Master thesis. Nikel 2070, Post-industriel, l'avant-dernier paysage. // The Penultimate landscape

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Nikel, post-industriel l’avant dernier paysage

Raphaële Acquaviva Travail Personnel de Fin d’Etude ENSP Versailles 2016 Encadré par Françoise Crémel.

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Il faut mesurer l’espace à l’aune de soi même, se l’approprier en lui donnant, selon la loi du partage, sa force, son désespoir et son allégresse afin de recevoir de lui, en échange, ce je-ne-sais- quoi qui fait que l’on ne deviendra jamais un touriste regardant à travers les vitres de l’autoroute. Vassily Golovanov L’Éloge des voyages incensés

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Remerciements À Françoise Crémel pour son accompagnement, ses encouragements et pour m’avoir poussée à aller à Nikel. À Tatjana Gorbachewskaja pour ses encouragements et nos rendez-vous skype à des heures indues. Merci infiniment d’avoir accepté de participer à mon jury. À Marcelline Delbecq et Mathieu Gontier pour leur attention et pour avoir accepté de participer à mon jury. À Sophie Dobler, ma maître d’apprentissage pour sa pédagogie et pour m’avoir fait me poser les bonnes questions. À Michel Neyroud pour ses références précises et son suivi attentionné. À Andy Bruno, Bernadette Lizet et Judith Pigneur pour les échanges enrichissants. À Frédéric Lambert, incroyable enseignant de sémiologie, pour son écoute et ses précieux conseils il y a quatre ans, et il y a quelques mois. Aux riches rencontres sur site, pour m’avoir fait découvrir la ville et me sentir chaleureusement acceuillie, Alexandre et Liza Molodstov, Roma Xoloshilov, Denis Shirov, Galina Nikolievna, Evgeny, Ivan, Michael... À ceux qui m’ont fait découvrir, aimer et comprendre la Russie ces dernières années, Alexandra Dolgova, Alexandre Akishin, Xenia Vitriak, Kiril, Kolia, Anna, Sofia... À ma mère pour la confiance et le soutien qu’elle m’a toujours accordé et pour Bora Bora qui viendra qui sait. À Ariane pour son soutien inconditionnel. À Pauline pour les tamen tade et son «en fait c’est pas grave» si rassurant. À Cléo, Adèle, à l’APR et aux copains de promotion, pour ces quatre folles années.

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PIRATE ! Réaction d’Alexander1, après lui avoir dit que je souhaitais aller en Antarctique ou au Kamtchatka après mon diplôme. Pas faux. Comme portée par un désir d’inatteignable, d’inaccessible, d’aller au plus loin, là où il n’y a plus rien après. À quoi bon ? Pour voir ce qu’il y aurait après ? Comprendre ce que je cherche en rencontrant ceux qui vivent là bas, si loin de moi et de mes habitudes. Un pirate naviguant dans les études, une curiosité pluridisciplinaire au point de s’égarer souvent, ne sachant plus ce qui tire la ficelle, et vers où cette ficelle mènera. De cette multi-curiosité, un moteur d’action. En reportant ces considérations personnelles au paysage, j’ai pu élaborer et assumer une approche, celle des paysages qui procurent une forme de désorientation. Ces espaces où se confondent perception du temps et des lieux. Ces espaces sont difficiles à qualifier tant ce ressenti est éminement personnel. Il s’agit peut-être de la quête d’une déroute, d’un déséquilibre. En provoquant la rencontre avec l’étrange, avec l’hostile, j’altère mes perceptions, ma sensibilité, pour voir ce qui reste, pour voir quel sens émanera plus qu’un autre. Pour comprendre ce qu’il y a de sous-jacents aux extrêmes. Peu importe la destination, peu importe l’extremité. Je me construis mes Monts Analogues 2.

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Alexander Molodstov, rencontré à Nikel. D’aprés le titre de l’ouvrage de René Daumal, le Mont Analogue. 1952.

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INITIALES D’UNE DÉMARCHE DÉSORIENTÉE

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Beauduc, berlin, baïkal...

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D’une cheminée à l’autre

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Espaces de désorientation.

Ré-orientations sur sites de désorientation De Marseille à nikel

Nikel, oblast de Mourmansk 23 Chroniques d’une désorientation annoncée Les contrastes socio-écologiques d’un territoire comme moteurs d’un projet de paysage Nikel-sur-neige

IMAGINAIRE

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Un itinéraire de contrastes de Paris à la frontière Russo-Norvégienne.

Norvège - Russie

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Grand Nord Une frontière relative sur un territoire commun

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Kirkenes - Nikel

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Miroir miroir ? La pollution à la fenêtre

UTOPIE Monocité industrielle dans le grand nord russe Péninsule de kola,

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La ville idéale

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Un sous-sol convoité Une logistique minière à l’échelle de toute une région 67

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le meilleur des mondes en Arctique

En trois entités segmentées 71 Exploiter et profiter de la nature 75 Superposition d’idéologies sociaux-architecturales 81 Hétérotopie de compensation 89


RAZROUKHA Chute

90

L’utopie entachée : Pesnaya Gamayuna 93 Récit d’une asphyxie progressive 95 Le nikel comme systeme du sous-sol à l’horizon 107 De la contagion à l’abandon 113 Nikel comme fiction dystopique ? 117

HYBRIDATION

119

Temps de l’industrie VS Temps des consciences 120

Quand le nikel devient habituel 121 Quand les consciences s’hybrident 127 Narrations sur un pas-si-mal 129 Quand la cheminée sort de la vue 131

Temps de l’ industrie

131

Improviser ou périr 133

Plus de Nikel à l’horizon 133

L’abandon à la fenêtre 135 Quel scénario post-nikel ? 139

2070 ... 141

Abandon 141 Ville-portail 143 Ville-musée 145

L’AVANT-DERNIER PAYSAGE

147

Le déménagement 149 Un espace-temps entre sidération et habitude 153 Evolution des écologies : population // bâtiments 155 Tas de slag et diffusion 157 Démesure dans les arêtes 161 En quête de BLASTS 165 Bibliographie 212

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initiales d’une démarche désorientée

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Durant le mémoire de troisième année s’initie une orientation sur une désorientation. D’espaces arpentés, d’espaces où l’on se perd, d’espaces où l’on cherche à se trouver, à se fixer; nait un sentiment ambivalent, une « détestation-délectation ». D’une part aimer se sentir désorienté, chercher et provoquer cet instant. D’autre part, le craindre et dans ce déséquilibre, chercher à tout prix à y inscire des repères, de manière compulsive pour s’en souvenir, pouvoir re-convoquer, réécrire, revisiter ces espaces quand le moment sera passé. De ces expériences est né un questionnement,

Comment la désorientation peut-être une démarche de paysage ?

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beauduc, berlin, baïkal... Espaces de désorientation

«Entrer dans un parc abandonné en sautant les barrières. S’abstraire à un samedi soir de juillet sur les berges de la Spree pour se plonger dans un univers onirique de dinosaures couchés sur le flanc, de grandes roues démantibulées et de toboggans rouillés. Un abandon contemporain, brutal, comme s’il avait fallu partir précipitemment»

«Déséquilibres de temps, Déséquilibres d’espaces, Déséquilibres d’échelles Quand les 15 sculptures disséminées dans 600 hectares de forets et d’espaces ouverts deviennent mes balises, mes marqueurs. Donner au moins un cadre à ce flou de langue russe incompréhensible et de paysage infini.» «La représentation de l’horizon revêt également une double valeur symbolique : d’une part la fuite irréversible du temps; l’horizon qui recule indéfiniment et que l’on ne pourra jamais saisir à nouveau. D’autre part, il porte une fonction d’idéalisation. En laissant l’éloignement du passé à l’horizon: le passé s’enrichit des charmes du lointain, il est une réserve d’idéal.»

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d’une cheminée à l’autre Ré-orientations sur sites de désorientation

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Le premier site de diplôme était l’extrémité sud de la ville de Marseille : Parc national des Calanques et un passé industriel prégnant. Il y avait alors quête de ce qui est impalpable, ce sentiment de décalage, désorientation, perte de repères dans un espace qui m’est pourtant ultra familier. Une route vers les calanques, vers les déjeuners au bord de l’eau et les parties de pêche. Et pourtant, le long d’un mur, des infrastructures datées, une petite zone industrielle dans un quartier résidentiel, à mi- chemin entre les calanques et la ville, un entre deux résiduels. Comment faire cohabiter plusieurs temporalités et échelles. Mais Marseille reste trop empreint d’enfance, peut-être un peu trop familier. J’ai eu besoin de trouver un espace où la balance familiarité / étrangeté soit favorable à l’étrange.

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Et de la Russie, il y a un attachement, une curiosité, une envie irrépressible d’y aller. Climat politique, poids de la religion, de la corruption, rigueur climatique. Des éléments pas forcément attrayants au premier abord. Et pourtant c’est ce que je venais chercher, que j’avais en tête depuis mes 18 ans. Voir qui vivait là bas, et comment. Quelle était la Russie actuelle ? Derrière les leçons d’histoires, je n’avais aucune idée, aucun imaginaire de ce pays et de ses habitants.


de marseille à nikel

Il y a également deux sentiments contradictoires : à la fois une fierté profondément enracinée, un sens de la grandeur du pays, et à la fois un fatalisme. Et dans leur territoire ces même choses que chez leurs habitants, froideur, dureté, rigueur, immensité. Effrayant et attirant à la fois, des forêts de bouleaux sous la neige, un lac glacé immense à perte de vue. Des autoroutes à six voies en plein centre ville de Moscou, la neige, le froid, le nom des stations de métro en cyrillique.

Il y avait dans le choix du site de diplôme la nécéssité précisément de toucher de genre d’espace, de ceux dont les qualificatifs respirent l’hostilité, la noirceur et le malaise. Toujours dans l’idée de me confronter. De provoquer, de confronter mes sens dans l’environnement le plus distancé de moi. Chercher déshérence, ruine, abandon, dureté, distance et décalage. Un déséquilibre de tous les fronts.

Inaccessible à celui qui n’est pas initié. Voilà, pour apprécier la Russie c’est peut-être ce qu’il faut, une initiation, comme un rite de passage, le temps de s’apprivoiser mutuellement.

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NIKEL ; OBLAST DE MOURMANSK. chroniques d’une désorientation annoncée

Nikel est une petite ville mono-industrielle de 12 000 habitants située dans la péninsule de Kola, au Nord-Est de la Russie, à 400km au dessus du cercle polaire Arctique. La vie y côtoie l’abandon récent des bâtiments, infrastructures ou fermes collectivistes ouverts au vent. Plus fameuse pour ses cas de pollution extrême et de destruction environnementale que pour la beauté de sa nature Arctique. La nuit polaire y dure 45 jours. L’omniprésence de l’industrie et de la pollution sont les éléments les plus flagrants. Il s’agit de comprendre ce qu’il y a de sous-jacents aux extrêmes.

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NIKEL ; OBLAST DE MOURMANSK Les contrastes socio-écologiques d’un territoire comme moteurs d’un projet de paysage

L’approche du terrain sera jalonnée de diverses étapes d’appréhensions et compréhensions du territoire. L’imaginaire porté par les lectures et les images consultées auparavant construit une vision de l’espace avant la confrontation au réel. Une trame de références et d’attentes sur laquelle va venir se superposer celle de la rencontre avec les lieux. Infirmant ou confirmant l’imaginaire. Ces deux trames vont être constamment bousculées, remises en cause, réajustées, reconstruites par les rencontres et les arpentages. Malgré l’imaginaire construit, malgré ma modeste connaissance de la Russie, ces redéfinitions me sont apparues au cours de mes voyages comme des impacts, venant altérer un équilibre, entravant mon rythme de paysagiste sur le terrain. Comme s’il fallait à chaque fois encaisser un choc, le comprendre, l’intégrer, puis se rééquilibrer, reprendre la marche jusqu’au prochain choc. Ces rééquilibrages sont advenus au cours de ce voyage comme des phénomènes saturés selon l’approche du philosophe Jean-Luc Marion. Dans son essai De Surcroît, Marion propose une définition de ce type de phénomènes dont l’intuition excèderait le concept permettant de les penser, rendant ceux-ci littéralement impensables car sans cesse débordés par leur surcroît intuitifs.

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« Phénomènes saturés en ce que la constitution y rencontre une donation intuitive telle qu’elle ne peut lui conférer en retour un sens univoque, elle doit se laisser déborder par plusieurs significations ou une infinité de sens, également légitimes et rigoureux, sans parvenir à les unifier ni à les organiser » Marion (2010, p79)

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Le Blast, Grasse Carcasse Manu Larcenet - 2009

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NIKEL ; OBLAST DE MOURMANSK Nikel-sur-neige

En ce sens, ces phénomènes dépassent toutes les préconceptions, les connaissances et l’imaginaire associés au site. Des phénomènes immanents, dépassants l’intuition de celui qui les reçoit. Des phénomènes qui n’existent par en soi mais qui adviennent, surgissent et s’imposent à moi. Ces phénomènes ressentis apparaissent comme une série de déséquilibres et contrastes qui s’appliquent à toutes les dimensions du territoire. Des perceptions sensorielles à la végétation, au rapport privé-public ou encore envers les consciences des habitants vis-à-vis de leur ville. En recensant, classant et qualifiant ces contrastes, ceux-ci forment une trame de compréhension et d’analyse du territoire. Se laisser déséquilibrer par ces phénomènes saturés devient alors une démarche de projet. Et l’analyse de ces phénomènes une façon de dégager les enjeux et les problématiques inhérents au site d’étude.

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Est-il

permis de concevoir des paysages

déséquilibrés

?

Faut-il proposer un cadre à un espace désorientant ? Nikel pourrait couvrir une multitude de problématiques, toutes abordables du point de vue du paysagiste. En toile de fond de l’Arctique, du réchauffement climatique, de géopolitique et d’héritage soviétique. Impossible d’être exhaustive et ce n’est pas le but de mon propos. Ma démarche se veut à la croisée du paysagiste, du sociologue et du sémiologue. Une approche qui croise les sensibilités, les modes de vies et les récits des habitants à la réalité territoriale, des marqueurs paysagers qui évoquent la mémoire du site et ses futurs.

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Ce territoire est porté par l’exploitation d’un minerai. Une industrie qui est la raison d’être de la ville et de ses habitants, une industrie qui sera également sa raison de ne plus être quand le gisement sera épuisé. Alors que l’exploitation est toujours en cours, il s’agit de penser à une temporalité ultérieure, quand l’Homme quittera les lieux . Nikel est pour l’instant une industrie sur le déclin qui détruit son environnement, une ville qui se meurt à petit feu et un statu quo dans les consciences hérité d’une utopie passée. Dans cette latence, un déséquilibre de tous les fronts qui interroge l’en-attendant, l’avant-dernier lieu. Ma démarche suit ainsi quatre temporalités jalonnées de déséquilibres et d’impacts. Ces étapes correspondent à la fois aux moments d’arpentage du terrain ainsi qu’à l’évolution de Nikel, en paysage et en consciences.

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IMAGINAIRE du site, les attentes et le premier déséquilibre.

UTOPIE Soviétique au service de la ville idéale.

RAZROUKHA et

chute de l’URSS dans les esprits, dans les espaces.

HYBRIDATION,

du temps, de l’espace et des consciences ; on danse un peu derrière les cheminées.

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IMAGINAIRE

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«Plus grand que soi». N°3Février 2016 Une fois par mois, peindre sur un support qui nous dépasse. 37 Linogravure, encre et acrylique . 2x1,5m


Paris-oslo L’avion est vide, quelques costumes autour de moi. 22h16 et une ligne bleue clair se détache toujours à l’horizon. Remonter vers le nord après le solstice d’été, s’approcher ainsi du jour polaire. En temps et en distance. Littéralement La nuit dans l’aeroport m’attend. Au lieu d’une contrainte, c’est presque un soulagement. Comme pour ne pas arriver trop vite dans ce qui va altérer mon équilibre. Pas trop vite à Nikel, se ménager des étapes, des escales de 10h. L’argument économique du trajet de 15h n’était qu’un leurre. Repousser encore un peu ce moment. Et me baigner encore quelques heures dans un environnement ultra sécurisé, ultra capitaliste, chaud, où je pourrai sans craintes dormir sous un escallier et trouver facilement nourritures et boissons… Quel luxe, quel confort, quelle satisfaction de choses étranges. Quand un aéroport vous semble particulierement acceuillant c’est précisement que l’endroit où l’on va, où d’où l’on vient provoque inexorablement malaise, ou inconfort ? En tout cas l’image que j’en ai.

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Un itinéraire de contrastes de Paris à la frontière Russo-Norvégienne.

Les images suivantes sont extraites de la vidéo Nikel, Sous les cheminées réalisée sur site.

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Le terminal pour Kirkenes est minuscule. Le dernier, tout au bout. Comptoir en bois, affiches publicitaires d’espaces infinis enneigés. Esthétique de l’Arctique, du Grand Nord. Design scandinave omniprésent.

Vertige, pour aller jouer sur la ligne, l’arête, juste au bord. Aller au bout, dans cet espace qui condense un imaginaire de sentiments apocalyptiques et déroutants, un espace qui me provoque.

Un appel pour Kirkenes en norvégien. Pas de traduction en anglais, comme si personne n’allait vraiment là bas. Je me lève et m’aperçois que mon rouleau de fonds de cartes que j’ai assemblé et imprimé péniblement ne m’accompagne plus. C’est trop tard Mademoiselle. Et je pars sans mes fonds de cartes. désorientation poussée à son paroxysme.

Du hublot, du blanc, de l’eau. Des formes. Des forêts plus ou moins denses. La neige est le révélateur parfait des occupations du territoire. De cet espace qui semble tout naturel, et vierge, on distingue clairement l’action humaine. Les routes, bois, la structure de quelques villes, quelques mines creusées…


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Arrivée à Kirkenes, je monte, toute confiance apparente, dans la voiture d’un inconnu Alexander-chauffeur dont la mission est de m’emmener à Nikel, à 1h de route, en passant deux postes douaniers où il me faudra prétendre qu’il est mon ami et non un taxi. Barbelés dans la toundra , la route traverse les fjords, alternance d’espaces boisés et dénudés de la région de Barents, pins, bouleaux, neige et l’état de la route se dégrade soudainement après la frontière. Le nez collé à la fenêtre, le chauffeur se moque de moi en russe.

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Depuis l’aéroport, mon esprit s’est mis en quête de traces de pollution, je cherche la matière, les couches, les sols, comme si quelque chose de flagrant allait apparaître, comme pour conforter mon imaginaire de pollution extrême, de dégradation, d’un bout du monde, gris et morose. Il m’attrape le bras, et m’enlève à ma contemplation du lac pour me montrer les cheminées de Nikel qui pointent au loin. Imposantes. La fumée s’en échappe continuellement.


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400 km au dessus du cercle polaire Arctique,

Entre la Toundra, la Taïga, la mer de Barents, Entre l’océan Arctique, et l’imaginaire du Grand Nord,

195 km de barbelés séparent deux géants, la Russie et l’Europe.

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Norvège - Russie Grand Nord

Cercle polaire Arctique

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Entre la Russie et la Norvège, un seul point de passage, ouvert de 7h à 21h et qui voit passer plus de 150 000 personnes par an. En 2008, un accord transfrontalier est décrété entre la Russie, la Finlande et la Norvège qui permet aux résidents qui habitent dans les 50km autour de la frontière de se rendre dans les pays limitrophes sans visa. Une solution qui crée un environnement flexible, favorable aux échanges frontaliers de loisirs, travail, culture...

Un passe-droit rare pour une frontière stratégique et complexe située à la limite de l’espace Schengen, de l’OTAN, de l’Europe et de la Russie. 9000 norvégiens et 45000 russes bénéficient de cet accord pour des échanges économiques, touristiques ou familiaux. Plus largement, cette région du Grand Nord fait partie depuis 1993 d’un consortium dénommé Région de Barents permettant de favoriser les échanges et les dynamiques économiques, commerciales et environnementales.

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Norvège - Russie Une frontière relative sur un territoire commun

NORVEGE

RUSSIE

FINLANDE

Poste frontière

N

0

150km

Limite de la zone transfrontalière de libre circulation Frontières internationales

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Il n’en a pas toujours été ainsi, les frontières ont évolué au fil des guerres et des conquêtes nordiques. Malgré l’évolution des frontières, les peuples Samis, éleveurs de rennes nomades, étaient libres d’évoluer dans les trois pays (Norvège, Finlande, Russie) jusqu’en 1905.

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Une frontière relative sur un territoire commun

Empire Russe

Territoire commun Russie / Norvège

ge

è rv

D

k

ar

em

an

o /N

suède

/ finlande

Détermination de la frontière Russo-Norvégienne

Corridor Finlandais Pechenga est pris par la Finlande

FINLANDE

suède SUEDE

russie

Finlande

NNORVEGE orvège

Aprés la Seconde Guerre Mondiale, Pechenga est repris par les Soviétiques.

www.pezaniki.info

N

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Une conscience d’un territoire commun donc, néanmoins aussi riche que fragile. Les deux pays ont largement exploité leur ressources minières mais les orientations politiques et environnementales ont changé le visage de ces territoires communs. Passer d’un pays à l’autre dans la même journée c’est passer d’une ville ou l’exploitation minière s’est arrêtée en 2009. Une ville où l’économie est axée sur le tourisme et la pêche grâce à la mer de Barents qui ne gèle pas, enfin une ville au sein d’un pays avec une conscience environnementale très présente. Ironie du sort, cette ville, Kirkenes, est polluée par le dioxyde de soufre qui émane des cheminées de Nikel, à quelques 50 kilomètres de là. De l’autre côté, à Nikel, ville mono-industrielle où les émissions dépassent de six à douze fois les normes Européennes, on arrête l’usine quand les vents poussent trop la fumée vers la Norvège.

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Kirkenes - Nikel Miroir-miroir ?

Photos pages suivantes. Kirkenes, entre industrie dĂŠclinante et renouveau ĂŠconomique et touristique 53


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Néanmoins, bien qu’il soit entendu que les nuages passent les frontières, la Norvège n’a pas été autorisée à mesurer les émanations en posant des balises en Russie et les taux de pollutions restent encore miraculeusement dans les limitations de l’agence environnementale Russe.

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Kirkenes - Nikel La pollution à la fenêtre

Evolution du nuage radioactif de Tchernobyl. Contournement de la France. Libération du 2 mai 86

Nikel

Monchegorsk

Norvège

Suède Finlande

Forêt détruite Espaces séverement endommagés

Russie

Espaces visiblement endommagés Espaces endommagés non visibles

N

Influence maximum

www.pezaniki.info

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UTOPIE MonocitĂŠ industrielle dans le grand nord russe

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«Plus grand que soi» N°2 Encre et acrylique . 2x1,5m Novembre 2015 61


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Entrer dans Nikel par l’avenue des Gardes. Les immeubles de 4 à 9 étages s’alignent autour de la route, s’imposent, gris, moroses aussi. La fumée de l’usine comme un appel. Une ville encaissée, et une impression d’être au bout de quelque chose, comme s’il n’y avait plus rien après.
Une ville qui fonctionne sur elle même. Et pour cause, c’est à proprement parler une monotown. Une ville construite ex-nihilo pour l’exploitation du Nikel, et qui comble de l’originalité, porte le nom du minerai.

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1870, la région, territoire des peuples Samis éleveurs de Rennes est colonisée par les finlandais. En 1930, le nikel y est découvert , on estime les ressources à plus de cinq millions de tonnes. La géologie de la région de Kola en fait un territoire particulièrement riche et rentable pour l’exploitation de minéraux. Le minerai sera successivement exploité par des compagnies finlandaises, canadiennes, En 1940, l’exploitation du minerai débute, le territoire est le siège de conflits entre l’armée Rouge et les nazis. En se retirant du territoire, ces derniers détruisent les infrastructures minières.

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Kola superdeep borehole symbole de la conquete du grand

Nord Russe. Entre 1970 et 1989, le forage SG3 sera

le plus profond au monde.

12 262m pour traverser la croute terrestre.

Carottes de minerai trouvées sur site : ferrites, quartz, roches métamorphiques, granit.


Péninsule de kola, Un sous-sol convoité

N

0

Orthogneiss (gneiss granit)

Intrusion alkaline

Gneiss

Granit

Carbonatite : roche magmatique Granulite : roches métamorphiques

150km

Roches sédimentaires Roches sédimentaires volcaniques Greenstone

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La compagnie Pechenga Nikel construit un chemin de fer et développe les infrastructures. Nikel, Zapoliarny, Pechenga et Monchegorsk sont des villes construites ex-nihilo. Nikel assure la fonderie du minerai, la ville est ainsi intégrée à un réseau de villes minières qui comprennent tous les cycles de production du nickel et du cuivre, depuis l’exploitation au raffinage. En juillet 1945, le président du Soviet Supreme établit le district de Pechenga, la capitale est Nikel. Dès lors, Nikel va devenir un modèle d’idéal soviétique industriel avec des perspectives infinies de travail.

La mono-town a la caractéristique de dépendre intégralement de la compétitivité d’une entreprise et de ses ressources. Elle assure une qualité de vie à ses employés tout en étant dépendante d’un minerai, et nécessairement soumise à un risque d’épuisement (et/où d’explosion).

Le Nickel (Ni) est utilisé pour la confection de monnaie et en alliage pour l’industrie. C’est également un conducteur pour les composants electroniques.

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Une logistique minière à l’échelle de toute une région

Extraction Broyage

Extraction Broyage

fonderie

Logistique portuaire

pechenga

te

u ro et

zapoliarny

et

fr

nikel

mourmansk

Raffinerie

monchegorsk

N 67


«Nous avons été élevé dans un paganisme soviétique très particulier : l’homme était considéré comme le maïtre, la couronne de la création. Et il avait le droit de faire ce qu’il voulait de la planète. Comme dans la célèbre formule de Mitchourine « Nous ne pouvons pas attendre que la nature nous accorde ses faveurs, notre tâche est de les lui arracher » Alexandre Revalski, historien. Monologue sur le fait qu’un russe a toujours besoin de croire en quelque chose La Supplication. Aleksievitch, 2004

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La ville idĂŠale Le meilleur des mondes en Arctique

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La nature

Tout ce qui ne fait pas ville : la nature est associée aux fonctions de loisirs, de détente, convivialité (datchas) et richesse de la nature arctique.

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La ville idéale

En trois entités segmentées L’industrie : Fonderie, grandes cheminées, chemin de fer et tas de slugs (résidus du processus industriel). Un espace plus grand que la ville.

La ville fonctionnaliste,

ieu de vie. Habitat collectif structuré autour d’espaces publics et de loisirs. 71


L’idéologie de conquête du Grand Nord renforce la démonstration du succés du régime soviétique et de son contrôle sur la nature. La ville est enclavée, entre le lac et des collines, fonctionne sur elle même, et est orientée et desservie par et pour l’industrie metallurgique.

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La ville idéale

En trois entités segmentées

Réseaux urbains Réseaux routiers et ferrés de l’industrie Cheminements informels de loisirs et nature

0

1,5km

500m

N 73


En raison des conditions de vie extrêmes et la dureté du travail, la compagnie toute puissante fournit aux employés une qualité de vie et de services exceptionnels : centres culturels, écoles de musiques, d’art, stade, hauts salaires et grandes vacances. Une propagande pour attirer le plus grand nombre de personnes à venir concrétiser l’utopie soviétique et galvaniser la fierté d’oeuvrer à cette noble cause. On y trouvait également à l’époque la station de ski la plus septentrionale de la Russie. Un accés facile à une nature riche, lacs, fôrets, nuits polaires, aurores boréales... Une ville fonctionnelle, autonome grâce aux fermes collectivistes, Le meilleur des mondes. en Arctique.

Lieux de pratiques informels de loisirs de nature

Infrastructures de loisirs : stade, station de ski

Équipements culturels : ecoles d’art, musique, biliothèque, centre culturel Espace de nature anthropisés : kolkhozes, datchas

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La ville idĂŠale

Exploiter et profiter de la nature

N 0

500m

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La construction de Nikel a suivi des standards de ville industrielle de production de masse. Les constructions se sont succédées en accumulant de nombreuses erreurs inhérentes à une planification sans considération des conditions locales : vents forts et températures extrêmes. Contrairement aux villes soviétiques traditionnelles où les les époques architecturales s’organisent par quartier, Nikel a vu différentes époques se superposer en raison de la dureté du territoire et de la rareté des ressources en place.

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La ville porte encore les traces de cette utopie passée, les maisons en bois finlandaises côtoient assez harmonieusement des bâtiments art déco et autres immeubles correspondants à toutes les périodes soviétiques. Cette superposition crée un bazar heureux, En me faufilant entre les premières façades austères, je découvre des bâtiments aux couleurs douces, aux hauteurs harmonieuses, myriades de jeux pour enfants, et beaucoup d’espace. Les bâtiments art déco mettent un peu de St Petersburg en Arctique.


La ville idéale Superposition d’idéologies sociaux-architecturales

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1935 : Bâtiments finlandais Ces constructions répondent aux conditions climatiques difficiles (murs épais, fenêtres calibrées, orientation sud-nord, matériaux importés).

1945 : Stalinisme néo-classicisme. Construction de la ville utopique comme nouveau modèle de vie. Ensembles d’habitations, espaces publics et squares. Développement d’infrastructures sociales (utilisation de matériaux locaux).

1960 Khrushchev Construction de masse, unités d’habitations pré-fabriquées.

1980 Brejnev

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Post-soviet


La ville idéale Superposition d’idéologies sociaux-architecturales

N

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500m

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« Je pense aussi à ces extraordinaires colonies de jésuites qui ont été fondées en Amérique du Sud : colonies merveilleuses, absolument réglées, dans lesquelles la perfection humaine était effectivement accomplie. Le village était réparti selon une disposition rigoureuse autour d'une place rectangulaire au fond de laquelle il y avait l'église; sur un côté, le collège, de l'autre, le cimetière, et puis, en face de l'église, s'ouvrait une avenue qu'une autre venait croiser à angle droit; les familles avaient chacune leur petite cabane le long de ces deux axes, et ainsi se retrouvait exactement reproduit le signe du Christ. La chrétienté marquait ainsi de son signe fondamental l'espace et la géographie du monde américain.» (Foucault, 1984)

Nikel apparaît ainsi une hétérotopie au sens développé par Michel Foucault, une localisation physique de l’utopie soviétique. Un espace de perfection où l’idéologie infiltre les croyance et se répercute sur des espaces et des modes de vie. Une hétérotopie de production qui côtoie une hétérotopie de compensation par les mesures mises en place par la compagnie pour assurer un grand confort de vie aux habitants. Les mono-cities se distinguent ainsi des villes russes, leurs habitants y filent des jours heureux, galvanisés par cette idéologie de conquête du Nord et du territoire et par l’enthousiasme de pouvoir profiter de la nature exceptionnelle de l’Arctique.

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La ville idéale Hétérotopie de compensation

Under the three chemineys. Solvang, O.

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RAZROUKHA chute

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«Plus grand que soi» N°2 Décembre 2015 Une fois par mois, peindre sur un support qui nous dépasse pour abstraire le propos. 91


«К нам Вести горькие пришли, Что зыбь Арала в мертвой тине, Что редки аисты на Украине, Моздокские не звонки ковыли, И в светлой Саровской пустыне Скрипят подземные рули! К нам тучи вести занесли, Что Волга синяя мелеет, И жгут по Керженцу злодеи Зеленохвойные кремли, Что нивы суздальские, тлея, Родят лишайник да комли! Нас окликают журавли Прилетной тягою впоследки, И сгибли зябликов нaceдки От колтуна и жадной тли, Лишь сыроежкам многолетки! Хрипят косматые шмели! К нам вести черные пришли, Что больше нет родной земли, Как нет черемух в октябре, Когда потемки на дворе Считают сердце колуном, Чтобы согреть продрогший дом, Но не послушны колуну, Поленья воют на луну. И больно сердцу зaмирать, А в доме друг, седая мать! Ах, страшно песню распинать. Нам вести душу обожгли, Что больше нет роднои зeмли, Что зыбь Арала в мертвои тине, Замолк Грицько на Украине, И Север -- лебедь лeдяной – Истек бездомною волнои, Оповещая корабли, что больше нет роднои земли!» (764-5)

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«Nous avons dû mener une amère, Qu'est-ce que la houle dans les morts de la boue de la mer d'Aral, Avec cigognes rares en Ukraine Mozdok n'appelle plume herbe, Et à la lumière du désert Sarov Grincement guidons souterrains! On nous a apporté un nuage au plomb, Que Volga bleuit peu profonde, Et un garrot sur les méchants Kerzhentsev Zelenohvoynye Kremlin Quels sont les domaines de Souzdal, couvant, Donner naissance lichen Comley oui! Nous saluons les grues vposledki de tyagoyu migrateurs, Et sgibli pinsons nacedki Des enchevêtrements et le puceron vorace Seulement Syroezhko mnogoletki! Cliquetis bourdons velus! Pour que nous fassions le noir est venu, Ce n'est plus la terre natale, Comme il n'y a pas cheremuh en Octobre, Quand l'obscurité de la cour Considérons le couperet de coeur, Pour réchauffer la maison glacée Mais ne pas obéir à Cleaver, Logs hurlent à la lune. Et zamirat blesser le cœur, Et dans la maison d'un ami, une mère aux cheveux gris! Oh terrible chanson crucifient. Nous menons l'âme brûlée, Ce qui est plus zemli rodnoi, Qu'est-ce que la houle dans la boue mertvoi la mer d'Aral.» Quand il n’y a aucune traduction française pour ce texte, Google devient un hasardeux et heureux ami.


RAZROUKHA L’utopie entachée : pesnya Gamayuna

Poèmes de Klyuev écrit en 1934 Le cycle Razrukha correspond à trois poèmes «Pesnya Gamayuna», «Ot Lache-ozera do Vyga» et «Est’ demony chumy, prokazy i kholery». Ces trois poèmes évoquent les thématiques de la ruine, la déshérence, l’abandon, le démantelement. Le premier décrit l'arrivée de nouvelles de mauvais augure, la chute de la Russie traditionnelle, et la destruction de foyer. L’auteur évoque les épidémies comme la peste ainsi que les catastrophes liées à des lieux d'expression de la géographie physique et culturelle de l'empire russe, particulièrement le Nord Russe. En 1991, l’URSS chute, en politique, en territoire et en consciences. La ruine, la destruction, le désarroi sont exprimés par un seul mot.

Fondue l’hétérotopie soviétique, la pollution s’impose à moi, phénomène stauré. Asphyxie.
 Comme neige qui fond au printemps, le nikel et sa matérialité prennent soudainement forme sous mes yeux. Au moment même où je les avait oubliés, presque bercée par l’idéal soviétique. Entre deux tas de neige et un toboggan, apparaissent soudainement les cheminées immenses, disproportionnées.
Ce régime a fait de son territoire un écocide. L’hétérotopie montre ainsi ses limites dans ses contradictions. L’industrie et l’état ont tenté de maintenir une approche Staliniste de la nature, combiner une valorisation et un attachement fort au territoire du Nord russe à une exploitation outrancière des ressources naturelles.

RAZROUKHA. Rude, brutal et douloureux, avec un fond d’utopie perdue, comme l’arrière goût de dioxyde de souffre qui frappe soudainement mon palais.
Quand on sent le goût d’œuf pourri au fond de la gorge c’est que la fumée déversée sur la ville dépasse de 6 à 7 fois les normes européennes.

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RAZROUKHA

Récit d’une asphyxie progressive

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J’habite cette semaine au 7ème étage d’un des bâtiments les plus récents de Nikel. Trois fenêtres et une vue dégagée sur les cheminées et la colline au sud. Regarder les enfants jouer en bas, les allers et venues des habitants et cette cigarette me fait tourner la tete, encore.

Asphyxie. 96


Cette cigarette ne s’éteint pas, 4 fois que je l’écrase dans le cendrier. Fumée prégnante, comme ces cheminées en face de moi, dont je ne peux plus dégager la vue.
S’endormir enfin en regardant clignoter les lumieres rouges sur les cheminées. Comme un rappel, la nuit, elles ne dorment pas. Fument toujours. 200m de haut et elles introduisent une nouvelle échelle, une démesure.
Mastodonte d’acier, de briques, de métal, de bâtiments noircis par les fumées, l’usine et les artéfacts qui l’accompagnent transforment la nature arctique en une nature industrielle. 97


Côteau est.
En 1979, après l’ajout d’un nouveau minerai plus concentré, les émissions de dioxyde de souffre ont drastiquement augmenté. Les pluies acides ont décimé la végétation. À présent, on ne trouve plus que quelques lichens et arbustes. Pour le reste, ce ne sont que des souches, des arbres coupés à raz, des débris de bois, des déchets de poteaux électriques.
Une terre noire, de la boue épaisse comme de la tourbe, comme s’il y avait un composant par dessus qui recouvre, étouffe. D’autres sont laissés nus, roche vif ou sables. Ferrite, granite, quartz.
Cadavres d’arbres blanchis par la neige et le froid, bouleaux rougis, comme rouillés, souillés.
 Les plaques de neige sont d’un blanc relatif.
 Un paysage de désolation.

RAZROUKHA Aucun bruit. Pas un bruit mais pas comme en hiver quand la neige tamise tout.
 Pas un bruit, comme pas de vie.
Pas d’oiseau, pas de vent dans les feuilles.
Je ne sais pas depuis combien de temps je marche, la lumiere semble identique, 20min ou 1h30, impossible de savoir.

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On se rapproche du jour polaire.
Je pourrais continuer à marcher comme ça encore des heures
 Les pas prennent le rythme, l’habitude des matieres, entre neige et tourbe.
Monter, descendre, l’espace semble appréhendable de toutes parts.
Tenus par l’usine d’un côté et la route de l’autre. Un monotopos, en marge d’une monocity.
Et la fumée qui dessine la ligne d’horizon, en permanence, suivant les vents dominants, en hiver du nord au sud, l’été de l’est au sud. L’usine s’arrête quand le vent pousse les fumées vers la ville, je n’y crois pas. Tant de silence étrange qu’une nécessité de parler, je me mets à chanter la chevauchée des Walkyries très fort.
RAZROUKHA L’usine continue progressivement mais surement la conquête de tous mes sens pour totaliser les éléments du paysage industriel.

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En se dirigeant vers le côteau ouest, j’arrive au pied de collines de slug. Ce résidu de la fonderie de Nikel. Un materiau d’un noir profond, fascinant et intimidant, inutilisé car trop cher à ré-affiner.
 Ces collines structurent l’horizon, encadrent encore un peu plus la ville, s’imposent et se disséminent aux vents. Le nikel recouvre le sol, unifie, noircie, le pied des arbres, les bords de la rivere, les marais, la dechetterie, la route, les murs.
Une matière qui s’étend, recouvre tout. Me suit jusqu’à mon lit.
Un sentiment de toxicité quand elle glisse dans vos chaussures et quand les aiguilles s’enfoncent dans les pieds, les mains, comme des échardes. Pénetrent la peau, s’ancrent en vous. Comme pour ne plus vous laisser partir.Vous montrer qu’elle vous a marqué, qu’elle fait désormais partie de vous. J’en viens à me demander si ce n’est pas de l’acide chlorhydrique qui coule dans cette rivière.
Je filme les éléments de plastique ou métal au vent. Comme si seuls eux, artéfacts, nouveaux produits de la matérialité de Nikel, pouvaient réagir à cet écosystème. Un Nikélosystème où l’homme et la nature ont une place et un rôle limités face à la colonisation nickeloïde.
Un nikélosystème où la matière parle, les cheminées parlent, le sol s’expriment, où toute la ville résonne du Nikel. Retraite des travailleurs 45 ans. Esperance de vie moyenne des hommes : 56 ans. Au pays des soleils de minuit et des nuits polaires, vivre à Nikel comme dans une hétérochronie.

RAZROUKHA

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Nikel résonne de ses contraires.
 Nikel est ainsi habité par les pleins de l’industrie et les vides de l’abandon. En longeant une école de musique, les chants couvrent le bruit de l’usine pour quelques minutes seulement.
J’arrive sur une grande place, vide, boueuse, encadrée d’un côté par deux barres abandonnées. En 1998, six fourneaux ferment, désherence soudaine. Comme s’il avait fallu partir précipitemment.
 Là, le vent vient cogner contre ces facades inhabitées, est-ce le vide qui crée cet
écho ? Le bruit de la centrale est si fort. Un sentiment désagréable m’envahit à nouveau, entre l’abandon, la saleté, la contagion.

RAZROUKHA Les enfants passent en vélo, me regardant interloqués. En marge de la ville, les ancien bâtiments agricoles abandonnés dans les années 1990 trônent encore, décharnés, ouverts au vent, à la neige. Les stalactites dessinent les lignes des toits à l’ombre, les fenetres éclatées cadrent la vue sur les cheminées et les collines de slug. Tas de déchets, véhicules abandonnés, fosses à fumiers gelées, routes bitumées et ancien potager d’où poussent des tiges de carottes sauvage de deux mètres de haut. Démesure, déséquilibre. Baignant d’un jaune orangé les murs décrépis, la rouille et les férailles apparentes. En demandant au maire pourquoi tout cela reste en place, pourquoi il y a tant de déchets, on me répondra que cela coûte trop cher de s’occuper de ces bâtiments, alors on laisse, comme ça, des ponts suicidaires en centre ville. 
RAZROUKHA

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RAZROUKHA

Le nikel comme système du sous-sol à l’horizon

Dissémination des résidus de l’industrie (slug) dans l’environnement. Vents dominants Ete : Nord-Sud Hiver: Sud-Est

N

0

500m

1,5km 107


Les déséquilibres se perçoivent ici dans la pratique des espaces. Quand on commence à peine à s’habituer à une typologie d’environnement, survient un évènement qui détonne. Les résidus de slag disséminés en sont les premiers éléments. Suivant les vents dominants, le nikel se dissémine dans la ville, entre les batiments, s’accumule au coin des routes. En ville, il a été un temps utilisé comme matériaux de construction et s’érode à présent plus rapidement que les autres matériaux. Cette materialité crée une omniprésence à tous les niveaux, verticale, horizontale et volatile. Une omniprésence organique et autonomne. Les grands tas de slag dessinent l’horizon et les petits tas colonisent la ville.

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RAZROUKHA Le nikel comme système, du sous-sol à l’horizon

En bordure de la ville, on retrouve cette materialité le long de la rivière, au bord du lac. Elle entache la neige. Dans les boisements elle affecte lichens, bouleaux et pins. Sur les collines au nord, asphixiant les sols, laissant un paysage lunaire.

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Éléments détonnants corrélés au slug, les bâtiments abandonnés de toutes périodes apparaissent à tous les coins de rue. Le sol lui même est chaotique depuis que l’industrie s’est retirée de certains investissements publics, la voirie dans les ilôts est à la charge des habitants, le bitume se délite, impossible de rouler à plus de 15km/h. Enfin, en bordure de la ville, les décharges sauvages accumulent carcasses de voitures, déchets ménagers, de construction, de déménagement...

Limite de construction de batiments autour de l’usine Bâtiments occupés

Sol chaotique. Entretien à la charge des habitants.

Bätiments innocupés Décharge sauvage

Voirie entretenue par la municipalité

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RAZROUKHA de la contagion à l’abandon

N 0

500m

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Je suis sonnée par cette surabondance de nikel qui occupe tous mes sens, jour et nuit, de l‘eau de la douche jusqu’au fond de ma gorge. Les marches dans les paysages lunaires et décharnés, les incompréhensions linguistiques, la lumière polaire omniprésente, l’idéal soviétique rouillé, la démesure… Etranges parcours, étranges errances, étranges instants et fascination délicatement avouables. 1986, Gueorgui Danielia réalise la fiction dystopique Kin Zha Zha, satire de tout régime autoritaire, de toute société où l’effondrement de la culture dégénère en simple rapport de domination et d’humiliation. Les décors abondent d’objets qui bâtissent une réalité à la fois comique, sombre et étrangement poétique.

Pépélatse — l'appareil qui peut voler partout, même vers d'autres planètes. Le mot est formé du mot géorgien "pepela" : "papillon"

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RAZROUKHA Nikel comme fiction dystopique ? Nikel n’est pas si loin de ça, l’hétérotopie du lieu cotoit l’hétérochronie tant les paysages et situations rencontrées semblent fictifs et décalés. La premiere semaine passée à Nikel m’a positionnée en archéologue contemporaine collectant et analysant ce qui créait déséquilibre et soulevait questionnement. Objets, structures brinquebalantes, architectures rouillées en déséquilibres, absurdités, ouvertures, portes vers une autre réalité ? Comme si cet endroit était si inconcevable d’étrangeté qu’il ne pouvait exister qu’en fiction, ou dans un jeu vidéo apocalyptique ?

Tsape — un mot commun pour les différents composants des machines et mécanismes.

Chaque élément s’ajoutant ainsi à ma collection, comme un cabinet de curiosités des artéfacts du nikel et de l’utopie soviétique décadente.

Gravitsape — un composant qui permet au Pepelatse de voler non seulement horizontalement mais aussi dans tout l'Univers, en une seconde Kappe — un bouton à pression.

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hybridation

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«Plus grand que soi» N°3 Février 2016 Une fois par mois, peindre sur un support qui nous dépasse pour abstraire le propos. 119


TEmps des consciences

La nuit les quartiers sont éclairés différemment selon les routes et les chemins.
Les cris d’une mouette détonnent comme jamais avec l’environnement visuel en place. Je teste les limites de perception du paysage industriel.
La ville est faite d’arêtes à partir desquelles l’industrie n’impose plus sa morosité. On peut passer à côté, regarder la ville de l’exterieur, la voir déserte, vétuste comme les premiers jours. Mais en passant ces arêtes, l’euphorie. Comme si j’étais soudainement libérée d’un poids, d’une surcharge émotionnelle. Ces arêtes interviennent à toutes échelles, des sphères intimes des intérieurs, au bords de la rivière jusqu’au grand paysage enneigé sur la route vers Mourmansk.
 Comme arrachés, extraits au nikel.

Tous contaminés pour autant, ne pas se leurrer.

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Ginzburg propose le concept d’estrangement (ostraniene en russe) pour définir un procédé de défamiliarisation ou de mise à distance d’un objet à son recepteur pour mieux qu’il en comprenne le sens. J’ai ainsi experimenté cette étape de désidération face à l’espace et aux consicences aprés quelques temps passés à Nikel. La sidération première d’un espace délabré, pollué et de promesses de mort côtoit soudainement la familiarité et l’habitude. Le son des usines devient presque rassurant, en toile de fond. Mais en définitive, au lieu de désidération s’agit-il d’un déplacement de l’étrange ? Un déplacement de la sidération, comme si le véritable contraste ici était finalement de se sentir bien dans un paysage délabré.

« C’est plutôt accoutumance que science qui nous ôte l’étrangeté » Montaigne

Après six jours à Nikel, la saturation émotionnelle causée par la pollution et ses materialités s’est installée, comme si le quota de sentiments apocalyptiques était dépassé. Les artéfacts de ce paysage industriel s’installent, se fixent et s’assimilent en moi comme cette écharde que j’ai toujours au coin de mon doigt.
Après cette étape je peux enfin mieux comprendre l’attachement à la ville et la vie sous les cheminées, ses rythmes, ses codes.


VS

temps de l’ industrie quand le nikel devient habituel

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Tests sur la permanence de la matière Linogravures. 123


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TEmps des consciences

Dans les consciences collectives, c’est la première étape de désidération qui prône.

Des croyances qui rappellent celles des habitants de Tchernobyl après la catastrophe

Un fort attachement à la nature qui contraste avec l’exploitation minière et la pollution associée. Les consciences oscillent trés rapidement entre la perception d’une nature comme ressource à exploiter ou comme un espace de loisir fragile.

C’est là toute la polititique de l’industrie, « les faire vivre comme avant », en l’occurrence ici, comme dans une ville où la pollution ne ronge pas les immeubles, les poumons et les bouleaux.

La concentration de nikel dans les poissons du lac est dix fois supérieure à la norme, la pollution accumulée dans la neige pénètre le sol au moment de la fonte, et le champignon qu’il y a dans mon assiette ce soir est potentiellement rempli de nikel, cuivre et dioxyde de souffre. Sachant cela il y a de quoi être surpris de tant de « flegme » de la part de certains habitants. Je comprends progressivement qu’il y a une grande part de croyances et de story-telling sur la pollution et l’usine. Un héritage de croyance soviétique et de patriotisme sur la noble conquête de la nature dans le Grand Nord Russe. Un discours qui permet aussi inconsciemment de se rassurer, se conforter sur le fait que la vie sous les cheminées n’est pas si pire. Qu’il y fait bon vivre et qu’on ne voit pas le risque.

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À grand recours de politiques sociales et culturelles, de compensations, de filtres et de beaux rapports sur la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, il fait bon vivre à Nikel. Le choix d’aller ailleurs ne se pose pas vraiment, vue la situation économique du marché du travail et du logement. Une mémoire et une croyance forte et peu de fatalisme sur la réalité de la situation et les futurs de l’usine.


VS

temps de l’ industrie quand les consciences s’hybrident

« La première année, il était interdit de consommer ce qui poussait dans les potagers, et pourtant non seulement les gens en ont mangé, mais il en ont fait des conserves. Comment expliquer que l’on ne peut pas manger ces cornichons ou ces tomates ? Cela veut dire quoi on ne peut pas ? Leur goût est normal et ils ne donnent pas mal au ventre. L’impensable s’est produit : les gens se sont mis à vivre comme avant » Monologue à deux voix pour un homme et une femme La Supplication. S. Aleksievitch, 2004

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TEmps des consciences G- Tu viendras dimanche à la datcha... Et à la cascade aussi, c’est à vingt minutes, là bas l’air est sain ! R- Et vous consommez des produits localement ? G-Bien sur, je mange les poissons du lac, si c’était pollué ils seraient partis. Et puis les champignons, aussi, comme ceux que tu manges dans cette omelette.

R-Avez vous vu un changement dans la végétation depuis ces dernieres années ? G-Oui.. En positif… R- Comment ça ? G- La compagnie a posé des nouveaux filtres sur les cheminées et je vois la végétation revenir.

R-Y-a-t-il des problemes de santé chez les enfants ? de l’asthme, de l’excéma...? Et chez vos amis ? G-Non non rien, je suis née ici, j’ai vécu ici toute ma vie, je n’ai aucun probleme de santé.

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Galina Nikolievna 50 ans : Enseignante d’anglais à Nikel. Y réside depuis sa naissance.


VS

temps de l’ industrie narrations sur un pas-si-mal

Carte mentales d’enfants de 8 ans. «Les endroits où vous allez et ceux où vous n’allez pas à Nikel». 129


TEmps des consciences

Boisements de pins

Embouchure de la rivière Kolossyoki sur le lac Kouetsyarvi

Parcelles individuelles

N0

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500m

cultures de pommes de terre

1,5km


VS

temps de l’ industrie quand la cheminÊe sort de la vue

Colline du chien

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De ces entretiens et de ma pratique du site, un paradigme se dessine progressivement entre l’industrie et la vie sous les cheminées. L’usine serait en définitive le poumon noir de la ville. En évoquant la morosité des cheminées qui crachent inlassablement des milliers de tonnes de fumées Liza Molodtsova, nouvellement à Nikel m’a répondu : « L’usine donne et prend. Quand les fumées cesseront de cracher ce sera la mort de la ville ». La ville est dans une forme de status quo industriel, elle a vécu son apogée et est maitenant dans un déclin long et incertain. Depuis les année 80 la rumeur court : « L’usine va ferme, les ressources sont épuisées, pourquoi viens-tu travailler ici ? Va ailleurs ! »

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Plus de Nikel à l’horizon Improviser ou périr

Voilà le discours que l’on a tenu Roma quand à 18 ans, en 2000, il a commencé à travailler à l’usine comme mécanicien. Les emplois ont diminué depuis les années 90. Aujourd’hui, 1000 personnes sur les12 000 habitants travaillent à l’usine, les autres sont dans les économies associées, services, écoles… En réalité, il resterait assez de minerai à exploiter pour une cinquantaine d’années. Ce qui installe Nikel au deux tiers de sa vie industrielle. Alors on continue à vivre, comme si de rien n’était, comme si la fin n’était pas un futur proche annoncé. Les équipements sportifs se développent, l’industrie finance les démarches d’entreprenariat, réinvestit quelques bâtiments abandonnés, peint les façades, Un status quo inconfortable mais des croyances fortes.

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La planification économique prévoit de relocaliser les fourneaux de la ville Nikel à Monchegorsk à quelques heures de route, et de penser une relocalisation des employés. La Russie est un grand territoire, s’il n’y a plus rien à exploiter dans un lieu, l’industrie cherche ailleurs et part en laissant les lieux comme tels. Mais sans possibilité de reconversion, la ville et son environnement sont promis à un futur de mort. Un nouveau Razroukha, de ruine et d’abandon, de délaissement comme cela est arrivé il y a quelques années à Prirechny, ville voisine. Un Razroukha qui est déjà en marche à Nikel, latent, mais qui progresse doucement, vers une nouvelle ville fantôme, désertée et sinistre. Ainsi, les villes se vident, à l’inverse de ce qui a été entrepris pendant des décennies pour fixer des millions de russes dans des contrées inhospitalières.

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Plus de Nikel à l’horizon l’abandon à la fenêtre

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Le devenir des villes mono-industrielles est une question qui touche 313 villes en Russie, 25 millions de personnes. Un rapport un rapport du ministère russe des régions classe ces villes selon deux catégories, D’une part les progressistes qui seront aidées par le gouverment et les industries pour se reconvertir (180 villes) et d’autre part les dépressives, qui n’ont d’autre choix que d’improviser ou périr.

«Leskov a ecrit une remarquable nouvelle : caractère de fer. Il s’agit du caractère russe, de s’en remettre toujours au petit bonheur la chance. C’est le leitmotiv du thème russe… Au lieu de construire une bonne route, nous nous vantons d’avoir su ferrer un pou. Imaginez un chemin de fer construit par de brillants ingénieurs. Le train roule à toute vitesse, mais en guise de machinistes, il est conduit par des cochers de diligence. C’est le destin de la Russie de voyager entre deux cultures, Entre l’atome et la pelle.» Monologue sur le fait qu’un Russe a toujours besoin de croire en quelque chose. Alexandre Revalski, historien. La Supplication, A.Svetalievitch.

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Plus de Nikel à l’horizon l’abandon à la fenêtre

PECHENGA NIKEL

ZAPOLIARNY

PRIERECHNIY

SEVEROmorsk

LOVOZERO OLENEGORSK

Monchegorsk

KIROVSK

apatity

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Il s’agit alors de questionner le devenir de la ville industrielle du grand nord russe. Comment penser le futur des ces villes, à échéance de cinquante ans puisque c’est le temps qu’il reste d’exploitation du minerai. Et plutôt que penser à l’instant T de la fin du l’industrie, il s’agit de penser un projet dans le temps. À savoir ce qu’il advient de Nikel dans les cinquantes prochaines années, dés demain. Considérant les exemples de villes ayant vécu une catastrophe ou une désindustrialisation soudaine, j’analyse trois scénariis pour Nikel qui déclinent ou non des choix d’intervention.

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Plus de Nikel à l’horizon Quel scénario post-nikel ?

400Kt/an

1979 : utilisation d’un minerai plus concentré en métaux lourds

FIN SUPPOSEE DE L’EXPLOITATION DU NIKEL

Végétation 100Kt/an

100Kt/an

22 000 16 534

16 305

1920

1930

1940

2WW

1950

12 112

1960

1970

1980

1990

2000

2010

Production de Nikel Emissions de dioxyde de souffre Population

2000

2020

2030

2040

2050

2060

2070

2080

2090

TEMPS DU PROJET

Graphe d’état des lieux de la ville de Nikel, mettant en corrélation la production de nikel, les émissions de dioxyde de souffre, la population et la couverture du sol par le lichen.

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Le devenir le plus probable de Nikel. Un abandon progressif et dans 50 ans, une ville délaissée à rajouter à la liste des villes fantômes à l’image de la ville voisine de Nikel, Prirechny abandonnée en 1990. Une ville pour les touristes de la dévastation. Les résidus industriels sont laissés sur place. Les éléments industriels et le bâti en ruine deviennent espaces à risque. La végétation traverse petit à petit le bitume. Les tas de nikel se sont étalés dans la ville, asphixiant le sol sur un perimètre plus large. Des incendies ont endommagés certaines contructions. Les bâtiments les plus récents, trônent parmi les ruines. Pas d’habitants, pas de vie.

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2070 ... Abandon

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«Nikel, ville verte en arctique» Nikel est à proximité immédiate avec le PASVIK PARK. Parc naturel transfrontalier (Norvège / Finlande / Russie) alors que l’office du tourisme du parc Pasvik est en construction à Nikel. Orientation vers une reconversion vers le tourisme. Replantations / Tentative de dépollution de certains espaces. On axe la ville vers un développement du tourisme et des activités de plein air. Cette économie est probablement peu viable pour Nikel (Nikel est la derniere ville avant la frontière Norvégienne, et aucunes autres villes aux alentours) Transformer une utopie industrielle en utopie de tourisme de nature ne mène-il-pas à la chute à nouveau ?

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2070 ... Ville-portail

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Si une organisation décide de tirer partie du départ de l’industrie, la ville devient un lieu mémoriel. Elle est fermée, on la visite, on paye des guides. Quelques magasins restent pour cette forme de tourisme mémoriel / industriel. - On peut visiter l’usine. La ville est sectorisée entre les espaces visitables et les autres interdits d’accés. Une sorte de Pripyat (Tchernobyl) sans la catastrophe et la radiation. - On peut visiter les anciennes positions militaires des combats entre nazis et soldats soviets ( tranchées / bunkers / barbelés / restes d’armements) Peu d’habitants, plus de vie.

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2070 ... Ville-musĂŠe

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L’avant-dernier 146


Paysage

«Plus grand que soi» N°6 Mai 2016 Une fois par mois, peindre sur un support qui nous dépasse pour abstraire le propos. 147


Il s’agit de penser la fin de l’industrie à Nikel comme un déménagement progressif. Pour l’instant, l’impression de permanence immobile de l’industrie côtoit un abandon lent. Dans les cinquantes prochaines années, cet équilibre va s’altérer plus rapidement et la conscience de l’abandon va s’inscrire avec plus de poids. Malgré le choc économique du départ de l’industrie, anticiper cette fin c’est en quelque sorte ranger sa chambre, éviter que de la rupture entre l’esprit et les choses, naisse une incapacité à reconnaitre les objets familiers. Au lieu de vivre une nouvelle razroukha, la fin de l’usine peut être une opportunité de changer les perceptions sur les dangers et les dégats de l’industrie. Intégrer la ruine dans une forme sociale, mettre les tas de nikel au milieu de la place publique et assumer un paysage dessiné à deux mains entre la nature et l’industrie.

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«Le groupe prend conscience avec plus d’intensité de ce qu’il était depuis longtemps et jusqu’à ce moment, et que les liens qui le rattachaient au lieu lui sont apparus avec plus de netteté au moment où ils allaient se briser» (Halbwachs, 1997)


L’avant-dernier Paysage le déménagement

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Ainsi, retrouver l’équilibre paradoxal installé entre l’idéologie de la conquête du Grand Nord et le fatalisme de l’abandon. Un espace qui parle encore de démesure, d’innatendu et de décalages. Un espace hybride, qui articule les élements d’une façon peu attendue. À l’image des l’hybridations des consciences que j’ai pu ressentir. Défamiliariser pour retrouver l’essence du lieu, recomposer et re-raconter pour persévérer dans un espace qui provoque des phénomènes saturés. Un lieu entre sidération et habitude. «L’homme a du mal à supporter son ouverture absolue au monde, le parcage est la solution pratique à sa crainte paralysante de l’illimité» (Bégout, 2010) Il s’agit donc de se positionner au contrepied de cette phrase, ne pas proposer de nouvelles espèces d’enclavement, ne pas caractériser cet espace par ses limites, ses contours. Au contraire, garder la liberté, les euphories et les sentiments d’illimité présents dans le site. Les renforcer en supprimant l’innacessibilité et la crainte liées à l’industrie et aux espaces condamnés par des récits portés en héritage. Un paysage entre plusieurs temps, le présent de la fin de l’indutrie qui n’occasione pas nécessairement la fin du paysage, le juste-avant, et le juste-aprés incertain.

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L’avant-dernier Paysage un espace-temps entre sidération et habitude

« Un groupe ne se contente pas de manifester qu’il souffre, de s’indigner et de protester sur le moment. Il resiste de toute la force de ses traditions, et cette résistance n’est pas sans effets. Il cherche et il réussit en partie à retrouver son équilibre ancien dans les conditions nouvelles. Il essaie de se maintenir ou de reformer dans un quartier ou dans une rue qui ne sont plus faits pour lui mais sur l’emplacement qui était le sien. » (Halbwachs, 1997)

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En quittant un appartement, tout une dynamique en mouvement se met en place : trier, jetter, protéger, garder, donner... Une nouvelle géographie s’organise entre les meubles et les cartons, dans un espace qui parle du passé, qui n’est plus tout à fait celui que l’on a connu, ni tout à fait un nouvel espace. De 20 000 habitants dans les années 1980, à 12 000 aujourd’hui. Avec le départ de l’industrie, on compterait en 2070 quelque milliers de personnes restantes à Nikel Dés demain, les bâtiments vont être progressivement abandonnés. Les plus vétustes et proches de l’usine en premier. Cela crée une nouvelle géographie entre des espaces du quotidien et ceux où l’on ne va plus, ou que l’on pratique différement.

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L’avant-dernier Paysage Evolution des écologies : population // bâtiments

2016

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2016

2030

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Parallèlement, «l’écologie» du Nikel et des tas de slug va également évoluer. Si l’exploitation est en déclin, on peut penser que dans les cinquantes années à venir, l’industrie va encore produire les deux tiers de ce qu’elle a produit pendant la pèriode industrielle précédente (1930-2016). Un volume toujours aussi imposant, volatile et colonisateur d’espaces.

Tas de slag. 2016

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L’avant-dernier Paysage Tas de slag et diffusion

+ Tas de slug supplĂŠmentaire 2070

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Derniers quartiers habités Etalement du slug dans la ville 158

Articulations // Points d’arêtes sur phénomènes saturés

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500m

1,5km


L’avant-dernier Paysage démesure dans les arêtes

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Le projet s’établit ainsi entre les nouveaux rapports entre les deux écologies en place : le slug et l’habitat restant et abandonné. Comment vit cette station de dégradation ? Comment perdure-t-elle ? Comment se prépare-t-elle entre aujourd’hui et le jour où l’industrie cessera ?

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Entre 2016 et 2030, l’industrie est toujours présente, les tas de slug grossissent et continuent leurs progression en ville, autour de la rivière et sur les anciens kolkhozes. Les habitants diminuent, les routes utilisées se réduisent aux trajets fonctionnels. Les bâtiments se dégradent et l’on privilégie les constructions les plus récentes et les plus confortables.

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En quête de BLASTS

2016

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2030


En 2050, les quelques milliers d’habitants restant à Nikel travaillent à garder la ville viable et accessible. Le retrait de l’industrie à laissé des traces, les tas de slug non nettoyés, les infrastructures minières et les routes restent en place. Deux quartiers concentrent la majorité de la population. Les routes pour y accéder et rejoindre Mourmansk au nord sont maintenues. Le reste de la ville oscille entre différents niveaux d’abandon. Les bâtiments les plus dangereux sont détruits, des remblais dégagés ont crée des belvédères. Pour d’autres bâtiments, aux qualités architecturales intéressantes on crée des mises à distances. Enfin, pour ceux qui ne sont pas menaçants, ils sont reconvertis ou transformés au gré des besoins de la population restante. Les tas de slug sont ré-utilisés, modèlent des points de vue, des micros-reliefs... En ville, la végétation s’immisce dans les failles du bitume, les trois voies de Nikel, industrielles, naturelles et humaines s’hybrident ainsi.

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2050


Denis et Roma sont resté à Nikel, une nuit de janvier 2060 ils parcourent la ville. Leur marche révèle les espaces singuliers et les hybridations entre abandon, industrie, nature et activités humaines. Les coupes ci-dessous et les pages suivantes sont le récit de leurs interventions. Entre nuit polaire et abandon, ils vivent et entretiennent le paradoxe de Nikel. Ils modèlent les blasts pour les visiteurs, touristes et habitants restants.

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4h, Denis allume la bouilloire et s’installe à sa fenetre. Du 7ème étage de son immeuble, il voit des lumieres s’allumer, s’éteindre, puis se rallumer. D’autres insomniaques ou visiteurs peu accommodés à la nuit polaire, qui ne savent plus quand et où trouver le sommeil. Thé brulant, l’arrière goût de souffre ne frappe plus le palais À la fenêtre les cheminées, elles, ne fument plus. Leurs silhouettes élancées se distinguent pourtant à l’horizon, impassibles.

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Il traverse Gvardeski Uulitsa en suivant les lampadaires qui sont restées en place autour des bâtiments occupés. Il y a quelques années, Denis s’est levé de table et a clamé à l’assemblée présente « Je suis sociopathe » et il est parti. À partir de ce moment là, il a commencé à éviter les lieux de communauté. Il est physicien il aurait pu travailler dans les meilleurs pôles de recherches de Moscou ou St Petersbourg, mais il est resté. En 2060, l’usine a cessé son activité et la majorité des travailleurs sont partis à Monchegrosk ou à Mourmansk, relocalisés par l’industrie.

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Dans cette ville désertée, le café Blinpon est soudainement devenu pour Denis l’endroit où tout se passe. Cet ancien casino clandestin est devenu l’unique lieu de la ville. Ouvert 7 jours sur 7 et pratiquement h24, on y croise norvégiens, finlandais, anciens travailleurs du nikel, babouchkas, enfants,chercheurs… Entre ceux qui sont restés, ceux qui reviennent et ceux qui passent, les langues se mêlent, parlent de projets pour la ville, évoquent avec mélancolie le passé…

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Denis retrouve Roma qui termine son service au café, il était mécanicien à l’usine pendant six ans. Lui non plus n’est pas parti quand l’usine s’est arrêtée. Insomnie pour l’un, nuit de travail pour l’autre, entre épuisement et exaltation on distingue leurs pupilles géantes, comme adaptées à la nuit polaire. Hormis queslques routes et deux quartiers, la ville entière est plongée dans le noir, les éclairages publics ne fonctionnent plus qu’entre les espaces habités et pratiqués. ils quittent Blinpon et remontent la ville entre les maisons finlandaises.

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Le temps a joué sur ces bâtiments, la structure reste mais à l’interieur, chaque pas expose à traverser le plancher quand il y en a encore un. Il y a deux ans, Roma a excavé le sol autour des maisons pour rendre leur accés plus difficile. Des déblais des bâtiments en ruine on a créé des merlons pour compléter ces cercles de dissuasion. Entre les hauts bâtiments abandonnés, les maisons finlandaises en creux semblent être une fôret en cage.

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Ils arrivent sur Gvardieski Oulitsa, l’avenue la plus circulée de Nikel est devenue un boulevard de bouleaux. En faisant sauter la couche de bitume, on en a trouvé une moins polluée. Les routes les plus bitumées sont devenues les plus boisées.

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Dans la verticalité des bouleaux on distingue à peine la monumentalité des cheminées. Encadrés par les immeubles Art Déco de six étages, Roma et Denis suivent quelques traces laissées dans la neige. Devant l’ancienne mairie, les bouleaux prennent soudainement fin et les cheminées s’imposent, massives, 200 mètres de briques. BLAST

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Roma et Denis empruntent alors la route des travailleurs, celle qui, tous les matins depuis 150 ans était cadencée par les pas des ouvriers. Machinalement ils font le même chemin. Ils longent la route à flanc de talus, sous les lignes à haute tension. Ils ne se parlent pas mais chacun sait ce que l’autre pense. L’étonnement de ne plus entendre que leurs propres pas dans la neige. Le vrombissement de l’usine berçait les esprits, un bruit de fond rassurant, que l’on oublie tant il est omniprésent. Quand ce bruit s’arrête finalement, il choque par son absence, dans un silence assourdissant, ce qui a été.

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1h, peut être deux, il n’y a plus de traces, ils suivent finalement la rivière pour retourner vers Nikel. BLAST De là, la ville est cachée par les tas de slug qui occupent presque toute la ligne d’horizon. En se rapprochant, les tas prennent de plus en plus d’ampleur, on a accummulé là les dernières tonnes de slug pour modeler un canyon. Les pentes d’un noir profond viennent lécher le bord de la rivière. Tas noir sur ciel, sur neige, sur tas sur plusieurs centaines de mètres jusqu’à ce qu’une ligne de bouleaux apparaisse soudainement. Lumineux, ils guident vers la sortie du canyon.

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Sur ce coteau ensoleillé, on trouvait les fermes collectivistes, en utilisant les déblais de bâtiments abandonnés, Roma a crée une barrière à l’expansion du slug. Les boisements noirs dessinent la ligne de séparation, comme de non franchissement. Roma et Denis remontent le long de l’arête, sur le fil.

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La montée s’accentue jusqu’au sommet. Sur la crête, la progression se fait sur les anciennes routes de l’usine. Depuis la fin de l’industrie, les bouleaux ont repris une croissance inattendue pour une région de toundra. Le microclimat du Gulfstream de l’autre côté du lac s’est étendu à cette rive. Tous les ans, Roma dégage des percées dans cette forêt pour surprendre la vue, alternativement côté lac ou côté ville. La vue se dégage soudainement, poches de vie resistantes, deux quartiers et quelques routes dessinent une nouvelle géographie qui confronte collines enneigées et cheminées vides.

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De l’avancée massive construite en remblais sur les ancien bâtiments des fermes collectivistes, les deux hommes regardent le chemin parcouru et leurs ouvrages, comme après un bel effort. Denis laisse Roma et continue sa progression, impassible, silencieux. Il descend du belvédère dans un champs de ruines. Témoins indélébiles d’une époque radieuse que la neige n’efface pas. 190


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En arrivant dans le ville, il contourne le grand tas de slug et traverse les bosselés de différentes hauteurs sur lesquelles les traces laissent deviner le passage de luges. Denis a fait rentrer le slug entre les bâtiments vides en accentuant les talus déjà existants.

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L’avenue qui mène au palais de la culture était auparavant un lieu de parades, c’est maintenant un champs de bosses. Dans quelques heures on verra débouler à toute allure enfants et adultes surexcités, leurs cris résonnent déjà dans les bâtiments vides.

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Avec le faible éclairage public, Denis se repère à tâtons dans la nuit polaire. Sa géographie des lieux est mouvante suivant l’abandon et les destructions des immeubles trop délabrés. Les bâtiments dessinent des masses sombres.

Dans cette pénombre, Denis a voulu faire rentrer la lumiere, fendre la ville en deux comme pour créer un faisceau. En plein centre, les remblais amassés on été modelés formant une avancée. Les vents forts de l’hiver profitent de ce couloirs entre les bâtiments et de ces tas de neige pour créer des congères et transformer ce promontoire en tremplin.

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Mais déjà les bois lui manquent. Le silence et l’absence rebondissent trop fortement contre les parois vides. Incapable de soutenir cette vision il se confine dans les bois. L’année dernière, des artistes finlandais sont venus démonter les garages et les reconstruire à différents endroits le long de la rivière créant ainsi un chapelet de petites unités sculturales plus ou moins monumentales.

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Espaces autonomnes, banya, musée, chambre, jeux, cuisine, bibliothèque… À l’image du café Blinpon, on y trouve un peu de tout.

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Les garages s’étendent jusqu’aux anciens champs de pommes de terre, Denis traverse les haies, progresse lentement, dépasse la grande sculpture jusqu’à être sur de ne plus croiser personne. Enfin il aperçoit la percée qu’il a dégagé dans le bois. Enfin la respiration après le confinement. Le seul blast dont il ne se lasse pas.

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Le champs s’étend pendant encore une centaine de mètres, puis l’horizon est repris par le lac gelé et enfin la colline enneigée en face. Trois nuances d’horizons. Trois horizons qui reculent indéfiniment, trois horizons qui s’enrichissent mutuellement du passé comme une réserve d’idéal. Ses yeux ne se plissent plus à essayer de distinguer ces trois entités. Le jour ne se lève pas, il est 6h, le jour d’après, l’avant-dernier.

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OUVRAGES

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Bibliographie ARTICLES

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RAPPORTS

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SITES CONSULTES

vk.com/nikel_ni patchworkbarents.org/ norislnikel.ru mybarents.mycity.io/ www.darkecology.net/ nikelmateriality.darkecology.net/ www.pezaniki.info/ ecologywithoutnature.blogspot.fr/ nikipedia.ru/index. bellona.org/ alexandergronsky.com missionphoto.datar.gouv.fr/ 210


Sauf mention contraire, tous les éléments présentés, images, écrits, vidéos sont productions de l’auteur.

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