PETIT PRĂCIS MACRONISTE POUR ABIMER DURABLEMENT LA
DĂMOCRATIE
Retraites : selon Olivier Dussopt, le ministre du Travail est un menteur
Combien de retraités vont voir leur pension atteindre les 1200 euros grùce à sa réforme ? Plus on pose la question à Olivier Dussopt, moins ils sont nombreux.
Olivier Dussopt se pavanait, le 15 fĂ©vrier, sur France Inter : « Quand on me dit combien grĂące Ă cette rĂ©forme vont passer le cap des 85% du Smic ? On a une prĂ©vision, elle mâest arrivĂ©e hier soir : 40 000 personnes de plus chaque annĂ©e ».
Le 23 fĂ©vrier, dans un courrier adressĂ© au dĂ©putĂ© socialiste JĂ©rĂŽme Guedj, ce mĂȘme Olivier Dussopt Ă©crit : « Ă la suite de votre sollicitation, un chiffrage complĂ©mentaire estimant le nombre de nouveaux retraitĂ©s franchissant le seuil des 1200⏠par le seul fait de la hausse des minima de pension vous a Ă©tĂ© transmis par la Direction de la SĂ©curitĂ© sociale. Les services estiment, selon les gĂ©nĂ©rations, quâentre 10 000 et 20 000 personnes franchiront le seuil des 1200⏠par cette seule mesure. »
Soit « 1,2% Ă 2,5% des retraitĂ©s », commente JĂ©rĂŽme Guedj. Ou pour prendre le problĂšme Ă lâenvers, « 4,75 millions de nos retraitĂ©s devront en-
core vivre avec moins de 1200 euros », note la dĂ©putĂ©e communiste Elsa Faucillon. Mais revenons Ă JĂ©rĂŽme Guedj. Celuici est parti dâun constat simple : Olivier Dussopt est un vilain menteur. Encore faut-il le prouver. Usant de son statut de vice-prĂ©sident de la mission dâĂ©valuation et de contrĂŽle de la sĂ©curitĂ© sociale, JĂ©rĂŽme Guedj sâest donc rendu Ă la SĂ©cu, mais aussi Ă Matignon et au ministĂšre du Travail. Il y a obtenu plusieurs documents et a tout simplement posĂ© des questions au ministre Dussopt, lequel sâest vexĂ©, arguant quâil nâavait pas de comptes Ă rendre Ă quelquâun qui « perd les pĂ©dales ». Son camarade Franck Riester est allĂ© jusquâĂ crier Ă la « dĂ©lation ». Ce nâest pas la honte qui les Ă©touffe.
VoilĂ comment, parce que lâopposition a encore quelque pouvoir, on se retrouve avec un ministre du Travail se dĂ©disant publiquement.
Le ministre avait donc menti mi-février.
Mentir, ça sâĂ©crit « revoir Ă la baisse » dans Le Monde ou LibĂ©ration, et « reconnaĂźtre son erreur » sur BFMTV. Pudeurs de gazelle ou excĂšs de zĂšle ?
Car, si le gouvernement sâamuse Ă tordre la vĂ©ritĂ© sur une des mesures phares de sa rĂ©forme, quâen est-il du reste ? Que penser de lâexplication dâEmmanuel Macron en personne, le week-end dernier au Salon de lâagriculture, qui nâa fait que nous prouver quâil ne comprend rien Ă sa propre rĂ©forme ?
Que penser du fait que « les fameux «1200 euros», brut, ne constitueraient plus un «minimum» pour tous, mais pour les seuls pensionnĂ©s justifiant dâune carriĂšre complĂšte, Ă taux plein, sur la base dâun salaire Ă©quivalent au Smic », sachant que nous avons dĂ©jĂ vu que ce type de carriĂšre nâexiste quasiment pas !
Relisons ce quâĂ©crivait ici-mĂȘme (le 16 janvier !) notre chroniqueur Ă©co Ber-
nard Marx : « Une carriĂšre complĂšte de 42 ans intĂ©gralement payĂ©e au Smic, câest pratiquement introuvable. Dans son rapport annuel de 2018, le trĂšs officiel groupe dâexperts sur le Smic a Ă©tĂ© regarder de plus prĂšs les trajectoires salariales au voisinage du Smic entre 1995 et 2015 : sur 2,5 millions de personnes observĂ©es, «seules 48 ont passĂ© les 21 annĂ©es dâobservation avec une rĂ©munĂ©ration infĂ©rieure Ă 1,1 fois le salaire minimum». »
48 personnes.
« On va continuer les investigations », a tweetĂ© JĂ©rĂŽme Guedj. Dâici lĂ , on peut toujours dĂ©sespĂ©rer que le mensonges dâun ministre fasse moins causer les commentateurs que son portrait dans Le Monde, portrait oĂč lâon apprend surtout quâOlivier Dussopt « se lĂšve Ă 5h15, enchaĂźne cinquante pompes et autant dâabdominaux avant 6h30 [soit moins dâune pompe et dâun abdo par minute en moyenne, ndlr], suit un rĂ©gime protĂ©inĂ© Ă base de steaks tartares. » VoilĂ donc le rĂ©gime avec lequel la Macronie fonce tĂȘte baissĂ©e, Ă droite toute.
ïŁ loĂŻc le clerc
Retraites : une rĂ©forme « hypocrite », « pas juste »... mĂȘme Macron Ă©tait contre !
« Ce nâest pas la girouette qui tourne, câest le vent. » Cette cĂ©lĂšbre citation dâEdgar Faure, lancĂ©e Ă ses dĂ©tracteurs qui le qualifiaient de girouette et dâopportuniste, va comme un gant Ă Emmanuel Macron. PrĂ©sident du conseil Ă deux reprises sous la IVĂšme RĂ©publique, Edgar Faure se voulait « ni de droite ni de gauche », comme on peu lire dans le portrait qui lui est fait sur le site homonyme.
Et pourtant, il tourne. MĂȘme en 2023. Nous lâavons Ă©crit sur Regards Ă de multiples reprises : Ă la question « Pourquoi faut-il rĂ©former les retraites », la Macronie a bien du mal Ă donner une rĂ©ponse.
Mais en cherchant bien, on trouve, de la bouche du prĂ©sident de la RĂ©publique en personne, de nombreuses dĂ©clarations arguant lâinverse : rien ne sert de repousser lâĂąge de dĂ©part Ă la retraite.
Compilation :
â 2017, pendant la campagne prĂ©sidentielle : « Dans les cinq ans Ă venir, je ne propose pas de dĂ©caler lâĂąge de dĂ©part Ă la retraite. Ăa nâest pas juste
et les sacrifiĂ©s, ce sont aujourdâhui ceux qui ont autour de 60 ans. »
â 25 avril 2019 : « Est-ce quâil faut reculer lâĂąge lĂ©gal qui est aujourdâhui Ă 62 ans ? Je ne crois pas. Je ne crois pas pour deux raisons : la premiĂšre, câest que je me suis engagĂ© Ă ne pas le faire. Câest quand mĂȘme mieux, sur un sujet aussi important, de faire ce quâon a dit [...] ; la deuxiĂšme raison, câest que, tant quâon nâa pas rĂ©glĂ© le problĂšme du chĂŽmage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de dĂ©caler lâĂąge lĂ©gal. Quand aujourdâhui, on est peu qualifiĂ©, quand on vit dans une rĂ©gion qui est en difficultĂ© industrielle, quand on est soimĂȘme en difficultĂ©, quâon a une carriĂšre fracturĂ©e, bon courage dĂ©jĂ pour arriver Ă 62 ans. Câest ça, la rĂ©alitĂ© de notre pays. Alors on va dire «Non, non, faut maintenant aller jusquâĂ 64 ans». Vous savez dĂ©jĂ plus comment faire aprĂšs 55 ans, les gens vous disent : «Les emplois, câest plus bon pour vous». Câest ça la rĂ©alitĂ©. Câest le combat quâon mĂšne. On doit dâabord gagner ce combat avant dâaller expliquer aux gens : «Mes bons amis, travaillez
plus longtemps. Câest le dĂ©lai lĂ©gal.» Ce serait hypocrite. »
â 26 aoĂ»t 2019 : « Si on fait une rĂ©forme comme dâhabitude, comme on fait depuis 20 ans, on dit : «On va dĂ©caler lâĂąge de dĂ©part Ă la retraite. Jâai dit, il y a quelques mois, je ne ferai pas ça. Pourquoi câest pas juste de faire ça ? Parce que quand vous avez commencĂ© Ă travailler Ă 16 ans, si je vous dĂ©cale votre Ăąge de dĂ©part Ă la retraite â alors mĂȘme que, gĂ©nĂ©ralement, quand vous avez commencĂ© Ă 16 ans, vous avez moins de diplĂŽmes, vous ĂȘtes dans des mĂ©tiers plus pĂ©nibles â, câest profondĂ©ment injuste. DeuxiĂšme chose : on est dans une Ă©conomie oĂč il y a encore beaucoup de chĂŽmage, il y a beaucoup de chĂŽmage des seniors, des plus ĂągĂ©s, si on dĂ©cale lâĂąge lĂ©gal, on dit aux gens «Restez plus longtemps au chĂŽmage». Câest pas correct. »
ET LE MACRON NOUVEAU EST ARRIVĂ...
â juillet 2022 : « On doit progressivement dĂ©caler lâĂąge de dĂ©part lĂ©gal, obligatoire, jusquâĂ 65 ans. »
On nâest jamais mieux servi que par eux-mĂȘmes !
â 26 octobre 2022 : « Ă partir de lâĂ©tĂ© 2023, on devra dĂ©caler lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part de quatre mois par an. [...] Il nây a quâun moyen de faire, si on est lucide, comme nous vivons plus longtemps, câest de travailler plus longtemps. »
Dans le genre trouble dissociatif de lâidentitĂ©, Emmanuel Macron nâa rien Ă envier avec tous les « gauchistes » de la Macronie â on pense notamment Ă MarlĂšne Schiappa et Olivier VĂ©ran â, Olivier Dussopt Ă©tant le plus atteint : preuve en est ce moment de grĂące parlementaire oĂč le ministre du Travail se trouve piĂ©gĂ©, ce 7 fĂ©vrier, par le dĂ©putĂ© socialiste Iñaki Echaniz, lequel lui a posĂ© la mĂȘme question que celui-ci avait posĂ©e Ă Ăric Woerth en 2010. Ă moins quâil ne sâagisse tout bĂȘtement que de traĂźtrise, Ă son camp politique, Ă ses idĂ©es, Ă soi-mĂȘme...
AUTRES TEMPS, AUTRES MOEURS
Heureusement pour le chef de lâĂtat, les temps changent â quitte Ă tordre le rĂ©el pour quâil entre dans les cases des tableurs Ă©lysĂ©ens. Macron 2017 nâest pas Macron 2022. Et, Ă force de rĂ©former lâassurance-chĂŽmage, de maltraiter les chĂŽmeurs et de chasser les plus rĂ©calcitrants au turbin dâentre eux, la sainte courbe sâest inversĂ©e. Le chĂŽmage nâest (presque) plus â bien jouĂ© les radiations massives ! On peut donc repousser lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part Ă la retraite... Un peu trop facile, non ?
Et si Ălisabeth Borne nâose pas commenter ce retournement de veste prĂ©-
sidentielle, Olivier Dussopt, lui, assume sans complexe : « La maturitĂ© politique fait quâon Ă©vite parfois les solutions simplistes. Il faut assumer parfois de mĂ»rir et de mesurer les contraintes et la complexitĂ© des choses. [...] Nous sommes aussi Ă un moment trĂšs diffĂ©rent avec un taux de chĂŽmage qui est sans commune mesure ». Assez hypocrite, en effet. ïŁ loĂŻc le clerc
RĂ©forme des retraites : un jour, une fake news
« Scratch a lie find a thief. »
Ray CharlesLe Macronisme est une novlangue qui a toujours fait ses preuves. Quand Ălisabeth Borne dit quâil fait beau, câest quâil pleut. Quand elle dit que sa rĂ©forme des retraites est une rĂ©forme de « justice »⊠bref, vous avez compris, on a tous et toutes compris, les Français et les Françaises ont compris. Les faits sont lĂ . Il nây a que celles et ceux qui ne sâinforment pas qui peuvent sâen Ă©tonner. Mais chaque jour, il faut continuer Ă documenter la catastrophe.
Ainsi lit-on, le 14 fĂ©vrier dans Le Monde : « Dans une note [...], lâInstitut des politiques publiques (IPP) montre que les personnes ayant les plus faibles ressources continueront «de partir plus tard» que celles situĂ©es en haut de lâĂ©chelle des revenus, mĂȘme si lâĂ©cart est susceptible de se rĂ©duire un peu. [...] Ainsi, «ceux qui ont eu les meilleures carriĂšres» â donc les meil-
leures rĂ©munĂ©rations â partent «plus tĂŽt». Un exemple : pour la gĂ©nĂ©ration nĂ©e en 1950, les 10% dâindividus les plus aisĂ©s ont rĂ©clamĂ© le versement de leur pension Ă 61 ans en moyenne, contre prĂšs de 63 ans pour les 10% les plus pauvres. Cette situation ne devrait pas ĂȘtre fondamentalement corrigĂ©e par la rĂ©forme, selon les simulations faites par lâIPP. Si lâon sâintĂ©resse Ă la gĂ©nĂ©ration 1972, les 10% de personnes «à plus basse pension» prendraient leur retraite vers 64,3 ans, soit environ une annĂ©e de plus que les 10% les mieux lotis. »
Une fois nâest pas coutume, la Macronie ne vient pas corriger les inĂ©galitĂ©s. Elle les accompagne, quand elle ne les mĂ©nage pas.
Ce mĂȘme 14 fĂ©vrier, une autre publication du Centre dâĂ©tudes de lâemploi et du travail du CNAM tombe : « Alors que ce type de rĂ©forme entend encourager lâemploi des seniors, plusieurs Ă©tudes montrent quâune hausse de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part Ă la retraite engendre Ă©galement dâautres effets, tels
que lâaugmentation du chĂŽmage ou de lâinvaliditĂ© en fin de carriĂšre ».
Les jours passent et le gouvernement sâenfonce dans lâĂ©vidence mĂȘme : sa rĂ©forme est « une rĂ©forme de merde », pour citer lâexcellent Pablo Pillaud-Vivien.
Voyez plutĂŽt :
â rĂ©former pour sauver un systĂšme dĂ©ficitaire ? Argument perfide voire fallacieux.
â il faut absolument rĂ©former pour une raison dĂ©mographique ? Hasardeux. les plus modestes, les carriĂšres longues, pĂ©nibles ou hachĂ©es, seront moins impactĂ©s ? Mensonge.
â les femmes seront « protĂ©gĂ©es » par la rĂ©forme ? Mensonge.
On continue ?
Le problĂšme avec cette rĂ©forme, ça nâest pas de trouver des arguments contre, mais seulement une bonne raison de la faire. En effet, quand la Macronie tente de donner des exemples concrets de personnes qui verront leur retraite amĂ©liorĂ©e avec la rĂ©forme, on se rend compte, en creusant cinq
Le problĂšme avec cette rĂ©forme, ça nâest pas de trouver des arguments contre, mais seulement une bonne raison de la faire.
minutes, quâil sâagit de situations quasi inexistantes, pour ne pas dire hors du rĂ©el.
Finalement, le fiasco du minimum retraite Ă 1200 euros est celui qui symbolise le fiasco gĂ©nĂ©ral de cette rĂ©forme des retraites. Et maintenant, empĂȘtrĂ©s dans un dĂ©dale de mensonges, leurs Ă©lĂ©ments de langage nâont plus aucun sens. Au point quâils se fĂ©licitent de voir certaines personnes « avoir une revalorisation de leur pension minimale entre 0 et 100 euros », dixit la rapporteure de la rĂ©forme StĂ©phanie Rist.
Une revalorisation de zĂ©ro euro⊠On va sâarrĂȘter-lĂ . En attendant les prochaines sorties de piste macroniennes. « Ă bientĂŽt. »
ïŁ loĂŻc le clerc
Minimum retraite Ă 1200 euros : chronique dâun accident industriel
Rien de tel quâun Macroniste pour dire du mal de la rĂ©forme des retraites !
Lors de la matinale de France Inter, le 7 fĂ©vrier, lâĂ©conomiste MichaĂ«l Zemmour a mis en piĂšce le mensonge « des retraites Ă 1200 euros minimum », rĂ©pĂ©tĂ© Ă satiĂ©tĂ© par les membres du gouvernement. Ce fut un vrai, et de plus en plus rare, moment de radio. Les auditeurs ont notĂ© la promesse de LĂ©a SalamĂ© : « On va vĂ©rifier dans le texte du gouvernement. Parce quâeffectivement ça change la donne ! » La journaliste-vedette a, un peu, tenu sa promesse, sur France 2, samedi 11 fĂ©vrier, autour de minuit. Elle a redonnĂ© la parole Ă MichaĂ«l Zemmour.
Et elle a offert une pige supplĂ©mentaire Ă Dominique Seux qui a resservit en temps rĂ©el les termes de langage Ă©volutifs du gouvernement : « Une rĂ©forme des retraites, câest un effort ». Le dĂźneur de lâĂlysĂ©e sâest, au passage, classĂ© lui-mĂȘme parmi les « on » qui croyait au « sucrĂ© » du projet gouvernemental. Cela ne lâa pas empĂȘchĂ© de remettre une piĂšce dans la machine Ă fake news en parlant « dâun effort supplĂ©mentaire pour Ă peu prĂšs tout le monde ». De temps en temps, il devrait diversifier ses sources dâinformation, y compris auprĂšs de son co-dĂ©batteur du vendredi, Thomas Piketty.
Mais, au moins, a-t-il évité un pitoyable
dĂ©ni comme celui du ministre Frank Riester, ou encore cette cascade sans filet dâOlivier VĂ©ran...
Mais il y a pire et peut-ĂȘtre encore plus significatif que ce dĂ©ni : lâaveu, ce dimanche 12 fĂ©vrier, sur France 3, du ministre Dussopt, officiellement en charge dâune rĂ©forme dont le Parlement est censĂ© dĂ©battre en toute connaissance de cause : « Je ne peux pas vous dire exactement combien » de personnes seront concernĂ©es par la retraite minimum de 1200 euros. Lâaccident industriel ! Tout cela signe le dangereux mĂ©pris de la vie rĂ©elle des catĂ©gories populaires et de la dĂ©mocratie par les dĂ©fenseurs politiques ou journalistiques de cette rĂ©forme.
1200 EUROS POUR... PERSONNE ?
Au reste, une note de trois chercheurs de lâInstitut des politiques publiques, Patrick Aubert, Carole Bonnet et Maxime TĂŽ, parue le 9 fĂ©vrier apporte, elle, des prĂ©cisions utiles. AprĂšs lecture attentive du projet de loi du gouvernement, les auteurs confirment que lâannonce gouvernementale dâun minimum de pension Ă 1200 euros « ne vise pas la crĂ©ation dâun nouveau mĂ©canisme de pension minimale, mais est lâillustration de la proposition dâaugmenter le "minimum contributif"
(parfois appelĂ© par lâacronyme MICO) de 100 euros. Une telle augmentation permettrait effectivement aux salariĂ©s ayant travaillĂ© au Smic toute leur carriĂšre dâavoir une pension Ă 1200 euros ». Mais eux aussi constatent que, « comme il a Ă©tĂ© soulignĂ© au cours du dĂ©bat, cette situation prĂ©cise ne concerne quâun trĂšs petit nombre de personnes ».
Certes, cela ne concerne Ă chaque fois quâun petit nombre de personnes. Mais ce nâest pas plus arbitraire que le cas type du salariĂ© qui a effectuĂ© une carriĂšre complĂšte Ă plein temps au Smic.
Au total, les chercheurs estiment que « moins de 10% des nouveaux retraitĂ©s sont potentiellement concernĂ©s par lâaugmentation maximale de 100 euros ». Et cela ne leur garantit pas une retraite Ă 1200 euros. Et sâagissant des anciens retraitĂ©s, les chercheurs estiment quâune majoritĂ© des 40% bĂ©nĂ©ficiaires dâun minimum de pensions ne bĂ©nĂ©ficieraient dâaucune augmentation, sans mĂȘme parler dâun minima Ă 1200 euros.
à la fin de leur note, les chercheurs participent au débat sur la politique souhaitable en matiÚre de pension de retraite minimale. Question distincte, soulignent-ils, de celle du minimum
vieillesse. Il faudrait selon eux continuer de calculer les minimas de retraite en fonction de la durĂ©e de cotisations. Mais en cessant de lâaligner sur la durĂ©e des carriĂšres complĂštes. On devrait sans doute aussi sortir du carcan de la revalorisation des minima contributifs et de lâenchevĂȘtrement des conditions dâattribution des diffĂ©rents minima sociaux.
IL Y AURA MĂME DES PERDANTS
Non seulement la revalorisation des minima de pensions ne permettra dâatteindre les 1200 euros quâĂ un petit nombre de personnes mais, en plus, il nây aura mĂȘme pas que des trĂšs petits gagnants. Câest ce que dĂ©montre Ă nouveau MichaĂ«l Zemmour dans son blog dâAlternatives Ă©conomiques. Ceux qui perçoivent Ă la fois une pension retraite minimum et du minimum vieillesse ne gagneront rien. Ceux qui perçoivent en plus de leur pension minimum des aides au logement verront leur augmentation rognĂ©e. Et ceux qui perçoivent minimum retraite, minimum vieillesse et aide au logement y perdront. Il est difficile de dire avec certitude quel est le nombre de personnes effectivement concernĂ©es par ces diffĂ©rentes configurations. Mais selon MichaĂ«l Zemmour, « il est probable que ces cas soient de lâordre de quelques centaines de milliers dâindividus. Câest Ă la fois relativement peu Ă lâĂ©chelle de la rĂ©forme, et non nĂ©gligeable si on tient compte du fait quâil sâagit de retraitĂ©s dĂ©jĂ trĂšs modestes ».
UNE RĂFORME CONTRE LE PEUPLE
Dans sa chronique, Thomas Piketty souligne un fait politique essentiel. Contrairement Ă ce quâaffirme Dominique Seux, la rĂ©forme ne changera pas la situation des cadres supĂ©rieurs. A fortiori celle des super riches. Elle nourrira au contraire pour ces derniers, la machine Ă profits et Ă rente par la baisse recherchĂ©e des coĂ»ts salariaux : « Le fait de porter lâĂąge lĂ©gal Ă 64 ans nâa, par dĂ©finition, aucun impact sur les plus diplĂŽmĂ©s et les cadres supĂ©rieurs : si vous avez commencĂ© Ă travailler Ă 22 ou 23 ans, vous devez dĂ©jĂ cotiser 42 annuitĂ©s (bientĂŽt 43) et donc attendre 64 ou 65 ans pour avoir une retraite Ă taux plein. LâaccĂ©lĂ©ration du passage Ă 43 annuitĂ©s va certes toucher une partie de ce groupe (uniquement les plus de 50 ans), mais beaucoup moins que les ouvriers et employĂ©s, qui ont commencĂ© Ă travailler Ă 19 ou 20 ans : ces derniers vont aussi faire les frais du report de lâĂąge lĂ©gal et vont avoir besoin dâavoir 44 annuitĂ©s pour une retraite pleine (et parfois 45 ou plus, quoi quâen dise le gouvernement), alors mĂȘme que ce sont eux qui ont la plus faible espĂ©rance de vie et financent la retraite des cadres ». Deux notes rĂ©centes de chercheurs apportent lĂ encore des prĂ©cisions utiles. LâĂ©conomiste Christine Erhel et le sociologue et statisticien Thomas AmossĂ© ont utilisĂ© les donnĂ©es des enquĂȘtes emploi de lâInsee pour analyser la situation des travailleurs et
travailleuses « de la deuxiĂšme ligne » [1] de plus de 50 ans. Leur analyse est sans appel : les seniors de la deuxiĂšme ligne sont, le plus souvent, exclus des dispositifs de pĂ©nibilitĂ©. Ils sont nettement plus nombreux Ă ĂȘtre ni en emploi ni en retraite (26% contre 15%). Et quand elles et ils ont un emploi, celui-ci est relativement de plus en plus mal rĂ©munĂ©rĂ©. En 2020, ces travailleurs et travailleuses avaient Ă©tĂ© quasiment hĂ©roĂŻsĂ©s par Emmanuel Macron. Ălisabeth Borne, elle-mĂȘme, avait crĂ©Ă© une « mission dâaccompagnement des partenaires sociaux dans la dĂ©marche de la reconnaissance des travailleurs de la deuxiĂšme ligne ». Aujourdâhui elles et ils seraient particuliĂšrement victimes de leur rĂ©forme des retraites. Le statisticien Julien Blasco et le philosophe Ulysse Lojkine ont regardĂ© de plus prĂšs les statistiques dâespĂ©rance de vie selon que lâon est homme ou femme, selon que lâon a Ă©tĂ© cadre, ouvrier ou employĂ©. Et ils ont aussi regardĂ© les choses en considĂ©rant lâespĂ©rance de vie en bonne santĂ© ou pas. La rĂ©forme du gouvernement va tendre Ă raccourcir le temps de vie Ă la retraite en bonne santĂ©.
Mais cela se fera dans lâinjustice, en aggravant les inĂ©galitĂ©s sociales, et non pas « Ă peu prĂšs de la mĂȘme façon pour tout le monde ». Parce que le recul effectif de lâĂąge de la retraite sera plus faible pour les cadres que pour les ouvriers et les employĂ©s. Et parce que la diminution de lâespĂ©rance de vie en
bonne santé sera proportionnellement plus importante pour les catégories populaires.
Câest ce que les auteurs appellent la double peine : les ouvriers et les ouvriĂšres meurent plus tĂŽt que les cadres et passent une plus grande partie de leur vie en incapacitĂ©. Ă 30 ans, un ouvrier nâa que 58% de chance dââĂȘtre vivant et en bonne santĂ© Ă 60 ans, contre 79% de chance pour un cadre. Il peut sâattendre Ă vivre sans incapacitĂ© jusquâĂ 62,4 ans et jusquâĂ 64,7 ans si câest une femme. Faire passer dans ces conditions lâĂąge de la retraite de 62 Ă 64 ans, câest vraiment le temps des injustices et du mĂ©pris. ïŁ bernard marx
En 2017, Emmanuel Macron a proclamĂ© lâĂ©galitĂ© entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » de son quinquennat. Cinq ans plus tard, on est toujours si loin du compte que le PrĂ©sident a cru bon de rĂ©cidiver. LâĂ©galitĂ© entre les femmes et les hommes est Ă nouveau proclamĂ©e grande cause nationale du quinquennat.
Câest dire si un projet gouvernemental de rĂ©forme des retraites qui aggraverait les inĂ©galitĂ©s femmes/hommes ferait mauvais genre. Et câest pourquoi, la PremiĂšre ministre, les ministres et les dĂ©putĂ©s commis Ă la « pĂ©dagogie » de la contre-rĂ©forme clament partout que leur projet bĂ©nĂ©ficiera aux femmes. Avec parfois des couacs retentissants. Et toujours cette prĂ©tention insultante et dangereuse de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
LA CONTRE-RĂFORME
FAIT MAUVAIS GENRE
Le couac est venu⊠du rapport gouvernemental sur les objectifs et les effets du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale
transmis par le gouvernement au Parlement avec le projet de loi proprement dit. Lundi 23 janvier, le journal Les Ăchos explique : « LâĂ©tude dâimpact anticipe un relĂšvement de lâĂąge de dĂ©part liĂ© Ă la rĂ©forme de sept mois en moyenne pour les femmes, contre cinq mois pour les hommes. Les femmes nĂ©es en 1972 verront leur Ăąge moyen de dĂ©part augmenter de neuf mois en moyenne contre cinq pour les hommes de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration. Pour la gĂ©nĂ©ration 1980, lâeffort est mĂȘme deux fois plus important, puisquâelles partiraient huit mois plus tard contre quatre mois pour les hommes ».
Le mĂȘme jour, le ministre Frank Riester reconnait sur Public SĂ©nat que « les femmes sont un peu pĂ©nalisĂ©es par le report de lâĂąge lĂ©gal ». Câest mĂȘme la seule phrase comprĂ©hensible quâil prononce sur le sujet.
Depuis, câest le branle-bas de combat du cĂŽtĂ© de lâexĂ©cutif pour expliquer que pas du tout, quâon a mal compris et que les femmes seront les bĂ©nĂ©ficiaires de la contre-rĂ©forme. Un vrai festival.
Et puis il y a les défenses Attal et
Dussopt... Autant dire quâon nâaimerait pas les avoir comme avocats !
Avant de reprendre tout ce fatras dâenfumages au service dâune contre-rĂ©forme qui aggraverait toutes les inĂ©galitĂ©s face Ă la retraite, et notamment les inĂ©galitĂ©s entre les femmes et les hommes, une prĂ©cision sur les effets de la rĂ©forme en matiĂšre de recul de lâĂąge de dĂ©part pour les femmes et pour les hommes. Elle est apportĂ©e par lâĂ©conomiste MichaĂ«l Zemmour qui contribue avec persĂ©vĂ©rance et compĂ©tence (ici et lĂ ) Ă clarifier le projet du gouvernement. Pour la gĂ©nĂ©ration nĂ©e en 1972, explique-t-il, on parle dâun dĂ©calage de 5 mois pour les hommes et 9 mois pour les femmes. Mais si on enlĂšve les personnes non concernĂ©es par le dĂ©calage (16% en invaliditĂ©/incapacitĂ© et 22% qui partent Ă 67 ans), on est plutĂŽt sur un dĂ©calage moyen (ensemble femmes et hommes) de 11 mois. « Je nâai pas le chiffre spĂ©cifique pour les hommes concernĂ©s et les femmes concernĂ©es, explique -t-il, mais, ils sont sans doute respectivement, en moyenne, proches
RĂ©forme des retraites : dĂ©savantager plus les femmes, câest notre projet !
Du mal. Et toujours plus dâinĂ©galitĂ©s. VoilĂ donc ce que ferait la contre-rĂ©forme des retraites aux femmes. Et câest le gouvernement qui le dit.
de 8 mois pour les hommes et 14 mois pour les femmes ». Illustration avec le cas « concret, tout simple » pris par la journaliste Fanny Guinochet sur LCP : Nathalie et Marc, nĂ©s en 1975, ont commencĂ© leur carriĂšre Ă 23 ans et ont deux enfants. Avec la rĂ©forme, Marc continuerait de partir Ă 66 ans pour bĂ©nĂ©ficier dâune retraite Ă taux plein. Nathalie ne pourrait plus la prendre Ă 62 ans. Elle devrait la retarder de deux ans (24 mois) pour atteindre le nouvel Ăąge lĂ©gal de 64 ans.
Cela dit, voyons ce quâil en est du reste des affirmations ministĂ©rielles.
1. « Les femmes continueront à partir plus tÎt que les hommes »
(Ălisabeth Borne)
Câest doublement faux. Comme le rappelle MichaĂ«l Zemmour : « Ăa fait plusieurs fois que jâentends ou lis "Les femmes continueront Ă partir plus tĂŽt que les hommes". Dans quel pays ? Parce quâen France, en 2020 les femmes partent un peu plus tard que les hommes (et la rĂ©forme va renforcer cela) ». Toutes les statistiques le montrent et tous les rapports du COR ou de la DRESS le disent : « Le taux de retraitĂ©s est plus faible pour les femmes que pour les hommes Ă tous les Ăąges entre 50 ans et 66 ans. En effet, les hommes partent en gĂ©nĂ©ral plus tĂŽt Ă la retraite que les femmes ». Et si le taux des femmes qui liquident leur retraite est plus Ă©levĂ© Ă 67 ans, câest parce que les femmes sont plus nombreuses Ă devoir attendre cet Ăąge pour ne plus avoir de dĂ©cote. Le Conseil dâOrientation des
Retraites prĂ©voit que, globalement, cette diffĂ©rence sâattĂ©nuera jusquâĂ disparaitre pour la gĂ©nĂ©ration nĂ©e en 1975. Mais, câest sans la contrerĂ©forme macronienne. Pas avec.
2. « Les femmes seront majoritairement bĂ©nĂ©ficiaires de la revalorisation des petites pensions ». (Ălisabeth Borne, Isabelle Rome, Olivier DussoptâŠ) Et pour plus de dĂ©tails : « 38% des femmes partant Ă la retraite auront une pension plus Ă©levĂ©e grĂące Ă la hausse du minimum Ă 1200 euros. 1 millions de femmes verront leur pension revalorisĂ©e » (Isabelle Rome).
Lâembrouille gouvernementale est totale. La hausse du minimum Ă 1200 euros ne figure pas dans le projet de rĂ©forme. Ce qui figure, explique Ă nouveau MichaĂ«l Zemmour, câest une « revalorisation » des plus petites pensions. Mais seulement pour les pensions liquidĂ©es Ă taux plein (sans dĂ©cote). Et donc rien pour les pensions avec dĂ©cote. Pour une carriĂšre complĂšte, lâaugmentation varierait de 1 euro Ă 100 euros maximum. Pour les carriĂšres incomplĂštes ce serait au prorata. Au total, pour les retraitĂ©s actuels la mesure concernerait un peu plus de 10% des retraitĂ©s (1,8 million) pour un montant moyen de +63 euros mensuels pour les femmes et +45 euros pour les hommes. Pour les nouveaux retraitĂ©s par exemple celles et ceux nĂ©s en 1962, 16% des hommes gagneraient +25 euros et 29% des femmes +38 euros. Et en plus lâĂąge pour percevoir la pension
serait retardĂ© de 0 ( pour les dĂ©parts Ă 67 ans) Ă 2 ans. Si bien que le total des pensions versĂ©es durant ce qui reste Ă vivre en bonne santĂ© pourrait ĂȘtre le plus souvent infĂ©rieur, y compris pour les femmes. Au terme de la rĂ©forme, affirme MichaĂ«l Zemmour, « on aura toujours environ 25% des retraitĂ©s avec une pension infĂ©rieure Ă 1200 euros, environ 40% des femmes et 15% des hommes ».
Ce qui serait juste et qui bĂ©nĂ©ficierait effectivement aux femmes, ce serait non pas des piĂšces jaunes pour les petites retraites et maintenir Ă 67 ans lâĂąge de liquidation sans dĂ©cote, mais au minimum de supprimer la dĂ©cote dĂšs 62 ans pour les petites pensions.
3. « Les femmes sont dĂ©savantagĂ©es dans leurs retraites parce quâelles ont de plus petits salaires et des carriĂšres plus hachĂ©es. Dans la rĂ©forme on prend des mesures pour rĂ©duire ces inĂ©galitĂ©s [âŠ] Mais si on veut vraiment supprimer les inĂ©galitĂ©s (de retraites) femmes/hommes, il faut supprimer les inĂ©galitĂ©s de carriĂšres professionnelles. Et câest ce quâon fait, par exemple, avec le chantier que le gouvernement a ouvert sur le service public de la petite enfance. » (Gabriel Attal)
Il est indiscutable que les femmes ont, plus que les hommes, des carriÚres incomplÚtes, des salaires plus faibles, du travail à temps partiel. Ces inégalités ont la vie dure. Elles se réduisent trÚs insuffisamment et ont un impact majeur sur les inégalités femmes/ hommes en matiÚre de
retraite. Le systĂšme de retraite est redistributif avec des dispositifs comme les pensions de rĂ©version, les minima de pensions, les majorations dâassurances au titre des enfants, les retraites anticipĂ©es pour handicaps, incapacitĂ©, ou carriĂšres longues, les trimestres pour chĂŽmage, maternité⊠Ces mĂ©canismes contribuent Ă rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s de pensions entre femmes et hommes par rapport aux inĂ©galitĂ©s de revenus perçus pendant la vie professionnelle.
Mais, explique lâĂ©conomiste statisticien Patrick Aubert, dâautres mĂ©canismes comme le calcul annualisĂ© et sur les 25 meilleures annĂ©es ou les conditions dâobtention du taux plein contribuent Ă dĂ©grader la situation relative des femmes Ă plus faible pension. Elles retardent lâĂąge de liquidation de leurs retraites, augmentent la proportion des femmes sans emploi ni retraite en fin de carriĂšre, et dĂ©gradent le taux de remplacement de leur pension de droit direct. Elles nâamĂ©liorent que la situation des femmes Ă plus haute pension.
Et au total, la retraite amplifie encore les inégalités de salaires : les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22% à ceux des hommes, mais les femmes continuent de partir en retraite avec en moyenne des pensions de droit direct inférieures de 30% à celles des hommes. Et la proportion des femmes ayant des pensions de retraite misérables est plus forte. Fin 2016, 40% des retraitées percevaient une pension de droit direct inférieure à 1000 euros.
La contre-rĂ©forme du gouvernement ne va pas rĂ©duire mais aggraver ces inĂ©galitĂ©s, comme lâexplique Christiane Marty, ingĂ©nieure, fĂ©ministe, dâAttac. Le recul de lâĂąge de la retraite « signifiera une prolongation de la situation prĂ©caire que vivent de nombreuses personnes â parmi elles, une majoritĂ© de femmes â entre la fin de lâemploi et la liquidation de la retraite ». Et une augmentation de leur nombre. Lâallongement rapide de la durĂ©e de cotisation va lui aussi gĂ©nĂ©rer une augmentation des dĂ©cotes et plus de recul Ă 67 ans pour ne pas ĂȘtre pĂ©nalisĂ©. Et cela concernera davantage les femmes que les hommes.
Bien sĂ»r que, si on veut supprimer les inĂ©galitĂ©s de retraites femmes/ hommes, il faut supprimer les inĂ©galitĂ©s de carriĂšres professionnelles. VoilĂ une idĂ©e quâelle est bonne. Elle est mĂȘme si bonne que le gouvernement devrait commencer par lĂ . Par lĂ et par dâautres choses encore comme la formation et lâemploi des jeunes, lâamĂ©lioration de lâemploi des seniors et lâemploi Ă temps plein pour toutes celles et ceux qui subissent le temps partiel. Et aussi de « rendre le travail soutenable ».
Parce que dans lâimmĂ©diat, le systĂšme des retraites nâest pas menacĂ©. Et parce quâau contraire, ce sont ces changements-lĂ qui sont urgents y compris pour Ă©quilibrer dans la durĂ©e le systĂšme des retraites. Par exemple, sâagissant justement de la petite enfance. Partout en France le secteur passe de dĂ©faillant Ă en crise. Il faudrait, non pas un enfumage de
belles paroles et de faibles moyens, mais un vrai plan dâurgence. Pour le bien des enfants et pas seulement pour que les femmes puissent travailler davantage.
On lâaura compris, les promoteurs de la contre-rĂ©forme prennent vraiment les femmes (et les hommes) pour des imbĂ©ciles. Ă vouloir la dĂ©fendre Ă coups de faits quasi-alternatifs, ils sont dangereux pour la dĂ©mocratie.
ïŁ loĂŻc le clerc
« Lâobjectif est de consolider nos rĂ©gimes de retraite par rĂ©partition, qui, sans cela, serait menacĂ© ». Lâaffaire est grave, nous dit Emmanuel Macron. Si sa rĂ©forme des retraites se voyait empĂȘchĂ©e, câest tout le systĂšme hĂ©ritĂ© du Conseil national de la RĂ©sistance (CNR) qui sombrerait. Et, qui sait, la France avec ? Fort heureusement, Jean Moulin et Charles de Gaulle ont trouvĂ© celui qui allait sauver leur hĂ©ritage. Nâen jetez plus ! Bon, vous pouvez ranger vos mouchoirs, tout ceci nâest quâune fiction, Ă©crite de la main du prĂ©sident de la RĂ©publique qui nâest, comme chacun sait depuis (au moins) 2017, ni un politicien « trop intelligent », ni un homme « trop subtil »
Concernant cette histoire de systĂšme de retraites en faillite, nous avons dĂ©jĂ Ă©crit plusieurs articles pour dĂ©monter lâargumentaire du gouvernement âque vous pouvez retrouver ici, çà et lĂ (et mĂȘme ici). On peut aussi
Ă©couter le prĂ©sident du COR, PierreLouis Bras, qui a une analyse de son rapport bien dissonante de celle des MacronistesâŠ
RĂFORMER LES RETRAITES, MAIS PAS POUR LES RETRAITES
En rĂ©alitĂ©, nul besoin dâune rĂ©forme des retraites pour financer un dĂ©ficit intenable Ă venir. Non, lâexĂ©cutif veut rĂ©former pour dâautres raisons. Le diable est dans les dĂ©tails et des « dĂ©tails » sur ce sujet, la Macronie nous en a servi Ă la pelle. Il suffit dâouvrir les yeux et les oreilles.
â juin 2022. Olivier VĂ©ran, porteparole du gouvernement : « RĂ©former les retraites est nĂ©cessaire pour financer davantage de services publics ».
â juillet 2022. Programme de stabilitĂ© de la France 2022-2027 du gouvernement transmis Ă Bruxelles : « La maĂźtrise des dĂ©penses publiques
repose principalement sur des rĂ©formes structurelles, la rĂ©forme des retraites notamment comme le PrĂ©sident de la RĂ©publique sây est engagĂ© au cours de la campagne Ă©lectorale. »
â septembre 2022. Bruno Le Maire : « Il faut bien financer nos hĂŽpitaux, nos collĂšges, nos lycĂ©es, nos universitĂ©s, et câest la rĂ©forme des retraites qui permettra de garantir ce financement ».
â septembre 2022. Projet de loi de finances pour 2023, page 11.
PAYER LâADDITION DES CADEAUX FAITS AUX RICHES
Pour le dire comme lâĂ©conomiste Philippe Aghion, qui peut difficilement passer pour le porte-parole de la CGT ou de LFI, cette rĂ©forme « revient Ă opĂ©rer un transfert de revenus des catĂ©gories les moins favorisĂ©es, Ă espĂ©rance de vie plus faible, vers les couches les plus aisĂ©es ». Pas exactement la dĂ©finition dâun « progrĂšs
Travailler plus pour ne pas faire payer les plus riches : voilà pourquoi Macron veut réformer les retraites
Câest pas nous, câest le gouvernement qui le dit !
social » pourtant annoncé par la PremiÚre ministre.
La dĂ©putĂ©e communiste Elsa Faucillon rĂ©sume la situation en une phrase : « Ce nâest pas le systĂšme des retraites que veut sauver le gouvernement, mais leur systĂšme du tout profit ». Car lâĂtat offre dĂ©jĂ chaque annĂ©e 157 milliards dâeuros dâaide aux entreprises sans contrepartie et, en 2023, il envisage de supprimer la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutĂ©e des entreprises) qui fait entrer dans les caisses chaque annĂ©e 8 milliards dâeuros. Que faire alors ? Prendre lâargent lĂ oĂč il est ? En effet, comme lâa calculĂ© Oxfam, en imposant Ă hauteur de 2% la fortune des 42 milliardaires français, on rĂ©colte 12 milliards dâeuros. Une idĂ©e qui nâest pas du genre Ă plaire Ă Bruno Le Maire. « On ne finance pas le systĂšme des retraites en taxant le capital mais grĂące Ă des cotisations prĂ©levĂ©es sur ceux qui travaille »âŠ
« Taxer les plus riches, ça ne fonctionne pas », avance Aurore BergĂ©, la cheffe des dĂ©putĂ©s-marcheurs. Really ? Ă
quoi bon, Bruno Le Maire, conserver plus longtemps les cotisations salariales et⊠patronales ? Que dire, Aurore BergĂ©, de lâexemple amĂ©ricain sous Roosevelt ?
Trouver des sous, quand il le veut vraiment, Emmanuel Macron nâen Ă©prouve aucune difficultĂ©. De « lâargent magique », yâen a partout ! Mais pas question de remettre en cause sa propre politique, celle-lĂ mĂȘme qui exonĂšre les plus riches de toute forme
dâimpĂŽt, celle-lĂ mĂȘme qui crĂ©e tant de trous dans la raquette. VoilĂ pourquoi nous allons tous travailler plus et plus longtemps, sans contrepartie.
ïŁ loĂŻc le clerc
LA NATALITĂ EST POLITIQUE
2100, une planÚte surpeuplée ou une terre de vieux
Quand la dĂ©mographie sâaffole...
Quelle sera la population mondiale en 2100 ? La question nâest pas anodine, en particulier si on sâinterroge sur ce que sera la pression de lâhumanitĂ© sur la planĂšte. Ă lâĂ©vidence, lâempreinte dâune population de quatre, huit ou onze milliards dâĂȘtres humains nâest pas exactement la mĂȘme. Ces trois chiffres ne sont pas le fruit du hasard, 8 milliards correspond Ă la population mondiale actuelle, ce chiffre a Ă©tĂ© atteint en novembre 2022, le 15 de ce mois pour ĂȘtre prĂ©cis, nous indique lâONU. 10,5 voire 11 milliards relĂšve du scĂ©nario moyen des projections rĂ©alisĂ©es pour 2100 par les Nations Unies (voir la courbe ci-dessous). 4 milliards est aussi une projection pour 2100 mais cette fois-ci dans le cadre dâune Ă©tude de HSBC. Et lĂ , Ă©videmment on est un peu saisi de vertiges devant la disparitĂ© de ces deux estimations. Dans un cas, la population mondiale Ă la fin du siĂšcle serait la moitiĂ© de celle dâaujourdâhui, dans lâautre, la Terre compterait presque 3 milliards dâindividus supplĂ©mentaires par rapport Ă 2022. Une marge dâinterprĂ©tation Ă 7 milliards dâindividus, ça fait beaucoup. Les Ă©tudes dĂ©mographiques Ă lâhorizon 2100 relĂšvent dâune opĂ©ration Ă
?
hauts risques oĂč il faut envisager la dynamique de populations aux trajectoires fort diverses.
LâĂ©volution de cette population mondiale repose, pour lâessentiel, sur deux critĂšres : le taux de fĂ©conditĂ© et lâespĂ©rance de vie. Par la force des choses, les migrations, si elles peuvent avoir un impact Ă lâĂ©chelle dâune rĂ©gion ou dâun pays, nâont aucun effet Ă lâĂ©chelle de la planĂšte.
LâESPĂRANCE DE VIE
DĂšs lors quâil y a allongement de la durĂ©e de vie, mĂ©caniquement, la population sâaccroit. En 2019, lâespĂ©rance moyenne de vie Ă la naissance Ă©tait estimĂ©e Ă 72,9 ans et pourrait monter Ă 77,2 ans dâici Ă 2050. Pour lâessentiel, les avancĂ©es sont le produit dâune baisse de la mortalitĂ© infantile mais restent Ă la merci de regain dâĂ©pisodes Ă©pidĂ©miques ou dâune Ă©ventuelle pĂ©nurie de mĂ©dicaments. Il existe bien sĂ»r des alĂ©as par nature imprĂ©visibles, mais dans lâensemble ces donnĂ©es sont, dâune part, assez fiables et, dâautre part, arrivent Ă un plafond qui ne peux plus guĂšre Ă©voluer si ce nâest Ă la marge. Quelque soit le scĂ©nario retenu, 4 ou 11 milliards en 2100, il nây a pas de diffĂ©rence dâap-
proches en ce qui concerne lâespĂ©rance de vie.
LE TAUX DE REMPLACEMENT
Avec le taux de fĂ©conditĂ©, câest une toute autre affaire. Le chiffre est assez connu, on estime que le taux de remplacement, câest-Ă -dire le nombre dâenfants que doit avoir une femme au cours de sa vie pour que la population reste constante, est de lâordre de 2,1. Attention, ce chiffre est valable pour les pays dĂ©veloppĂ©s. Dans un pays moins dĂ©veloppĂ©, ce taux de remplacement peut monter Ă 2,3 voire plus. « Ce 0,1 ou 0,3 supplĂ©mentaire est dĂ» au fait que le remplacement est impossible si un individu ne vit pas jusquâĂ la fin de ses annĂ©es de reproduction et nâa pas ses propres enfants ; ce supplĂ©ment est donc ajoutĂ© par couple pour tenir compte du dĂ©cĂšs ou de lâinfertilitĂ© Ă lâĂąge adulte ».
Cette question de la fertilitĂ© a pris une plus grande acuitĂ© ces derniĂšres annĂ©es avec une sĂ©rie dâĂ©tudes qui montrent un trĂšs net dĂ©clin de la fertilitĂ© notamment masculine. Une premiĂšre Ă©tude de 2017 lâavait dĂ©jĂ montrĂ©e mais lâĂ©tude ne portait que sur des populations dâEurope, dâAmĂ©rique du Nord et dâAustralie. Une Ă©tude plus
rĂ©cente, rĂ©alisĂ©e cette fois Ă lâĂ©chelle de la planĂšte, est arrivĂ©e Ă la mĂȘme conclusion et il semble que la tendance soit en train de sâaccĂ©lĂ©rer [2].
LE TAUX DE FĂCONDITĂ
Prenons donc le chiffre de 2,1 comme taux de remplacement. Selon lâONU, en 2021 le taux Ă©tait de 2,3 et devrait passer Ă 2,1 dâici Ă 2050. Câest-Ă -dire que dĂšs le milieu de ce siĂšcle, nous aurons atteint une situation de stabilitĂ©. Lâaugmentation de population qui apparaĂźt sur la courbe entre 2050 et un pic attendu autour de 2080 nâest que le produit de lâinertie dĂ©mographique.
LâĂ©tude produite par les chercheurs de lâHSBC global research prend comme hypothĂšse une accĂ©lĂ©ration de la baisse de la fĂ©conditĂ©. Le pic de population ne serait pas atteint vers les annĂ©es 2080 comme le projette lâONU mais dĂšs les annĂ©es 20402045, la population mondiale commençant Ă dĂ©croĂźtre ensuite. Or il semble bien que cette Ă©ventualitĂ© soit au moins partiellement validĂ©e par un ensemble de donnĂ©es nouvelles. Dans une interview au journal Le Monde, la dĂ©mographe Isabelle AttanĂ© dĂ©clare : « Selon le scĂ©nario moyen sur lequel se fondent la plupart
des analystes, la population chinoise aurait dĂ» commencer Ă dĂ©cliner vers 2030. En revanche, si lâon regarde lâhypothĂšse basse, donc la plus pessimiste en termes de niveau de fĂ©conditĂ©, cette baisse Ă©tait prĂ©vue dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2020 ». La baisse de la population chinoise en 2022 sâest Ă©levĂ©e Ă 850.000 personnes avec un taux de fĂ©conditĂ© Ă seulement 1,15 en 2021, et encore en rĂ©gression en 2022 Ă 1,08. Selon lâONU et sur la base dâun taux qui remonterait Ă 1,5 (on en est trĂšs loin) la population chinoise pourrait nâĂȘtre que de 788 millions Ă la fin du siĂšcle (contre 1,412 milliard aujourdâhui) et mĂȘme de seulement 587 millions selon lâAcadĂ©mie des sciences de ShangaĂŻ ici.
Ă la rĂ©alitĂ© dĂ©mographique chinoise sâajoute celle du Japon, passĂ© de 128 millions dâhabitants en 2010 Ă 126 millions en 2020 et un taux de fĂ©conditĂ© de 1,34. Et que dire de la CorĂ©e du Sud qui avec un 0,84 enfant par femme dĂ©tient le record de la dĂ©natalitĂ©âŠ
Au-delĂ de ces cas trĂšs particuliers, tous les Ă©lĂ©ments semblent indiquer que lâindice de fĂ©conditĂ© baisse bien plus vite que ce qui avait Ă©tĂ© envisagĂ©, il y a encore quelques annĂ©es. Ainsi
lâIndonĂ©sie et ses 270 millions dâhabitants a vu son indice de fĂ©conditĂ© tomber Ă 2,04 en 2021, lâIran est Ă 1,71 (moins que la France).
Une prĂ©vision nâest pas une prĂ©diction, il faudra donc ĂȘtre attentif aux diffĂ©rentes donnĂ©es dĂ©mographiques des annĂ©es Ă venir. Mais lâhypothĂšse dâune population mondiale en dĂ©crue Ă partir du milieu de ce siĂšcle sâappuie sur des Ă©lĂ©ments solides. Une terre surpeuplĂ©e en 2100 ? Rien nâest moins sĂ»r. Une terre de vieux ? Câest bien possible.
ïŁ guillaume liĂ©gard
Réforme des retraites : que valent les arguments démographiques ?
Comment contrer les erreurs et contre-vĂ©ritĂ©s dĂ©mographiques avancĂ©es, par ignorance ou non, pour justifier la rĂ©forme ? Câest dâautant plus facile que ces arguments ont lâimmense avantage de ne pas correspondre Ă la rĂ©alitĂ© de notre pays : encore faut-il le savoir. Ăric Le Bourg, spĂ©cialiste en biologie du vieillissement, donne ici toutes les clĂ©s.
Ă chaque rĂ©forme des retraites, le gouvernement en place fait appel Ă des arguments dĂ©mographiques parce que, contrairement aux arguments Ă©conomiques, toujours contestables, la dĂ©mographie semble sâimposer Ă nous : si on peut moduler immĂ©diatement les cotisations sociales, on ne peut pas augmenter le nombre dâenfants, et donc de cotisants futurs, ou diminuer le nombre de personnes ĂągĂ©es, et donc de retraitĂ©s. De fait, les dirigeants et militants syndicaux peuvent ĂȘtre dĂ©sarmĂ©s face Ă ces arguments, comme dans un dĂ©bat tĂ©lĂ©visĂ© le 25 octobre 2010, quand le ministre Christian Estrosi affirmait aux secrĂ©taires gĂ©nĂ©raux de la CFDT et de la CGT, qui ne savaient que rĂ©pondre, que « dans 30 ans les Français vivront 100 ans » â alors que lâInsee ne lâa jamais envisagĂ©, y compris dans les scĂ©narios les plus improbables.
Emmanuel Macron a remis le
problĂšme des retraites dans lâactualitĂ© en proposant de porter lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part Ă 65 ans au lieu de 62, Ă raison dâune augmentation de quatre mois par an. Depuis lors, le projet a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© et envisage un report Ă 64 ans. Cela rend nĂ©cessaire de sâinterroger sur la pertinence des arguments dĂ©mographiques avancĂ©s pour justifier une augmentation de lâĂąge lĂ©gal. Plusieurs rĂ©formes ont Ă©tĂ© entreprises aprĂšs celle du gouvernement Balladur en 1993. Ces rĂ©formes ont contribuĂ© Ă diminuer les revenus des retraitĂ©s ou Ă retarder lâĂąge de dĂ©part, entre autres par lâaugmentation du nombre dâannĂ©es cotisĂ©es pour une retraite Ă taux plein, lâaugmentation de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part, lâindexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, et finalement leur sous-indexation. Depuis 1993, chaque rĂ©forme a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e comme indispensable. Se basant sur la mĂȘme justification,
le prĂ©sident de la RĂ©publique veut augmenter lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part, alors que la rĂ©forme Touraine de 2014, en cours jusquâen 2035, augmente dĂ©jĂ le nombre dâannĂ©es nĂ©cessaires pour avoir une retraite Ă taux plein (43 pour la gĂ©nĂ©ration 1973), et donc lâĂąge effectif de dĂ©part (62,2 ans en 2019 contre 60,5 en 2010). Lâobservateur rationnel pourrait donc penser que ces rĂ©formes successives sont justifiĂ©es par la dĂ©gradation permanente, voire imprĂ©visible, de la situation dĂ©mographique car, si elle Ă©tait prĂ©visible, on aurait fait une fois pour toutes la rĂ©forme indispensable. Le mĂȘme observateur, toujours rationnel, conclurait probablement que, en lâabsence dâune telle dĂ©gradation, il nây a pas nĂ©cessitĂ© de nouvelles rĂ©formes.
Les arguments démographiques sont généralement les suivants :
â du fait des nombreuses gĂ©nĂ©rations
du baby-boom, le nombre de retraitĂ©s augmente fortement, alors que le nombre de cotisants ne suit pas la mĂȘme tendance, ce qui dĂ©grade le rapport actifs/retraitĂ©s ; lâespĂ©rance de vie augmente rĂ©guliĂšrement, ce qui augmente le temps de retraite ;
â la fĂ©conditĂ© diminuant depuis des annĂ©es, il y a et il y aura de moins en moins de cotisants.
â cette situation gĂ©nĂ©rale sâaggraverait en permanence, mĂȘme aprĂšs la disparition des gĂ©nĂ©rations du baby-boom parce que lâespĂ©rance de vie est continuellement en hausse et la fĂ©conditĂ© continuellement en baisse ;
â tout ceci ferait que le paiement des retraites ne serait plus possible Ă moins de procĂ©der tous les cinq ans Ă une rĂ©forme durcissant les conditions de dĂ©part, comme cela a Ă©tĂ© fait jusquâici.
Quelle est la pertinence de ces arguments démographiques ?
LâInsee publie rĂ©guliĂšrement des projections dâespĂ©rance de vie, de fĂ©conditĂ© et de solde migratoire, avec des hypothĂšses « basse », « centrale » et « haute », la projection centrale Ă©tant le plus souvent retenue, en particulier par le Conseil dâorientation des retraites (COR). Les projections centrales dâespĂ©rance de vie des projections
2007-2060 et 2013-2070 se sont rĂ©vĂ©lĂ©es trop optimistes par rapport Ă ce qui a Ă©tĂ© observĂ© jusquâici, en particulier pour les femmes. LâInsee a
donc revu ses hypothĂšses et les valeurs dâespĂ©rance de vie de la nouvelle projection 2021-2070 sont plus basses que celles de la projection 2013-2070 : la nouvelle projection haute est en fait lâancienne projection centrale de 20132070 et la nouvelle projection centrale est lâancienne basse. Le COR a retenu en 2021 la projection dâespĂ©rance de vie basse de lâInsee de 2013 Ă 2070, et non plus la projection centrale, et privilĂ©gie depuis sa rĂ©union dâavril 2022 la nouvelle projection centrale de 2021 Ă 2070. Curieusement, le COR dans son rapport de septembre 2022 nâenvisage, page 114, que deux variantes de fĂ©conditĂ© et dâespĂ©rance de vie : une fĂ©conditĂ© de lâannĂ©e plus basse â indice conjoncturel de fĂ©conditĂ© (ICF) de 1,6 enfant par femme â et une espĂ©rance de vie plus haute, mais pas les autres hypothĂšses. Depuis 1920, un ICF de 1,6 nâa jamais Ă©tĂ© observĂ© en France et une espĂ©rance de vie plus haute que lâhypothĂšse centrale nâest jamais non plus observĂ©e. On peut donc sâinterroger sur les raisons de la considĂ©ration de ces hypothĂšses plutĂŽt que dâenvisager une fĂ©conditĂ© plus haute (ICF de deux enfants, observĂ© par exemple de 2008 Ă 2012) et une espĂ©rance de vie plus basse, hypothĂšses plus probables. Dans ce qui suit, la projection de lâInsee de 2021 Ă 2070 sera utilisĂ©e dans sa version « fĂ©conditĂ© centrale », « solde migratoire central », « espĂ©rance de vie basse », parce que cette derniĂšre hypothĂšse semble plus en accord avec ce qui est observĂ© depuis quelques annĂ©es, caractĂ©risĂ©es
par une stagnation ou des oscillations de lâespĂ©rance de vie des femmes.
LES GĂNĂRATIONS
DU BABY-BOOM
VONT-ELLES RUINER
LA FRANCE ?
La pĂ©riode du baby-boom en France, qui se termine vers 1970, a abouti de nos jours Ă des cohortes nombreuses de personnes arrivĂ©es ou arrivant Ă lâĂąge de la retraite. Ceci implique que le rapport de dĂ©pendance dĂ©mographique, la proportion des personnes de plus de 65 ans sur celles de 20 Ă 64 ans, augmente. Cette dĂ©pendance accrue est souvent prĂ©sentĂ©e comme rendant inĂ©vitables de nouvelles rĂ©formes des retraites. Toutefois, ce rapport ignore les autres inactifs, câest-Ă -dire les jeunes de moins de 20 ans. Le rapport tenant compte des jeunes est lui-mĂȘme imparfait â des jeunes de moins de 20 ans sont en emploi â mais il donne une meilleure approximation de la « charge » des actifs. La borne des 65 ans semble pertinente, lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part Ă la retraite ayant Ă©tĂ© de 65 ans jusquâen 1983 et lâĂąge effectif de dĂ©part se rapprochant peu Ă peu de cette valeur.
Quoi quâil en soit, la situation des annĂ©es 1960, caractĂ©risĂ©e par un grand nombre de jeunes du babyboom, et celle dâaujourdâhui due au passage Ă lâĂąge de la retraite de ces mĂȘmes gĂ©nĂ©rations, ont Ă©tĂ© parfaitement soutenables : les jeunes du baby-boom ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s par les
familles et la remontée du taux de dépendance depuis 2010, tout aussi rapide que sa chute aprÚs 1967, ne pose pas de problÚme pour payer les retraites.
Peut-on dĂšs lors considĂ©rer quâaprĂšs 2033 ce qui Ă©tait possible en 1967 ne le serait plus et que la faillite guetterait soudainement le pays ? Les projections des coĂ»ts des pensions de retraite rĂ©alisĂ©es rĂ©guliĂšrement par le COR ne lâindiquent pas puisque, dans le cadre de la lĂ©gislation actuelle, le coĂ»t des retraites devrait baisser dans les dĂ©cennies Ă venir. En somme, le paiement des pensions de retraites des gĂ©nĂ©rations nombreuses du baby-boom semble maĂźtrisable. Ces gĂ©nĂ©rations passĂ©es, le rapport de dĂ©pendance baissera, comme lâindique la figure 1, avec toutes les incertitudes sur des projections Ă 50 ans. Il faut noter que le rapport de dĂ©pendance va augmenter dans les annĂ©es qui viennent, aussi parce que le nombre de naissances va augmenter Ă cause de lâarrivĂ©e Ă lâĂąge de fĂ©conditĂ© des gĂ©nĂ©rations nombreuses nĂ©es
aprĂšs 1995 (voir ci-dessous). En rĂ©sumĂ©, avoir plus de retraitĂ©s du fait du baby-boom depuis une quinzaine dâannĂ©es nâa pas signifiĂ© la faillite de notre systĂšme de retraite et rien ne permet de dire que cela va changer dans les annĂ©es qui viennent.
LâAUGMENTATION DE LâESPĂRANCE DE VIE VA-T-ELLE SE POURSUIVRE ?
Lâarticle 5 de la loi Fillon de 2003 indique que « la durĂ©e dâassurance nĂ©cessaire pour bĂ©nĂ©ficier dâune pension de retraite au taux plein et la durĂ©e des services et bonifications nĂ©cessaire pour obtenir le pourcentage maximum dâune pension civile ou militaire de retraite [...] Ă©voluent de maniĂšre Ă maintenir constant, jusquâen 2020, le rapport constatĂ©, Ă la date de publication de la prĂ©sente loi, entre ces durĂ©es et la durĂ©e moyenne de retraite » (la loi de 2014 ramĂšnera cette date Ă 2017). En somme, si lâespĂ©rance de vie augmente, « la durĂ©e dâassurance nĂ©cessaire » pour avoir une retraite Ă taux plein doit augmenter en parallĂšle
et cette logique a Ă©tĂ© rappelĂ©e par Ăric Woerth dans Le Journal du Dimanche du 13 mars 2022 pour justifier une nouvelle augmentation de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part : le systĂšme de rĂ©partition « exige dâaugmenter lâĂąge de dĂ©part Ă la retraite en fonction de la durĂ©e de vie » (voir dâautres dĂ©clarations similaires ici).
Depuis la loi Fillon de 2003, les perspectives dâaugmentation de lâespĂ©rance de vie ont bien changĂ©. Il y a maintenant bien plus de personnes trĂšs ĂągĂ©es, et donc trĂšs fragiles. LâespĂ©rance de vie se rapprochant de la longĂ©vitĂ© maximale (110 ans, si on excepte quelques trĂšs rares personnes), son augmentation annuelle est de plus en plus faible alors que ces grands vieillards rĂ©sistent mal aux Ă©pidĂ©mies hivernales, Ă la canicule, sans mĂȘme parler du coronavirus. De fait, lâespĂ©rance de vie des femmes tend Ă stagner ou Ă diminuer ces derniĂšres annĂ©es, et la projection basse dâespĂ©rance de vie de lâInsee de 2021-2070 fait lâhypothĂšse dâune faible augmentation dâici 2070 (figure
2). Les hommes ont une mortalité plus importante aux ùges jeunes que les femmes et donc plus de marge de diminution de cette mortalité : on peut estimer que leur espérance de vie devrait continuer à augmenter (figure 2).
Pour tout dire, si on observe pour les femmes et les hommes une augmentation de lâespĂ©rance de vie de trois mois par an sur la pĂ©riode 1962-2010, elle nâest plus que de 28 jours par an entre 2011 et 2022 pour les hommes et de 11 jours par an pour les femmes. Lâaugmentation nâĂ©tant pas statistiquement significative pour les femmes, on peut tout aussi bien dire que leur espĂ©rance de vie nâa pas augmentĂ© de 2011 Ă 2022. Dans ces conditions, le plus probable nâest plus une progression continue de lâespĂ©rance de vie â au moins chez les femmes â justifiant, selon la loi Fillon de 2003, une augmentation de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part ou de la durĂ©e de cotisation nĂ©cessaire pour avoir droit Ă une retraite au taux plein. Dans la logique mĂȘme de la loi Fillon, il faudrait peut-ĂȘtre se prĂ©parer Ă un gel de cette durĂ©e, voire Ă une diminution en cas de baisse de lâespĂ©rance de vie, et la pertinence dâaugmenter lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part interroge.
UNE FĂCONDITĂ EN BERNE ?
La crainte de la dĂ©natalitĂ© en France nâest pas nouvelle. De temps Ă autre, des responsables politiques
sâen inquiĂštent, comme le groupe parlementaire Les RĂ©publicains qui a dĂ©posĂ© en 2021 la proposition de loi « pour relancer la natalitĂ© en France », ou le Haut-commissariat au Plan. Ces craintes sont sans objet, puisquâau cours de leur vie les femmes ont en moyenne plus de deux enfants (femmes nĂ©es en 1950, 1960, 1970, 1980 : 2,12 ; 2,12 ; 2,01 ; 2,05).
Toutefois, lâindice conjoncturel de fĂ©conditĂ© (ICF), qui additionne pour une annĂ©e, par exemple 2020, les taux de fĂ©conditĂ© par Ăąge et permet de connaĂźtre le nombre dâenfants quâont eus, en 2020, les femmes en Ăąge de procrĂ©er, montre des variations dâune annĂ©e Ă lâautre (par exemple, 1,68 en 1994 et 2,03 en 2010), parce que la fĂ©conditĂ© annuelle est la dĂ©cision des couples. De ce fait, on observe une fourchette de 65.000 naissances autour dâune moyenne de 790.000 depuis 1970.
Du fait des variations annuelles du nombre de naissances, on observe environ 30 ans plus tard une nouvelle variation de ce nombre puisque, Ă fĂ©conditĂ© Ă©gale, il dĂ©pendra du nombre de femmes en Ăąge de procrĂ©er. Depuis quelques annĂ©es, le nombre de naissances a baissĂ©, en relation avec la baisse de ce nombre de 1980 Ă 1995, environ, comme le montre la figure 3. LâInsee a projetĂ© le nombre de naissances de 2021 Ă 2070 selon un scĂ©nario de fĂ©conditĂ© centrale (ICF de 1,8 enfant par femme aprĂšs 2022) ou haute (2 enfants
aprĂšs 2029). Si, de 1982 Ă 2001, lâICF Ă©tait en moyenne de 1,79, il Ă©tait de 1,94 de 2002 Ă 2021, ce qui permet de penser que les rĂ©sultats observĂ©s dans les annĂ©es qui viennent seront plus proches de lâhypothĂšse de fĂ©conditĂ© haute que de celle de fĂ©conditĂ© centrale, dâautant plus que le nombre de naissances en 2021 est supĂ©rieur de 22.000 Ă ce qui Ă©tait projetĂ© par lâInsee pour cette annĂ©e (742.000 au lieu de 720.000), et dâau moins 8000 en 2022 (725.000 au lieu de 717.000, mais les donnĂ©es de 2022 sont encore provisoires). La figure 3 montre que le nombre de naissances va augmenter jusque vers 2040, quel que soit le scĂ©nario, le plus probablement avec un nombre de naissances similaire Ă ce qui est observĂ© depuis 50 ans. En somme, la dĂ©natalitĂ© nâexiste pas en France, et il nây a pas lieu de sâinquiĂ©ter du nombre futur de cotisants aux rĂ©gimes de retraite.
UNE POPULATION ACTIVE DĂCLINANTE APRĂS 2040 ?
LâInsee a publiĂ© en juillet 2022 [3] des projections de la population active jusquâen 2070 en se basant sur le seul scĂ©nario central des projections dĂ©mographiques 2021-2070. Contrairement aux projections de 2017, lâInsee prĂ©voit maintenant une baisse de la population active aprĂšs 2040, ce qui a pu donner lieu Ă des commentaires soutenant la nĂ©cessitĂ© dâune nouvelle rĂ©forme des retraites.
Cette baisse est liĂ©e Ă lâĂ©volution des projections dĂ©mographiques de lâInsee entre les deux dates, mais il a Ă©tĂ© dit prĂ©cĂ©demment que lâhypothĂšse de fĂ©conditĂ© centrale est peut-ĂȘtre trop faible et celle dâespĂ©rance de vie centrale trop Ă©levĂ©e. Si lâInsee nâa pas publiĂ© les rĂ©sultats dâautres scĂ©narios, il est cependant possible dâeffectuer les calculs, en particulier avec le scĂ©nario dâespĂ©rance de vie basse et de fĂ©conditĂ© haute, plus vraisemblable. La figure 4 montre que cela aboutit Ă une augmentation de la population active aprĂšs 2040, rĂ©sultat dâune fĂ©conditĂ© plus forte. Il est vraisemblable que la taille de la population active se situera entre lâhypothĂšse centrale de lâInsee et celle-ci : une baisse de la population active aprĂšs 2040 nâest probablement pas le scĂ©nario le plus crĂ©dible.
CONCLUSIONS
Faut-il faire une nouvelle rĂ©forme des retraites augmentant lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part, ou durcissant par dâautres mesures les conditions de dĂ©part ?
Câest une dĂ©cision politique qui, pour ĂȘtre acceptĂ©e par ceux qui vont la subir, doit ĂȘtre justifiĂ©e. Si elle est mise en Ćuvre pour une raison idĂ©ologique, comme la volontĂ© de diminuer le coĂ»t des pensions Ă tout prix, et ceci que les rĂ©gimes de retraite soient globalement Ă lâĂ©quilibre ou pas, il est peu probable que les salariĂ©s lâacceptent. Il faut donc justifier une telle rĂ©forme par des arguments qui emportent lâadhĂ©sion. Les arguments dĂ©mographiques sont
dans ce cadre toujours utilisĂ©s pour plusieurs raisons. La premiĂšre est que la population nâa gĂ©nĂ©ralement pas les moyens de vĂ©rifier leur pertinence. La deuxiĂšme est que les responsables politiques et syndicaux, eux-mĂȘmes, sont souvent dans lâincapacitĂ© de le faire et propagent parfois des Ă©normitĂ©s, pas toujours de mauvaise foi. La troisiĂšme raison est que les donnĂ©es dĂ©mographiques semblent Ă©chapper Ă notre contrĂŽle : on ne peut guĂšre augmenter notre espĂ©rance de vie ou la fĂ©conditĂ© par une simple dĂ©cision administrative ou politique, ou diminuer le nombre de retraitĂ©s. Comme le temps quâil fait, les contraintes dĂ©mographiques semblent sâimposer Ă tous.
La bonne nouvelle est que ces contraintes dĂ©mographiques ne posent aucun problĂšme insoluble pour le paiement des pensions, mĂȘme si le nombre de personnes ĂągĂ©es augmente grĂące aux progrĂšs mĂ©dicaux et sociaux. Les cohortes nombreuses du baby-boom partent Ă la retraite depuis 15 ans : les pensions sont payĂ©es. La derniĂšre gĂ©nĂ©ration du baby-boom, celle de 1973, a 50 ans, et rien ne permet de penser que ses pensions ne seront pas payĂ©es. Nos contemporains vivent plus longtemps que durant les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes, mais cette progression de lâespĂ©rance de vie diminue, voire sâarrĂȘte, en particulier parce que nous nous rapprochons des limites de la longĂ©vitĂ© : lâimmense majoritĂ© des Français ne sera pas centenaire et la
France ne sera pas submergĂ©e par des bataillons de Jeanne Calment. Le nombre de cotisants aux rĂ©gimes de retraite ne va pas sâĂ©crouler, la France Ă©tant un des pays les plus fĂ©conds dâEurope : il nây a pas de dĂ©natalitĂ©. En rĂ©sumĂ©, les arguments dĂ©mographiques faisant craindre le non-paiement des retraites â trop de retraitĂ©s du baby-boom, une durĂ©e de vie qui augmente tout le temps, une fĂ©conditĂ© en baisse constante, et donc un nombre de cotisants qui sâĂ©croule â ne correspondent pas Ă la rĂ©alitĂ© et sont propagĂ©s par ignorance, incompĂ©tence, voire mauvaise foi. Ă moins de vouloir tromper lâopinion publique, il est nĂ©cessaire dâavancer dâautres arguments pour justifier un nouveau durcissement des conditions de dĂ©part en retraite.
ïŁ Ă©ric le bourg Chercheur retraitĂ© du CNRS, depuis aoĂ»t 2022, en biologie du vieillissement.
Emploi, retraites : le RN, LR et le Medef veulent mettre les femmes en cloque
Pendant que vous pensez rĂ©forme des retraites, dâautres ont dĂ©jĂ lâesprit ailleurs : dans vos utĂ©rus mesdames !
Câest une petite musique qui monte, doucement, tranquillement. Une mĂ©lodie qui fait le lien entre la rĂ©forme des retraites et le projet de loi Immigration â ce dernier devrait ĂȘtre examinĂ© par les parlementaires au printemps â : Françaises, faites des mioches !
Dâun cĂŽtĂ©, Geoffroy Roux de BĂ©zieux, le prĂ©sident du Medef, se dit, le 19 fĂ©vrier, « passionnĂ© » par le sujet. Pour pallier, selon lui, un avenir oĂč il y aurait de moins en moins de jeunes qui entrent chaque annĂ©e sur le marchĂ© du travail et, en mĂȘme temps, de plus en plus de vieux qui partent en retraite, il a une solution toute simple : « Si on faisait plus dâenfants en France, on rĂ©glerait le problĂšme assez facilement. »
De lâautre cĂŽtĂ©, on a lâextrĂȘme droite, qui ajoute sa petite touche nationaliste pour rĂ©soudre un Ă©ventuel problĂšme de main dâoeuvre. Voyez SĂ©bastien
Chenu, le 13 fĂ©vrier : « Moi je prĂ©fĂšre quâon fabrique des travailleurs français plutĂŽt quâon les importe. [...] Pour
assurer la perpĂ©tuitĂ© de la civilisation et de la population française. Quâon ait plus de petits français demain plutĂŽt que dâouvrir les vannes et de voir lâimmigration comme un projet de peuplement. »
Notez le vocabulaire pour le moins Ă©tonnant de la marchandise, alors que lâon parle dâĂȘtres humains. Notez aussi le lien direct fait entre « civilisation » et « population française », synonymes dans la pensĂ©e du vice-prĂ©sident du RN.
### interlude technique ###
SĂ©bastien Chenu veut que lâon prenne exemple sur lâAllemagne, lâItalie ou encore la Hongrie⊠alors mĂȘme que la France est le pays de lâUE oĂč le taux de fĂ©conditĂ© est le plus Ă©levĂ© ! Mieux, dans les deux premiers cas, les natalitĂ©s allemande et italienne font partie des plus dĂ©clinantes au monde, quant Ă la Hongrie, on pourrait en effet dire que sa volontĂ© nataliste fonctionne, mais elle va de
pair avec une politique nationaliste et rĂ©actionnaire sur lâavortement, et les droits des femmes en gĂ©nĂ©ral, qui nâa pas son pareil en Europe. Or, si le taux de fĂ©conditĂ© hongrois est passĂ© de 1,2 Ă 1,55 enfant par femme en dix ans, il semble avoir atteint un plafond. Par ailleurs, les principaux problĂšmes dĂ©mographiques de la Hongrie restent lâĂ©migration et la mortalitĂ©. Comme on lit sur franceinfo : « Un million de Hongrois ont quittĂ© le pays. Des Hongrois partis pour chercher un job mieux payĂ© dans lâEurope de lâOuest, ou pour Ă©chapper au rĂ©gime autoritaire de Viktor Orban ». Le rĂȘve du RN ?
### fin de lâinterlude technique ###
Un peu plus loin Ă lâextrĂȘme droite, on trouve Ă©galement cette rhĂ©torique dans les tweet de Damien Rieu, ici et lĂ :
« Qui va payer les saintes retraites par rĂ©partition si vous ne faites pas dâenfants ? »
MĂȘme la dĂ©putĂ©e macroniste Prisca ThĂ©venot y est allĂ©e de bon cĆur : « VoilĂ que vous sortez de votre grotte pour raviver non pas vos vieux dĂ©mons mais vos dĂ©mons actuels. [Selon vous,] il y a un problĂšme, câest les femmes. Merci pour vos leçons, mais on passera. » Mais il est important de prĂ©ciser quâelle sâadressait au RN, pas Ă Gabriel AttalâŠ
Sur Twitter, lâhistorienne Mathilde LarrĂšre sâinquiĂšte : « Ce nâest pas neuf, câĂ©tait dans le programme de Marine Le Pen dans les deux derniĂšres Ă©lections prĂ©sidentielles. Ce sont des idĂ©es quâon trouvait dĂ©fendue par lâextrĂȘme droite dans les annĂ©es 30 et sous Vichy [...] quand ces idĂ©es sâimposent, on sait ce que ça entraĂźne : des mesures anti-IVG. Et ne nous pensons pas Ă lâabri en France. (Ce dâautant quâon ne le rappellera jamais assez, les mesures anti IVG ne diminuent pas le nombre dâIVG, mais les rendent trĂšs dangereuses pour les femmes) ».
Sur Regards, la semaine derniĂšre, Ăric Le Bourg, spĂ©cialiste en biologie du vieillissement, Ă©crivait justement ceci : « La dĂ©natalitĂ© nâexiste pas en France, et il nây a pas lieu de sâinquiĂ©ter du nombre futur de cotisants aux rĂ©gimes de retraite. » Mais la politique nâest pas affaire dâexpertsâŠ
Vous pensiez que la rĂ©forme des retraites allait pĂ©naliser un peu plus les femmes ? Vous nâĂȘtes pas prĂȘts pour la suite !
« DĂ©libĂ©rĂ©ment choisir de ne pas avoir dâenfants quand on en a la possibilitĂ© est plus quâun caprice Ă©goĂŻste et bourgeois, câest une faute morale qui
conduit au suicide de la civilisation dont vous profitez, grĂące au efforts et sacrifices de vos ancĂȘtres. »
Le dĂ©bat sur la natalitĂ© sâest mĂȘme invitĂ© dans lâhĂ©micycle, lors des dĂ©bats sur la rĂ©forme des retraites, les LR proposant de « baisser le taux de CSG sur les revenus dâactivitĂ©s des mĂšres de famille » en fonction du nombre dâenfants Ă charge. Amendement rejetĂ© par le gouvernement, mais le ministre Gabriel Attal a tout de mĂȘme assurĂ© ĂȘtre « en ligne avec vous sur les objectifs ». Tiens, vous nâavez rien remarquĂ© dâĂ©trange ? Que des hommes. Que des hommes pour discuter natalité⊠Ătrange, Ă©trangeâŠ
Ă lâAssemblĂ©e, la dĂ©putĂ©e Ă©cologiste Sandrine Rousseau sâen est sĂ©rieusement agacĂ©e : « Un conseil : lĂąchez nos utĂ©rus ! Si vous souhaitez aider les femmes, faites lâĂ©galitĂ© salariale, le congĂ© paternitĂ© Ă©quivalent au congĂ© maternitĂ©. Laissez partir les femmes avant 64 ans avec les trimestres acquis. Retirez votre rĂ©forme ! Nos ventres ne sont pas la variable dâajustement de votre rĂ©forme des retraites. » ïŁ loĂŻc le clerc
La retraite à 72 ans ? Certains y pensent sérieusement...
Le cabinet de conseil de Nicolas Bouzou bouleverse la science : demain, Homo Sapiens vivra jusquâĂ 140 ans ! Alors, la rĂ©forme des retraites de Macron et Borne, câest si peu de choses... DĂ©cryptage dâĂric Le Bourg, chercheur retraitĂ© du CNRS en biologie du vieillissement.
Les cabinets de conseil, chers Ă nos gouvernants (et encore plus aux contribuables), ont pour mission de fournir des Ă©tudes de haute qualitĂ©. On sâattend donc Ă la rigueur dâanalyse, de calcul, de contrĂŽle des sources, etc. Le cabinet AstĂ©rĂšs a ainsi publiĂ© une Ă©tude sur les technologies antivieillissement. Ătude qui vaut son pesant de cacahuĂštes ! Que nous dit cette Ă©tude ? Se basant sur des expĂ©riences chez les souris, « AsterĂšs retient lâhypothĂšse dâun gain dâespĂ©rance de vie Ă horizon 2070 semblable aux rĂ©sultats de lâexpĂ©rience de Jaijyan et al. », soit +41%. AstĂ©rĂšs « considĂšre quâil faut compter 7 ans avant de rĂ©aliser de premiĂšres expĂ©riences sur des ĂȘtres humains [âŠ], 15 ans pour complĂ©ter la phase dâessais cliniques [âŠ] et 10 ans en moyenne pour la diffusion du traitement », soit un total de 32 ans avant les applications cliniques. Puis, AstĂ©rĂšs redessine la pyramide des Ăąges en 2070 : « Les personnes ĂągĂ©es de 111 ans Ă 119
auraient ainsi autant de chances de dĂ©cĂ©der que les personnes ĂągĂ©es de 80 Ă 89 ans aujourdâhui et les personnes ĂągĂ©es de 120 ans ou plus auraient autant de chances de dĂ©cĂ©der que les personnes ĂągĂ©es de 90 Ă 110 ans aujourdâhui ». Enfin, « certaines personnes atteindraient 140 ans en 2090 ».
Tout ceci est-il sĂ©rieux ? En particulier, des personnes ĂągĂ©es aujourdâhui dâenviron 75 ans bĂ©nĂ©ficieraient donc des applications cliniques dâici une trentaine dâannĂ©es, Ă lâĂąge dâenviron 105 ans, puis atteindraient les 140 ans vers 2090. Pour que des personnes ĂągĂ©es de 105 ans, qui sont rares, atteignent les 140 ans, il faut probablement que la plupart dâentre elles aient leur vie prolongĂ©e pour quâau moins certaines vivent jusquâĂ 140 ans. Le traitement en question aurait donc une efficacitĂ© redoutable, en prolongeant drastiquement la vie de grands vieillards normalement assurĂ©s de mourir trĂšs prochainement, puisque
le taux de mortalitĂ© vers lâĂąge de 105 ans est dâenviron 50% par an [1] : tout ceci semble bien improbable, pour le moins. LâĂ©tude conclut que « AsterĂšs a dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi dâanalyser lâimpact dâun scĂ©nario radicalement optimiste, lâhypothĂšse centrale Ă©tant que les rĂ©sultats obtenus sur des souris en 2022 (Jaijyan et al.) seraient transposables aux ĂȘtres humains et seraient dĂ©ployĂ©s, au vue (sic) des moyennes, dans la dĂ©cennie 2050. » HĂ©las, la possibilitĂ© de transposer aux humains les rĂ©sultats en question semble nulle puisquâil sâagit dâun enzyme actif chez la souris â la tĂ©lomĂ©rase â mais inactif chez les humains, sauf dans les cellules germinales et⊠cancĂ©reuses. Sans entrer dans les dĂ©tails, disons aussi que ce qui augmente la longĂ©vitĂ© des souris nâa pas forcĂ©ment le mĂȘme effet chez les humains. Par exemple, la restriction de nourriture augmente souvent la longĂ©vitĂ© des souris, ce qui est utilisĂ© comme argument par des
entreprises commerciales proposant de jeĂ»ner, avec pour rĂ©sultat tangible lâamaigrissement du portefeuille des clients, mais la restriction de nourriture nâaugmente pas la longĂ©vitĂ© humaine. Cette Ă©tude du cabinet dâAstĂ©rĂšs, quelle que soit la maniĂšre dont on lâaborde, nâa donc aucune pertinence scientifique ou dĂ©mographique, et on peine Ă comprendre quâil ait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de la rendre publique. Le cabinet AstĂ©rĂšs en conclut que « si les recherches sur la lutte contre le vieillissement tiennent leurs promesses, lâĂąge de dĂ©part Ă la retraite pourrait ĂȘtre portĂ© Ă 72 ans en 2070 » pour assurer le mĂȘme ratio de cotisants/retraitĂ©s que celui attendu en 2070 si lâĂąge de dĂ©part Ă©tait portĂ© Ă 64 ans. On a envie de dire : nous y voilĂ ! Publier cette Ă©tude le 7 fĂ©vrier 2023, au moment oĂč la majeure partie de la population nâaccepte pas le report de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part Ă la retraite Ă 64 ans, ne peut quâinciter ceux qui la lisent Ă se dire que, finalement, 64 ans est un moindre mal, dâautant plus que cette Ă©tude a Ă©tĂ© commentĂ©e dans un quotidien. Dans ce contexte, lâĂ©tude du cabinet AstĂ©rĂšs ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e que comme un coup de main Ă lâadoption du projet de rĂ©forme des retraites, soutenu par son dirigeant Nicolas Bouzou, mĂȘme si câest au prix de rendre son cabinet de conseil ridicule. DĂ©cidĂ©ment, les cabinets de conseil servent Ă toutâŠ
ïŁ Ă©ric le bourg