Rapmag 77

ÉDITO C’est un nouveau départ. Après avoir subi une liquidation judiciaire, LE magazine qui vous a accompagné toutes ces années pour parler Pera Hip-hop est de retour.

Nous voulons devenir LE support Rap de référence. Infos, reportages, interviews, dossiers, humour décalé et disruption, articles de fond : rien ne sera laissé de côté.

Pour ce premier numéro, il nous fallait du très lourd. Alors on vous sert un menu quatre étoiles composé de : Directeur de publication : Nicolas Dejeu - nicolas@rapmag.org Rédacteur en chef : Moussa Bamba - moussa@rapmag.org Secrétaire de rédaction : Mélissa Marquez - melissa@rapmag.org Journalistes : Alexandre Loulkil - alex@rapmag.org Rémi Chevrier - remi@rapmag.org Maquette : SP graph' & com' - L'Usine Numérique sophie@rapmag.org Relations presse : Sandrine Soler communication sandrine@rapmag.org Contactez la rédaction : redaction@rapmag.org Régie publicitaire : ads@rapmag.press Partenariats : partner@rapmag.org Siège : 3 rue Troyon - 75017 Paris MailVoice : 09 72 36 52 08 Twitter : www.rapmag.tv (@RAPMAGIE) Facebook : www.rapmag.org (RAPMAGTV) Instagram et Snapchat : RAPMAGTV WEBSITE : www.rapmag.fr Enregistrements légaux en cours

• Straight Outta Compton demeure, à ce jour, le premier véritable biopic sur le Rap à entrer dans l'histoire du Box office de l'industrie cinématographique.

• Duczer’, qui nous accorde un entretien exclusif : Afrique, esclavagisme, Boulbi, Miami.

Un Booba sans concession.

• Gamin terrible du Rap français, Wanani Gradi, ou Gradur pour les intimes. Portrait de ce néo disque d’or qui s’enjaille avec ses potes du Sheguey Squaad.

• Groupe légendaire, pilier du Rap des 90’s et 2000’s : la Cliqua.

Retour sur scène, influence sur le Rap français, punchlines visionnaires : immersion au cœur du Canal 93 de Bobigny aux côtés des 3 génies Rocca, Daddy Lord C et Khondo.

On vous dit à bientôt, car vous entendrez parler de nous !

FILM

Texte : Rémi Chervier + Photos : Alexandra Peuch - DR

Straight Outta Compton Straight Outta Compton demeure, à ce jour, le premier véritable biopic sur le Rap à entrer dans l'histoire du box office de l'industrie cinématographique.

Produit par Dr Dre et Ice Cube, le film reste une version plutôt objective de ces deux membres des Niggers With Attitude. RapMag a voulu aller plus loin en racontant ce que ne montre pas le biopic.

L

e début du film, qui montre la genèse du groupe, est quelque peu faussé puisqu'il occulte deux membres de la formation de base du groupe NWA : Krazy Dee et Arabian Prince.

Effectivement, ce dernier participe activement au premier jet enregistré par la bande de Compton au titre éponyme, NWA. Cet enregistrement reste à ce jour inédit et constitue un bootleg. Néanmoins, le producteur Jerry Heller, en businessman avisé, conserve le visuel de la pochette pour sortir, en 1987, la compilation NWA and The Posse où figurent les morceaux Boyz N The Hood, Panic Zone et Dope Man (titre remixé pour les besoins

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du premier album officiel du groupe) et Straight Outta Compton. Autre membre non évoqué par le scénario du film, Krazy Dee, rappeur d'origine latino, qui a notamment écrit la première version de Panic Zone, originalement intitulé Hipanic Zone.

Seul Blanc présent dans le collectif NWA and The Posse, Krazy Dee a grandi à Huntington Park, un quartier hispanique très pauvre de Los Angeles.

Ami très proche de Eazy E, il suivra par la suite une trajectoire inverse à celle de son comparse et deviendra dealer après avoir laissé le groupe.

Arabian Prince fait connaissance avec Dre et Yella en collaborant à leur groupe de l'époque, World Class Wreckin Cru, groupe Electro Rap Funk. Dre et Yella animent alors, en tant que DJ, le night-club du producteur Alonzo Williams, montré à plusieurs reprises dans le film.

NOUVELLE SÉPARATION

Arabian Prince quitte le groupe en 1988 en plein enregistrement de Straight Outta Compton. Il continue sa carrière en solo en sortant un premier

Voici le témoignage de quelques acteurs du Rap français sur le film et le groupe NWA

album en 1989, Brother Arab. Le label Stones Throw lui rendra hommage en 2008 en sortant une anthologie de ses meilleurs morceaux Electro Rap des années 80 sous le titre Innovative Life.

Par ailleurs, Ice Cube est le seul membre du noyau dur du groupe à n'avoir pas grandi à Compton.

Il a passé sa jeunesse à South Central, renommé South Los Angeles en 2003, quartier de L.A. réputé pour sa violence et sa criminalité. Si Compton est mitoyen de South Central, le QG des NWA reste une municipalité indépendante de la ville de Los Angeles. Ice Cube habitait alors la même rue que la tante de Dre. Les deux hommes se rencontreront à South Central grâce à Sir Jinx, un des rappeurs du groupe CIA, formation dont fait partie alors Ice Cube. Sir Jinx et Ice Cube se retrouveront peu après le départ de Cube de NWA sur le premier album solo de ce dernier Amerikkka's Most Wanted en 1990.

IMMATURE ET VÉNAL OU... VISIONNAIRE ?

Rendant hommage à la participation active d'Eazy E dans le succès du groupe, le film présente celui-ci comme un garçon immature et vénal et ce, jusqu'à la fin de sa vie en 1995. Pourtant, lors de nombreuses interviews, Dre définit son ex ami comme un visionnaire. À plus d'un titre, de par son passé de dealer à Compton, il est l'homme qui apporte une image "Street Credibility" au groupe, Ice Cube ayant un lourd cursus universitaire sur son curriculum vitae, et Dre un passé de passionné de musique Funk et Soul des années 70 et 80. Sa présence insuffle à elle seule un côté réaliste aux propos tenus par NWA. Piètre et laborieux rappeur, Eazy E n'en demeure pas moins un producteur habile avec un sens de la direction artistique qu'il développe avec l'éclosion de ses poulains Bone Thugs And Harmony, artistes multi-platines dans le milieu des années 90. Tout comme il a su détecter très tôt les talents de Dre et Cube au début de l'aventure NWA. En bâtissant le succès public de Ruthless Records avec Jerry Heller, Eazy E symbolise une des premières réussites sociales issues des ghettos noirs de Compton.

Eazy E a toujours assumé son passé et ses actes douteux, entretenant ainsi son statut de gangster musical. À la fin de sa vie, il se montre exemplaire en assumant publiquement sa séropositivité, alors qu'il détient encore une image de délinquant homophobe et insolent auprès des médias.

Cette représentation infantile est-elle due à la présence de sa dernière épouse, Tomica Woods Wright, dans la coproduction du film ? Pour l'anecdote, le fils ainé d'Eazy E, le bien nommé Lil Eazy E, né d'une première union, a été recalé du

DRIVER : "J'ai aimé le film. J'ai eu des frissons à plusieurs reprises.

Notamment sur les scènes de concert et de studio. Je trouve que l'esprit est là. Mais parfois l'histoire est légèrement maquillée. Par exemple on ne voit pas les embrouilles entre Dre et Eazy E. À un moment donné, Dre me paraît un peu plus "gangsta" que prévu.

Il ne faut pas oublier que le film doit répondre à un cahier des charges Hollywoodien : il s'agit quand même d'un film. Mais dans l'ensemble c'est proche de la réalité. NWA représente pour moi la liberté d'expression. Dire ce que tu penses même si ça heurte le pouvoir en place. Ce groupe représente aussi la voix des ghettos de Los Angeles et leur culture des gangs. NWA représente aussi le hardcore."

YOUSSOUPHA : "Je ne suis pas un spé­ cialiste de la West Coast. Mais j'aime bien NWA. Je préfère Biggie ou Nas. Au départ, j'étais plutôt parti pour en penser du mal. Je redoutais le sens amé­ ricain de la scénarisation exagérée.

Au final, j'ai trouvé le film assez juste.

Effectivement, il existe toujours le débat éternel sur la part du romancé. Mais on est au cinéma. On est là pour bouffer du grand spectacle. J'ai trouvé le film plutôt bien réalisé. Pour moi, c'est le meilleur biopic rap réalisé. Il fait tout simplement partie des cinq meilleurs biopic que j'ai vus. Dre et Ice Cube ont réussi leur coup."

EJM : "Straight Outta Compton raconte l'his­ toire d'artistes under­ ground qui deviennent des stars internatio­ nales sans s'en rendre compte. La vision du film sur Eazy E est celle d'un gamin amusé par ce qui lui arrive. Alors qu'il était bel et bien un visionnaire. Le personnage de Dre est présenté comme un génie du son, en occultant la partie sombre de sa personnalité, notamment les violences conjugales envers sa compagne, la chanteuse Michel'le. Pour être allé à Los Angeles en 1991, l'esthétique du film comporte un côté édulcoré proche du clip vidéo, tout en montrant la brutalité de cette ville.

Straight Outta Compton est la version sérieuse de CB4 (film de Chris Rock parodiant le milieu rap sorti en 1993). Le film paraît romancer la véritable histoire de NWA. Il ressemble plus à un hommage à ceux qui ont disparu comme Eazy E, un regard porté vers la jeunesse. Je pense que ce film est une sorte de porte de sortie pour Dre et Ice Cube."

casting du film pour jouer le rôle de son père : Tomica Woods a-t-elle joué un rôle dans cette éviction ?

D'autre part, le réalisateur F. Gary Gray appartient au cercle intime d'Ice Cube. F. Gary Gray a débuté la réalisation sur le clip It Was A Good Day d'Ice Cube, pour ensuite concrétiser la co-scénarisation et la réalisation du premier long métrage du Cube de Glace sur Friday. Ceci expliquerait peut-être la mise en valeur du rappeur lors du long métrage consacré aux Niggers With Attitude.

Quoiqu'il en soit, Straight Outta Compton restitue assez bien l'histoire du groupe en replaçant les lyrics, jugés provocateurs par la presse, dans le contexte social et racial de l'époque, à savoir les violences policières dont sont victimes les AfroAméricains avant les émeutes de Los Angeles, suite à l'acquittement des policiers auteurs du tabassage de Rodney King en 1992.

Malheureusement les rapports entre la police américaine et la communauté noire n'ont guère évolué depuis, en témoigne la multiplication des bavures policières à Ferguson, Cleveland ou Baltimore. Et aucun artiste Rap actuel n'a encore eu le cran de scander un hymne comme Fuck Tha Police.

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BOOBA

Texte Alexandre Loulkil + Photo HK Corp.

Élie Yaffa

ou le carrefour des cultures Né de mère française et de père Sénégalais, Booba fait partie de ce grand cortège de rappeurs liés par le sang au continent africain. Que cela soit dans ses textes ou dans ses interviews, l’Afrique est omniprésente chez B20. Mais évoquer le nom de Booba, c’est aussi rentrer à bord d’un avion qui fera le tour du monde. Un vol en provenance du bitume de la petite couronne parisienne, qui fait escale par les terres sénégalaises, avant d’atterrir sur les luxurieuses plages de Floride, à Miami.

Trois cultures, à priori antagonistes, qui cohabitent dans une même personne. N’est ce pas difficile à porter ?

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La France l’a porté sur le trône du Rap hexagonal, mais Booba n’en a que faire.

Il refuse de choisir entre ses trois amours.

"Je ne me sens pas plus français qu’américain ou africain", expliquait-t-il le en novembre 2014 au Parisien.

Parler de Booba, c’est associer92i, métissage et streetwear américain. Un cocktail cosmopolite de saveurs qui en fait un personnage atypique de la scène Rap française. Mais qui es-tu Booba ?

LE BITUME DE LA PETITE COURONNE

9 décembre 1976. Élie Yaffa voit le jour à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Quelques années passées à Meudon (Hauts-de-Seine) pendant son enfance, avant de retourner à son premier amour. Il s’installe à hauteur du Pont de Sèvres et y restera un bon bout de temps. Boulbi, c’est l’endroit où il s’est forgé en tant que personne.

C’est là où il a appris la vie. Dans un département qui côtoie quartiers défavorisés et milieux très aisés, Booba est entre les deux : il vivait dans des barres d’immeubles d’une ville friquée. À cette époque, Élie avait quelques projets vagues et très simples en tête. "C’est même pas mon but de Rapper au départ. Je veux juste réussir. Dans quel domaine, je sais pas, mais je veux réussir. Faire quelque chose qui m’intéresse et gagner ma vie avec, faire assez d’argent pour faire ce que j’ai envie de faire".

"Hauts-de-Seine mon équilibre" Lunatic Hallucinant d’entendre des paroles aussi timorées et humbles de la part du futur Duc de Boulogne.

Ce n’est que partie remise. L’oiseau prendra vite son envol.

Booba commence donc par des pas de danse sur le bitume de Boulogne, au sein de Coup d’État Phonique. Mais à cette époque, le gamin n’était connu de personne et n’était pas encore le duc.

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Son nom de scène était "Tic Tac". Alors autant le dire : c’était un illustre inconnu.

Alors plus street que jamais, Booba se sentait bien dehors. Le pavé et la rue sont les lieux où il se sent le plus à l’aise. Et comme pour affirmer encore plus son attachement aux terres du 92, il co-crée le Beat 2 Boul, qui réunit les groupes du Pont de Sèvres. Les Sages Poètes de la Rue, pionniers du Rap français, en font partie.

C’est dans cette ambiance street qu’il aiguise sa plume et côtoie des gens talentueux comme Zoxea. C’est également à Boulbi qu’il forge sa personnalité. Il comprend très vite que son indépendance est essentielle à sa musique. Il fonde donc, avec Ali, son compagnon du 92, leur nouveau crew : Lunatic. Et par la même, ils créent leur propre label : 45 Scientific. "Les gens savent pas mais si je me rappelle bien, on est les premiers à représenter un département, le neuf-deux en l’occurrence. Les autres ont suivi en disant neuftrois ou neuf-quatre. C’est nous qui avons inventé ce genre d’expression. Les gens peuvent vérifier, mais à l’époque de Lunatic, on était précurseurs.

On le répétait tout le temps. Hauts-de-Seine, Neufdeux : on arrêtait pas de le dire". Le Rap est une discipline intrinsèquement compétitive. Ils ont été les premiers à le comprendre. Car ce genre de petites phrases répétées, ça devient une marque de fabrique, un marqueur indélébile qui reste dans les cerveaux.

L’ATLANTISTE

Booba est un des seuls rappeurs français à assumer pleinement sa filiation avec la musique

américaine. À l’origine de cet amour pour les États-Unis, on trouve bien entendu le Rap, mais aussi une expérience qui l’a profondément marqué. À 14 ans, il part à Détroit et découvre l’American way of life. Visiblement heureux de se remémorer ces temps anciens, Booba se confie à RapMag. "J’en garde un très bon souvenir. C’est le seul endroit où je me suis senti bien. En France, tu peux être dans un lycée où il y a trois Noirs, pour 800 ou 2 000 élèves, mais là-bas, j’étais à Détroit, donc c’est 80 % de Black". La question de la place des Noirs dans la société est un sujet qui lui tient à cœur.

Il n’a jamais pardonné à la France son passé colonial et a plusieurs fois affirmé que le modèle américain était plus respectueux des minorités.

"J’avais l’impression d’ê­ tre en Afrique, mais avec la civilisation. Je m’habillais comme je voulais. Je me sentais libre en fait. Je marchais dans la rue, per­ sonne ne me regardait, je mettais des baskets de toutes les couleurs à l’époque... des coupes...

Personne ne me regar­ dait, point barre ! Et il y avait de la musique

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partout, tout le monde écoutait du Rap. En fait, j’étais comme un poisson dans l’eau ! Tout ce que je voyais à la télé, toute la culture, tout ce avec quoi j’ai grandi, je l’ai retrouvé là-bas. J’ai eu l’impression d’être entré dans ma télé". Un rêve de gamin devenu réalité, en somme.

"T’INQUIÈTE, BIENTÔT ON SE BARRE AUX STATES" JUSQU’ICI TOUT VA BIEN…

Et on peut dire que le Duc’zer y a pris goût. Il s’installe définitivement aux États-Unis en 2008, où il affirme "revivre", et raconte sa vie de pacha au

demandé ton permis". Tiens, prend ça, vieille Gaulle ringarde ! Coup de genou en plein dans le ventre "Or tout ça, je l’ai vécu en France, j’ai grandi comme ça. Et c’est la même chose pour l’Afrique. Quand je suis allé pour la première fois au Sénégal, le pays de mon père, je pensais m’y installer plus tard. Mais c’est un autre monde. Je ne pourrais pas m’adapter". Et voilà comment, en l’espace d’une minute, Booba compare ses trois amours : un Sénégaulois qui a choisi la vie américaine, en tout simplicité.

"NÉGRO, ON PLAISANTE PAS AVEC LE BIFF AU QG N°10"

Dans un élan patriotique, on se demande sou­ vent pourquoi un citoyen français quitte notre territoire. Et lorsque la destination se trouve être les States, forcément l’argent est au centre du débat. "C’est aux États-Unis que je paie les impôts de mes sociétés Ünkut (sa marque de prêt-à-porter) et Tallac (son label). C’est plus avantageux de les payer aux États-Unis même si ce n’est pas pour ça que je suis parti. Je comprends les exilés fiscaux. On ne sauve pas le pays malgré la tonne d’impôts qu’on paie". Crochet du droit en plein dans la face. La France est à genoux.

Parisien lors d’une interview. Il revient également sur la relation compliquée qu’il entretient avec la France : "J’aurais aimé être heureux en France mais pour moi, c’est invivable ici. Je suis parti pour garder mon intimité, pour être tranquille. Et aux

"Tous les jours je taffe dur, tous les jours, je galère" Garcimore États-Unis, on se sent plus libre. Que ce soit pour créer une entreprise, entrer dans un établissement public ou débarquer dans une boutique de luxe en short et claquettes sans qu’on te dévisage. En voiture, si tu ne fais pas d’infraction, on ne t’arrête pas, on ne te demande pas de mettre les mains sur le capot et d’écarter les jambes avant même de t’avoir

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Premier artiste à être disque d’or en indépendant, meilleures ventes de toute l’histoire du Rap français (sur les plateformes digitales et dans les bacs), premier rappeur à remplir le Palais Omnisport de Paris-Bercy : le mec a tout réussi dans sa vie. Pourtant, il estime ne pas être jugé à juste valeur. "Ma médiatisation en France est différente de ce qu’elle aurait dû être aux États-Unis.

Parce que par exemple, en Amérique, même s’il y a du racisme, mon envergure médiatique sera mise en avant. Ils vont dire : "Bon ! C’est un renoi, mais regarde l’envergure qu’il a". Aux États-Unis, en fin de compte, c’est le business qui compte. Même si t’es pas comme ils le voudraient mais que tu représentes des millions, ils vont dire : "Bon allez ! ". C’est ça qui est bien ! Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de racisme là-bas mais, au moins, peu importe ta couleur, si tu ramènes du billet vert, on t’ouvre les portes. Mais la France, c’est l’inverse ! Tu peux être numéro 1 au top album, premier single, faire ceci ou cela, ils s’en foutent ! (Rires) Ah ouais, ils n’en ont rien à foutre !

Ce n’est pas du tout la mentalité." Bang ! Upercut sous le menton. Mâchoire déboîtée. Sans oublier, évidemment, une petite pique envers Joey Starr, quand même. "Par contre Joey Starr, il se tape des singes, des meufs, on peut l’inviter aux Enfoirés". Le concerné appréciera.

Booba, c’est un bosseur, un mec qui passe son temps à écouter des instrus, et qui, aujourd’hui, doit composer avec la naissance de sa petite fille. Surtout, il ne compte pas encore prendre sa

retraite. Le self-made-man par excellence. "Je n’ai jamais vraiment été fan du rêve américain. Je voulais juste être bien dans mes baskets. Je n’avais pas du tout l’intention de rapper." Pourtant quelques minutes après il avoue apprécier le tempérament des gens à Miami : "Chacun regarde devant soi et travaille. Ils ne se plaignent pas trop ! Il n’y a pas de grève, ils y vont, ils foncent, c’est marche ou crève.

J’aime bien !"

Les États-Unis ont construit le MC de Boulogne en tant qu’artiste. L’abnégation et les heures sup’ représentent son quotidien. Il n’y a pas de secret pour rester au top, il n’y a que le travail qui paie. À l’image de businessmen comme Snoop Dog ou Jay-Z, il multiplie ses sources de revenus : ÜnKut entre autres, mais aussi la production de jeunes artistes au sein de 92i, son autre label destiné à faire émerger des talents prometteurs.

Surtout, il a importé la culture du "clash" en France.

Et il se retrouve a chaque fois au milieu des embrouilles. Toujours au bon endroit au bon moment. Booba est donc sur le trône du Rap français. Surtout, il méprise la concurrence. "Je kiffe tellement peu de choses dans le Rap français que je peux pas te donner de noms. Tu m’aurais dit Rap US, ça aurait été facile. Mais là c’est trop dur de répondre. Tout ce que je vois, ça m’impressionne pas."

Victoire par KO. DANS SES VEINES COULE L’AFRIQUE

Élie Yaffa, le fils de Soninké, est attaché aux racines et à la tradition. Ce n’est d’ailleurs qu’après avoir rencontré son cousin Boubacar au Sénégal qu’il adoptera le nom de scène de Booba. Et quand, en 2006, il se présente sur le plateau de la sixième édition de la Star Academy, c’est avec un T-shirt décoré du drapeau sénégalais.

Quant à Bakel City, issu de Autospsie 4, c’est un hommage appuyé à la ville de l’Est sénégalais.

D’ailleurs, le titre sort en single afin d’être plus médiatisé que les autres. L’Afrique est donc en première ligne chez Booba. "Le Sénégal c’est en moi. Je n’ai pas besoin d’aller là bas pour être inspiré par ce pays. Depuis mes premières chansons, j’en parle du Sénégal."

"L’AFRIQUE, C’EST LA TERRE" LE DUC DE BOULOGNE

C’est une réponse directe à ses détracteurs qui l’accusent de beaucoup parler, mais de peu agir pour ce continent encore peu développé. À l’instar de Fou Malade, qui lors d’une interview à Rue89 a déclaré "Si ceux qui s’achètent aujourd’hui des Lamborghini pensaient à investir quelque chose au bled, ça réduirait la pauvreté et, en même temps, ça voudrait dire que le Rap n’est pas que discours. On ne peut pas dire qu’on défend les pauvres alors qu’en fait, on en est distant, c’est un mensonge."

Mais il est très difficile d’échapper à la contradiction lorsqu’on veut défendre une cause juste. L’été dernier, en plein assaut Israélien, faisant des milliers de morts Palestiniens à Gaza, le Duc s’est exprimé. Via un tweet virulent à l’encontre de certains fans, il dénonce ce qu’il estime être de la parlote inutile : "Tous ceux qui croient aider la Palestine avec des posts Instagram, Facebook etc., vous faites vraiment pitié bande d’hypocrites. Pas d’politique ici. Si vous voulez aider, allez sur le terrain bande de truffes ou sinon fermez là à jamais !!!" "À DIX ANS, J’AI VU GORÉE, DEPUIS, MES LARMES SONT ÉTERNELLES", 0.9

Alors, Booba est-il en contradiction ? Difficile de pouvoir être catégorique. Aider l’Afrique à une échelle individuelle, c’est une chose. Changer la face d’un continent de plus de trente millions de kilomètres carrés par sa simple notoriété, ça en est une autre.

Lors d’une interview réalisée par Newdealmusic à la télévision Sénégalaise fin 2006, on sent qu’il en a gros sur le coeur. "Ce qui me marque avec la

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jeunesse africaine, c’est la misère surtout. Quand tu viens de France et que t’arrives au bled, après cinq heures d’avion, c’est un vrai changement. La France est venue, a colonisé, puis est repartie en laissant le pays dans cet état là… Il n’y a que ça qui me marque."

Ce devoir de mémoire a suivi B2O tout au long de sa carrière. "Mon peuple anéanti, temporaire seulement jusqu’à la rébellion de l’Afrique et des Antilles" nous disait-il dans Ma Définition. La triste actualité de ces derniers mois ne fait que confirmer les dires de Booba. Des centaines de migrants, à la recherche d’une vie meilleure, sont morts noyés dans la mer Méditerranée. "Je les comprends, les gens qui se barrent en pirogue ou qui se cachent dans des trains d’atterrissage. Je pense que si j’avais grandi ici et qu’à la télé, je voyais tout ce qui existe en dehors du pays, j’aurais envie de quitter mon bled. Essayer de gagner des euros pour arrêter de crever de faim avec des CFA. [...] Moi je me rappelle quand je suis venu la première fois au Sénégal, à dix ans, j’étais choqué. Ça m’a choqué à vie." Et ça se sent dans ses textes.

Quelques années plus tard, en 2014, lors d’une interview pour RapMag, il nous avouait son désarroi. Un discours, teinté à la fois de pessimisme et de résignation, encore jamais entendu dans la bouche du Duc. "Moi je suis dans le complot. Je pense que c’est fait exprès que l’Afrique soit écartée de l’évolution. J’ai entendu certains hommes politiques affirmer que l’Afrique c’est le "stock" pour les pays industrialisés. Quand ils ont besoin, ils vont y puiser ce qu’ils veulent." L’anecdote qui suit est tragique. "Un soir, on a posé une question à un mec de la bande à Sarko : pourquoi l’Afrique se laisse toujours faire ? Si tu prends l’exemple des Chinois, impossible de rentrer dans le territoire, tu vas être stoppé directement." Et là, le mec répond direct “Parce qu'il y a 400 ans, pendant l’esclavage, on a bien fait le boulot. Tous les leaders, les mecs rebelles, on les a tous nettoyés." "C’était choquant.

Mais c’est vrai quand t’y penses. Tous ceux qu’on a laissés au pouvoir sont des marionnettes manipulables." La FrançAfrique aurait donc la dent dure.

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B2O a visité une dizaine de pays d’Afrique pour y faire des concerts, mais il garde un souvenir particulièrement violent de la République Démocratique du Congo. "Moi, je reviens d’un concert au Congo, organisé par la fille d’un Général.

Le Général est accusé d’avoir commis un génocide de 300 ou 400 personnes, chez lui. C’est le MoyenÂge quand tu vois des trucs comme ça… La route en direction de l’aéroport était remplie de voitures avec des impacts de balles. Le chauffeur nous a dit «Ouais, y a quelques jours, il y a un colonel qui s’est embrouillé avec un militaire."

C’est dit si naturellement qu’on croirait qu’il s’agit d’une routine."

La réalité du terrain, B20 la connaît aussi bien, si ce n’est plus, que certains.

Néanmoins, on persiste à dire qu’il ne vit que pour ses Lambo’ et les plages de Miami.

Pourtant, son analyse crue et cruelle témoigne de sa maturité.

"Ce que je me dis c’est que, si t’es logique, avec toute l’oseille qu’il y a, toutes les ressources qu’il y a, s’ils voulaient vraiment développer, ils le feraient.

Le chauffeur nous disait "Y a pas d’électricité ni d’eau dans tout un quartier pendant trois mois parfois."

Wesh ! On est en 2014. Et c’est un pays où il y a tout."

Finalement notre entretien s’achève sur une analyse géopolitique. Un complot. Une main (pas si) invisible qui dirige l’Afrique par des pions stratégiquement placés. C’est peut-être l’essence même de son combat depuis le début de sa carrière : l’indépendance. "Dès qu’ils ont un problème, qu’ils veulent contrôler la situation, les occidentaux créent des guerres ethniques et fournissent les armes. Les mecs sont contents alors qu’ils s’entre-tuent à coups de machettes. C’est un carnage. Après ils récupèrent tout et placent un nouveau mec au pouvoir. Et si l’occident est pas content car le mec veut se rebeller c’est simple : ils organisent un nouveau coup d’État et le cycle recommence. C’est que ça. On est en 2014 et ça fait des siècles que c’est comme ça. Je pense pas que ce soit prêt de s’arrêter."

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GRADUR

Texte Alexandre Loulkil & Salah-Eddine Gakou Photos Sheguey Squad

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eudi 8 janvier, dans un hôtel parisien situé près des Halles, le Sheguey Squaad nous accueille.

Les fortes lumières blanches chauffent la salle.

Pas de quoi faire transpirer les huit mecs qui nous souhaitent la bienvenue. Gradur n’est pas encore là. "Il arrive d’ici une heure, il a deux ou trois bricoles à faire" nous confie Kiese, le manager et proche ami de l’homme au bob. Deux tables et quatre canapés pour faire connaissance avec les témoins privilégiés du succès fulgurant de Gradi.

Nyda, Kahiips et Brabra se marrent, comme souvent. Les trois membres du Sheguey Squaad se connaissent depuis longtemps maintenant.

Les deux premiers viennent du Nord, alors que le troisième a fait leur connaissance grâce au manager de Gradur. Lunettes de soleil, doudoune avec moumoute, bonnet et casquette. Ils ont l’air stone mais ne manquent pas de clairvoyance.

Kahiips brise la glace : "Nous on est le Sheguey Squaad, on est un collectif qui s’est construit autour de Gradur. On se donne de la force mais le but c’est que chacun fasse sa route tout seul."

Lorsqu’on leur fait remarquer que leurs morceaux ont rapidement créé le buzz sur Youtube et les réseaux sociaux (pas moins de centaines de milliers de vues pour leurs clips respectifs), ils répondent d’une même voix : "On n'était pas préparés à ce succès précoce."

Cette surprise, elle provient avant tout de leur état d’esprit : arrivés comme des boulets de canon sur la scène du Rap français, ils n’avaient finalement rien demandé à personne. "On rappe pas pour les gens. On rappe parce qu’on kiffe. Si quelqu’un me dit "j’aime pas", je lui réponds que je m’en bats les couilles." lâche Nyda, calmement. CQFD. Aucune chance d’être déçu en partant de ce postulat. Pas de complication, pas d’ego trip, tout se fait en première intention et sans calcul, ce qui l’amène à nous avouer qu’ils "ramènent du naturel dans le Rap, pendant que d’autres se prennent la tête."

La conversation suit son cours et Gradur arrive au centre des débats. C’est d’abord grâce à la publicité qu’il leur a fait que les trois Shegueys en sont là où ils sont. Mais ils refusent d’être considérés comme des héritiers que le roi aurait désignés. Profiter de la visibilité de Gradur, c’est une chose, travailler dur pour se faire respecter dans le Rap Game en est une autre. "Plus Gradur sera connu, plus ça nous boostera. Après on a beaucoup de taf pour faire fructifier ça." Une simple question d’équilibre en somme.

Cette situation fait bien sûr écho à celle de Gradi, qui a d’abord été relayé par Booba : en 2013, il imagine et rappe un remix de La Mort leur va si

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Gradur

ce gamin si mature Il vient du nord, s’enjaille avec ses potes du Sheguey Squad, a reçu le prix Skyrock de la révélation de l’année 2014, a obtenu un BTS de management avant d’effectuer son service militaire dans la division d’artillerie ; ce parcours singulier, Gradur en est conscient. Toujours plus de succès, toujours plus de popularité : certains n’hésitent pas à parler "d’effet de mode".

Incompréhension d’un phénomène inédit en France ou critique justifiée ?

Réponse auprès de ses proches et auprès de lui même dans une interview confession.

Bien, immédiatement partagé par le "Duc" sur les réseaux sociaux. Ce fut comme un coup de Nitro dans Need for Speed : une accélération suffisante pour semer tous les poursuivants.

Attention cependant à pas se manger le mur sous adrénaline. "La plupart des rappeurs français d’aujourd’hui sont arrivés par l’intermédiaire d’au­ tres rappeurs" affirme Kahiips. Ce qui est vrai, à bien y regarder.

Le coup de piston est-il un phénomène nécessaire dans le Rap ou un processus qui va à l’encontre du self-made-man américain ?

Pour Brabra, la solidarité doit être de mise pour diversifier la scène : "Le délire "cainri", c’est de ramener plusieurs artistes et de faire des sons lourds avec eux. On veut montrer qu’il y a du partage, de l’union dans le Rap français. Aux "States", dès qu’un mec est bon, qu’il pète, il y a des mecs qui arrivent pour lui dire : "Viens faire un feat avec moi."

la même musique qu’avec un Blanc. J’essaie de pousser le 5-9 au max, je le crie partout."

Ses parents, originaires de la République Démo­ cratique du Congo, avaient fait le grand saut en débarquant en France. Tout délaisser, repartir de zéro dans un autre pays, le défi était de taille.

Alors, pour parfaire leur intégration, ils voulaient absolument voir leur fils obtenir le bac afin de faire des études supérieures. Les problèmes de quartiers persistants, comme la crise sociale et la vente de stupéfiants auraient pu avoir raison de lui. "J’ai failli mal tourner, mais j’ai tenu bon et je me suis accroché aux études et à l’armée."

"Gradidur", comme on le surnomme, a déjà franchi une étape dans sa vie : il a atteint son but mais ne voit aucune raison de s’arrêter là.

ROUBAIX, ÉTUDES ET ARMÉE

Les escaliers se mettent à trembler. On aperçoit un bob puis le visage d’un mec imposant se ramener, lunettes de soleil noires et manteau en cuir. Notre Sheguey est arrivé. Gradur nous propose à boire avant de s’installer dans le fauteuil. Ce fauteuil, c’est finalement la consécration pour ce gamin qui a vécu beaucoup de péripéties. Un fauteuil où il explique son succès fulgurant ainsi que sa popularité grandissante.

Parce que Wanani Gradi Mariadi, est né et a grandi à Hem (Nord) à 15 minutes de Lille, dans le quartier de Shweitzer, il a eu encore plus de difficultés à percer. Dans un pays centralisé, Paris et Marseille sont les deux régions à tirer leur épingle du jeu.

Le premier exploit de Gradi est donc d’avoir donné de la visibilité à un département miné par les clichés : chômage, pauvreté et consanguinité pour ne citer qu’eux. Alors, la scène Rap dans le nord, elle est claquée ? "Au contraire, elle est en expansion. J’essaye de distribuer, de faire la promo.

J’ai fait une mixtape de 45 sons et j’ai essayé de mettre plein de rappeurs de là-bas. Le but c'est de donner de la force, d’être solidaire. La musique, c’est un partage. Tu peux être Noir et tu peux partager

Un Brevet d’études professionnelles de vente en 2007, puis un Bac pro vente au lycée Gilbert Cesbron de Roubaix en 2009, "Gradidur", comme on le surnomme, a déjà franchi une étape dans sa vie : il a atteint son but mais ne voit aucune raison de s’arrêter là. Alors il enchaîne sur deux années d’étude supplémentaires pour finalement obtenir son BTS en management des entreprises en 2011.

Voila l’itinéraire d’un rappeur déjà hors norme de par ses études, qui se complique encore. "Après mon BTS de management des unités commerciales, j'ai voulu tenter deux mois à l'armée. J'avais vingt ans. J’ai des potes du quartier qui y sont allés et qui m’en ont parlé. J’étais parti pour faire deux mois seulement, mais j’ai raté les inscriptions pour mes cours. Je me suis dit qu’il valait mieux rester, du coup, j’y ai passé trois ans." Alors Gradur porte-t-il la France dans son cœur en s’engageant ainsi ? "J’y suis pas allé pour l’amour de la patrie. J’avais envie de tester. Après mes études, je me suis dit que j’allais aller à l’armée pour voir si c’était aussi dur qu’on le disait." Un vrai challenger ce gars, on vous le dit.

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L’armée. Rien que le nom prête à imagination : épuisement mental et physique, limites repoussées à l’extrême et hiérarchie établie. Mais en entrant à l’armée, il n’a pas imaginé une seconde pouvoir être victime de discrimination. "Je me suis fait des potes là-bas, certains avaient la même mentalité que moi. Y a de tout : des Blancs, des Rebeus, des Renois (...) Mais à l’armée, y a beaucoup de fachos. Je dis la vérité quand je te dis que là bas, c’est le racisme qui règne. Des blagues racistes qui sont balancées à tout va quand le supérieur est pas là (...) je pensais vraiment pas avoir à faire face à ça." Dure période pour quelqu’un qui s’imaginait l’armée comme le lieu de l’égalité.

En tant que nouvelle recrue, sa rémunération reste très modeste et répond mal aux attentes financières qu’il espère un jour atteindre dans la vie."1 300 ou 1 400 euros de salaire à l’armée, c’est pas grand chose. Quand tu dois en donner une partie à ta mère et mettre bien ta petite copine, ça part vite..."

Alors, surfant sur l’ambiance austère et les règles strictes du camp, il décide de vendre de la

Shégué serait la contraction de Che Guevara marijuana. "Beaucoup de gens fumaient. Je me suis mis à leur vendre. C’est là-bas que j’ai appris à vendre, c’était la première fois." Loin du terter du Nord ou des quartiers chauds, Gradur bicrave sous le nez des généraux. Sa première fois en plus. Simple, puisque répondant à la seule problématique de l’offre et la demande, mais culotté tout de même.

Quand le 27 août 2014, un commandant découvre qu’un soldat est stone, Gradur est balancé aux supérieurs. "Ils ont découvert que je faisais du trafic. Plutôt que d'aller au trou, j'ai préféré ne plus y retourner." En un clin d’œil, Gradur passe du statut de soldat à celui de déserteur. Il pouvait assumer et purger sa peine, mais il sentait que son succès grandissant dans le rap lui offrait une porte de sortie. Succès peu apprécié au sein du corps militaire, soit dit en passant, car considéré comme source de troubles.

"JE COMPTE MÊME PAS DURER"

Gradur, c’est surtout l’histoire d’un homme qui a décidé de ne pas prendre le melon. Il suffit de de se pencher sur la signification de ce mot qui lui est si cher pour le comprendre : Shégué. Shégué serait la contraction de Che Guevara. Ce sont des enfants guerriers qui défendent Kinshasa et vivent en groupe dans la rue. "Un Shégué, c’est un gamin qui galère à vivre. Il est souvent à la rue. Il compense

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la misère par la débroullardise." Les fondations sont posées. Être un Shegue ou un "Sheguey", c’est savoir que la succès peut partir du jour au lendemain, sans prévenir. C’est donc s’attendre à revivre simplement et improviser si nécessaire. Dès lors, on lui demande d’analyser son ascension fulgurante et la réponse est cinglante : "Je suis choqué. Je suis choqué en permanence." L’étonnement perpétuel pour être certain de ne jamais retomber de haut, en quelque sorte. Et ce n’est pas la peine d’évoquer le stress avec lui : "Comment tu veux que j’ai la pression ? Je peux pas avoir la pression : je suis là que depuis un an. Je sais même pas comment je suis là, mais je suis là." poursuit-il après quelques secondes de réflexion. "La preuve avec mon Instagramm : je poste des trucs dessus, beaucoup de trucs. Surtout quand je suis défoncé d’ailleurs. Et même tisé."

Son tout premier opus L’Homme au bob est déjà sorti depuis le 23 février. Un album qui pourrait se définir en trois mots selon lui : "Bat-les-couilles".

Gradur est le genre de type à être franc. Arrivé de nulle part, il ne peut rien perdre. Au contraire, il a tout a gagner. La sincérité de ses propos traduit sa maturité.

"Quand est-ce que je vais réaliser ? Je sais pas. C’est monté tellement vite. Je comprends pas trop ce qui m’est arrivé. J’ai fait un premier son pour m’amuser, un deuxième puis un troisième. Mais jamais je pensais que j’allais faire des millions de vues et que j’allais sortir un album. Tu vois les feat que j’ai faits, c’est des mecs que j’écoute. Lacrim, Alonzo, Niro : c’est des mecs que j’écoute. Je comprends juste rien.

Il faut absolument garder les pieds sur terre. Si je suis arrivé comme ça, c’est que je peux repartir comme ça.

Une fois que t’as compris ça et que tu es là juste pour t’amuser, tu prends du plaisir. Je suis avec mes potes, c’est ça le plus important. Tant que je kifferai avec cet état d’esprit, tout ira bien. Si ça se trouve, je suis là pour un album, pour deux ans, ou même trois ans...

Je compte même pas durer." Ça y est, l’info est lâchée : le jour où il estimera bon de partir, il s’en ira avec son oseille pour mener une autre vie. Bon, arrêter, c’est une chose, mais pour quoi faire ? "Y a plein de portes de sortie. Avant je travaillais, je peux retourner travailler." Pas si bête, l’idée d’avoir fait un BTS, pas vrai ? À la manière de Kanye West, seul rappeur américain a être allé à l’université, Gradur est l’OVNI qui manquait à la scène française.

Un mec qui bouscule les conventions et qui a explosé trop rapidement pour être stoppé. "Les études ? Ouais, ça peut aider. Tu réfléchis peut-être pas de la même façon que certains. Mais ne confond pas l’intelligence de l’école et l’intelligence de la vie. Tu peux être un mec brillant à l’école et dans les choses

de la vie, être bête, ne pas arriver à raisonner."

Bonne nouvelle pour lui, il possède les deux.

Une maturité qui lui permet de garder la tête froide, et des études qui ne le condamnent pas à faire du business après la fin de sa carrière.

C’est peut-être le meilleur moyen de ne pas se mettre en marge de la société.

LA TRAP MUSIQUE MAIS PAS QUE

Alors très peu connu, l’ascension du gamin a été boostée par B2O. Une question, d’habitude gênante, pour la plupart des rappeurs, qui se braquent souvent lorsque est évoquée l’aide d’autrui. Encore une fois, Gradur fait exception à la règle. "C’est un mélange d’émotions. T’es surpris, t’es content, après tu appréhendes. Tu te dis que si tu es validé par Booba, c’est bien. C’est quelqu’un que j’aime depuis que je suis petit.

Je venais d’arriver, j’étais nouveau. Quand j’ai vu qu’il m’avait partagé, je me suis dit "merde" !

Parce que je savais qu’il y aurait des jaloux." Mais Gradur refuse de tomber dans la passivité : hors de question de penser que les choses se feront seules. "Mais s’il m’a boosté, faut envoyer du lourd. Booba m’a aidé, mais ce sont mes sons qui ont fait que je suis là aujourd’hui.

Je me suis donné les moyens. J’ai envoyé un son par semaine. Le samedi, je clippais, le dimanche, il sortait. Toujours en m’amusant. Et la stratégie a marché. Alors oui, ça m’a fait plaisir qu’il me partage, mais sans les Sheguey, je serais rien.

En fait, je remercie tout ceux qui m’ont donné de la force en général, et qui sont peut-être pas sous le feu des projecteurs comme Booba. J’ai fait mes sons tout seul, je me suis fait tout seul."

Reconnaissant envers le père, il s’émancipe et taille sa route comme un grand. Car s’il y a bien un adjectif qui peut définir Gradur, c’est responsable : responsable de son succès, mais aussi responsable dans son rap. Conscient de la portée de sa musique, et de ses propos de façon plus large : "Je ne suis pas dans le délire caillera. J’écris pour faire kiffer les mecs du quartier, mais je sais que des petits m’écoutent aussi. Je sais aussi qu’il y a des mecs de la rue qui m’écoutent, des petits qui m’écoutent. Je touche tout type de publics. Quand on me parle, je dois être un mec compréhensible, faut pas snober les gens. Le public doit distinguer l’artiste et la personne."

Parmi les raisons qui ont forgé l’étrangeté du personnage, une attire particulièrement l’attention. Depuis le début de son succès, Gradur ne s’est illustré qu’à l’aide de la Trap, genre musicale caractérisé par l’utilisation de sub-bass, de grosses caisses et des synthétiseurs. Tempo rapide et rythme souvent fondé sur les doubles-croches,

c’est le genre de musique qui est censée faire mon ter la testostérone. "Gradur c’est pas un rappeur de ouf : il a une bonne énergie, un bon flow, et il va pas te prendre la tête. Les gens, ils en ont marre d’écouter des clashs à longueur de journée. Ils sont contents d’écouter quelqu’un qui leur donne de la force. Quand t’as envie de t’enjailler à la salle de sport, t’écoutes

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rêvée de démontrer sa polyvalence : "Certains disent « Gradur fait toujours la même chose. Il nous surprend jamais.» Mais moi, même si y’a plus de Trap, ça me dérange pas. Quand j’écris un son, je me demande pas si ça plaira ou si ça passera à la radio, je le kiffe c’est tout. Je suis le premier fan de ma musique. Et puis sérieusement, écouter un album entier de trap, ça va me faire mal à la tête."

Gradi n’est évidemment pas le premier à se mettre à la Trap. D’autres avant lui, comme Kaaris, ont excellé, et sont érigés en modèles par le natif du 59. "J’adore Kaaris. On m’a comparé à lui avec mon délire Trap. J’avais une barbe, j’étais chauve à un moment, en plus. Mais Kaaris n'a pas besoin de forcer comme moi : il a déjà une voix imposante. Il a aussi une très bonne écriture, des bonnes méta­ phores." Le concerné appréciera sûrement la marque de respect du jeunot.

Sorti depuis le 23 février en version CD et digitale, L’Homme au bob a donc tenu ses promesses. Des morceaux calmes, à base de flow posé et de piano (Jamais ou Secteur), ou bien du très très sale ( ou Beef). Les feat sont au rendez-vous avec Alonzo, Lacrim, Niro ou Chief Keef.

du Gradur." Sans complexe, il parle de lui à la troisième personne. Mais on lui pardonne.

Alors, Gradur, un mec qui ne sait faire que de la Trap ? Le Sheguey du 59 n’aurait-il qu’une seule corde à son arc ? Évidemment non, mais c’est ce qui l’a fait connaître. Et hors de question de l’abandonner ! Il s’agit simplement de se diversifier. Et l’Homme au bob lui offre l’occasion

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À une époque minée par les conflits d’ego, de clashs créés de toutes pièces pour booster les ventes, un mec a réussi a creuser son trou. "En embrouille avec personne dans le rap" Gradur se veut l’antithèse de l’égotrip. Bien entendu, il est nécessaire de bomber le torse dans les morceaux car le Rap est une musique intrinsèquement compétitive. "Pendant que les piliers s'entretuaient, j’ai fait la différence", nous lâche-t-il en souriant.

Comme un ailier profite des espaces de la défense pour s’incruster, Gradur a déboulé, mis dans le vent ses adversaires pour se retrouver face au gardien. À ce moment précis, les footballeurs se divisent en deux catégories : ceux qui tirent un missile pour assurer le coup et ceux qui poursuivent l’humiliation. Notre ami du Nord a choisi la deuxième option. Lobe sur le gardien qui regarde, impuissant, la balle se loger au fond des filets. C’est un disque d’or pour l’Homme au bob.

L’album a mis tout le monde d’accord. "Beaucoup de gens espèrent que je me loupe et sont jaloux.

Ils comprennent pas pourquoi je suis là. Pour certains je suis pété. Mais ça change rien. On leur a mis la pression en 2014, mais en 2015, ils vont vraiment flipper. Je trace ma route, quoi qu’il arrive."

[R]

LA CLIQUA

Texte Rémi Chervier + Photo Lordz

La Cliqua

conçu pour durer "Freaky, freaky flow", printemps 1994, ce refrain résonne dans tous les ghettoblasters franciliens comme une ère nouvelle dans le Rap hexagonal. Derrière le flow percutant et fluide de Daddy Lord C se cache une palette de MCs et de producteurs aussi talentueux les uns que les autres. À l'image du titre de leur premier album Conçu pour durer, l'aura de La Cliqua subsiste encore de nos jours.

Rapmag a rencontré ses principaux porte-drapeaux à l'occasion des vingt ans du mini album Conçu pour durer au festival Terre(s) Hip-Hop au Canal 93.

"L

a Cliqua était une école", affirme Rocca lors de notre entrevue au festival Terre(s) Hip-Hop. Une école, dont sont sortis bon nombre de disciples, aujourd'hui maîtres de cérémonie du Rap Game. Une école de musique mais aussi un point de vue visionnaire sur l'industrie musicale. Le point de départ de cette aventure se trouve dans le xviiie arrondissement de Paris, "La Fourche" plus précisément, quartier général d'un collectif HipHop qui marquera les 90's. Parmi cette équipe x

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abreuvée de culture Hip-Hop des années 80, David dit le Chimiste, surnommé ainsi en raison de ses aptitudes à transformer n'importe quelle caisse claire ou échantillon en magnifique potion magique, représente la pierre angulaire du groupe. Le Chimiste a su ainsi fédérer une dizaine de personnalités aussi talentueuses que diverses sous le label Arsenal records. Ex-membre du groupe de taggers PCP, il s'associe avec un certain Mush le Funky Bwana (qui deviendra par la suite JR Ewing ou Brain Lucas), lui-même ex-tagger, célèbre pour son acte de vandalisme de la station du Louvre en 1991, devenu DJ et copropriétaire d'un magasin de disques dans le xviiie arrondissement.

Leur premier coup de cœur ira pour un boxeur des rimes et des rythmes, surnommé Daddy Lord C. Séduits par sa déconcertante aisance au microphone et ses rimes aux impacts aussi lourds que ses uppercuts sur le ring, les deux acolytes décident de produire ce puncher, alors membre dissident du groupe Mama Intellect de l'activiste Pheno. Sur scène et sur le ring. "Daddy Lord C est un peu l'ancêtre de la punchline dans le Rap français. Il est de ces plumes dont tu ne peux pas tester le talent." affirme Kohndo.

Daddy Lord C sera également la première trace discographique du label Arsenal Records. Ce maxi "white label", c'est-à-dire avec une pochette presque vierge, contient deux titres mémorables "Les Jaloux" et "Freaky Flow", qui tourneront en boucle le reste de l'année 1994 sur les platines des nombreuses soirées Hip-Hop qui pullulent sur Paris et ses environs, ainsi que sur les ondes des émissions radios spécialisées. Le public découvre peu à peu ce collectif qui incarne un vent frais sur un Rap français, jusqu’alors tenu par des pionniers du genre et symbolisés par l'axe Paris (NTM, Assassin, EJM...) / Marseille (Iam, Soul Swing and Radical).

par le collectif de La Fourche au Trianon lors d'une rencontre France/Allemagne, ou encore lors du dixième anniversaire de la Zulu Nation à la mairie du xive, avec l'adoubement de DeeNasty. "À ce moment, nous ne pensions pas à notre carrière.

On cherchait juste à se valoriser par rapport à la société", ajoute Rocca à propos de l'état d'esprit qui animait à ce moment précis les différents membres de La Cliqua.

En quelques mois, La Cliqua impose sa marque de fabrique sans aucun appui d'une quelconque maison de production, consolidée par un boucheà-oreille flatteur. Le nom du groupe est d'ores et déjà inscrit dans l'inconscient collectif du public.

La Cliqua est de toutes les fêtes de l'instant. Cut Killer, en personne, leur consacre une fameuse de ses mix-tapes. Le nom est dans toutes les bouches d'une jeune génération sevrée au Hip-Hop newyorkais et à la philosophie inspirée par la Zulu Nation d'Afrika Bambaata. Malgré le respect pour ses glorieux aînés, cette jeunesse veut couper le cordon ombilical en prenant définitivement son destin en main. Le maxi de Daddy Lord C est l'arbre qui cache une forêt de disques réalisés en totale autonomie, marquant l'ère de l'auto-production.

Un phénomène bouleversant l'industrie musicale qui se montre de plus en plus curieuse quant à cette tempête sonore alliant aussi bien le fond et la forme. Des groupes poussent à une vitesse vertigineuse aux quatre coins de l'Île-de-France.

Les concerts se multiplient.

Après un remix de "Freaky Flow", La Cliqua sort son premier mini-album Conçu pour durer en 1995, qui contient l'intégralité des composantes de l'armada de La Fourche. Conçu pour durer figure au panthéon des classiques de l'histoire du Rap français. D'une part, grâce à la qualité du rendu final, mais également par l'influence du disque sur les générations suivantes. Outre la qualité musicale des productions, dont on sent immédiatement l'influence new-yorkaise de l'époque comme Black Moon ou Blahzay Blahzay, le tout sonne définitivement hors du décalage New-York / Paris qui subsiste jusqu'au milieu des années 90.

Malgré le respect pour ses glorieux aînés, cette jeunesse veut couper le cordon ombilical en prenant définitivement son destin en main.

Ceux de La Cliqua génèrent une incroyable énergie produite par les multiples combinaisons de ses entités et sous-entités. On découvre tour à tour les talents de Rocca, qui forme avec Daddy La Squadra, de Coup d'État Phonique, avec les premiers pas d'Egosyst, Raphaël, Kohndo et d'un jeune danseur nommé Booba. Pour l'anecdote, Booba rappait déjà sur un morceau du collectif, resté inédit, enregistré pour la compilation de Moda et Dan dans les studios du mythique magasin Tikaret, où l'ex-Lunatic effectuait un stage de vente. Niveau concert, on peut citer le remue-ménage provoqué

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Un coup de patte, signé Le Chimiste, Jelahee et Lumumba, reconnaissable parmi des milliers.

"En 2015, La Cliqua est reconnue pour son son, car le collectif ne pensait alors qu'à la musique, pas à son image. Pour des groupes actuels comme L'Entourage, nous sommes des emblèmes comme Run-DMC ou ÉRIC B & Rakim. I am nous a même samplés." rappelle Daddy Lord C en évoquant l'influence musicale du disque.

Malgré leurs vingt ans d'âge, les textes se sont bonifiés avec le temps telle une bonne cuvée.

La manière d'aborder des thèmes liés à leurs pérégrinations parisiennes emprunte une ima­ gerie plus originale que les productions existantes jusqu’alors. "Conçu pour durer est un album qui a bien vieilli. Les morceaux Comme une sarbacanne et Tué dans la rue sont malheureusement toujours d'actualité. La dégradation de la situation des quartiers populaires s'est juste amplifiée. Le monde paraît plus dur. Et le Rap sera toujours à l'image de notre société." précise Kohndo. Les propos se voulaient alors très proches de ce que vivaient les protagonistes de l'album pour des raisons très précises. "Nous faisions très attention à ce qu'on racontait dans nos textes. Car celui qui parlait représentait les gens. Les anciens te rappelaient vite à l'ordre si tu mentais dans tes lyrics. Visionnaire,

Conçu pour durer a été écrit de manière réfléchie dans le fond et la forme. Aujourd'hui, les rappeurs vendent plus une image que leur travail artistique." appuie l'original Rocca.

L'album doit son côté hétérogène à la forte, mais différente, personnalité des trois piliers du collectif.

"La Cliqua était un œil avec plusieurs visions : le regard de Rocca et ses origines Colombiennes, la sensibilité et l'intellect de Kohndo, enfin le côté street de Daddy Lord C. On peut nous comparer à une troupe de super héros avec des pouvoirs différents. Le fait d'avoir plusieurs personnalités différentes au sein de La Cliqua était volontaire. L'auditeur pouvait ainsi trouver chaussure à son pied. Aujourd'hui, chacun a son univers. Mais lorsqu'on se retrouve ensemble sur scène, nous avons gardé la même étincelle et la même philosophie qu’à cette période. Nous ne sommes pas pour autant nostalgiques." reprennent en chœur Daddy et Kohndo.

Une stratégie payante au final, au vu du succès de Conçu pour durer auprès du public d'antan et actuel. L'album est devenu la célébration d'un état d'esprit, une manière de concevoir un art devenu un produit de consommation de masse. La joie des retrouvailles se lit sur les visages de Rocca, Kohndo et Daddy Lord C. "On s'était déjà retrouvés sur scène en 2009 et 2010. Les vingt ans de Conçu pour durer au Canal 93 est un voyage musical à travers vingt ans de Hip-Hop. C'est aussi l'occasion de se retrouver, échanger et partager, malgré l'absence de Raphaël. Chacun a su se recréer artistiquement dans sa carrière solo respective, sauf lui. C'est triste, car Raphaël aurait dû connaître une grande carrière dans le Rap." regrette Rocca.

Conçu pour durer coïncide aussi avec l'entrée du label Arsenal Records dans le monde impitoyable de l'industrie du disque. Arsenal obtient alors une licence de distribution nationale avec la maison Night and Day, spécialisée dans la sortie d'artistes Rap indépendants français. Par la suite, Arsenal développera son influence territoriale en signant une licence avec la major compagnie Universal, via la maison Barclay, sans pour autant renier sa touche artistique.

En 1996, le produit de cette improbable colla­ boration donne une compilation intitulée Le Vrai Hip-Hop dans laquelle on distingue mieux les différentes entités et individualités de La Cliqua : c'est-à-dire La Squadra, groupe formé par Rocca et Daddy Lord C, et les talents de Coup d'État Phonique, rejoints par de nouveaux arrivants, dont Les Petits Boss venus de Suisse. "Je considère plus Le Vrai Hip-Hop comme un album à part entière de La Cliqua qu'une véritable compilation.", précise

Kohndo. Arsenal enchaîne alors la réalisation de plusieurs pièces maîtresses du Rap français, notamment le premier album solo de Rocca, Entre Deux Mondes, ainsi que la production de l'album

Conçu pour durer coïncide aussi avec l'entrée du label Arsenal Records dans le monde impitoyable de l'industrie du disque culte du groupe Ideal J, Le Combat Continue, qui portera à la consécration son leader charismatique, Kery James et son regretté concepteur DJ Medhi.

Arsenal est également une vision avant-gardiste des tendances musicales des musiques urbaines pour les années 2000, avec la signature du chanteur vétéran du RnB, Hasheem, en 1997. La sortie de son premier album Il a Fallu en 1998 annonce la vague RnB française qui déferlera au début des années 2000.

Paradoxalement, c'est à l'aube de ces années 2000, en 1999 plus précisément, que La Cliqua signe son album éponyme posthume.

"L'univers de cet album était plus sombre. Coup d'État Phonique a connu à cette période les départs d'Egosyst puis de Kohndo. Raphaël s'est retrouvé seul, un peu comme un satellite de La Cliqua.

Kohndo avait néanmoins participé à l'élaboration de deux morceaux, dont Les Quartiers Chauffent.

Jusqu'à présent, il était un peu le ciment entre La Squadra et Coup d'État Phonique. Nous avons trop tardé à réaliser cet album. Après sa conception, nous avons coupé les ponts. Chacun avait ses propres équipes. Auparavant, on vivait les uns sur les autres 24 heures sur 24. L'argent et les entourages ont parasité les liens qui maintenaient les membres entre eux. Cette période correspond étrangement avec l'avènement de Skyrock dans le Rap. Les artistes ont commencé à créer un son plus orienté vers la masse, moins exclusif que celui prôné par La Cliqua." se remémore Rocca.

Vingt ans après, quelles traces laissent donc les auteurs de Conçu pour durer ? Mis à part une discographie intemporelle, l'héritage est inconsciemment présent dans le quotidien des jeunes artistes Rap. L'auto-entreprenariat, dont fait preuve la nouvelle génération est une

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groupuscules d'extrême droite dans les années 80, avant de devenir des figures très actives de la culture Hip-Hop des années 90 et 2000. Daddy commence à rapper dans le groupe Mama Intellect créé par Pheno, avant de rencontrer les futurs tauliers de La Cliqua : Le Chimiste et JR Ewing.

philosophie musicale reprise en chœur par des artistes prometteurs comme 1995 ou L'Entourage.

La Cliqua a été un formidable terrain d'observation et de développement pour des grandes figures de cette musique comme Booba et Kery James. À ce titre, Conçu pour durer, a été "conçu pour les éloges", comme l'affirme un de ses architectes.

DADDY LORD C

Daddy Lord C est le premier artiste émergeant de La Cliqua. Daddy, le bien-nommé par son statut de vétéran, a grandi dans la ZUP du Mont-SaintMartin à Nemours, en Seine-et-Marne, où sa famille jouit d'une bonne réputation.

Il est également le frère de Joe Dalton, un des membres imminents du gang des Black Dragons, qui se sont distingués par leur combat contre les

Daddy Lord C, ou Clark, s'est illustré par son flow très caractéristique et ses rimes accrocheuses sur le premier maxi de La Cliqua, Freaky Flow, avant de tenir fièrement le flambeau de son groupe pendant de nombreuses années, notamment au sein du binôme formé avec Rocca, La Squadra.

En 1998, il délaisse le collectif de La Fourche le temps de l'enregistrement de son premier album solo Le Noble Art, en référence à sa pratique de la boxe anglaise, pour le compte du label de son frère Joe Dalton, Dallas Cartel.

Il gravite alors entre Grigny et Melun, fréquentant souvent le collectif de producteurs essonniens, La Banque de Sons. Après la dissolution de La Cliqua, Daddy Lord C s'éclipse quelque peu de la scène Rap pour se consacrer pleinement à sa carrière de boxeur professionnel. Il multiplie les apparitions sur nombre de compilations et d'albums confi­ dentiels, avant de reprendre sa carrière solo avec la sortie de l'album Le Fruit Des Sacrifices, en 2011, résumé de ses dernières années passées en studio avec des invités prestigieux comme Rockin’ Squat, Akhenaton, Le Rat Luciano ou plus surprenant, comme Elsa Lucchini. La quarantaine passée, il tient toujours le microphone et prépare un nouveau projet, toujours avec Banque de Sons.

ROCCA

Rocca évolue à Paris intra-muros au sein d'une famille de musiciens d'origine colombienne. Jeune, il apprend la pratique des percussions, dont il tire plus tard son sens inné pour la rythmique.

Passionné par la suite de Hip-Hop, il intègre La Cliqua peu de temps après la sortie du premier maxi d'Arsenal records. Véritable révélation métronomique de Conçu pour durer, il confirme les espoirs placés en lui lors de son premier album solo, Entre deux mondes, qui contient deux classiques inévitables Jeunes de l'univers sur un sample de Michel Berger et Le Hip-Hop, mon royaume, qu'il reprendra avec la chanteuse Zahariya (et sœur d'Hasheem) pour les besoins de son titre Donner l'envie en 2007.

Soliste confirmé ou complémentaire de Daddy Lord C dans La Squadra, son profil

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atypique lui vaut les surnoms d'El Original ou Chief Rocca.

La disparition de La Cliqua le pousse à explorer plus en profondeur ses origines colombiennes avec un second solo intitulé Elevacion qui contient une version espagnole de son morceau El Original. Il récidive avec un troisième solo plus anonyme Amour Suprême en 2003.

Pendant sept ans, il s'exile à New York puis en Colombie pour entamer une carrière de MC hispanophone au sein du groupe Tres Coronas avec deux latino américains du Queens PNO et Reychesta. Après deux mix-tapes en 2004 et 2005, ils effectuent une tournée américaine et sudaméricaine couronnée de succès. Suivent quatre albums salués par le public hispano-américain.

Rocca a le privilège d'apparaître en 2011 avec le chanteur de salsa, Yuri Buenaventura, sur la BO du documentaire La Vida Loca réalisé par le défunt Christian Poveda sur les gangs au San Salvador.

En 2012, il revient au Rap francophone avec le mini-album, Le calme sous la pluie, dans lequel Rocca s'affirme comme étant un des rappeurs les plus talentueux issus du collectif du xviiie arrondissement.

Complètement bilingue, il a récemment terminé l'enregistrement de l'album, Bogota Paris, dont la particularité est de s'adresser autant à son public français qu'hispanophone. Une première mondiale pour l'Original ou El Original.

Il part à Détroit pour enregistrer un des projet les plus ambitieux de sa carrière, Deux pieds sur Terre, marqué par des collaborations avec les artistes américains Insight, Dwelé et Slum Village. Pour l'occasion, il fonde son propre label Greenstone Records.

Il confirme en 2011, avec l'album Soul Inside, musicalement plus proche de l'univers mélomane du rappeur de Boulogne.

Souvent comparé à tort à son coéquipier de Coup d'État Phonique, Raphaël, Kohndo a su mettre en valeur au fil du temps la maturité dont il a fait preuve au sein de La Cliqua en consolidant les liens entre les deux entités du collectif du xviiie, tout en conservant ses principes de base.

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KOHNDO

Bercé par les standards Soul et Jazz de ses parents béninois, Kohndo est issu du vivier très fertile en MC’s de Boulogne : Sages Poètes de La Rue, LIM, Booba...

Plus discret mais pas moins efficace que ses acolytes, il forme avec Egosyst, Raphaël et Lumumba le groupe Coup d'État Phonique au sein de La Cliqua. Après une première apparition dans Conçu pour durer, le groupe s'affirme avec la sortie du remix de leur titre Dans ma tête. Refrain enlevé, rimes ricochet, Coup d'État Phonique devient alors une des meilleures promesses du Rap français.

Le groupe se désintègre peu à peu avec le départ de Kohndo en 1998, mais ce dernier participe tout de même partiellement au dernier album éponyme de La Cliqua. Il entame alors une carrière solo prolifique en projets et en collaborations.

En 1999, Prélude à l'odyssée, marque le fruit de son obstination à mêler Hip-Hop, Soul et Jazz en français. Après une multitude de collaborations et deux EP, il signe un contrat sur le label Ascetic pour qui il enregistre un premier album abouti, Tout est écrit, en 2003.

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