Numéro 11, Décembre 2015
LA VIE
Ce numéro est dédié à la mémoire DE Joël Gustave Nana Ngongang (AMSHeR) et Zenita Temall Nicholson (SASOD – Guyana)
Issue 11, December 2015
LA VIE
A propos de Q-zine Q-zine est un projet de Queer African Youth Network (QAYN) Co-Fondatrices Caroline Kouassiaman & Mariam Armisen Rédacteur en Chef John McAllister Rédactrice en Chef Cynthia Ibo Rédactrice en Chef Mariam Armisen Traductrices(teurs)/Editrices(teurs) Abdou Bakah Nana Aichatou Caroline Blacky Mudingo Dipanda Anthony Blanquer Gerard Casas Astride Charles Claire Obscure Cynthia Ibo Patrice L Vanessa Népaul Alice Vrinat Graphiste Diana Reed Q-zine en ligne Site Internet: www.q-zine.org Issuu: www.issuu.com/q-zine Facebook: https://www.facebook.com/Q-zine
Dans ce numéro Q-Zine | La Vie | Numéro 11, Décembre 2015
ENTRETIEN
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Mon corps bien-aimé, te souviens-tu de ça? Gerard Casas
22
Que le lion se reveille ou pas Cynthia Ibo
36 42 68
Bordelle en style
L’amour a dit
66
Sestina de ma vie
100
Parce que je t’aime
Cynthia Ibo
98
Lez ka lour!
Mariane Amara
72
La douleur sublime de la libération
Nickel
Valerie Bah
PHOTOGRAPHIE
Nous devons être vuEs ET entenduEs Le reflet de l’âme
Gayle Bell
Ne plus jamais mentir
La calebasse c’est ma spécialité
84
Rosabelle Illes
34
For Sizakele
Cynthia Ibo
RÉCIT
20
ESSAI
Mariam Armisen
Mariam Armisen
74
POÉSIE
Cynthia Ibo
Kawira Mwirichia
52
REVUE
48
PAROLES DE CHANSON 94
16
Des lieux inattendus
92
Des ailes d’amour!
Les équilibristes Stéphane Ségara & Mariam Armisen
j’y étais!
Lola Kamarizah
Jan an yé
OZe’N & Why’z Panthera
Brogan Luke Geurts
Gayture
Numéro 11, Décembre 2015 | 5
Contributeurs
Photo de Claire Obscure
Gerard Casas Gerard Casas est un traducteur et un activiste queer. Son domaine de travail tourne autour du genre, la communication interculturelle et l’art.
carrière artistique, elle est également active sur le plan académique ; elle poursuit présentement un doctorat en psychologie à l’Université de Leiden.
Brogan Luke Geurts Brogan Luke Geurts is an anti- Brogan Luc Geurts est unE queer anti-capitaliste, anthropologue de formation, militantE des droits humains, et artistE drag, qui vit et poursuit une maîtrise dans un programme de santé internationale à Berlin, Allemagne. Pendant la derniere decennie, Brogan a travaillé sur les questions de la violence structurelle, la santé publique, et les droits LGBTI dans les États-Unis, au Kenya, en Ouganda, au Kosovo et dans les Balkans.
Cynthia Ibo Cynthia Ibo est activiste afro-caribéenne, elle pratique également la poésie, le documentaire, le rap, la photographie. . .
Rosabelle Illes
Mariam Armisen rédactrice en chef de Q-zine, traductrice, photographe en herbe et activiste féministe queer.
Rosabelle Illes est une artiste et auteur originaire d’Aruba. Elle est l’auteure de deux recueils de poésie et la créatrice d’un calendrier d’art. Ses histoires courtes sont apparues dans Gone Lawn Journal, theNewerYork Press, Crack the Spine literary magazine et Susumba’s Bookbag. A côté de sa
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www.rosabelleilles.com
Nickel Nickel est un journaliste et le chargé de communications de Humanity First Cameroun.
LK Lola Kamarizah est une féministe africaine, passionnée de littérature et de sport, fortement engagée dans les luttes pour un monde plus juste.
Contributeurs
Militante bénévole active au sein d’un ONG LGBTQ, Gayture s’intéresse à des éléments culturels et de loisirs pour l’épanouissement de la communauté LGBTQ du pays. OZe’N est un artiste aux multiples talents (musique, video, photographie) mais qui ne sait pas mieux exprimer ses sentiments que par la musique.
Photo de Claire Obscure Gayle Bell Les œuvres de Gayle Bell ont été présentés dans plusieurs anthologies. De 2013 à 2014, elle a été co-exposante de My Immovable Truth-A Dallas Lineage put on by MAP (Make Art With Purpose). Elle anime les siennes et l’histoire orale et les performances des artistes GLBTQY. Son contact est taurusdagger@gmail.com Valerie Bah Les œuvres de Valérie Bah ont apparues dans plusieurs revues et anthologies, y compris Saraba Magazine, Spartan, et Speak Out: Histoires de la erté, le courage et la justice sociale. Stéphane Ségara Stéphane est un jeune activiste burkinabé qui s’intéresse à utilisation de plusieurs techniques de communication pour asseoir ses actions. L’écrire et l’expression de l’émotion dans les mots sont une forme importante pour lui de s’engager. L’imaginaire et sa vie personnelle lui constituent des sources inéluctables d’inspirations.
Why’z Panthera La poésie est l’art premier de Why’z Panthera. Elle a déjà publié trois recueils de poésie et a réalisé de nombreuses déclamations publiques lors d’événements poétiques. Why’z Panthera a fondé en 2012 le RPAMC - De Profundis (http://www.rpamc-deprofundis. com/ ), en Ile de France, par lequel elle entend concevoir un espace de mélange des formes artistiques enrichi par la diversité des pro ls de ses membres. L’association organise ses activités autour de quatre principaux pôles : le théâtre, la poésie, la musique, la vidéo.Ces formes d’expressions sont régulièrement associées dans les deux projets piliers, à savoir les soirées BOKANTAJ, organisées depuis mai 2014, et les vidéos TIME ART, dont la première saison a commencé à être di usée en août 2015. Kawira Mwirichia à l’Université. Elle aime créer des choses, et s’exprime notamment à travers l’art visuel. Elle fait également une partie d’une organisation artistique nommé AFRA-Kenya. Son site Web: http://kalacompany.com/ Marianne Amara Mariane Amara est une activiste lesbienne vivant au Cameroun. Psychologue de formation, elle est passionnée aussi bien par la recherche sur la thématique des identités liées au sexe que par la littérature gay et lesbienne. On peut la suivre sur son blog intitulé fleur-d-afrique-noire. blog4ever.com.
Merci à touTEs...
Gayture Gayture, ancienne footballeuse est une jeune
activiste queer Burkina Faso.
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Edito
Photo de Meritxell Casas
Aux côtés de l’arbre Nous avions amené à l‘arbre nos apnées d’avant la joie, nos apnées d’après l’amour, nos espoirs d’après la pluie. Nous lui avions porté l’arôme doux amer de nos pensées profondes. Le parfum entêté d’un éternel coup de cœur. Et nos rêves d’exister en toutes ces certitudes. Nos traces dans son sable, dans la terre qui l’entoure pour dire que nous étions là et que nous reviendrions. Et l’aura des aînées nous avait tant portéEs. Force, amour et persévérance… Et l’orage des ennemiEs n’avait pas fait trembler l’arbre. Ou bien alors si peu. Nous avions dansé autour du flamboyant ou bien de l’acajou ou du tamarinier ou bien de l’acacia ou de tous...Peu importe. Nous avons fait chanter nos rêves et nos désillusions, nos combats et nos pertes, nos beautés et nos persistances d’étoiles avec ou sans la nuit. Et l’arbre a peut-être frémi. C’est sûr qu’il a frémi. Qu’ils ont frémi tous à l’unisson ou bien désaccordés. Parce que nous sommes des forêts que personne n’achète et que l’on a bien cru nous voir disparaitre.
Mais pendant ce temps nous apportions à l’arbre. Nous apportions aux arbres. Nous les enlacions fort pour partager nos vies, pour s’armer de leurs sèves et revenir plus fortEs. D’amour et de persévérances de dire, de montrer en couleurs, de rire aux feuilles, de rire aux fleurs époustouflées. Nous les enlacions très fort pour qu’ils absorbent nos peurs, nous abreuvent d’envie, et qu’ils chuchotent aux vents les nouvelles du retour. En vibrations intimes. En fanfares personnelles. Queer, panafricain et plus vivant que jamais Q-Zine vibre. En promesses à nous-mêmes, à nos vies, à nos arbres, il palpite. Pour nos souffles entêtés sur tout le continent et nos respirations d’échos en diasporas, il trépigne d’impatience, tout en lançant des chœurs plein de sérénité. Nos amours vont partout et ils restent à l’arbre et c’est pour cela qu’il frémit et juste aux côtés de l’arbre, le numéro 11 de Q-Zine.
Cynthia Ibo 8 | Numéro 11, Décembre 2015
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Mon corps bien-ai
My Beloved Body, Do You Remember That? An interview with Khanyisile Mbongwa by Gerard Casas. Photos by Txumari Ezpeleta
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Entretien
imé, te souviens-tu de ça? Une conversation entre Khanyisile Mbongwa et Gerard Casas. Photos de Txumari Ezpeleta. Traduit de l’anglais par Cynthia Ibo
Basée au Cap, Khanyisile Mbongwa est une poétesse reconnue, artiste, performeuse et curatrice. En 2006, elle a co-fondé le collectif d’artistes Gugulective, avec lequel elle a produit des installations d’art vidéo et de performance. Jusqu’à présent, son art engagé et sa créativité innée l’ont amenée à exposer et performer dans des endroits tels que Hambourg, New York, Berlin, et le Sri Lanka. Visuellement puissante et novatrice, l’œuvre de Khanyisile tourne autour de la race, le sexe, la sexualité, l’identité et la classe sociale. Ses performances ont pour but d’attirer le public hors de leur zone de confort, de transgresser les limites de l’intimité et de transformer les corps dans un espace pour la compréhension de l’oppression et de la violence, en reconstruisant radicalement les concepts et, surtout, en défiant les expériences de la vie quotidienne pour une version plus libre et plus authentique de nousmêmes. En Février 2014 Khanyisile a été invitée à la résidence artistique de Barcelone JIWAR afin de présenter sa pièce performative “Être Lhola Amira” et d’accueillir plusieurs événements connexes qui contextualisaient son œuvre d’art et la réalité de son pays natal, l’Afrique du Sud. Voici un extrait de la conversation inspirante que Khanyisile et moi eûmes lors d’un brunch tardif, un après-midi dans le vieux quartier de Barcelone, Gracia.
D
ans ÊTRE LHOLA AMIRA, Khanyisile se transforme et devient LHOLA, un personnage qui existe de manière autonome mais ne peut jamais exister en même temps et dans le même lieu physiquement que Khanyisile.
“Lhola est sexuellement beaucoup plus libre, elle n’a pas de limites entre les sexes, elle coopère avec les êtres humains plutôt que des hommes ou des femmes. La co-existence de Lhola et moi questionne la performance et la performativité. Elle pense aux personnes dont elle est tombée amoureuse ou avecqui elle a été intime. Elle oblige les gens à négocier avec leur intimité et à s’engager; elle joue avec son corps, regarde leurs yeux, dans un espace public, et leur pose des questions très personnelles et intimes comme «avez-vous aimé une fille noire?» ou «en tant que mec vous sortiriez avec un autre mec?” A un centimètre de leurs lèvres, tu peux les sentir respirer, sentir ce qu’ils ont mangé “. Certaines personnes sont plus ouvertes, d’autres sont plus réservées. Certaines personnes ne savent pas très bien comment faire face à Lhola, parfois tu peux voir qu’elle a poussé sa tension sexuelle dans un espace trouble qu’on essaie de négocier. “
“Mon corps bien-aimé, te souviens-tu de ça?”
Les fondements et portées de l’art performatif de Khanyisile sont indéniablement queer. Elle aime à interroger le monde, explorer nos limites et frontières et elle est en quête d’espaces extérieurs et internes où nos identités sont construites, négligées ou transformées. Les corps sont sa source d’inspiration et un canal par lequel sa pensée est projetée, un élément clé pour comprendre ses idées autour du genre, la sexualité, le pouvoir et le viol.
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“Pour le moment, je pense que la performance est le meilleur canal pour m’exprimer autour des questions de genre. La performance interrompt le temps et l’espace. Même si elle est très éphémère, il y a ce sentiment d’être ici et maintenant. Je pense à mes performances comme des interventions. Cela me fait réfléchir à travers les mouvements que je fais, plutôt que «J’ai pensé à faire ceci et donc c’est ce que je vais faire. Je passe beaucoup de temps à penser et à méditer autour de la matière du sujet. Je regarde les images, je parle aux gens, j’essaie de faire comprendre à mon corps 12 | Numéro 11, Décembre 2015
Ce dont je me suis rendu compte avec les performances c’est que la plupart du temps vous n’êtes peut-être plus la victime de l’acte, mais vous êtes la victime de la mémoire. le contexte dans lequel je vis plutôt que d’analyser à partir d’un niveau intellectuel, parce que je pense que le corps se souvient plus de nos intelligences et qu’il est en mesure de digérer plus. Donc, il y a des choses que je ne peux pas retenir sur le plan intellectuel,
mais mon corps se souvient qu’il doit de se déplacer d’une manière particulière. Mes performances sont tellement dépendantes de l’auditoire et de leur participation, la formulation actuelle de la performance se
passe en raison de l’engagement. Et dans la vie, c’est comme ça que la vie fonctionne. Vous avez vos propres concepts qui agissent sur la façon dont vous allez marcher d’un point A à B, mais tout peut arriver entre ces points - toutes sortes de rencontres. C’est ce qu’il y a de plus authentique. Donc, entre A et B, vous essayez de savoir si votre apparence physique - ce qui signifie tout, votre race, sexe, vos vêtements ou votre sexualité - va interférer dans cet espace particulier et si cet espace va vous expulser ou vous accepter . Ce dont je me suis rendu compte avec les performances c’est que la plupart du temps vous n’êtes peut-être plus la victime de l’acte, mais vous êtes la victime de la mémoire. Cette expérience pourrait être le fait d’être bisexuelLE, ou les blessures d’être lesbienne ... Vous vous souvenez de cette mémoire, qui est la vôtre et votre corps intériorise, alors donc vous arrêtez de performer d’une façon particulière parce que vous essayez de créer un regard protecteur. Je tente de renverser cette énergie et cette réalité pour se battre en retour. Les performances m’ont tant appris sur ce que nous essayons de déconstruire et comprendre.”
“Hé, êtesvous venuEs ici chercher votre mandingue?”
“Je faisais une intervention performative dans un bar en Afrique du Sud, dans une région Numéro 11, Décembre 2015 | 13
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qui est connue comme endroit où les EuropéenNEs viennent en Afrique pour des relations interraciales. J’étais dans les toilettes et à travers un hautparleur, je lisais le livre de Earl Lovelace « Le Dragon ne peux pas danser ». Il y a ce personnage, Philo, un musicien noir qui a fait une chanson sur sa bite, et il y a cette femme, journaliste blanche, qui réclame la seule chose qui appartient encore aux hommes noirs. S’il y a quelque chose que les hommes noirs possèdent encore c’est leur bite. Donc, les hommes noirs sont seulement réduits à leur bite? Peu importe comment ils sont intellectuellement ; au bout du compte, ils sont juste là pour baiser. 14 | Numéro 11, Décembre 2015
Alors que je lisais le livre dans les toilettes je suis allée demander aux femmes blancs présentes: « Hé, vous êtes ici pour chercher votre mandingue ‘Certaines d’entre elles ont reconnu que oui ; certaines ont refusé de répondre de peur d’admettre leurs projections sur les corps masculins noirs . Surprise, surprise! Vous voyagez à travers un continent à rechercher une expérience sexuelle particulière, qui est très exoticisée et romanticisée. Et donc je vais avoir cette expérience et tomber amoureuse de cette personne, une notion romantique hypersexualisé du corps de quelqu’un. Dans mon imagination, il peut être intéressant d’être un
objet de désir, mais pas un objet de l’hypersexualisation.”
Fruit étrange
STRANGE FRUIT est une installation que Khanyisile a construit en 2014 au CAPE TOWN’S WORKSHOP THUPELO où elle a amené des hommes à user de leurs lèvres - qui avait été peintes en rouge - pour interagir avec des cordes en laine rouge suspendues dans les airs. “Je travaille beaucoup avec de la laine, car dans l’histoire, des femmes et des enfants noirs ont été lynchéEs tout en étant attachéEs à un arbre avec des cordes de laine. J’avais cette idée d’un fruit étrange,
Le rouge à lèvres posait des questions sur l’émasculation les hommes noirs dans l’histoire de l’oppression et ce que cela signifie pour les corps féminins noirs.
étant donné que les noirs sont un fruit étrange dans le monde. Quant à la couleur, pour la plupart d’entre nous, le rouge représente le danger et les règles. Les lèvres sont votre premier site sexuel - elles peuvent devenir une sorte de blasphème, un lieu de haine, de désir sexuel ...
continu à un niveau générationnel. Cette violence est si nuancée que vous pourriez effectivement la manquer si vous n’y prêtez pas assez d’attention. Donc, un acte aussi simple que de mettre du rouge à lèvres peut être lu comme un acte de souvenir.
D’une part, nous saignons mensuellement comme un cycle de vie; d’autre part, nous saignons abondamment et de manière inattendue du fait de la faiblesse que les noirEs ont éprouvée sous l’esclavage, le colonialisme, l’apartheid ... La violence recyclée que telle oppression impose à travers la race du fait d’être des corps colonisés est un lynchage
Le rouge à lèvres posait des questions sur l’émasculation les hommes noirs dans l’histoire de l’oppression et ce que cela signifie pour les corps féminins noirs. Je voulais voir comment ils s’ouvriraient, ressentiraient la laine ... Allaient-ils lécher? Allaient-ils être intimes? Allaientils le considérer comme un vagin? Ou peut-être comme un truc Numéro 11, Décembre 2015 | 15
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envahissant? Je voulais voir si l’idée d’être un fruit étrange faisait écho en eux. Certains d’entre eux ont dit que je prenais leur virilité en appliquant quelque chose de si culturellement féminin que le rouge à lèvres. “
Réflexions sur la lutte queer en Afrique du Sud
“Je peux comprendre l’importance d’avoir un défilé de la fierté gaie, mais aussi, d’un autre côté nous perpétuons la façon dont les gens regardent un groupe de personnes en particulier, un système de différence dans l’orientation sexuelle. Je comprends qu’il est important de mobiliser, cela doit être fait d’une manière qui change quelque chose. La Gay pride c’est donner une représentation visuelle à quelqu’un qui ne comprend pas la question. En Afrique du Sud, nous avons surtout un problème de violence contre les lesbiennes noires; certaines d’entre elles sont violées et sauvagement assassinées. La Gay pride se passe une fois par an dans le centreville, tandis que la plupart des viols « correctifs » se produisent dans la campagne. Une fois, j’ai enregistré trois de mes amis qui aiment d’autres hommes et je posais cette question:« Eston un homme quand on aime un autre homme? ‘’ Devenez-vous moins un homme ? Etre gay n’enlève la virilité de personne. Il est dit que les hommes gays ont un mode de pensée plus libéral, mais en réalité ils sont tout autant sous les effets du patriarcat. L’homme gay utilise son identité dans son fonctionnement au monde de la même manière qu’un hétéro, d’une manière patriarcale – il fournit financièrement, il crée un foyer stable ... Une idée très conservatrice de ce que signifie être un homme. C’est fascinant! Les gens vont décider, si éventuellement une lesbienne est plus ou moins une femme, ou si elle est ce qu’ils appellent plus masculine, une butch, alors elle devrait jouer le rôle de ce que signifie la masculinité de manière hégémonique. Je pense que c’est bizarre, parce que tout l’enjeu est de se libérer et d’atteindre la libération sexuelle, alors que nous nous conformons à ce système de règles que nous essayons de supprimer, qui sont liées à la compréhension patriarcale hégémonique du monde.” Numéro 11, Décembre 2015 | 17
Récit
Des lieux inattendus De Brogan Luke Geurts. Traduit de l’anglais par Alice Vrinat
J
e suis entré dans le bureau un après-midi après le déjeuner, comme n’importe quel autre jour, un peu fatigué et stressé en pensant à ce que je devais finir pendant les prochaines heures. Alors que j’entrai dans la plus petite pièce que la plupart d’entre nous partagions, j’ai entendu une de mes collègues raconter aux autres ce qui était clairement une histoire intéressante.
Au fil de la conversation, elle se querella un peu avec nos collègues (hommes et femmes), y compris avec la personne qui était également présente à la formation. Mais elle continua à exprimer sa position en quelque sorte positive. Bien qu’il fût prévu que la discussion se poursuive sur les questions de religion et de « moralité » mais ça s’est concentrée uniquement sur les droits humains.
Elle avait participé récemment à une autre formation sur la gestion de données. Curieusement, pendant la formation, la discussion en est venue aux droits des LGBT, reconnaissant qu’ils étaient souvent oubliés, ce qui sembla être une révélation pour elle. Au cours de la discussion, elle partagea son sentiment personnel sur la question, qu’elle nous répéta en ces termes: “Personnellement, cela n’est pas compatible avec ma religion, mais ce sont des êtres humains et ils ont des droits en tant que tels et nous devrions donc les protéger.” Ils devraient pouvoir vivre librement, sainement et dignement.
C’était une femme que je savais militante engagée et une de celles avec qui vous ne voudriez pas vous disputer; mais aussi une des seules musulmanes au bureau qui portait le niqab quand elle sortait. Les gens ont toujours essayé de me convaincre que les musulmanes, mais plus encore, les musulmanes portant le niqab, ne supportaient pas les queers et ne pouvaient absolument pas être féministes. J’ai toujours essayé de résister à ces préjugés et de désapprendre ces idées, pourtant je n’en étais pas moins un peu surpris de constater sa conviction.
Des l
A ce moment-là, cela faisait quatre mois que j’avais commencé un nouveau stage dans une organisation kenyane travaillant avec les consommateurs de drogues et les prisonniers. Je n’avais fait mon coming out qu’auprès d’amis vivant dans des pays lointains.
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S
a conviction devint un des actes d’amour les plus profonds et les plus exaltants pour moi personnellement; un acte d’amour qui fait encore intensément écho chez moi aujourd’hui. J’avais trouvé de l’amour là où, honnêtement, je ne m’y serai jamais attendu. Elle rompait ouvertement
avec les strictes normes patriarcales et sociétales pour témoigner de l’amour même si cela « ne faisait pas partie de sa religion », ce qui à mon sens est révolutionnaire. D’autres collègues partageaient le même point de vue, des musulmans, des chrétiens, des hommes et des femmes, mais aucun ne l’a clamé de la même manière.
C
e n’était pas la première fois que j’avais entendu quelqu’un parler des LGBT, en particulier des questions homos et trans au travail. Elles ont même été évoquées lors de mon premier jour au bureau, mais toujours en lien avec des données sur les hommes qui ont des rapports avec les hommes, les populations les plus exposées, le sida, la prostitution, ou la sensibilisation auprès d’un groupe cible ; voilà, rien de plus. Pour la première fois j’entendais mes collègues discuter des questions LGBT hors d’un contexte stigmatisant, et bien au contraire, dans un contexte purement humanitaire. La discussion n’était pas encouragée par un article sensationnel repris dans les medias ou par des exigences de bailleurs de fond néo-colonialistes, elle était venue de leur propre volonté.
rester réceptif et ne pas représenter leurs expériences mais laisser les concernés représenter leurs propres expériences est révolutionnaire. Ce n’est que des mois plus tard que j’ai pleinement réalisé l’impact que cela eût, deux ans plus tard cette expérience marque toujours mon esprit. En réalité elle deviendra un des moments clés de la redéfinition de ma propre identité sur laquelle je m’interrogeais à ce moment-là, ainsi que sur ma compréhension toujours changeante de l’amour, du militantisme, de la solidarité et des (micro)révolutions. Trouver cet amour révolutionnaire dans un lieu où je n’avais pas prévu de le trouver m’a donné la confiance pour être à l’aise avec qui j’étais en tant que queer. Nous les queers somme qualifiés d’intrinsèquement faibles, de malades, de bons à rien, on nous dit que nos vies n’ont pas d’importance, que nous ne sommes pas essentiels, or ceci m’a appris à combattre, résister et désapprendre ces idées. Nous les queers possédons une quantité infinie d’histoires où nous espérions trouver de l’amour et avons fait face au rejet, et bien que l’opinion exprimée n’était pas la plus idéale, positive et ouverte, elle sembla malgré tout révolutionnaire. Cela m’a rappelé pour quoi je me bats, mes privilèges, l’importance de l’amour, et à être parfois attentif dans des lieux « imprévisibles » ou étranges.
lieux D Dans les mois qui ont suivi, cette même conversation a engendré plus de dialogues et de reconnaissance. Même si certains collègues l’ont fait de manière plus rhétorique qu’autre chose, ils se sont demandés pourquoi nous ne travaillions pas davantage dans le soutien aux populations LGBT, ou comment nous pourrions être plus ouverts. En tant que membres d’un groupe œuvrant souvent pour la diminution des préjudices contre ceux qui sont criminalisés, je crois que certains ont réalisé les conséquences profondes que la violence d’Etat et la stigmatisation ont sur ceux d’entre nous qui sont poussés en marge de la société d’une manière ou d’une autre. Ils savaient que l’amour inconditionnel est le meilleur moyen de montrer son soutien. Ils savaient que se lever pour ces individus et rejeter les notions sociétales est révolutionnaire ;
epuis cet après-midi, elle devint une de mes meilleurs amis. Je me sentais parfois plus à l’aise en compagnie de cet amour « imprévisible » que celle de mes collègues « ouverts » de pays européens. J’ai encore plus apprécié d’aller travailler. Je me souviens d’avoir considéré la possibilité d’un coming out au travail en pensant que cela ne les dérangerait pas, qu’il y avait un espace possible pour mon identité, mais en fait je ne me suis jamais senti complètement à l’aise ou assez en confiance pour fièrement exprimer mon identité, comme j’aurais dû.
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L’amour a dit
Un poème de Rosabelle Illes. Traduit de l’anglais par Abdou Bakah Nana Aichatou
Poésie
Oui! L’Amour a dit je suis fatiguée L’Amour a dit je ne veux plus être définie selon vos lignes médiocres Je ne veux pas être comme il faut, justifiée Je veux que tu sois moi, afin que tu puisses être toi, afin que nous puissions être extasiéEs, fascinéEs, surprisEs Waouh Si vivant L’Amour a dit je veux que tu sois moi afin que tu puisses être toi
Amor a leumay pensa Amor a sinti Amor a comparti Amor a entrega su mes na un otro Amor a sacrifica su identidad pa abo conoce bo mes, amor den tres, amor robes, amor despues, para, amor dimes Epouse-moi, a dit l’amour Sois moi afin qu’il ne te quitte jamais, c’est une part de moi attends c’est moi Je me souviens du changement de ma personne toute entière lorsque l’amour se mit à genoux, souriant avec une larme et me demanda « veux-tu devenir moi? » La bague était lourde, il a fallu dix doigts pour la porter Elle contenait ma responsabilité et avec chaque infection vint une leçon et le poids diminua Mes mains devinrent plus légères et mon âme s’éleva Infectant l’humanité et promettant de garder l’amour hors de la boîte rigide jusqu’à ce que la mort nous sépare.
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Entretien
«Que le lion se réveille ou pas» Une conversation entre Régis Samba-Kounzi et Cynthia Ibo. Photos de Régis Samba-Kounzi
Régis Samba-Kounzi est un activiste LGBTI au long cours et un photographe de l’âme. Actif, discret, et émouvant, il travaille avec un talent rare les questions liées à l’identité : sexualités, genre, classe, race, parentalité. Il vit entre Paris et Kinshasa et nous présente ici Lolendo, son projet en cours sur les réalités des personnes LGBTI en République Démocratique du Congo (RDC). 22 | Numéro 11, Décembre 2015
Claudia, quartier de Kimbanseke, Kinshasa/RDC, 2015 “Certaines personnes disent que l’homosexualité n’existait pas en Afrique avant la colonisation, d’autres disent que ça existait et les deux camps ont leurs argumentations. D’autres disent que l’homosexualité n’existe simplement pas en RDC mais lorsque j’observe autour de moi je vois beaucoup d’homosexuels congolais de toutes les générations. Moi, je sais que cela ne fait aucun doute que ça ne vient pas de l’étranger.”
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Cynthia Ibo : Quand et comment t’es venue l’envie de faire la série Lolendo en RDC?
R
égis Samba-Kounzi : C’est un projet qui date de longtemps. Il est né d’une question que je me suis posée souvent: pourquoi alors que dans d’autres pays, des travaux photographiques documentaient la vie des minorités sexuelles et de genre, c’était pas le cas en RDC, notamment, au vu de l’accentuation du climat homophobe et transphobe depuis une dizaine d’années dans le pays? C’est pourtant un sujet qui parle de notre époque... Il s’est imposé à moi régulièrement et je me suis lancé le défi. J’ai fini par me dire qu’il fallait que je le fasse moi même, qu’il fallait pas attendre que les choses soient faites par les autres et qu’après tout qui mieux que les premiers
Ce travail est donc pour moi un moyen de traiter de la question de l’identité homosexuelle et transgenre, du rejet et de l’exclusion mais aussi de la fierté des gens, entre la cacophonie du discours homophobe sous couvert d’anti-impérialisme et les propos racistes homonationalistes
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concernés pouvait parler de nos réalités et de nos problématiques. Par ailleurs, j’avais envie de mettre la lumière là où personne ne voulait regarder et faire mentir ceux qui disent que l’homosexualité n’a jamais existé sur le continent africain, voire que ce sont les occidentaux qui l’auraient importée. Nous connaissons mal notre histoire tout simplement parce qu’elle n’est pas enseignée, pas transmise. Il y a eu un véritable lavage de cerveau qui fait croire aujourd’hui que les populations noires homos et trans sont considérées comme étant de l’extérieur de l’Afrique. Ce travail est donc pour moi un moyen de traiter de la question de l’identité homosexuelle et transgenre, du rejet et de l’exclusion mais aussi de la fierté des gens, entre la cacophonie du discours homophobe sous couvert d’anti-impérialisme et les propos racistes homonationalistes, prompts a stigmatiser tout un continent, il y a la réalité concrète d’êtres humains qui nécessitait d’être racontée. Lolendo se situe entre politique et art, avec pour idée la nécessité de penser, questionner et l’urgence d’agir. CI : Comment se sont faites et se font encore les connexions avec les personnes que tu photographies? Tu parlerais de milieu ou tu dirais plutôt qu’il y a plein de personnes très différentes dans divers espaces?
R
SK: Je suis un activiste de la lutte contre le sida et des droits des LGBTI depuis de nombreuses années que ce soit en dehors ou dans le milieu associatif. C’est par ce biais que je me suis connecté avec le réseau associatif LGBTI de RDC. Des associations telles que Gay Malebo, Progrès Santé Sans Prix (PSSP) et Si Jeunesse Savait etc. m’ont mis en relation avec leurs membres à qui j’ai exposé l’objectif du projet, et qui ont accepté
Belinda, quartier de Bandalungwa, Kinshasa/RDC, 2015 : “Dire que les lesbiennes ne se contaminent pas entre elles semble nécessaire et suffisant. Or cette affirmation est fausse et ferme d’emblée la porte à tout débat sur la prévention et la santé chez les lesbiennes. Lutter contre la discrimination, contre l’assujettissement à une société patriarcale et homophobe, reste nécessaire, parce que ce sont, pour une part, des raisons pour lesquelles les lesbiennes échappent aux discours de prévention.”
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d’y participer. C’est entre autres parce que les luttes pour les droits humains des minorités sexuelles et de genre sont portées par les personnes concernées en premier lieu que naturellement je suis allé vers eux. Des relations humaines fortes se sont nouées entre nous. Cela dit, il y a aussi eu des rencontres avec différentes personnes dans divers espaces comme le monde de la nuit, le milieu artistique, des connexions amicales, les réseaux sociaux.
CI : Comment se pose la question de la visibilité dans un pays où l’actualité qui domine c’est une guerre dont une grande partie des violences sont cachées ou peu médiatisées? Et est ce que tu trouves que les personnes LGBTI sont visibles?
R
SK: La question du manque de visibilité de la
communauté LGBTI est liée à l’homophobie systémique qui gangrène la société. De même que le manque de médiatisation des violences sur les populations civiles à l’Est témoigne du mépris des droits humains de ces femmes, enfants, hommes. En ce qui concerne les LGBTI, ils semblent n’être ni un enjeu moral, ni un enjeu politique. Les minorités sexuelles et de genre ont compris que la visibilité est très importante voire vitale pour que soit prise en compte leur problématique ; sortir d’une position de victime et se reconsidérer, avec à l’esprit que dans l’histoire du monde les dominants n’ont jamais cédé par générosité leurs privilèges. En “sortant de l’ombre”, les homosexuels et transgenres refusent d’être l’objet d’un paternalisme systématique quand il s’agit de s’exprimer et réaffirmer avec force leur refus de la clandestinité et de la précarité, conséquence d’une politique homophobe de plus en plus sophistiquée, qui consiste à laisser un
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vide juridique, en adoptant pas de loi condamnant l’homosexualité, tout en laissant le discours homophobe se développer dans la société, dans le débat public et religieux. La visibilité des homos renoue ainsi avec une longue histoire de luttes pour la liberté et pour l’égalité des droits sociaux et politiques. Car jusqu’à maintenant le discours autorisé et audible n’était que celui de la haine. C’est ainsi que la société congolaise redécouvre dans ses rues depuis peu la réalité de l’homosexualité et de la transidentité. Les dominants ne nous donnerons jamais l’égalité si nous ne nous battons pas pour l’obtenir et cette lutte passe par la visibilité. De façon générale, force est de constater qu’il y a un intérêt croissant à documenter la vie des LGBTI, de décoloniser nos corps et nos esprits en affirmant notre africanité, de favoriser la transmission des expériences de lutte et le besoin de reconstituer la mémoire collective de l’homosexualité et de la transidentité, cela s’exprime avec de plus en plus d’insistance sur le continent africain.
A Kinshasa, il n’est pas du tout rare de reconnaître et croiser des LGBTI visibles et qui ne souhaitent pas se cacher et assument cette visibilité... Il y a deux types de
représentation, celle présentée par les homophobes et celle valorisante de la communauté elle même. Nous avons dans le pays, la chaine de télévision “Molière” qui régulièrement diffuse des reportages stigmatisants, réalisés sur la base de la délation avec la complicité des forces de l’ordre et qui a pour objectif de prendre les gens en flagrant délit d’actes homosexuels. Dans le type des rafles d’homosexuels
égyptiens qui ont connu un pic inquiétant en 2014, une journaliste égyptienne, Mona Iraqi, était à l’origine d’un des événements ; elle a filmé une scène pour son émission télévisée hebdomadaire et s’est félicitée de cette « victoire morale ». Cette pratique et ces propos ont fait scandale internationalement. En RDC, cela se fait chaque semaine dans un silence et un mépris surréaliste. Les politiques ne créent pas les conditions pour éviter ces stigmatisations et violations des droits individuels et privés. Seules les associations s’en émeuvent et tentent de négocier avec ces chaines pour interdire ces diffusions, en vain pour l’heure. Il y a également de plus en plus d’émissions poussées par l’audimat ou des personnes de la communauté viennent faire des interviews même si on sent toujours que les gens sont présentés comme des bêtes de foire. Il n’y a pas d’émission ou l’objectif serait d’éduquer et informer les gens avec un vrai travail d’investigation journalistique. En moyenne, la population cachée des HSH serait de 83% dans l’ensemble du pays ce qui veut dire que les HSH affichés représentent seulement 17%, et là nous ne parlons pas des autres membres de la communauté très invisibilisés que sont les lesbiennes, les bisexuelles, les intersexes et les trans .Encore une fois, que les choses soient claires, il n’y a pas d’injonction au ‘coming out’ ou à la visibilité, et encore moins à du prosélytisme bien sur, mon propos est d’expliquer en quoi, elle est souhaitable, notamment en terme de santé publique que les gens ne soient pas dans la clandestinité. Je ne nie pas que la visibilité puisse précariser d’avantage et faire perdre sa situation économique à certaine catégorie de la population homos ou trans. Si on se place, au niveau de la classe, tout le monde n’a pas les conditions de vie qui permettent de s’afficher même si le danger est présent. En RDC ou ailleurs, le ‘coming out’ et la visibilité ne sont pas le seul moyen d’exister et de vivre
Il y a également de plus en plus d’émissions poussées par l’audimat ou des personnes de la communauté viennent faire des interviews même si on sent toujours que les gens sont présentés comme des bêtes de foire.
parfaitement sa vie. Le discours univoque sur la visibilité est problématique, il n’y a pas de parcours obligatoire et je suis bien placé pour le savoir.
CI : C’est un ‘work in progress’, est-ce que tu es fixé sur les types de portrait que tu veux faire?
R
SK: Je ne fais qu’utiliser les outils forgés par les
mouvements de lutte qui ont nourri l’expression de la parole minoritaire, la parole à la première personne. Il s’agit de retracer au fil du temps les conditions de vie des gens, les luttes et documenter ces activistes des droits des LGBTI qui sont des pionniers en RDC. Raconter une histoire visuelle des minorités sexuelles et de genre du pays, une sorte d’archive de portraits. La complexité de la tâche réside dans le fait que je réalise mon travail dans une démarche intersectionnelle qui fait appelle à des combinaisons selon le genre, la sexualité, la classe, l’environnement urbain ou rurale, la race, les
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portraits doivent donc s’adapter à tous ces contextes. Ils seront tous réalisés selon le même procédé, frontaux, de profil, de dos ou de trois quart afin notamment de protéger l’identité des personnes qui ne souhaitent pas être totalement visibles.
CI : Comment la question du VIH/Sida vient-elle croiser ces enjeux de visibilisation?
R
SK: La stigmatisation des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et Intersexuelles (LGBTI) se traduit par des discriminations dans l’accès aux soins et à la santé alors même que ce pays est l’un des pays les plus touchés par le VIH. Les LGBTI sont très vulnérables au virus du VIH/Sida, en raison entre autre la marginalisation sociale dont ils sont l’objet. Pour dire les choses franchement, il n’y a pas de volonté politique pour permettre un meilleur accès à la prévention et au soin contre le virus du Sida, et favoriser une protection des droits humains pour toutes les catégories de la population, ni pour sensibiliser la société dans ce sens. Dans le contexte actuel, les chiffres épidémiologiques révèlent que la prévalence de ces
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communautés est très importante et inquiétantes. A force d’avoir fait traîner les choses nous sommes dans une épidémie de type concentré, le problème est devenu majeur, il faut faire des interventions ciblées sur les communautés. La visibilité devient un enjeu de santé publique, tans que les LGBTI seront non reconnus, sans protection, sans droit, sans compassion comme devrait l’être tout être humain, un torrent de haine et d’ignorance insupportable, continuera à s’abattre sur eux et les éloigneront des services de soin et de prise en charge médicale. PSSP est la seule structure qui s’occupe de façon spécifique des populations clés (Les homos, les travailleuses du sexe, les usagers de drogue). CI : Y’a t’il des lieux, festifs ou associatifs, dont tu voudrais témoigner aussi à travers ces portraits?
R
SK: Je veux montrer que Kinshasa par exemple est aussi une ville festive pour les LGBTI, ils ne sont pas en reste pour faire la fête ; d’autant plus que les établissements ont compris que c’était une des meilleurs clientèles. En fait, je veux
Véronica & Jeannette , quartier de Limete, Kinshasa/RDC, 2015 : “18 ans toutes les deux, et comme de nombreux LGBTI de Kinshasa, elles préfèrent à présent pratiquer leur foi chez les Raëliens qui sont ouvert à l’homosexualité, afin d’éviter la stigmatisation. Dans le contexte congolais la religion est utilisée pour exprimer sa haine des autres et de la différence que ce soit dans les églises chrétiennes classiques ou dans les très populaires et influentes églises de réveil qui véhiculent un discours homophobe et transphobe omniprésent et d’une violence inouïe, il est donc difficile de mettre son identité de côté. Le besoin d’avoir un espace inclusif LGBTQI sécurisé est devenu vitale pour les personnes qui souhaitent vivre leur foi et leur spiritualité en paix.”Numéro 11, Décembre 2015 | 29
Une boîte de nuit de la capitale, Kinshasa/RDC, 2015 : Il y a de nombreux établissements festifs en RDC, ils sont destinés à un public hétérosexuel mais ouvert et fréquenté par de nombreux homosexuels et transgenres.
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Joseph, Quartier du Bon Marché, Kinshasa/RDC, 2015 : “ Je suis ingénieur informaticien de formation. Mon grand souhait professionnel est de créer mon entreprise et de faire vivre mes rêves d’une Afrique qui se modernise afin aussi de servir de référence de réussite aux jeunes gays. Je fais partie de Jeunialissime, une association de jeunes qui luttent contre les discriminations (focus sur les LGBTI). Nous sommes vos frères, vos sœurs, vos amis, vos maris et femmes, mais nous nous cachons par peur de vous faire mal.”
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Je veux visibiliser les artistes qui par leur prise de position gayfriendly impulsent une image positive des LGBTI au sein de la population générale. pouvoir montrer les tous endroits où les LGBTI se retrouvent que ce soit des lieux de sociabilité, festifs, de loisirs, associatifs, des groupes de parole, club et cercles privés, l’univers éducatif et culturels etc. Je veux visibiliser les artistes qui par leur prise de position gayfriendly impulsent une image positive des LGBTI au sein de la population générale. Par exemple, en ce qui concerne les lieux de foi, face au rejet violent des églises évangéliques et des églises classiques, j’ai rencontré les LGBTI qui ont la foi et souhaitent pouvoir l’exercer tranquillement dans la paix qui ont fini par se tourner vers les Raëliens qui eux les acceptent tels qu’ils sont. C’est important de documenter tout cela.
CI : Pour finir, c’est un travail en cours, donc à l’heure actuelle de quoi as tu besoin pour le poursuivre dans de bonnes conditions et lui donner le plus grand retentissement?
R
SK: Le financement est le nerf de la guerre. En ce moment, je passe plus de temps à faire des demandes qu’à photographier, quelle horreur! Jusqu’à maintenant je finance seul le projet, en 2016 je devrai toucher des subventions
mais qui ne sont pas encore à la hauteur des besoins. Ensuite, il y a le problème des médias qui pour l’instant ne se précipitent pas pour visibiliser ce travail, j’imagine que ça viendra... Il y a enfin la question de la sécurité se pose, sans parler qu’on essaie déjà de me demander de ne pas poursuivre ce travail et contrairement à ce que l’on pourrait penser ça vient aussi du milieu LGBTI, de personnes qui sont privilégiées et sécurisées mais qui égoïstement se désintéressent totalement des droits de minorités. Au Togo, il y a une expression, ou menace voilée qui dit : “il ne faut pas réveiller le lion qui dort”, elle est utilisée pour dissuader les leaders LGBTI et HSH qui veulent avancer la question des droits humains des personnes LGBTI à travers leurs actions de plaidoyer. Le lion qui dort fait référence à l’article 88 du Code Pénal du pays qui criminalise l’homosexualité mais qui est rarement mis en application. Que le lion se réveille ou pas, c’est pas mon problème, quand on défend une cause juste on se fiche bien des états d’âme des uns et des autres, on agit et c’est tout. En tout cas, rien ne m’intimidera : je mènerai ce travail jusqu’au bout.
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Essai
Ne plus jamais mentir… De Nickel
S
i à seize ans je survivais peinement dans ce monde que je ne comprenais pas, et qui me le rendait bien, à quarante ans, ça aura pris tout le temps que ça a pris mais aujourd’hui je vis pleinement celle que je suis. Le vilain petit canard a fini par devenir un joli cygne, ou à défaut au moins un canard qui s’accepte tel qu’il est, et le revendique fasse a cette basse-cour infestée. Le coq devant uniquement chanter, et la poule se soumettre. J’ai dit non, a ces pseudo-rituels instaurés par des hommes qui n’y connaissent que dalle au quotidien d’animaux que nous sommes. Une vie de mensonge, oui c’est à cela que vous nous soumettez, oui une vie de soumission aux règles qui nous semblent faites pour d’autres. Peut-on rester dans un hémicycle et décider de ce qui est amoureusement faisable entre personnes ?
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Cette vie de mensonge je l’ai vécue pleinement et pleinement j’ai menti, à moi-même, à cette fille, que j’aimais et qui m’aimait. A ce garçon qui m’aimait et que ma famille aimait, à cette famille que j’aimais et qui elle aimait une étrangère. Car me connaissaient-ils seulement ? Que penseraient-ils de moi ? Que dira mon père à ma mère ? Ma mère à ma tante et celle si osera t’elle me dire la vérité sur ces mots sortis pour me définir ?
J’ai menti comme tous ceux de mon espèce le font au quotidien avec plus ou moins de succès mais toujours avec ces conséquences. Car la survie nous l’imposant a bon gré mal gré. J’en suis devenu pessimiste, oui, face a cette vie sans perspectives de bonheur, comme un horizon sans soleil, ni lune même d’ailleurs. Mais être pessimiste comme je le fus durant ces deux décennies et demie n’a pas que du mauvais. Car aux yeux du monde vous avez tout pour être heureuse ; la jeunesse, la beauté, la chance à l’école et le succès avec les hommes… Mais qu’avais je à foutre de ces hommes ? Je me le hurlais dans mes rêves obscurs et secrets, je ne rêvais que
d’elles ; belles frêles tendres, douces, suaves et délicates. Je ne désirais qu’elles ! J’avais tout pour être heureuse et parfois je l’étais. Car a toujours à prévoir le pire on sait l’éviter et le voir venir de loin. Mais hélas cette posture nous faisait éviter aussi au passage, le meilleur. Dans mon univers, tout le monde est un prince charmant au destrier blanc propriétaire d’un château en France et de drôles de personnages psychologiques en sont les châtelains ;
L
e névrosé lui le rêve a longueur de journée, côtoyant de très prés le déprimé esseulé qui lui l’a longtemps perdu. A leurs côtés, j’ai rencontré le paranoïaque qui lui s’est érigé des contreforts immenses se protégeant de tout, de tous et même de l’amour, devenant parfois comme son voisin le schizophrène qui vit dans le sien en compagnie de son autre lui, le jour châtelain, la nuit courtisane. Mais les plus nombreux dans cette CASTLE VALLEY ce sont surement ces deux derniers bougres, le mythomane qui vendra le sien aux enchères à l’illusion de toutes les rêveuses et rêveurs qui auront le malheur ou le bonheur de croiser son chemin, et enfin dans cet enchevêtrement d’être et de personnalité je vous présente le pervers qui ne loue son château que pour des festins dépravés, des instants éphémères, pour des fêtes gomorrhéennes.
Mais aujourd’hui à quarante ans je suis libre… de crier ma vérité au monde, d’aimer celle que je veux, de partir libre,
car au delà de nos corps qui survivent et se peine, nos âmes meurent d’avoir pas assez rêvé, osé et crié leur amour. Aujourd’hui, je suis celle-là qui
offre une main, une oreille, un cœur mais plus encore une bouche, pour toutes celles qui comme moi d’il y’a deux décennies et demie à aujourd’hui, se sentent perdues et mal aimées. Je suis militante, l’assume et le revendique.
Je milite pour la liberté d’aimer celle ou celui qu’on veut afin d’être celle ou celui qu’on est réellement pour tous ceux et celle qui sont partis sans avoir vraiment été. Pour que plus jamais les âmes et les corps ne paraissent. Alors soldats aux âmes car notre liberté d’aimer est notre propre révolution.
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Entretien
Je suis Bordelle en style Interview and Photos by Mariam Armisen. Translated into English by Gerard Casas.
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Q : COMMENT TU DÉCRIRAS TON STYLE ? R: Je peux dire que je suis bordelle
en style parce que je suis polyvalente. Il y a des moments j’ai envie d’être extravagante, il y a des moments j’envie d’être soft, classe.
Q : ET C’EST EN FONCTION DE QUOI ? TON HUMEUR ? DU LIEU ? R: Souvent c’est en fonction de mon
humeur. Il y a des moments, quand je me sens tellement bien, quand je suis hyper hyper active, je veux être habillée en mode Bad girls ; tout ce qui me passe par la tête, des trucs garçonnés, des trucs féminins, des jeans taille basse… Il y a des moments j’ai envie de paraitre très coquine.
Q : C’EST QUOI TON BUDGET PAR MOIS ? R: Auparavant ce n’était pas par
mois mais maintenant j’ai essayé de modérer. Auparavant, je pouvais être assise là, si j’ai de l’argent sur moi et je dois aller immédiatement quelque part, je ne rentre pas à la maison je passe directement à la boutique. Entre temps j’ai vu que, souvent je payais des trucs en double sans le savoir. J’ai le contact des boutiques – quand il y a un nouvel arrivage seulement on m’appelle. Souvent la personne essaie de voir en fonction de mon goût et fait une réservation. Si la réservation ne me convient pas je ne prends pas ; si ça me convient je garde.
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Q : C’EST QUI TON IDOLE EN QUESTION DE MODE ? R: Tellement je suis polyvalente j’ai
beaucoup d’idoles. Souvent j’ai envie d’imiter Nicky en tendance mode, et par moment je préfère bien imiter Beyoncé. Pas imiter mais m’inspirer de sa manière de s’habiller. En Afrique pas tellement. C’est Zeynab (chanteuse béninoise) je vois qu’elle s’habille mieux. Elle se maintient en tant que femme et ça, ça me plait bien.
Q: QU’EST-CE QUE TU PORTES LE PLUS DANS TON PLACARD ? R: Plus de jeans. Surtout des jeans
slim, des jeans bad. J’ai des jupes mais je n’aime pas tellement. Je préfère les robes, les jeans, les culottes.
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Q : SI ON DOIT T’ÉVACUER SUR UNE ÎLE ISOLÉE, QUEL EST L’OBJET CLEF PRENDRASTU DANS LE PLACARD ? R: Une combinaison et une
chaussure. Les combinaisons en jeans (un bustier et un pantalon) et une chaussure.
Q : QUEL EST LE PLUS GRAND FAUX PAS QU’ON PEUT FAIRE EN MODE ? R: Là je deviens fashion police ; un
mixage de plusieurs couleurs. Il y a de ces couleurs qui ne doivent pas être mélangées, des couleurs qui ne se portent pas ensemble. Souvent quand je vois ça, ça fait bizarre.
Q : QUEL MODÈLE TU NE PORTERAS JAMAIS? R: Des silhouettes un peu bizarres.
Je porte le pagne mais, cela dépend de comment il est cossu. Je couds le pagne comme je veux. Genre je peux prendre un modèle en prêt à porter, je le fais faire en pagne. Mais il y a de ces modèles typiques dames que je crois je ne vais pas porter.
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Entretien
For Sizakele Conversation autour d’un livre et l’auteure, Yvonne Fly Onakeme Etaghene. Interview et traduction réalisés par Cynthia Ibo Photos de An Xia et Suze Lusive
Vivant aux Etats-Unis, la merveilleuse Yvonne Fly Onakeme Etaghene est une gouine ijaw et urhobo nigériane, une artiste et activiste performeuse trop multidisciplinaire pour qu’on mentionne tout son travail : poésie, danse, théâtre, vidéo… C’est un grand plaisir pour nous de l’accueillir ce numéro de Q-zine pour la sortie de son premier roman For Sizakele dont on vous conseille grandement la lecture. Le livre « aborde des questions comme l’identité transcontinentale, la violence conjugale, le genre queer et la façon dont nous aimons comme révélateur de ce que nous sommes ». Cela t’a pris de nombreuses années pour écrire For Sizakele, dans quelle mesure l’œuvre finale ressemble-telle à la vision initiale? Les personnages ont évolué et grandi à bien des égards au cours des années. L’essence des personnages est le même hier et aujourd’hui, mais la profondeur et la complexité entre eux, ainsi que l’histoire, se sont approfondies au cours des années, et c’est proportionnel à mon développement en tant que
scénariste et ma compréhension des personnages. Pour moi, écrire For Sizakele c’était comme connaitre une personne ou un endroit – t’as une idée de qui ils sont ou ce qu’ils sont au début et au cours du temps, tu en apprends de plus en plus sur eux, plus que ce que tu aurais jamais pu imaginer connaître au cours de la première rencontre. Les détails et les nuances de l’histoire de chaque personnage se sont développés et révélés au fil des ans. C’est un véritable honneur que ces personnages m’aient choisie pour être la seule à raconter leurs histoires.
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Est-ce que tu as eu à faire face à une sorte de deuil une fois que tu as eu terminé le roman? Oui!! Je ne savais en quelque sorte pas quoi faire de moi-même. Je me sentais un peu triste d’avoir fini d’écrire. C’était surréaliste que ce livre que j’avais travaillé pendant plus de 14 ans de ma vie était maintenant disponible à la lecture dans le monde entier. Ces personnages, avec qui nous avions développé des relations intenses et de la compréhension, allaient maintenant faire partie de la vie de mes lecteurs. Je me sentais ainsi exposée - voici ce livre dans lequel j’ai mis tant d’amour, voici mon premier né que je partage avec le monde entier. J’adore vraiment l’idée que tant de gens ont et vont apprendre à connaître ces personnages et leurs histoires. Après la publication, je me suis plongée dans la tournée du livre ainsi que dans d’autres projets d’écriture et ça qui a contribué à me sortir de ma tristesse et ça m’a aussi rappelé l’importance de fêter la sortie de mon livre.
Comment toutes tes autres activités-, la poésie, la danse, le spectacle ont nourri l’écriture de ton roman? Et ce que ces autres activités t’ont parfois distraite de l’écriture du roman? Rien n’a été une distraction. Tout ce que j’ai vécu, traversé, et tout l’art que j’ai fait cela faisait partie de l’écriture de mon livre – tout a informé et enrichi mon écriture. Je m’exprime par tant de formes d’art, chaque année je ne veux mettre l’accent que sur
certains projets, donc je termine le travail su lequel je suis concentrée, plutôt que de se concentrer sur tout et obtenir un peu de tout faire.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur For Sizakele? Fondamentalement Taylor, Lee et Sy essaient de comprendre comment être bon avec eux-mêmes et les unEs avec les autre. Et beaucoup de leurs enseignements viennent par amour - comme ils aiment, comment ils aiment être aiméEs et ce que l’amour signifie pour eux. For Sizakele traite également de l’identité à plusieurs niveaux (sexuelle, de genre et nationale) et de nombreuses façons différentes.
Peux-tu citer quelques artistes connus ou inconnus qui ont influencé ton écriture du roman? Ma mère bien-aimée. Moi même. Ntozake Shange. Chrystos. Jewelle Gomez. Ola Osaze. Octavia Butler. Audre Lorde. Zanele Muholi. Chinua Achebe. Jamaica Kincaid..
Je suis vraiment touché par ton poème “Did you feel my shit?” parce qu’il aborde comment l’art pourrait et devrait avoir un impact, déplacer et changer les vies quand il est profondément reçu. Tu veux bien développer cette idée? Je n’écris pas juste pour écrire. Ce n’est pas un exercice pour l’exercice. Mon art c’est l’expression de mon, c’est faire face à des questions qui comptent
pour moi, c’est de rendre l’espace pour les histoires, les idées, les expériences de ceux qui – moi-même y comprissont rarement, voire jamais au centre, à savoir les Queer Africains. L’impact que je vise n’est pas inclus dans des déclarations du genre “c’était un joli poème.” Ça ne me touche absolument pas. Je sais que c’est beau. Mais audelà de ça – c’est quoi l’impact de mon travail en vous? Est-ce qu’il vous fait vous déplacer? A-t-il un impact sur votre âme? Votre vie? Qu’est-ce que l’art pour vous? Comment vos livres, vos albums, vos expositions d’art préférées ont changé votre vie? Si vous n’avez jamais connu une œuvre d’art qui ait transformé votre vie c’est vous ne cherchez pas assez fort. L’art est cet espace magique où nous pouvons montrer le monde tel qu’il est et réfléchir à la manière dont nous voulons qu’il soit. Je veux que mon art soit quelque chose que vous teniez contre vous, qui vous inspire à être le meilleur de vous-même, qui vous rappelle la magie de ce monde, je vous montre la douleur, et vous inspire à vivre une vie meilleure, plus extraordinaire. A quoi d’autre sert l’art si ce n’est pas à ça?
Que lis-tu ces jours-ci? Je finis mon master à l’École Gallatin des études individualisées donc la plupart de ma lecture ces jours-ci sont liées au diplôme. L’intitulé c’est: cracher du feu: La performance poétique comme éducation et commentaire social. Actuellement, je lis beaucoup de choses, y compris Décoloniser l’esprit: la politique linguistique dans la littérature africaine par l’incroyable Ngugi wa
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Thiong’o. Je lis aussi Grace: Notes on Survival par Chiedza Pasipanodya.
Tu as commencé For Sizakele parce que tu voulais lire ce livre, que tu ne trouvais pas. As-tu depuis trouvé quelques livres qui fassent un peu écho à ce que tu as écrit dans For Sizakele? Non. Je suis très enthousiaste au sujet de livres comme le Queer African Reader, édité par Sokari Ekine et Hakima Abbas, ainsi que Queer Africa: New and Collected Fiction, qui a été compilé et édité par Karen Martin et Makhosazana Xaba. Je suis impatiente de plonger dans Fairytales for lost children de Diriye Osman. Le livre de Chiedza (Grace: Notes sur la survie) est aussi une forte inspiration pour moi. Je n’ai pas trouvé un livre qui rassemble les intersections des questions comme le fait le mien. Et ça fait partie des raisons pour lesquelles For Sizakele est un livre d’une telle importance et d’une telle nécessité. Et c’est aussi pourquoi je me réjouis de l’écriture et de la publication de plus en plus (et plus!) de livres qui abordent les questions qui importent le plus pour moi. Le monde a besoin de livre complexes, inspirants, stimulants qui mettent l’accent sur la beauté, la douleur et la magie des vies Queer africaines, leur amour, leurs politiques, leurs expériences et leurs regards.
A propos du Livre, For Sizakele Taylor, étudiante nigériane queer, entretient une relation passionnée
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avec Lee, noire américaine pianiste et joueuse de basket. Lorsque Taylor développe des sentiments romantiques pour Sy, une photographe camerounaise avec qui les points communs créent une familiarité immédiate, Taylor
est confrontée à la jalousie de Lee. Alors que Taylor rencontre des défis concernant son identité femme et son identité africaine, elle trouve des pistes, grâce aux liens particuliers qui l’unissent à ses amies, pour se définir en ses propres termes.
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Revue
J’y étais !
Revued du festival Massimadi 2015, Montréal Par Lola Kamarizah Par Lola Kamarizah, photos de Kevin Calixte, The Bao Huy Nguyen et Arc-en-ciel d’Afrique
« Il faut manger le bord »
J
’en parlerai toujours avec sourire et sérieux. Oui toujours. Parce que ce qui s’est passé à Montréal du 17 au 28 février était magique ! Je dirais même magistral ! Les organisateurs du festival international des films LGBTQ afro caribéens m’ont tenu éveillée pendant 10 captivantes nuits. Je suis passée des rires aux larmes, de la joie à la tristesse, de l’exaltation au découragement, et j’en suis ressortie avec de la force. Je vous raconte : j’ai pleuré face à l’incompréhension de la mère de junior 9 ans, un petit garçon noir vivant avec sa mère et son petit frère dans une favela au Venezuela et qui rêve d’avoir les cheveux défrisés pour sa photo d’école. Elle l’a obligé à la regarder offrir son corps à un patron peu scrupuleux pour qu’il voie, comme a dit le médecin, ce que c’est une relation entre un homme et une femme ». J’ai aussi pleuré après Le retour, un court métrage qui raconte la souffrance d’un adolescent découvrant au hasard d’une rue sombre par une nuit de pluie, que son grand frère qu’il vénère est certainement « un pédé ». Si sa déception est si profonde, combien peut-être celle d’un adolescent qui découvre cette facette de son identité ? A côté de ces deux coups de cœur, je ne peux oublier la projection de Woubi chéri au centre communautaire Gais et Lesbiennes
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de Montréal. Ce documentaire sur la vie des femmes trans à Abidjan en 1998 (bien avant que les actes homophobes soient à la mode en Afrique) a été suivie d’une discussion hyper enrichissante avec deux femmes trans aux trajectoires diasporiques singulières, Solange originaire du Rwanda, et Suzanne originaire de l’île Maurice. Plus qu’une simple expérience, le film « stories of our lives » de Jim Chuchu est une magnifique prouesse artistique et archivistique réalisée par des jeunes LGBT kenyans. J’ai admiré, fascinée, la beauté de la nature animée dans un montage noir et blanc. Le choix des films d’ouverture aussi était excellent. « L’autre femme » de Marie Ka donne envie de voir plus. Si tu lis ceci Marie, s’il te plait, continue l’histoire, fais nous revivre les couleurs, les sons et les senteurs de ce délicieux érotisme féminin et générationnel que partagent ces deux coépouses sénégalaises. La foule présente pour la soirée d’ouverture a chaudement salué le film « Black bird » de Patrick-Ian Polk présent. Un fresh moment comparé aux températures à l’extérieur. Massimadi 2015, ça aussi été des documentaires enrichissants comme « History doesn’t have to repeat itself » de Stéphane Gérard, « Global gay » de Rémi Lainé, ou troublants comme « Out in the night », à propos de quatre femmes lesbiennes noires injustement emprisonnées pour
agression organisée alors qu’elles tentaient de se défendre contre des attaques violentes et homophobes d’un inconnu. « Se souvenir, rêver, se projeter », c’était le thème central du festival. A côté des projections, il y a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup d’échanges. On a parlé de la visibilité des LGBT noirs dans le cinéma avec pas moins de sept panélistes à la fois réalisateurs, sociologues, acteurs, photographes, agents de l’Etat. Il en ressort qu’il ne faut pas hésiter à prendre sa caméra et à donner forme aux idées qui nous traversent. La communauté noire n’est pas homogène, la communauté LGBT non plus. Mais qui peut faire ressortir la complexité de notre univers en dehors de nous ?
A
vec Maitre Michel Togue avocat au barreau du Cameroun et président d’honneur du festival, on s’est indigné des injustices dont sont victimes les LGBT camerounais. Comment agir ? Par l’éducation. Cela commence dans nos familles qui sont étroitement connectées avec celles d’ailleurs. La projection de « Tongues untied » de Marlon Riggs, suivie d’une discussion avec l’artiste américain Doug Locke et du militant canadien Peter Flegel, ont aussi marqué les esprits et rappellent l’importance, on ne le dira jamais assez d’être soi-même et de ne pas baisser la tête : Homme noir aime homme noir, femme noire aime femme noire. Ai-je mentionné l’immense soirée de clôture ? A la « Afro queer mafia party », j’en connais qui se sont tordus la cheville de bonheur. Je n’ai cité que des moments qui m’ont marqué. Toute la programmation de massimadi 2015 est encore disponible ici : http://www.massimadi.ca/ calendrier-des-evenements/. Lors d’une discussion après
une projection, une intervenante a à peu près dit ceci : « la question homosexuelle/trangenre/transexuelle est comme une grande tarte chaude. Pour arriver à faire accepter sa différence, il faut commencer par manger le bord et ne pas aller très vite au cœur de la tarte, parce qu’inévitablement, on va se brûler ». Avec le festival Massimadi, l’association Arc en ciel d’Afrique (http://www.arcencieldafrique.org/) a mangé une bonne partie de son bord. A Bruxelles aussi, la communauté LGBT noire a attaqué son bord depuis mai 2011, avec le festival Massimadi Bruxelles. Toutes les infos ici : http://www.massimadi-bxl.be/. Vivement qu’il y ait encore de nombreuses initiatives comme ça pour que vive la culture LGBT d’Afrique et de ses diasporas ! Rendez-vous en février à Montréal l’année prochaine. Je serai là !
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Photographie
Les équilibristes Texte de Stéphane Ségara et Photos de Mariam Armisen
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Elles se faufilent dans les rues, en courant les places marchandes pour ĂŠtaler, livrer, vendre leurs produits maraichers.
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Elles, leurs capacités de se mouvoir malgré leurs « poids » entre les vallées de Ouagadougou, je les appelle les « équilibristes ».
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Elles portent à travers leurs « poids », l’avenir de leurs enfants, la survie et l’économie de leur famille, de leur pays.
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Poème
Sestina de ma vie Un poème de Gayle Bell, photo de Mariam Armisen. Traduction en Français par Alice Vrinat
Je serai prête pour la mort Quand les peaux grimaçantes me surprendront Jusque-là je vais vivre chaque gramme de ma vie Comme si le Seigneur m’en avait donné une tonne Maintenant dans la vie - je poursuis la vérité sainte Jusqu’à ce que la page soit clairement tournée Des inondations passées de regrets devant moi effacent Les temps de hâte folle à embrasser la mort Jusqu’à ce que les Anges révèlent la vérité L’amour des femmes m’a étreint M’a sauvé de mes milliers d’addictions impitoyables Retournant maintenant à la précieuse vie Quand les jugements des sociétés de ma vie Sont un labyrinthe je taillade avec un stylo aiguisé et un esprit éclairé Les fanatiques hurlent ma culpabilité avant que ne martèle le dernier coup de la Révélation Moi et les miens nous dirigeons vers le dernier souffle de la mort “Ceci est ma vie tu ne me domines pas” “Ma vie, mon inébranlable vérité” La lumière fera briller la vérité sur les ténèbres Était la triste devise de ma tante Berta
Impatience pleine de vie, ce présent m’a déjoué Elle souriait en réalisant à travers ses yeux embrumés À l’heure de sa mort Ma main elle saisissait en accueillant son ultime battement de cœur Je marchais en urbaine rapidement, mes pas battant le trottoir Consciente que ce chemin mouvementé a été emprunté avant moi - y aimant la vérité J’aimerai les femmes au-delà de la quiétude de la mort de ma chair Des défilés d’arcs-en-ciel et des fringues en kenté entrecroisent ma vie Pas le temps de suivre les directions rigides des étiquettes je marche sereinement Intérieur forgé par le feu d’être moi Jours présents me trouvent Remplie de son baiser dans mon âme elle pèse vraiment Des larmes bienvenues lavent des blessures passées et les effacent Quand je cours, je revendique cette vérité culturelle Bulldagger, dans la vie Maintenant, et bien après l’heure de ma mort Je vivrai dans la vérité Toute ma vie Jusqu’à la mort
Entretien
«La calebasse c’est ma spécialité» Rencontre avec Joe, musicienne, rappeuse et slameuse Burkinabée. Texte de Mariam Armisen
QUEL GENRE DE MUSIQUE TU FAIS ?
J
e m’appelle NIKIEMA N. Georgette pour les mélomanes c’est Joe.
J’ai commencé la musique depuis 1996 avec mon premier groupe qui s’appelait le BAOBAB avec lequel j’étais jusqu’en 2000. Le groupe s’est cassé parce que Francky qui était le rappeur qui m’accompagnait et BAOBAB, avait pris une autre carrière musicale. C’est comme cela que je me suis retrouvée seule depuis 2000. Et en 2004, j’ai décidé de sortir mon album. Après le décès de mon père, je suis entrée en studio et j’ai fait sortir l’album en 2009. Le titre c’était « Pag bass yé », il contient 10 titres. Depuis lors je suis en carrière solo mais des fois j’ai des activités avec des artistes locaux comme internationaux sur tous les plans. Parce que de fois, il y a des danseurs de la danse contemporaine qui font appel à moi pour les accompagner.
Je fais du slam, un peu de rap slam. C’est plus facile pour moi de véhiculer surtout quand ce sont des messages importants et avec des instruments traditionnels. Je joue la guitare pour me faire plaisir mais pas pour passer sur scène. La calebasse c’est ma spécialité parce que j’ai toujours voulu jouer à la calebasse ; c’est un instrument qui s’accompagne tout doucement, c’est inexplicable.
QUEL SON PARTICULIER EST CE QUE LA CALEBASSE JOUE ?
La calebasse quand tu joues, même si tu passes tu seras obligé de faire attention. C’est un instrument qui interpelle, qui ne cherche pas à savoir qui tu es, mais qui dit « écoute moi je joue pour te faire plaisir ».
LE SLAM C’EST DANS QUELLE LANGUE?
Le slam je le fais en mooré, en français, j’ai même des parties en dioula même si je ne parle pas bien le dioula mais c’est avec des conseils des amis qui me guident.
ET GÉNÉRALEMENT TA MUSIQUE PARLE DE QUOI ?
Par exemple le deuxième album, je l’ai fait sortir l’année passée (2014), ça s’appelle « Fils ». Le premier
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titre c’est « fils du désert » qui parle de ce qui se passe à l’intérieur du Sahel à cause de nos richesses qui nous créent des problèmes. Comme nous avons des gouvernements aussi bizarre qui ne pensent qu’à eux, ça fait qu’on est un peu vendus et on utilise les mêmes armes contre nous. Alors quand tu regardes en Afrique là où il y a plus de guerres, où il y a plus de maladies, où il y a plus de problèmes, tu vas voir qu’il y a le pétrole, il y a l’uranium, il y a l’or, il y a le diamant. Tu vas voir qu’il n’y a que dans ces zones là qu’il y a des problèmes. Voilà pourquoi j’ai nommé ça le fils du désert; le premier.
D
ans le deuxième titre de l’album, je fais appel à la clémence, pour les femmes de ménage qui travaillent dans les familles parce qu’il y a des femmes de ménage qui sont maltraitées. Quand on écrit un texte, on prend le temps de faire des recherches réelles. Quand tu écris un texte sans message, il n’y a pas de raison d’être. Donc chaque titre que je pose, il y a toujours quelque chose derrière.
Dans le deuxième album il y a un titre également que nous avons fait, qui touche vraiment un peu partout. Par exemple, la secrétaire à tout faire, les abus sexuels faits aux secrétaires dans les différents bureaux.
TA MUSIQUE EST ÉGALEMENT FÉMINISTE ALORS? ES-TU ACTIVISTE?
(Rire) Oui je crois que ma musique elle est pour tout le monde.
EN TANT QUE RAPPEUSE MUSICIENNE AU BURKINA COMMENT TU VOIS CETTE SCÈNE?
Actuellement on survit. Si tu ne fais pas quelque chose d’autre, tu ne peux pas vivre de ta musique.
DONC TA MUSIQUE EST UNE CRITIQUE SOCIALE?
Oui je n’ai pas peur de dire ce que je vois.
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ET LA PLACE DE LA FEMME DANS CE MILIEU ?
Ne jamais se laisser faire hein! C’est dur. Déjà le mot femme c’est un problème ; en plus rappeuse, slameuse, là c’est le last.
DANS QUEL SENS?
Dans tous les sens parce que quoi qu’une femme fasse, il y aura toujours des gens derrière qui seront là qui vont la frustrer, qui auront toujours leur mot à dire, qui vont toujours provoquer. C’est d’être fort mentalement et ne jamais donner l’occasion à quelqu’un de se foutre de toi dans tout ce que tu fais ; moi c’est ma philosophie.
PARLES-MOI DU DUO
Le duo que j’ai fait avec Sandrine (une autre musicienne Burkinabé), c’est sur l’abus sexuel fait aux femmes secrétaires parce que malheureusement c’est une triste réalité. Il y’a pas mal, pas mal. Et il y a des boss qui profitent de ça, qui couchent avec leur secrétaire comme si elle était venue pour ça ou comme si elle est payée pour ça. Il y en a qui cèdent parce qu’elles n’ont pas le choix, il y en a qui mettent leur vie professionnelle en jeu en rejetant ou en refusant. Il y en a aussi on dirait qu’elles prennent leur pied dedans. Et nous, notre plaidoyer c’est surtout pour ceux qui n’ont vraiment pas besoin de ça. On confond le savoir que la personne a dans sa tête avec ses longues jambes
ou ses belles jambes. Et ça, il faut que ça s’arrête parce que ça crée vraiment des troubles que ce soit moral, ou physique.
ET TU COMPOSES TOI-MÊME TES MUSIQUES ?
Ouais je compose et en plus je fais des recherches pour savoir avec quel style nous allons le poser. Et même que ce soit en slam, en rap ou en manding, j’ai toujours trouvé les instruments qui vont aller avec.
DANS QUELLE LANGUE TU COMPOSES PLUS AISÉMENT ?
En français. Le français est devenu comme le mooré d’ici parce que même dans le plus profond du village, tout le monde essai de parler le français. Si le texte est totalement en français, je fais de telles sortes qu’il y ait deux ou trois trucs en mooré qui relatent tout ce que nous disons en français pour que le paysan ou le villageois puisse comprendre ce que nous faisons.
QUELLE EST LA PERCEPTION DU RAP AU BURKINA DANS TOUS LES SENS DU TERME ? EN PLUS LE RAP FAIT PAR LES FEMMES ?
Actuellement on peut dire, c’est un peu modernisé. Ils font semblant de nous donner notre place mais je me rappelle au début, on te traitait de drogué, de raté, tu entendais du tout. C’était très mal vu. C’est comme à l’époque une femme militaire ou policière ; ce n’est pas la même chose qu’aujourd’hui.
TU PENSES QU’IL Y A UN AVENIR ?
Il y a un avenir et je trouve qu’il y a un peu d’évolution sur cet angle.
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Q-ZINE fait son cinéma
Soyez à l’écoute pour notre prochain appel à contributions !
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Essai
La sublime douleur de la libération Par Valérie Bah, La photo est extraite du film “Jesus et le Géant” d’Akin Otomoso Traduction en français par Abdou Bakah Nana Aichatou
«Frères et Amis, (...) Je veux que la liberté et l’égalité règnent à SaintDomingue. Je travaille pour que cela se réalise. Unissez-vous à nous, frères, et combattez avec nous pour la même cause. “ Votre très humble et très obéissant serviteur, Toussaint Louverture. Général des armées du roi pour le bien public.
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Du sang dans les rues
La cordialité dans la lettre de ce révolutionnaire haïtien me donne des frissons. Elle contredit un fait saillant: le récit de l’Indépendance d’Haïti est chargé de violence. Des descentes nocturnes. Des esclavagistes décapités. Mais l’effusion de sang n’était pas injustifiée ou n’était pas un phénomène isolé. Dans les années 1700, la cruauté de l’esclavage sur l’île de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) a engendré des avortements et des infanticides par des mères qui refusaient de mettre au monde des enfants en enfer. Pourtant, les révoltes d’esclaves tiennent leur brutalité de la Révolution Française qui a aussi
inspiré la Révolution Américaine, et a été reproduite dans d’autres parties du monde par une masse critique de citoyens instruits et assoiffés qui n’avait rien à perdre. Souvent, l’effusion de sang se substitue à la révolution.
Iconographie cathartique violente
Dans le domaine de l’audio-visuel, je me rappelle du personnage féminin dans le film Jésus et le Géant (2008) d’Akin Omotoso qui matraque un agresseur masculin en représailles pour son amie battue. De manière plus gratuite, la rappeuse Sid the Kid dans sa vidéo pour “Fastlane” accélère sur une autoroute en abattant des hommes en compagnie de son amoureuse. Ces deux exemples émergent d’un instinct de protection homoérotique. Ces images sont-elles simplement destinées
à choquer? En tout cas, elles rejoignent une longue lignée de fantasmes de vengeance, élevés, du même niveau que le film Django Unchained de Quentin Tarantino, parce qu’ils ne réécrivent pas l’histoire capricieusement ou n’incitent pas le public à rire.
Affronter ou fuir
Le romancier Marlon James a imaginé Lilith1 dans Le Livre des Femmes de Nuit; une esclave de maison, aux yeux verts, décrite comme une force de la nature qui fonctionne à la peur et l’instinct. La vie de Lilith est définie par la violence, le travail éreintant, le viol, mais elle reste féroce. Elle frappe lorsqu’elle est acculée. Ironiquement, une histoire d’amour avec un maître tendre subvertit sa force naturelle. Compte tenu de l’oppression implicite dans leur relation, c’est un amour confus. Finalement, leur amour est tellement confus qu’il sape son plan pour encourager une révolte d’esclaves. Leur affection est un anathème pour une libération qui doit se faire dans la douleur.
1. «Lilith» est une référence bienvenue au personnage biblique qui contrariait les hommes pour sa liberté de faire les choses à sa manière.
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R
ichard Wright explore cette liberté douloureusement acquise dans Native Son à travers Bigger Thomas, un garçon noir qui travaille pour une famille blanche. La matriarche de la famille l’a presque surpris dans la chambre de sa fille-une proximité qui équivaut à un viol dans l’Amérique qui assassina Emmett Till. Alors qu’il essayait de faire taire la fille avec un oreiller, Bigger la suffoque et la tue accidentellement. Cet accident irréparable va pousser Bigger à fuir les autorités, la suprématie blanche. Mais temporairement il va être libre. Nous avons ici le portrait d’un homme que son environnement ne laissera pas vivre, à moins qu’il ne se défende ou attaque par anticipation. Oui, c’est centré sur la rage. Mais qui produisait un tel vaisseau pour la destruction? En présentant le roman, Wright reconnait une motivation troublante. Se référant à son premier roman, qui avait séduit, «Les enfants de l’oncle Tom,” il dit,
pourraient lire, elles pourraient en pleurer et se sentir bien. Je me suis juré que si jamais j’écrivais un autre livre, personne ne pleurerait en le lisant; ce serait si dur et profond qu’ils auraient à y faire face sans la consolation des larmes. C’est cela qui m’a fait me mettre au travail avec le plus grand sérieux».
Calmez-vous
On nous dit que la colère est une émotion stérile. Katherine Ann Porter, la collègue contemporaine blanche de Wright exprima son horreur face à lui et ses pairs, « je ne peux pas les lire. Je suis si fatiguée de toute cette haine et ce poison. Ils ont tous eu des vies horribles -des expériences si horribles que ça leur a laissé des esprits monstrueux. James Baldwin, je pense qu’il était fou2». Qu’est-ce qui dérangeait exactement Porter dont la carrière traversa le mouvement des droits civiques aux États-Unis; l’art est-il exclusivement destiné à embellir, à dorloter?
J
e me demande s’il y a une sorte d’amour masochiste dans la violence et si cette violence est la première étincelle de la conscience sociale. Si oui, c’est du genre qui vous arrache à l’existence indolente vers le réveil de la conscience. Comme l’a dit Audre Lorde, «Le processus d’apprentissage est quelque chose que vous pouvez provoquer, provoquer comme une émeute.” Oui, ça fait mal. Mais c’est aussi tellement bon pour vous. Est-ce que la fille du banquier pleure pour vous? Nous nous avançons par la beauté pas par la saccharine. L’amour plutôt que la sentimentalité inspire la transformation. De temps en temps la passion forge un chemin vers la révolution.
«Je trouve que j’ai écrit un livre que même les filles de banquiers
2. Givner, Joan. Katherine Ann Porter: Conversations. University Press of Mississipi.1987
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Entretien
Nous devons être vuEs ET entenduEs Un entretien avec Claire Obscure par Cynthia Ibo. Photos de Claire Obscure
Résidant en France, Claire Obscure est une activiste afroféministe et une artiste aux talents multiples : musique, peinture, photographie… C’est cette dernière part de son travail qu’elle partage généreusement avec nous tout en nous expliquant son cheminement. Elle nous dit son goût de l’image et l’importance des enjeux de représentations décoloniales et minoritaires.
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Cynthia Ibo : Comment te définirais tu ? Pour l’instant tu vis plus la photographie dans l’instant ou à travers des projets ? Claire Obscure: J’aimerais me définir comme une artiviste. Je suis une passionnée d’art et obsédée par les images. J’ai toujours aimé me donner un temps d’apprécier une oeuvre quelle que soit sa forme ou le médium utilisé. Photo, vidéo, musique, dessin... J’aime bien essayer de nouvelles choses. Je me vois comme une amatrice d’art et militante qui essaie de créer. Je fais aussi partie du Collectif Afroféministe Mwasi, basé à Paris et j’essaie également de participer au partage des compétences avec mes soeurs. Ma mère est née au Cameroun, mon père est français et blanc. Ça a aussi son importance dans mon travail. J’ai beaucoup de projets, en photo et dans d’autres domaines et je sais que je dois prendre mon mal en patience avant de les voir réalisés un jour.
CI: Quand et comment as-tu commencé la photographie? CO: ’Jai commencé la photographie la première fois que j’ai touché un appareil photo.
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J’ai immédiatement saisi le potentiel artistique. A mon avis c’est l’intention qui prime dans la photographie, pas le matériel ou la technique. Le désir de partager son regard sur le monde. C’est très personnel. Petite, j’étais subjuguée par le Polaroïd de mon père. Je savais ce que je voulais capturer. En plus j’avais le résultat quasi instantanément. J’ai eu ensuite un appareil numérique et depuis je photographie souvent « dans l’instant ». Je ressens d’une part le besoin de capturer la beauté d’une personne ou d’un paysage et d’autre part la nécessité de documenter des événements, parfois avec une approche plus sociale et politique. Souvent les deux à la fois.
CI: Tu as un blog, plusieurs même, dont un nommé Beautés Minoritaires ; quelle était l’idée derrière sa création ? CO: J’ai plusieurs blogs d’images qui ont chacun leur fonction “décoloniale”. Sur le premier, je partage mes propres photos. Sur le blog Beautés Minoritaires, je partage des images dont je ne suis pas l’auteur.e, mais qui témoignent d’un désir de décolonisation de la culture visuelle et à l’amour de
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soi. Le sous-titre du blog est “La représentation compte: les corps et visages oubliés du blantriarcat capitaliste”. C’est un clin d’oeil à l’auteure bell hooks. L’idée étant de visibiliser des indivu.E.s appartenant à des groupes marginalisés ne correspondant pas aux normes de beauté, à l’hétéronormativité... Ça a été une première étape avant de moimême m’interroger sur ma propre culture visuelle et photographique et sur les stéréotypes que je reproduis par mes photos, même inconsciemment. Et c’est là que c’est devenu vraiment intéressant. Le dernier blog est plus axé sur les représentations d’afrodescendant.e.s dans l’art contemporain et dans des univers imaginaires (fantastique, sciencefiction), d’où nous sommes très souvent effacé.e.s à mon grand regret.
CI : Tu peins aussi tu peux nous en parler ? CO: J’ai commencé à peindre tard. J’ai tout de suite aimé. En peinture on travaille différemment avec la lumière et la couleur. Je suis
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toujours en train d’apprendre. Je dessine également, et je suis en train d’essayer de trouver un moyen de marier ces médias de façon harmonieuse et cohérente. J’ai récemment participé à un live painting à six mains en mixed media, c’était une super expérience.
CI : Qu’est-ce que tu dirais aujourd’hui de ton point de vue de photographe des enjeux de représentations pour les personnes afro et queer en France? CO: Il est nécessaire d’agir sur cette visibilité, en faisant attention à ses modalités. Qui prend les photos? De qui? Pour qui? Qui en profite? Quel message est transmis? Pour moi la visibilité est une des composantes de l’émancipation, surtout dans une société si portée sur le visuel, mais la représentation a des enjeux qui nous dépassent souvent. Le contenu visuel a joué un rôle prépondérant dans les propagandes oppressives dans le passé, et on peut légitimement se
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demander dans quelles mesures ça doit participer à la Libération. Nous devons être vu.e.s ET entendu.e.s. Le premier l’emportant souvent sur le dernier.
CI : Et l’exotisation c’est quelque chose qui te fait peur dans la façon dont les gens peuvent approcher, s’approprier ton travail ? CO: Ma première série de portraits de femmes noires, je l’ai partagée sur mon blog, entre mes photos de rue, de nature, plein d’autres portraits, mais cette série particulière a eu un énorme succès. Je ne m’y attendais pas du tout. Je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi. Estce la rareté de représentation (qui la rend exotique) ou le type de représentation (empowerment)? La peur de l’instrumentalisation et de l’appropriation de son travail est toujours un peu là, elle est inévitable, mais je refuse de céder à cette peur, sinon je ne créerai plus rien. J’ai déjà mis assez de temps avant de réellement me dévoiler en tant qu’artiste, je n’ai pas besoin d’autres obstacles.
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Entretien
Le reflet de l’âme Interview de Cynthia Ibo et Photos de Delphine Alphonse , Cynthia Ibo, Pauline N’Gouala
La franco-congolaise Pauline N’Gouala peint des toiles intranquilles qui interpellent le monde. Des figures, des icônes et des anonymes. Des emblèmes de la culture noire. Des victimes sud-africaines de la lesbophobie comme Busi, Buhle. D’autres artistes comme Nina Simone ou Basquiat. Mais de Frantz Fanon à Zanele Muholi, Pauline leur donne cette éternité particulière de sa peinture à l’huile, de ses mains et de son regard. Rencontre.
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Je m’appelle Pauline N’Gouala, j’ai 29 ans et à mes heures je fais de la peinture à l’huile. Je fais des portraits. En ce moment, je fais une formation de vitrailliste. J’ai commencé à dessiner petite. Je reprenais les personnages de Bande dessinée et de dessin animé et j’ai continué jusqu’à l’adolescence. J’ai commencé à l’encre de chine et c’est ce qui m’a appris à peindre. Un jour, j’ai fait le portrait de mon ex à l’encre de chine et elle m’a dit « tu devrais peindre ». Et là, ça fait 5 ans que je peins à l’huile et je fais quasiment que des portraits. J’ai commencé au niveau local dans les Yvelines dans ma ville, Plaisir, où la municipalité m’a laissé exposer quelques mois dans une salle de concert. Et ensuite j’ai exposé à Paris. J’ai rencontré Zanele Muholi à un colloque et elle m’a proposé de faire son portrait et celui de quelques victimes de crimes lesbophobes ce qui m’a permis d’ancrer mon parcours dans un engagement. Et puis, comme il y’ avait une soirée spéciale Afrique du Sud au sein du Festival Elles résistent via l’association LOCs j’ai pu exposer cette série là-bas. Et puis il y’a eu d’autres occasions comme Afropunk Paris.
CYNTHIA IBO : QUE CHERCHES-TU À CAPTER QUAND TU COMMENCES À PEINDRE ? Je commence par les yeux parce que j’en ai pris l’habitude et je
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pense aussi que c’est le reflet de l’âme. C’est par le portrait que j’exprime mon humanisme dans le sens où on est tous pareils et en même temps on est tous différents. Dans les yeux, chacun va ressentir quelque chose de différent, ça aussi je trouve ça intéressant. Moi j‘ai l’impression de faire une espèce de transfert de me décharger de certaines émotions pour me sentir plus légère. Je commence par les yeux et je les travaille pas tant que ça les regards ; ça se fait tout seul, ça c’est la part un peu mystique de la peinture.
CI : ET QUAND EST-CE QUE C’EST FINI ? Comme j’ai un modèle c’est un peu plus facile de dire que je suis à peu près là où je veux être. C’est jamais 100% à l’identique mais c’est un feeling qui dit que je suis là où je voulais aller. Je ne fais pas des retouches des mois plus tard, quand j’ai mis le dernier coup de pinceau. C’est assez instantané.
CI : EST-CE QUE QUAND TU PEINS TU T’AMUSES, TU EXPÉRIMENTES ? Peindre ça fait partie des choses que je préfère faire. Quand je le fais je pense à rien sauf à ce que je suis en train de faire. Ça me fait une espèce de parenthèse, une espèce de bulle… Peut–être que quelque part je m’y refugie. Mais
ouais, je m’amuse, ça m’arrive d’expérimenter. J’ai fait deux tableaux où à la place des murs de brique habituels j’ai mis de la bombe rose : je voulais faire une série d’artistes LGBT. J’ai fait Keith Harring, la photographe Estelle Prudent. Mais ouais c’est clair que ça me rend heureuse. Je ne pense pas à ce qui va se dire c’est juste « moi, est-ce que je suis contente de ce que je fais ? Est-ce que j’estime que ce que je fais est bien. Et ça me fait du bien de me sentir douée en quelque chose parce que j’ai pas forcément de diplômes, j’ai pas un boulot lambda dans lequel je m’épanouis donc en fait il me reste la peinture.
CI : ET TRÈS TÔT TU AS FAIT FRANTZ FANON ? Frantz Fanon c’était un de premiers tableaux. Très jeune j’ai découvert les leaders afroaméricains, ou africains comme Patrice Lumumba. Comme j’avais un nouveau moyen d’expression, l’huile, j’ai voulu le faire à l’huile. Et Fanon ça a été ma première vente, je suis fière en fait. J’ai pas lu toutes ses œuvres mais c’est vrai qu’étant passé par la psychiatrie je me sens proche de ce qu’il a pu faire pour les malades psychotiques en Algérie. Il les a libérés de leurs chaines et je me sens proche de son combat ; c’est vraiment cette dimension qui m’a touché chez lui.
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CI : TU PEINS LES INCONNUES ET LES ICONES DE LA MÊME FAÇON ?
couple ou une très bonne amie, ou quelqu’un comme Zanele. Je suis concentrée sur le portrait, sur l’harmonie des couleurs.
Tu ne connais pas les personnes mais tu t’en sens proche quand même. Par exemple je sais que j’ai ressenti quelque chose de très fort en peignant Jean-Michel Basquiat, je me suis sentie proche de lui. Après justement je pense que je ne fais pas de différence si c’est une personne que je connais, comme une femme avec qui j’ai été en
Par contre, il y a aussi une relation émotionnelle forte quand tu parles des victimes. Parce que d ‘une part tu te dis que dans un autre contexte ça aurait pu être toi et d’autre part c’est un combat permanent. Tu es là en train de faire tes tableaux et Zanele continue à t’envoyer des photos parce que d’autres nouvelles victimes viennent de s’ajouter. Tu
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prends conscience de l’ampleur du fléau et en fait ça fait peur. Et tu te dis que si tu peux exposer ce fléau et montrer jusqu’où va l’homophobie quelque part c’est utiliser la peinture dans une cause noble et ça me donne envie de continuer à le faire. Si ça peut éveiller les consciences. Parce que là on parle de l’homophobie en Afrique du Sud mais c’est toujours une réalité en France. C’est vrai qu’en général ceux qui me sollicitent c’est la communauté LGBT ou la communauté Afro ou
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le mix des deux et moi ça me pose pas de problème dans le sens où c’est ce que je suis et où je m’assume. J’ai pas l’impression de m’égarer.
CI : EST-CE QU’IL Y AVAIT DES GENS AVEC UNE PRATIQUE ARTISTIQUE DANS TA FAMILLE ? Quand j’étais petite j’ai vu le dessin d’un de mes oncles. Je l’ai vu chez ma grand-mère et il l’avait fait enfant. Et je me souviens précisément de m’être dit que si un enfant était capable de le faire et bien moi aussi j’en étais capable ; j’avais 6 ans. Et c’est là que j’ai vraiment eu le déclic ; à dessiner, à être au plus près de ce que je faisais. Autant j’étais hyperactive mais je pouvais passer des heures sur mon petit dessin dans mon coin à faire chier personne. Dans ma famille y’a pas forcément d’artistes mais tout le monde me soutient vient à mes expos quand ils peuvent, m’achètent du matériel parce que ça coute cher. Ça fait plaisir… A ma première exposition dans les Yvelines, y’avait vraiment beaucoup de gens de ma famille et c’est super émouvant et tu sens qu’ils sont fiers qu’ils te soutiennent et ça c’est chouette.
CI : TU CITERAIS QUI COMME INFLUENCES ? J’ai pas une grande culture artistique. Je suis autodidacte ; j’ai pas fait d’école d’arts. J’aime bien me faire une expo de temps en temps. Dans mes peintres fétiches y’a Monnet, Frida Kahlo, Modigliani, dont j’ai fait les 3 portraits) et Basquiat , c’est mon chouchou. Après je suis sensible à la photo. Je suis une grande fan de cinéma. J’écoute beaucoup de sons et d’ailleurs à l’époque tout ce qui était afrocentré, les grands leaders afros, je les avais connus via le reggae en fait parce que t’entendais pas parler de Frantz Fanon à l’école. Après je peux être touchée par ce que font des potes etc.
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LE STREET ART ÇA ME PARLE ET C’EST NÉCESSAIRE À LA VIE URBAINE QUI PEUT ÊTRE TRISTE ET C’EST VRAI QU’A UN MOMENT DONNÉ MON RÊVE C’ÉTAIT D’EXPLOITER UN MUR. Au
début je pensais qu’à ça des que je voyais un mur je projetais un portrait géant dessus.
CI: QU’EST-CE QU’ON PEUT TE SOUHAITER POUR LE FUTUR ? J’aimerai bien avoir l’opportunité d’avoir un atelier. Je vais continuer la peinture. Dans ma tête je vois carrément des portraits en vitraux et peintures sur verre. Pour ça il faudrait qu’j’ai à disposition un atelier mais comme je t’ai dit j’ai envoyé ma candidature pour un festival en 2016 ; c’est ça qui est bien avec la peinture, c’est que tu sais jamais ce qui t’attends au tournant et t’as toujours de belles surprises.
UNE PLAYLIST IDÉALE DE PAULINE NGOUALA POUR PEINDRE Miles Davis “Flamenco Sketches \ So What” Duke Ellington “Fleurette Africaine” Ashanti feat Ja rule “Down 4 You” Total feat Missy Elliot “What About Us” Koffi Olomidé “Elle et Moi” Gregory Isaacs “Hot Stepper” The Organ “Brother” The Police “Darkness”
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Récit
Les ailes d’amour! De Gayture
Je commence par transpirer, par trembler, la cadence
S
on physique, son allure, sa chevelure, son teint, sa morphologie, son habillement ! Je suis sous le charme, il me la faut !
Je la veux pour moi, elle est si ravissante ; mais comment faire pour lui parler ? J’ai peur ! Ne va-t-elle pas le prendre mal ? J’ai le cœur qui bat très fort… Je crains qu’elle soit contre le fait que je sois une femme qui lui fait la cour, qu’elle fasse partie de la masse qui ne me tolère pas, qui est contre l’homosexualité. Je crains qu’elle me refoule.
de mon cœur s’accélère mais mes yeux ne peuvent se détourner d’elle. Je prends une bonne bouffée d’air, je la regarde intensément une quinzaine de minutes encore et enfin, nos yeux se croisent, je lui fais un clin d’œil avec un tout petit sourire, à la limite timide. Elle réplique en me lançant un merveilleux sourire. Là, je me sens pousser des ailes, je décide d’aller à sa table. Elle m’accueillit avec un plus grand sourire. Je me présente et elle en fit de même. Je lui dis alors que je la trouvais très belle, ravissante, splendide, bref je lui faisais l’éloge de sa beauté et de ce que cela crée en en moi. Toutes ses réponses n’étaient que sourires. Je me sentais très bien, je lui proposai de lui offrir un verre, ce qu’elle accepta volontiers. Nous avions bavardé pendant un bon bout de temps et au moment de nous séparer, je lui demandai si je pouvais avoir son numéro, ce qu’elle me donna sans hésiter. J’étais superbement comblée.
L
e lendemain, je m’empressai de l’appeler pour avoir un rendez-vous galant avec elle et elle accepta…. Ce jour à 20h, nous nous retrouvions au restaurant comme prévu. En la voyant arrivée j’étais éblouie. Non plus par sa beauté mais par son élégance ! Nous avions passé un bon
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moment à discuter de tout et de rien ; quand je lui ai fait savoir que je ressentais quelque chose pour elle et je désirais sortir avec elle. Elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit « oui » j’étais tellement heureuse, que je voulais l’embrasser. Ce qui me ramena d’un coup à la réalité de la société dans laquelle nous vivons, cette société qui nous aurait roué de coups si j’exprimais cette envie. Le dîner terminé je lui propose de la raccompagner chez elle. Sur la moto elle passa ses bras autour de mes reins ce qui me fait frissonner et rallumer mon désir de l’embrasser. Arrivées devant chez elle, à peine est-elle descendue que je l’attirai vers moi et l’embrassa dans la pénombre devant sa cour. Quand nos lèvres se sont touchée, j’ai senti un courant traversé tout mon corps, je ne voulais pas que ça s’arrête, mais il le fallait avant que quelqu’un nous voit. Je suis rentrée chez moi très heureuse.
J
parents pour leur dire mon orientation. Ils attendent toujours leur gendre et les petits enfants. Mais ce soir, je suis décidée à défendre cet amour que je ressens pour Samiratou, parce que c’est mon droit et c’est ma vie. Je veux vivre avec celle pour qui mon cœur bat. Je veux vivre cet amour pour le meilleur et le meilleur. J’affronterai donc tous les obstacles, mes parents, la société pour qu’ils m’acceptent tel que je suis parce que je veux tout simplement vivre mon amour, sans avoir à me cacher.
e viens de faire ma déclaration d’amour à une charmante demoiselle qui a acceptée !!! Je l’aime tellement que j’aimerais pouvoir tout faire avec elle, marcher main dans la main, lui faire des bisous n’importe qu’elle moment, pouvoir aller dire à mes parents que j’ai rencontré une fille sympa et que je l’aime et aussi que je voudrais passer le restant de ma vie avec elle. Mais je n’ai jamais pu faire face à mes
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Paroles De Chanson
Jan an Yé
Chanson de OZe’N et Why’z Panthera Photo de GPHOZ
La chanson “Jan an yé” a été écrite collectivement par OZe’N et Why’z Panthera. C’est en novembre 2014 qu’OZe’N découvre les soirées Bokantaj du RPAMC De Profundis. Il y rencontre Why’z Panthera. Quelques mois plus tard, “Jan an yé” se co - écrit. Un message très personnel qu’OZe’N adresse d’abord à sa mère et finalement à bien d’autres encore. Il ne changera jamais pour qui que ce soit quel qu’en soit le prix à payer. Numéro 11, Décembre 2015 | 95
Version originale en Créole:
Si an té sav i té ni kondisyon an té ké vin adan vant a on dôt... Ou fè mwen alé Si mwen lé viré Fo an yé Jan ou lé An té ja sav nou té ké goumen pas an pa ni asé valè douvan konviksyon ou ka nouri An té ja sav ou pa té ké konprann sé pa chwazi an chwazi jan an yé Si an pyébwa té pé viv san rasin an té ké yé jan ou lé Mé ou té sav sa pé’é rivé alós... Ou fè mwen alé Si mwen lé viré Fo an yé Jan ou lé An té ké enmen vwè kritik a moun glisé kon dlo si fèy a lanmou-aw Ou lé chanjé mwen é ou ka réklamé an enmè-w kon solèy an mwen Dépi ou palé ban mwen sé kolè ka monté andidan mwen Alè an ka pati fè chimen an-mwen fo ou sav Ou fè mwen alé An pé ké viré Mwen pé pa yé Jan ou lé Ou té lé mwen mè lè ou vwè mwen ou di an pa modèl timoun ou té komandé Ou té lé mwen alè ou pa lé mwen mè an pé pa chanjé pou fè-w plézi Tousa ou pé rivé fè sé lagé lidé-aw an pé pa pèd nanm an-mwen, alós Ou fè mwen alé An pé ké viré Mwen pé pa yé Jan ou lé
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Version française: Si j’avais su qu’il y avait des conditions je serais venu-e dans le ventre d’une autre Vous m’avez mis-e à l’écart Si je veux revenir je dois être Comme vous voulez que je sois Je savais déjà qu’on se prendrait la tête parce que je ne fais pas le poids face à vos convictions que vous nourrissez Je savais déjà que vous ne comprendriez pas que je n’ai pas eu le choix d’être ce que je suis Si un arbre pouvais vivre sans ses racines je serais ce que vous espérez que je sois Mais vous saviez que ça n’arriverait pas, alors... Vous m’avez mis-e à l’écart Si je veux revenir Je dois être Comme vous voulez que je sois J’aurais voulu que votre amour soit plus fort que le reste Vous voulez me changer et réclamez à la fois que je vous aime aveuglément Dès que vous me parlez c’est de la colère qui monte en moi Maintenant, je fais ma route, alors... Vous m’avez mis-e à l’écart Je ne reviendrai pas Je ne peux pas être Comme vous voulez que je sois Vous m’avez désiré-e mais je ne corresponds pas à vos attentes Vous m’avez désiré-e mais aujourd’hui vous me rejetez mais je ne peux pas changer pour vous faire plaisir Tout ce qui vous reste à faire c’est d’abandonner vos idéaux, je ne peux pas perdre mon âme, alors... Vous m’avez mis-e à l’écart Je ne reviendrai pas Je ne peux pas être Comme vous voulez que je sois
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Entretien
Lez Ka-lour! Texte et art de Kawira Mwirichia. Traduction en Français par Cynthia Ibo
Mon nom est Kawira Mwirichia. Je suis née et j’ai grandi à Nairobi, au Kenya. J’aime créer, et maintenant cette part de moi à trouver son expression dans l’art visuel. Je fais aussi partie d’un organisme artistique ici, appelé AFRA-Kenya.
AFRA-Kenya
AFRA-Kenya est un collectif d’art de femmes LBQ basé à Nairobi, et son nom est en fait un acronyme pour «Artistes pour la reconnaissance et l’acceptation – Kenya ». Il a été lancé en Novembre 2008, par un groupe de femmes qui a réalisé que les conversations autour de la santé et les droits sexuels au Kenya étaient portées presque exclusivement sur les intérêts des hommes, et que le bien-être des LBQ femmes ne suscitait pas vraiment l’attention nécessaire. Donc AFRA-Kenya a été formé essentiellement comme un espace de femmes LBQ où se rencontrer, grandir, guérir, et développer nos propres expressions. Donc l’accent dans le militantisme et les conversations c’est surtout l’épanouissement durable des femmes LBQ en tant qu’individues, et j’ai le sentiment que c’est de cette orientation qu’est né le livre de coloriage “Lez Ka-Lour!”.
“Lez Ka-Lour!”.
A Halloween dernier, AFRA-Kenya avait l’intention d’organiser une vente aux enchères d’art, dans l’idée d’une levée de fonds excitante (ce qu’elle a fait) et un tas d’entre nous ont cogité sur ce qu’on pourrait avoir à vendre. L’idée du livre de coloriage est venue comme
un truc marrant, facile à faire, peu couteux que notre public aimerait avoir - et utiliser – pour affirmer et célébrer nos sexualités. Les dix premiers exemplaires du livre ont été vendus aux enchères et tous les profits de la vente sont allés à AFRA-Kenya. Les personnes présentes ont tout simplement adoré et j’en vends plein d’exemplaires depuis. J’ai même mis en place une e-boutique CreateSpace (https://www.createspace. com/5912383) où les gens peuvent maintenant acheter le livre d’où qu’ils se trouvent sur la planète. Vous pouvez également trouver le livre sur Amazon, et je viens d’apprendre que chez Venus Envy à Halifax, Canada, auront des exemplaires en stock dans leur magasin également !
Dans le futur
A mon avis autant moi que AFRA-Kenya nous ne faisons que commencer et il y aura de plus en plus de choses étonnantes qui viendront de nous, pour nous. Nous envisageons déjà de sortir un autre livre sur l’érotisme, et nous travaillons également sur un projet intitulé « To revolutionary type love ». Le projet est déjà en cours de réalisation et vise à célébrer les personnes queers et leurs amours et - par conséquent - insuffler un sens profond, encore plus inébranlable de ce que sont l’amour et la fierté dans la communauté queer en commençant ici au Kenya. Additional links: http://kalacompany.com/ https://www.facebook.com/lezkalour/
Numéro 11, Décembre 2015 | 99
Parce que je t’aime Poème de Mariane Amara
Poème
Parce que je t’aime et que tu m’aimes Ils nous accusent d’être des sorcières Ils nous promettent le feu et l’enfer Parce que je t’aime et que tu m’aimes Nous sommes exilées sur la terre Des épouvantails ballotés par le vent Ceux qui nous voient nous injurient Parce que je t’aime et que tu m’aimes Dans la rue, je fuis ta main Ils me touchent et tu fais mine de rien Ils nous traitent de « sales lesbiennes » Parce que je t’aime et que tu m’aimes Et moi je souffre en silence Je souffre en silence et je tremble Que tu prennes peur ou que tu te lasses De ce que je t’aime et que tu m’aimes Pourquoi faut-il leur donner raison ? Pourquoi ton silence, pourquoi ma peur ?
100 | Numéro 11, Décembre 2015
Pourquoi notre amour leur fait-il si peur ? Et à nous qui n’osons pas leur résister ? Aujourd’hui, je veux m’élever avec toi Je veux crier à pleine voix Sortir et mourir avec joie Parce que je t’aime et que tu m’aimes Aujourd’hui tu me tiendras la main Aujourd’hui je danserai pour toi Alors ils me tourneront autour Et moi je te tendrai les bras On verra bien si le monde prend feu Et s’ils osent nous jeter des pierres Aujourd’hui je te dis oui Je te dis oui pour toujours Parce que je t’aime et que tu m’aimes Mon amour, mon amie, ma sœur Mon bébé, mon gars, mon cœur Pour toi, pour moi, pour nous Aujourd’hui et toujours
Numéro 11, Décembre 2015 | 101
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