Où va l’usine aujourd’hui ? De la naissance l’espace industriel à la disparition du lieu Mémoire de recherche Raphaël Brossette sous la direction de Florence Rudolf INSA Strasbourg département architecture Février 2020
AEG Turbinfabrik, Berlin, Moabit photo personnelle mai 2019
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Contents Introduction ..................................................................................................................................... 5 Chapitre I : L’usine théâtre d’un asservissement de masse par le travail ...................................... 11 I.1. La catégorie socio-professionnelle d’ouvrier ...................................................................... 12 I.2. L’homme crée la machine la machine détruit l’homme ...................................................... 13 I.3. l’usine, institution de la surveillance, exercice du pouvoir ................................................. 16 I.4. Constitution d’une identité ouvrière à travers un lieu ......................................................... 21 I.4.1. Lutte ouvrière ................................................................................................................ 21 I.4..2 Cités ouvrières .............................................................................................................. 23 Chapitre II : L’architecture industrielle de l’ouvrage technique à une esthétique connotée ......... 25 II.1. Constitution d’un patrimoine urbain .................................................................................. 26 II.1.1. Caractère ostentatoire .................................................................................................. 26 II.1.2. Rapport à la ville et repère ........................................................................................... 27 II.2. Une architecture technique ................................................................................................. 30 II.2.1. Atmosphère industrielle............................................................................................... 30 II.2.2. Architectures industrielles ........................................................................................... 31 II.2.3.Industrialisation de l’architecture ................................................................................. 32 II.3. Détournement d’un vocabulaire architectural .................................................................... 34 II.3.1. Eléments caractéristiques ............................................................................................ 35 II.3.2. La technique exaltée et la technique imagée .............................................................. 37 II.3.3. La réhabilitation d’architectures industrielles et patrimoine, une perte de sens et d’identité................................................................................................................................. 39 Chapitre III : Portrait de l’industrie contemporaine sans architecture........................................... 42 III.3. Etude du cas de la Z.I. de Carros-Le Broc ........................................................................ 43
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III.3.1. Mon expérience de manœuvre ................................................................................... 43 III.3.2. Aménagement artificiel, échantillon du paysage de l’ère anthropocène .................... 44 III.1. Mutations de l’industrie .................................................................................................... 46 III.2.1. Mondialisation, flux et infrastructures ....................................................................... 46 III.2.2. Tertiarisation de l’industrie ........................................................................................ 47 III.2.3. L’usine contemporaine ............................................................................................... 48 III.2.4. Conséquences urbaines .............................................................................................. 49 III.2. Perte de repères ................................................................................................................. 51 III.3.1. L’obsession de la trame .............................................................................................. 51 III.3.2. Un problème d’échelle ............................................................................................... 53 III.3.3. non-composition, disparition du lieu et de l’architecture ........................................... 55 Conclusion et ouverture ................................................................................................................. 58 Annexes ......................................................................................................................................... 66
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« le peuple a besoin de poésie comme de pain »1
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Simone Weil et Robert Chenavier, La condition ouvrière, 2017. p.424
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Remerciements Je tiens à remercier tous ceux qui ont écouté mes réflexions et encouragé mes recherches, qui ont débattu avec moi, qui fait mûrir mon point de vue et élargi mes connaissances. Merci à ma famille et mes amis pour leur soutien sans faille pendant mes études. Merci au regretté F. Roy, qui m’a permis d’obtenir le job d’été qui m’a fait introduit à ces notions auparavant si abstraites : le monde ouvrier, l’usine et l’espace industriel. Je remercie F. Rudolf qui a dirigé ma recherche, de m’avoir fait découvrir Paul Blanquart et d’avoir ouvert de nouvelles pistes de réflexions dans mon raisonnement. Merci également à A. Grutter qui encadre mon PFE d’architecture traitant de la même thématique et ayant nourri ce mémoire.
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Introduction Naissance d’un questionnement personnel Pendant mes études, j’ai travaillé tous les étés, en stage dans le cadre de mon cursus universitaire, mais aussi en « job », afin de subvenir à certains de mes besoins et alléger ma famille dont je restais dépendant financièrement. Après mon stage ouvrier en maçonnerie en 2016, je décroche pour la fin de l’été un emploi dans une usine de conditionnement et d’aromatisation d’huile d’olive. Au fin fond d’une étrange entité urbaine qu’est la zone industrielle de Carros-Le Broc, je découvre le travail de manutentionnaire entre le bourdonnement incessant des chaines de production et la lumière blafarde des néons. Pendant 8 à 9h tous les jours j’accomplissais des tâches répétitives sans intérêt dans un lieu conçu pour la production mais visiblement pas pour le travailleur, contenu dans un hangar qui ressemble à tous les autres, bien garés dans cette zone industrielle qui semble si loin de tout. J’y passerai trois étés une fois mes stages terminés. D’un été à l’autre et alors que mon regard sur l’architecture mûrissait, je découvrais avec fascination le patrimoine industriel du siècle passé, les hauts fourneaux de Völklingen, la brasserie Fischer de Schiltigheim, désaffectés, dans leurs jus, ces bâtiments proposent des architectures d’une grande richesse où les espaces s’enchainent en séquences contrastées, dictés par les Hangar de la Z.I. de Carros-Le Broc, photo personnelle décembre 2019
contraintes techniques, sublimés par le temps, sculptés par la lumière, les matérialités, l’acoustique. On comprend aisément que de tels lieux soient convoités pour des réhabilitations pour le tertiaire ou l’éducation (Manufacture des tabacs de Strasbourg, Fonderie de Mulhouse). Pourtant je revenais chaque été dans ce même hangar qui ne sera probablement jamais un Learning Center, un cinéma ou même un lieu de travail plaisant. Cette zone industrielle a été créée à la fin des années 60. A cette une époque où l’on commence à se permettre d’exhiber la technique et ou à l’imager pour stimuler un imaginaire collectif sur la thématique industrielle : revue Archigram, Rogers & Piano centre Pompidou. Bien loin de cette débauche de moyens, on se contente du minimum en terme d’architecture.
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Comment le lieu industriel a-t-il évolué, de sa naissance à sa disparition ?
La production industrielle est une réalité aujourd’hui peu perceptible puisqu’elle est depuis quelques décennies délocalisée. Or, certaines mesures gouvernementales comme Territoire d’Industries2 visent à réindustrialiser la France. Or, le patrimoine industriel encore en activité en France est peu reluisant, et semble avoir été longtemps écarté des priorités politiques. Quel avenir envisage-t-on pour les usines contemporaines d’une société réindustrialisée ?
Comment l’espace industriel s’est-il construit, repoussant inhospitalier et fascinant à la fois. Sommes-nous capables d’apprécier l’esthétique d’un lieu de travail que lorsqu’il est désaffecté ? Quelles sont les qualités architecturales du patrimoine industriel de la fin du 19eme début 20eme siècle ? Lesquelles persistent dans les lieux de production des années 70 à nos jours ? Si les architectes sont formés pour concevoir des espaces de qualité, ils semblent souvent avoir délaissé les zones industrielles et leurs hangars ? Depuis la révolution industrielle, l’usine a bien évolué. Les pays concernés par ce changement connaissent un essor économique considérable. Le monde industriel nouveau paradigme, nait avec de nouvelles architectures et urbanismes, on crée les usines, les cités ouvrières et les infrastructures de transport qui font fonctionner le système. La technique est allègrement mise en exergue par les dirigeants et industriels qui se félicitent de leur dominance technologique et économique lors d’expositions universelles comme celle de Paris en 1889. Ces moyens techniques développés par et pour l’industrie génèrent une esthétique propre à ce milieu, porteur d’autant de rêve pour l’industriel que de malheur pour le travailleurs. Dont la condition fait l’objet d’un combat politique et idéologique depuis Marx et Engels. Simone Weil
Entrée de a partie bureau d’un entreprise de la Z.I. de Carros-Le Broc photo personnelle Décembre 2019
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« Territoires d’industrie », consulté le 5 janvier 2020, https://www.cget.gouv.fr/dossiers/territoires-dindustrie.
de fer vence ce Ville 3/jour
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Un espace strictement fonctionnel, sans repère M 6202bis Vers Nice St-Laurent-du-Var
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M 6202 Vers Nice Stade Allianz Riviera vers A8 Cannes ou Italie
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dans La condition ouvrière, tout juste agrégée, décide de porter son regard de philosophe sur le Culturel et cultuel
Social et santé PRIMAGAZ Stockage propane 180t (Seveso seuil haut)
monde ouvrier en se faisant embaucher dans une usine.
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Au fil des décennies, les méthodes changent mais le portrait reste similaire : l’apparition du
Un espace strictement fonctionnel, sans repère ARKOPHARMA Pharmaceutique Administratif MALONGO Agroalimentaire
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Taylorisme ou « organisation scientifique du travail », augmente la productivité mais ne résout pas la misère et les inégalités sociales. Dans la suite logique de la quête de production, le Toyotisme voit le jour au japon comme nouvelle méthode de production, théorisée par Taiichi Ohno. Elements divers à penser les espaces de travail avec les Aujourd’hui, et dans cette lignée, on forme les ingénieurs
méthodes LEAN et 5S, l’espace est subordonné à la production. UNIC Production machines à café
La mutation de l’industrie ne se fait pas seulement par les méthodes de travail, l’emploi ouvrier se
tionnel, sans repère Administratif
GRIESSER Stores, première entreprise arrivée sur la Z.I. LA POSTE Centre de tri
Scolaire
diffuse peu à peu au-delà des murs de l’usine et emporte avec lui le management et la logique de production régie par le profit, la concurrence et le flux tendu.
Sportif
Alors que les maux se généralisent, le travail se décline, l’individualisme se développe et le Elements divers sentiment d’appartenance s’effrite, se détend comme le tissu urbain des zones industrielles
Culturel et cultuel
Déchets
Social et santé
contemporaines. Qui peut aujourd’hui en lister les qualités si celles-ci ne sont pas économiques ?
Poids lourds
Si l’on continue de faire référence visuellement à l’usine par un pictogramme représentant un toit
Administratif
crénelé par des sheds jouxtant une cheminée, la réalité correspond plus à cette chanson de Malvina
Scolaire
ique du Var
Sportif
Reynolds, Little boxes, traduite et interprétée par Graeme Allwright en français « petites boites très
Culturel et cultuel
étroites faites en ticky-tacky (pacotille) petites boites petites boites toutes pareilles »3.
Elements divers
Social et santé
Nous sommes loin de l’époque où :
Poids lourds
« Les ouvriers habitaient dans des logements surpeuplés, construits à la fin du XIXe siècle, et se rendaient à l'aube dans les fabriques pour y travailler dans
Ouvrages hydrauliques
des ateliers bruyants et exposés aux courants d'air. XIXe siècle, le temps de travail quotidien se montait à quatorze heures ; le mouvement ouvrier arracha Elements divers
Ouvrages hydrauliques
progressivement la réduction de cette durée. »4.
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Elements
Hangars génériques photos personnelles prises dans la Z.I. de Carros le Broc divers Décembre 2019
Malvina Reynolds, Little Boxes, 1962. Martin Blum, Andreas Hofer, et P.M., Kraftwerk 1, Edition du Linteau, 2014.
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Mais l’amélioration de la condition ouvrière ne signe pas la résolution de tous les problèmes qui lui sont liés. Le territoire se retrouve encore fracturé par un zoning décomplexé qui s’est mis en place au fil des années. Reléguées à la périphérie, ces zones constituent la ZwischenStadt selon Thomas Sievert5 une entité urbaine complexe de l’entre-ville. Et l’usine, même à 35h par semaine reste un lieu repoussant. Outre les conditions de travail et le peu d’intérêt qu’ont les taches, l’espace est particulièrement négligé dans sa conception où le travailleur ne trouve pas sa place. « the adaptation of ex-industrial spaces appears a felicitous shift to consumption since the 1970s, but carries with it a disturbing subtext: the imbalance of production and consumption, which implies the lack of work in the future. […] Elon Musk is building outside of Reno Nevada, the largest factory in the world, Tesla’s Gigafactory, begun in 2015 and scheduled to be finished in 2020, on 400 hectares of land and fully self-sufficient for energy through photovoltaic roofs. While there are claims that the factory’s battery production for electric cars will employ thousands of people, most of the work will be carried out by automation in environmental conditions that humans cannot endure. »6 Alors que l’usine du futur d’Elon Musk semble plus déconnectée que jamais du monde réelle, toujours plus aberrante et inhumaine dans ces dimensions et l’espace qu’elle renferme, toujours plus indépendante de son contexte, nous pouvons nous demander si l’architecture peut encore avoir son mot à dire dans la conception des lieux de production. Vue du ciel, la Gigafactory que partagent Panasonic et Tesla Planet. Labs, Inc. via Wikimedia Commons
Dans un premier temps, il sera traité des conditions initiales de la création d’une classe ouvrière après la révolution industrielle et de l’ancrage spatial de l’identité de cette population. Il sera traité de ce que représente l’usine dans la société. De comment, selon Michel Foucault l’usine est devenue une institution pour surveiller et asservir ceux qui y travaillent. Ayant pour conséquence de créer un identité ouvrière, en lutte, dont le berceau est l’usine.
5 6
Thomas Sieverts, Entre-ville : une lecture de la Zwischenstadt, 2004. Manuel Castells,Henri Lefebvre
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Nous verrons ensuite comment le patrimoine industriel a impacté la manière de bâtir les villes et l’architecture, et comment cela à dissocié l’architecture industrielle de l’identité ouvrière. Comment des contraintes techniques sont nées de nouvelles typologies de bâtiment et de nouvelles manières de construire de Gustave Eiffel à Peter Behrens, générant une imagerie industrielle parfois sans lien avec une activité de production Jean Prouvé. Réinterprétant un vocabulaire architectonique lié à l’industrie ou réhabilitant du patrimoine industriel en lieux de culture ou de consommation. Enfin nous dresserons le portrait d’une industrie en mutation, les progrès techniques allant, les flux de transport et communication, les lieux de travail mutent et les emplois ouvriers se diversifient pour sortir du domaine purement industriel. L’évolution des méthodes de production issues du Toyotisme, divisent cette fois ci les individus. La libération de l’attache du lieu de production à une ressource matérielle ou à une force de travail (dotant le travailleur d’une voiture) entrainant une fracturation des territoires par l’aménagement, loin des villes où se construit le nouveau visage du travail ouvrier, industrie mêlée au tertiaire dans un quadrillage vertigineux. La zone industrielle occidentale, dans sa Zwischenstadt7, devient une expression de l’asservissement contemporain des êtres et de la fuite de l’architecture. Où la logique tramée et rationnelle de conception de l’espace le rend stérile et inhospitalier.
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Sieverts, Entre-ville.
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Chapitre I : L’usine théâtre d’un asservissement de masse par le travail
Après la révolution industrielle en Angleterre, précipitée par une mécanisation des procédés de fabrication, se sont transformées les manufactures en usine. Lieu de production où la machine assure la majeure partie du fonctionnement. Avec cela, un développement des infrastructures de transport, le ferroviaire connaissant un développement formidable au XIXe siecle. L’industrie s’articule et se développe autour de ses infrastructures, dans des lieux qui façonnent son identité. Les mines, les gares, les chantiers, les usines, les forges. Seulement les machines ont besoin d’une intervention humaine pour procéder. Le travail, sale et pénible est assuré par ceux qui n’ont pas d’autres choix, les prolétaires, étymologiquement, ceux qui n’ont pour richesse que leur progéniture des citoyens prolétaires, quittes envers la patrie, quand ils lui ont donné des enfants 8. Cette condition dite « ouvrière » devient indissociable de ces lieux. Issus d’une nouvelle institution, l’usine qui aliène et domine Michel Foucault9 et semblent associés des procédés de fabrication qui divisent. Les villes qui grandissent désormais grâce et pour cette activité industrielle répondent à de nouvelles règles d’urbanismes dictées par la production. Impactant le paysage, le lieu de travail, ainsi que le logement avec les cités ouvrières. « L’industrie, c’est la science appliquée à l’économie, c’est-à-dire à la production par les humains de leur existence matérielle. Après le religieux et le pouvoir politique, l’économie devient le fondement de la société. Si l’on désigne cette dernière par le mot de « nation », à la nation ethnique et à l’Etatnation, succède la nation-marché, aire de fabrication et de circulation des richesses. » p.137
8 9
Dupont de Nemours, « Prolétaire », in époque mod., 1789, https://www.cnrtl.fr/etymologie/prol%C3%A9taire. Michel Foucault, Surveiller et punir, nrf (Gallimard, s. d.).
page de gauche Metropolis, Fritz Lang, Arrêt sur image à 2’40’’
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Que dit-donc l’usine d’une population et de sa condition ? Comment une urbanisation et une architecture ont conquis les territoires industrialisés en affichant une forme de puissance par un bâti connoté et ostentatoire ? Peut-on affirmer que l’usine est pour le travailleur un lieu d’aliénation ? Comment la construction de cette identité a laissé des marques durables dans notre patrimoine urbain et architectural.
I.1. La catégorie socio-professionnelle d’ouvrier Dans l’imaginaire collectif, l’ouvrier dispose de moins de ressources que les autres catégories socio-professionnelles, sa profession est souvent considérée comme peu enviable, le travail pénible, salissant et dangereux. Naïri Nahapétian10 recueille des témoignages montrant qu’en 2005 encore, le système scolaire stigmatise les formations professionnalisantes. L’INSEE en 2013, affiche des chiffres montrant que 60 pourcent des travailleurs sont répartis de manière à peu près équivalente entre les employés et les ouvriers et touchent les salaires les plus bas de toutes les catégories socio professionnelles (1612 euros pour les employés et 1686 pour les ouvriers, soit plus de 400 euros mensuels de moins que la moyenne nationale à 2202 euros). Si l’emploi ouvrier affiche encore aujourd’hui ce genre d’écart, il était bien plus important lors des premières décennies de l’industrialisation avec un pouvoir d’achat alors très faible. On voit donc que la population ouvriere a depuis l’industrialisation de la France, souvent été le plus gros effectif de toutes les catégories professionnelles avec toutefois un salaire très bas. En plus de faibles revenus, on peut avec certitude affirmer que le travail d’ouvrier n’est pas sans peine. Zola dans Germinal « Le Voreux, au fond de son trou, avec son tassement de bête méchante, s'écrasait davantage, respirait d'une haleine plus grosse et longue, l'air gêné par sa digestion pénible de chair humaine. »11.
10 11
Naïri Nahapétian et Denis Clerc, L’usine à vingt ans essai (Paris: Arte éd. : les Petits matins, 2006). Emile Zola et Colette Becker, Germinal, Le livre de poche (Paris: Le Livre de Poche, 2000).
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Publié en 1885, ce livre s’établi sur la base d’une enquête approfondie de la part de l’auteur. Dans ce livre, la mine, lieu et outil à la fois, est assimilé à un organisme vivant et meurtrier puisqu’il se nourrit des ouvriers, responsable de la difficulté de leur condition de vie.
I.2. L’homme crée la machine la machine détruit l’homme Depuis, les procédés industriels ont évolué. Dans l’usine, la déshumanisation de l’ouvrier s’est répandu avec l’évolution des moyens techniques de production et de management. Extrait de La rationalisation, conférence donnée par Simone Weil devant un auditoire ouvrier : « On parle souvent de la révolution industrielle pour désigner justement la transformation qui s’est produite dans l’industrie lorsque la science s’est appliquée à la production et qu’est apparue la grosse industrie. Mais on peut dire qu’il y a eu une deuxième révolution industrielle. La première se définit par l’utilisation de la matière inerte et des forces de la nature. La deuxième se définit par l’utilisation scientifique de la matière vivante, c’est-à-dire des hommes. »12 Taylor, après une brève expérience dans le milieu ouvrier devient rapidement directeur d’usine, dans laquelle il analysera de manière scientifique, le travail et la manière d’augmenter la production, privant l’ouvrier de son libre-arbitre et de l’exclusivité de son savoir-faire. « dès son origine, la rationalisation a été essentiellement une méthode pour faire travailler plus, plutôt qu’une méthode pour travailler mieux. »13 Cette destitution du savoir-faire s’accentue encore avec la division des tâches et le travail à la chaîne apparus sous le fordisme remplaçant l’ouvrier qualifié par des manœuvres spécialisés exécutant des gestes mécaniques répétitifs.14 Ce postulat présenté par Simone Weil est issu d’une
Weil et Chenavier, La condition ouvrière. p.303. Weil et Chenavier. p.316 14 Weil et Chenavier. 12 13
14
réflexion qui témoigne de son expérience en usine. Elle décrit dans La condition ouvrière des ouvrières épuisées qui ne trouvent pas la force de danser le week-end15. La science-fiction s’attache aussi à décrire l’industrie comme aliénante et difficile dans des futurs dystopiques. Dans Metropolis de Fritz Lang, les souterrains écrasés sous une ville vertigineuse sont le théâtre d’une domination effroyable d’une ouvrière qui manipule dans un effort harassant des machines dont le fonctionnement échappe au spectateur. A 2’40’’ on aperçoit une rotation d’équipe. Les ouvriers sortants, tombant de fatigue marchant d’un seul homme trois fois moins vite que leur collègues prenant la relève. Outre l’uniforme, l’habit de travail aux allures carcérales faisant écho à ce champ visuel déjà exploité par le barreaudage des grilles d’entrée et sortie, la cadence donnée par le pas des ouvriers les déshumanise et évoquent la cadence du travail, mot analysé et choisi par Simone Weil, au détriment de celui de rythme p.337 « La succession de leurs [les ouvriers] gestes n’est pas désigné, dans le langage de l’usine, par le mot de rythme, mais par celui de cadence, et c’est juste, car cette succession est le contraire d’un rythme. Toutes les suites de mouvements qui participent au beau et s’accomplissent sans dégrader enferment des instants d’arrêts, brefs comme l’éclair, qui constituent le secret du rythme et donnent au spectateur, à travers même l’extrême rapidité, l’impression de la lenteur. Le coureur à pied, au moment qu’il dépasse un record mondial, semble glisser lentement, tandis qu’on voit les coureurs médiocres se hâter loin derrière lui ; plus un paysan fauche vite et bien, plus ceux qui le regardent sentent que, comme on dit si justement, il prend tout son temps. Au contraire, le spectacle de manœuvres sur machines est presque toujours celui d’une précipitation misérable d’où toute grâce et toute dignité sont absentes. Il est naturel à l’homme et il lui convient d’arrêter quand il a fait quelque chose, fût-ce l’espace d’un éclair, pour en prendre conscience, comme Dieu dans le Genèse ; cet éclair de pensée, d’immobilité et d’équilibre, c’est ce qu’il faut apprendre à supprimer entièrement dans l’usine, quand on y
15
Weil et Chenavier.
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travaille. Les manœuvres sur machines n’atteignent la cadence exigée que si les gestes d’une seconde se succèdent d’une manière ininterrompue et presque comme une horloge, sans rien qui marque jamais que quelque chose fini et qu’autre chose commence. »16. L’ouvrier se plie aux exigence et au fonctionnement de la machine sur laquelle il travaille, il suit la cadence. Il devient une pièce de la machine, phagocyté, essentiel au fonctionnement du système qui l’enferme. La « machine de chaire » rejoint la « machine de fer ». Bien que la question ait fait l’objet d’un débat religieux et philosophique dont il n’est pas question ici, le caractère fini de l’être humain est globalement admis au point que le dictionnaire Larousse l’évoque dans sa définition : « finitude n.f. : Caractère de l'être humain, considéré comme ayant la mort en lui à chaque instant de sa vie. »17 Cette cadence est donc un clou supplémentaire au cercueil de l’humanité du manœuvre. Revenons sur le chassé-croisé de travailleurs de Métropolis. La mise en scène du décor évoque quelque chose de très organique, on retrouve la métaphore de Zola évoquée plus haut, l’usine se nourrit de travailleurs. Le couple entrée/sortie associé dans l’industrie au suivant : matière première/produit fini se transpose ici au travailleur qui entre humain avec sa force de travail et sort vidé « détruit »18 . Le parallèle avec le fonctionnement du corps humain est envisageable, qui inspire et expire de l’air, à son appareil digestif. Comme si les rôles s’inversaient, que l’humain se mécanisait et que la machine prenait vie. A la manière du personnage de Frankenstein de Mary Shelley, l’homme, en créant la machine, défait la mort. Si Dieu a créé l’homme à son image, l’homme, d’une manière, a créé la machine à la sienne. Y voyant certainement là une manière de renier sa condition finie et de rendre l’imperfection et la faiblesse obsolète. Dépassé par sa création, l’homme paye de son âme son blasphème. En somme, le travail ouvrier sous l’ère industrielle, offre les revenus les plus bas de la société et un statut de dominé, déshumanisé par le contact vampirisant de la machine. Les hommes
16
Weil et Chenavier. Éditions Larousse, « Définitions : finitude - Dictionnaire de français Larousse », consulté le 3 janvier 2020, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/finitude/33836. 18 Weil et Chenavier, La condition ouvrière. 17
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majoritairement amassés autour des machines partagent leur malheur forgent leur identité à partir de cette souffrance humaine et cette condition sociale partagée. Mais cette condition n’est-elle pas nécessaire à l’exercice du pouvoir ?
I.3. l’usine, institution de la surveillance, exercice du pouvoir Nous avons constaté le mal être propre au travail industriel. L’usine serait-elle donc un lieu d’exercice du pouvoir ? Hérité de la vallée de l’Indus, le mot industrie s’appuie sur le phénomène de division des travaux apparu autour de ce fleuve qui a brisé l’hégémonie du travail agricole et tracé les villes en fonction de secteurs d’activité comme le souligne Paul Blanquart dans Une histoire de la ville. L’industrie est donc née d’une division. Or, étymologiquement, le mot diable évoquant le mal, vient du grec διάβολος, diábolos masculin Qui désunit, qui inspire la haine ou l’envie. « Qui désunit » La création de secteurs dans la ville partage donc cette caractéristique avec cette entité maline qu’est le diable dans la religion. La division des tâches sous le fordisme accentue cette désunification. Dans la Grèce antique, le besogneux était l’esclave, le dominé, le haut de la hiérarchie échappant à ce sort. Le mot travail tire lui ses racines du latin du mot tripalium
(Maréchalerie) Instrument
servant
à ferrer de
force
les
chevaux rétifs.
(Par
extension) Instrument d’immobilisation et de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles. Nous avons donc construit une société où l’activité quotidienne des citoyens est désignée par un mot issu d’un outil de torture. Valorisé socialement, tout le monde devrait travailler et le taux de chômage est souvent pris comme indicateur de la santé économicosociale d’un pays où le plein-emploi devient un rêve politique, une promesse électorale. Car outre la dimension de contrainte, le travail étant aujourd’hui légalement soumis à rémunération, promet un moyen de subsister pour le citoyen dit « actif ». Le travailleur peut donc se constituer un capital lui permettant de « vivre », aujourd’hui, cela consiste en se loger, se nourrir, se divertir. Les habitations sont là, même s’il existe des personnes sans domicile, il existe aussi des logements inoccupés et il serait possible de loger tout le monde et nos maisons ne valent pas matériellement le prix qu’elle coûte, régi par le cours du foncier, voir comment un studio parisien peut coûter le prix d’une maison de campagne. La nourriture produite de façon industrielle alimente une population très minoritairement agricultrice. La nourriture est produite en excès au point que les
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grandes surfaces se permettent de la jeter. Nous savons nous divertir gratuitement ou bon marché pendant. Bien pendant l’enfance, un peu moins en grandissant. Pourtant nous continuons de travailler pour avoir de l’argent. Le besoin matériel est donc entretenu à l’heure où nous pourrions nous contenter de ce que nous avons produit. Le journal libération écrit un article évoquant une potentielle mesure : « Le gouvernement prévoit d'interdire de détruire ou brûler tous les produits invendus. Si le projet de loi était appliqué, il s'agirait en effet d'une première mondiale. »19. Des produits neufs ayant nécessité un travail industrialisé de production et de logistique (livraison, conditionnement), à échelle planétaire sont donc détruits. Il y a donc des emplois qui ont été rémunéré pour produire un bien volontairement détruit ensuite. Si le manœuvre dans son emploi parcellisé pouvait douter du sens de son travail, il se peut désormais qu’il ne serve à rien du tout. On peut se poser la question de la fréquence de ces pratiques, mais on ne peut pas nier que le fait même de penser à l’interdire prouve son existence aussi inadmissible soit-elle. L’obsolescence programmée n’est plus suffisante pour faire travailler les hommes. Ce concept n’est d’ailleurs pas seulement contemporain puisque Paul Lafargue y fait référence dans son ouvrage Droit à la paresse publié en 1880 en prenant l’exemple des draps : « Tous nos produits sont altérés pour en faciliter l’écoulement et en abréger l’existence. »20. Cette obsolescence programmée est même un argument de l’aliénation de l’individu dans le système fasciste dépeint dans A brave new world d’Aldous Huxley. Basée sur un contrôle de l’individu par eugénisme, manipulations génétique, stupéfiants et travail, les êtres humains sont conditionnés pour se plier aux règles de la société au profit de laquelle disparaît toute individualité. Une des étapes de ce conditionnement prône ce caractère éphémère : « ending is better than mending »21, les nouveau-nés apprennent ensuite à fuir la nature car « a love of nature keeps no factory busy ».
19 « La France va-t-elle devenir le premier pays interdisant l’élimination de tous les invendus ? », Libération.fr, 6 juin 2019, https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/06/la-france-va-t-elle-devenir-le-premier-pays-interdisant-lelimination-de-tous-les-invendus_1731672. 20 Paul Lafargue, « Le droit à la paresse », s. d., 25. p.16 21 Aldous Huxley, Brave New World, New Ed (London: Vintage Classics, 2004).
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On comprend donc que les usines, à travers une production de biens répondant à des besoins artificiels, sont un instrument de pouvoir. L’usine donc devient un lieu où l’on dirige les ouvriers .Michel Foucault dresse en l’usine le portrait d’une institution qui, au même titre que la famille, l’école, l’armée ou la prison, toutes calquées sur cette dernière, selon le système Panoptique22, a pour but de surveiller et punir, comme le titre du livre où il développe cette argumentation. « Il s'agit à la fois de distribuer les individus dans un espace où on peut les isoler et les repérer; mais aussi d'articuler cette distribution sur un appareil de production qui a ses exigences propres. »23 p.146 « Le schéma panoptique, sans s'effacer ni perdre aucune de ses propriétés, est destiné à se diffuser dans le corps social; il a pour vocation d'y devenir une fonction généralisée. »24 p.209 Surveiller et punir, pourrait être un titre au roman dystopique 198425. Récit d’anticipation, raconte comment un régime autoritaire garde l’emprise sur la masse en diffusant parmi les slogans du parti, le fameux « Big Brother is watching you ». C’est ce sentiment menaçant d’être regardé puis dénoncé (signifiant torture, et mort sous le régime d’Oceania) qui canalise les individus. Les seuls endroits où cette surveillance se détend un tant soit peu sont les zones d’habitation des « proles » déjà bien aliénés par leur condition sociale. Ceux-ci, comme décrit dans le livre de Goldstein, œuvre de fiction interne au roman, doivent être majoritaires, pauvres et dominés. Or, dans le livre, Winston Smith, le personnage principal, au travers de son éveil et de sa tentative d’émancipation, ne cesse de penser, « if there is hope, it lays in the proles »26 en spéculant sur un futur soulèvement de cette masse passive et oppressée. Est-ce seulement possible ?
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Jeremy (1748-1832) Auteur du texte Bentham, Panoptique . Mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d’inspection et nommément des maisons de force, par Jérémie Bentham..., 1791, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114009x. 23 Foucault, Surveiller et punir. 24 Foucault. 25 George Orwell, Nineteen Eighty-Four, Repr (London: Penguin, 2008). 26 Orwell.
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L’Êlan paternaliste des citĂŠs ouvrières a un cĂ´tĂŠ pernicieux puisque cette proximitĂŠ gĂŠographique ĂŠtend le pouvoir de surveillance et de domination qu’exerce l’institution de l’usine y subordonne les autres institutions elles-mĂŞmes aliĂŠnantes et disciplinaires Ă savoir l’Êcole et la famille. Le concept mĂŞme de paternalisme reprĂŠsente dans sa dĂŠnomination, une forme de hiĂŠrarchie dans sa dĂŠnomination. En effet, le patron, assimilĂŠ Ă un père, qu’il soit aimant ou menaçant occupe une position hiĂŠrarchique sur l’enfant qu’il ĂŠduque. Le parallèle assume alors ouvertement l’infantilisation de l’ouvrier, privĂŠ de libre arbitre, privĂŠ de sa libertĂŠ, considĂŠrĂŠ comme irresponsable. Le concept utopique du phalanstère de Fourier27, thĂŠorisĂŠ en 1808, regroupe une communautĂŠ de travailleurs et leurs familles dans un bâtiment. Exploitant cette idĂŠe et dans une logique paternaliste, le familistère de Guise, conçu par Godin et construit de 1859 Ă 1884, propose un idĂŠal de vie autour d’une production industrielle. MĂŞme comme ambition d’aboutir Ă une gestion associative, ÂŤ ‡ ƒÂ?‹Ž‹•–°”‡ ‡•– Â’Â”ÂąÂ’ÂƒÂ”ÂƒÂ–Â‘Â‹Â”Â‡ Â? ÂŽĚľÂƒÂ•Â•Â‘Â…Â‹ÂƒÂ–Â‹Â‘Â? Âť28, et Ă l’Êmancipation d’une classe, Le bâtiment de logement trouble par son architecture.
Le vocabulaire carcÊral saute aux yeux tant on croirait une version amÊliorÊe du Panoptique. Un atrium inondÊ de lumière par une verrière, bordÊ par des coursives distribuant les appartements arrive même à se passer de la tour de surveillance, puisque celle-ci s’effectue spontanÊment par les habitants eux-mêmes, poussÊs à la dÊlation.  ici, la rÊgulation du comportement, se fait par la pression du regard 29 (15’50’’) entrainant des amendes pour les contrevenants. Le principe d’organisation scientifique du travail, est dÊcrit par Taylor dans ces quelques lignes citÊes par Simone Weil : Le Familistère de Guise. Š Thierry Tronnel/Corbis via Getty Images
27
Charles (1772-1837) Auteur du texte Fourier, ThÊorie des quatre mouvemens et des destinÊes gÊnÊrales : prospectus et annonce de la dÊcouverte / [par Charles Fourier], 1808, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k106139k. 28  Une biographie , Le Familistère de Guise, consultÊ le 4 janvier 2020, /fr/decouvrir/monsieur-godin-fondateurdu-familistere/une-biographie. 29 ARTE,  Architectures - Volume 1 , ARTE Boutique - Films et sÊries en VOD, DVD, location VOD, documentaires, spectacles, Blu-ray, livres et BD, consultÊ le 4 janvier 2020, https://boutique.arte.tv/detail/architectures_vol_1.
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Taylor rapporte cette anecdote dans son livre La Direction scientifique des entreprises: « Le petit Hollandais se met au travail ; toute la journée, l'homme qui se trouve auprès de lui, avec un chronomètre, lui dit : maintenant ramassez une gueuse et transportez-la ; maintenant asseyez-vous et reposez-vous... travaillez... reposez-vous. Le petit Hollandais obéit sans discuter. Et à cinq heures et demie, il touche en effet soixante-dix cents de plus que d'habitude. Il faut préciser que ce jour-là, il n'avait pas manipulé treize tonnes, mais cinquante. »30 Taylor décrit donc sa méthode comme une solution pour produire plus et à moindre coût. Son application repose sur une surveillance continue du travailleur obéissant. Taylor ne mentionne pas cependant le coût de l’emploi d’un tel contre-maître/donneur d’ordre, ni au coût de la recherche et de la formation du supérieur hiérarchique du manœuvre. De plus, il ne s’intéresse aucunement au ressenti du travailleur, la dimension humaine, l’autonomie et le savoir-faire sont complètement gommés du tableau, le comportement au long terme d’une telle méthode reste un mystère. En plus d’être incomplète, cette analyse tire des conclusions hâtives et moralement douteuses, assimilant l’homme à une machine. Plus tard dans l’histoire, l’organisation scientifique du travail bien ancrée de le monde de l’industrie, ce raisonnement aliénant et dégradant est dénoncé. Dans voyage au bout de la nuit, Céline, raconte l’embauche de son personnage principal dans une usine de l’Amérique fordiste. « Vous n’êtes pas venu ici pour penser, mais pour faire les gestes qu’on vous commandera d’exécuter... Nous n’avons pas besoin d’imaginatifs dans notre usine. C’est de chimpanzés dont nous avons besoin... |…] On pensera pour vous mon ami ! »31
30 31
Weil et Chenavier, La condition ouvrière. Céline, Voyage au bout de la nuit, Folio, Folio, 1932.
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Le dialogue est assez violent et même s’il est tiré d’un roman, il illustre bien le propos mis en avant par Taylor dans sa quête d’optimisation au détriment de l’homme et de son développement personnel. La comparaison péjorative aux chimpanzés prive le travailleur de son humanité et de son libre arbitre.
I.4. Constitution d’une identité ouvrière à travers un lieu I.4.1. Lutte ouvrière Ma verrà un giorno che tutte quante O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao Ma verrà un giorno che tutte quante Lavoreremo in libertà. -chant des mondines travailleuses des rizières italiennes
“We want one man to be always thinking, and another to be always working, and we call one a gentleman, and the other an operative; whereas the workman ought often to be thinking, and the thinker often to be working, and both should be gentlemen, in the best sense. As it is, we make both ungentle, the one envying, the other despising, his brother; and the mass of society is made up of morbid thinkers and miserable workers. Now it is only by labour that thought can be made healthy, and only by thought that labour can be made happy, and the two cannot be separated with impunity.” — John Ruskin, The Stones of Venice vol. II: Cook and Wedderburn 10.201.
La lutte ouvrière est-une réalité depuis l’avènement de l’industrie. John Ruskin, parmi les premiers à écrire sur cette condition du travailleur, la stigmatisation que cela engendre et comment la société se divise de par cette inégalité. Cela rejoint l’opposition décrite par Marx et Engels en 1948 dans
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le manifeste du parti communiste qui théorise sur la lutte des classe opposant bourgeois et prolétaire. Ce sentiment d’injustice nourri par une condition partagée par un grand nombre, la production industrielle mobilisant beaucoup d’hommes, fédère donc les individus, leur confère une identité. Frédérique Autin, définit « l’identité sociale » comme « la partie du concept de soi d’un individu qui résulte de la conscience qu’à cet individu d’appartenir à un groupe social ainsi que la valeur et la signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance. »32. Le film de Chaplin, Les temps modernes33 s’ouvre sur un parallèle saisissant entre un troupeau de mouton et les travailleurs sortant de leur bouche de métro. Malgré l’aspect aliénant de cette comparaison où l’individu disparait dans la foule, on peut reconnaître que ce troupeau a pour lui une forme d’unité. Représentant là une puissance. Dès lors, l’ennemi commun, la bourgeoisie, le patronat devient un liant humain puissant. La classe ouvrière négociant alors d’un seul homme l’amélioration de sa condition au prix de grèves bravant la répression et le pouvoir dont il fut question dans la sous-partie précédente. La création de syndicat représentent cette entité ouvrière défendant ses droits. Il y a déjà eu des soulèvements dans l’histoire et des identités revendiquées. Cette recherche d’identité et d’appartenance semble tout à fait saine et nécessaire pour l’homme qui se définit souvent à travers une pratique religieuse, une origine géographique, ou encore une orientation sexuelle. Cependant, il semble assez inédit qu’un sentiment d’appartenance si fort soit lié à une catégorie professionnelle, elle-même liée à un lieu archétypal, l’usine, pouvant être étendu de manière plus large à l’espace industriel. La fête du travail, célèbre dans beaucoup de pays les droits des travailleurs, le 1er mai. Cette date commémore l’affaire Haymarket34, à Chicago où un soulèvement d’ouvriers de l’usine de matériel agricole McCormick.
Broadside announcing the meeting of workers in Haymarket Square, May 4, 1886. Library of Congress, Washington, D.C. https://www.britannica.com/event/Haymarket-Affair
32
Frédérique Autin, « La théorie de l’identité sociale de Tajfel et Turner. », s. d., 7. Charlie Chaplin, Modern Times, 2019, https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Modern_Times_(film)&oldid=928215168. 34 « Haymarket Affair | History, Aftermath, & Influence », Encyclopedia Britannica, consulté le 6 février 2020, https://www.britannica.com/event/Haymarket-Affair. 33
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Ce lieu, en tant que théâtre d’une domination du travailleur distille l’identité ouvrière mais ne représente pas un terrain conquis ni même familier pour l’ouvrier. Heidegger, citant parmi d’autres exemples : « l'ouvrière se sent chez elle dans la filature, pourtant elle n'y a pas son habitation » dans une argumentation sur le concept d’habiter35 en 1951, n’a certainement pas lu la réflexion issue de l’expérience personnelle de son homologue philosophe Simone Weil pourtant publié 9 ans plus tôt. « Il faut que la vie sociale soit corrompue jusqu’en son centre lorsque les ouvriers se sentent chez eux dans l’usine quand ils font grève, étrangers quand ils travaillent. Le contraire devrait être vrai. Les ouvriers ne se sentiront pas chez eux dans leurs pays, membres responsables du pays, que lorsqu’ils se sentiront chez eux dans l’usine pendant qu’ils y travaillent. »36. La professeure met le doigt sur un problème de fond dans le rapport qu’entretiennent les ouvriers avec leur lieu de travail. Il est clair que l’usine est inhospitalière pour les employés du fait de leur position soumise et contraints d’effectuer des tâches pénibles qu’ils n’ont pas choisi et ne leur apporte aucune gratification personnelle.
I.4..2 Cités ouvrières L’espace industriel hors les murs de l’usine véhicule lui aussi des maux par la ségrégation spatiale qu’il met en place. Une ghettoïsation du monde ouvrier voulue par les besoins même de l’industrie. Manuel Castells, dans Sociologie de l’espace industriel écrit : « le grand mouvement d’industrialisation se fait par soumission totale du cadre urbain aux exigences et aux rythmes des unités productives. Et ceci, que ce soit dans les nouvelles villes industrielles et minières suscitées autour des matières premières, des sources d’énergie ou des nœuds de communication, ou dans les grandes villes pré-industrielles qui sont façonnées, transformées et asservies par les implantations de fabriques et de la réorganisation spatiale qui s’ensuivit,
35 36
« Bâtir habiter penser », consulté le 5 janvier 2020, http://palimpsestes.fr/textes_philo/heidegger/habiter.html. Weil et Chenavier, La condition ouvrière. p.341
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aussi bien en termes d’infrastructures productive que de concentration de maind’œuvre. »37 On parle alors de cités ouvrières pour désigner cette concentration de main-d’œuvre logée dans un élan mixte de philanthropie et de paternalisme sous l’impulsion Britannique en 1841 de « l’association métropolitaine pour l’amélioration des habitations des classes industrielles » et en 1844 de la « Société d’amélioration du sort de la classe ouvrière ». En France en 1853 nait la première cité ouvrière, projetée par la Société Mulhousienne des Cités Ouvrières. Les habitations encadrant le lieu de travail, une filature. Ce genre de projet a des vertus, il permet de garantir une habitation saine pour le travailleur, il a un côté hygiéniste. Et par l’amélioration des conditions de vie, la production est garantie et se prémunie de mouvement de lutte et de grève. L’unité ouvrière est donc une réaction à une condition et intimement liée à une pratique de spatiale. L’architecture industrielle participe alors d’une domination de la population ouvrière dans la mesure où elle abrite la machine aliénante, et crée le lieu d’une institution disciplinaire, entrainant une lutte forgeant une identité ouvrière. Il est donc clair que le bâtiment de l’usine représente une identité ouvrière et charge donc ce lieu d’une valeur sociale. Comment cela s’exprime-t-il architecturalement dans la ville ?
Sociologie de l’espace industriel - Manuel Castells,Henri Lefebvre, consulté le 2 janvier 2020, https://www.furet.com/ebooks/sociologie-de-l-espace-industriel-manuel-castells9782402295093_9782402295093_1.html. 37
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Chapitre II : L’architecture industrielle de l’ouvrage technique à une esthétique connotée
Nous avons vu dans la première partie que l’identité ouvrière s’est développée à partir d’un lieu de travail. La condition d’ouvrier et le travail industriel s’expriment alors à travers l’architecture de ces lieux et l’urbanisme de la ville moderne. L’architecture représentation une fonction, un usage dans l’espace par l’intermédiaire d’un bâtiment. La maison représente le logement, le palais représente le pouvoir, le temple représente le divin. L’atelier représente le travail artisanal (forge, cordonnerie, tannerie…). Ce bâtiments ont donc des typologies qui les rendent reconnaissables et identifiables dans la ville. L’usine en plus d’avoir nourri en son sein le développement d’une identité sociale, l’affiche dans la ville par sa typologie, son architecture. Mais quelle est-elle ? comment reconnait-on un tel bâtiment ? Que cela raconte-t-il de notre manière de pratiquer la ville et d’aménager le territoire ? Mais avant toute chose, il est important de noter qu’en 2020, si l’on doit représenter graphiquement le concept d’industrie, on choisira de représenter le bâtiment d’usine, et ce, avec des symboles particuliers. Sur le site thenounproject.com, plateforme participative d’achat/vente de pictogrammes, lorsque l’on tape « factory » dans le champ « recherche », on peut faire l’inventaire des codes parmi les plus utilisés dans cette représentation. Parmi les symboles les plus fréquents, on trouve, la cheminée, les sheds et la fumée. Ce type de pictogramme est si communiquant qu’il est même choisi pour signaler un site industriel historique à Saverne et Monswiller, alors que l’activité industrielle est toujours présente, celle-ci semble se passer de ces codes.
page de gauche Collage d’après photos personnelles. Composition d’après un couloir de la Freie Universität de Berlin et un autre de l’usine de cigarette Reemtsma à Berlin Mai 2019
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II.1. Constitution d’un patrimoine urbain II.1.1. Caractère ostentatoire Dans les villes, le bâtiment de production a une typologie singulière et se démarque aisément de son contexte. La dimension technique de tels ouvrages explique leur différence mais, l’industriel se montre aussi à travers le bâtiment qui abrite sa production. A la manière d’un palais royal, l’usine se montre, reflète par son image, le capital financier qu’elle génère et l’activité qu’elle abrite, la main d’œuvre qui y travaille. « La puissance se donnant en spectacle, comme au théâtre : telle est bien la ville royale issue de cette matrice. Du monde mécanique que leur offraient les ingénieurs physiciens, les contemporains commencèrent par s’amuser comme des fous. Regarder les automates, les inventions bizarres mais efficaces et sans cesse renouvelées, les appareils et les machines aux effets merveilleux de prestidigitation, créait une atmosphère de surprise et de jeu. Les Italiens étaient passés maîtres dans cet art de l’artifice et de l’illusion. Que l’on songe seulement à Léonard de Vinci. Ou à Venise. Elle est faite de rien, elle n’a même pas de sol. La machinerie y remplace la nature. » p.10038 Paul Blanquart évoque là, la manière dont la construction est un moyen d’expression de la puissance. La puissance économique du monde moderne vient des usines qui deviennent à leur tour un témoin bâti du pouvoir, ici, de l’industriel. La curiosité que suscitent les machines italiennes peut être transposée aux machines industrielles. Alors, de cette thématique naît une imagerie qui revendique intrinsèquement une puissance dont les usines sont l’outil. Cette fierté ostentatoire dure jusqu’au XXeme siècle. Comme en témoignent les dessins et photos d’époque39 parfois éditées et sous forme de carte postale. Avec le mouvement paternaliste, on peut aussi penser que le bâtiment Ensiegne lumineuse sur le toit de l’Usine Van Nelle, Pays-Bas, photo personnelle, Avril 2017
incarne aussi la puissance de l’industriel qui l’a construit. Cette fierté de la puissance industrielle entraine une course au progrès technique entre les nations. L’exposition universelle de 1889 à Paris, célébrant le centenaire de la révolution française et du
Paul Blanquart, Une histoire de la ville : pour repenser la société, 2004. Atlas des paysages d’Alsace, « Les paysages industriels », http://www.paysages.alsace.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?article93. 38 39
23
juillet
2013,
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progrès technique réalisé depuis. Une gravure d’époque y montre en son centre, un bout de ville comprenant une usine archétypale munie de sheds et d’une cheminée fumante et la tour Eiffel, ouvrage purement ostentatoire affichant la puissance politique du pays d’accueil à travers le savoirfaire industriel. « Fierté alsacienne, l’industrie a été le sujet de nombreuses représentations depuis le XVIII siècle. Les fabriques, puis les usines, symboles du dynamisme e
et de la modernité de la région, sont magnifiées jusqu’au début du XX siècle e
par les illustrateurs, les photographes. Encore dans les années 1950-1960, la carte postale continuait à les photographier. Aujourd’hui, beaucoup de ces sites industriels ont disparu ou changé de vocation pour devenir, pour certains, objets de patrimonialisation, de destination touristique, et même de décors de cinéma. »40 Le paysage industriel fait donc l’objet d’une revendication dans certaines régions comme l’Alsace, qui assume volontiers cette présence et n’hésite pas, au travers de représentations, à en faire une force et un vecteur d’identité. C’est donc le bâtiment que l’on montre. Cet élément d’architecture alors mis en avant, peut donc recevoir un certain soin esthétique lors de sa conception où la régularité des tracés et les répétitions sont mises en avant et créent une relation intéressante avec leur contexte. Sur les cartes postales, on voit souvent nettement la différence entre l’objet industriel et le contexte bâti ou paysager. C’est la monumentalité des bâtiments et le caractère hors d’échelle qui frappe. Une forme de domination de l’homme sur la nature qui exprime la puissance d’un lieu par son activité économique.
Société industrielle de Mulhouse, Mulhouse, Manufacture Schlumberger et Cie, Vue générale, 1902 In : Histoire documentaire de l’industrie de Mulhouse et de ses environs au XIXe siècle Bibliothèque nationale de Strasbourg
II.1.2. Rapport à la ville et repère Constitution d’un patrimoine41 La cheminée comme un clocher, signal dans la ville, cible d’un renouveau de l’identité urbaine. Le cas de Berlin, les cheminées contre les clochers. Berlin a un
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d’Alsace. Patrice Béghain, Le patrimoine: culture et lien social, La bibliothèque du citoyen (Paris: Presses de Science Po, 1998).
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fort patrimoine industriel qu’elle parvient par moment à maintenir en activité comme dans le quartier de Wedding. L’activité industrielle tisse un rapport si particulier avec la ville. Comme le décrit Manuel Castells, l’industrie impacte la ville qui se plie à ses exigences. « chaque fois qu’il s’agit de comprendre concrètement la logique d’une structure urbaine, chaque fois qu’on essaye d’intervenir sur l’aménagement de l’espace, la localisation spatiale des activités économiques, et en premier lieu de l’activité industrielle, commande l’ensemble de l’organisation spatiale des fonctions, des populations et des échanges. »p.842
C’est-à-dire que l’industrie
détermine en quelques sortes les stratégies d’urbanisme. Les infrastructures sont pensées pour acheminer la matière première aux usines et pour distribuer les produits finis vers les lieux de consommation, les travailleurs doivent pouvoir se rendre sur place et donc habiter proche de leur lieu de travail et donc trouver des lieux de scolarisation et des commerces de proximité ou bien avoir accès eux-mêmes à une infrastructure de transport. De plus, la santé économique d’une ville est souvent une priorité politique et doit son salut à l’emploi qu’elle abrite et aux richesses qu’elle génère. Il paraît donc logique que les stratégies d’urbanisation suivent favorisent le développement et la pérennisation d’une activité industrielle. La ville industrielle se développe donc autour de ses lieux de production, mais, un autre phénomène apparait dans les villes qui voient leurs usines se concentrer dans un espace donné : « Marshall (1890) a décrit ce phénomène comme la préparation d’un modèle moderne de division du travail dans les entreprises ainsi qu’entre celles-ci. C’est lui qui a donné le jour à la notion de « district industriel » en se référant la concentration d’entreprises, d’artisans qualifiés dans un espace géographiquement limité ». Le climat industriel d’un lieu favorise donc son industrialisation. Cela peut s’expliquer par la présence d’infrastructures, par la disponibilité du terrain et le coût du foncier Cheminées de la Kraftwerk jouxtant l’usine Reemtsma, Berlin Photo personnelle, avril 2019
peut être moins élevé qu’ailleurs du fait justement de la présence industrielle et des nuisances qu’elle provoquerait. Cette concentration d’usines ne laisse donc place qu’à une population majoritairement ouvrière dans ses environs à une époque où le véhicule personnel était un luxe. On voit donc naître des villes non plus industrielles mais ouvrières.
Sociologie de l’espace industriel - Manuel Castells,Henri Lefebvre, https://www.furet.com/ebooks/sociologie-de-lespace-industriel-manuel-castells-9782402295093_9782402295093_1.html. 42
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C’est notamment avec le mouvement paternaliste vu précédemment que les villes ouvrières ont vu le jour. En créant d’un seul mouvement, le lieu de travail, le logement, l’école et le divertissement, l’industriel aménage le territoire en une unité urbaine autonome reliée aux autres villes. Ces nouvelles entités urbaines naissent donc sous une même impulsion dans une logique de production, d’efficacité et dans le but d’y regrouper les composantes nécessaires à la vie en société tout en assurant une forme de démonstration d’une puissance industrielle. Il en découle des ouvrages présentant certaines qualités urbaines et architecturales. Lors du colloque « Y-a-t-il une architecture industrielle contemporaine ? » tenu à Saline royale d’Arc-en-Senans en 1999, un cas d’architecture industrielle du XIXème siècle, le complexe de charbonnage du Grand-Hornu, y est élevé en exemple à adapter à l’architecture industrielle contemporaine : « La deuxième leçon qu’il faut tirer du Grand Hornu est d’ordre urbanistique : la réussite d’un grand projet industriel est liée à la qualité de l’implantation, à la réalisation d’espaces publics bien proportionnés et à la hiérarchisation des bâtiments en tenant compte de la noblesse de leur fonction symbolique. »43. La qualité ici mise en avant, est urbaine. L’accent est porté sur les espaces publics. Beaucoup d’efforts semblent avoir été déployés pour faire de cet ensemble urbain quelque chose de cohérent et de qualitatif. Où l’habitant, le travailleur, trouverait ses repères. Ce genre de projet érige un ensemble urbain d’une seule impulsion centré autour du lieu de production. Ainsi, avec l’industrialisation de l’Europe, naissent des villes ex nihilo : « tournons-nous vers la cité minière ou métallurgique. Elle n’a pas à transformer un urbanisme préexistant, puisqu’elle naît à partir de rien, sur un sol nu. » p.12644
43 44
Par Jean Barthélémy, « Les leçons du Grand-Hornu pour l’architecture industrielle contemporaine », s. d., 6. Blanquart, Une histoire de la ville.
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II.2. Une architecture technique L’atmosphère des architectures industrielle fascine par son aspect extrêmement sensoriel et la charge émotionnelle sociale qu’elle véhicule. Comment un lieu si rationnel peut-il générer une telle poésie ? Que sont ces architectures que l’on qualifie d’industrielles ? La brique en terre comme élément standard et millénaire de l’architecture, correspond aux exigences industrielles en terme de construction. Elle devient emblématique des cités ouvrières et du paysage industriel. Cet exemple soulève aussi la question de l’architecture industrialisée. Comment une industrialisation des procédés de fabrication des matériaux de construction produit-elle des bâtiments véhiculant une forte image industrielle ?
II.2.1. Atmosphère industrielle En 1875, Adolph von Menzel choisit une usine de sidérurgie obscure et saturée de travailleurs pour sujet de son tableau La Forge (Cyclopes modernes). Si la constitution du bâtiment ne permet pas un accès à la lumière naturelle, là encore, l’atmosphère particulièrement touchante de la peinture réside dans l’activité industrielle. L’éclat des flammes, des étincelles, le fer rouge révèlent les expressions
concentrées et usées des ouvriers. Restent omniprésents, discernables dans les
ténèbres, les machines, leurs leviers et roues dentées au milieu d’une trame structurelle dense. La fumée, la vapeur, les jeux de lumières, la générosité de l’espace, la complexité et le rythme de la structure semblent donc ici être les principaux responsables de l’atmosphère si particulière de ces tableaux. Dans le film Desserto rosso45, l’intrigue se déroule dans un contexte urbain industriel, on voit bien Adolph Von Menzel, La Forge (Cyclopes modernes) (1875), Berlin, Alte Nationalgalerie.
dans l’usine, comment le vocabulaire architectural est sublimé par la composition photographique pour retranscrire une atmosphère. Les cuves rouillées, les nuages de fumée, l’enchevêtrement de tuyaux, le caillebottis. Tous ces éléments, filmés sans fard, participent de la création de cette atmosphère que l’on retrouve dans Europe 51 de Rosselini46. L’usine y est montré sur une séquence
45 46
Michelangelo Antonioni, Desserto Rosso, 1964. Roberto Rosselini, Europe 51, 1952.
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où l’héroïne issu d’un milieu bourgeois fait l’expérience du travail d’ouvrière. Les arbres mécaniques surdimensionnés, les engrenages gras, les ouvrières telles des fourmis dans le bâtiment. L’atmosphère industrielle y est ici d’autant plus sensible qu’elle contraste fortement avec le cadre posé dans le début du film, où les grands appartements fastueux fixent spatialement l’intrigue. Sorti du cadre de la représentation artistique d’un milieu, on trouve tout de même dans l’expérience que l’on fait de l’atmosphère régnant dans les espaces industriels, une certaine forme de poésie : « C’est malheureux à dire, mais une usine, c’est beau la nuit. Les éclairages blancs et orangés, le métal des tuyauteries qui capte les moindres étincelles de lumière, et ces cumulus qui paraissent majestueux lorsqu’ils échappent des cheminées. Le tableau offert fait oublier les poisons que relâche l’usine. »47 Ce témoignage de Jean-Pierre Levaray dans Putain d’usine contraste très fortement avec le ton du récit, très noir, dressant le portrait d’une industrie cachant une vraie misère humaine. L’auteur, employé d’usine pendant trente ans, nous fait part d’un ressenti authentique de cette esthétique intrinsèque à l’usine. Si belle, et pourtant difficilement appréciable sachant les maux écologiques, architecturaux et sociaux qui y sont liés.
II.2.2. Architectures industrielles D’abord, pur produit d’ingéniérie, l’usine devient peu à peu une affaire architecturale. Les entreprises s’intéressant à l’image que véhicule leurs bâtiments se penchent sur la question. Au début des années 1900, la firme allemande AEG, embauche Peter Behrens pour concevoir l’image de la marque. Cela passe par une typographie, des illustrations, du mobilier ainsi que le bâtiment Usine ArcelorMIttal - Dunkerque• Crédits : DR tiré de l’article de France Culture Les accidentés du travail sous pression
AEG Turbinfabrik dans le quartier Moabit à Berlin. Ce projet, aujourd’hui emblématique est une référence de l’architecture industrielle, et discret dans son environnement urbain, complètement assimilé par son quartier sans activité industrielle.
47
Rémy Ricordeau et al., Putain d’usine, 2008. p.25
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Les architectes de l’industrie ont continué de matérialiser dans le bâtiment une image, une identité singulière. Richard Rogers offre un bon nombre d’exemples de bâtiments de ce type affichant fièrement leur dimension technique. Dans sa monographie, Œuvres et projets aux éditions Gallimard, il est mentionné l’usine Fleetguard de Quimper pour illustrer les enjeux de l’architecture industrielle contemporaine. « La société désirait un édifice très adaptable, à même d’être agrandi rapidement et capable de répondre à des besoins en perpétuelle évolution. » La flexibilité de l’espace semble être primordiale dans le cahier des charges d’un tel bâtiment. Cela explique le recours à une géométrie simple dans la plupart des projets industriels. Les bâtiments sont de grandes boites car les besoins évoluent rapidement. L’architecture industriel assume son caractère dispensable et éphémère et revendique cette rationalité. « Le choix d’une structure tendue suspendue a été dictée par la nécessité de limiter la hauteur totale de l’édifice pour minimiser son impact visuel et réduire son coût de construction en réduisant l’acier et les matériaux de bardage utilisés. »48 Lorsque l’on voit cette superstructure englobant la boite qu’est l’usine, on peut se questionner sur l’économie réalisée, là où cet aspect aérien donne une impression de débauche de moyen. Mais l’édifice offre à voir au final peu de bavardages, d’ornements ou d’éléments « gratuits ». Toute la richesse de cette architecture s’articule autour de cette structure mise en avant, qui se félicite discrètement par sa présence, des portées qu’elle permet de franchir et de la flexibilité de l’espace qu’elle renferme.
II.2.3.Industrialisation de l’architecture L’architecture industrielle a donc développé son identité technique issue de nouvelle contraintes de conception liées à une production. Mais l’architecture contemporaine de manière générale, s’est développée autour de nouveaux matériaux et techniques constructives issues de l’industrie. Cette composante floute la limite de l’architecture industrielle qui peut alors être vue comme architecture
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Richard Rogers et Richard Burdett, Richard Rogers: œuvres et projets (Paris: Gallimard/Electa, 1996).
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conçue par des outils industriels. Dans l’emploi de matériaux, de logique constructive ou même de stratégie économique. Standardisation des procédés de fabrication, standardisation de l’architecture. Sortant des rangs de l’espace de production l’architecture industrialisée se développe aussi par le logement. Zones pavillonnaires, maison « Phénix », répondent à une logique répétitive de productivité et d’efficacité. Jean prouvé transpose au logement la préfabrication et le procédé industriel de production de matériau de construction. Le 6 février 1946, lors d’une conférence Nancy : « il faut des maisons usinées », « Pourquoi usinées ? Parce qu’il ne s’agit plus seulement de fabriquer un ou plusieurs petits éléments d’une maison destinée à être assemblée, mais que l’on monte entièrement mécaniquement, sans qu’il soit nécessaire de fabriquer quoi que ce soit sur le chantier… »49 L’argument de l’efficacité légitime ce genre de construction dans un contexte d’après-guerre où les moyens financiers sont limités et la demande de logement est élevée. Mais le processus de standardisation et de préfabrication n’est pas toujours vertueux architecturalement. Beaucoup de grands ensembles sont sortis de terre en France après la seconde guerre mondiale. Construits rapidement, ces bâtiments posent aujourd’hui la question de la qualité de leurs architectures et des cadres de vie qu’ils proposent, de la ségrégation sociale qu’ils mettent en place. La série photographique sur les Algeco : modularité50 met à l’honneur un oublié de la construction, une entité architecturale omniprésent et pourtant invisibles. Au travers de photographies, le recours à la standardisation dans la construction industrielle est mis en évidence par la composition de cabanes de chantier, donnant à ce lieu de travail ouvrier si particulier en le sens qu’il est par définition inachevé, une représentation dans la ville, s’intégrant parfois facilement dans le gabarit type de son contexte bâti. Son aspect disgracieux, générique, technique, efficace, sa modularité le privant de lien avec son contexte, en font un élément caractéristique des chantiers mais plus
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Peter Sulzer et Erika Sulzer-Kleinemeier, Jean Prouvé: oeuvre complète = complete works (Basel ; Boston: Birkhäuser, 1999). 50 Jean-Baptiste Gurliat, Les modules by Jean-Baptiste Gurliat (737PH) — Atlas of Places, consulté le 19 décembre 2019, https://www.atlasofplaces.com/photography/les-modules/.
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largement de l’industrie, puisqu’il n’est pas rare de voir des bureaux d’usines contemporaines comme simple Algeco dans ou hors le hangar. Economique et infiniment flexible, cette solution est-elle seulement souhaitable pour l’architecture ? En bâtissant rapide, flexible et générique, l’architecture est devenue industrielle et un grand nombre de construction contemporaines sont donc étroitement liés à ce que l’on aurait pu appeler l’architecture industrielle.
II.3. Détournement d’un vocabulaire architectural Aujourd’hui on a du mal à se représenter l’architecture industrielle. Dans un cours suivi dans le cadre d’un atelier de projet à l’université Berlinoise Beuth Hochschule en 2019, il nous a été présenté comme bâtiments industriels une série de bâtiments, majoritairement issus de la première moitié du 20eme siècle, lesquels n’étaient pas forcéments des lieux de production. La distinction n’était donc pas faite entre architecture industrialisée et architecture d’usine. Cette limite semble s’être flouté avec les progrès techniques, lorsque l’industrie s’éloigne des centre-villes ? et devient moins visible, avec notament l’affaiblissement du paternalisme. L’architecture industrielle choisit alors de se montrer ou non au travers de bâtiments logo utilisant allègrement et de manière exaltée voire imagée, des codes nés de contraintes techniques. Avec le pavillon Le Nuage par Diller + Scofidio en 2002 architectes en suisse, il semble que ces mêmes caractéristiques aient été réunies plus ou moins volontairement pour créer un voyage sensoriel sur le lac. Marcher dans un nuage. L’opération très coûteuse, néanmoins réussie avait un but poétique bien loin de quelconque volonté de réminiscence industrielle. Or nous ne pouvons pas DILLER SCOFIDIO + RENFRO, Blur Building, Exposition universelle 2002, Yverdon-les-Bains, Photo : ©Norbert AEPLI, 2002.
nous empêcher d’y trouver des similitudes. A l’exception près que le pavillon ne produit rien. On n’y travaille pas, on contemple, on regarde, on perçoit on vit simplement l’instant. Ce qui n’est qu’un « accident » dans les usines, un concours de circonstances du aux contraintes techniques et humaines, devient un but recherché et valorisé dans un pavillon comme « Le Nuage ».. Seulement voilà, toutes ces références et réhabilitations exploitent certes des techniques issues de l’industrie ayant généré intrinsèquement une esthétique de par une représentation sociale, une
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qualité d’espace. Or, cela devient purement ostentatoire et l’architecture des usines aujourd’hui est dépossédée de ces codes-là, répondant à un logique de concurrence et de profit à court-terme 51, et avec le progrès techniques comme par exemple l’éclairage artificiel, certainement plus abordable, abandonne ce langage. Où se trouve donc l’architecture industrielle ? A Quoi ressemble-t-elle ? Où va-donc l’usine aujourd’hui ?
II.3.1. Eléments caractéristiques Comme vu plus haut, l’apport de lumière nécessaire à l’éclairage de l’espace de travail a conduit, à de grands percements comme pour l’usine Van Nelle et ces grandes baies. Ou, dans le cas de bâtiments trop larges pour que les fenêtres en façades suffisent, un éclairage zénithal par le dispositif de shed résout cette problématique et fournit au bâtiment un élément visuel caractéristique, finalement intégré dans un imaginaire collectif de la représentation de l’usine. Comme l’ont montré les exemples de signalétique routière à Saverne (67) ou numérique sur thenounproject.com. Jacques Lucan, dans Composition, non-composition, montre comment la travée découpant historiquement les nefs de cathédrales, s’est fait une place dans la logique constructive industrielle par sa flexibilité lui permettant de s’adapter au contenu du bâtiment : « une travée, au sens où l’entendent Viollet-le-Duc, Lassus et Choisy, est un segment de bâtiment. A elle seule, elle ne fabrique pas une pièce, mais seulement un abri réduit à une couverture voutée portée par quatre points d’appui, l’enveloppe étant indifférente puisqu’elle ne participe pas intrinsèquement de la structure. Comme segment de bâtiment, la travée porte en elle d’être répétée autant de fois que nécessaire au programme à satisfaire. La question de l’unité architecturale s’en trouve renversée, le tout résultant de
500 premiers logos par ordre de pertinence répondant à la requête «factory» sur the nounproject.com
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Sociologie de l’espace industriel - Manuel Castells,Henri Lefebvre.
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nouveaux paramètres. Si une composition requiert qu’aucune partie ne puisse être ajoutée ou retranchée à un tout harmonieux, une conception par travées permet le développement d’un système que l’on peut dire « ouvert ». »52
La gaine et le tuyau, que ce soit pour une ventilation ou un transport de fluide, ces élements sont souvent colossaux et apparent par soucis d’économie ou d’accessibilité. Usine à gaz ou sidérurgique, l’entremêlement complexe échappant à la compréhension du tout-venant.
La
cheminée comme un tuyau vertical se dresse et marque la ville crachant souvent une fumée caractéristique à la manière d’un clocher, elle surplombe le bâti environnant et marque le paysage urbain de la présence d’une activité non pas religieuse ici, mais industrielle. Elle se signale par ses dimensions et la fumée qu’elle rejette. Ces ouvrages immenses défiant l’ordre architectural établi ne sont rendus possibles structurellement que par l’emploi de techniques nouvelles, comme la construction en acier, qui permet de franchir des portées toujours plus grandes et qui la classe donc dans un registre industriel. Or, ce vocabulaire architectural, développé par et pour l’industrie se voit vite employé à d’autres fins, comme la tour Eiffel, purement démonstrative. Ce détachement de l’architecture industrielle de l’activité industrielle est flagrant dans les réhabilitation de patrimoine, mais est aussi observable dans les construction neuves empruntant et recyclant un vocabulaire architectural et sensoriel issu de l’industrie. Il peut s’agir de couvrir des grandes portées avec des treillis ou charpentes métalliques, d’amener de la lumière grâce à des sheds, ou d’assumer la présence des gaines techniques. Des techniques constructives mises en place pour répondre à une contrainte de production ont donc révélé des qualités malgré elles, qui, du fait de leur emploi dans un autre contexte rappelle forcément leur origine industrielle. Ces qualités, peuvent être la générosité d’espace, généré par les grandes portées comme les gares des premières villes industrielles et leurs structures colossales permettant d’évacuer la fumée des locomotives53, mais aussi de l’éclairage assuré par des verrières ou des sheds par exemple. Mais elles sont aussi,
Jacques Lucan, Composition, non-composition: architecture et théories, XIXe - XXe siècles, 1. éd., réimpr, Architecture (Lausanne: Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2010). 53 « Y a-t-il une architecture industrielle contemporaine? » Flexibilité et qualité architecturale http://patrimoine.saline.free.fr/1999.html. 52
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dues à l’image qu’elle véhicule. Une sorte de référence à un imaginaire commun autour du thème de l’industrie ou une valorisation d’une forme d’honnêteté technique dans le cas des matériaux employés bruts ou des réseaux apparents, évitant les couches de protection, les caches, les cloisons et faux-plafonds qui auraient pu réduire l’espace.
II.3.2. La technique exaltée et la technique imagée L’architecture moderne et contemporaine dispose donc de nouveaux moyens techniques issus de l’industrie et élargissant encore le champs des possibles en terme de construction. D’une part, certains édifices mettent en œuvre les solutions techniques de manière exaltée comme le définit Pierre Von Meiss dans son livre De la forme au lieu54. L’exemple utilisé est celui de Calatrava, mais on retrouve dans le mouvement fonctionnaliste du Bauhaus déjà des références à un univers industriel avec notamment en 1926, le projet non réalisé de la Petersschule de Hannes Meyer, et son impressionnante cour de récréation (dessus) ou préau (dessous) en porte-à-faux. Le projet n’a pas été retenu à cause cette connotation industrielle trop avant-gardiste pour être appréciée par le jury de l’époque. « La nudité d’une construction logique est ici la condition d’une esthétique ; elle reflète les mesures économiques en fonction des lois de la nature : la gravité et la résistance des matériaux »55 Dans le cas de l’industrie, cette « honnêteté » technique domestiquée a développé les codes d’une esthétique. Si bien que, réinterprétés, transposés, ils finissent par ne parler que d’eux-même et non plus d’une « lutte matérielle contre les forces destructrices de la nature » comme dit Konrad Wachsmann, cité par Meiss56. Beaubourg, Paris, photo personnelle, Août 2019
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Pierre von Meiss, De la forme au lieu + de la tectonique: une introduction à l’étude de l’architecture, 2014. Meiss. 56 Meiss. 55
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Ainsi, la technique est parfois imagée57 en architecture. Celle-ci pose question dans la mesure où le désir de montrer la technique émerge plus d’un appel à l’imaginaire collectif qu’à une réelle nécessité. Von Meiss illustre son argumentaire des publications d’archigram, Walking-city qui relève plus de la science-fiction que du projet d’architecture ou même du centre Pompidou de Renzo Piano et Richard Rogers où les réseaux de fluides phagocytent le bâtiment pour en devenir l’emblème. Cela pose un grand souci pour l’architecture qui perd du sens en dépenses d’énergie superficielles. « La technique imagée et la technique falsifiée (ou de substitution) sont les plus discutées, car l’architecture ne peut jamais être qu’une image. Elle serait privée de son fondement, de son rôle d’organiser l’espace du territoire en lieux intimes. On ne peut donc guère imposer les mêmes critères de vérité à l’architecture qu’à l’art. Si l’illusion est le moyen de la poétique picturale, elle ne peut pas être le fondement de l’architecture dont le rôle reste plus concret et thématique. ».58 Nous pouvons ensuite mentionner les sheds qui sont passé de l’élément archétypal de l’usine à un dispositif complètement dispensable du fait de la démocratisation de l’éclairage artificiel. Dans un contexte scolaire, et dans des proportions On retrouve dans le MENSA (restaurant universitaire) de la Freie Universität de Berlin de Candilis et Woods, des sheds disproportionnés baignant le réfectoire de lumière. Cette tendance à exhiber des techniques constructives compliquées est vue par Von Meiss comme suit : « L’expressionisme « high-tech » occidental des années 1970 à 2000 pourrait aussi être interprété comme une « crise d’adolescence » liée au plaisir de
MENSA de la Freie Universität de Berlin, Photo personnelle mai 2019
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Meiss. Meiss.
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découvrir un moyen d’expression différent grâce à des technologies nouvelles. »59 Cet effet de mode a donc parfois poussé l’architecture contemporaine dans un formalisme gratuit d’un point de vue technique, qui se réfère à un vocabulaire architectural industriel mais s’en détache foncièrement car volontairement exagéré, surdimensionné, sans rapport avec une production matérielle et fait dans une logique démonstrative coûteuse là où l’industrie adopte plutôt des solutions économiques.
II.3.3. La réhabilitation d’architectures industrielles et patrimoine, une perte de sens et d’identité Hors des villes, les industries lourdes peuvent aussi faire l’objet de réhabilitation, comme le Völklingen, ancienne usine sidérurgique de la Sarre, qui devient en 1994, le premier bâtiment inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce complexe industriel laissée quasi intact abrite désormais un programme culturel avec des expositions et des concerts et qui accueille depuis 2011 la biennale de street art. Le street art étant lui-même dérivé de la pratique illégale du graffiti, art vandal, perd en entrant dans des galeries officielles sa valeur symbolique et gagnant sa valeur marchande, il s’apparent comme dirait à nouveau le fondateur de l’OMA : « les braises rallumées de la transgression ». A Strasbourg, le même usage avait été fait de l’ancienne manufacture des tabacs du quartier de la Krutenau. Gallerie d’art « urbain » « éphémère » le temps d’un été avant de faire place deux après à un complexe culturel et touristique : nouveaux locaux de l’ENGEES, de la HEAR et auberge de jeunesse. Le patrimoine industriel décrit plus haut, questionne aujourd’hui, car l’activité industrielle tend à disparaître des villes suite à une évolution de l’industrie, reléguant son activité à la périphérie. Les villes nées de l’industrie ou ayant développé une forte activité industrielle se retrouvent avec de bien curieuses entités bâties désaffectées au milieu de quartiers désindustrialisés. Les bâtiments ayant subsisté dévoilent alors leur architecture démesurée, ces espaces techniques généreux, enfin débarrassés des machines et de la production qu’ils abritaient. Rendant le spectacle enfin
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Meiss.
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appréciable, libéré de la misère de la condition ouvrière, de la pollution, de la saleté et des nuisances sonores et olfactives. L’homme redécouvre ce patrimoine, étrangement attiré par ce lieu auparavant si repoussant. Quel est donc ce phénomène étrange ? Koolhaas dans la ville générique, déroule une réflexion sur ce rapport à l’histoire par le lieu surtout quand celui-ci est chargé des maux du passé. « - 9.6 42e Rue: ces lieux qui conservent ostensiblement le passé sont en réalité ceux où le passé a le plus changé et où il est le plus lointain (comme vu par le mauvais bout de la lorgnette), quand il n'en a pas été complètement éliminé. »60 A l’heure de la grande uniformisation de la mondialisation, les émotions sont lissées et l’individu peut donc être victime d’un malaise identitaire Koolhaas spécule donc sur cette volonté de se raccrocher à des émotions disparues. « Dans une époque qui n'est plus capable de générer la moindre aura, la cote de l'aura grimpe en flèche. Marcher sur ces cendres, ne serait-ce pas le moyen de ressentir à bon compte le frisson de la culpabilité ? de ramener l'existentialisme aux bulles du Perrier ? »61. Le fondateur d’AMOMA enfonce le clou dans son portrait d’une époque contemporaine générique et insipide, consumériste et reposant sur des simulacres émotionnels, en vérité, vains et vides. La ville contemporaine et le mode de vie de sa société échoue donc à créer des rapports authentiques entre les êtres et les lieux, ne comptant que sur les reliques de son passé pourtant vidées de leur « aura ». Le patrimoine industriel comme une curiosité architecturale porteuse d’un affect lointain et pratiqué comme une activité touristique. Au-delà de ce comportement mimétique et complaisant, on peut aussi trouver dans le rapport au patrimoine industriel, une forme de rejet du poids de l’histoire. Relevé par Patrice Béghain et cité par Vincent Veschambre dans Traces et mémoires urbaines : « Comme le souligne Patrice Béghain, la mémoire industrielle est également douloureuse en référence au conditions de travail et aux rapports sociaux : « Hangar industriel en friche, Berlin Photo personnelle, Avril 2019 60
Rem Koolhaas et al., éd., Small, medium, large, extra-large: Office for Metropolitan Architecture, Rem Koolhaas, and Bruce Mau (New York, N.Y: Monacelli Press, 1995). 61 Koolhaas et al.
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On peut […] comprendre la volonté de faire « table rase du passé », par la destruction de monuments que la mémoire collective charge de trop d’humiliation et de souffrance » (Béghain, 1998, p.93). Selon lui, cet « iconoclasme industriel » est bien d’abord la manifestation d’une volonté de rupture. »62 La relation d’une société à son patrimoine industriel est donc complexe. Friche à l’abandon, détruite ou réhabilité, on en voit de toutes les couleurs dans nos villes. Mais ces ouvrages pourtant si flexibles, ne sont jamais réemployés en lieu de production et toujours, la dimension la dimension productive est écartée du tableau. L’identité industrielle du lieu ne restant qu’un souvenir, et sa saveur est édulcorée, ne véhicule plus que des fantasmes d’un âge passé. Cela pourrait être merveilleux dans une société que certains
Vincent Veschambre, Traces et mémoires urbaines: enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Géographie sociale (Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008). 62
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Chapitre III : Portrait de l’industrie contemporaine sans architecture
« Après l'aliénation par le travail industriel, si bien décrite et analysée par Marx, l'aliénation par la consommation, explorée et dénoncée par Günther Anders, Herbert Marcuse, Jean Baudrillard, ou encore Henri Lefebvre ou Bernard Charbonneau, l'aliénation par les technologies, dont les mécanismes ont été révélés par Lewis Mumford, Jacques Ellul ou André Gorz, l'aliénation du corps de chacun, dorénavant confisqué par l'idéologie de l'« homme augmenté », que diagnostiquent Michel Foucault, Ivan Illich, Barbara Duden, ou JeanPierre Dupuy, il nous faut nous préoccuper de l'aliénation spatio-temporelle., La biopolitique à l'œuvre, en effet, ne s'emploie pas seulement à contrôler les territoires (logement, commerce, loisir, travail, etc.), elle cherche aussi à définir les emplois du temps (organisation du travail, rythmes du quotidien, absence de « temps morts», valorisation de la seule vitesse comme mesure du progrès et de l'excellence, etc.). » Thierry Paquot Désastres Urbains p.2763 Cette citation de Thierry Paquot fait état d’entreprises d’aliénations de l’individu depuis la révolution industrielle et ayant muté avec l’industrie dans l’ère contemporaine. Elle résume aujourd’hui sa situation à l’ère du Toyotisme, de l’hyper-communication qui ne fait que suivre sa logique de toujours : maximiser le profit. Ayant impacté la vie des hommes au-delà de l’architecture et de l’urbanisme, l’industrie, le processus industriel régit nos quotidiens de manière intrusive et pourtant si furtive. Quel est aujourd’hui le portrait de cette industrie ? Comment vit-on ce concept mondialisé, sorti des murs de l’usine disparues de nos villes occidentales, comme cachées ?
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Thierry PAQUOT, Désastres urbains (Paris: La Découverte, 2015).
page de gauche Maurice Schobinger Black Dust 2008–2011
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III.3. Etude du cas de la Z.I. de Carros-Le Broc III.3.1. Mon expérience de manœuvre Quotidiennement, je me rendais à mon travail d’été sur cette zone industrielle de l’arrière-pays niçois. J’empruntais, seul en voiture, une route départementale deux fois deux voies, à 110km/h, longeant les digues du Var, étranglé par l’autoroute sur la rive d’en face, avec sa morphologie presque asséchée la moitié de l’année. Les collines se succèdent et cadrent les montagnes au loin, mais ce n’est pas là que je vais. Après quelques échangeurs j’arrive 11 ème rue. C’est une des parallèles qui tranche le système de cette ZI comme un saucisson. Ce n’est pas commun pour une ville française de ne pas nommer les rues, de laisser le processus de conception de cet aménagement urbain volontaire, efficace et pragmatique, se concrétiser jusqu’à la nomenclature des voiries. Sur presque 200 hectares, l’homme n’a sa place dans l’espace public qu’à bord d’une voiture. Arrivé sur le parking jonché de nid de poules creusés par les passages quotidiens de poids lourds, on enfile une blouse jetable, par-dessus les vêtements gras sacrifiés pour ce travail, imbibé d’une odeur épaisse et prégnante. L’usine, un pavé assez plat, d’environ 7-8 mètres de haut, posé au milieu de son parking à côté d’autres pavés. Passé l’accueil, au rez-de-chaussée d’un agglomérat de quelques modules préfabriqués constituant la partie bureaux et vie de l’établissement longeant le côté intérieur de la façade nord. Un premier espace se dévoile, dédié au stockage, les cuves de 1000 litres d’huile s’empilent jusqu’au plafond laissant une circulation juste assez ample pour les allées et venues du Fenwick. D’un côté une petite boite dans la boite, le laboratoire, accueille le matériel nécessaire à la confection d’huiles aromatisées. De l’autre une atelier de conditionnement et ses chaines de production, où un tapis convoyeur avale des bouteilles vides pour les rendre pleines, bouchonnées et étiquetées. Dans cet atelier règne un bruit incessant d’entrechocs de bouteilles et de roulement de machines. L’intervention humaine se réduit à une dizaine de gestes très simples, déplier des cartons, y mettre des bouteilles, scotcher les boites et les ranger en rang sur une palette au fil des commandes. De temps en temps, une bouteille sort du convoi et se brise au sol lorsque la chaine n’est pas adaptée aux formes des bouteilles, il faut alors vite nettoyer pour relancer la production. Une pesée de contrôle est effectuée toutes les heures. Voilà l’ensemble des compétences mobilisées pour ce travail de conditionnement, réalisable par n’importe qui,
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ennuyeux, répétitif, humiliant même. Alors on guette l’horloge. La lumière des néons est la seule qui nous parvient en dehors des indices de réalités que sont les rayons de soleil pénétrant le hangar REALISE A L'AIDE
lorsque le rideau de la porte de livraison s’ouvre pour faire entre ou sortir, palettes et poubelles. N ETUDIANT
L’atelier est toujours le même, mal isolé, malgré tout climatisé. On est autour de la ligne de D'UN PRODUIT AU
production dans une forme d’abstraction du réel. Un monde à part, dans le monde. Une poupée
TODESK VERSIO
russe de dysfonctionnement. Comme-ci, le processus industriel, dans sa matérialisation, échouait TODESK VERSIO
à toute les échelles et tournait le dos à la vie et à l’humanité. Divisés comme jamais, nous troquons
D'UN PRODUIT AU
nos journées contre un salaire absurde. Ici plus qu’ailleurs j’ai eu l’impression de gâcher mon
REALISE A L'AIDE
le contrôle.
N ETUDIANT
temps. L’envie urgente et continue de vivre la journée après le travail, retrouver du sens, reprendre
« C’est donc de son acte même de travail que l’ouvrier est dessaisi : n’étant pas utile pour lui, ce travail est une abstraction qui le happe dans une machine à la fatalité elle-même abstraite, l’argent. Le voici lui-même marchandise. »64
III.3.2. Aménagement artificiel, échantillon du paysage de l’ère anthropocène En terme de zone industrielle contemporaine française, nous pouvons relever le cas qui m’est le plus connu, et que j’étudie dans le cadre de mon projet de fin d’études. Contrairement à d’autres zones ou villes industrielles, celle-ci, ne s’est pas du tout construite spontanément. La décision de son ouverture fut concertée et ne répondait pas à une présence de matière première ou à l’implantation d’une activité en particulier. L’objectif était de diversifier les apports économiques du département reposant majoritairement sur le tourisme. Le village de Carros fait partie des villages perchés sur les collines bordant la vallée du var, 15km en amont de la côte. De typologie vernaculaire avec moins de 800 habitants65 dans la tradition
Vue aerienne et lignes de niveau altimétriques de la Z.I. de Carros-Le Broc Données de base issues de Google Earth,
Blanquart, Une histoire de la ville. p.139 André Dauphine, « Carros. Un exemple d’aménagement Volontaire », Méditerranée 11, no 3 (1972): 3‑17, https://doi.org/10.3406/medit.1972.1443.
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REALISE A L'AIDE
D'UN PRODUIT AU
TODESK VERSIO
N ETUDIANT
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pastorale et maraichère, la population croît avec l’arrivée d’une immigration italienne et slave et un exode vers Nice des paysans et producteurs. La ville se construit sur une zone plus basse appelée « les plans » juste au-dessus du niveau du Var. La zone s’est construite sur les anciennes gravières du Var, repoussé derrière de longues digues. Longées par des axes de circulations parallèles, rives gauche et droite. Les sols en poudingue pliocène66 côtoient des plans le lit alluvionnaire du fleuve et un remblai imperméabilisé pour accueillir l’activité industrielle. Ces aménagements autour du cours d’eau en font un site fragile en proie aux crues qui peuvent devenir dévastatrices à la hauteur des ouvrages hydrauliques fracturant le territoire.67 Entre relief prononcé et comportement hydraulique sauvage, la zone industrielle se trouve assez déconnectée de la ville de ses équipements et de ses habitants. Les sources INSEE recensent 4625 actifs ayant un emploi à Carros pour 11614 habitants en 2016. Or, seuls 2034 de ces actifs ont un emploi sur la commune et le Z.I. recense pourtant 8000 salariés (source site de la ville)68 dont 610069 dans le domaine de l’industrie, de la construction et du transport/entreposage. Carros est donc ce que l’on pourrait qualifier de « ville-dortoir ». De plus, l’aménagement de la Z.I. s’est fait de manière très technique et pragmatique sur la logique de flux routier, doublée d’impératifs hydrologiques, dépourvu d’équipements culturels et sportifs, et avec peu de point de restauration, sur une surface recouverte d’enrobé sans espace vert, l’endroit est particulièrement inhospitalier et tourne le dos à son contexte paysager unique. N’offrant à sa population de travailleur, aucune raison de rester sur place en dehors des heures de travail.
Mireille Baggioni, « Etude morphologique de la rive droite de la Basse Vallée du Var », Méditerranée 2, no 8 (1971): 785‑801, https://doi.org/10.3406/medit.1971.1406. 67 « 5EtudeHydrauliqueAvril2011.pdf », consulté le 5 février 2020, http://www.alpesmaritimes.gouv.fr/content/download/25161/212167/file/5EtudeHydrauliqueAvril2011.pdf. 68 « Ville de Carros - Zone d’activité économique », consulté le 5 février 2020, http://ville-carros.fr/index.php/201503-09-09-07-51/zone-d-activite-economique.html. 69 « Industrie - Construction - Transport-Entreposage : 11 zones de concentration de l’emploi salarié privé de ces trois secteurs au sein de l’aire azuréenne − Aire azuréenne - Offre foncière économique : 20 zones de concentration de l’emploi à enjeux | Insee », consulté le 5 février 2020, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1894302?sommaire=1894304. 66
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III.1. Mutations de l’industrie III.2.1. Mondialisation, flux et infrastructures « La DATAR a récemment dressé une nouvelle carte de l’Europe, dont le graphisme ignore les frontières de Etats-nations. […] ce qu’elle met en valeur n’est plus d’ordre religieux ou politique : c’est l’intensité des flux de toutes sortes (de gens, d’argent, d’intelligence) et de leurs croisements. Notre nouvel espace urbain est fait de cette étoffe-là. »70 On pointe du doigt les villes émergentes ou du tiers monde ultra polluée sans préciser qu’il s’agit là d’une conséquence d’un mode de vie occidental, consumériste industrialisé et globalisé, dont il n’y a en France que la fin de la chaîne. La production et l’extraction sont depuis longtemps séparées. En 1975, Manuel Castells faisait déjà le constat d’un approvisionnement français en minerai de fer étranger venant notamment de Mauritanie. Le procédé industriel est donc passé d’une logique de proximité de l’extraction, de la production et de la disponibilité de force de travail, à un éclatement spatial aux quatre coins du monde rendu possible par ce nouveau paradigme des flux dont fait mention Paul Blanquart. Il est désormais possible logistiquement de gérer une production à l’autre bout de la planète, là où la matière première et la force de travail sont les plus concurrentielles. « Le centre se spécialise de plus en plus, comme l’a analysé Manuel Castells, dans les tâches de gestion, d’information et de décision des grandes affaires capitalistes. Il devient échangeur, coordinateur, décideur d’activités qui sont, elles, décentralisées. C’est que l’informatique permet la concentration de Xiaoyang Island, China Atlas of Places Infrastructure Patterns VII 2019
données et du pouvoir, en même temps que la décentralisation de la production et de la commercialisation. » p.15171 Les différents lieux de l’industrie éparpillés à la surface du globe nécessitent donc le déploiement d’un réseau de transport mondialisé. Aéroports, voies ferrées, porte-conteneurs, autoroutes, poids-
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Blanquart, Une histoire de la ville. p.156 {Citation}
47
lourds, structure nos déplacements et notre consommation, découpent et relient nos territoires, plient le temps et l’espace, rapprochant les nœuds de transport les uns des autres, éloignant les villes non desservies. « Et l’aéroport dans lequel vous débarquez ressemble étrangement à celui que vous venez de quitter. Récemment ont été dressées des cartes de France et d’Europe qui ne reposent plus sur la représentation des kilomètres, sur le quadrillage de la planète par le système des latitudes et des longitudes, mais sur celle du temps que l’on met en TGV pour aller d’un endroit à un autre : ainsi, Bordeaux se trouve plus près de Paris que Guéret. Victoire du temps sur l’espace ? Non, plutôt dissolution de l’un comme de l’autre. »72 III.2.2. Tertiarisation de l’industrie Naïri Nahapétian décrit le travail industriel contemporain comme sorti des frontières du monde de l’industrie, production, stricto-sensu. En effet, les techniques de management issues de l’industrie envahissent le secteur tertiaire qui prend des proportions telles que de nouveaux emplois voient le jour dans des conditions comparables à l’emploi industriel. Les tâches sont machinales, les attentes de productions élevées comme la cadence imposée, l’espace de travail, rationnalisé, l’être humain, aliéné par la machine. L’exemple des centres d’appel utilisé dans l’étude de Naïri Nahapétian rend palpable cette comparaison. Les téléconseillers répondant aux appels grâce à un script où chaque situation est anticipée. Ces centres, peuvent être délocalisés pour offrir une main d’œuvre moins onéreuse et pourront dans un futur proche être rendus complètement obsolètes par l’intelligence artificielle déjà présente dans nos smartphones sous la forme « d’assistant vocal ». « A midi, le voisin de Samia, Damien, vingt-sept ans, se « délogue ». Interchangeable comme n’importe quel OS, il salue son successeur qui s’installe. Damien est pourtant titulaire d’une licence de lettres, il n’attend
72
Blanquart, Une histoire de la ville. p.158
48
qu’une chose : trouver un emploi ailleurs, dans le secteur socio-culturel. » p.11573 Dans cet exemple, l’enquêtrice montre que l’employé travaillant pourtant en bureau, peut se comparer à un Ouvrier Spécialisé (OS) et partage avec lui, son manque de vocation, d’intérêt pour le métier et son caractère dispensable et interchangeable. Plus loin, Naïri décrit : « Au local syndical CFDT, une affiche prône « l’opération escargot », méthode Grundflächen: BW I 5.810 m²
175 Bordk
ante
disch
g
Nr. 86
U=1.5
Forc
U=1.0
e Leitun
kenb
U=0.8
bef.
Bordkante
U=0.4
U=0.7/0.6 U=0.9
unbef.
U=0.9
unbef. U=2x0.3
U=0.9 unbef.
unbef.
U=1.2
U=1.0 U=1.1
Bordkan
bef.
Fahrr
g
U=2.0
adwe
unbef. U=1.1/0.8 U=0.8
bef. Schacht
bef.
U=1.4
unbef.
bef.
U=1.1
bef. bef.
bef.
bef.
U=0.9 Bordkante
unbef.
Feuerwehrfläche
U=1.1
Ablaufrinne
U=1.6
Fundament Ablaufrinne
Zufahrtsrampe
bef.
Bordkante
Löschwassereinspeisung Treppe zum 1.OG
Schacht Schacht
unbef.
U=1.2
unbef. U=1.6/1.2
unbef.
BW VII
Hochregallager VI M Pu Pa
bef.
U=0.8
Luftschacht Anschlüsse für Sprinkler
bef.
Trafo I M Fl Pa
Trafo I M Fl Pa
Treppe zum KG
unbef.
bef. Luftschacht
U=1.0 unbef.
V
III
V
U=0.8
BW III (a)
BW III
BW III (b)
unbef.
U=3x1.3/2x1.1
III
BW V
V
Bordkante
Lagerplatz
IV III
BW IV
bef.
87 7
Bordkante
V
U=0.9
V
U=2x1.1/0.8/2x0.7
62 126
Fabrikationshalle II M Fl Pa
unbef.
bef. U=0.9/0.7
Feuerwehrfläche unbef. unbef. bef. Bordkante
Sichtschutz
U=2x0.7/4x0.5
unbef.
U=1.7 bef.
V
bef.
III
V
U=0.8 U=1.7
U=0.9/0.8/0.6/0.5 bef.
bef.
bef. Schornstein
U=0.8/2x0.7
U=2x0.7/2x0.5
Schornstein unbef.
III
Energieversorgungsgebäude
Sa Pu Fl Wa Sh Ma KrWa BlnD D
Satteldach Pultdach Flachdach Walmdach Sheddach Mansardendach Krüppel-Walmd. Berliner Dach Baudenkmal
Bl Ks Pf Zi Pa Az Bl
Blechdach Kies Pfannen Ziegel Pappe Asbest-Zement Blech Abriss Hauseingangspfeil
GELÄNDEOBERFLÄCHE Ra Rasen Rg Rasengittersteine Rm Rindenmulch Sa Sand Scho Schotter
As Vb WB Bet BetPl
Asphalt Verbundsteine Waschbetonplatten Beton Betonplatten
GrP Ho KlP Mo Pro
Großpflaster Holz Kleinpflaster Mosaikpflaster Profilplatten
SIGNATUREN
Postkasten Briefkasten Polizeiruf Notruf Taxiruf Feuermelder Parkuhr Warnkreuz Signal (Bahn) Benzinabscheider Ölabscheider Schieber (Fernwärme) OVK (Fernwärme) Schieber (Ferngas) Schaltkasten (Induktion)
Kabelkasten oberird. Schaltkasten Ampelschaltkasten Ampel Laterne (Gas/elektr.) Hochspannungs-, Oberleitungsmast Wegebeleuchtung Uhr Mast
Zaun Mauer/-pfeiler Stützmauer Geländer Schieber (Wasser/Gas) Schachtdeckel Gully Unter-/Oberflurhydrant Pumpe Wasserhahn Verkehrsschild Straßenschild Telefonzelle Haltestelle Anschlagsäule
Schild/Tafel Poller Springbrunnen Fahnenstange Bank N.D. Naturdenkmal N Nadelbaum
Denkmal
L Laubbaum
vorh.öffentliche
vorhandene
Baulastfläche
Verkehrsfläche
geplante
festgesetzte (nicht vorh.)
Baulastfläche
Verkehrsfläche
MAßE/HÖHEN -..,..- Grenzmaß (..,..) rechn.ermittl.Maß graph.ermittl.Maß (..,.)
..,.. ..,..
GRENZEN
Straßenbegrenzungslinie Baulinie Baugrenze Abstandsflächengrenze Abgrenzung unterschiedlicher Nutzung
I
BW I
bef.
Ablaufrinne
Bordkante
WR WA MI MK GE GI SO
Reines Wohngebiet Allgemeines Wohngebiet Mischgebiet Kerngebiet Gewerbegebiet Industriegebiet Sondergebiet
unbef.
bef.
Forcke
GR GF BM TGa o g TH
Bordkante
M
r bu
ville future : des structures urbaines optimales, potentiellement infinies, où les
n
kle
fonctions se disposent spontanément sur un plan libre, rendu homogène par un
Bordkante
bef. unbef.
I zugewachsen
U=0.8
U=1.1
U=1.4
Schacht
U=0.8
U=1.0
bef. U=3x0.6/2x0.4
bef.
Bordkante
bef.
U=2.8
U=2.2/1.4
bef. Bordkante
bef.
U=1.6
U=7x0.5 Teich Lüftungsrohr
U=1.4
U=2x1.6/1.2 U=1.1/0.8 unbef. U=2.0
bef.
U=1.2
U=2.0
Fahrradstellplatz
Pforte
bef.
RBK
elektr. Eingang (Drehkreuz)
U=1.5
87 13
Auffahrt
U=0.8
unbef.
U=1.8
he
isc
bef.
285
kle
ec
M
g
ur
nb
bef. unbef.
Messung
eg
dw
ße
ra
hr
U=1.1
Parkplatz
U=1.3
système de micro-climatisation et d’information optimale. Les équilibres
e
nt
ka
rd
Bo
bef.
Katasternachweis
bef. unbef.
U=2.4 unbef.
Nr
bef.
unbef. U=1.3
Fa
Ablaufrinne unbef.
unbef.
2 .3
Auffahrt
bef.
unbef.
bef. U=1.7/1.5/2x1.4
WEP bef.
Pförtnerhaus I M Fl Pa
U=1.4/1.2
unbef.
unbef.
Ro
bef.
U=1.5/2x1.1
Bordkante
bef.
unbef. U=1.0
r llto bef.
U=4x0.6 U=2x0.6/0.5
U=2.2 bef.
Ablaufrinne
U=1.8/1.4
U=1.5
bef. unbef.
unbef.
bef. U=1.7
bef.
tot U=0.8 unbef.
U=3.4
U=2.1
U=1.8
unbef.
U=2x1.1/0.7
U=1.4 U=1.3
Parkplätze
I
GASAG M Fl Pa
Bordkante
bef.
bef.
U=1.0
bef.
bef.
unbef.
unbef.
U=1.8/1.4
h isc
g
unbef. Parkfläche
bef. U=0.8
U=2.5
« L’Usine et le Supermarché deviennent les véritables modèles témoins de la
ße
ra
St
e
ec
Bordkante
Podest
Spundwand
U=0.9
III.2.3. L’usine contemporaine
traße
bef.
87 10
Grundfläche Geschossfläche Baumasse Tiefgarage offene Bauweise geschlossene Bauweise Traufhöhe
nbecks
bef.
Bordkante
U=0.8
Kleingartenanlage
confondu.
U=2x0.7
Technik I M Fl Pa
bef.
bef.
Bordkante
87 12
industrielle qui devient donc un rassemblement de mauvaise architecture tout domaine d’activité
BBP-Begrenzung
Schmargen-
BW EVZ
unbef.
peu confortable. Ce témoignage explique alors la présence de locaux d’activité tertiaire en zone
TH Traufhöhe FH Firsthöhe Höhensystem: DHHN92 Lagesystem: Soldner
III
BW II
U=2x0.7/0.5
Ces méthodes compétitives impliquent également une architecture au rabais et un lieu de travail
Bezirksgrenze Gemarkungsgrenze Flurgrenze
Flurstücksgrenze Baugrundstücksgrenze
nachrichtliche Begleitlinie
BAURECHT
Bestimmungsmaß Höhen bezogen auf m ü. NHN gepl.Geländehöhe
VI
bef.
Bordkante
bef.
U=4x0.5
Parkplatz
ne sont pas climatisés. » p.116
Pforte
251 m²
bef.
BW IVa
bef. U=0.8
unbef. U=0.7/0.6/0.5
III
U=0.8/0.7
Parkfläche
U=1.1/0.8
U=1.2
Bordkante
Schacht
bef.
Bürogebäude, Hallen (LKW-308 m²)
1.154 m²
Straße
Schacht
Parkplatz
2.082 m²
gepl.Bebauung
Garage I Bl Pu Bl
V
bef.
unbef.
Bordkante
-- m²
vorh.Bebauung
124
Ausfahrt Mecklenburgische
V zugewachsen
U=0.9/2x0.8/0.6
Hochregallager
BW VIII
GEBÄUDE Massivbau M Holzbau H Blechbau Bl Glasbau Gl VII Anzahl d. Vollgeschosse K Kellergeschoss D Dachgeschoss Müllbox M S Staffelgeschoss
U=1.1
U=1.5
V
Kleingartenanlage
Bürogebäude, Garagen
2.444 m²
SCHRAFFUREN/FARBEN
bef.
Bordkante
V
bef. unbef.
A100 Bundesautobahn
Ablaufrinne
unbef.
unbef.
U=1.0/0.7
bef.
U=1.0/0.9
Laderampe
bef.
unbef. bef.
Bordkante
unbef.
Hebebühne Rampe
Bordkante
U=1.5 unbef.
Lagerhalle III
1.715 m²
BW VII
U=1.0
bef.
Bordkante
bef.
bef.
protester. » En l’occurrence : contre la chaleur dans les nouveaux locaux, qui
Bürogebäude VI
1.937 m²
BW VI
Pforte
unbef.
Bodengitter
LS
Bordkante
U=0.8
985 m²
BW V
U=0.8
U=0.8
Sprossenleiter
U=1.2/0.6
Fabrikhalle II
Fabrikhalle II
40.001 m² Nottreppe
Halle II M Pu Pa
bef.
U=0.9
Fabrikhalle II
6.130 m²
BW EVZ
U=0.7/0.6
Bürogebäude IV
U=0.8 unbef.
Fabrikhalle II
5.764 m²
BW IV
U=0.7/2x0.6
Notausgang U=1.3/1.2/1.0/ 0.8/0.6/0.7
5.337 m² 6.392 m²
BW III(b)
BW IX
elektr. Eingang (Drehkreuz)
U=0.9
Halle I M Fl Pa
bef.
U=1.1
U=1.2 U=1.4
Halle I M Fl Pa
unbef.
Laderampe
g
Bordkante
BW IX
BW VI
U=0.9/0.7
Garagen I M Pu Pa
unbef. U=0.6
bef.
U=1.5
unbef.
ante
bef. Fahrr
e
Garage I Bürogebäude II M Fl Pa
unbef. U=1.3 Bordk
Bordkant
de résistance passive des téléopérateurs : « Gardez les clients en ligne pour
Fabrikhalle II
BW II BW III(a)
BW IVa
unbef. U=0.9
bef.
Ablaufrinne
bef.
Ablaufrinne
U=1.6
U=0.4 unbef.
Auffahrt bef. Rollto r
bef.
Tor
Kleingartenanlage
traße
adwe
U=3.1
U=1.2
te
bef.
I
ecks
A100 Bundesautobahn
oberir unbef.
ra
St
Planfertigung A
Grundrisse ergänzt und Flächenangaben überarbeitet.
Verm.-Amt
25.02.2015
J. Jacholke
Feb.-März 2015
K. Furchtmann
17.03.2015
Polzin
07.05.2015
« naturels et spontanés » de la lumière et de l’aire sont en réalité dépassés : la maison devient une aire de parking équipée. A l’intérieur, il n’y a plus de hiérarchies ni de figurations spatiales conditionnantes. »74
RBK
U=1.1 unbef.
U=3x0.5
RBK
U=1.5 U=0.9
bef. bef.
U=0.9 unbef.
U=0.8
eg
U=1.2 unbef.
RB K U=1.6 U=1.2
1:500 0
5
10
15
20
25
30
bef. U=0.9/0.7 U=0.8 U=0.8 unbef.
dw
ra
hr
Fa
e
nt
ka
rd
Bo
Ablaufrinne Auffahrt bef.
unbef.
35
40
45
50 m
U=1.4
Format:
Plan de rez-de-chaussée de l’usine de cigarette Reemtsma, Berlin
Maßstab:
Plannummer
Index:
Auftragsnummer:
L’usine contemporaine se trouve donc bien loin du patrimoine réhabilité des centres villes. Se caractérise par son aspect générique et hors d’échelle. La boite est posée au milieu d’un sol enrobé
73 74
Nahapétian et Clerc, L’usine à vingt ans essai. Lucan, Composition, non-composition.
49
de bitume, entre parking et aires de livraison, le tout encerclé par une clôture standard. Transparente, laissant voir les désolantes surfaces inutilisées, prises à la terre, séparant la paroi en tôle de la limite parcellaire. A l’intérieure des boites, la lumière y est toujours la même, elle vient des néons agressifs et constants. Les surfaces couvertes pourraient être infinies, une répétition de travées sans exception, dimensionnée par la production. Les sens y sont shuntés, on y porte des gants, et des lunettes de protection, les odeurs des solvants ou des aromates est envahissante, le bruit est assourdissant. On trouve alors comme à Berlin dans l’ancienne usine de cigarette Reemtsma, réelle friche contemporaine qui superpose et agglomère des halles aveugles sur une surface au sol de 40000m² sur deux niveaux. Premier indice d’une perte de sens du lieu, les erreurs s’amplifient dans les Gigafactories de Tesla, qui se surpassent dans le dimensionnement de halles aveugles. Comme si l’éclairage électrique et la ventilation mécanique légitimait une abstraction, un oubli des lois de la nature et des besoins humains. Tout est tramé, rationalisé à l’extrême, tout est interchangeable. « L’usine est un endroit de non-vie par excellence (sauf peut-être dans les périodes de luttes, de plus en plus espacées d’ailleurs) il faut qu’on le sache. On s’y oublie, on s’y perd, mais on y meurt aussi aussi. S’il fallait faire un monument aux morts à cause du travail, la stèle dans chaque usine y serait conséquente » 75 Ces propos tenus par un employé d’usine sur le long terme dressent un portrait bien noir des usines enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de la qualité de vie sur le lieu de travail industriel. En plus d’être inhospitalier, l’usine est donc aussi un lieu de drame social. Comment l’architecture peut-elle se faire complice de cela ? Quelles urbanités créent ce processus industriel hors de contrôle ? III.2.4. Conséquences urbaines Manuel Castells évoque la disponibilité du foncier comme argument principal pour l’emplacement d’une industrie en précisant que 2/3 des industries d’angleterre pouvaient avoir une activité pérenne n’importe où sur le territoire76. Cela donne lieu à des zones industrielles pérphérisées, hors des
75 76
Ricordeau et al., Putain d’usine. p.8 Sociologie de l’espace industriel - Manuel Castells,Henri Lefebvre.
50
villes qui deviennent alors des Zwischentstädte. Découpés en zones, ces ensembles urbains d’entreville sont un produit de l’industrialisation mondialisée. Dans le monde contemporain occidental, le logement standardisé des Zwischenstädte dessine de nouveaux paysages urbains : « […] on peut pousser l’ouvrier à devenir propriétaire : surgissent les petits pavillons. Deux conséquences/ D’une part, accéder à la propriété rend l’ouvrier solidaire du système en le prenant au piège de la « participation » : il participe bien, en effet, dans la propriété, mais pas de celle, déterminante des moyens de production. D’autre part, cette « participation » va déterminer le nouveau propriétaire des problèmes de la production, de l’usine, en lui permettant d’investir sa capacité de création dans le seul habitat où il bricole et jardine, le soir ou en fin de semaine. » p.12477 Les zones pavillonnaires sont donc une conséquence urbaine des mutations de l’industrie, une sorte de mise à jour des cités ouvrières. Elles forment cependant un ensemble urbain indépendant de l’espace de production et ne sont pourtant pas exclusivement destinées à loger une main d’œuvre d’un secteur d’activité en particulier, ni même pour une catégorie socio-professionnelle définie. Cela donne l’illusion d’une liberté et d’une qualité de vie quand la réalité relève plutôt d’un cloisonnement social et spatial. Le développement des Z.I., lui, se fait indépendamment de l’aménagement de quartiers et lieux de vie. L’urbanisation a muté de manière sauvage, échappant aux règles qu’elle s’était autrefois fixé : « Rappelons que la tradition européenne de l’urbanisme plonge ses racines dans une gauche réformiste et progressiste qui cherchait à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière, mais aussi dans l’approche conservatrice des mouvements arts and crafts ou traditionalistes qui ont toujours associé conservation des paysages culturels et préservation des
Halle de l’usine Reemtsma, Berlin photo personnelle Avril 2019
77
Blanquart, Une histoire de la ville.
51
monuments historiques. Mais, qu’il s’agisse de son aile gauche progressiste ou de son aile droite conservatrice, l’urbanisme européen s’est toujours considéré comme un contre-pouvoir destiné à s’opposer aux conséquences d’une industrialisation incontrôlée qui menaçait de détruire la société et la culture. »78 Le bilan aujourd’hui est aujourd’hui préoccupant, et l’urbanisme européen comme décrit par Thomas Sieverts semble avoir échoué dans sa mission de sauvegarder la culture et la société. L’urbanisation de zones divise les individus, favorise la voiture et l’infrastructure routière au détriment de l’humain. L’obsession matérialiste prend la forme de zones commerciales destination de loisir le week-end. Ce modèle de zonage permet d’éloigner les lieux de production des cœurs historiques et de les conserver dans leur jus pour une meilleure santé touristique. Il permet aussi aux individus d’accéder à une sorte de rêve avec la maison individuelle. Cependant ce modèle du standard-générique-automobile désoriente et présente ses limites.
III.2. Perte de repères Dans Learning from Las Vegas79, Denise Scott Brown et Robert Venturi, font l’éloge du hangar décoré, au bord de la route à Las Vegas. Acceptant volontiers les défauts que représentent cette pratique de l’espace où l’architecture se résume à une boite.
Dans ce nouveau paradigme
architectural du hangar jalonnant les routes et donc pensé pour la voiture, les activités commerciales et industrielles pourraient souvent s’interchange, et l’homme semble s’oublier.
III.3.1. L’obsession de la trame « on peut se demander si le cubisme n’a pas, de manière analogue, annoncé notre nouveau monde et la ville qui l’exprime. […] Notre actuel espace urbain
78 79
Sieverts, Entre-ville. Collectif, L’enseignement de Las Vegas (Wavre: Editions Mardaga, 2017).
52
n’était-il pas là en germe, lui où tout est instantanément accessible, au prix de sa désarticulation ? »80 L’urbanisme tramé et quadrillé auquel obéit aujourd’hui l’aménagement industriel a été au cœur des problématiques territoriales dans plusieurs sociétés par le passé. Paul Blanquart en fait un rappel prenant pour exemple Hippodamos : « Non, l’originalité de notre urbaniste [Hippodamos] tient dans sa volonté de tenir ensemble une société fortement laïcisée par l’émergence de l’artisantechnicien, donc le géométrisme de l’éclatement en fonctions (un zoning, dirait-on aujourd’hui), avec un centre qui la maintienne dans son unité. Bien que séparées socialement et spatialement, les trois classes n’en constituent pas moins un seul démos qui élit les magistrats. Et Milet reconstruite se voulait centrée sur l’agora. Mais comment concilier damier et centre ? La quadrature du cercle, tel est bien le problème d’Hippodamos, la contradiction qu’il a à inscrire « miraculeusement » sur le sol. » p.5181 A travers cette problématique antique, on ressent déjà les limites d’une rationalisation de l’espace public, du tramage et du quadrillage qui essayent d’appliquer à la vie réelle des concepts géométriques abstraits. Le zoning et la ségrégation sociale qu’il implique montre ses limites et ne peut pas créer de centralité. Plus tard, des plans d’urbanisme comme celui de Cerdà en 1841 pour Barcelone se développent aussi sur une logique de découpage orthogonal, toutefois découpé par des axes urbains rayonnants et par des rues secondaires biaises. L’aménagement volontaire a donc Hangar générique de la Z.I. de Carros-Le Broc photo personnelle, décembre 2019
historiquement recours à une géométrisation qui se heurte systématiquement à la réalité de la vie en société. La trame a en sa faveur le sentiment de contrôle qu’il donne à l’homme sur la nature. L’infini complexité des relations entre les êtres et les éléments devient alors dépassée dans un contexte urbain émergé d’une impulsion unique et d’origine humaine. Cet héritage persiste et trouve un défenseur avec Descartes dans le discours de la méthode, cité par Paul Blanquart : « Ainsi, voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevé ont coutume d’être
80 81
Blanquart, Une histoire de la ville. p.163 Blanquart.
53
plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâtie à d’autres fins. »82 Descartes fait l’éloge de la ville royale où tout bâti tient aux décisions d’un seul homme et exprime le pouvoir. En niant la pertinence de l’intervention sur du bâti existant, il sous-entend que chaque construction doit se justifier d’elle-même et n’a pas à créer de relations spatio-temporelles avec son contexte. C’est là un point de départ de l’appauvrissement de l’espace urbain dont les lieux expriment leur qualité dans les relations qu’ils créent et la manière qu’on les hommes d’y vivre. Penser qu’une décision isolée sur le territoire peut suffire à créer une ville, c’est la réduire à une collection de bâtiment objets autosuffisants, statique et inhumaine.
III.3.2. Un problème d’échelle Philippe Boudon avec l’exemple de la baignoire et de la salle de bain montre comment l’architecte conçoit l’espace en fonction de ce qu’il contient
Le site Atlas of places, tenu par l’architecte Thomas Paturet, met en lumière les paysages de l’industrie à travers des photos aériennes. Le monde façonné par l’infrastructure, trouve une beauté vu du ciel alors qu’il détruit l’homme et la nature. Comment regarde-t-on l’industrie aujourd’hui ? En-fait nous perdons conscience de ce qu’est l’industrie aujourd’hui en France car elle y est discrète, délocalisée. Les cheminées fumantes sont pour la plupart des citoyens, un souvenir. Le Reno Industrial in New York City, Gigafactories Vol.1, Collage de photos satellite, Atlas of Places
monde ouvrier n’évoque pour la masse que des insurrections contre les plans sociaux licenciant à tour de bras, fermant sur le Territoire les derniers représentants de l’industrie. L’influence de l’homme sur son environnement est donc certaine. Portée par le règne de la machine et de la mondialisation. Il semble donc que l’industrie a simplement subit un changement d’échelle pour englober la Terre entière. Cela n’est pas sans rappeler la bande dessinée la fièvre d’Urbicande
82
Blanquart. p.89
54
de Peeters et Schuitens.83 Il est question dans ce livre d’un petit cube mystérieux qui grandit et se développe inexorablement en un réseau façonnant un nouvel espace urbain. Le petit cube pouvant être assimilé à la machine à vapeur, évoluant dans les usine, industrialisant un pays, puis le monde, tissant son réseau par le flux de transport et de communication. Dans ce changement d’échelle, l’homme a, lui, gardé ses dimensions, ce qui entraine forcément une perte de repère. Il se situe désormais dans une partie infinitésimale du système de production industriel là où il avait accès à l’ensemble du processus de fabrication artisanal. Comme en mathématique à la dérivée d’une fonction qui caractérise un rapport infinitésimal entre les images de deux valeurs par cette fonction. Dans cette optique grossissante de la démesure « 3 – Dans Bigness, la distance entre le cœur (core) et l’enveloppe (envelope) augmente au point que la façade ne peut plus révéler ce qui se passe à l’intérieur. L’attente humaniste « d’honnêteté » est condamnée ; l’architecture intérieure et l’architecture extérieure deviennent des projets séparés, l’une étant liée à l’instabilité des demandes programmatiques et iconographiques, l’autre – agent de désinformation – offrant à la ville l’apparente stabilité d’un objet. Là où l’architecture révèle, Bigness rend perplexe ; d’une addition de certitudes Bigness fait de la ville une accumulation de mystères. Ce que vous voyez n’est plus ce que vous trouvez. »84 Koolhaas dans sa théorie de la Bigness n’évoquait peut être pas l’architecture industrielle. Néanmoins, les dimensions sans cesse croissantes de certaines usines, tout comme les locaux commerciaux, les range dans cette catégorie. On peut extrapoler le concept de Bigness à l’ensemble du système industriel, qui obéit à sa propre logique, à la fois matériel et immatériel, réseau de flux, numériques, routiers, financiers humains, se croisant ici dans une mine, là dans un atelier ou encore dans un centre commercial. Nous évoluons au cœur d’un bâtiment conceptuel qu’est l’industrie, loin de sa façade, dans une partie qui n’indique rien sur le tout. Mystérieux, cet espace industriel
83 84
François Schuiten et Benoît Peeters, Les cités obscures : La fièvre d’Urbicande (Bruxelles: Casterman, 2009). Koolhaas et al., Small, medium, large, extra-large.
55
déboussole par sa démesure. Paradoxalement à cette échelle infiniment grande et imperceptible s’associe une dimension infinitésimale due au caractère hyper connecté du système. « la planète rétrécit au point de se dérober sous nos pieds : on peut être relié à tout, parce que tout a décollé du sol. »85 Ce déracinement est caractéristique de notre société. Mais, ainsi déconnecté de la réalité, quel rapport entretient-on avec l’espace ?
III.3.3. non-composition, disparition du lieu et de l’architecture « Dans une perspective marxiste radicale, Archizoom dresse le constat d’une ville moderne dont la réalité ne correspond pas au développement capitaliste, une ville arriérée et confuse qu’il n’est plus utile de chercher à ordonner. NoStop City est une vision extrême de la condition industrielle ; elle pousse à la limite la logique de la production industrielle comme loi universelle, comme « chaîne de montage du social », sachant que « le Capital propose dans la Consommation son propre Modèle social, qui dépasse la réalité de Classe, en tant qu’il suppose, pour son développement, une réalité sociale homogène ». Par voie de conséquence, No-Stop City, « cesse d’être un lieu » pour devenir une « condition ». »86 Archizoom No-Stop City appliqué à l’urbanisation en zone industrielle, la répétition cadencée d’une trame, infinie et parfaite comme une machine la rende particulièrement inhospitalière. Ce Archizoom Associati, 1969
que le manifeste italien suggère, c’est l’obsolescence de l’architecture. Au bout du raisonnement industriel, on trouve No-Stop City, le plan se répète inlassablement, ouvert, flexible. La composition est obsolète. Les villes se construisent sans architecte dans un monde régit par la technologie, arpenté en voiture, où les bâtiments ne sont plus que des « parkings équipés »87.
Blanquart, Une histoire de la ville. p.157 Lucan, Composition, non-composition. 87 Lucan. 85 86
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La prédiction No-Stop City, est malheureusement quelque peu prophétique et aujourd’hui plus que jamais, la technologie est accusée par Paul Blanquart, d’entraver la qualité de notre pratique de l’espace. « l’accessibilité va avec le confinement. De l’usage de nouvelles technologies de communication résulte ainsi une contraction de notre territoire propre, jusqu’à son annihilation. Du territoire tout court, pourrait-on dire, par suite également de la disparition des espaces intermédiaires qu’on traversait jadis pour se rendre d’un lieu à un autre. »88 Ainsi les espaces intermédiaires disparaissent, gommés par l’infrastructure routière, et les télécommunications. Mais qu’en est-il de ses lieux qu’ils reliaient autrefois ? Qu’est-ce qu’un lieu ? Pierre Von Meiss le définit comme suit : « avec le lieu, l’espace et le temps prennent une valeur précise, unique ; ils cessent d’être abstraction mathématique ou sujet d’esthétique ; ils acquièrent une identité et deviennent une référence pour notre existence »89 Le lieu n’est donc pas un synonyme d’endroit et ne peut se résumer à une localisation, à des coordonnées G.P.S., il porte une dimension vivante et poétique. Il définit la pratique que l’homme a de l’espace. Von Meiss explique ce besoin humain de la pratique du lieu comme lié à la question identitaire : « Pour être en paix avec l’univers, avec la société et avec lui-même, l’homme a besoin de se situer en affirmant son identité […] La forme architecturale avec les lieux qu’elle délimite peut, elle aussi, contribuer en entravant ou renforçant notre sens de l’identité. »90 Ainsi, une architecture de qualité, s’applique à créer concevoir des repères dans l’espace pour l’homme. L’architecture qualifie l’espace, et l’homme dans l’espace architecture créé le lieu. C’est
Blanquart, Une histoire de la ville. p.157 Meiss, De la forme au lieu + de la tectonique. 90 Meiss. P.224 88 89
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là où l’espace industriel contemporain échoue. L’espace public à l’échelle du poids lourd connecte des hangars à l’échelle de la chaine de production ou de la logistique qu’ils abritent. L’homme, effacé du tableau, perd ses repères. « La désorientation entraîne l’angoisse. Pour investir un lieu ou pour nous déplacer d’un lieu à l’autre nous avons besoin de références. »91 Le malaise de l’homme dans l’espace industriel contemporain occidental ne tient donc plus seulement à la pollution, la gêne sensorielle, la ségrégation sociale qu’il implique, mais surtout dans la perte de repères et la désorientation dans un monde déraciné et dont l’échelle et le fonctionnement lui échappe.
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Meiss. P.239
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Conclusion « C’est la misère grandissante du monde réel qui ouvre la voie aux mondes artificiels et monofonctionnels. »(Hanns Adrian) cité par Thomas Sieverts92
Naissance et disparition du lieu industriel Nous avons donc vu comment l’activité économique de l’homme depuis l’invention de la machine à vapeur s’est articulée autour du progrès technique. Ségrégant les populations, qui voient apparaître en l’ouvrier, une nouvelle classe massivement alimentée par les paysans migrant vers les villes. Alors reconvertie et affairée autour des machines, la population ouvrière souffre de ce rapport déshumanisant à la machine. On constate donc que l’industrie devient certain outil de contrôle et d’oppression des masses qui s’unissent dans ce malheur et se soulève sous une identité ancrée spatialement à l’espace industriel. L’espace de production alors chargé d’une valeur sociale, subordonne l’espace urbain, dit de reproduction, l’espace du savoir. Dans la société industrialisée, il est déterminant dans la manière d’aménager l’espace, qui s’orne alors de repères et créé un rapport singulier à la ville. L’architecture des usines se développe et entretien une relation très étroite avec l’architecture moderne et contemporaine qui réinterprète ses codes d’abord dans une logique fonctionnaliste avant d’être formelle et expressionniste. La standardisation des éléments constructifs, participe aussi de la création de ce vocabulaire architectonique industriel et brouille encore les pistes sur ce qu’est un lieu industriel, alors majoritairement pratiqué sous une forme de conservation patrimoniale, de réhabilitation ou bien par des références visuelles à des codes esthétiques connotés. Pourtant, même dans une société qualifiée par certains de post-industrielle, on continue d’être infiniment influencés par un processus industriel globalisé, omniprésent, impactant profondément l’espace et le rapport qu’on entretien avec lui. Les lieux de production existent toujours et font
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Sieverts, Entre-ville.
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subsister notre mode de vie matérialiste et consumériste. Seulement ils ne sont plus lieux, ils sont l’expression d’un abandon de l’architecture de la conception spatiale de l’industrie. L’usine apparaît donc avec la révolution industrielle, comme une évolution de la manufacture. Ce bâtiment à l’échelle des machines qu’il abrite devient vite stéréotypé et assimilé à l’identité ouvrière qui se développe dans un climat de lutte pour de meilleures condition de vie et de travail. Le lieu industriel commence à se dissocier de cette dimension productrice et de l’architecture industrielle qui devient une notion confuse entre réhabilitations et références visuelles imagées. Dans ce cadre contemporain, les espaces industriels se développent souvent loin du regard de l’architecte occidental, trompant sa vigilance, suivant une logique hyper rationnelle et profondément inhumaine. Le modèle Kraftwerk 1 comme alternative humaine à l’espace industriel contemporain Dans ce tableau dressé peu engageant de l’industrie contemporaine, on trouve quand même une lueur d’espoir, si l’on considère une version complète du concept d’unité de vie de Kraftwerk 1 incluant l’aspect de production. « Si nous ne créons pas, de notre propre initiative, des modes de vie qui ne reposent plus sur l'exploitatation d'autrui et sur la destruction de la nature, il nous faudra le payer très cher. » p.893 Ce manifeste propose donc un avenir vertueux reconnecté à la nature et reconnectant les individus. Valeurs portées par un projet urbain où la production matérielle, le logement et l’agriculture sont pensés ensemble et en symbiose. « En ce qui concerne les relations sociales, Kraftwerk 1 permet des formes combinées d'éducation, de préservation de la santé et ed la vie à un âge avancé, de culture et de distraction qui ne sont pas produites comme des services spécifiques de notre vie. Etouffées aujourd'hui dans le désert de l'isolation et de la massification, une vaste palette d'interactions situées entre
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Blum, Hofer, et P.M., Kraftwerk 1.
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intimité, vie communautaire et urbanité propre au quartier renaissent et rendent superflues les prestations payantes de l'industrie du divertissement. » p.52 La promesse Kraftwerk 1 est alléchante. Malheureusement, elle n’a pas pu être concrétisée complètement et seule la partie logement a vu le jour à Zurich. Cependant, elle porte ses fruits et les habitants se réjouissent de la qualité de vie dans un tel lieu, socialement vertueux et toujours en activité 20 ans plus tard. La difficulté de mise en œuvre d’un tel système reposant sur des législations pas toujours favorables et des fonds compliqués à rassembler, rend la transposition l’application d’un tel système à d’autre lieux compliquées. Mais le système porte encore des espoirs crédibles d’un futur de l’architecture, plus humain, même dans les lieux de production. Comment une telle réponse, très localisée sur le modèle de Kraftwerk 1, défend elle une production vertueuse, spatialement qualitative à l’heure d’une industrie mondialisée ?
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ANNEXES
Relevés sur un Hangar générique en friche à Schiltigheim (67)
Relevés sur un Hangar générique en friche à Schiltigheim (67)