Qndmc #2 Artisanat

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Artisanat

Édito

— Pourquoi ne pas parler « d’empreinte béton ? », c’est ainsi que Cyrille Simonnet terminait sa conférence sur le Patrimoine sans qualité le 5 mars 2012 à l’occasion de la publication du premier numéro de QNDMC, Héritage. Derrière cette question se trouve peut être « une conscience de la marque durable que laisse le béton ». Chercher les limites de ce matériau et de la standardisation des modes de construction peut aboutir à la notion d’ARTISANAT. Dans la lignée éditoriale mise en place avec #1 Héritage, ce n’est pas seulement la notion stricte d’artisanat qui est discutée, mais bien ce qui en fait sens, ce qui fait actualité et ce qui peut potentiellement en faire architecture. En effet, l’artisanat relève de traditions, parfois anciennes, voire ancestrales comme se plaisent à le décrire certains. Mais n’oublions pas l’idée contemporaine que recouvre également ce terme car si l’artisanat est affaire d’héritage, il peut être aussi symbole de dynamisme, de qualité et d’innovation. S’interroger sur la question de l’artisanat, c’est comprendre l’évolution d’une pratique architecturale et le devenir d’une profession que nous incarnons. La généralisation d’un modèle architectural décontextualisé et d’une construction industrialisée telle que l’avait engendré la pensée moderne pour répondre aux aspirations de son époque est aujourd’hui remise en cause par de nouveaux paradigmes sociaux-économiques. Mais si notre formation nous conduit à considérer cette question sous le regard de l’architecte, l’artisanat est aussi une question en lui-même. D’une façon plus générale, rapporté à une production, il est défini par un savoir-faire, des matières, une qualité et une identité. Elément clé influençant les dynamiques contemporaines de globalisation, l’artisanat est aussi affaire de société, préservant à son échelle des spécificités culturelles et techniques. Certains architectes contemporains ont fait de cette attitude une pratique, privilégiant une approche guidée par les matériaux et les formes traditionnelles du lieu. L’agence Studio Mumbai en Inde s’impose de penser, tester et produire sur place une architecture en collaboration directe avec un artisanat qualifié et local. Un certain regain d’intérêt pour le régionalisme critique dans différents pays d’Europe est aussi remarquable : l’artisanat s’affirme alors comme un outil porteur de l’identité d’un peuple, outil utilisé par de nombreuses pratiques architecturales et supporté par les politiques nationales. L’artisan est celui qui sait faire, qui de ses mains et par son savoir pourra faire, et faire avec qualité. Il maîtrise les règles de l’art, les apprend, les met en œuvre. Il connaît le produit qu’il travaille, pas seulement d’un point de vue théorique mais aussi dans son essence et dans sa sensibilité à travers une pratique quotidienne. Ainsi, l’artisanat est affaire de geste et de matière, d’un rapport particulièrement maîtrisé de l’homme au matériau. Dans cette optique, il devient alors intéressant d’appréhender l’artisanat comme une approche conceptuelle où la connaissance d’une matière peut amener à lui associer de nouvelles utilisations. Ce processus inversé que l’on pourrait qualifier de pragmatique, partant du matériau jusqu’au concept, peut alors fortement influencer la production architecturale, laissant à penser à de fructueuses collaborations entre concepteurs, techniciens et artisans. Le développement de nouveaux matériaux et leur appropriation continuelle par les artisans contemporains sont autant de pistes qui portent l’artisanat vers l’innovation et l’avenir. a r t i s a n at


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Si l’innovation est une composante de l’artisanat, il est important d’en comprendre les dynamiques internes et son mode de transmission. Le savoir-faire artisanal a été dicté tout au long de l’histoire par un apprentissage empirique de la matière, c’est-à-dire par l’expérience de la pratique. Cet empirisme a créé des formes éducatives spécifiquement liées à la formation artisanale telles que le compagnonnage, des familles d’artisans « de père-en-fils », mais également à des organisations sociales telles que les corporations, protégeant un savoir bien souvent confidentiel. De nos jours, l’ouverture numérique et la généralisation progressive des technologies de conception digitale posent alors un certain nombre de questions sur la formation et la production artisanale de demain. Une forme de Néo-Artisanat émerge alors, où la transmission empirique traditionnelle d’un individu cède place à un savoir collectif accessible instantanément et gratuitement par tous, par le biais de plateformes open-sources. Cette tendance, présente depuis le début des années 2000 dans les manifestations de design et les laboratoires universitaires du monde entier, démontre que la notion d’artisanat n’est pas prête d’être reléguée au rang de patrimoine. En France, les traditions artisanales ont non seulement contribué au façonnement de nos paysages architecturaux et urbains mais sont aussi constitutives de nos modes de vies et de nos arts. L’artisanat, pour prendre l’exemple de notre pays, demeure aujourd’hui une richesse économique autant qu’une histoire qui a façonné nos modèles familiaux, le fonctionnement des entreprises dans lesquelles nous travaillons et notre organisation sociale. Il semble que l’exemple français mérite d’être creusé sur cette question. La haute couture française, ou bien sa gastronomie sont des savoir-faire artisanaux qui ont fait du pays sa renommée à travers le monde et ce phénomène est loin de s’éteindre face à la montée de l’industrialisation et de la standardisation. Le fait-main est considéré plus que jamais comme un gage de qualité et de durabilité qui rassure en période de crise économique. Symbole de raffinement, la tendance semble être à la recherche de la pièce unique, depuis l’imperfection commise de la main humaine jusqu’au modèle conçu sur-mesure pour son propriétaire. Réponse hostile à l’industrie, qui réduit pourtant de manière drastique le quota d’erreurs de fabrication au fur et à mesure des avancées technologiques et incrémente à l’infini le nombre de copies, le public lui, cherche ce qui n’est, au contraire, pas tout à fait précis, ce qui rendra au modèle son unicité, symbole ultime d’appropriation. Une dernière question et non des moindres concerne la frontière ténue entre art et artisanat. Traditionnellement, l’artisanat trouve son essence en sa réalisation même, par le biais d’une production ou d’un service effectué pour un commanditaire. La définition de l’Art, aussi fluctuante fut-elle au cours de l’histoire, se définit en premier lieu non pas par sa réalisation mais par la construction d’une démarche, conférant à une création de statut d’œuvre. Cette distinction entre production et processus contribue à nous interroger sur la position ambivalente dans laquelle se positionnent les pratiques créatives telles que l’architecture et le design ; artisanats, ou arts ?


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Qui ne dit mot consent #2 Artisanat décembre 2013 ISSN : 2268-7742

Contact Qui ne dit mot consent c/o École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon

3 rue Maurice Audin 69120 Vaulx-en-Velin

contact@qndmc.com www.qndmc.com

Membres fondateurs de la revue Laurent Boutin-Neveu, Mathieu Bujnowskyj, Adélie Collard, Louise Gaunand, Anne Klepal, Gabrielle Mathias, Marion Rampon, Ugo Ribeiro, Thomas Roche, Yan Roche, Camille Rouaud, Chloé Viallefond

Sommaire

Thématique 0 Édito 1 Rencontre avec 6 le collectif Ciguë À propos des produits 10

Souviens-toi d'où tu viens 14 et tu sauras où tu vas

Artisan d'Art ? 16

Envoyez vos propositions d’articles proposition@qndmc.com

Typographie

Kroppsrom 20 Tryptique 26

Nicolas Franck Pauly Caractères en usage

MetaPlak, Artisanat,

Suisse Bp, Antique et Regular, Ian Party

Vorarlberg : un nouvel 32 Arts and Crafts au cœur de l'Europe

Nicolas Franck Pauly Impression

Ciguë Poster central Imprimerie FERREOL 6, rue du Perigord, 69330 Meyzieu

Tiré à 600 exemplaires sur papier recyclé

Revue CyclusOffset® 115gr. Couverture CyclusOffset® 300gr.

Poster CyclusOffset 80gr. Partenaires QNDMC remercie ses partenaires et ses soutiens : ®

archi

Lib

Devenez partenaire partenaire@qndmc.com Remerciements

QNDMC remercie l’ensemble des personnes ayant collaboré à sa réalisation.

©

Tous droits réservés.

Rozmowa 38 Revisiter l'âge artisanal 42 L'affect et le ratio dans la production architecturale digitale La trace de la main 50 L'artisanat comme 54 source de référence Penser par le faire, 56 re-déployer des singularités situées et partagées Conception pratique 60


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Rencontre avec le collectif Ciguë François Martel Rue Chantereine, Montreuil – C’est là, derrière une façade d’entrepôt que se cache l’agence / atelier du collectif Ciguë ; six trentenaires architectes de leur état mais surtout touche-à-tout. Du design à l’architecture, en passant par des installations ou des scénographies de boutiques, le travail du collectif est aussi riche qu’il est protéiforme. Quelle que soit la commande, il semble que l’application soit la même entre le processus et le produit fini. Nous sommes donc partis à la rencontre de ces Homo faber du 21e siècle.

Mais à première vue, nous sommes rentrés dans une agence qui semble des plus conventionnelles, un open space, de grandes tables ( home made ! ) et une kyrielle d’écrans faisant face à tout un petit monde. Sauf que derrière nous, un coin de l’agence est à mi-chemin entre les genres. Ni la collection de fétichistes de la poignée de porte, ni le bric-à-brac du fond de garage d’un bricoleur retraité, non simplement une matériauthèque bien achalandée. Tout un stock d’objets hétéroclites, une visserie particulière là, le reste d’une maquette ici, ou encore des prototypes de présentoirs d’une boutique. Le rendez-vous est pris avec Hugo Haas, l’un des Mais le plus intriguant pour nous, presque la raison membres du collectif, qui nous invite dès notre arrivée, à de notre venue, c’est le second espace que vient d’invesune visite complète des locaux qu’ils occupent. Ce petit tir le collectif au sein de la collocation. En effet, désortour du propriétaire, en plus de mettre tout le monde à mais à l’étroit dans les premiers locaux, le collectif l’aise, aiguise notre curiosité. Nichée sous ce toit de a préféré installer son atelier dans un endroit plus vaste Montreuil l’agence occupe un atelier, et ici les voisins fraîchement libéré par un ancien voisin. Deux portes sont peintres ou vidéastes. plus loin, dans le couloir central du bâtiment, nous entrons dans un vrai espace dédié à l’expérimentation, mais aussi à la production. 6


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Qndmc Des établis sur tous les murs, une machine à bois trône au milieu, et là encore des vestiges de matériaux, d’objets en tout genre qui attendent patiemment le futur projet auquel ils vont contribuer ! Ici, le collectif fabrique, teste et met en pratique. Les nombreux prototypes présents sont les témoins de ce besoin qu’ils ont de passer par un travail de manipulation physique. Chez Ciguë on essaye de réaliser le maximum de choses soi-même, et si une partie de l’activité menuiserie de l’atelier s’est re-localisée en Bourgogne, les finitions sont toujours faites ici, sous les verrières de Montreuil.

La dimension instinctive est très présente dans le discours mais aussi dans les influences et les procédés du collectif, « ce n’est pas qu’une histoire de produit, mais plutôt de processus ». Lorsque l’on interroge naïvement notre interlocuteur sur une éventuelle filiation avec des courants ou avec des architectes fétiches, la réponse est toute trouvée. Sans vouloir se revendiquer d’appartenance, le collectif puise son inspiration dans son environnement, et particulièrement dans son rapport à la matière. Les lieux de production industrielle attirent particulièrement Ciguë, qui voit dans ces « endroits sublimes, une forme de poésie, tenant autant de la L’ambiance est posée, ici on met la main à la pâte, scénographie que de l’installation artistique » et devant et dès lors que Hugo Haas nous raconte brièvement ces machines, royaume d’une force surhumaine, entre le parcours de chacun, on se rend compte qu’il y a un brutalité et grâce, naître une forme « d’expérience, peu d’intrinsèque là-dedans. Que ce soit en bricolant comme un parcours duquel plein de choses surgissent ». des voitures, des motos, ou en servant de manœuvre À Montreuil, l’atelier s’est constitué un petit réseau au paternel dans la réfection de la maison, tous ont eu qui semble être aussi un terrain d’influence. Le menle loisir dans leur jeunesse de se retrousser les manches. uisier est à deux rues, les marbriers sont légion dans C’est peut-être ce goût pour le travail manuel, le « brico- le coin, et le serrurier travaille également à proximité. lage » qui a fait « prendre la sauce ». La rencontre a lieu Ces rencontres et ces échanges inspirent le collectif en 2003, pendant la seconde année de l’école d’architec- tout autant que les lieux de productions plus industriels. ture de La Villette. Les six comparses ne se connaissent pas encore mais sont associés dans la réa- Cigüe revendique les rapports humains, les rencontres lisation d’une maquette du centre Pompidou. À partir de pleines de « feeling », qui aident à raconter de belles là tout va très vite, cette envie commune d’avoir un rap- histoires. port concret à la matière les poussent à monter une SARL de menuiserie en parallèle des heures passées à « Chez notre serrurier on côtoie des métallos avec l’école. Du mobilier, des maquettes pour le pavillon de trente ans de métier, avec un savoir-faire, un bagage de l’arsenal et puis l’aménagement d’un appartement de situations énorme, une véritable expérience. Expérience fond en comble, l’électricité, la plomberie, le placo, tout que nous, nous n’avons pas. C’est très enrichissant, de ça en questionnant les vendeurs de la plateforme du bâ- rentrer en dialogue avec ces types, de confronter nos timent pour savoir vraiment comment faire. À cette idées. Ces petits moments-là sont très agréables.» époque c’est le premier atelier qui s’improvise dans la collocation de deux des membres où l’apprentissage Pour le collectif d’architectes, les échanges avec empirique se met en place. Parfois ouvrier, parfois soules artisans sont riches de sens. De ces métiers deur, ou menuisier, le collectif se façonne et mutualise concrets ils tirent une certaine poésie sans s’extraire les savoirs. Fort de cette expérience, les six membres se de la réalité. Ce retour marqué au rapport à la matière lancent, à peine leur diplôme en poche, dans la création n’est pas un manifeste pour le collectif, mais simpld’une agence d’architecture, sans business plan, sans ement un positionnement. « Un des gestes politiques, conseiller en création d’entreprise et un peu à l’image c’est de ne pas rentrer dans un système que tu ne comde leur fonctionnement : à l’instinct. prends pas.» Cigüe selon ses mots, cherche à « comprendre son monde » en commençant par ce qui nous enC’est comme ça qu’ils avancent ; de manière spontanée, toure et revendique cette approche pleine d’authenticité. toujours poussé par une dynamique collective. Ciguë c’est avant tout une équipe qui se retrouve dans des valeurs communes tout en apportant chacun sa sensibilité et sa personnalité, au service d’une direction forte. « On est très portés sur la matière depuis le début, mais ça peut être dangereux, devenir superficiel si tout sort de là », notre force c’est d’être pluriel et complémentaire.

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Shanghai lounge table , 2013,


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À propos des produits InchFurniture Traduction & Introduction : Mathieu Bujnowskyj Mon intérêt pour l’atelier de design Bâlois INCHfurniture commença lors une discussion avec l’un de ses cofondateurs, Thomas Wüthrich, à propos de la question de l’innovation en design, particulièrement en design de mobilier. Celui-ci me confessa « Je crois qu’à l’heure actuelle, au vu de la complexité de la société dans laquelle nous vivons et nous travaillons, que la piste majeure de l’innovation n’est non plus dans la forme, ni dans la technologie comme cela fut le cas lors des dernières décennies, mais dans les processus de conception et de production ».

Cela même dans un contexte industriel de production en série. En effet, au-delà des questions de forme et de qualité, l’artisanat est une affaire de processus. Un enchaînement d’étapes successives, de l’idée à la réalisation finale, quelque soit le produit ou le service considéré. Traditionn-ellement, l’artisan maîtrise la totalité des étapes de la production de son produit, ou du moins, en contrôle sa traçabilité complète. C’est pour cette raison qu’il signe sa production de son propre nom. Il en possède la responsabilité et l’identité.

Ce retour à une responsabilité du designer sur la totalité du cycle de vie des produits, INCHfurniture le revendique avec leur production de meubles en bois de teck Indonésien, produits en quantités réduites en collaboration avec une communauté vivant sur l’ile de Java, et exploitant des foresteries certifiées. Le travail de INCH englobe la totalité du processus de production de ces meubles, de la création formelle, à la transmission d’un savoir constructif dans des écoles d’ébénisterie locales, de la traçabilité complète du bois jusqu’au design des procédures de transport, les meubles étant préfabriqués sur place, puis assemblés en Suisse par économie de Faire le choix de prendre en compte ces facteurs dès le départ lors de la conception, peut amener à une meil- place lors du transport par bateau. leure qualité du produit fini, ainsi qu’à une valeur ajoutée non négligeable, ayant des conséquences possiblement Voici une traduction de leur texte manifeste, Of Products ( An entrepreunarial behaviour ), représentant leur vision économiques et écologiques, parfois même sociales. à propos de la production de produits au sens général Ce regain d’intérêt par rapport au processus et à une du terme, publié pour la première fois lors du Salon du maîtrise plus holistique de l’objet produit est une attimeuble de Milan au printemps dernier. tude éminemment artisanale. 11 Bien trop souvent le designer, mais aussi l’architecte perdent la maîtrise du produit qu’ils conçoivent. Ils n’en contrôlent qu’une partie de plus en plus réduite : dans la plupart des cas, le résultat et l’apparence finale. Ils ne sont pas responsables des filières de production, ni de la traçabilité des matériaux qu’ils choisissent, ces responsabilités étant bien souvent déléguées par soucis d’efficacité et d’économie à d’autres spécialistes au sein de l’entreprise.


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1 Selection des grumes de teck par Thomas Wüthrich 2 Dialogue entre Thomas Wüthrich et les responsables de production de l’école PIKA

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À propos des Produits ( un comportement entrepreunarial ) Les produits sont le résultat palpable du travail humain autant qu’ils sont expressions de notre culture. De nombreux secteurs économiques sont liés directement ou indirectement à la production de biens et de produits, et en conséquence telle est notre prospérité. Les cycles naturels sont de plus en plus influencés et altérés par l’exploitation des ressources et les émissions de celles-ci. Cette observation appelle à une nouvelle approche ainsi qu’à une nouvelle façon de gérer les produits : la totalité du cycle de production, depuis la création d’un concept jusqu’aux formes de gestion des déchets forme une entité complète. Intention Les causes qui conduisent au développement d’un produit sont de natures diverses. La nécessité concrète d’un produit développé devrait être un pré-requis indispensable.

Utilisation Dans le cadre de son utilisation, un produit révèle son véritable but. Des exigences élevées en termes de fonctionnalité, de forme et de robustesse distinguent un produit de qualité. Les matériaux utilisés doivent posséder la capacité de bien vieillir et d’offrir la possibilité d’être réparés ou restaurés. Recyclage Un produit qui n’est plus utilisable doit pouvoir garantir un démontage facile en composants possédant une recyclabilité totale, par exemple, en se re-transformant en un nouveau matériau de base pour de nouveaux produits ou une destruction sans émissions nocives. En principe, les cycles écologiques doivent être pris en considération et des matières premières ainsi que des énergies renouvelables doivent être utilisées.

Design Le processus d’élaborer, de matérialiser, de façonner puis de construire un produit peut se dérouler de manières très différentes. Il est décisif qu’il y ait un processus de développement soigneux et réfléchi, qui englobe toutes les étapes du cycle de ce produit.

Valeur Plus les matériaux sont précieux, plus la fabrication du produit sera coûteuse en temps, plus le résultat sera construit de façon précise, durable. L’objet sera alors précieux et cher.

Responsabilité La responsabilité de prôner des valeurs éthiques lors de la conception d’un produit doit être prise par l’ensemble des parties impliquées : le créateur, le concepteur, le fabricant, le consommateur, le recycleur. La volonté de s’informer du côté du récepteur ( le consommateur ) et la volonté de rendre l’information disponible de la part La matière, la transformation et la distribution doivent du producteur ( fournisseur ), sont à la base d’un cycle respecter des critères écologiques. En outre, un long cy- de production clair et transparent. cle de vie du produit est constitutif et substantiel. Un rapport qualitatif avec les produits est préférable Un travail qui est valorisant est quelque chose à prendre à une approche quantitative – Et cela dans la concepen considération en ce qui concerne les aspects sociaux tion, la production, la consommation et lors du recyde la production d’un produit, de même que le côté écono- clage. C’est seulement de cette manière que les resmique d’un travail rémunéré. À toute échelle, le travail doit sources pourront être préservées, qu’un travail valorisant être considéré comme un accomplissement culturel et sera mis en avant, et qu’une certaine longévité dans notre constitue une partie importante de l’identité civilisatrice. utilisation des objets pourra être accomplie. Equilibre ecologique et equilibre social Les ressources utilisées pour la fabrication d’un produit, le type et la quantité d’énergie utilisées sont des composantes d’un produit autant que le contexte social établi lors de sa création.

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Souviens-toi d'où tu viens et tu sauras où tu vas Hélène Thébault S’il m’arrive de froncer des sourcils en prenant ma pause thé – ce qui peut arriver partout et très, très souvent car je vis en Inde depuis un an et les chai fumant foisonnent dans les rues – c’est par désapprobation quant à une espèce vicieuse en voie de prolifération : les chaises plastiques ( maronnasses et dossier fleuri, de préférence ). En effet, peu chère, cette matière se répand à une vitesse folle et s’immisce partout où elle peut ; les cuisines des ménagères, les petits restos, les marchés, et donc les vendeurs de thé. Ayant vadrouillé un peu dans le pays, il n’y a rien que j’aime tant que le chai du matin, celui qui brûle, trop épicé, qu’on déguste sur les bancs de bois bancales en bavardant avec le tenancier. Seulement voilà, de plus en plus, les affreuses assises polymères viennent polluer le doux tableau. Mais si les affreuses me brouillent la vue, peut-être sont-elles un gain de confort doublé d’une économie pour mon hôte ? Ma vision romantico-nostalgique de l’Inde carte postale en pâtira peut-être, cependant la population a droit au confort, me direz-vous. Certes, amis, certes. Mais voyezvous, l’Inde étant un pays aux fascinantes et multiples particularités culturelles et au savoir-faire saisissant, les poteries, mobilier rotin, bambou, les tissus, les bijoux, les lampes, etc, sont à portée de main. Tous ces trésors cachés sous le clinquant ont de quoi donner le tournis. L’artisanat est partout, accessible ; chaque région possède un savoir fort et des mains habiles. C’est pourquoi voyant le plastique intégrer les strates inférieures et moyennes de la société et les ouvrages manufacturés de plus en plus réservés aux grands hôtels, mes sourcils se froncent, que voulez-vous. 14

La France ne connaît que trop bien ces secrets de fabrication, labels surprotégés d’artisans, mieux cachés que la recette du fraisier de grand-mère, ou encore ces trésors de haute couture, sous clés. L’Inde prendrait-elle le chemin d’un artisanat réservé aux élites ? Ainsi se pose la grande question des modèles de développement et des exemples à ne pas suivre. La croissance du sous-continent indien indique le rôle majeur que la nation jouera d’ici peu. Le pays battra bientôt la Chine en population, les classes moyennes voient leur pouvoir d’achat augmenter et nombre d’entre eux roulent déjà en Tata Nano, les bâtiments officiels et les sièges des multinationales ressemblent traits pour traits aux buildings de Manhattan, pendant que les écarts se creusent et que les villes saturent. Un développement si rapide, tendant à se calquer sur les modèles de réussite occidentaux, ne peut être copié-collé sous ces latitudes sans dégâts. Le plastique c’est pratique, mais le savoir-faire s’en est-il allé à la décharge avec le banc de bois bancal ? Comment faire rimer artisanat et modernité ? Redéfinissons modernité si vous le voulez bien ; aujourd’hui le développement doit être durable, c’est-àdire répondre aux besoins présents sans compromettre ceux à venir, mieux : les anticiper. Et pour ce faire, on ne peut décemment penser à dessiner le tout sur une page blanche sans un regard vers le passé.


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Souviens-toi d’où tu viens et tu sauras où tu vas. La création est impossible sans une étude détaillée du contexte d’implantation, sans une connaissance des populations à qui elle sera destinée, ainsi qu’une immersion dans leurs baskets pour comprendre les modes de vie et réactions possibles. Pour un modèle indien durable, on s’appuie donc sur ses qualités, ne boudant ni l’innovation, ni les échanges internationaux, ni les technologies montantes. Pour un modèle contemporain, mettre les savoirs du passé au service de l’avenir ; l’artisanat et les traditions ont leur place dans le contexte actuel et ses préoccupations, notamment concernant l’impact écologique et économique. Les produits et techniques de construction artisanales façonnent un monde durable non seulement par leur impact sur les paysages urbains et les modes de consommation mais aussi via les communautés qui vivent de leur métier, et le transmettent fièrement. C’est fort heureusement cette attitude que l’on rencontre de plus en plus, en discutant sur les campus des écoles d’art et d’architecture du pays, et que j’ai eu la chance de constater en personne à Bhuj ( région du Gujarat, Inde ) en pénétrant la fondation Hunnar Shaala. La fondation œuvre pour la préservation et la transmission des savoirs hérités de l’artisanat aux jeunes générations et s’attache à les intégrer au processus de construction contemporains. Les projets sont variés, concernant tant les communautés locales ( reconstruction de nombreux édifices détruits dans la région suite à un séisme en 2001 ) que les logements particuliers. Les techniques apprises de générations en générations par les artisans locaux sont transmises aux jeunes apprentis. Recrutés dans différentes régions du pays, ces apprentis sont généralement issus de milieux défavorisés et l’opportunité d’apprendre un métier artisanal représente bien souvent une belle aubaine. Une équipe d’architectes et chercheurs supervise leur cursus d’apprentissage qui s’agrémente d’un condensé d’enseignement général ; le savoir-faire artisanal est transmis par les artisans des villages alentours, hommes et femmes confondus. Cette petite bande de débrouillards n’a pas froid aux yeux et accueille l’innovation et l’expérimentation à bras ouverts. Ce fut le cas pour l’équipe d’étudiants et professionnels du design ou de l’architecture que j’ai pu intégrer, venue pour expérimenter les propriétés, avantages et opportunités de la construction en terre, qui collabora avec la fondation durant un chantier de dix jours. Organisé par une cellule de recherche sur l’artisanat et l’innovation du Center for Environmental Planning and Technology ( CEPT University, Ahmedabad ), ce workshop entraîna un dialogue passionnant et un échange palpable entre artisans locaux et étudiants / architectes. Les apprentis se sont fait professeurs pour nous initier à la construction en terre, caractéristique de la région, ils ont ensuite suivis avec amusement nos réflexions, agrémentant nos croquis et ne manquant pas, une fois la main à la terre, d’orienter nos expérimentations parfois tatillonnes.

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Ainsi l’artisanat est non seulement valorisé dans l’architecture pour les propriétés structurelles et écologiques des matériaux ainsi que pour l’esthétisme de leur mise en œuvre traditionnelle, mais il est aussi vecteur de développement des communautés locales. Apprentis et artisans continuent de vivre grâce aux savoirs du passé, implémentés dans le contexte contemporain, de même que par les cultures traditionnelles dans le paysage urbain en mutation de ce géant du sud qu’est l’Inde.


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Artisan d'art ? Jérémy Thomas & Julia Boucault C’est en 2012, suite à plusieurs chantiers communs, que Julia Boucault et Jérémy Thomas décident de créer la sarl XII et la marque XII création à Nantes. Leur objectif est d’apporter une réponse adaptée et personnalisée à leurs clients ( envie, budget, espace…) dans le domaine du mobilier. Pour y parvenir, ils assurent chaque étape, du concept à la livraison en passant par la réalisation. Les pièces créées sont reconnues comme « œuvres d’art » et sont faites sur mesure en pièce unique ou petite série. Mais XII c’est avant tout une histoire d’amitié entre une architecte d’intérieure, également designer, et un serrurier spécialisé en métallerie d’art. Tous deux ont en commun la passion du beau et du bien fait, mêlée à un certain perfectionnisme. Si cette question est si difficile c’est avant tout car les termes qui la composent ne sont pas simples à définir. Artisanat et art… Artisan et artiste, comment passe-t-on de l’un à l’autre ? 16

Jérémy considère que l’artisan, le vrai, doit être maître de sa matière et de sa technique. Il peut réaliser un bel ouvrage sans pour autant que celui-ci soit considéré comme de l’art. Selon lui, un artiste se définit par sa capacité à voir plus loin, à transmettre un message ou une émotion. L’artisan qui, à travers sa maîtrise du métier y parviendrait, deviendrait alors un artisan d’art. Si Julia pense elle aussi que l’artisan doit avant tout maîtriser un matériau et un savoir-faire, elle y ajoute quelques précisions. L’artisan garde toujours en tête l’aspect utilitaire de l’objet alors que l’artiste tente de le faire oublier. Pour ce faire, il doit parvenir à exprimer quelque chose de plus fort afin qu’à la simple vue de l’œuvre, l’émotion doive nous submerger au point que sa fonction de base devienne secondaire. Elle insiste également sur la multitude des formes et techniques artistiques. Finalement, ils s’accordent surtout sur la plus grande différence entre artiste et artisan : on est artiste alors qu’on devient artisan.


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Qndmc Jerémy : Un artisan n'est pas forcement artiste, l'inverse ne fonctionne pas spécialement non plus, par contre l’artisan d’art est les deux. Chaque artisan dans sa spécialité peut être considéré comme artisan d’art, une coiffeuse, un plâtrier, un carrossier, une fleuriste, un métallier, un charpentier… peuvent, avec du savoir-être et du savoir-faire, devenir artisans d’art. Il leur suffit de combiner, de diriger leur savoir, leur maîtrise vers la création. Le véritable artisan est censé valoriser au mieux sa matière, lui donner une forme, souvent élégante, précise et sensée pour que son ouvrage devienne une œuvre. Si cette œuvre est techniquement réussie, si elle exprime une pensée, alors elle devient une œuvre d’art. Si cette même œuvre nous montre une extrême maîtrise du travail de la matière, un réel savoir-faire, le temps passé à sa réalisation, alors on peut la considérer comme chef d’œuvre.

La réalisation d’un artisan doit répondre à un cahier des charges. Il doit tenir compte des contraintes techniques et de l’environnement de l’ouvrage, par exemple pour un escalier et sa rampe. L’escalier est un ouvrage complexe dont il faut connaître les méthodes de relevé, de tracé, de fabrication, de pose. Plusieurs corps de métiers peuvent s’allier dans cet ouvrage : des limons en acier avec des marches en verre, une rampe en ferronnerie d’art, une main courante en bois débillardée. De plus en plus d’entreprises se spécialisent dans ce type de réalisations volumiques, mais elles doivent répondre à des préoccupations économiques et de ce fait, industrialisent leur production.

Au lieu d’adapter l’ouvrage à l’environnement et faire du sur-mesure, l’industrie fait en sorte que l’environnement s’adapte à l’ouvrage. Principalement par souci d’économie, les industriels font des concessions sur la Toute œuvre, même chef d’œuvre, n’est jamais parfaite. qualité, les finitions, les sections utilisées, la provenance L’artisan qui l’a réalisé y verra toujours un défaut, une des matériaux ou matières premières. Chaque métier imperfection, même infime, et fera tout pour l’améliorer, de l’artisanat a de fait son équivalent industrialisé, les alors que le novice pourra considérer un simple ouvrage deux pratiques étant distanciées par la recherche de réussi comme chef d’œuvre. L’œil affûté, une connaisl’optimisation des temps de production, de stockage sance du métier, des styles, de la technique et une pin- d’un côté, lorsque l’artisan applique consciencieusement cée de sensibilité, permettront à ce même commun des toutes les étapes que lui ont enseigné ses pairs. mortels d’apprécier et pourquoi pas de juger un simple Une conséquence directe est la disparition progressive ouvrage ou un chef d’œuvre. des métiers artisanaux, leur part de marché investie par l’industrie. Les consommateurs, ne connaissant plus L’artiste qui met en forme de la matière n’en n’a pas for- la différence ou n’ayant pas l’éducation de cette diffécément la maîtrise physique. Le résultat est une image, rence, n’achètent principalement qu’une production une expression, une émotion. Une comparaison est pos- industrielle. L’artisanat, dans certains domaines d’activisible avec deux artistes peintres, l’un reproduisant très tés, devient de ce fait très rare et donc luxueux. justement ce qu’il voit, l’autre nous faisant croire d’un Seul l’artisan d’Art arrive à se défendre face aux industableau en monochrome qu’il s’agit d’une photo, d’un triels, la fabrication industrialisée atteignant rapidepaysage ou d’une nature morte. Le premier passe des ment ses limites quand il s’agit de productions heures à mélanger des couleurs sur le bout de son pin- artistiques. ceau pour représenter la bonne lumière, la bonne ombre, le meilleur profil, la meilleure expression, alors que Cependant, l’industrie, la technologie, l’innovation perle second en quelques minutes, voire quelques semettent aussi de faire progresser les métiers artisanaux. condes va projeter un blanc sur la toile. Les deux ont Des procédés de découpe, d’usinage, de cuisson, de voulu exprimer quelque chose et peuvent être considé- stockage… donnent à l’artisan l’occasion d’approfondir rés comme artistes. Le premier a une valeur de temps, son savoir en alliant la technologie à son savoir-faire de technique et de maîtrise que n’a pas le second, mais ancestral. ce dernier peut avoir plus d’expression, interroger plus que le premier.

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Julia : L'artisan peut s'attacher à créer des objets souvent propre à un usage spécifique. Pour le réaliser, il utilisera les matériaux appropriés et les mettra en œuvre par des gestes appris minutieusement. La maîtrise de la technique est au cœur de son métier et l’excellente maîtrise est le gage d’un ouvrage réussi. Cependant, elle est parfois tellement bien dominée que l’artisan arrive à transfigurer un objet en œuvre d’art, sa maîtrise étant parfois tellement pointue qu’il peut se permettre de créer des formes, des textures extraordinaires qui font de ses ouvrages des œuvres d’art. L’artiste, quant à lui, souhaite exprimer une émotion, un point de vue, dénoncer des principes ou des fonctionnements de société. Il met la technique au service de sa pensée. Pour parvenir à créer, il utilisera le procédé qui lui semblera le plus approprié pour transmettre son message. Il pourra ainsi en changer régulièrement : fusain sur papier, peinture à l’huile, aquarelle, peinture à l’eau, modelage de terre crue, céramique, musique, performance, sculpture sur bois, sur pierre, sur sable, collage, etc. Sans chercher à maîtriser parfaitement une technique, il s’agira simplement de la mettre au service d’un message ou d’une émotion. Elle devient ainsi un outil de transmission au service de l’artiste. L’œuvre d’art sera réussie si l’artiste aura pu transmettre l’émotion quelle que soit le procédé utilisé et le degré de maîtrise de celui-ci. 19

À l’inverse, certains artistes réussissent leur chef d’œuvre grâce à l’excellente maîtrise de la technique choisie. D’autres, même, trouvent l’inspiration par les contraintes imposées par la manière de faire elle-même. La frontière est donc mince entre le travail de l’artiste et le travail de l’artisan. Peut-être la différence résidet-elle finalement dans l’intention de départ et le parcours pour arriver jusqu’à la création complète de l’œuvre ou de l’ouvrage.

Marques-pages conçus et expérimentés par XII pour QNDMC


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Kroppsrom ( Pièce corporelle) Atelier Oslo Traduction & Introduction : Ugo Ribeiro Le projet Kroppsrom est un pavillon temporaire construit à la suite d’un concours organisé pour l’exposition : « Under 40. Young Norwegian Architecture 2013 » au Musée d’Architecture d’Oslo. Cette exposition a rassemblé onze agences d’architecture norvégiennes dont les architectes ont moins de quarante ans. Elle présente leurs travaux, leurs réflexions face aux problèmes sociétaux actuels.

À travers ce projet, notre objectif était de proposer une expérience qui dépasse les expériences architectoniques standardisées et réglementées tout en ayant une réflexion critique sur l’une des tendances actuelles que porte l’architecture, à savoir la relation entre l’espace et le corps.

L’installation a été conçue comme une séquence d’expériences, incluse dans un large espace continu, permetLe présent texte relate la génèse du pavillon Kroppsrom, tant ainsi à l’observateur de se déplacer librement. depuis sa conception jusqu’à sa construction. Toutes ces expériences spatiales ont des proportions et des relations différentes vis-à-vis du corps. Des ouLa typologie du pavillon temporaire représente toujours vertures étroites et des marches hautes sont autant de moyens pour le visiteur d’utiliser son corps d’une maune opportunité pour les architectes, designers et artistes d’explorer des approches innovantes. De ce fait, nière qui lui était jusqu’ici inconnue. L’architecture dele pavillon Kroppsrom, réalisé au Musée National d’Arvient un espace sur mesure. Ainsi le pavillon fait prendre conscience au visiteur de la richesse de l’espace qui chitecture d’Oslo pour l’exposition : « Under 40.Young Norwegian Architecture 2013 » concrétise une recherche l’entoure en exaltant son expérience sensuelle de menée sur la notion de création, d’adaptation et d’expé- l’architecture. rimentation d’un espace architectonique « sur mesure ». 20


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Une fois nos intentions clarifiées, nous avons essayé de créer une expérience « non déterministe » ; il n’y a pas de façons prédéterminées de découvrir les différentes situations spatiales. Le parcours est définit par la volonté que le visiteur a de découvrir ce qui se cache au détour d’une courbe ou derrière la subtile lumière qui éclaire les coins les plus mystérieux de ce pavillon. Tout aussi bien inspiré par la nature, il peut utiliser ces espaces comme bon lui semble, tout comme la pierre, qui dans la forêt, devient tour à tour une chaise, une table ou un lit, suivants les intentions et l’imagination de chacun. Le processus de conception du pavillon a été un aspect très important du projet et nous avons essayé de faire correspondre au mieux nos envies d’avoir un espace libre avec la rigueur imposée par les logiciels de dessin et de conception. Même si les outils numériques ont été précieux dans la création de l’objet final et dans sa méthode d’assemblage, les outils plus traditionnels ont bien entendu été aussi indispensables lors de la conception. Ainsi, de nombreuses maquettes faites dans toutes sortes de matériaux ont été réalisées afin de nous aider à mener à bien ce projet. Lors de la construction, nous avons cherché un matériau facile à assembler et qui serait en mesure de conférer au pavillon les qualités recherchées : espace chaleureux et flexible, homogénéité des surfaces et bien évidemment l’expérience sensorielle de la matière ( odeur, toucher, vue ). Nous avons décidé de travailler avec des panneaux de contre-plaqué de 4 mm et 30 mm, un matériau bien connu puisqu’il est régulièrement utilisé dans les pratiques éducatives ( workshop ) et renvoie de façon plus indirecte à l’utilisation traditionnelle du bois dans l’architecture norvégienne, celle-là même que nous expérimentons au quotidien. À la suite de cette décision, nous nous sommes autorisés à voir ce matériau d’une nouvelle manière, en le « découvrant » et en expérimentant d’autres technologies que celles que nous avons l’habitude d’utiliser. Finalement, la préfabrication de ces éléments, réalisée par une CNC ( découpe des panneaux par fraisage ) nous a permis d’avoir un contrôle sur la conception aussi bien que sur la fabrication de ce pavillon et ce dans un temps très restreint.

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Durant la phase de conception puis de production des pièces à assembler, nous avons dû nous rendre à l’évidence qu’il serait impossible d’atteindre l’objectif souhaité dans le temps imparti sans l’utilisation d’outils de conception 3D. Ceux-ci sont par ailleurs devenu de plus en plus prépondérants dans la pratique architecturale, ils sont désormais partie intégrante du savoir-faire d’un architecte ; c’est pourquoi nous continuons à les utiliser dans notre pratique quotidienne. Nous avons également été très regardants quant à la méthode d’assemblage à utiliser pour monter le pavillon. À ce titre nous avons suivi la construction de très près et nous y avons même participé autant que possible. Nous avons conscience que notre connaissance de la matière, celle qui nous permet d’explorer de nouvelles techniques, s’appuie sur l’expérience et la manipulation concrète de celle-ci lors de la construction. En repoussant les limites de la matière, on repousse les limites de notre propre pratique. C’est à ces investigations que notre approche de l’artisanat se rapporte. Non comme objectif de nos recherches mais comme sens à donner à la réalisation de celles-ci. Dans ce contexte, la compréhension que nous avons du thème « artisanat » n’est pas une réinterprétation directe d’anciens matériaux à travers de nouveaux usages mais plutôt la relation profonde et grandissante qu’un concepteur établit avec la matière qu’il utilise et donc la capacité qu’il a d’exprimer sa créativité à travers celle-ci. Cette relation établit la manière dont nous sommes capables d’approcher chaque projet dans notre pratique, comme un lien qui n’a de cesse de se renforcer avec la matière que nous manipulons. Ce point de vue nous permet également d’élargir notre champ de perspectives en vue de transcender les questions du projet « isolé » en transférant concepts, savoirs et compétences à d’autres problèmes qui nous entourent. Chaque projet, chaque recherche devient une nouvelle corde de plus à notre savoir d’artisan.




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Tryptique Laure Veyre de Soras & Magali Michaud En quittant l’École et la France en novembre 2011, Un terrain de recherche dans lequel aucune piste n’est nous avons entrepris un voyage de six mois autour plus négligée. L’échelle du projet diminue parfois, mais du monde pour découvrir en partie l’Inde, Singapour, sa nature est transformée, étendue, remise en question. Tokyo, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Ainsi, les pratiques se diversifient et l’on a pu observer Dans chacun de ces lieux, aux cultures et aux paysages une très large palette d’objets produits. parfois diamétralement opposés, nous avons rencontré plusieurs agences qui font l’architecture d’aujourd’hui. Dans ce contexte, il est évident que la question de l’Artisanat doit, elle aussi, être posée et actualisée pour En questionnant leurs outils, leurs méthodes ou leurs s’immiscer ou demeurer dans la production contempodémarches, nos recherches ont visé à définir certains raine. Sur la base de nos interviews et de nos photos, processus de création actuels. Notre attention, portée sur des approches et / ou des formes de production sin- et en nous appuyant sur certains projets significatifs, gulières, nous a permis de nous faire une petite idée des nous proposons de répondre au sujet à travers l’évocation de trois profils particuliers. Ce triptyque nous paraît multiples façons d’être et de devenir architecte. Il nous semble que l’architecture de ces jeunes agences s’ouvre être l’une des illustrations possibles du futur de l’artisanat dans la pratique architecturale. de plus en plus à un environnement pluridisciplinaire. 26


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Veyre de Soras & Michaud

1. Studio Mumbai 16 Dec, 12 : 30, Bijoy Jain Residence, Nagaon Bunder Rd. Quelle agréable surprise en arrivant à Alibag ( lieu de l’atelier du Studio Mumbai ) devant tant de maquettes, à toutes les échelles, devant cet entrepôt, cette matériauthèque gigantesque, et la jungle comme espace de travail. C’est ici, au milieu de nulle part, que sont imaginés, dessinés, et construits (ou presque ! ) les projets. Un espace multifonctionnel, où tout est sans arrêt en travaux.

Crédits photographiques : Magali Michaud

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Shreyas, un jeune assistant indien, nous promène dans le site en nous présentant quelques aspects de leur travail. Par chance, c’est ensuite Samuel Barclay qui intervient pour nous renseigner sur l’organisation, les processus de recherche et de production, ainsi que les exigences du Studio. L’engagement dans le travail est complet ; ils dorment, déjeunent, et travaillent sur place, 6j/7, à plusieurs heures de Bombay. Le temps de quelques heures, et nous nous immisçons dans le quotidien de ces jeunes travailleurs.


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2. Softlab 23 Avr, 10 : 00, 34 West 27Th Street SoftLab est un studio d’architecture à l’image de Chelsea, le quartier de Manhattan au bord duquel il se trouve. C’est jeune, branché, coloré, rafraîchissant ! Mais bien qu’à Chelsea tout soit devenu très cher, les architectes et designers de SoftLab s’efforcent de trouver des solutions légères et peu coûteuses pour leurs projets et leurs installations.

Crédits photographiques : Softlab

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Pendus au plafond, nous admirons des extraits de leurs projets ; pour la plupart, un grand nombre de pièces en papier, bois ou plastique, assemblées en série pour fabriquer des objets sculpturaux. Michael Szivos nous explique les outils, informatiques et matériels, qui leur permettent de modéliser les pièces à découper, d’imaginer et de tester leurs installations à grande échelle, sous l’effet du vent et des lumières naturelles ou artificielles. Ainsi, ils participent aux recherches sur les nouveaux programmes et les nouveaux médias qui font évoluer la production architecturale contemporaine.


Artisanat

Veyre de Soras & Michaud

3. Schemata Architects 13 Jan, 19 : 00, Kamimeguro Meguro-Ku L’entrée de l’agence est un peu singulière ; difficile de se décider entre la petite boutique que l’on devine dans le fond, le salon, où se dressent seulement deux chaises et une table, et l’escalier étroit qui mène à la mystérieuse mezzanine. On apprend qu’il s’agit d’un espace mixte, partagé entre l’agence d’architecture, le design store, un atelier et une petite galerie d’art. Tous se connaissent bien et collaborent régulièrement sur des projets créatifs.

La visite des locaux est amusante : l’un des architectes s’est installé un matelas entre deux murs pour y élire domicile. Et le lit, recouvert de bouquins, ne nous fait pas envie ! Nous découvrons ensuite un petit réduit sans fenêtre, bien caché sous la mezzanine, où l’artiste de l’agence s’efforce de redonner vie à d’anciennes surfaces en les recouvrant de résine fluorescente. Un très beau travail qui permet souvent d’ajouter à leurs projets d’architecture une fine couche de fantaisie.

Crédits photographiques : Takumi Ota & Magali Michaud

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Qndmc 1. Samuel Barclay Associé de l’agence Studio Mumbai En Inde, l’artisanat est souvent sous-estimé et beaucoup de compétences ne sont pas exploitées. Pourtant, des savoir-faire très spécifiques y sont encore disponibles et le pays ne manque pas de références et de modèles constructifs. Comme au Moyen-âge en Europe, les métiers manuels s’apprennent en observant le travail des plus anciens, en se familiarisant petit à petit aux outils et aux méthodes traditionnelles. L’atelier du Studio Mumbai est un espace de recherche, d’expérimentation, de production, et de stockage. Architectes et charpentiers travaillent côte à côte, et parallèlement sur chaque projet, depuis l’esquisse jusqu’à sa réalisation. Ils échangent leurs points de vue en permanence pour que le projet se construise grâce aux compétences des deux corps de métiers. Il était plus compliqué de passer par des entreprises qui ne comprenaient pas la demande, que de travailler directement avec les artisans locaux. C’est en constatant ce problème que Bijoy imagine une manière différente de concevoir et de produire l’architecture. Leur architecture tire parti du fort potentiel de la culture indienne. Le Studio Mumbai s’approprie des lieux de la vie quotidienne, des rues, des ambiances, des structures. C’est un long travail d’observation et d’analyse pour apprendre et comprendre les compétences traditionnelles et les techniques locales. Tout passe par l’étude approfondie des matériaux, par la production de maquettes à grande échelle, de sketches et de dessins inspirés de la réalité. Ce n’est pas le processus de création qui les intéresse – bien qu’extraordinaire – mais la matérialité du projet construit et l’environnement qui en résulte. « Chaque projet diffère en fonction du site dans lequel il s’inscrit. Nous n’utilisons pas les mêmes matériaux et techniques constructives selon l’endroit de l’Inde où nous construisons. Il est nécessaire de toujours ajuster notre architecture. Travailler avec les méthodes et les ouvriers locaux est aussi un bon moyen de réduire les coûts de la construction. » Le travail des charpentiers est remarquable. Ils représentent l’espace et les matériaux en maquette, dessinent en perspective les détails et l’agencement du projet. Toutes les solutions constructives ainsi que tous les matériaux proposés sont consignés dans des carnets. Ils y détaillent aussi les coûts de chaque pièce à produire, en fonction d’un savoir-faire particulier. « Aucun de ces artisans n’a étudié l’architecture. Pourtant, ils sont tous capables de dessiner et de construire des maquettes mieux que les architectes ! (…) Travailler en Inde, à petite échelle, nous permet de construire la maquette et le projet avec les mêmes artisans. Ils sont également en charge de produire tout le mobilier et fabriquent tous les détails à taille réelle. » 30


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Veyre de Soras & Michaud

2. Michael Szivos Fondateur de l’agence SoftLab

3. Jo Nagasaka Fondateur de l’agence Schemata Architects

« Le milieu universitaire est intéressant car d’une certaine façon il est tellement éloigné du monde réel que c’est l’endroit idéal pour développer de nouvelles idées. C’est un lieu qui déborde de connaissances. Je n’enseigne pas les codes de l’architecture, d’autres le font mieux. Quand je commence un cours, j’explique que c’est par la pratique que l’on acquiert et maîtrise des techniques. »

Avec une simplicité remarquable, le studio de Jo Nagasaka restructure et rénove des architectures de la période d’après-guerre au Japon. Il crée des espaces ouverts et vibrants qui révèlent une matérialité brute. En adoptant une attitude positive et légère, il propose de nouveaux types d’espace et fournit des logements appropriés à la complexité des styles de vie contemporains.

« Au départ, je voulais construire de grands bâtiments, mais désormais je ne veux pas aller au-delà du design d’intérieur, de l’installation. À cette échelle, vous contrôlez le niveau de détail et vous avez plus d’emprise sur le processus. Ce n’est pas une chose à laquelle j’avais pensé avant d’ouvrir l’agence, mais c’est quelque chose qui nous satisfait aujourd’hui. »

Diplômé de la Faculty of Fine Arts of Tokyo University, Jo Nagasaka fonde en 1998 Studio Schemata, les prémices de l’actuel Schemata Architects. En 2007, il monte HAPPA, un bureau multidisciplinaire qui associe une galerie, une boutique et d’autres commodités.

Depuis bientôt cinq ans, Michael Szivos enseigne à un groupe d’étudiant les moyens qu’il met en œuvre pour construire : des matériaux et des assemblages simples, réfléchis, dans un souci d’économie et d’innovation. « Maintenant, à l’école, les étudiants conçoivent des projets comme des performances professionnelles. On veut mener à bout le plus de projets possibles. (…) Il y a beaucoup de gens talentueux, mais tout le monde se demande : ces jeunes gens peuvent-ils construire quelque chose ? »

« J’ai trouvé ce studio qui était trop grand pour moi, alors j’ai dû trouver aussi d’autres personnes avec qui le partager, en sachant que je ne voulais pas m’installer avec une autre agence d’architecture. Maintenant c’est une sympathique combinaison : un designer nous a rejoints il y a deux ans, la boutique a ouvert et l’artiste a installé son atelier. Je ne veux rien changer : j’ai besoin du peintre pour les projets et de la galerie parce que j’aime l’art. » Les locaux sont remplis d’éléments recyclés et de matériaux à l’état brut ; le béton au sol est couvert d’éraflures et de grains, les cloisons de la galerie sont en aggloméré légèrement peint en blanc, l’agence elle-même est suspendue sur une mezzanine dont certaines parties réutilisent largement des matériaux de récupération.

En accompagnant ses étudiants dans le design et dans la réalisation de leurs projets, il propose un enseignement pratique, et des méthodes constructives appliquées.

L’atmosphère générale reflète bien la méthode et l’approche architecturale de Schemata Architects : faire En tant qu’atelier expérimental, SoftLab accepte parfois fusionner l’ancien et le nouveau, le traditionnel et le des projets étranges, difficiles, flous, mettant en œuvre contemporain et donner une vie nouvelle aux objets de multiples techniques. Les contraintes de chaque et à l’architecture en travaillant la matière avec préciprojet sont traitées comme des opportunités et étudiées sion. Plusieurs de leurs projets – dont Aesop Tokyo dans un univers collaboratif, avec l’espoir de pouvoir Aoyama shop – présentent les mêmes techniques résoudre des problèmes typiques d’une nouvelle made réemploi pour créer des espaces qui célèbrent nière, en utilisant de nouveaux outils. le détail et les vies successives d’un même matériau. Grâce à un mixe unique de savoir-faire au sein de l’agence qui embauche designers, artistes, architectes et professeurs, le studio est capable d’aborder chaque projet de façon originale, et de créer des expériences spatiales, visuelles, graphiques et interactives puissantes.

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Les mêmes principes sont mis en œuvre à plus grande échelle quand il s’agit de travailler sur la rénovation d’appartements – Sayama Flat – ou d’une maison individuelle – House in Okusawa. C’est une architecture qui s’applique précisément à transformer sans effacer, à mettre en valeur des qualités ou des événements existants dans un nouveau contexte.



Artisanat

Dominique Gauzin-Müller

Vorarlberg : un nouvel Arts and Crafts au cœur de l'Europe Dominique Gauzin-Müller Crédits photographiques : Dominique Gauzin-Müller Le Vorarlberg, ce petit Land situé à la pointe ouest de l’Autriche, sur les bords du Lac de Constance, attire depuis 20 ans les professionnels du bâtiment et de l’aménagement territorial du monde entier. Politiciens, architectes, ingénieurs, artisans, industriels… y déploient ensemble la transition écologique à petits pas décidés, en se fixant des buts précis et pragmatiques, atteins au terme prévu, qui servent de tremplin à l’étape suivante. Le nouvel objectif visé est particulièrement ambitieux : l’autonomie énergétique à l’horizon 2050. Nul doute qu’il sera obtenu en conjuguant la montée en puissance d’un bouquet d’énergies renouvelables et une réduction drastique des besoins, par la sobriété dans les comportements et l’efficacité des équipements. 33

L’étroite collaboration entre architecture et artisanat est un des moteurs du modèle écologique, économique, social et culturel du Vorarlberg. Elle s’appuie sur la tradition des Barock Baumeister, maîtres d’œuvre du Bregenzerwald, le centre montagnard de la région. Aux 17e et 18e siècle, des centaines d’artisans partaient alors d’avril à octobre construire églises et monastères baroques en Suisse, en Allemagne du sud et même en Alsace et dans le Jura. Le partenariat entre ceux qui conçoivent et ceux qui réalisent a trouvé un nouveau souffle dans les années 1980 avec le mouvement lancé par une poignée d’architectes férus d’écologie : les Baukünstler ( artistes du bâtiment ).


Qndmc Simplicité, sobriété, beauté : vers l’œuvre d’art totale À la croisée des chemins entre l’héritage des Barock Baumeister et l’influence des Baukünstler, s’épanouit depuis 1999 au cœur du Land le modèle d’un « Nouvel artisanat » : le Werkraum Bregenzerwald. La philosophie qui anime ses membres rappelle celle du Arts and Crafts anglais et des mouvements qu’il a inspirés : l’école de Glasgow autour de Charles Rennie Mackintosh, le Werkbund allemand et surtout les Wiener Werkstätte autrichiens. Dans le programme qu’il a écrit en 1905, le Viennois Josef Hoffmann résume ce qui le poussait alors à donner une importance accrue à l’artisanat : « Tant que nos villes, nos maisons, nos salons, nos armoires, nos ustensiles, nos vêtements et nos bijoux, tant que notre langue et nos sentiments ne symboliseront pas dans leur beauté, leur simplicité et leur sobriété l’esprit de notre temps, nous serons très en retard sur nos ancêtres. Aucun mensonge ne saurait nous faire oublier toutes ces faiblesses. »

Werkraum Bregenzerwald, le modèle d’un « Nouvel artisanat » L’association Werkraum Bregenzerwald regroupe environ 70 membres : un sur trois est menuisier, les autres sont charpentiers, serruriers, électriciens, chauffagistes, constructeurs de poêles à bois, agenciers, tapissiers, créateurs de vêtements, de chaussures ou de bijoux. Sa directrice, Renate Breuß, précise : « Le Werkraum n’a pas seulement une importance culturelle mais aussi une forte valeur économique : 40% de la population du Bregenzerwald travaille dans de petites entreprises du commerce et de l’artisanat. » Soutenue par des communes et des sponsors, l’association est subventionnée par le Land, le gouvernement fédéral et l’Union européenne dans le cadre du développement régional. Dans le Impulszentrum de Egg, une sorte de pépinière d’entreprises, elle a ouvert un centre de compétences et de services qui coordonne les échanges, la documentation et les expositions ainsi que la formation initiale et continue. Cette plate-forme, réelle et virtuelle, est au

« Nous abordons notre travail avec l’exigence de créer des objets du quotidien inspirés de la tradition, modernes sans être à la mode, beaux, pratiques, fonctionnels et sains. » Markus Faißt, menuisier à Hittisau, membre du Werkraum Bregenzerwald Les membres du Werkraum Bregenzerwald travaillent eux aussi à la promotion de l’innovation dans les arts appliqués et l’architecture, se démarquent de la société de consommation dominante et proposent une alternative à la banalité de la production industrielle. Leur idéal s’appuie sur des valeurs sociales et culturelles, mais leur pragmatisme ne fait pas l’impasse sur les réalités économiques. Ils défendent un artisanat qui permet à l’ouvrier de s’épanouir et d’être fier de son ouvrage, car il participe à chaque étape de sa réalisation. Ils mettent en avant les matériaux bruts : bois massif, tissus en fibres naturelles, enduits à base d’argile… Ils prônent la simplicité voire le dépouillement, estimant qu’un beau meuble ou un bel objet se suffit à lui-même. Ils veulent réhabiliter le travail « fait main », sauvegarder les techniques traditionnelles et les transmettre aux jeunes. Ils ne renoncent pourtant pas à une esthétique contemporaine, et collaborent avec les designers et architectes locaux. Conscients de leur chance de vivre dans un environnement sain et un paysage alpin bucolique, les artistes-artisans du Vorarlberg apprécient les produits du terroir et la cuisine raffinée qui y est servie. Ils participent aux manifestations culturelles de leur région, nombreuses et de qualité depuis la création de l’association Kulturforum Bregenzerwald en 1992. Ils réalisent ainsi à leur manière « l’œuvre d’art totale qui englobe tous les domaines de la vie » chère à Josef Hoffmann.

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service des membres et des clients. L’année de la fondation du Werkraum Bregenzerwald a été marquée par les premiers « Entretiens » sur le thème « Communauté, identité, qualité » suivis de « Marketing » en 2000, « Culture du bâti » en 2001 etc. Une revue baptisée Werkraumzeitung paraît chaque année et un concours intitulé Handwerk + Form ( artisanat + forme ) est lancé tous les trois ans. Baptisée « Meubles pour tous », l’exposition qui en découle a été présentée entre autres à Munich et à Paris dans le cadre de « Architecture contemporaine au Vorarlberg – Une provocation constructive », organisé en 2003 par l’Institut français d’architecture. En 2005, l’association a ouvert à Schwarzenberg le Werkraum Depot, un espace de rencontre et d’exposition de 300 m2 permettant au « Nouvel artisanat » de présenter à un large public meubles et objets usuels. Il a déménagé pendant l’été 2013 à Andelsbuch, dans un bâtiment en acier et bois conçu par le grand architecte suisse Peter Zumthor.


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Werkraum Depot, 2003, Schwarzenberg, Le Werkraum Depot de Schwarzenberg était jusqu’à son déménagement à Andelsbuch en 2013 l’espace d’exposition et de rencontres du « Nouvel artisanat » du Vorarlberg.


Qndmc Eigen + sinnig, une obstination chargée de sens Renate Breuß et le journaliste Florian Aicher apportent sur cette l’expérience un témoignage passionnant dans un livre à la maquette originale imprimé sur un très joli papier. Le titre est un jeu de mots : eigen + sinnig. Eigen, se traduit par « personnel », sinnig par « chargé de sens », mais eigensinnig veut dire « obstiné ». L’ensemble a de quoi faire sourire ceux qui connaissent le tempérament des habitants de cette région alpine… À travers textes, interviews, photos et dessins, le livre décrit avec justesse et sensibilité l’éclosion du « Nouvel artisanat » : « Celui qui s’est déjà promené dans le Bregenzerwald la remarque – l’élégance de la simplicité. Ici, dans le paysage montagnard des Alpes, s’est épanoui au cours des dernières années une nouvelle culture de la construction et de l’habitat qui saute aux yeux et qui a déjà éveillé un intérêt international. Cette production artisanale dans de petites et moyennes entreprises, avec une grande exigence pour la conception et la fabrication, est devenue un emblème régional – et un important facteur économique. Au sein du Werkraum Bregenzerwald, des artisans et des concepteurs se sont associés pour créer une nouvelle culture du travail, conscients de l’union entre le bon usage et le beau design. Le résultat est une alternative originale et pertinente à la globalisation du ( mauvais ) goût. »

Quand ils ont ainsi grandi dans le respect du travail manuel, il est naturel que des adolescents motivés soient attirés par les 70 entreprises du Werkraum Bregenzerwald. Plusieurs des 120 jeunes qui y sont actuellement formés ont d’ailleurs été récompensés lors du dernier Palmarès régional de l’apprentissage. La main parlant au cerveau aussi sûrement que le cerveau parle à la main, toutes ces initiatives promettent un bel avenir à l’artisanat et à l’architecture du Vorarlberg !

Le Werkraum anticipe l’avenir en proposant deux projets pédagogiques donnant aux gamins le goût du travail manuel. Le « Chantier des enfants » ( Kinder Baustelle ) permet à des jeunes de 5 à 12 ans de découvrir les matières élémentaires – terre, bois, métal, eau et air – à travers l’enseignement de savoir-faire artisanaux et l’utilisation des outils de base. Le projet « Artisanat dans les salles de classe » ( Handwerk in Unterricht ) est une aide à l’orientation professionnelle des collégiens grâce à des journées portes ouvertes organisées par des membres de l’association.

Pour en savoir plus : http ://werkraum.at L’architecture écologique du Vorarlberg : un modèle économique, social et culturel, 2009, Dominique Gauzin-Müller, Edition Le Moniteur

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Salle d’exposition de la tour de bureaux de 8 étages avec murs en bois et planchers bois-béton, 2012, Dornbirn. La qualité de la mise en œuvre de l’architecture du Vorarlberg est légendaire, surtout dans le domaine de la charpente et de la menuiserie. Maître d’ouvrage : Cree by Rhomberg Architecte : Hermann Kaufmann

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Werkraum Depot, 2003, Schwarzenberg, Chaque membre de l’association Werkraum Bregenzerwald peut présenter et vendre ses œuvres dans le Werkraum Depot qui a quitté en 2013 son siège provisoire de Schwarzenberg pour un bâtiment dessiné par l’architecte suisse Peter Zumthor et situé à Andelsbuch.


Katarzyna, 2013, Amaury Poudray


Artisanat

Amaury Poudray

Rozmowa Amaury Poudray Crédits photographiques : Tiphaine Vasse Rozmowa est une série de cinq objets composés de surfaces de cuivre et de contenants en verre. Le verre est imparfait et soufflé sans moule, les formes simples du cuivre sont précises et ajustées. Réalisés en France, ils sont nés des nombreux échanges entre les artisans, entre le designer et les artisans puis plus en amont entre le designer et le galeriste. Ces objets en apparence sobres sont le résultat de dialogues riches. Ils dégagent une énergie, ils nous rappellent la chaleur du feu nécessaire à leur formation.

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Chacune des cinq pièces porte un nom polonais afin d’exprimer la vision personnelle du designer, selon son expérience, sur les habitants de ce pays. Rozmowa exprime le décalage qui existe entre les apparences et la réalité. Ces volumes élémentaires aux noms de citoyens polonais semblent toujours animés par l’Histoire qui les a façonnés. Rozmowa ( conversation en polonais ) se compose de Katarzyna, Piotr, Ola, Agnieszka et Maciej.


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Rozmowa est un projet qui me tient à cœur, lié directement avec mon expérience en Pologne. J’ai appris à connaître cette culture qui est, au fond, assez différente de la mienne. Cela m’a fait prendre conscience de la diversité culturelle européenne et de la complexité de son Histoire. La Pologne est marquée par son histoire récente, qui s’étend de la seconde guerre mondiale jusqu’à la période communiste en passant par l’activité minière et industrielle. Ces événements historiques ont façonné des générations et persistent subtilement dans la vie quotidienne polonaise d’aujourd’hui. Cette subtilité m’a inspiré. Elle m’a fait ressentir la marque indélébile mais discrète de notre passé commun.

De manière générale, mes projets ont pour but principal de montrer le processus et les associations nécessaires à l’existence de l’objet. Sa finalité n’est intéressante en soi que grâce au processus qui l’a amené à exister. Du concept au résultat, il se joue une histoire complexe, issue des dialogues et des rencontres, faisant apparaître la signification profonde de la collection. Je souhaite ouvrir le dialogue sur l’incroyable diversité des cultures mondiales, sur la multitude d’interprétations possibles et sur l’ouverture d’esprit nécessaire à obtenir pour s’imprégner des autres et vouloir les comprendre.

Rozmowa représente des citoyens en perpétuel dialogue avec leur histoire et ses racines vivaces. Ces vases, boîtes et coupes à fruits matérialisent un ressenti personnel sur la culture polonaise par le biais d’associations de formes et de matières. Chaque pièce associe un minimalisme et une complexité, entre formes géométriques et imprécisions manuelles. L’apparence plutôt froide et précise de la collection s’oppose à la chaleur brute de la flamme qui a permis sa mise en forme ( soufflage de verre et soudures au chalumeau ). La flamme joue ici le rôle de l’Histoire et l’objet le rôle de l’individu. 40

1 Piotr, 2012, Amaury Poudray 2 Ola, 2012, Amaury Poudray


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Revisiter l'âge artisanal L'a�ect et le ratio dans la production architecturale digitale Jan Willmann, Fabio Gramazio, & Matthias Kohler Au 19e siècle, c’était l’artisanat, pendant le modernisme, la rationalité de la machine – De nos jours, c’est la logique numérique qui exige d’être introduite dans le contenu architectural. Cette logique remet en cause l’architecture en tant que pratique dans laquelle les repères culturels d’une époque trouvent une concrétisation dans la physicalité de son environnement bâti. En effet, avec « la computation architecturale », « la personnalisation de masse » et « la fabrication digitale », se profile un changement fondamental dans l’architecture.a

le même paradoxe déjà révélé par le modernisme en son temps.

Aujourd’hui, à l’aube de sa révolution numérique, l’architecture doit s’adapter continuellement au sein d’un « champ de force technologique »b en constante évolution. C’est précisément dans cette période de changement culturel radical que la question des conditions de production en architecture ressurgit, tout en conservant

Pour aborder la question du changement de ces conditions, et de sa dimension technologique, il est nécessaire de traiter à la fois les implications et les raisons qui construisent la base de ce changement massif. Cette évolution ne doit pas être résumée à une progression linéaire de la technologie, mais doit être perçue

Cette évolution ne doit pas être seulement considérée comme un tournant technologique majeur, mais elle conduit également, selon Antoine Picon à la thèse selon laquelle les nouvelles conditions de production architecturales reflètent à la fois l’expression d’une culture constructive innovante tout autant que l’une de leur caractéristique fondamentale.c

a Digital Materiality in Architecture, 2008, F. Gramazio, M. Kohler, Lars Müller Publishers, Baden b Architekturtheorie heute, 2008, J. H. Gleiter, Transcript, Bielefeld, p. 11–26

c Digital Culture in Architecture, 2010, A. Picon, Birkhäuser, Basel, p. 212–213

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Willmann, Gramazio & Kohler

comme une conséquence des « déplacements globaux »d qui doivent être examinés dans une perspective systémique plus large. En effet, bien qu’il existe différentes définitions de ce thème, l’approche suivante semble particulièrement pertinente : de nos jours, l’habitat numérique s’exprime comme un arte-fact constructif qui se détache de plus en plus des dessins conventionnels, résultant plutôt d’un « codage algorithmique »e pouvant se développer dans la variation et l’espace. D’autre part, cela ne signifie cependant pas que le rôle du designer en soit exclu. La conception architecturale reste toujours guidée par une intention formante. Cela ne sous-entend en aucun cas que l’affect et la créativité du concepteur soient devenus obsolètes. Bien au con-traire, les nouvelles technologies d

numériques permettent aux processus de conception et de fabrication de devenir médiateurs d’une nouvelle réalité constructive entre l’environnement et l’humain.* En somme, la question des nouvelles conditions de production ne contient pas seulement un côté technologique rationnel, mais aussi un côté affectif. Cette relation « transversale » pose la question du statut de la production architecturale à l’ère numérique, et de l’histoire dont elle en est issue. C’est dans cette optique que cet essai présente un changement fondamental ne pouvant appartenir qu’à une histoire plus large, favorisant le retour des ontologies « transversales »f de la production architecturale, à l’ère du numérique. f

Technological Systems and Technological Thought, R. Fox, ed., Technological Change : Methods and Themes in the History of Technology, 1996, Volume 1, A. Picon, OPA, Amsterdam, p. 37–49

e The Alphabet and the Algorithm, 2011 M. Carpo, MIT Press, Cambridge, MA., p. 47

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Le résultat architectural de l’extension des dialectiques artisanales et de la production machinique, Spatial Aggregations, 2012, Gramazio & Kohler, ETH Zurich Copyright : Gramazio & Kohler, ETH Zurich

Dans cette discussion, le terme « transversal », dérivé du mot latin « transverse » et décrivant une ligne géométrique qui croise tout système d’autres lignes transversalement, est d’abord défini comme la relation de critères architecturaux qui sont normalement détachés les uns des autres. Par conséquent, on peut affirmer que, dans une définition complémentaire, l’utilisation du terme «transversal» implique que dans le contexte de nouvelles conditions de production à l’ère du digitale de l’architecture peut être à la fois affective et rationnelle, sans pourtant nécessairement s’exclure mutuellement, mais pouvant être le résultat d’une convergence architecturale, par exemple.


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Exemple de nouvelles conditions de production architecturale Détail d’un paysage de sable produit par mécanisme robotique, Procedural Landscapes, 2011, Gramazio & Kohler, ETH Zurich copyright : Gramazio & Kohler, ETH Zurich

2 Précision géométrique, un paysage conçu et produit algorithmiquement Procedural Landscapes, 2011, Gramazio & Kohler, ETH Zurich copyright : Gramazio & Kohler, ETH Zurich

4 La reconstruction du Parthenon Grec par Gottfried Semper, Style in the Technical and Tectonic Arts, Or, Practical Aesthetics, 1860—63, Gottfried Semper

3 Prototype en béton du projet coulé à échelle réelle, Procedural Landscapes, 2011, Gramazio & Kohler, ETH Zurich copyright : Gramazio & Kohler, ETH Zurich

5 Technologies de Tissage, Style in the Technical and Tectonic Arts, Or, Practical Aesthetics, 1860—63, Gottfried Semper

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Esthétiques pratiques À partir du milieu du 19e siècle, la transition entre techniques traditionnelles de construction et mécanisation de la production met en exergue un point important, jusqu’à présent rarement abordé, concernant l’étroite relation entre l’architecture et les caractéristiques mécaniques des matériaux. Gottfried Semper a introduit le premier cette question par le biais de son livre, Le Style dans les arts techniques et tectoniques, ou Esthétiques Pratiques ( 1860—63 ). Animé par l’idée que « le style est la conformité d’un phénomène artistique avec sa généalogie, avec toutes les conditions et les circonstances de son devenir », Semper essaya d’établir une cohérence entre l’acte intellectuel de conception et l’acte matériel de fabrication. Il développa dans cette définition, une approche plutôt « algorithmique » de la matérialité se retournant contre les notions idéalistes d’Art et d’Architecture et portant plutôt son attention sur une idée se matérialisant en une chose en soi.g Comme Semper le montre, la nature intrinsèque des formes matérielles complexes de l’art et de l’architecture ne peut pas être simplement inventée. Elle représente la congruence des matériaux avec leur devenir, non pas dans un sens « d’absolutisme », mais plutôt comme un processus.h Selon Semper, cette notion s’avère évidente dans les confections textiles où les coutures et les matériaux tissés fournissent une nouvelle compréhension d’eux-mêmes au fur et à mesure qu’ils émergent et s’assemblent. « Il ne fait aucun doute, » écrit Semper, « que l’un des principes premier du Style soit lié à ces premières techniques artistiques [textiles] ».i Il explique en outre, qu’elles sont « une conséquence naturelle et logique de la matière première »j par laquelle l’invention de la technologie de tissage définit la première forme d’expression matérielle concise, rendant visible la loi naturelle de la construction textile ainsi que son comportement « tectonique ». Ainsi, ce n’est plus simplement l’idée de l’artiste ou de l’artisan qui est considérée, mais également la technologie de travail, ou formulé différemment : les conditions de production.

g Digital Semper, in Davidson, 2000, B. Cache, C., ed., Anymore, MIT Press, Cambridge, MA., p. 190—197 h

« […] la main du producteur n’est presque jamais celle qui a la capacité et le loisir suffisant pour être celle de l’inventeur, du moins lorsque l’invention va au-delà du domaine des sciences empiriques et des mathématiques pour devenir, au moins en partie, une conception dans le sens artistique et formel. »

i Style in the Technical and Tectonic Arts, Or, Practical Aesthetics, 2004, G. Semper, H. F Mallgrave, ed., M. Robinson, ed., Getty Research Institute, Los Angeles, p. 113 j Style in the Technical and Tectonic Arts, Or, Practical Aesthetics, 2004, G. Semper, H. F. Mallgrave, ed., M. Robinson, ed., Getty Research Institute, Los Angeles, p. 171

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Semper fait cependant – conformément à sa définition – une distinction cruciale entre l’acte matériel de production, centré sur le travail du textile, et la pertinence de l’artisan. Dans cette optique, les procédés techniques appliqués au matériau ne conduisent en aucun cas à une expression architecturale. Selon Semper, doivent également s’ajouter les processus manuels de l’artisan et le contexte culturel environnant qui influent sur l’objet purement technique et matériel, de telle sorte que ce dernier devienne quelque chose de spécial autant qu’il devient l’expression de son temps. L’intérêt porté par Semper sur l’intersection ​​ essentielle entre les processus techniques et constructifs que la matière requiert d’une part et le traitement « affectif » créatif, individuel de l’artisan ou du créateur d’autre part, reste bien souvent mal compris : Il est pourtant possible de différencier le côté affectif du matériau de son côté constructif, plus rationnel. Cette considération permit à Semper de redéfinir le rôle de la production, en réajustant la façon dont elle est comprise, forçant de ce fait l’acte de matérialisation à s’engager constamment avec la culture environnante. Grace à Semper, la construction matérielle et l’implication des artisans deviennent deux notions qui recouvrent une seule et même définition, celle de la production de l’art et de l’architecture en tant qu’opération « transversale ».k

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Ici, le terme « construction » représente l’acte matériel de fabrication et inclus la relation entre matériaux, structure et fabrication, et s’étend vers le débat sur l’artisanat et l’assemblage machinique. Compte tenu de cette définition, la construction est directement liée à la technologie existante et comprend des choix stratégiques complexes qui conduisent à des conséquences fondamentales de la relation entre l’architecture, la science et la technologie, mais aussi avec leur dimension culturelle. En étant une force stimulante tout au long de l’histoire architecturale, de Semper de Gropius, la référence à la construction est liée à l’utilisation de la géométrie, de la structure et des matériaux ainsi que des techniques de l’analyse, d’optimisation et de fabrication. Grâce à ce genre de définition, le sens de la notion de « construction » contribue à la définition de l’architecture, mais offre également une perspective générale sur l’histoire technologique de l’évolution des conditions de production en architecture.


Qndmc Un medium de conception moderne La notion de « transversalité » sur laquelle la théorie de Semper se fonde, fait nécessairement appel à une relation fondamentale existant entre la production architecturale et la matérialisation des formes issues de processus numériques. Cela implique ainsi une dimension historique suivant une évolution s’inscrivant dans le cadre de changements technologiques sans précédents. En effet, au tournant du 20e siècle, le débat sur les conditions de production recevait une nouvelle impulsion à travers le passage de l’artisanat à la production de masse, ce que Semper n’avait pas pleinement pris en compte à son époque, lui-même possédant une culture plus liée à la forme. À ce moment, l’architecture embrassait l’âge de la machine, et l’adoption de cette doctrine en général offrit une vue abstraite de l’architecture comme quelque chose reflétant radicalement les conditions de sa réalisation – une interprétation qui provoqua depuis toujours des désaccords entre architectes et théoriciens. En 1926, Walter Gropius énonça dans ses Principes de la production du Bauhaus, des conditions de production modifiées en tant que moyens de laboratoires techniques et sociaux, au sein desquels la différence entre la machine et l’artisan ne serait non pas due à la différence des outils employés dans les deux cas, mais à la division du travail pour la machine face à une tâche indivisible effectuée par un seul homme chez l’artisan. Gropius ajouta ainsi : « le contraste entre l’industrie et l’artisanat est beaucoup moins marqué par la différence des outils utilisés que par la division du travail dans l’industrie et l’unité de l’œuvre dans l’artisanat ».l En d’autres termes, la pensée de Gropius concernant la technologie et les conditions de production en architecture est à la fois nourrie d’un mélange de savoir-faire et de règles intériorisées. Les différents degrés de réflexions, liés au progrès social et aux préoccupations économiques, s’imbriquent. Suivant cette considération, Gropius propose le postulat suivant lequel tous les objets doivent s’adapter au monde moderne. Cette hypothèse s’applique à tous les biens culturels faisant partie intégrante du processus de la socialisation humaine, tels que les téléphones, les voitures et les meubles, mais aussi les maisons dans lesquelles vit l’homme moderne. Il faut de plus noter, ( conformément à la philosophie politique du 20e siècle ) que dans un monde en constante transformation, l’architecture ne peut plus compter sur des moyens traditionnels ou familiers pour résoudre les problèmes actuels. Selon Gropius, elle doit s’étendre au-delà des traditions, s’adapter à l’évolution des besoins des générations présentes et désormais à la mécanisation de la production.

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Cette posture est bien reflétée dans l’approche qu’entretient le Bauhaus vis-à-vis de l’ingénierie et de l’architecture, en termes de fonctions et des besoins fondamentaux, fournissant ainsi un cadre général pour la conception coopérative – une chaise, un bâtiment ou une ville. D’une façon plus large, un nouveau type de « rationalité » évolua, lié à de nouvelles façons d’étudier l’efficacité des processus sociaux, fondé sur de nouvelles relations entre parties et ensemble, mais également entre main-d’œuvre et fabrication mécanique. Des progrès spectaculaires furent de ce fait réalisés à l’époque grâce cette approche, Ceux-ci résultant de la valeur ajoutée découlant de l’application des processus industriels. Composante essentielle pour l’introduction massive de l’optimisation, de la normalisation et de l’économie dans le domaine de la production architecturale, cette approche permit également de rationaliser les composants, les séquences de travail ainsi que la logistique. En conséquence, Gropius estime que l’âge de la machine est l’indication d’un progrès culturel où l’individu aurait été sublimé. Le raisonnement de Gropius est en effet plus culturel que fonctionnel : il n’existe plus de constituants affectifs, physiques ou artisanaux dans la production de masse à partir du moment où les machines et la production de masse n’ont plus d’opérateurs humains.m Par conséquent, la machine en architecture selon Gropius, n’entend rien au comportement individuel ou à l’influence des artisans – elle est le résultat de processus mécaniques répétitifs, purement rationnels. Cela a non seulement donné l’origine de la recommandation de Gropius concernant les objets fabriqués en série, mais a également donné au débat global une direction moderne, liée aux théories économiques et sociales.

m Il faut souligner que la sublimation de l’individu au profit de la machine faite par Gropius est plus différenciée que discuté dans ce contexte. En effet, ce que Semper a initialement défini comme l’influence dans la fabrication des choses, l’inadéquation et de l’imprécision de l’artisan de travail manuel, s’est avéré le modernisme comme l’ingénieur qui projetait des séquences de production, de la logistique de l’assemblage et de l’outillage mécanique. Ces tâches sont en eux-mêmes des systèmes complexes dans lesquels l’ingénieur individu est subordonné à un large éventail de caractéristiques et contraintes du système de production global. Mais, comme l’a dit le droit, l’ingénieur pourrait également avoir une influence individuelle, même si sur une échelle radicalement élargie de la production. L’ancienne influence de l’artisan a donc été décalé mais toujours existante.

Principles of Bauhaus Production, W. Gropius, Bauhaus Dessau in U. Conrads, ed., Programs and Manifestoes on 20th century Architecture, 1971 MIT Press, Cambridge, MA., p. 95

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Pour plus d’informations, voir : La beauté taylorisé de la mécanique, 2006, M.F. Guillén, Princeton University Press, Der Architekt Walter Gropius, 1985, W. Nerdinger, Gebrüder Mann Verlag, Berlin, p. 12—23


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Willmann, Gramazio & Kohler

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6 Serialisation de la production, de l’espace et des composants, Développement du fauteuil « F-51 », 1920 copyright : Walter Gropius, Bauhaus Archive Dessau 7

8 La création d’une culture mécanique lors du passage de l’artisanat à la production de masse, 1906, Chicago

Fournir un cadre général pour le collectif Moderniste du Bauhaus : le Projet de logement pour Dessau-Törten, 1926—1928, Walter Gropius and the Bauhaus copyright : Walter Gropius, Bauhaus Archive Dessau

9 Assemblage de la Ford Model T, adapté à une division séquentielle de la production, et à une certaine efficacité économique copyright : Collections of The Henry Ford and Ford Motor Company

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Qndmc Le retour de l’affect et du ratio À cet égard, Gropius reprit clairement l’ontologie « transversale » de la production architecturale théorisée par Gottfried Semper mais étendit sa définition au cadre anthropologique de la condition humaine ( moderniste ). Contrairement à Semper, qui avait souligné la relation individu-matériau, Gropius donne plus de poids à « l’unité moderniste » : la combinaison de la fabrication rationnelle et du progrès social. De nos jours, à l’ère du numérique, l’enjeu reste identique, indépendamment de la façon dont il peut être atteint et de la façon dont il peut se manifester au sein de la pratique architecturale globale. En effet, relayés par les nouvelles technologies digitales, d’autres potentiels de conception émergent, à travers la réalisation desquels une relation inédite entre de nouveaux processus de fabrication des matériaux et l’environnement culturel peut être saisie.

Une telle connexion n’est en aucune manière directe, mais plutôt «transversale» et confrontée à un certain nombre d’influences et de contraintes. En ce sens, les conditions de production de l’architecture, à l’ère numérique, indiquent un retour fondamental à l’histoire, revisitant l’âge de l’artisanat et l’ère de la production de masse, tout en impliquant un tournant dans la fabrication et la perception des objets. Les nouvelles conditions de production sont par conséquent la force motrice de ce changement, et en même temps leur résultat. Elles favorisent non seulement les changements dans la construction et la fabrication de l’architecture mais elles façonnent également la culture architecturale de notre temps.

La question des conditions de production architecturale détient alors une réponse essentielle : Elle commence à étendre la dialectique traditionnelle entre production artisanale et mécanisation de la production en liant les influences individuelles existantes dans la conception, et la production en série dans la fabrication. Ces influences ne sont de ce fait plus déterminées mécaniquement mais algorithmiquement avec l’aide de l’ordinateur.** Aujourd’hui, c’est dans cette connexion « homme-machine » que réside le potentiel des nouvelles conditions de production. Elle reprend par ailleurs entièrement la dimension « transversale » de la production architecturale développée par Semper puis Gropius. Cette dimension « transversale » n’est plus seulement secondaire mais définitivement centrale. Ce retour à des ontologies transversales requiert une nouvelle compréhension excluant les approches déterministes qui sont exclusivement autonomes, physiques ou cohérentes. Ces implications peuvent être considérées comme un résultat architectural, mais il faut cependant mener le raisonnement plus loin ; ces conditions sont des indices de base de la position culturelle de notre discipline voués à être traduits dans un vocabulaire esthétique, programmatique ou politique. C’est ainsi qu’une nouvelle dynamique de la production architecturale refait surface, cherchant à favoriser l’inflexion avec un nouvel environnement culturel. La perspective historique sur les conditions de production en architecture fournissant alors un moyen de relier les changements technologiques avec l’évolution culturelle.

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Cela peut être également illustré par le projet d’enseignement « Paysage Procéduriaux 1, 2 » ( 2011 ) par le laboratoire Gramazio & Kohler – Architecture and Digital Fabrication, ETH Zurich. Ce projet a été mené en collaboration avec le professeur Christophe Girot ( ILA ) and Yael Girot ( Atelier Girot ) ; collaborateurs : Michael Knauss ( Chef de projet ), Ralph Bärtschi, Ilmar Hurkxkens, Axel Vansteenkiste, Dominik Weber ; selected experts : Prof. Dr. Robert Flatt, Heinz Richner ( IfB ETHZ ) ; Sponsors : Sika AG ; Etudiants : Tobias Abegg, Jonathan Banz, Mihir Bedekar, Daria Blaschkiewitz, Simon Cheung, Dhara Sushil Surana, Hernan Garcia, Kaspar Helfrich, Pascal Hendrickx, Leyla Ilman, Luka Piskorec, Malte Kloes, Jennifer Koschack, Caspar Lohner, Jitesh Mewada, Lukas Pauer, Sven Rickhoff, Martin Tessarz, Ho Kan Wong. Pour plus d’informations : http ://www.dfab.arch.ethz.ch/web/e/lehre/211.html

** Cela peut être également illustré par le projet d’enseignement « Agrégations Spatiales 1 » ( 2012 ) par le laboratoire Gramazio & Kohler – Architecture and Digital Fabrication, ETH Zurich. collaborateurs : Luka Piskorec ( chef de projet ), Thomas Cadalbert ; Etudiants : Petrus Aejmelaeus-Lindström, David Jenny, Gabriela Schär, Ripple Chauhan, Evangelos Pantazis, Stylianos Psaltis, Rahil Shah, Stella Azariadi, Ivana Damjanovic, Hjalmar Schmid, Lukas Mersch, Katharina Schwiete, Enzo Valerio, Andreas Kissel, Kulshresth Patel, Christian Grewe-Rellmann, Sonja Cheng, Joe Liao, Yushi Sasada, Tarika Sajnani, Janki Vyas, Bo Li, Yuji Mukaiyama, James Yeo, Eveline Job, Joséphine Simonian. Pour plus d’informations : http ://www.dfab.arch.ethz.ch/web/e/lehre/228.html

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Willmann, Gramazio & Kohler

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10 Le retour de l’affect et du ration dans la production architecturale de part l’utilisation de technologie robotique pour l’assemblage de structures spatiales complexes. Spatial Aggregations, 2012, Gramazio & Kohler, ETH Zurich copyright : Gramazio & Kohler, ETH Zurich 11 La connexion transversale entre l’homme et la machine. Structures spatiales conçues robotiquement avec l’intervention de l’intuition humaine, Spatial Aggregations, 2012, Gramazio & Kohler, ETH Zurich copyright : Gramazio & Kohler, ETH Zurich

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La trace de la main Solène Veysseyre Chili, 27 février 2010. La terre tremble, un séisme de magnitude 8,8 suivi d’un tsunami tue 525 personnes et détruit ou endommage des milliers d’édifices. Deux architectes, Patricio Arias Cortés et Lia Karmelic Visinteiner, face au désastre, décident de sensibiliser les maires et les habitants au patrimoine bâti en terre. En effet, le Chili est un pays qui s’étend le long de la cordillère des Andes et est composé de différentes zones géographiques dont deux, le nord et le centre, comprennent de nombreux édifices construits en terre. Lia Karmelic, qui a suivi un doctorat a, a réalisé une thèse sur le sujet et a découvert, en collaboration avec une étude de l’état chilien b, que plus de 40% des édifices patrimoniaux utilisent le matériau terre dans leur système constructif.

adobes. Les chiliens découvrent leur patrimoine, et prennent conscience en même temps de sa fragilité. Face aux dégâts, dans l’urgence, de nombreux conducteurs de travaux et maires décident de démolir un bâtiment partiellement endommagé ; tout jeter, faire place neuve afin de reconstruire avec des systèmes dits « modernes » ( briques de terre cuite, panneaux préfabriqués en bois… ). C’est là qu’interviennent les jeunes architectes de l’agence Arias Arquitectos. Avec d’autres professionnels, ils interpellent la population sur la richesse de ce patrimoine bâti, les possibilités de restauration qui existent… certains écoutent, d’autres raseront jusqu’à la dernière construction en terre de la ville. Dans les mois qui suivent, l’État chilien met en place des fonds et lance des appels d’offre pour restaurer les édifices patrimoniaux touchés par le tremblement de terre. Patricio et Lia en remportent plusieurs grâce leur expérience et à leurs propositions de restauration innovantes. Effectivement, après plusieurs années passées

Suite au tremblement de terre, les enduits fissurés, les murs écroulés, révèlent aux yeux de tous, les a Arquitectura y patrimonio cultural ambiantal, Université de Séville

b Inventaire des biens du patrimoine culturel, 2011, Chili

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à travailler la terre crue sur des projets contemporains ou de rénovation, ils ont mis au point une méthode constructive permettant aux édifices en terre de faire face au mieux aux tremblements de terre.

Solène Veysseyre

le patrimoine chilien est en terre, je me suis retrouvé à travailler dans le patrimoine. Je ne m’étais jamais dit que j’aimerais faire des projets dans ce domaine.» Aujourd’hui, il le revendique en partie comme un acte politique : « Il faut le faire », pour ne pas que s’écroulent « Je suis architecte avant tout. Pas architecte de terre. » de nouveau les maisons, pour que la population retrouve À la question : « Comment s’est faite votre rencontre un foyer, un lieu de culte digne. Il sait qu’il se positionne avec la terre crue ? », Patricio Arias répond « par haà contre-courant des autres architectes. « Au Chili, les sard ». Pendant ses années d’université, il était un bon architectes veulent tout jeter pour construire des nouélève, appliqué et travailleur, lisait des revues d’architec- veaux édifices. On parle très peu de restauration, c’est une préoccupation assez récente dans notre ture japonaise, appréciait les architectes baroques, pays. » Et dans ce genre de projet, « il faut mettre de notamment Shin Takamatsu. Il ne connaissait rien à côté l’ego de l’architecte, les gens souhaitent exactela terre. Et pourtant, Patricio commence à travailler avec Marcelo Cortes à la fin de ses études, un architecte ment la même église que leur père, leur grand-père ont bâtie de leurs mains ». Pour lui, la tradition est imporchilien qui construit en terre depuis les années 1980, tante, pas dans un sens conservateur mais plutôt dans et « c’est le coup de foudre avec la terre ». l’idée qu’elle véhicule les valeurs, l’identité d’un peuple. Il s’intéresse particulièrement à son adaptation, à comIl dit aussi avoir commencé à travailler sur des projets ment faire pour que la tradition soit une notion vivante et de patrimoine par hasard. « J’y suis arrivé par le matéappropriable ? riau, parce que je m’y connaissais en terre et comme 51


Qndmc L’architecture qui garde la trace de la main Au Chili, l’architecture contemporaine en terre n’est apparue que depuis très peu de temps, quelques années tout au plus. Dans les projets réalisés par l’agence, l’acier est presque aussi important que la terre puisque dans un pays soumis au risque sismique la structure est primordiale. Suite à des années d’expérience, elle a mis au point le système « Terra-panel », un système structurel en acier qui représente une innovation technologique majeure. Les architectes se sont inspirés de l’architecture traditionnelle péruvienne qui utilisait une ossature bois et des barres de fer pour retenir la terre contenue entre les murs ( la « quincha » ). Ils ont remplacé le bois, trop rigide dans sa déformation, par l’acier, et les barres par une maille pliée sur laquelle ils projettent ensuite un mélange de terre et de paille enduit enfin avec de l’argile. Alors que généralement les édifices en terre s’élèvent sur un ou deux étages, ce système permet de construire plusieurs niveaux. Dans la restauration, la méthode consiste à renforcer les murs en adobes en les recouvrant d’une maille lisse en acier sur laquelle, on applique ensuite un enduit de terre et de paille mélangées. Les briques de terre ainsi maintenues des deux côtés ne tombent plus lors des séismes. Ces méthodes constructives sont aujourd’hui développées par l’entreprise « Surtierra Arquitectura », la branche constructive de l’agence Arias Arquitectos. En effet, pour Patricio il est important de ne pas être seulement architecte mais aussi constructeur, pour réaliser le projet dessiné, l’améliorer sur le chantier, effectuer des changements si nécessaires et expérimenter de nouvelles manières de faire. Dans certains projets de restauration, afin de consolider ou reconstruire des pans de murs, les architectes font appel à des fabricants d’adobes qui réalisent des moules sur mesure. Il existe une petite filière terre au Chili, constituée d’entreprises qui réalisent, toujours de nos jours, de manière artisanale, des adobes, des briques, des tommettes ou bien des tuiles. Ils travaillent de septembre à avril, durant la période sèche et ensoleillée pour faire sécher au soleil ou cuire, dans des fours à l’extérieur, leur production. Quant à l’argile et aux pigments de couleurs, ils s’achètent dans certaines régions argileuses.

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Pour Patricio Arias, est artisanal ce qui garde la trace de la main. Les adobes sont tous les mêmes, ils ont la même matérialité, les mêmes dimensions et pourtant ils sont tous différents, parce que réalisées à la main. « Et s’il y a un peu d’imperfection c’est mieux parce que ça parle de l’identité, de la valeur. L’artisanat, c’est répéter toujours une même technique quand l’artiste crée de nouvelles choses. C’est pour cela que bien souvent l’artisanat est considéré comme inférieur à l’art. Et pourtant c’est important d’avoir un métier, un savoir-faire.» Pour faire quelque chose de nouveau il faut d’abord bien savoir le faire. L’innovation n’est possible qu’en tenant l a maîtrise de la technique. Il pense que la terre pourrait être industrialisable. « Elle devrait tenir sa place à côté des autres matériaux, être une option possible. Et l’innovation permet de rendre le matériau plus démocratique, pas seulement accessible aux gens qui ont eu une certaine éducation, qui ont des idées différentes. » L’agence Arias Arquitectos réalise un travail à la fois de maintien d’une filière et d’un savoir-faire mais aussi un travail de recherche et d’innovation en testant de nouvelles manières d’utiliser la terre crue dans la production architecturale contemporaine. Enfin, elle réalise aussi un travail de sensibilisation et d’information en organisant des chantiers participatifs, des conférences, en donnant des cours théoriques et pratiques à des jeunes qui apprennent le métier de la construction. Dans un pays qui voit se construire de manière massive de nouveaux édifices et détruire ce qui est ancien, il est intéressant de voir que certains architectes se questionnent et se positionnent à contre-courant. Comment être architecte dans un pays si durement touché par les inégalités sociales et les risques de catastrophes naturelles ? L’attitude qu’adopte l’agence Arias dans sa manière de montrer et faire avec les gens, par exemple les enduits de terre des maisons, s’inscrit dans une démarche partagée par quelques autres architectes et associations au Chili. Ces derniers ont notamment créé des « escuela taller » ou « chantier-école » pour former les habitants d’un quartier ou les jeunes d’un village à réparer, entretenir, reconstruire leur église, leur maison… L’accès à ces savoirs manuels par le plus grand nombre de personnes permettra peut-être que le patrimoine chilien perdure et soit plus respecté, valorisé.


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Solène Veysseyre

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L'artisanat comme source de référence Atelier sarah Nous allons vous présenter l’un des fondements de travail de l’atelier sarah. Un atelier qui s’est donné comme ligne directrice de réinterpréter toutes les étapes de la conception, afin de proposer une nouvelle façon de voir les choses. Nous nous engageons dans une démarche de conception inspirée du monde de l’Artisanat, où la qualité est au centre du processus de travail. « Outre la difficulté d’écrire ces savoir-faire, ce qui apparaît dans ces constatations, c’est l’impossibilité flagrante de faire coïncider des savoir-faire avec un canevas d’analyse et de description unique. »a

Bien souvent, lors du processus de création architecturale ou design, l’étape de l’entretien avec l’artisan n’arrive qu’à la phase de réalisation et non en amont du projet. Notre idée serait qu’elle soit présente dès le commencement. Nous pourrions effacer pour un temps le rôle prééminent de l’architecte, en plaçant l’artisan et sa façon de faire au fondement d’un projet. Le principe est simple : se servir de l’artisanat comme source d’innovation.

En écoutant ces interlocuteurs, en prenant du temps pour échanger, nous réinterprétons leur sensibilité C’est pourquoi il est important d’expliquer ce qu’ « Artisan » comme élément de conception du projet. Non pas signifie pour nous. L’artisan est une personne travaillant comme idée seconde de réalisation mais comme de ses mains, sur tous types de réalisations. Il connaît réflexion théorique. le produit qu’il travaille, non seulement d’un point de vue théorique mais aussi d’un point de vue sensible, à travers une pratique quotidienne. C’est ce point précis qui nous intéresse, cette sensibilité au matériau qu’il est capable d’entretenir.

a Conventions, P.70 École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Centre d’études et de recherches architecturales.

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Artisanat

Atelier sarah

Afin d’illustrer nos propos, nous avons choisi de vous montrer une réalisation, étape par étape. Il s’agit d’une table créée sur la base d’une phrase recueillie lors d’une discussion avec un artisan. Jean-Claude Goulard, est un artisan soudeur qui, toute sa vie, a assemblé de l’acier. Nous lui avons simplement demandé ce qu’il appréciait le plus dans son métier. Et il nous a répondu :

Par ce simple objet et en mettant ainsi en exergue la force de la relation intime entre l’artisan soudeur et sa sensibilité au matériau, nous avons essayé de rendre tangible le rapport de l’artisan à la création architecturale. Sa réalisation fine et subtile, s’appuyant sur la force théorique du témoignage artisanal, en est venue à nous laisser déformer le longeron de cette table.

« Je pense que c’est le moment où l’acier se déforme sous À travers ce travail d’échanges, de nouvelles réponses architecturales peuvent être trouvées. Nous pensons la chaleur de la soudure, avant d’ajouter, je trouve ça que ce genre de mise à l’épreuve dans des objets de dommage qu’on soit obligé de le retenir. » design nous amène à de nouvelles compréhensions entre architecture et artisanat. Et nous osons penser Cette phrase souligne une problématique importante que, de la même façon, il est possible de réaliser de associée à la conception informatisée : un trait tracé parfaitement droit nécessite en revanche un lourd travail nouveaux projets architecturaux, fondés sur l’échange de la pièce en atelier maintenue par presses pour éviter avec l’artisan. Des projets dans lesquels « l’erreur », sa déformation naturelle. Alors se pourrait-il, qu’en enle- commise par la main humaine et qui ne serait plus corrigée par la machine, trouverait toute sa beauté. vant ces presses d’assemblage, la pièce prenne vie ? En se déformant à son aise ? L’idée issue de cet échange nous a conduit à réaliser sans ces presses, un bureau, parfaitement droit sur dessin informatique.

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Penser par le faire, re-déployer des singularités situées et partagées Yannick Hoffert On constate un nouvel engouement pour le faire, la mise en œuvre, tant chez les étudiants que chez les jeunes architectes, si ce n’est dans l’ensemble de la société ( fablab, bricolage…). Des collectifs se créent, se mobilisent pour co-fabriquer et réinterroger le projet, des étudiants construisent à échelle 1, d’autres intègrent conjointement des agences d’architecture et des entreprises du bâtiment. S’il existe un désir de retour à la matière et à sa transformation, quelles valeurs, quelles envies soustendent ces actions ? Par artisanat, j’entends ici la transformation de la matière au sens large, en situation, en dehors de l’industrialisation, sur la base d’un savoir-faire, appris, répété, et d’une intelligence du faire, sans échelle de valeur, incluant l’ouvrier, le travailleur manuel, qui chacun recouvre une partie des compétences.

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En chantier Ce passage par le faire a été au démarrage de mon activité professionnelle : en 1995, avec un collectif d’architectes nouvellement diplômés, nous avions entrepris de plonger dans l’univers de la construction en concevant, puis en réalisant, en tant que manœuvres, la restructuration et l’extension d’une maison de village. Depuis, l’épreuve de la matière et de sa résistance, de la main et du geste, du temps de la fabrication sont restées des préoccupations constantes. Dans le même temps, passant du faire au faire-faire, je constate au fil des suivis de chantiers que de nombreux savoir-faire s’accompagnent souvent d’une perte de sens et que des organisations parfois artificiellement complexifiées empêchent à l’ensemble des compétences de celui qui fait de s’exprimer.


Artisanat

Yannick Hoffert

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Qndmc Avec l’industrialisation, l’intelligence artisanale a eu tendance à quitter le chantier et la plus-value technique a investi, en amont, la production de produits calibrés et normés. Sur le chantier, les poseurs ont remplacé les façonneurs, ceux qui transforment la matière brute in-situ. La plaque de plâtre cartonnée est bien l’exemple le plus parlant de cette transformation, avec lequel le recours aux plâtriers traditionnels et aux stuffeurs devient un luxe. La valeur économique de la main d’œuvre de chantier est bien supérieure à la valeur des matériaux et matières. Toute recherche de rentabilité organise avant tout la baisse du temps de travail. Nombre d’entreprises, de charpentiers, serruriers, menuisiers… se sont ré-organisés pour répondre aux injonctions du « tirer les prix » : gestion, optimisation, standardisation… entraînant une perte des savoir-faire pointus. La surenchère techniciste et technologique et l’inflation règlementaire produisent, au moment de la mise en œuvre, des dérèglements tant humains que constructifs. La complexification du chantier où la succession des procédures remplace la mise en œuvre explique la désertion de l’architecte sur le chantier, remplacé par les spécialistes et maîtres d’œuvre d’exécution qui, à force de méthode, nivellent le chantier, le réduisent à un déroulement optimisé de l’exécution. La norme est un garde-fou nécessaire mais l’application décontextualisée d’une norme peut être contre-productive. J’ai pu rencontrer sur des chantiers des stratégies de résistance pour le moins étonnantes : des charpentiers procédant « en cachette » à des mises en œuvre hors norme, convaincus qu’elles répondent mieux à un ouvrage bien fait et durable.

Ré-interroger les compétences de l’artisan pour nourrir la conception des architectes Comment tenir compte de ce que le faire nous dit ? Comment interroger nos pratiques ? Certaines des compétences propres à l’artisan me semblent alors intéressantes à saisir et à faire ré-émerger, tant dans notre conception que pour retrouver ou inventer des formes de collaboration active et inventive. Le savoir de situation et l’adaptabilité en premier lieu : comment dans une situation matérielle complexe, trouver le processus inédit pour la mise au point d’une suite d’actions garantissant la bonne mise en œuvre ? De ce point de vue, une capacité d’analyse rapide, engageant à la fois tout le corps et l’expérience acquise du « coup d’œil » permet d’être localement pertinent. La pensée s’inscrit dans le faire, la répétition et produit de la connaissance : sur la réaction des matériaux, sur l’enchaînement des gestes, sur le comportement dans le temps des mises en œuvre… L’expérimentation, par l’erreur, est aussi caractéristique de l’artisan, qui replace la conception mais aussi la créativité au cœur de l’exécution. Richard Sennett parle de « sauts intuitifs » qui ne sont possibles que parce que l’artisan a développé sa « conscience matérielle », autrement dit sa conscience sur la capacité à modifier le monde physique, quand Marc Breviglieri parle d’« habilité technique en contexte ».

Dans un projet, la relation artisan – concepteur dépend souvent du contexte ( marché privé, public, localisation, maîtrise d’ouvrage…). Au sein de notre atelier d’architecture, nous nous attachons à retrouver des conditions de rapprochement et de collaboration concepteur / artisan. Ainsi, lors d’un chantier pour une bibliothèque Ce contexte amène celui qui fait à ne plus savoir poura Duerne ( Rhône ), une véritable communauté d’artisans quoi il le fait, dans une déresponsabilisation issue s’est constituée, issue du même territoire, sous la biend’une application sans questionnement et sans compré- veillance d’un ancien maçon, représentant du maître hension. La logique techniciste et règlementaire du d’ouvrage. Dans ce contexte, la valeur du chantier comme top to down, qui a fortement intellectualisé le travail, moment de vie et forme d’éloge de la lenteur – propre ne reconnaît pas la valeur cognitive et porteuse de sens peut-être au monde rural – a permis de créer un invesdu travail manuel, et en a « extirpé toute pensée ». tissement et des solutions dialoguées, partagées, anOn ne peut nier, sur les chantiers, les évolutions posicrées localement. tives en termes de pénibilité et de risques mais le rôle de l’artisan n’a-t-il pas perdu quelque chose d’essentiel, Pour un atelier de production de lunettes à Oyonnax ( Ain ), nous avons, avec le maître d’ouvrage et l’entreà savoir sa propre capacité à penser par le faire, et, prise, élaboré le projet ensemble dès le départ. Le dépar là même, la reconnaissance sociale de son savoirfaire ? Richard Sennett dans son ouvrage « Ce que sait la centrement de chacun au bénéfice du projet a permis main, essai sur le sens et la valeur travail », écrit : « la tête notamment d’interroger la valeur travail par rapport et la main sont séparées intellectuellement, mais aussi à la valeur matériau. Ainsi, malgré les grandes portées socialement.(…) La réalité sur le terrain est que les gens de la structure, des fermes reconstituées en bois massif qui aspirent à être de bons craftsmen sont déprimés, ( dont l’extraction et le parcours étaient bien identifiés, en circuit très court ) ont été préférées aux charpentes ignorés ou mal compris des institutions sociales ». en lamellé-collé, et le savoir-faire et temps de faire Comme le souligne aussi Wang Shu, « il existe de très replacés au cœur du chantier. De manière générale, bons ouvriers mais personne ne sollicite leur savoir-faire ». pour l’ensemble des solutions proposées, nous privilégions souvent la simplicité et l’utilisation de techniques éprouvées ; une fois en chantier, nous cherchons à pouvoir pousser ces techniques plus loin plutôt que de nous focaliser sur un détail préconçu, fermé et en décalage par rapport à un savoir-faire situé.

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Yannick Hoffert

« Construisez comme vous le feriez dans votre village » ( Wang Shu ) Si cette forme de relocalisation et de porosité plus grande entre le faire et le concevoir peut être vue comme une nouvelle forme de néo-régionalisme, elle est certainement l’un des leviers pour répondre de manière pertinente à une re-caractérisation des territoires. Les modes de mise en œuvre singuliers sont aussi producteurs d’ambiances, d’usages, qui peuvent redonner du sens à l’architecture, et construire des relations d’invention dans un univers trop technicisé.

Réhabiliter le chantier comme un moment de coconstruction, d’échanges, demande un effort de décentrement de la part de tous les acteurs du projet ( artisans, bureaux d’étude, architecte…) par rapport à leur expertise : dépasser les idéologies scientifiques comme des rapports de défiance par rapport à la norme ou à la technique, sortir d’une conception isolée pour imaginer des propositions qui se nourrissent du faire. De manière plus générale, il est important de remettre le projet au centre, et non l’expert. En rappelant que l’innovation ne vaut que si elle est partagée… et située.

Prêter une attention particulière aux savoir-faire artisans, réhabiliter le bon sens et la simplicité, « faire avec » et « faire ensemble » sont des pratiques qui se logent aujourd’hui surtout dans des interstices de l’économie mais qui entrent en résonance avec des mouvements plus larges, en architecture ( les postures de Patrick Bouchain, l’éloge du « slow build » initié par le dernier Pritzker Wang Shu…) et au-delà ( la parution des ouvrages cités « Ce que la main sait » et « Eloge du carburateur », en 2008 et 2009 aux Etats Unis, comme signe d’une réaction aux formes actuelles du capitalisme…)

Ce que la main sait, la culture de l’artisanat, 2010, Richard Sennett Albin Michel Eloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur travail, 2010, Matthew B. Crawford. La Découverte

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Qndmc

Conception pratique Raphaël Kadid Faire une maquette. Établir la taille en fonction de l’échelle. Dessiner des patrons, les imprimer. Définir ce qui sera et ne sera pas représenté. Pas de zoom possible. Le matériau, de son échelle à sa mise en œuvre sera le langage de la maquette, son choix est important. Il s’agit d’un garde-corps en bronze pour un bassin. Son dessin est complexe et il doit être réalisé en une seule pièce. Le diamètre du tube est de 4 cm, 2 mm au 20e. Différents produits sont disponibles dans ce diamètre. Corde à piano en acier, aluminium plein, laiton plein ou creux et bobine de zinc. Je choisi le laiton. La maquette d’étude précédente était en zinc car il est facile à travailler, mais la faible rigidité du matériau permet difficilement de conserver la ligne droite du garde-corps. Le laiton est beaucoup plus simple à couper et à cintrer que l’acier et son aspect brillant correspond mieux au projet que le teint mat et terne de l’aluminium. Les outils dont je dispose sont limités : une scie et deux pinces. Le garde-corps tourne à angle droit. À l’échelle du 20e, le cintrage à la main dessine une courbe trop marquée, mais le pliage du tube creux permet d’obtenir un angle droit net et la pliure est presque invisible. Je choisi donc de travailler le laiton creux.

pas à priori de sa représentation en maquette. La maquette à valeur d’outil qui permet de vérifier le dessin, de le modifier, voire de l’infirmer si le résultat est jugé complètement insatisfaisant. Il pourrait être envisageable dans ce cas de travailler la maquette pour ellemême, en testant différentes variantes, jusqu’à obtenir un dessin concluant. Dans tous les cas, la maquette reste un outil au service du projet. Elle ne constitue pas de fin en soi. Lorsque le menuisier fait des esquisses et une épure du meuble qu’il va réaliser, il sait de quelle manière dessiner les assemblages car il connait le bois qu’il va employer et les outils dont il dispose. Il utilise son savoir-faire. Le travail de la matière intervient à la fin, il est celui de l’objet fini. Le projet est le meuble de l’architecte, il en détermine le dessin et la réalisation par la production de plans et d’images. De l’objet fini, l’architecte n’a comme reflets que les échantillons des matériaux qu’il a choisi. L’expression concrète du projet est la maquette.

En faisant le choix de faire abstraction du projet, de n’en garder qu’une idée dénuée d’aprioris formels, le dessin de la maquette devient libre. D’un travail de Le choix du matériau est ici une réponse aux caractéris- représentation du projet la maquette devient un projet par expérimentation. De l’image préconçue du gardetiques du projet, mais aussi aux contraintes de mise corps, il ne reste que l’idée d’une limite physique. en œuvre de la maquette. Ces contraintes, ainsi que les propriétés du matériau, influent nécessairement sur le dessin du garde-corps, bien que celui-ci ne dépende 60


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Qndmc Brass Lamps Travailler la forme à partir du matériau induit de disposer de contraintes suffisantes pour orienter le dessin. Ces contraintes peuvent se révéler spontanément ou faire l’objet d’un choix. Dans le cas présent, les moyens de mise en œuvre réduits ont dirigé l’expérimentation vers la conception d’assemblages. L’utilisation de profils standard s’est aussi avérée nécessaire, par l’économie d’usinage qu’ils permettent. La diminution des opérations réduisant les chutes, elle permet aussi de réduire l’utilisation de matière. L’idée d’une lampe peut se traduire ainsi : amener une ampoule et son fil à une hauteur et une orientation définie. Dans mon travail, je choisis de dissocier le système d’éclairage et la structure, pour laisser libre cours au dessin de celle-ci. L’autonomie des deux éléments se renforce d’un contraste visuel : le dispositif d’éclairage est sombre, revêtu de tissu et de cuir noir tandis que la structure se compose uniquement de tubes de laiton creux ou pleins. Seule constante entre les prototypes, le système d’éclairage se répète, donnant matière à une mise en relation des lampes, une notion de parenté. Le contraste entre le diamètre du câble et la finesse des structures en laiton, créé une confusion entre système porté et portant, illusion renforcée par la verticalité de celui-ci. La lumière est émise de façon simple : une ampoule apparente. Utilisée en lumière indirecte par réflexion sur une paroi, le globe argenté peut être vu sans éblouir, il ponctue les structures sans prépondérance.

La Brass lamp I 1 est le résultat d’une recherche sur le matériau minimum. La lampe se compose de trois tubes de laiton, tenus ensembles par pression contre un câble de tissu noir. La géométrie du socle, en forme de tétraèdre, reprend les charges tout en assurant la stabilité du système. Le tube central, corps de la lampe, accueille l’extrémité du socle, le câble et l’axe de la partie haute. Plié avec une inclinaison de 40° par rapport à la verticale, le dernier tube dirige le faisceau lumineux. En plaçant la lampe devant un mur, la lumière se réfléchit de façon homogène le long de la paroi. La Brass lamp II 2 fonctionne suivant le même principe d’éclairage que la Brass lamp I, cette fois en utilisant le plafond comme écran. Pour éviter la vue directe du filament et préciser la réflexion, l’ampoule s’élève à deux mètres du sol. Afin d’augmenter le contraste entre système porté et portant, la structure s’affine et se décompose. Trois tubes creux de 4 mm forment les montants, points porteurs de la lampe, tandis que six tubes pleins de 3 mm constituent les traverses, permettant la cohésion de la structure. Pour rigidifier le système, de fins fils de lin noir viennent former des triangles en tension entre montants et traverses. 2

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Artisanat

RaphaĂŤl Kadid

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Les graisses Artisanat et Héritage sont deux jeux de caractères appartenant à la « metapolice » Metaplak développés pour Qui ne dit mot consent, sur Metafont. La coupe Héritage est utilisée dans la composition des titres du #1 de Qndmc. Elle sert aussi de base pour le dessin des lettres des futurs numéros de la revue. Par le code, la coupe Artisanat a ainsi été générée automatiquement depuis cette dernière. Artisanat est définit principalement par son contraste de valeur deux fois plus important qu’Héritage, ce qui permet à la revue de s’exprimer avec caractère ; comme les artisans dont il est question dans ce numéro.

Proof

Qui ne dit mot Consent #2—Artisanat

Nicolas-Franck Pauly Type Design

Proofed on: 19/11/13 04:40

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Qui ne dit mot consent -Héritage

Qui ne dit mot consent -Artisanat Proof

Metaplak v2.0 Metaflop-font © 2 012 by NicolasPauly Metaflop is : S imon Egli, Marco Müller, Alexis Reigel www.metaflop.com licensed under gpl v3 : www.gnu.org/licenses/

Qui ne dit mot Consent #2—Artisanat

Nicolas-Franck Pauly Type Design

Proofed on: 19/11/13 04:40

Qndmc Qndmc

#Heritage #Artisanat % dimension % font_size:= 10pt#; 10pt#; ht#:= 10pt#; 10pt#; u#:= 1pt#; 2pt#; s#:= 0.3u#; 0.3u#; o#:= 0.5pt#; 0.5pt#; px#:= 1pt#; 1pt#; py#:= 1pt#; 1pt#; % proportion % capital#:= ht#; ht#; ascender#:= 0.65ht#; 0.65ht#; descender#:= - 0.15ht#; - 0.15ht#; mean#:= 0.5cap#; 0.5cap#; median= 0.5*mean#; 0.5*mean#; % shape % incx:= 1; 1; incy:= 1; 1; apperture:= 1; 0.75; contrast:= 1; 2; superness:= 1; 0.5; hanse:= 1; 1; curve:= 1; 1.25; optical:= 1*u#; 1*u#; thick= 1*u#; 0.75*u#; thin= 1*thick+0*u#; 0.75*thick+0*u#; horizthick= 1*thick; 0.6*thick; horizthin= 1*horthick; 0.9*horthick; input glyphs; bye;

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00_Cigue interviewé par François Martel Ciguë, crée en 2003 par six architectes associés (Camille Bénard, Hugo Haas, Adrian Hunfalvay, Erwan Lévêque, Guillem Renard et Alphonse Sarthout), est un collectif d’une vingtaine de collaborateurs, structuré autour de deux sociétés, l’une d’architecture et l’autre de menuiserie. L’ambition génératrice et instinctive de cette démarche est d’aborder la construction comme un processus continu, de la conception à la réalisation, et d’explorer d’autres modèles de dialogues entre métiers et savoir-faire. Les terrains de jeu qui se présentent à nous vont aujourd’hui de l’objet au bâtiment. Chaque changement d’échelle est une remise en question de ce processus de travail et provoque des croisements ainsi que des glissements d’idées et de pratiques permettant d’aborder ces questions avec un autre œil ; Concevoir un bâtiment comme un meuble et inversement, concevoir un objet comme un espace. En 2012, Ciguë a été récompensée par le Ministère de la Culture et s’est vue décerner le prix des Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes (AJAP). «

et Fabio Gramazio ont reçu le Swiss Art Award, le Global Holcim Award et le Acadia Award for Emerging Digital Practice. Leur recherches ont été publiées dans un grand nombre de publications universitaires et lors de nombreuses expositions à travers le monde. Celles-ci seront également documentées en détail dans le livre Robotic Touch - How Robots Change Architecture, qui sera publié en Février 2014. 02_Amaury Poudray – ROZMOWA Amaury Poudray est un designer français diplomé en 2009 de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de St Etienne. Il a aussi étudié aux Etats-Unis à la Rhode Island School of Design. En Avril 2011, il rejoint l’équipe de design de FABRICA, centre de recherche et de communication du groupe Benetton en Italie, au sein duquel il résidera un an.

En parallèle de ses études, Julia Boucault, a suivi différents cours aux Beaux-Arts et dans quelques ateliers, puis, diplômée de l’Ecole Olivier de Serres à Paris en 2005, a ouvert son agence d’architecture intérieure en 2007 sur Nantes. Elle cherche à apporter à ses clients des solutions esthétiques et techniques appropriées à leur projet et pour y répondre a besoin de professionnels et d’artisans experts dans leur domaine. Jérémy Thomas, issu d’une formation de métallier chez les Compagnons, s’est formé et spécialisé en métallerie d’art auprès de professionnels confirmés. En créant en 2005 Tejy design, bureau d’étude en ouvrages métalliques, il souhaite apporter un support technique pour les architectes, décorateurs et autres professionnels recherchant une approche originale et artistique du métal.

mis en valeur autant qu’ils sont réinterprétés afin de répondre aux attentes contemporaines. 09_Dominique Gauzin-Müller Architecte française installée en Allemagne depuis 1984, Dominique Gauzin-Müller s’est spécialisée dès ses études sur les multiples facettes d’un aménagement durable du territoire : matériaux, énergie, implications sociales et culturelles… Tout en collaborant à plusieurs revues d’architecture européennes, elle a publié neuf ouvrages, dont Construire avec le bois (1999), L’architecture écologique (2001), 25 maisons en bois (2003), 25 maisons écologiques (2005), L’architecture écologique du Vorarlberg (2009). Professeure honoraire associée de la Chaire UNESCO-CRATerre, elle enseigne à l’ENSA de Strasbourg et à l’Université de Stuttgart tout en intervenant dans de nombreuses autres écoles à travers le monde. Depuis sa création en 2007, Dominique Gauzin-Müller est rédactrice en chef d’EcologiK(EK), un magazine dédié à l’architecture et l’urbanisme éco-responsables. Elle est membre de la Compagnie des négaWatts, un groupe d’expert qui travaille à une transition énergétique.

06_Laure Veyre de Soras Il vit et travaille à Lyon depuis Mai & Magali Michaud 2012. Sa démarche créative est basée sur l’écoute attentive, elle Après 5 ans à l’ENSA Lyon (dont une se construit autour du dialogue. année d’échange à Bratislava et Ensemble avec ses clients, ils Berlin), Magali et Laure obtiennent trouvent les solutions et les acteurs leur diplôme d’Architecture en juillet adaptés au contexte de création. Ses 2011. Leur cursus se poursuit par un travaux incluent des collaborations voyage de 6 mois autour du monde, avec des éditeurs de mobilier, des suivi d’une première expérience 10_Yannick Hoffert PME, des galeries d’art et des écoles. professionnelle à Berlin. Depuis 2 François Martel ans, elles s’attachent à découvrir Yannick hoffert est architecte Pour chaque projet, une histoire François Martel a obtenu un de nombreuses façons de produire Atelier43 / Lyon 7- et enseignant se crée lentement et devient master à l’ENSAP de Lille, et profite et de parler d’architecture en - MAA - à l’ENSAL. pertinente grâce à tous les acteurs actuellement d’un temps d’arrêt poursuivant plusieurs recherches impliqués. Amaury s’intéresse 11_INCH_Furniture dans son cursus universitaire pour et projets personnels. Echanger, à la fonction et à l’esthétique de s’initier à l’ébénisterie et approfondir partager, construire à échelle Il se sont dédiés au bois. Et à la ses créations mais il accorde une l’intérêt qu’il a pour le travail de humaine et localement, voilà ce création. Ainsi qu’à une autre attention particulière au sens et la la matière et les savoir-faire. que font actuellement beaucoup culture. Quand ils parlent de cohérence de l’ensemble du projet. de jeunes collectifs en Europe et bois, ils pensent bois massif. 01_Gramazio & Kohler 03_Atelier Sarah ailleurs. Leurs travaux sont sources Quand ils pensent création, c’est Jan Sebastian Willmann a d’inspiration et d’admiration de recherche qu’il s’agit. Quand Issus d’horizons divers, ils sont été diplômé de la «School profonde ; c’est vers cet idéal ils aborde,t la culture, elle est étudiants d’architecture, artisans, of Build Environnement» de qu’elles se dirigent aujourd’hui. pour eux synonyme d’échange. artistes. Ce qu’ils sont n’est l’université d’Oxford Brookes INCHfurniture traduit cette fondamentalement pas déterminant 07_Solène Veysseyre et a été chercheur-assistant et philosophie en actes: la production au sein de l’atelier sarah, puisqu’ils conférencier à l’institut de Théorie Solène Veysseyre est architecte, de leurs meubles est réalisée par essayent de construire une Architecturale du professeur diplômée de l’Ecole Nationale les ateliers de production d’une structure où aux règles nouvelles, Bart Lootsma, où il co-fonda la Supérieure d’Architecture de école professionnelle du bois en contradiction avec l’idée de plateforme architekturetheorie. Lyon. Au cours de sa licence, indonésienne avec utilisation de produits finis, conventionnelle. eu. Il participa à de nombreuses elle s’intéresse à la construction bois exploités conformément aux L’Atelier sarah cherche à pousser recherches, publications et écologique et réalise notamment règles du développement durable. de nouvelles réflexions dans expositions internationales, un rapport d’étude sur le le champ de la création en 12_Raphaël Kadid approchant l’architecture comme développement de la terre crue s’interrogeant principalement un ensemble théorique, matériel dans l’architecture contemporaine Raphael Kadid est un jeune sur le processus de conception. et computationnel. Il enseigna au française. En master, elle s’oriente architecte français diplômé de 04_Hélène Thébault sein de nombreuses universités et plus particulièrement sur des projets l’ENSA de la Ville et des Territoires institutions telles que l’Université d’échelle urbaine, notamment sur en juin 2012. En 2009-2010 il part Hélène Thébault est originaire des Arts Appliqués de Vienne, le devenir des grands ensembles. en Allemagne pour étudier à la de Rennes et a étudié le design l’Académie des Beaux-Arts Après ses études, elle travaille un an Technische Universität de Berlin. Il d’espace à l’École de design de Stuttgart et l’Université de dans une agence à Bruxelles, sur des vit à Bâle depuis décembre 2012, où Nantes Atlantique. Elle vit depuis Pennsylvanie. Depuis 2011, Jan grands projets d’urbanisme. Puis, il travaille en tant qu’architecte au un an à Bangalore en Inde, où Sebastian Willmann est assistant attirée par l’Amérique du Sud, elle sein de l’agence Diener & Diener. elle termine son Master Design principal à la chaire architecturale part pour Santiago du Chili. Elle y vit & Interculturalité (partenariat En 2013, il commence la création « Architecture and Digital depuis novembre 2012 et travaille entre l’École de Nantes et d’objets en laiton à la main. Fabrication» de l’ETH Zurich. principalement sur des projets la Srishti School of Art, Design & Ses lampes «Brass lamp I» et (Prof. Fabio Gramazio & Matthias de restauration de patrimoine. Technology). L’artisanat et plus «Brass lamp II» seront exposées Kohler). Matthias Kohler et Fabio encore son intégration aux pratiques 08_AtelierOslo au Flash Design Store à Paris Gramazio sont les fondateurs et créations contemporaines sont du 14 au 24 décembre 2013. Atelier Oslo est un bureau du bureau d’architecture primé au cœur de ses préoccupations. d’architecture crée en 2006 par «Gramazio & Kohler», leurs intérêts L’Inde surprend et change chaque Nils Ole Bae Brandtzæg, Thomas multi-disciplinaires allant de la jour, la place de l’artisanat y est Liu, Marius Mowe et Jonas Norsted. conception et fabrication digitale cruciale, dans la construction Ils cherchent à identifier les à l’innovation des matériaux. comme dans le quotidien, et enjeux spécifiques pour chaque Leurs travaux incluent entre chaque jour en questionnement. Sa situation en créant une base de autre la façade du Vignoble motivation, au sein de ce contexte réflexion commune pour évaluer Gantenbein, le théâtre Tanzhaus, et en rapport avec sa formation, ultérieurement un panel de le sWISH* Pavillon de l’exposition est de faire un usage intelligent et solutions. Le développement de Suisse Expo.02 et la Riedikon durable du savoir-faire artisanal, chaque projet se concentre sur la House. Ils ont également fondé le engageant les communautés mise en œuvre d’une architecture premier laboratoire de robotique pour un impact social du design. de qualité au sein de laquelle architecturale au monde à l’ETH 05_XII les éléments fondamentaux Zurich, leur recherche académique de l’architecture comme la se concentrant sur la fabrication XII est l’association de Julia, structure, la matière, la lumière robotique additive par le biais architecte d’intérieur et et l’espace sont particulièrement d’installations prototypiques à designer et de Jérémy, serrurier échelle réelle. Matthias Kohler spécialisé en métallerie d’art.


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