise du mouvement fut digne d’un mannequin de podium, compte tenu de la paire d’échasses sur laquelle elle était perchée. Je ne portais pas cette fille dans mon cœur. Elle était froide, hautaine, remarquablement bien roulée et elle se portait pour cette raison une bien trop grande estime. Heureusement, les traits de son visage n’étaient pas du tout assortis à la perfection de ses courbes, ce qui n’aurait fait qu’amplifier son complexe de supériorité. Elle était blonde, le cheveu filasse et les yeux marrons. Rien n’était pire à mes yeux qu’une blonde décolorée aux yeux marrons, une blonde se devant d'avoir les yeux bleus. Et pour couronner le tout, comble de la vulgarité, elle s’était fait tatouer un trait de rouge permanent autour des lèvres… Je n’avais jamais osé lui demander si c’était une erreur de jeunesse ou un choix mûrement réfléchi, j'avais trop peur de la réponse. Je finissais de remplir le filtre à café quand j’entendis Estella arriver et poser son sac à sa place. Je me retournai pour lui dire bonjour, mais elle était déjà près de moi, à l’affût. « Alors, tu as des nouvelles ? – Non mais je suis convoquée ce matin à dix heures… – Enfin ! Depuis le temps qu’on leur pose la question ! »
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Estella était aussi en situation précaire, tout comme trois autres collègues. Elle ne savait pas non plus à quelle sauce elle allait être mangée. Depuis un mois, nous harcelions tour à tour notre supérieur, Cédrik, pour avoir des nouvelles. Lui se contentait à chaque fois de botter en touche, prétextant qu’il n’avait pas été informé par le Chef fondateur. Cependant, une rumeur se propageait, plutôt positive. L’équipe étant une bonne équipe, personne ne voulait la voir amputée d’un ou plusieurs de ses membres… Ce qui ne nous empêchait pas de ne plus parler que de ça et d’être obnubilés au point que certains en avaient le moral au fond des chaussettes. De mon côté, ayant cerné la bassesse et la perfidie des employeurs depuis bien longtemps, je n’en étais pas à ce stade. Après avoir bu notre café en faisant un débrief du programme télé de la veille au soir debout dans le réduit de cuisine, nous nous mîmes au travail, un peu tendues. Je comptais les minutes qui passaient et voyais les gens arriver au compte-goutte les uns après les autres, tranquillement. J’avais du mal à me concentrer. Je devais relire des piges, j’étais aussi secrétaire de rédaction par intermittence parmi d’autres fonctions, mais je ne voyais rien car mon esprit ne cessait de s’évader vers la seule question qui me préoccupait : allait-il me garder ? Car je savais bien qu’un seul avis comptait, celui du Chef fondateur. C’était ça, le comble. C’était la seule personne qui ne savait réellement pas ce que l’on valait professionnellement qui allait prononcer la sentence. Cela signifiait que le choix allait être une affaire de ressenti personnel… Cette sentence, que j’attendais depuis des semaines maintenant, n’allait pas tarder à tomber… Mon supérieur direct, Cédrik, arriva comme d’ordinaire en sueur. Il habitait à l’autre bout de la capitale mais tenait à venir à vélo pour retrouver la forme, car son nouveau poste lui avait valu un regain de poids exponentiellement relié à celui de ses responsabilités. Ce trajet plutôt sportif faisait qu’il ne devenait fréquentable qu’après avoir pris une douche dans les parties communes de l’immeuble, équipées à cet effet. Si les gens voulaient faire du sport à midi, ils le pouvaient, tout était prévu. J’eus un jour besoin d’avoir recours à ses services à la seconde où il arriva, en conséquence de quoi mon nez me garda rancune de cet affront pendant bien longtemps… Erreur que je n’allais pas commettre deux fois. J’étais pressée de savoir mais pas au point de
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supporter une réunion avec un chef puant et dégoulinant. J’attendis donc bien sagement qu’il vienne me chercher en faisant semblant de travailler. Il arriva, frais et dispos, sa serviette de toilette autour du cou. « Gala, on peut se voir ? – Ok, chef ! » J’aimais bien l’appeler chef parce que lui détestait ça. Il avait été promu quelques mois plus tôt et mes collègues et moi attendions toujours qu’il endosse son nouveau costume de leader…Il n’était pas un chef directif mais plutôt un chef cool. Trop cool. Tout était toujours fait à la dernière minute à cause des plannings de la direction et Cédrik s’identifiait à ce fonctionnement. En effet, le Chef fondateur semblait penser qu’il suffisait de claquer des doigts pour pondre des magazines. Donc, comme tout le monde travaillait en flux tendu, nous produisions non pas une merveilleuse matière, mais des magazines qui au mieux pouvaient servir à allumer un feu et au pire à se torcher aux toilettes. Malheureusement, ils n’avaient pas la douceur du papier molletonné triple épaisseur. Toujours était-il que si l’on posait une question à notre chef Cédrik, on avait de bonne chance d’obtenir la réponse trois jours plus tard et encore fallait-il la réclamer de nouveau et avec insistance. En m’asseyant dans la salle de réunion, je lui jetai un coup d’œil pour essayer de déceler un quelconque indice sur son visage. Rien ne transparaissait, il avait été parfaitement formaté. De chef de projet comme nous, il était devenu marionnette à la solde du patron, suppôt de Satan officiel. Ça ne l’empêchait pas de rester assez sympathique si on omettait sa fourberie et plus ou moins efficace si on ne lui en demandait pas trop. Il se racla la gorge. « Gala… » Très confiante en mes qualités professionnelles et en la justice, je restai immobile et attendis la suite. Je commençai malgré tout à ressentir un malaise diffus devant l’hésitation de mon chef à prononcer la première phrase. À force de le regarder cogiter, je finis par redouter d’entendre la fameuse phrase, cliché du cliché en pareille circonstance : “ Je n’ai pas de bonnes nouvelles ”. Il commença. « Gala… Je n’ai pas de bonnes nouvelles… » Je restais toujours immobile, mais cette fois parce que j’étais pétrifiée. J’ouvris la bouche pour tenter d’articuler un son, mais ma respiration
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s’était arrêtée et mes yeux avaient cessé de cligner. « Nous ne pouvons pas te garder. » J’étais sonnée, hébétée, sidérée et incrédule à la fois. « Nous ne gardons que trois personnes sur cinq, je suis désolé. » Je me repris pour répondre. « Et qui gardez-vous ? Pourquoi pas moi ? Je suis la plus compétente et la plus rapide !! » rétorquais-je sûre de mon fait. Je n’allais pas lui faire le plaisir d’avoir l’air désespérée. Et d’ailleurs je ne l’étais pas, j’en avais vu d’autres. Mais tant d’injustice me dégoûtait. « Je ne peux pas te le dire, il faut d’abord que je l’annonce aux autres… – Mais qu’est-ce que vous me reprochez au juste ? » Il voulait être chef, il allait apprendre grâce à moi comment gérer la colère d’un de ses subordonnés. Ne lui laissant pas le temps de répondre, j’enchaînai en augmentant d’un cran le volume de ma voix. « J’ai toujours été irréprochable dans mon travail, ponctuelle et tu m'as souvent félicitée pour ça ! » Je sentis la moutarde me monter au nez. La réalité, je la connaissais. Cette réalité qui perdurait malgré son absurdité : rien ne servait d’être compétent dans une entreprise. Pour être un employé de valeur, il fallait être soumis, obéissant, servile et faire juste ce qu'il faut… Travailler vraiment et efficacement ne servait à rien. Une fois de plus, je me rendis compte que ce qui était vraiment essentiel était de se soumettre aux règles, de devenir un mouton de Panurge et de cirer les pompes aux bonnes personnes. Voilà ce qu’il fallait avant tout savoir faire. Un poil d’allégeance saupoudrée d’un plan de communication et de séduction à l’égard du patron et le tour était joué. Je cherchai à en savoir plus, à voir jusqu’où Cédrik pouvait aller pour rester dans son rôle de bras armé du Chef fondateur. Je lui demandai des précisions sur ce qui m’avait valu de ne pas être choisie. Il me répondit après une petite hésitation. « Tu n’es pas assez adaptable, on ne peut pas compter sur toi… » De plus en plus énervée, je tâchai de rendre ma réplique théâtrale dans l’espoir de le faire culpabiliser au moins un peu. « Tu veux sûrement dire que je pars à l’heure, que je ne fais plus d’heures supplémentaires et que je ne suis pas d’accord non plus pour être moins payée que les autres alors que je bosse plus ?? » J’avais froncé les sourcils et affiché l’air le plus contrarié dont j’étais
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capable. Il ne savait pas que j’étais en train de jouer la comédie et que je n’avais pas l’ombre d’un regret quant à ce job, car l'entreprise n’était pas assez bien pour moi. Si j’avais été choquée, c’était par le non-professionnalisme de mon employeur, mais surtout par son avidité, son absence de scrupules, de sens moral et d'humanité. Une vraie pourriture. Il ne répondit pas. « C’est quand même la meilleure ! C’est vraiment la valse des fauxculs ! Tu ne manques pas de culot pour oser me reprocher ce genre de choses… ! » J'aurais apprécié qu'on me dise la vérité, soit qu'on ne voulait pas embaucher de cinquantième employé pour ne pas avoir à créer de comité d'entreprise. Je me recomposai en deux secondes un visage convenable en prévision de mon retour dans l'open space et me levai. Il était inutile d’essayer de défendre ma cause car comme le disait un proverbe espagnol, quand on voulait noyer son chien, on l’accusait de la rage. Apparemment, j’étais dans le collimateur. « Félicitations Cédrik, tu as tout du bon petit toutou bien obéissant maintenant ! Tu ne vaux pas mieux que le PDG ! » Cédrik baissa la tête et je sortis. Je retournais m’asseoir à mon bureau quand Estella vint me voir pour en savoir plus. Étant encore sous le choc, le fait de n’être qu’un pion n’étant malgré tout pas facile à encaisser, j’éludai la question. Il me fallait le temps de digérer ce qui était une nouveauté terrorisante pour moi : j’allais bientôt me retrouver à grossir les rangs des personnes sans emploi. Je passais cette journée en état d’hébétude, incapable de faire quoique ce soit de bon. De toute façon, personne ici ne me méritait. Je n’avais qu’une hâte, me retrouver chez moi pour pouvoir me laisser aller et décompresser de tout ce stress que j’avais accumulé dernièrement.
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Chapitre 3
J
e fis le chemin du retour en étant complètement inconsciente de tout ce qui m’exaspérait d’habitude. Je me sentais aussi vivante qu’un zombie et aussi tonique que de la guimauve. J’étais complètement déprimée et n’avais qu’une envie, me jeter sur mon canapé et ne plus bouger. Je retrouvai mon petit intérieur avec apaisement, après avoir fait un détour à l'hyper du coin pour m’acheter un pot de ma glace favorite, la chocolate fudge brownie de Ben&Jerry's. J’aimais beaucoup mon deux-pièces, j’y avais fait le bricolage et la décoration moi-même du sol au plafond, avec l’aide de mon voisin et ami Jep. Il faisait partie de ces jeunes qui avaient un prénom ringard, Jean-Philippe en l’occurrence. Nous avions décidé d’un commun accord d’abréger son prénom et ses souffrances par la même occasion. Jep avait trentre-trois ans et vivait au même étage que moi depuis une dizaine d’années. Il était grand, châtain, les cheveux raides, pas franchement beau mais pas véritablement laid. Absence de charme qu’il compensait par un caractère en or. C’était une véritable crème, serviable comme j’avais rarement vu quelqu’un l’être. Quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, je pouvais compter sur lui. En cas de déprime ou pour sortir prendre l’air, il était quasiment toujours disponible pour moi. Nous avions fait connaissance petit à petit, au hasard de nos rencontres dans les escaliers ou dans la rue, jusqu’à développer une confiance indéfectible l’un envers l’autre. Lui aussi pouvait compter sur moi. Personne n’était plus consciente que moi que la confiance se gagnait goutte à goutte et se perdait litre par litre. Alors, je chouchoutais notre amitié. Je l’invitais régulièrement à venir tester mes petits plats car j’étais une fan de cuisine et de pâtisserie. Mes hobbies du week-end avec le cinéma. Il m’avait un jour offert un tablier de cuisine vert anis, sur lequel on voyait une femme des années cinquante avec un fichu sur la tête, brandir un pot de SuperWax, la cire qui fait briller vos meubles. J’avais balancé mon vieux tablier à carreaux rouges et je ne me faisais plus un œuf au plat sans mon tablier fétiche. Fatiguée par la journée, je me fis couler un bain dans lequel je laissai tomber une bombe effervescente Tisty Tosty. Elle commença à fondre et laissa échapper des boutons de roses qui distillèrent dans
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l'air un délicat parfum. Je m’en achetais de temps en temps chez Lush, quand j’avais envie d’une petite folie et de prendre soin de moi. Je me glissai dans l’eau chaude et savourai un sentiment de bien-être. J’eus à peine le temps de fermer les yeux que quelqu’un tapa à la porte. Pestant contre ce trouble-fête, je sortis dégoulinante de mon bain, enfilai mon peignoir et allai ouvrir en traînant les pieds. Je jetai un coup d’œil par le judas et fus immédiatement soulagée d’y voir Jep. J’avais laissé ma clé dans la serrure et Jep n’avait pas pu entrer avec la sienne comme à son habitude. Je lui ouvris la porte, un air dépité sur le visage. « Hi there ! » Jep adorait émailler son discours d’expressions américaines. Ce que je pouvais très bien comprendre puisque lui et moi étions fans de séries. Nous les regardions ensemble ou séparément, mais toujours en version originale sous-titrée en anglais. Nous ne perdions pas espoir de partir aux États-Unis un jour et en attendant, nous fourbissions nos armes en nous enquillant des saisons de séries à la chaîne. « Hi… – Et ben alors, Gala, ça n’a pas l’air d’aller ? – Tout juste, comment t’as deviné ? » Il n’avait pas pu ne pas noter que je faisais la tête. « Regarde, j’ai fait des lasagnes ! Je pensais que tu ne voudrais pas rater ça… – Oui, tu as raison, pour une fois que c’est toi qui me fais la cuisine… » J’avais beau l’adorer, j’avais envie de retourner dans mon bain et de piquer un petit roupillon. Il dut lire dans mes pensées. « Bon, écoute, va finir de prendre ta shower et je repasse plus tard. Tu me raconteras ce qui ne va pas. » Je grognai un son approbatif, lui décochai sans répondre un bisou sur la joue et repartis vers la salle de bain. « Ferme derrière toi stp et fais attention à Macintosh ! – Don’t worry Honey ! » Je retournai me plonger dans mon bain, qui avait très légèrement tiédi. Mon chat, qui était finalement sagement assis sur un rebord du coin de la baignoire, tapotait l'eau de délicats petits mouvements de patte, un éclat suspicieux dans l’œil. Il faisait toujours ça quand il se trouvait en présence d’un objet qui le questionnait de par sa nature inconnue… J’observais la bombe qui finissait de se dissoudre en vidant mon esprit, me laissant à nouveau envahir par le bien-être. Quelques
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minutes plus tard, mon téléphone sonna. C’était encore un coup de l’univers, qui cette fois se liguait contre moi pour m’empêcher de profiter de mon bain… Je filai répondre en essayant de ne pas glisser sur le carrelage, tenant une serviette devant moi. « Allô ! » Je n’étais pas d’humeur à être aimable. C’était Estella. « Alors Gala ? Tu ne m’as pas convaincue ce matin… Cédrik ne t’a vraiment rien dit ?? » De mauvaise grâce, je lui avouai la vérité. Elle resta interdite, son silence parlant pour elle. Puis, son tempérament italien reprit le dessus, à grand renfort de roulements de r. « Quelle bande d’ingrats ! Ils ne te méritent pas ! Et tu ne mérites pas ça non plus, c’est vraiment injuste ! – C’est gentil Estella… Mais ne t’inquiète pas, ça va aller. Écoute, je suis fatiguée là… On en reparle demain, ok ? – Ok… Allez courage et dors bien quand même, repose-toi… Bisous, à demain… » Je raccrochai et renonçai à retourner une troisième fois dans mon bain. Je me séchai puis enfilai ma chemise de nuit courte en coton et dentelle blanche. Je n’étais pas à l’abri qu’un nouveau voisin célibataire ait besoin de sucre donc mieux valait être prévoyante au cas où. Je vidai la baignoire et décidai de rejoindre Jep dans son appartement pour le dîner. J’attrapai mon pot de glace et traversai le palier, une serviette encore enveloppée autour des cheveux. J'entrai sans frapper, je savais qu’il laissait ouvert si on s’était déjà croisés de retour du travail. Il était comme souvent un livre à la main, allongé sur son fauteuil inclinable qui jurait avec le reste du mobilier. Son appartement était deux fois plus grand que le mien. Il avait été aidé de ses parents pour le payer et était déjà propriétaire. Contrairement à moi qui n’avais que mes revenus et ne pouvais pas acheter. Son amour des livres datait de son plus jeune âge, période pendant laquelle il avait passé ses mercredis et samedis à fouiner à la bibliothèque municipale de sa ville. À la bibliothèque verte avaient directement succédé Zola, Hugo et Maupassant, suivis par Descartes, Rousseau et Kant. Et voilà que j’avais devant moi un maître de conférence en philosophie avec un livre de Marc Aurèle dans une main et un paquet de chips dans l’autre…
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« Les chips, c’est pour t’ouvrir l’appétit avant les lasagnes ? » Il gloussa. « Tu m’excuseras de ne pas être comme toi et ton côlon… Irritables… Moi Madame, je digère bien et j’en profite… » Effectivement, il avait de la chance par rapport à moi, qui avais souvent l’impression d’avoir fait un festin après avoir mangé un petit pois. Mon côlon et moi n’étions pas dans les meilleurs termes et c’est souvent lui qui avait le dernier mot. Il était pourtant hors de question que je lui céde un pouce de terrain. À moi les boissons gazeuses, féculents et autres sucres rapides que je n’étais pas censée manger. Je n’allais pas à trente ans me laisser dicter ma conduite par un bout de tuyau qui répugnait à faire correctement ce pour quoi il était là. Je décidai donc de m’envoyer une bonne plâtrée de lasagnes, juste pour lui faire comprendre qui était le chef. Je corrigerais le tir plus tard avec un digestif à base de citrate de bétaïne. Tout en préparant nos assiettes, j’entamai la conversation. Jep n’était pas du genre à me harceler de questions, il était très discret et respectueux. Il me laissait lui parler quand j’en éprouvais le besoin. « J’ai eu une mauvaise nouvelle aujourd’hui… – Ah oui ? Quoi ? – Je me suis faite virer… Ou plus exactement, mon contrat n’a pas été prolongé. – Oh… Sorry… Tu devrais voir le bon côté des choses… Depuis le temps qu’ils te faisaient mariner en te laissant croire qu’ils allaient t’engager… Au moins maintenant, tu sais à quoi t’en tenir… Et puis si j’ai bien compris, personne n’aime travailler là-bas, toi pas plus que les autres… Ça te donnera l’occasion de rebondir ! Fuck them all après tout ! – Pour l’instant, la seule chose qui me préoccupe, c’est de savoir comment je vais faire pour continuer à aller au travail. Affronter le regard de ceux qui restent et qui vont faire semblant d’être désolés pour moi alors qu’ils s’en fichent complètement… Je ne supporte pas les hypocrites… – Je sais… » Il me regardait en silence ne sachant pas quoi dire pour m’aider. C’est alors que je vis un éclair diabolique s’allumer dans son regard. « Ceci dit, tu n’es pas tout à fait sans ressources… – Comment ça ?
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– Tes intestins… – Quoi mes intestins ? – Si ma mémoire est bonne, ça t’est déjà arrivé de devoir renoncer à bosser pour désordres intestinaux, non ? » Il était vraiment au courant de tout dans ma vie, même des choses les moins glorieuses et les plus pathétiques… « T’es en train de me conseiller de me faire arrêter et de ne pas retourner bosser là ?? » J’étais choquée. C’était le genre de chose que je n’aurais jamais faite de mon propre chef, j’étais bien trop consciencieuse pour ça. « C’est ça ! » Moi qui étais respectueuse des règles et du travail fait dans l’amour de l’art, j’eus un moment d’hésitation. Mais il ne me fallut pas bien longtemps pour décider qu’ils avaient récolté ce qu’ils avaient semé et que finalement, ça ne serait que justice. D’autant plus que j’avais un important projet en cours qui devait être fini dans les temps, soit comme par hasard juste avant la fin de mon contrat… Autant dire que je venais de décider qu’ils finiraient ce projet sans moi. Le lendemain matin, j’étais chez mon médecin, jouant la comédie de la gastro. Ce ne fut pas un gros effort à fournir car j’avais fait un crochet pour prendre le petit-déjeuner au McDo, et mon intolérance au gluten aidant, les dix minutes que durèrent la consultation furent ponctuées de bruits de ventre en tous genres. Mon arrêt maladie posté, je rentrai chez moi fière de mon coup. J’aurais aimé pouvoir voir leurs têtes quand ils sauraient qu’ils ne me reverraient plus. Personne n’était indéboulonnable, mais il y avait quand même des gens qui abattaient plus de travail que d’autres et qui manqueraient plus que d’autres… J’envoyai un sms à Estella pour la prévenir que j’étais malade et ne reviendrais pas et lui souhaitai bonne continuation. C’était une des rares filles avec qui je m’étais entendue, car c’était la plus authentique. Je m’assis à mon bureau et allumai mon Mac. Je devais me renseigner sur ce qu’était la vie de chômeur. Sûrement un parcours du combattant d’après ce que j’en avais entendu dire… Pendant que mon ordinateur démarrait, j’attendais le menton posé entre mes deux mains, fixant la pomme qui s’afficha sur l’écran. Sans m’en rendre compte, je commençais à faire ce que je faisais de mieux quand je ne faisais rien, penser. Ce qui m’attendait prenait forme dans ma tête… Je me voyais dans une longue file d’attente de gens désespérés et hagards, en train
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de remplir des tonnes de paperasse, ou chercher un bureau dans un dédale de couloirs. Ce cauchemar éveillé me propulsa même un moment aux États-Unis. Je me retrouvais dans un diner miteux, avec un journal de petites annonces posé sur une table devant moi, à barrer d’une croix au feutre rouge les offres les unes après les autres, après avoir essuyé des dizaines de refus au téléphone… Puis je me retrouvais sous les ponts, perdue, sale et en guenilles, à lutter contre le froid et la pluie… Des phares dans la nuit, un crissement de pneus, des coups de klaxon et c’en était fini de ma vie de chef de projet dans l’édition. Même mes digressions mentales étaient influencées par les productions américaines… Contrairement à mes rêveries habituelles qui finissaient souvent par un mariage, cette rêverie-là finissait mal… Sauf que cette fois-ci, c’était bien dans la réalité que ça avait mal fini. D’un coup, le ciel me tomba sur la tête. Je réalisai la situation. Les larmes me montèrent aux yeux et je commençai à pleurer. D’abord sans bruit, puis à chaudes larmes et à gros sanglots, comme étreinte par un chagrin d’enfant. Plus je pleurais et plus j’avais envie de pleurer. En reniflant, je relevai les yeux vers mon écran d’ordinateur et ce que je vis me fit un choc. Je me reflétais sur le fond d’écran sombre et faisais peur à voir… Le nez rouge comme celui d’un clown, les yeux bouffis et cernés, la bouche gonflée et les joues baignées de larmes, je me fis de la peine à moi-même… Dans un sursaut d'orgueil, je me repris. Ça n’allait pas se passer comme ça. J’étais une battante, hors de question que je verse une larme de plus pour des gens qui n’en valaient pas la peine. Il fallait que je me prenne en main et que je prépare un plan d’action. Je ne savais plus quel collègue m’avait un jour fait un topo sur la proactivité, mais c’était bien le moment de remettre ça au goût du jour. Je passai la journée à réfléchir : à situation tragique, mesure désespérée. J’alternai les phases de cogitation avec des phases de détente. Je regardai des vidéos sur internet et m’essayai à tout un tas d’activités ridicules mais néanmoins salvatrices pour ma santé mentale. Je fis des tours de carte, dansai la danse du robot, me coiffai avec un chignon de cérémonie, mis des Mentos dans une bouteille de Coca, essayai d’allumer un feu avec un papier de chewing-gum et une pile et repliai mes T-shirts à manches courtes en moins de trois secondes. À la fin de la journée, j’avais fait n’importe quoi mais j’étais beaucoup plus relax. Et surtout, j’avais une meilleure idée de comment
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commencer le reste de ma vie. J’allais un, me mettre au sport et deux, partir en vacances. J’avais passé cette dernière année à travailler sans m’arrêter et c’était tout simplement indispensable au point où j’en étais. Il n’était bien sûr pas question de dépenser des fortunes pour partir à l’autre bout du monde, mais juste de changer d’environnement et de prendre un bol d’air.
Chapitre 4
R
avie de mes nouvelles résolutions, je filai en voiture me renseigner au centre sportif qui se trouvait à dix minutes de chez moi. Après avoir potassé les dépliants sous l’œil attentif du beau réceptionniste, également prof de sport à en juger par sa musculature, j’optai pour l’aquabiking. De ce que j’en savais, c’était excellent pour tonifier la silhouette. Exactement ce qu’il me fallait. J’espérai que le prof ne serait pas celui qui se trouvait actuellement derrière le comptoir, car je ne me voyais pas me démener sur un vélo dégoulinante de sueur devant cet éphèbe. Je pris une entrée pour le lendemain. Je me savais velléitaire en matière de sport, je préférais donc rester prudente et ne pas dépenser inconsidérément l’argent de dix entrées ou pire encore, prendre un abonnement d’un an. Il fallait rester raisonnable. J’étais optimiste, mais pas dingue. Forte de ma toute nouvelle motivation, je rentrai chez moi et me trouvai dans la foulée des vacances pas chères sur internet. Je choisis un chantier bénévole de restauration du patrimoine. Ça ne coûtait pas grand chose, j’allais faire de nouvelles rencontres et ça me permettrait de me refaire une santé et un moral d’acier pour rentrer regonflée à bloc et chercher du travail. Mon départ était prévu quinze jours plus tard, que je mettrais à profit pour faire du sport. J’avais choisi le séjour le plus court, ne sachant pas à quoi m’attendre. Immédiatement après, j'appellai mon père pour le prévenir que je passerais le voir sur le chemin du retour. Il décrocha au troisième coup. « Salut Papa…
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– Salut ma fille ! Ça fait plaisir de t’entendre ! Je commençais à me demander s’il ne t’était pas arrivé quelque chose de grave ! – Grave comme quoi ? Comme la mort ou comme une fille qui n’aurait pas appelé son père pendant une semaine ? Je vois que tu as toujours le sens de la mesure… J’ai eu une période un peu rude ces derniers jours… D’ailleurs, je t’appelais pour te dire que je vais bientôt passer à la maison. Je pars en vacances et je viendrai te voir en rentrant. » Mes parents étaient divorcés depuis mes dix ans et mon père vivait dans la maison de mon enfance. « Mais c’est une excellente nouvelle, ma fille ! Tu sais bien que ta chambre est toujours là pour t’accueillir ! Et j’ai fait les poussières sur tes jouets ! » Mon père était très protecteur et très aimant mais il n’avait toujours pas intégré le fait qu’à trente ans, j’étais une adulte majeure et vaccinée qui n'avait plus besoin de ses jouets depuis longtemps. À moins qu'il ne s'agisse d'un début d’Alzheimer… Même s’il n'avait jamais fait le poids face au rouleau compresseur qu’était ma mère, il m’avait de tout temps soutenue moralement et avait fait son maximum pour moi. Il s’était toujours refusé à refaire ma chambre après mon départ et quand je retournais là-bas, je retrouvais toutes mes affaires de petite fille intactes et à leur place. Je n’avais pas que de bons souvenirs dans cette maison, mais c’était toujours un plaisir de revoir mon père. C’est de lui dont j’avais hérité mon goût pour la cuisine et nous aimions partager cette passion commune quand j’allais le voir. « Bon, comme d’habitude, tu nous prépares des nouvelles recettes à tester ? – Bien sûr ma chérie, j’en avais déjà mis quelques-unes de côté en prévision de ta prochaine venue… – Super ! J’ai hâte de te voir. À bientôt, je t’aime. – À bientôt, je t’aime ma chérie. » Ce rituel culinaire que nous avions se finissait la plupart du temps soit à la pizzeria soit aux urgences, car mon père était bon cuisinier, mais tête en l’air et d’une maladresse qui frisait le handicap moteur. Les crèmes Chantilly salées et autres légumes émincés sauce au sang et bouts de doigts n’avaient pas de secret pour lui. Comme les enfants qui ne passent pas un jour sans se tâcher, lui ne passait pas un jour sans devoir se mettre un pansement quelque part. Je raccrochai, heureuse de cette période sympathique qui s’annonçait.
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Le lendemain matin, j’étais en route pour la piscine, prête à régler leur compte à mes capitons. Une certaine mollesse s’était installée sans invitation dans la moitié sud de mon anatomie et il était temps de reconquérir le terrain avec conviction. J’enfilai mon maillot de bain deux-pièces et fus mortifiée de constater que j’avais un nouveau petit bourrelet au niveau du ventre. Il débordait et retombait juste au dessus du haut de mon shorty, un peu comme s’il s’était installé là pour admirer le paysage… Furieuse, je remontai mon short, aplatissai l’indélicat avec l’élastique et décidai de le déloger prestement. J’étais par contre moins confiante concernant l’énergie qu’il me faudrait déployer pour venir à bout du chantier laissé à l’abandon que constituait mon postérieur. J’entrai dans l’eau et grimpai sur un vélo. À ma droite se trouvait une jeune femme au physique beaucoup plus sphérique que le mien et à la consistance encore plus molle. Elle me fit un sourire que je lui rendis. « Salut, je m’appelle Fiona ! – Salut… Moi c’est Gala… – Enchantée… Alors, c’est ton premier cours à ce que je vois… – Oui… – Tu vas voir, c’est mortel… Il nous en fait voir de toutes les couleurs mais ça marche ! Je te raconte pas comme c’est dur !! » Contrariée de voir surgir cette entrave à ma détermination, je répondis : « C’est ça, me raconte pas… » Faisant comme si elle n’avait pas entendu, elle enchaîna. « Et le prof, il est sans pitié ! D’après le bruit qui court, c’est un ancien légionnaire ! Un vrai sadique… » Ça commençait bien… Mais je n’allais pas laisser ma motivation fléchir pour si peu… Le professeur d’aquabiking apparut sur le bord de la piscine et à mon grand soulagement, ce n’était pas celui de l’accueil. Il était grand, les muscles très dessinés et le mollet saillant. Encore un qui devait passer tout son temps libre à soulever de la fonte… J’aurais bien poussé la méchanceté jusqu’à penser que son QI n'excédait pas celui d’un navet, mais j’avais pris de bonnes résolutions et décidé d’accorder le bénéfice du doute à quiconque se mettrait en position d’être la cible de mes sarcasmes. J’optai donc pour un QI de mollusque, le mollusque ayant
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un semblant de cerveau contrairement au navet. Ce grand gaillard était blond, les cheveux en brosse et il portait un slip de bain à propos duquel il était légitime de se demander s’il existait de nos jours pour les hommes des slips de bain rembourrés. Ça existait bien dans les soutiens-gorge. Je n’eus guère le temps de pousser plus avant mon investigation car G.I. Joe prit la parole. Ou plus exactement se mit à aboyer façon camp de redressement pour détenus mineurs américains. « Vous êtes prêts ??? » Je fis un bond sur mon vélo quand j’entendis tout le monde répondre en chœur et en hurlant comme s'il en allait de leurs vies. « Oui chef ! » Je regardai ma voisine, le sourcil levé et l’œil interrogatif, avec l’intention de me renseigner sur la santé psychologique de notre moniteur, mais elle avait le visage fermé et était crispée sur son guidon prête à attaquer. On sentait que ça n’était pas le moment de la déranger… « J’ai rien entendu !! Vous êtes prêts ??? » Comme venant d’un seul homme, la réponse fusa, résonnant jusqu’au plafond de la piscine. « Oui chef ! » Claquant dans ses mains pour dynamiser le groupe, composé principalement de sexagénaires, il commença à donner le rythme. « Alors c’est parti ! On y va !! On commence à pédaler ! Vous ne pouvez pas vous tromper, c’est tout droit !! » Nous nous mîmes donc tranquillement en mouvement, faisant bouillonner la surface de l’eau. G.I. Joe nous voyant pédaler à un rythme qu’il ne jugeait pas assez soutenu, crut bon d’ajouter une phrase de stimulation. « Allez les mémères ! On remue son derrière !! » Puis, à l’adresse de la petite dizaine d’hommes présents dans le groupe, il cria : « Allez mes p’tites louloutes, on y va, on pédale ! Vous êtes des hommes oui ou merde ??!! » Après dix minutes passées à nous torturer et durant lesquelles il ne nous lâcha pas du regard, il reprit. « Achtung !! À mon signal, on change de sens ! C’est now ! » Voilà qu’il nous jouait l’officier de la Wehrmacht qui aurait été fan de l'émission d'un autre temps Popstars… Vraisemblablement, cet homme-là ne faisait pas dans la dentelle.
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Pour enfoncer le clou, soucieux qu’il était de nous aider dans la prise de conscience de nos lacunes corporelles, il ajouta : « Sirène ou baleine, faites vos jeux !! » C’était officiel, je détestais ce prof. Mais il fallait bien reconnaître que sa méthode avait du bon, on pédalait tous comme des dératés. La demi-heure qui suivit fut la pire demi-heure sportive de toute ma vie. On avait alterné le pédalage en avant, en arrière, en danseuse, vite, très vite et même sans les mains. À tel point que je me demandais dans quel genre de liquide on pouvait bien baigner maintenant… Un bain de sueur, c’était sûr et pour le reste, mieux valait ne pas savoir. À la fin de la séance, j’étais épuisée mais satisfaite. Je me sentais fatiguée et en même temps lavée de toutes contrariétés et de toutes tensions physiques. C’était décidé, j’allais revenir quotidiennement en attendant mon départ. Les jours suivants se déroulèrent sans encombres, ma motivation ne faiblissait pas et je commençais à m’habituer au dictateur qui œuvrait pour nous faire perdre notre gras. En parallèle, je me renseignais sur internet à propos du chantier auquel j’allais participer. Il s’agissait de restaurer un château dont les murs d’enceinte s’étaient effondrés par endroits. Le groupe de bénévoles serait logé dans un couvent qui se situait non loin du lieu à restaurer. J’étais chez moi en train de visionner des photos de l’endroit quand le téléphone sonna. C’était l’association qui me confirmait mon inscription et m’informait que mon chèque allait être encaissé. Le nombre de places étant limité, les participants étaient prévenus dans l’ordre de validation de leur inscription. J’étais la dernière du dernier groupe prévu pour cette cession. J’avais de la chance pour une fois car je m’y étais prise au dernier moment. La secrétaire allait m’envoyer par mail la liste des choses à amener et des vêtements à prendre. Peut-être pensait-elle que j’allais me présenter sur place en robe de cocktail ? Ou peut-être avaient-ils déjà été confrontés à des hurluberlus… Tout bien réfléchi, on n’était pas forcément à l’abri de voir débouler une petite nana en mini-jupe et talons aiguilles, moins là pour poser des pierres et du mortier que pour se trouver un petit copain. Une chose était sûre, ça ne serait pas mon cas, j’avais déjà suffisamment donné dans les rendez-vous ratés. Le prochain en date allait bientôt avoir lieu et j’avais peur qu’à la vue des précédents, celui-là ne soit la goutte d’eau qui ferait déborder le vase de mes désillusions.
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Prudence Raynes
J’étais inscrite sur un site de rencontre et je vérifiais régulièrement ma boîte mail. Malheureusement, la fréquentation du virtuel m’amena vite à constater que les hommes étaient autant faits pour rédiger des mails intéressants que les femmes pour faire pipi debout. L’homme moderne et virtuel était un paresseux. Quatre-vingts pour cent des messages que je recevais étaient constitués de “ slt ”, “ cc ” et autres “ ça va ? ”, quand ça n’était pas “ sa va ? ”. L’homme moderne était aussi très mauvais en orthographe. Je pouvais concevoir de faire preuve d’une certaine tolérance car tout le monde ne connaissait pas le code typographique et le Bescherelle par cœur, mais elle avait cependant des limites. Le texte de mon annonce était une mise en garde caricaturale très claire à cet égard, une sorte de do et don't de la séduction et il disait ceci : Ne dites pas à un homme : quel genre de relation cherches-tu ? La réponse doit se faire sous forme de phrases, c'est trop compliqué et de toute façon, trois-quarts des hommes sont là en quête de relations horizontales. Dites plutôt : ça va ? Ainsi, il ne sera pas effrayé d'emblée à l'idée de devoir réfléchir pour soutenir une conversation avec vous. Puis ne posez que des questions dont la réponse est oui ou non et essayez tant bien que mal d'obtenir ainsi quelques bribes d'informations. Ne lui dites pas : écris-moi des poèmes. Ils ne peuvent déjà pas faire de phrases, alors des phrases qui riment, oubliez. Dites plutôt : dessine-moi un mouton. Le dessin est plus à la portée d'un homme que l'écriture, il y arrivera probablement plus facilement. N'écrivez pas de texte d'annonce, les hommes ne le lisent pas. Mettez plutôt des photos de vous en bikini, en train de lire Flaubert. Ils liront au moins le titre du bouquin puisqu'il est entre vos deux seins. Ne donnez pas votre numéro de téléphone, l'homme n'est pas assez courageux pour l'utiliser. Tel un chat qui tapote sa gamelle d'eau pour vérifier qu'il n'y a aucun crocodile dedans, l'homme préfère envoyer des sms pour tâter le terrain et vérifier qu'il ne court pas le risque d'essuyer un râteau qui mettrait gravement en péril sa virilité. Suggérez plutôt de poursuivre de vive voix, et vous obtiendrez le sien sans aucun effort. Il sera ravi de se défiler pour vous laisser appeler.
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Si malheureusement vous fonctionnez à l'ancienne et considérez que c'est à l'homme de faire le premier pas et d'appeler, réservez plutôt une place au couvent. Si vous dédaignez cette option salvatrice et persistez à attendre qu'il vous appelle, vous allez finir soit vieille fille, seule, et serez mangée par votre chien et votre chat, soit momifiée. Ne pensez pas qu'un homme à qui vous plaisez physiquement va s'intéresser à votre intelligence. Si par malheur vous êtes plus intelligente que lui, il va fuir car cela va porter atteinte à son ego de mâle (pour des modèles de mâles actuels de moins de cinquante ans, voire les geeks, les hipsters, les métrosexuels, les gamers, les footeux, les Tanguys et les Justins Biebers). Pour ne pas l'effrayer, soyez belle, et surtout taisez-vous ! Ne cherchez pas à l'impressionner avec votre conversation. Un homme se sent obligé d'être spirituel pour éblouir une femme, vous n'aurez plus qu'à acquiescer à son discours et à glousser à ses blagues, et le tour sera joué. Lors du premier rendez-vous : N'attendez pas que l'homme arrive à l'heure. De nos jours, le civisme et la galanterie sont morts. Prévoyez plutôt d'arriver avec vingt minutes de retard. Comme il va déjà de son côté être en retard d'un quart d'heure, il n'aura plus que cinq minutes à patienter et votre honneur sera sauf puisqu'une femme est censée se faire désirer. N'attendez pas qu'un homme vous invite. Le féminisme étant passé par là, dans le meilleur des cas, il va vous proposer de faire moitié-moitié, et dans le pire, il va passer en premier, régler sa note et vous laisser la place. Et si par le plus grand des hasards il vous invite, prévenez tout de suite le conservateur du musée de l'Homme pour exposer ce spécimen rare, vous en avez trouvé un vrai, avec un grand H ! Félicitations ! Ces messieurs devaient savoir d'entrée de jeu que je ne voulais ni d’un timoré, ni d’un lâche, ni d’un nonchalant. Tous ceux qui passaient sur mon profil en me laissant un flash pour attirer mon attention ne faisaient rien de plus que le toutou qui urine sur son poteau, ils marquaient leur visite. En espérant que je passerais derrière voir si l’odeur me plaisait et que je ferais tout le boulot de la prise de contact à leur place. Seulement, j’étais plutôt du genre à fonctionner à l’ancienne. J’aurais dû naître à l’époque où les dames faisaient tomber leur mouchoir de dentelle et attendaient qu’il soit ramassé par un aimable gentleman qui passait par là. Bref, je ne supportais pas ce système de flashs tout juste bon pour les attentistes que je fuyais comme la peste.
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Il me fallait un courageux, un téméraire, un gars honnête et droit qui ne ferait pas un malaise à l’idée d’écrire un mail à une mignonne petite inconnue. En clair, il me fallait un homme, un vrai. Pas un représentant de cette nouvelle sous-espèce de couilles molles que l’on trouvait à la pelle un peu partout et qui avaient perdu leurs chromosomes Y quelque part. J’avais eu assez d’expériences décevantes en amour et il ne me restait de place que pour l’amour avec un grand A. J’avais déjà l’amitié grâce à Jep, il ne me restait plus qu’à trouver l’aiguille dans la botte de foin. Ce qui aurait été facile avec un détecteur de métal, mais pour l’amour, on n’avait malheureusement pas encore inventé de détecteur. J’en étais donc réduite à me contenter d’internet, ayant fait le tour des connaissances qui auraient pu me présenter quelqu’un dans la vraie vie. Un soir en rentrant du travail, je trouvai donc un mail qui attira mon attention. Il venait d’un homme au profil sans photo, légèrement plus âgé et qui habitait dans une banlieue chic de l'ouest parisien, à l'opposé de chez moi. Apparemment, il ne se laissait pas arrêter par ce genre de contrainte, ce qui était plutôt de bonne augure. J’avais utilisé mon diminutif comme pseudo et le mail se présentait ainsi : Objet : Un mystère à résoudre… Gala, J’ai aimé cette présentation déterminée de vous-même et la photo tout aussi expressive qui l’accompagne. Une pointe d’ombre pour maquiller ce que je soupçonne être une femme originale. Exiger une orthographe correcte me semble le témoignage précieux d’une attention à ce qui est écrit et lu... Bien loin des messages bâclés, des envolées lyriques et vaines de tant de profils. Alors, bien sûr, je ne suis qu’une silhouette sans traits, handicapé par la distance que j'érige entre nous en vous écrivant, ce qui vous condamne, si vous le souhaitez, à laisser de la place à votre imagination. Si vous avez le temps, la curiosité, je vous propose de bâtir un pont de mots entre nous et je répondrai. Phorus Je crus rêver. C’était exactement le genre de mail que j’attendais et que je n’avais jamais reçu. Voilà qui était d’un romantisme échevelé ! J’étais ravie de voir que contrairement à ce que j’imaginais, il y avait encore quelques hommes qui prenaient la peine de manier la plume. Je répondis simplement, juste avec l’idée d’entamer une relation épistolaire compte tenu de la distance.
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Objet : Re : Un mystère à résoudre… Phorus, Vous avez parfaitement réussi à éveiller ma curiosité avec ce message, qui est bien différent de ceux que je reçois d’habitude. Mais je préfère vous prévenir que comme vous l’avez pressenti, je n’ai pas la volonté d’établir une relation que la distance finirait par alourdir. L’amour est suffisamment compliqué à trouver pour ne pas en plus lui mettre de bâtons dans les roues en le heurtant de plein fouet à la traumatisante réalité de l’usage des transports en commun. Pour répondre au point que vous avez retenu de mon profil, je vous dis ceci : vous avez l’air d’être fin psychologue... Gala Il ne fallait pas trop en dire lors d’un premier message, mais assez pour lui donner envie de me répondre. S’il pensait que j’étais originale, je n’allais pas lui dire le contraire. Et peut-être au fond n’avait-il pas tort. D’autre part, j’aimais écrire, d’où le métier de lettres que j’avais choisi et il en était apparemment de même pour lui. Il aurait été dommage de se priver de ce plaisir. Le lendemain, je reçus sa réponse. Objet : Justement impossible. Bonsoir Gala, Me voilà averti, je suis face à un cruel dilemme. Mais il faut bien avouer qu’il n’y a rien de plus favorable pour exacerber les sentiments que lorsque se dresse un dragon sur la route d’un preux chevalier. Ce prénom singulier que vous portez et qui sait immédiatement réveiller des images et des paysages qui ensorcellent l’esprit, me pousse à vouloir défier cet ennemi et prendre d’assaut ce fort. On a beau vouloir se garder des enthousiasmes de l’imagination, le mal est fait, ma raison a rendu les armes... Votre refus délicat de vous aventurer dans une romance improbable qu’alourdirait la distance semble nous placer devant cet impossible dilemme. Qui saurait me dire pourquoi cette impasse, que je vois comme vous, m’attire au lieu de me repousser ? Ne pouvant me résoudre à vous dire aussi simplement adieu, je lance un dernier appel : entendez-moi Gala… L’amour vaut bien qu’on lui consacre quelques gouttes de sa sueur. Phorus Un autre message suivait, me proposant de venir le rejoindre pour faire connaissance autour d’un thé. J’avais beau ne pas être partante pour une potentielle relation à distance, j’étais par contre très enthousiasmée par cette prose qui m’avait faite rêver et qui m’avait moi aussi propulsée dans des élans imaginaires au travers desquels le mystérieux
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auteur de ces missives prenait des airs de prince charmant. J’acceptai donc le rendez-vous.
Chapitre 5
Q
uelques jours plus tard, parée de mes plus beaux atours, je me rendis au salon de thé où nous devions nous retrouver. J’avais l’impression d’avoir fait un voyage de quinze ans en arrière, à l’époque des premiers émois amoureux. Je ne savais rien de mon énigmatique admirateur, juste qu’il était romantique, déterminé et que ses mots avaient fait merveille à mes oreilles, me convaiquant de passer outre l'absence de photo sur son profil. J’avais revêtu pour l’occasion une robe en coton à petites fleurs bleues, ornée d’une ceinture en cuir à perles argentées, des boots marron d’inspiration Far West et une veste en jean. Mes cheveux étaient lâchés et je n’étais pas maquillée. J’arrivai légèrement en avance, pour pouvoir me familiariser avec le lieu et prendre le temps de me détendre car j’étais un peu stressée, sûre que j’étais de rencontrer un homme selon mon cœur. Je relisais les messages sur mon téléphone quand j’entendis la porte s’ouvrir. Je tournai la tête et vis un homme entrer. Il devait avoir autour de 45 ans, les cheveux poivre et sel. Je me replongeai aussitôt dans ma lecture pour tromper l’attente. Un instant plus tard, alors que j’avais la tête baissée, j’entendis une voix masculine me saluer par mon prénom. Je levai les yeux. Celui que j’attendais était en fait l’homme qui venait d’entrer… Je restai stupéfaite. L’homme, qui nota mon désarroi, s’adressa à moi. « Bonjour… Puis-je prendre place ? » dit-il en désignant la chaise en face de moi. J’acquiesçai, toujours incapable de parler. La seule pensée qui occupait mon esprit était de savoir comment j’allais faire pour me sortir de ce que je voyais maintenant comme une situation inextricable. Au choc de cette rencontre aussi désagréable qu’inattendue succéda la colère.
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« Permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes excuses… Je ne voulais pas vous tromper… Mais vous ayant vue puis vous ayant lue, je ne pouvais désormais plus passer ma route sans me retourner. Je n’ai pas réussi à faire taire cet espoir, qui m’a habité pour arriver jusqu’à vous… Enchanté, je suis Walther. » Je soupirai. Le langage de cet homme était châtié et il était visiblement animé de bonnes intentions. Je ne décelais pas l’once d’un mauvais sentiment sur ses traits, mais plutôt une bienveillance qui fit fondre ma rancœur comme neige au soleil. Je fis contre mauvaise fortune bon cœur. Il était sûr que cette rencontre resterait unique, mais puisque j’étais là et qu’il m’était difficile de repartir d’emblée, autant passer ce moment aussi agréablement que possible, à échanger et à essayer d’en savoir plus sur ses motivations. Ayant rassemblé mes esprits, je pris la parole. « Bonjour… Je crois qu’il est inutile de vous dire ma surprise ? » Décidant qu’il n’allait pas s’en tirer sans savoir le fond de ma pensée, j’allai droit au but. « Qu’est-ce qui diable a pu vous laisser croire que quoi que ce soit serait possible entre nous ? Il semble que vous avez un tantinet sous-estimé votre âge… – Je suis navré mais il fallait que je vous rencontre. Vous avez brillé par votre délicatesse au milieu de cet océan de vacuité et de vulgarité qu’est la rencontre virtuelle. » Je souris. Sans aucun doute, ce monsieur savait manier le compliment. Je n’étais quand même pas le moins du monde disposée à me laisser séduire par ce genre de bonimenteur. De plus, entamer une relation par un mensonge n’était pas la meilleure idée de l’année et une nette différence d’âge existait entre nous si j’en croyais mes impressions. « Vous m’en direz tant… – J’ai bien conscience que la situation dans laquelle je vous mets doit être délicate… – Effectivement, il me semble que nous n'appartenons pas à la même génération. D’ailleurs, puisque vous n'avez pas été clair là-dessus, il serait peut-être temps maintenant de dire la vérité… Quel âge avezvous ? Et pourquoi avez-vous menti ? » Je l’observai. Il avait un indéniable charisme, doublé d’un charme qui aurait envoûté plus d’une femme. Il était grand et très élégant. Tout concordait dans son personnage. La délicatesse de ses traits illuminés
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par de beaux yeux verts, sa tenue élégante et sa façon de se tenir droit. Il respirait la bonne éducation, le raffinement et l’intelligence. Il était vêtu d’un pantalon gris à pinces, d’une chemise blanche surmontée d’un gilet de costume à fin motif tartan d’un gris assez soutenu. Sa cravate gris perle achevait de parfaire cette tenue soignée. Une superbe montre ornait son poignet gauche. D’un geste, il replia sa veste sur son bras et la posa sur le dossier d’une chaise, puis s’assit devant moi. « Vous avez raison. Vous dire la vérité est la moindre des choses que je puisse faire. J’ai quarante-quatre ans… » Il attendit mais je n’affichai aucune réaction. Je me contentai de répondre. « Quarante-quatre ans… Quelle raison pourriez-vous invoquer pour vous défendre de contacter une personne de quatorze ans de moins que vous ? – S’il faut me défendre, je le fais de bonne grâce… C’est peut-être là un signe que vous-même vous défendez de céder à l’appel de la curiosité ? » Je ne répondis pas à sa question mais lui expliquai clairement ma vision des choses. J’étais certes curieuse, mais plus encore terre à terre et il allait vite comprendre qu’il avait fait une grosse erreur en essayant de se faire passer pour quelqu’un qu’il n’était pas. Je détestais les mensonges aussi bien que les petits arrangements avec la réalité. « C’est évident, je me demande ce qui a bien pu vous passer par la tête ! Je préfère vous prévenir que vous perdez votre temps. Il est des limites qu’il vaut mieux éviter de franchir, vous auriez dû vous rappeler de ça avant de mentir sur votre âge. » Vu ma très récente mésaventure professionnelle, je n’avais pas envie de faire preuve de clémence. « Ne vous braquez pas ainsi… Votre Discours de la Méthode ne sied pas à la quête de l’amour. Chacun sait que cette quête ne se satisfait pas de trop de droiture. Elle est encline à parcourir des chemins semés d’embûches, des voies détournées ou de sombres impasses… » Je commençais à cerner le personnage. Il était aussi rêveur et poète que j’étais cartésienne et réaliste. Mon monde était noir et blanc, le sien n’était que nuances de gris. Autant essayer de mélanger de l’eau et de l’huile ou de faire passer un cube dans un trou rond de la même taille. « Écoutez Walther… Les jeux sont faits, je ne suis pas femme à accepter d’être menée par le bout du nez. Puisque nous sommes ici, je vous
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propose de prendre le thé mais sachez d’ores et déjà que cela sera notre unique rencontre. Je ne vous reverrai pas. » Ma remarque n’eut pas l’air de le perturber outre mesure. « Fort bien… Il est tellement rare et tellement plaisant de croiser le chemin d’une personne de caractère que je ne saurais vous contredire. Profitons donc de ce moment en toute simplicité. Je vous en prie, choisissez ce qu’il vous plaira… » Il me tendit la carte qui était posée sur la table d’à côté. Autour d'un thé, nous passâmes l’heure qui suivit à converser de la pluie et du beau temps. Lorsque le rendez-vous prit fin et que je me levais pour régler ma part, il me demanda si je voulais bien rester surveiller sa veste quelques minutes et prit congé. Il revint pour m’accompagner vers la sortie. Il avait réglé la note de la façon la plus délicate qui soit. Nous nous quittâmes en bons termes, mais il était toujours aussi mystérieux après une heure passée en sa compagnie. Si j’avais facilement cédé à ma curiosité naturelle en lui posant des questions, elle n’avait pas été le moins du monde assouvie. Sur le chemin du retour, j’envoyai un sms à Jep pour lui dire de passer chez moi, j’avais acheté quelques macarons et j’avais aussi hâte de lui raconter cette autre mésaventure. Il arriva en début de soirée, venant directement de l’université où il avait enseigné dans l’après-midi. À en croire sa mine déconfite, il venait lui aussi d’essuyer une déconvenue. « Hello darling… – Salut Jep… Tu n’as pas l’air dans ton assiette, qu’est-ce qui t’arrive ? – Oh, pas grand chose de notable, je suis juste effondré de la stupidité de mes étudiants… Le cours d’aujourd’hui sur la connaissance de soi m’a valu ma pire déception de l’année ! J’ai un étudiant, un bon étudiant en plus, qui m’a fait un développement oral sur la connaissance de soi. Et dans sa partie sur le lien aux souvenirs d’enfance, il m’a fait tout un speech sur sa madeleine de Commercy !! » Je souris. « Non mais tu te rends compte de ce qu’ils peuvent me sortir comme âneries ??? It’s a piece of nonsense ! Et je ne te dis pas la meilleure… D’après Épicure, l’homme doit tendre vers l’aponie, la paix du corps et j’en ai un qui m’a sorti que l’homme devait tendre vers la Laponie !! » Tel un acteur de tragédie grecque, il fit mine de pleurer de désespoir. « Je crois que j’ai encore un peu de travail… »
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Je ris de bon cœur. « Ne t’inquiète pas, tu n’es pas tout seul à avoir vécu des trucs déboussolants aujourd’hui… Tu te rappelles, j’avais mon rendez-vous internet avec le poète tout à l’heure… – Of course ! J’avais oublié… Comment ça s’est passé ? Tu as trouvé ton Mr. Right ? – Pfff, tu parles ! Je me suis faite avoir… – Comment ça ? – Et bien ce type, charmant au demeurant, a quarante-quatre ans… Il avait bidouillé son profil pour que j’accepte de le rencontrer… – Damned ! Le garçon devait être motivé ! Et alors ? – Alors rien… Il était charmant, poli, bien élevé, galant, mais trop vieux pour moi et de toute façon, je n’aime pas qu’on me vende des salades même si c’est pour la bonne cause. – Toi et tes grands principes ! Pour l’âge, admettons, mais pour le reste… Tu crois que ça se trouve sous les sabots d’un cheval les hommes biens ? – Anyway ! répondis-je en l’imitant. Le problème est réglé, je ne veux pas le revoir. Next ! – Very funny… » Il avait bien saisi que je me moquais gentiment de lui. « Il n’était peut-être pas parfait, mais toi, tu ne serais pas un peu trop manichéenne par hasard ? » Je lui tendis la boîte de macarons en guise de réponse, je savais que je l’étais. Il en prit un en souriant. « Quand est-ce que tu pars en vacances ? – Après-demain. Tu pourras me déposer à la gare ? – Bien sûr… – Il faut que je passe au travail signer mes papiers et récupérer mon solde de tout compte demain. Ça m’angoisse d’avance. J’ai demandé à Marie-Do de me recevoir de bonne heure avant l’arrivée des autres. Je n’ai aucune envie qu’on me serve des larmes de crocodile en guise de pot de départ… – Tu as bien raison, inutile de te donner en pâture à une bande de hyènes rieuses ! Bon, j’y vais, j’ai des copies à corriger. J’espère qu’ils m’auront un peu plus épargné à l’écrit ! – Ok, bonne soirée, à plus. » Je passai une heure à faire du tri dans mes affaires pour préparer
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mon sac de voyage. Le lendemain matin, je revins au bureau pour récupérer mes papiers et en finir avec les formalités administratives. Comme certains employés qui voulaient partir sans se faire remarquer le soir, je me mis en mode furtif et entrai aussi discrètement que possible. Il n’y avait personne en vue, seule Marie-Do m’attendait. « Tes papiers sont prêts, tu n’as plus qu’à signer. » J’aurais dû m’y attendre, ni bonjour, ni merde. « Bonjour Marie-Do… Comment tu vas ce matin ? En forme ? » Certes, j’étais virée, mais je n’allais pas faire profil bas en plus. « Comment ça se passe sans moi ? » continuais-je dans un accès de narcissisme mal venu mais incontrôlable… « Et bien écoute, tout le monde a entamé une grève de la faim pour protester contre ton départ… Ils en sont à trois kilos de moins, les filles te remercient… » Au temps pour moi, je n’aurais pas dû poser la question. Elle maîtrisait très bien l’art du cynisme. Je ne pus quand même m’empêcher de répondre par une tirade que je trouvai a posteriori bien sentie. « Oh tu sais, c’est moi aujourd’hui, mais Dieu sait qui ça sera demain… La roue tourne. Et puis, comme dit le proverbe, avant de s’occuper de la route, il faut s’occuper du compagnon ! À ta place, je ne serais pas si sûre de moi… Le prochain sur la liste n’aura personne sur qui compter non plus… » Cette pimbêche en talons aiguilles n’aurait pas le dernier mot, quitte pour moi à faire preuve de mesquinerie. Je signai, pris mon dossier et sortis sans un au revoir. Je quittai le bâtiment avec un sentiment de liberté. Libre de partir en vacances, libre d’oublier mes soucis, et libre pour quelques temps de cette machine à broyer les gens qu'était l’entreprise. Le lendemain matin, Jep me déposa à la gare. Il était tôt et cela lui avait demandé un gros effort de se lever. Il n’était pas du matin donc pas de la meilleure humeur qui soit. Il n’avait pratiquement pas ouvert la bouche du trajet. « Tu m’en dois une, Gala… » Pour une fois, il me gratifiait de la traduction mot à mot de l'expression à charge de revanche en anglais, you owe me one. Il devait vraiment avoir le cerveau embrumé. Enfin, il sortait de son mutisme, c’était toujours ça. Je le connaissais bien et savais qu’il valait mieux attendre que l’ours émerge de sa caverne de lui-même. Point ne suffisait
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de ne pas le brusquer, il fallait aussi savoir le mettre de bonne humeur si je ne voulais pas que sa mine encore marquée des stigmates du sommeil s’éternise. Nous étions tout le contraire l’un de l’autre en matière de biorythmes. J’étais du matin, il était du soir. Quand j’étais sur le pied de guerre à la sonnerie du réveil, lui était plutôt du genre à s’armer de son oreiller pour étouffer l’importun. Ce qui était pratique pour lui, c’était qu’avec le rythme des cours à la faculté, il n’avait pas besoin de se lever aux aurores tous les matins. J’essayai de le dérider en faisant mine de ne pas avoir compris. « Je te dois une quoi ? » Je n’obtins qu’un grognement pour toute réponse. Il fallait y aller doucement. « Tu penseras à moi, j’espère ? – C’est surtout tes bons p'tits plats qui vont me manquer ! » C’était une vacherie, mais elle l’avait mis de bonne humeur donc je n’allais pas jouer les rabat-joie. « Je vois, je vois… Tu sais ce qui va me manquer à moi ? Tes citations de prof de philo à la noix. La célèbre Rien ne sert de partir à point pour arriver nulle part et la non moins fameuse Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche, sans oublier l’ultime citation du prof de philo en afterwork, Bière qui roule amasse la mousse… » La balle devait être à peu près au centre. « Ok, ça va, un point pour toi. » Encore mieux que ce que je pensais. « Tu m’enverras une carte postale ? – Qu’est-ce que tu voudrais que je te raconte franchement ? Cher Jep, ici tout va bien, il fait beau, je creuse et je fais des murs. Amicalement, Gala. Ne compte pas sur moi, on vaut mieux que ça quand même… Ça n’est pas comme si je partais pour une destination exotique et inexplorée non ? En plus, je ne pars pas longtemps, c’est juste pour faire un petit break. Tu ne t’apercevras même pas que je ne suis plus là… Pour MacIntosh, je t’ai mis les boîtes et les croquettes sur la table de la cuisine. Pour les croquettes, c’est à volonté, une petite boîte le soir et eau fraîche tous les jours, ok ? – Stop talking ! Pourquoi il faut toujours que tu me répètes la même chose pour ton chat ?? Ça fait neuf ans que je m’en occupe, je te signale ! – Excuse-moi, je sais… Mais ça me rassure. Et si tu peux passer lui
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faire des câlins de temps en temps, il a besoin d’affection… Ah oui et n’oublie pas de changer la litière… – Ne t’inquiète pas, je m’en occuperai comme si c’était mon chat. » Nous étions arrivés, je descendis de voiture et récupérai mon sac dans le coffre. « Fais bon voyage. Et n’oublie pas de m’envoyer un sms en arrivant. – Ok, merci pour le taxi ! À bientôt, sois sage ! – Toi, sois sage ! Ça n’est pas moi qui vais faire un chantier avec Dieu sait qui ! – Vu qu’on va loger dans un couvent, Dieu sait qui sera sûrement une armée de bonnes sœurs ! Je ne devrais pas risquer grand chose ! » Je lui envoyai un baiser en l’air en m’éloignant, qu’il attrapa et colla sur sa joue en me faisant un clin d’œil. J’étais en vacances.
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