PETIT PRÉCIS MACRONISTE POUR ABIMER DURABLEMENT LA
DÉMOCRATIE
Retraites : selon Olivier Dussopt, le ministre du Travail est un menteur
Combien de retraités vont voir leur pension atteindre les 1200 euros grâce à sa réforme ? Plus on pose la question à Olivier Dussopt, moins ils sont nombreux.
Olivier Dussopt se pavanait, le 15 février, sur France Inter : « Quand on me dit combien grâce à cette réforme vont passer le cap des 85% du Smic ? On a une prévision, elle m’est arrivée hier soir : 40 000 personnes de plus chaque année ».
Le 23 février, dans un courrier adressé au député socialiste Jérôme Guedj, ce même Olivier Dussopt écrit : « À la suite de votre sollicitation, un chiffrage complémentaire estimant le nombre de nouveaux retraités franchissant le seuil des 1200€ par le seul fait de la hausse des minima de pension vous a été transmis par la Direction de la Sécurité sociale. Les services estiment, selon les générations, qu’entre 10 000 et 20 000 personnes franchiront le seuil des 1200€ par cette seule mesure. »
Soit « 1,2% à 2,5% des retraités », commente Jérôme Guedj. Ou pour prendre le problème à l’envers, « 4,75 millions de nos retraités devront en-
core vivre avec moins de 1200 euros », note la députée communiste Elsa Faucillon. Mais revenons à Jérôme Guedj. Celuici est parti d’un constat simple : Olivier Dussopt est un vilain menteur. Encore faut-il le prouver. Usant de son statut de vice-président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, Jérôme Guedj s’est donc rendu à la Sécu, mais aussi à Matignon et au ministère du Travail. Il y a obtenu plusieurs documents et a tout simplement posé des questions au ministre Dussopt, lequel s’est vexé, arguant qu’il n’avait pas de comptes à rendre à quelqu’un qui « perd les pédales ». Son camarade Franck Riester est allé jusqu’à crier à la « délation ». Ce n’est pas la honte qui les étouffe.
Voilà comment, parce que l’opposition a encore quelque pouvoir, on se retrouve avec un ministre du Travail se dédisant publiquement.
Le ministre avait donc menti mi-février.
Mentir, ça s’écrit « revoir à la baisse » dans Le Monde ou Libération, et « reconnaître son erreur » sur BFMTV. Pudeurs de gazelle ou excès de zèle ?
Car, si le gouvernement s’amuse à tordre la vérité sur une des mesures phares de sa réforme, qu’en est-il du reste ? Que penser de l’explication d’Emmanuel Macron en personne, le week-end dernier au Salon de l’agriculture, qui n’a fait que nous prouver qu’il ne comprend rien à sa propre réforme ?
Que penser du fait que « les fameux «1200 euros», brut, ne constitueraient plus un «minimum» pour tous, mais pour les seuls pensionnés justifiant d’une carrière complète, à taux plein, sur la base d’un salaire équivalent au Smic », sachant que nous avons déjà vu que ce type de carrière n’existe quasiment pas !
Relisons ce qu’écrivait ici-même (le 16 janvier !) notre chroniqueur éco Ber-
nard Marx : « Une carrière complète de 42 ans intégralement payée au Smic, c’est pratiquement introuvable. Dans son rapport annuel de 2018, le très officiel groupe d’experts sur le Smic a été regarder de plus près les trajectoires salariales au voisinage du Smic entre 1995 et 2015 : sur 2,5 millions de personnes observées, «seules 48 ont passé les 21 années d’observation avec une rémunération inférieure à 1,1 fois le salaire minimum». »
48 personnes.
« On va continuer les investigations », a tweeté Jérôme Guedj. D’ici là, on peut toujours désespérer que le mensonges d’un ministre fasse moins causer les commentateurs que son portrait dans Le Monde, portrait où l’on apprend surtout qu’Olivier Dussopt « se lève à 5h15, enchaîne cinquante pompes et autant d’abdominaux avant 6h30 [soit moins d’une pompe et d’un abdo par minute en moyenne, ndlr], suit un régime protéiné à base de steaks tartares. » Voilà donc le régime avec lequel la Macronie fonce tête baissée, à droite toute.
loïc le clerc
Retraites : une réforme « hypocrite », « pas juste »... même Macron était contre !
« Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. » Cette célèbre citation d’Edgar Faure, lancée à ses détracteurs qui le qualifiaient de girouette et d’opportuniste, va comme un gant à Emmanuel Macron. Président du conseil à deux reprises sous la IVème République, Edgar Faure se voulait « ni de droite ni de gauche », comme on peu lire dans le portrait qui lui est fait sur le site homonyme.
Et pourtant, il tourne. Même en 2023. Nous l’avons écrit sur Regards à de multiples reprises : à la question « Pourquoi faut-il réformer les retraites », la Macronie a bien du mal à donner une réponse.
Mais en cherchant bien, on trouve, de la bouche du président de la République en personne, de nombreuses déclarations arguant l’inverse : rien ne sert de repousser l’âge de départ à la retraite.
Compilation :
● 2017, pendant la campagne présidentielle : « Dans les cinq ans à venir, je ne propose pas de décaler l’âge de départ à la retraite. Ça n’est pas juste
et les sacrifiés, ce sont aujourd’hui ceux qui ont autour de 60 ans. »
● 25 avril 2019 : « Est-ce qu’il faut reculer l’âge légal qui est aujourd’hui à 62 ans ? Je ne crois pas. Je ne crois pas pour deux raisons : la première, c’est que je me suis engagé à ne pas le faire. C’est quand même mieux, sur un sujet aussi important, de faire ce qu’on a dit [...] ; la deuxième raison, c’est que, tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand aujourd’hui, on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soimême en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. C’est ça, la réalité de notre pays. Alors on va dire «Non, non, faut maintenant aller jusqu’à 64 ans». Vous savez déjà plus comment faire après 55 ans, les gens vous disent : «Les emplois, c’est plus bon pour vous». C’est ça la réalité. C’est le combat qu’on mène. On doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens : «Mes bons amis, travaillez
plus longtemps. C’est le délai légal.» Ce serait hypocrite. »
● 26 août 2019 : « Si on fait une réforme comme d’habitude, comme on fait depuis 20 ans, on dit : «On va décaler l’âge de départ à la retraite. J’ai dit, il y a quelques mois, je ne ferai pas ça. Pourquoi c’est pas juste de faire ça ? Parce que quand vous avez commencé à travailler à 16 ans, si je vous décale votre âge de départ à la retraite – alors même que, généralement, quand vous avez commencé à 16 ans, vous avez moins de diplômes, vous êtes dans des métiers plus pénibles –, c’est profondément injuste. Deuxième chose : on est dans une économie où il y a encore beaucoup de chômage, il y a beaucoup de chômage des seniors, des plus âgés, si on décale l’âge légal, on dit aux gens «Restez plus longtemps au chômage». C’est pas correct. »
ET LE MACRON NOUVEAU EST ARRIVÉ...
● juillet 2022 : « On doit progressivement décaler l’âge de départ légal, obligatoire, jusqu’à 65 ans. »
On n’est jamais mieux servi que par eux-mêmes !
● 26 octobre 2022 : « À partir de l’été 2023, on devra décaler l’âge légal de départ de quatre mois par an. [...] Il n’y a qu’un moyen de faire, si on est lucide, comme nous vivons plus longtemps, c’est de travailler plus longtemps. »
Dans le genre trouble dissociatif de l’identité, Emmanuel Macron n’a rien à envier avec tous les « gauchistes » de la Macronie – on pense notamment à Marlène Schiappa et Olivier Véran –, Olivier Dussopt étant le plus atteint : preuve en est ce moment de grâce parlementaire où le ministre du Travail se trouve piégé, ce 7 février, par le député socialiste Iñaki Echaniz, lequel lui a posé la même question que celui-ci avait posée à Éric Woerth en 2010. À moins qu’il ne s’agisse tout bêtement que de traîtrise, à son camp politique, à ses idées, à soi-même...
AUTRES TEMPS, AUTRES MOEURS
Heureusement pour le chef de l’État, les temps changent – quitte à tordre le réel pour qu’il entre dans les cases des tableurs élyséens. Macron 2017 n’est pas Macron 2022. Et, à force de réformer l’assurance-chômage, de maltraiter les chômeurs et de chasser les plus récalcitrants au turbin d’entre eux, la sainte courbe s’est inversée. Le chômage n’est (presque) plus – bien joué les radiations massives ! On peut donc repousser l’âge légal de départ à la retraite... Un peu trop facile, non ?
Et si Élisabeth Borne n’ose pas commenter ce retournement de veste pré-
sidentielle, Olivier Dussopt, lui, assume sans complexe : « La maturité politique fait qu’on évite parfois les solutions simplistes. Il faut assumer parfois de mûrir et de mesurer les contraintes et la complexité des choses. [...] Nous sommes aussi à un moment très différent avec un taux de chômage qui est sans commune mesure ». Assez hypocrite, en effet. loïc le clerc
Réforme des retraites : un jour, une fake news
« Scratch a lie find a thief. »
Ray CharlesLe Macronisme est une novlangue qui a toujours fait ses preuves. Quand Élisabeth Borne dit qu’il fait beau, c’est qu’il pleut. Quand elle dit que sa réforme des retraites est une réforme de « justice »… bref, vous avez compris, on a tous et toutes compris, les Français et les Françaises ont compris. Les faits sont là. Il n’y a que celles et ceux qui ne s’informent pas qui peuvent s’en étonner. Mais chaque jour, il faut continuer à documenter la catastrophe.
Ainsi lit-on, le 14 février dans Le Monde : « Dans une note [...], l’Institut des politiques publiques (IPP) montre que les personnes ayant les plus faibles ressources continueront «de partir plus tard» que celles situées en haut de l’échelle des revenus, même si l’écart est susceptible de se réduire un peu. [...] Ainsi, «ceux qui ont eu les meilleures carrières» – donc les meil-
leures rémunérations – partent «plus tôt». Un exemple : pour la génération née en 1950, les 10% d’individus les plus aisés ont réclamé le versement de leur pension à 61 ans en moyenne, contre près de 63 ans pour les 10% les plus pauvres. Cette situation ne devrait pas être fondamentalement corrigée par la réforme, selon les simulations faites par l’IPP. Si l’on s’intéresse à la génération 1972, les 10% de personnes «à plus basse pension» prendraient leur retraite vers 64,3 ans, soit environ une année de plus que les 10% les mieux lotis. »
Une fois n’est pas coutume, la Macronie ne vient pas corriger les inégalités. Elle les accompagne, quand elle ne les ménage pas.
Ce même 14 février, une autre publication du Centre d’études de l’emploi et du travail du CNAM tombe : « Alors que ce type de réforme entend encourager l’emploi des seniors, plusieurs études montrent qu’une hausse de l’âge légal de départ à la retraite engendre également d’autres effets, tels
que l’augmentation du chômage ou de l’invalidité en fin de carrière ».
Les jours passent et le gouvernement s’enfonce dans l’évidence même : sa réforme est « une réforme de merde », pour citer l’excellent Pablo Pillaud-Vivien.
Voyez plutôt :
● réformer pour sauver un système déficitaire ? Argument perfide voire fallacieux.
● il faut absolument réformer pour une raison démographique ? Hasardeux. les plus modestes, les carrières longues, pénibles ou hachées, seront moins impactés ? Mensonge.
● les femmes seront « protégées » par la réforme ? Mensonge.
On continue ?
Le problème avec cette réforme, ça n’est pas de trouver des arguments contre, mais seulement une bonne raison de la faire. En effet, quand la Macronie tente de donner des exemples concrets de personnes qui verront leur retraite améliorée avec la réforme, on se rend compte, en creusant cinq
Le problème avec cette réforme, ça n’est pas de trouver des arguments contre, mais seulement une bonne raison de la faire.
minutes, qu’il s’agit de situations quasi inexistantes, pour ne pas dire hors du réel.
Finalement, le fiasco du minimum retraite à 1200 euros est celui qui symbolise le fiasco général de cette réforme des retraites. Et maintenant, empêtrés dans un dédale de mensonges, leurs éléments de langage n’ont plus aucun sens. Au point qu’ils se félicitent de voir certaines personnes « avoir une revalorisation de leur pension minimale entre 0 et 100 euros », dixit la rapporteure de la réforme Stéphanie Rist.
Une revalorisation de zéro euro… On va s’arrêter-là. En attendant les prochaines sorties de piste macroniennes. « À bientôt. »
loïc le clerc
Minimum retraite à 1200 euros : chronique d’un accident industriel
Rien de tel qu’un Macroniste pour dire du mal de la réforme des retraites !
Lors de la matinale de France Inter, le 7 février, l’économiste Michaël Zemmour a mis en pièce le mensonge « des retraites à 1200 euros minimum », répété à satiété par les membres du gouvernement. Ce fut un vrai, et de plus en plus rare, moment de radio. Les auditeurs ont noté la promesse de Léa Salamé : « On va vérifier dans le texte du gouvernement. Parce qu’effectivement ça change la donne ! » La journaliste-vedette a, un peu, tenu sa promesse, sur France 2, samedi 11 février, autour de minuit. Elle a redonné la parole à Michaël Zemmour.
Et elle a offert une pige supplémentaire à Dominique Seux qui a resservit en temps réel les termes de langage évolutifs du gouvernement : « Une réforme des retraites, c’est un effort ». Le dîneur de l’Élysée s’est, au passage, classé lui-même parmi les « on » qui croyait au « sucré » du projet gouvernemental. Cela ne l’a pas empêché de remettre une pièce dans la machine à fake news en parlant « d’un effort supplémentaire pour à peu près tout le monde ». De temps en temps, il devrait diversifier ses sources d’information, y compris auprès de son co-débatteur du vendredi, Thomas Piketty.
Mais, au moins, a-t-il évité un pitoyable
déni comme celui du ministre Frank Riester, ou encore cette cascade sans filet d’Olivier Véran...
Mais il y a pire et peut-être encore plus significatif que ce déni : l’aveu, ce dimanche 12 février, sur France 3, du ministre Dussopt, officiellement en charge d’une réforme dont le Parlement est censé débattre en toute connaissance de cause : « Je ne peux pas vous dire exactement combien » de personnes seront concernées par la retraite minimum de 1200 euros. L’accident industriel ! Tout cela signe le dangereux mépris de la vie réelle des catégories populaires et de la démocratie par les défenseurs politiques ou journalistiques de cette réforme.
1200 EUROS POUR... PERSONNE ?
Au reste, une note de trois chercheurs de l’Institut des politiques publiques, Patrick Aubert, Carole Bonnet et Maxime Tô, parue le 9 février apporte, elle, des précisions utiles. Après lecture attentive du projet de loi du gouvernement, les auteurs confirment que l’annonce gouvernementale d’un minimum de pension à 1200 euros « ne vise pas la création d’un nouveau mécanisme de pension minimale, mais est l’illustration de la proposition d’augmenter le "minimum contributif"
(parfois appelé par l’acronyme MICO) de 100 euros. Une telle augmentation permettrait effectivement aux salariés ayant travaillé au Smic toute leur carrière d’avoir une pension à 1200 euros ». Mais eux aussi constatent que, « comme il a été souligné au cours du débat, cette situation précise ne concerne qu’un très petit nombre de personnes ».
Certes, cela ne concerne à chaque fois qu’un petit nombre de personnes. Mais ce n’est pas plus arbitraire que le cas type du salarié qui a effectué une carrière complète à plein temps au Smic.
Au total, les chercheurs estiment que « moins de 10% des nouveaux retraités sont potentiellement concernés par l’augmentation maximale de 100 euros ». Et cela ne leur garantit pas une retraite à 1200 euros. Et s’agissant des anciens retraités, les chercheurs estiment qu’une majorité des 40% bénéficiaires d’un minimum de pensions ne bénéficieraient d’aucune augmentation, sans même parler d’un minima à 1200 euros.
À la fin de leur note, les chercheurs participent au débat sur la politique souhaitable en matière de pension de retraite minimale. Question distincte, soulignent-ils, de celle du minimum
vieillesse. Il faudrait selon eux continuer de calculer les minimas de retraite en fonction de la durée de cotisations. Mais en cessant de l’aligner sur la durée des carrières complètes. On devrait sans doute aussi sortir du carcan de la revalorisation des minima contributifs et de l’enchevêtrement des conditions d’attribution des différents minima sociaux.
IL Y AURA MÊME DES PERDANTS
Non seulement la revalorisation des minima de pensions ne permettra d’atteindre les 1200 euros qu’à un petit nombre de personnes mais, en plus, il n’y aura même pas que des très petits gagnants. C’est ce que démontre à nouveau Michaël Zemmour dans son blog d’Alternatives économiques. Ceux qui perçoivent à la fois une pension retraite minimum et du minimum vieillesse ne gagneront rien. Ceux qui perçoivent en plus de leur pension minimum des aides au logement verront leur augmentation rognée. Et ceux qui perçoivent minimum retraite, minimum vieillesse et aide au logement y perdront. Il est difficile de dire avec certitude quel est le nombre de personnes effectivement concernées par ces différentes configurations. Mais selon Michaël Zemmour, « il est probable que ces cas soient de l’ordre de quelques centaines de milliers d’individus. C’est à la fois relativement peu à l’échelle de la réforme, et non négligeable si on tient compte du fait qu’il s’agit de retraités déjà très modestes ».
UNE RÉFORME CONTRE LE PEUPLE
Dans sa chronique, Thomas Piketty souligne un fait politique essentiel. Contrairement à ce qu’affirme Dominique Seux, la réforme ne changera pas la situation des cadres supérieurs. A fortiori celle des super riches. Elle nourrira au contraire pour ces derniers, la machine à profits et à rente par la baisse recherchée des coûts salariaux : « Le fait de porter l’âge légal à 64 ans n’a, par définition, aucun impact sur les plus diplômés et les cadres supérieurs : si vous avez commencé à travailler à 22 ou 23 ans, vous devez déjà cotiser 42 annuités (bientôt 43) et donc attendre 64 ou 65 ans pour avoir une retraite à taux plein. L’accélération du passage à 43 annuités va certes toucher une partie de ce groupe (uniquement les plus de 50 ans), mais beaucoup moins que les ouvriers et employés, qui ont commencé à travailler à 19 ou 20 ans : ces derniers vont aussi faire les frais du report de l’âge légal et vont avoir besoin d’avoir 44 annuités pour une retraite pleine (et parfois 45 ou plus, quoi qu’en dise le gouvernement), alors même que ce sont eux qui ont la plus faible espérance de vie et financent la retraite des cadres ». Deux notes récentes de chercheurs apportent là encore des précisions utiles. L’économiste Christine Erhel et le sociologue et statisticien Thomas Amossé ont utilisé les données des enquêtes emploi de l’Insee pour analyser la situation des travailleurs et
travailleuses « de la deuxième ligne » [1] de plus de 50 ans. Leur analyse est sans appel : les seniors de la deuxième ligne sont, le plus souvent, exclus des dispositifs de pénibilité. Ils sont nettement plus nombreux à être ni en emploi ni en retraite (26% contre 15%). Et quand elles et ils ont un emploi, celui-ci est relativement de plus en plus mal rémunéré. En 2020, ces travailleurs et travailleuses avaient été quasiment héroïsés par Emmanuel Macron. Élisabeth Borne, elle-même, avait créé une « mission d’accompagnement des partenaires sociaux dans la démarche de la reconnaissance des travailleurs de la deuxième ligne ». Aujourd’hui elles et ils seraient particulièrement victimes de leur réforme des retraites. Le statisticien Julien Blasco et le philosophe Ulysse Lojkine ont regardé de plus près les statistiques d’espérance de vie selon que l’on est homme ou femme, selon que l’on a été cadre, ouvrier ou employé. Et ils ont aussi regardé les choses en considérant l’espérance de vie en bonne santé ou pas. La réforme du gouvernement va tendre à raccourcir le temps de vie à la retraite en bonne santé.
Mais cela se fera dans l’injustice, en aggravant les inégalités sociales, et non pas « à peu près de la même façon pour tout le monde ». Parce que le recul effectif de l’âge de la retraite sera plus faible pour les cadres que pour les ouvriers et les employés. Et parce que la diminution de l’espérance de vie en
bonne santé sera proportionnellement plus importante pour les catégories populaires.
C’est ce que les auteurs appellent la double peine : les ouvriers et les ouvrières meurent plus tôt que les cadres et passent une plus grande partie de leur vie en incapacité. À 30 ans, un ouvrier n’a que 58% de chance d’’être vivant et en bonne santé à 60 ans, contre 79% de chance pour un cadre. Il peut s’attendre à vivre sans incapacité jusqu’à 62,4 ans et jusqu’à 64,7 ans si c’est une femme. Faire passer dans ces conditions l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, c’est vraiment le temps des injustices et du mépris. bernard marx
En 2017, Emmanuel Macron a proclamé l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » de son quinquennat. Cinq ans plus tard, on est toujours si loin du compte que le Président a cru bon de récidiver. L’égalité entre les femmes et les hommes est à nouveau proclamée grande cause nationale du quinquennat.
C’est dire si un projet gouvernemental de réforme des retraites qui aggraverait les inégalités femmes/hommes ferait mauvais genre. Et c’est pourquoi, la Première ministre, les ministres et les députés commis à la « pédagogie » de la contre-réforme clament partout que leur projet bénéficiera aux femmes. Avec parfois des couacs retentissants. Et toujours cette prétention insultante et dangereuse de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
LA CONTRE-RÉFORME
FAIT MAUVAIS GENRE
Le couac est venu… du rapport gouvernemental sur les objectifs et les effets du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale
transmis par le gouvernement au Parlement avec le projet de loi proprement dit. Lundi 23 janvier, le journal Les Échos explique : « L’étude d’impact anticipe un relèvement de l’âge de départ lié à la réforme de sept mois en moyenne pour les femmes, contre cinq mois pour les hommes. Les femmes nées en 1972 verront leur âge moyen de départ augmenter de neuf mois en moyenne contre cinq pour les hommes de la même génération. Pour la génération 1980, l’effort est même deux fois plus important, puisqu’elles partiraient huit mois plus tard contre quatre mois pour les hommes ».
Le même jour, le ministre Frank Riester reconnait sur Public Sénat que « les femmes sont un peu pénalisées par le report de l’âge légal ». C’est même la seule phrase compréhensible qu’il prononce sur le sujet.
Depuis, c’est le branle-bas de combat du côté de l’exécutif pour expliquer que pas du tout, qu’on a mal compris et que les femmes seront les bénéficiaires de la contre-réforme. Un vrai festival.
Et puis il y a les défenses Attal et
Dussopt... Autant dire qu’on n’aimerait pas les avoir comme avocats !
Avant de reprendre tout ce fatras d’enfumages au service d’une contre-réforme qui aggraverait toutes les inégalités face à la retraite, et notamment les inégalités entre les femmes et les hommes, une précision sur les effets de la réforme en matière de recul de l’âge de départ pour les femmes et pour les hommes. Elle est apportée par l’économiste Michaël Zemmour qui contribue avec persévérance et compétence (ici et là) à clarifier le projet du gouvernement. Pour la génération née en 1972, explique-t-il, on parle d’un décalage de 5 mois pour les hommes et 9 mois pour les femmes. Mais si on enlève les personnes non concernées par le décalage (16% en invalidité/incapacité et 22% qui partent à 67 ans), on est plutôt sur un décalage moyen (ensemble femmes et hommes) de 11 mois. « Je n’ai pas le chiffre spécifique pour les hommes concernés et les femmes concernées, explique -t-il, mais, ils sont sans doute respectivement, en moyenne, proches
Réforme des retraites : désavantager plus les femmes, c’est notre projet !
Du mal. Et toujours plus d’inégalités. Voilà donc ce que ferait la contre-réforme des retraites aux femmes. Et c’est le gouvernement qui le dit.
de 8 mois pour les hommes et 14 mois pour les femmes ». Illustration avec le cas « concret, tout simple » pris par la journaliste Fanny Guinochet sur LCP : Nathalie et Marc, nés en 1975, ont commencé leur carrière à 23 ans et ont deux enfants. Avec la réforme, Marc continuerait de partir à 66 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Nathalie ne pourrait plus la prendre à 62 ans. Elle devrait la retarder de deux ans (24 mois) pour atteindre le nouvel âge légal de 64 ans.
Cela dit, voyons ce qu’il en est du reste des affirmations ministérielles.
1. « Les femmes continueront à partir plus tôt que les hommes »
(Élisabeth Borne)
C’est doublement faux. Comme le rappelle Michaël Zemmour : « Ça fait plusieurs fois que j’entends ou lis "Les femmes continueront à partir plus tôt que les hommes". Dans quel pays ? Parce qu’en France, en 2020 les femmes partent un peu plus tard que les hommes (et la réforme va renforcer cela) ». Toutes les statistiques le montrent et tous les rapports du COR ou de la DRESS le disent : « Le taux de retraités est plus faible pour les femmes que pour les hommes à tous les âges entre 50 ans et 66 ans. En effet, les hommes partent en général plus tôt à la retraite que les femmes ». Et si le taux des femmes qui liquident leur retraite est plus élevé à 67 ans, c’est parce que les femmes sont plus nombreuses à devoir attendre cet âge pour ne plus avoir de décote. Le Conseil d’Orientation des
Retraites prévoit que, globalement, cette différence s’atténuera jusqu’à disparaitre pour la génération née en 1975. Mais, c’est sans la contreréforme macronienne. Pas avec.
2. « Les femmes seront majoritairement bénéficiaires de la revalorisation des petites pensions ». (Élisabeth Borne, Isabelle Rome, Olivier Dussopt…) Et pour plus de détails : « 38% des femmes partant à la retraite auront une pension plus élevée grâce à la hausse du minimum à 1200 euros. 1 millions de femmes verront leur pension revalorisée » (Isabelle Rome).
L’embrouille gouvernementale est totale. La hausse du minimum à 1200 euros ne figure pas dans le projet de réforme. Ce qui figure, explique à nouveau Michaël Zemmour, c’est une « revalorisation » des plus petites pensions. Mais seulement pour les pensions liquidées à taux plein (sans décote). Et donc rien pour les pensions avec décote. Pour une carrière complète, l’augmentation varierait de 1 euro à 100 euros maximum. Pour les carrières incomplètes ce serait au prorata. Au total, pour les retraités actuels la mesure concernerait un peu plus de 10% des retraités (1,8 million) pour un montant moyen de +63 euros mensuels pour les femmes et +45 euros pour les hommes. Pour les nouveaux retraités par exemple celles et ceux nés en 1962, 16% des hommes gagneraient +25 euros et 29% des femmes +38 euros. Et en plus l’âge pour percevoir la pension
serait retardé de 0 ( pour les départs à 67 ans) à 2 ans. Si bien que le total des pensions versées durant ce qui reste à vivre en bonne santé pourrait être le plus souvent inférieur, y compris pour les femmes. Au terme de la réforme, affirme Michaël Zemmour, « on aura toujours environ 25% des retraités avec une pension inférieure à 1200 euros, environ 40% des femmes et 15% des hommes ».
Ce qui serait juste et qui bénéficierait effectivement aux femmes, ce serait non pas des pièces jaunes pour les petites retraites et maintenir à 67 ans l’âge de liquidation sans décote, mais au minimum de supprimer la décote dès 62 ans pour les petites pensions.
3. « Les femmes sont désavantagées dans leurs retraites parce qu’elles ont de plus petits salaires et des carrières plus hachées. Dans la réforme on prend des mesures pour réduire ces inégalités […] Mais si on veut vraiment supprimer les inégalités (de retraites) femmes/hommes, il faut supprimer les inégalités de carrières professionnelles. Et c’est ce qu’on fait, par exemple, avec le chantier que le gouvernement a ouvert sur le service public de la petite enfance. » (Gabriel Attal)
Il est indiscutable que les femmes ont, plus que les hommes, des carrières incomplètes, des salaires plus faibles, du travail à temps partiel. Ces inégalités ont la vie dure. Elles se réduisent très insuffisamment et ont un impact majeur sur les inégalités femmes/ hommes en matière de
retraite. Le système de retraite est redistributif avec des dispositifs comme les pensions de réversion, les minima de pensions, les majorations d’assurances au titre des enfants, les retraites anticipées pour handicaps, incapacité, ou carrières longues, les trimestres pour chômage, maternité… Ces mécanismes contribuent à réduire les inégalités de pensions entre femmes et hommes par rapport aux inégalités de revenus perçus pendant la vie professionnelle.
Mais, explique l’économiste statisticien Patrick Aubert, d’autres mécanismes comme le calcul annualisé et sur les 25 meilleures années ou les conditions d’obtention du taux plein contribuent à dégrader la situation relative des femmes à plus faible pension. Elles retardent l’âge de liquidation de leurs retraites, augmentent la proportion des femmes sans emploi ni retraite en fin de carrière, et dégradent le taux de remplacement de leur pension de droit direct. Elles n’améliorent que la situation des femmes à plus haute pension.
Et au total, la retraite amplifie encore les inégalités de salaires : les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22% à ceux des hommes, mais les femmes continuent de partir en retraite avec en moyenne des pensions de droit direct inférieures de 30% à celles des hommes. Et la proportion des femmes ayant des pensions de retraite misérables est plus forte. Fin 2016, 40% des retraitées percevaient une pension de droit direct inférieure à 1000 euros.
La contre-réforme du gouvernement ne va pas réduire mais aggraver ces inégalités, comme l’explique Christiane Marty, ingénieure, féministe, d’Attac. Le recul de l’âge de la retraite « signifiera une prolongation de la situation précaire que vivent de nombreuses personnes – parmi elles, une majorité de femmes – entre la fin de l’emploi et la liquidation de la retraite ». Et une augmentation de leur nombre. L’allongement rapide de la durée de cotisation va lui aussi générer une augmentation des décotes et plus de recul à 67 ans pour ne pas être pénalisé. Et cela concernera davantage les femmes que les hommes.
Bien sûr que, si on veut supprimer les inégalités de retraites femmes/ hommes, il faut supprimer les inégalités de carrières professionnelles. Voilà une idée qu’elle est bonne. Elle est même si bonne que le gouvernement devrait commencer par là. Par là et par d’autres choses encore comme la formation et l’emploi des jeunes, l’amélioration de l’emploi des seniors et l’emploi à temps plein pour toutes celles et ceux qui subissent le temps partiel. Et aussi de « rendre le travail soutenable ».
Parce que dans l’immédiat, le système des retraites n’est pas menacé. Et parce qu’au contraire, ce sont ces changements-là qui sont urgents y compris pour équilibrer dans la durée le système des retraites. Par exemple, s’agissant justement de la petite enfance. Partout en France le secteur passe de défaillant à en crise. Il faudrait, non pas un enfumage de
belles paroles et de faibles moyens, mais un vrai plan d’urgence. Pour le bien des enfants et pas seulement pour que les femmes puissent travailler davantage.
On l’aura compris, les promoteurs de la contre-réforme prennent vraiment les femmes (et les hommes) pour des imbéciles. À vouloir la défendre à coups de faits quasi-alternatifs, ils sont dangereux pour la démocratie.
loïc le clerc
« L’objectif est de consolider nos régimes de retraite par répartition, qui, sans cela, serait menacé ». L’affaire est grave, nous dit Emmanuel Macron. Si sa réforme des retraites se voyait empêchée, c’est tout le système hérité du Conseil national de la Résistance (CNR) qui sombrerait. Et, qui sait, la France avec ? Fort heureusement, Jean Moulin et Charles de Gaulle ont trouvé celui qui allait sauver leur héritage. N’en jetez plus ! Bon, vous pouvez ranger vos mouchoirs, tout ceci n’est qu’une fiction, écrite de la main du président de la République qui n’est, comme chacun sait depuis (au moins) 2017, ni un politicien « trop intelligent », ni un homme « trop subtil »
Concernant cette histoire de système de retraites en faillite, nous avons déjà écrit plusieurs articles pour démonter l’argumentaire du gouvernement –que vous pouvez retrouver ici, çà et là (et même ici). On peut aussi
écouter le président du COR, PierreLouis Bras, qui a une analyse de son rapport bien dissonante de celle des Macronistes…
RÉFORMER LES RETRAITES, MAIS PAS POUR LES RETRAITES
En réalité, nul besoin d’une réforme des retraites pour financer un déficit intenable à venir. Non, l’exécutif veut réformer pour d’autres raisons. Le diable est dans les détails et des « détails » sur ce sujet, la Macronie nous en a servi à la pelle. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles.
● juin 2022. Olivier Véran, porteparole du gouvernement : « Réformer les retraites est nécessaire pour financer davantage de services publics ».
● juillet 2022. Programme de stabilité de la France 2022-2027 du gouvernement transmis à Bruxelles : « La maîtrise des dépenses publiques
repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment comme le Président de la République s’y est engagé au cours de la campagne électorale. »
● septembre 2022. Bruno Le Maire : « Il faut bien financer nos hôpitaux, nos collèges, nos lycées, nos universités, et c’est la réforme des retraites qui permettra de garantir ce financement ».
● septembre 2022. Projet de loi de finances pour 2023, page 11.
PAYER L’ADDITION DES CADEAUX FAITS AUX RICHES
Pour le dire comme l’économiste Philippe Aghion, qui peut difficilement passer pour le porte-parole de la CGT ou de LFI, cette réforme « revient à opérer un transfert de revenus des catégories les moins favorisées, à espérance de vie plus faible, vers les couches les plus aisées ». Pas exactement la définition d’un « progrès
Travailler plus pour ne pas faire payer les plus riches : voilà pourquoi Macron veut réformer les retraites
C’est pas nous, c’est le gouvernement qui le dit !
social » pourtant annoncé par la Première ministre.
La députée communiste Elsa Faucillon résume la situation en une phrase : « Ce n’est pas le système des retraites que veut sauver le gouvernement, mais leur système du tout profit ». Car l’État offre déjà chaque année 157 milliards d’euros d’aide aux entreprises sans contrepartie et, en 2023, il envisage de supprimer la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) qui fait entrer dans les caisses chaque année 8 milliards d’euros. Que faire alors ? Prendre l’argent là où il est ? En effet, comme l’a calculé Oxfam, en imposant à hauteur de 2% la fortune des 42 milliardaires français, on récolte 12 milliards d’euros. Une idée qui n’est pas du genre à plaire à Bruno Le Maire. « On ne finance pas le système des retraites en taxant le capital mais grâce à des cotisations prélevées sur ceux qui travaille »…
« Taxer les plus riches, ça ne fonctionne pas », avance Aurore Bergé, la cheffe des députés-marcheurs. Really ? À
quoi bon, Bruno Le Maire, conserver plus longtemps les cotisations salariales et… patronales ? Que dire, Aurore Bergé, de l’exemple américain sous Roosevelt ?
Trouver des sous, quand il le veut vraiment, Emmanuel Macron n’en éprouve aucune difficulté. De « l’argent magique », y’en a partout ! Mais pas question de remettre en cause sa propre politique, celle-là même qui exonère les plus riches de toute forme
d’impôt, celle-là même qui crée tant de trous dans la raquette. Voilà pourquoi nous allons tous travailler plus et plus longtemps, sans contrepartie.
loïc le clerc
LA NATALITÉ EST POLITIQUE
2100, une planète surpeuplée ou une terre de vieux
Quand la démographie s’affole...
Quelle sera la population mondiale en 2100 ? La question n’est pas anodine, en particulier si on s’interroge sur ce que sera la pression de l’humanité sur la planète. À l’évidence, l’empreinte d’une population de quatre, huit ou onze milliards d’êtres humains n’est pas exactement la même. Ces trois chiffres ne sont pas le fruit du hasard, 8 milliards correspond à la population mondiale actuelle, ce chiffre a été atteint en novembre 2022, le 15 de ce mois pour être précis, nous indique l’ONU. 10,5 voire 11 milliards relève du scénario moyen des projections réalisées pour 2100 par les Nations Unies (voir la courbe ci-dessous). 4 milliards est aussi une projection pour 2100 mais cette fois-ci dans le cadre d’une étude de HSBC. Et là, évidemment on est un peu saisi de vertiges devant la disparité de ces deux estimations. Dans un cas, la population mondiale à la fin du siècle serait la moitié de celle d’aujourd’hui, dans l’autre, la Terre compterait presque 3 milliards d’individus supplémentaires par rapport à 2022. Une marge d’interprétation à 7 milliards d’individus, ça fait beaucoup. Les études démographiques à l’horizon 2100 relèvent d’une opération à
?
hauts risques où il faut envisager la dynamique de populations aux trajectoires fort diverses.
L’évolution de cette population mondiale repose, pour l’essentiel, sur deux critères : le taux de fécondité et l’espérance de vie. Par la force des choses, les migrations, si elles peuvent avoir un impact à l’échelle d’une région ou d’un pays, n’ont aucun effet à l’échelle de la planète.
L’ESPÉRANCE DE VIE
Dès lors qu’il y a allongement de la durée de vie, mécaniquement, la population s’accroit. En 2019, l’espérance moyenne de vie à la naissance était estimée à 72,9 ans et pourrait monter à 77,2 ans d’ici à 2050. Pour l’essentiel, les avancées sont le produit d’une baisse de la mortalité infantile mais restent à la merci de regain d’épisodes épidémiques ou d’une éventuelle pénurie de médicaments. Il existe bien sûr des aléas par nature imprévisibles, mais dans l’ensemble ces données sont, d’une part, assez fiables et, d’autre part, arrivent à un plafond qui ne peux plus guère évoluer si ce n’est à la marge. Quelque soit le scénario retenu, 4 ou 11 milliards en 2100, il n’y a pas de différence d’ap-
proches en ce qui concerne l’espérance de vie.
LE TAUX DE REMPLACEMENT
Avec le taux de fécondité, c’est une toute autre affaire. Le chiffre est assez connu, on estime que le taux de remplacement, c’est-à-dire le nombre d’enfants que doit avoir une femme au cours de sa vie pour que la population reste constante, est de l’ordre de 2,1. Attention, ce chiffre est valable pour les pays développés. Dans un pays moins développé, ce taux de remplacement peut monter à 2,3 voire plus. « Ce 0,1 ou 0,3 supplémentaire est dû au fait que le remplacement est impossible si un individu ne vit pas jusqu’à la fin de ses années de reproduction et n’a pas ses propres enfants ; ce supplément est donc ajouté par couple pour tenir compte du décès ou de l’infertilité à l’âge adulte ».
Cette question de la fertilité a pris une plus grande acuité ces dernières années avec une série d’études qui montrent un très net déclin de la fertilité notamment masculine. Une première étude de 2017 l’avait déjà montrée mais l’étude ne portait que sur des populations d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Australie. Une étude plus
récente, réalisée cette fois à l’échelle de la planète, est arrivée à la même conclusion et il semble que la tendance soit en train de s’accélérer [2].
LE TAUX DE FÉCONDITÉ
Prenons donc le chiffre de 2,1 comme taux de remplacement. Selon l’ONU, en 2021 le taux était de 2,3 et devrait passer à 2,1 d’ici à 2050. C’est-à-dire que dès le milieu de ce siècle, nous aurons atteint une situation de stabilité. L’augmentation de population qui apparaît sur la courbe entre 2050 et un pic attendu autour de 2080 n’est que le produit de l’inertie démographique.
L’étude produite par les chercheurs de l’HSBC global research prend comme hypothèse une accélération de la baisse de la fécondité. Le pic de population ne serait pas atteint vers les années 2080 comme le projette l’ONU mais dès les années 20402045, la population mondiale commençant à décroître ensuite. Or il semble bien que cette éventualité soit au moins partiellement validée par un ensemble de données nouvelles. Dans une interview au journal Le Monde, la démographe Isabelle Attané déclare : « Selon le scénario moyen sur lequel se fondent la plupart
des analystes, la population chinoise aurait dû commencer à décliner vers 2030. En revanche, si l’on regarde l’hypothèse basse, donc la plus pessimiste en termes de niveau de fécondité, cette baisse était prévue dès le début des années 2020 ». La baisse de la population chinoise en 2022 s’est élevée à 850.000 personnes avec un taux de fécondité à seulement 1,15 en 2021, et encore en régression en 2022 à 1,08. Selon l’ONU et sur la base d’un taux qui remonterait à 1,5 (on en est très loin) la population chinoise pourrait n’être que de 788 millions à la fin du siècle (contre 1,412 milliard aujourd’hui) et même de seulement 587 millions selon l’Académie des sciences de Shangaï ici.
À la réalité démographique chinoise s’ajoute celle du Japon, passé de 128 millions d’habitants en 2010 à 126 millions en 2020 et un taux de fécondité de 1,34. Et que dire de la Corée du Sud qui avec un 0,84 enfant par femme détient le record de la dénatalité…
Au-delà de ces cas très particuliers, tous les éléments semblent indiquer que l’indice de fécondité baisse bien plus vite que ce qui avait été envisagé, il y a encore quelques années. Ainsi
l’Indonésie et ses 270 millions d’habitants a vu son indice de fécondité tomber à 2,04 en 2021, l’Iran est à 1,71 (moins que la France).
Une prévision n’est pas une prédiction, il faudra donc être attentif aux différentes données démographiques des années à venir. Mais l’hypothèse d’une population mondiale en décrue à partir du milieu de ce siècle s’appuie sur des éléments solides. Une terre surpeuplée en 2100 ? Rien n’est moins sûr. Une terre de vieux ? C’est bien possible.
guillaume liégard
Réforme des retraites : que valent les arguments démographiques ?
Comment contrer les erreurs et contre-vérités démographiques avancées, par ignorance ou non, pour justifier la réforme ? C’est d’autant plus facile que ces arguments ont l’immense avantage de ne pas correspondre à la réalité de notre pays : encore faut-il le savoir. Éric Le Bourg, spécialiste en biologie du vieillissement, donne ici toutes les clés.
À chaque réforme des retraites, le gouvernement en place fait appel à des arguments démographiques parce que, contrairement aux arguments économiques, toujours contestables, la démographie semble s’imposer à nous : si on peut moduler immédiatement les cotisations sociales, on ne peut pas augmenter le nombre d’enfants, et donc de cotisants futurs, ou diminuer le nombre de personnes âgées, et donc de retraités. De fait, les dirigeants et militants syndicaux peuvent être désarmés face à ces arguments, comme dans un débat télévisé le 25 octobre 2010, quand le ministre Christian Estrosi affirmait aux secrétaires généraux de la CFDT et de la CGT, qui ne savaient que répondre, que « dans 30 ans les Français vivront 100 ans » – alors que l’Insee ne l’a jamais envisagé, y compris dans les scénarios les plus improbables.
Emmanuel Macron a remis le
problème des retraites dans l’actualité en proposant de porter l’âge légal de départ à 65 ans au lieu de 62, à raison d’une augmentation de quatre mois par an. Depuis lors, le projet a été précisé et envisage un report à 64 ans. Cela rend nécessaire de s’interroger sur la pertinence des arguments démographiques avancés pour justifier une augmentation de l’âge légal. Plusieurs réformes ont été entreprises après celle du gouvernement Balladur en 1993. Ces réformes ont contribué à diminuer les revenus des retraités ou à retarder l’âge de départ, entre autres par l’augmentation du nombre d’années cotisées pour une retraite à taux plein, l’augmentation de l’âge légal de départ, l’indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, et finalement leur sous-indexation. Depuis 1993, chaque réforme a été présentée comme indispensable. Se basant sur la même justification,
le président de la République veut augmenter l’âge légal de départ, alors que la réforme Touraine de 2014, en cours jusqu’en 2035, augmente déjà le nombre d’années nécessaires pour avoir une retraite à taux plein (43 pour la génération 1973), et donc l’âge effectif de départ (62,2 ans en 2019 contre 60,5 en 2010). L’observateur rationnel pourrait donc penser que ces réformes successives sont justifiées par la dégradation permanente, voire imprévisible, de la situation démographique car, si elle était prévisible, on aurait fait une fois pour toutes la réforme indispensable. Le même observateur, toujours rationnel, conclurait probablement que, en l’absence d’une telle dégradation, il n’y a pas nécessité de nouvelles réformes.
Les arguments démographiques sont généralement les suivants :
● du fait des nombreuses générations
du baby-boom, le nombre de retraités augmente fortement, alors que le nombre de cotisants ne suit pas la même tendance, ce qui dégrade le rapport actifs/retraités ; l’espérance de vie augmente régulièrement, ce qui augmente le temps de retraite ;
● la fécondité diminuant depuis des années, il y a et il y aura de moins en moins de cotisants.
● cette situation générale s’aggraverait en permanence, même après la disparition des générations du baby-boom parce que l’espérance de vie est continuellement en hausse et la fécondité continuellement en baisse ;
● tout ceci ferait que le paiement des retraites ne serait plus possible à moins de procéder tous les cinq ans à une réforme durcissant les conditions de départ, comme cela a été fait jusqu’ici.
Quelle est la pertinence de ces arguments démographiques ?
L’Insee publie régulièrement des projections d’espérance de vie, de fécondité et de solde migratoire, avec des hypothèses « basse », « centrale » et « haute », la projection centrale étant le plus souvent retenue, en particulier par le Conseil d’orientation des retraites (COR). Les projections centrales d’espérance de vie des projections
2007-2060 et 2013-2070 se sont révélées trop optimistes par rapport à ce qui a été observé jusqu’ici, en particulier pour les femmes. L’Insee a
donc revu ses hypothèses et les valeurs d’espérance de vie de la nouvelle projection 2021-2070 sont plus basses que celles de la projection 2013-2070 : la nouvelle projection haute est en fait l’ancienne projection centrale de 20132070 et la nouvelle projection centrale est l’ancienne basse. Le COR a retenu en 2021 la projection d’espérance de vie basse de l’Insee de 2013 à 2070, et non plus la projection centrale, et privilégie depuis sa réunion d’avril 2022 la nouvelle projection centrale de 2021 à 2070. Curieusement, le COR dans son rapport de septembre 2022 n’envisage, page 114, que deux variantes de fécondité et d’espérance de vie : une fécondité de l’année plus basse – indice conjoncturel de fécondité (ICF) de 1,6 enfant par femme – et une espérance de vie plus haute, mais pas les autres hypothèses. Depuis 1920, un ICF de 1,6 n’a jamais été observé en France et une espérance de vie plus haute que l’hypothèse centrale n’est jamais non plus observée. On peut donc s’interroger sur les raisons de la considération de ces hypothèses plutôt que d’envisager une fécondité plus haute (ICF de deux enfants, observé par exemple de 2008 à 2012) et une espérance de vie plus basse, hypothèses plus probables. Dans ce qui suit, la projection de l’Insee de 2021 à 2070 sera utilisée dans sa version « fécondité centrale », « solde migratoire central », « espérance de vie basse », parce que cette dernière hypothèse semble plus en accord avec ce qui est observé depuis quelques années, caractérisées
par une stagnation ou des oscillations de l’espérance de vie des femmes.
LES GÉNÉRATIONS
DU BABY-BOOM
VONT-ELLES RUINER
LA FRANCE ?
La période du baby-boom en France, qui se termine vers 1970, a abouti de nos jours à des cohortes nombreuses de personnes arrivées ou arrivant à l’âge de la retraite. Ceci implique que le rapport de dépendance démographique, la proportion des personnes de plus de 65 ans sur celles de 20 à 64 ans, augmente. Cette dépendance accrue est souvent présentée comme rendant inévitables de nouvelles réformes des retraites. Toutefois, ce rapport ignore les autres inactifs, c’est-à-dire les jeunes de moins de 20 ans. Le rapport tenant compte des jeunes est lui-même imparfait – des jeunes de moins de 20 ans sont en emploi – mais il donne une meilleure approximation de la « charge » des actifs. La borne des 65 ans semble pertinente, l’âge légal de départ à la retraite ayant été de 65 ans jusqu’en 1983 et l’âge effectif de départ se rapprochant peu à peu de cette valeur.
Quoi qu’il en soit, la situation des années 1960, caractérisée par un grand nombre de jeunes du babyboom, et celle d’aujourd’hui due au passage à l’âge de la retraite de ces mêmes générations, ont été parfaitement soutenables : les jeunes du baby-boom ont été élevés par les
familles et la remontée du taux de dépendance depuis 2010, tout aussi rapide que sa chute après 1967, ne pose pas de problème pour payer les retraites.
Peut-on dès lors considérer qu’après 2033 ce qui était possible en 1967 ne le serait plus et que la faillite guetterait soudainement le pays ? Les projections des coûts des pensions de retraite réalisées régulièrement par le COR ne l’indiquent pas puisque, dans le cadre de la législation actuelle, le coût des retraites devrait baisser dans les décennies à venir. En somme, le paiement des pensions de retraites des générations nombreuses du baby-boom semble maîtrisable. Ces générations passées, le rapport de dépendance baissera, comme l’indique la figure 1, avec toutes les incertitudes sur des projections à 50 ans. Il faut noter que le rapport de dépendance va augmenter dans les années qui viennent, aussi parce que le nombre de naissances va augmenter à cause de l’arrivée à l’âge de fécondité des générations nombreuses nées
après 1995 (voir ci-dessous). En résumé, avoir plus de retraités du fait du baby-boom depuis une quinzaine d’années n’a pas signifié la faillite de notre système de retraite et rien ne permet de dire que cela va changer dans les années qui viennent.
L’AUGMENTATION DE L’ESPÉRANCE DE VIE VA-T-ELLE SE POURSUIVRE ?
L’article 5 de la loi Fillon de 2003 indique que « la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d’une pension civile ou militaire de retraite [...] évoluent de manière à maintenir constant, jusqu’en 2020, le rapport constaté, à la date de publication de la présente loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite » (la loi de 2014 ramènera cette date à 2017). En somme, si l’espérance de vie augmente, « la durée d’assurance nécessaire » pour avoir une retraite à taux plein doit augmenter en parallèle
et cette logique a été rappelée par Éric Woerth dans Le Journal du Dimanche du 13 mars 2022 pour justifier une nouvelle augmentation de l’âge légal de départ : le système de répartition « exige d’augmenter l’âge de départ à la retraite en fonction de la durée de vie » (voir d’autres déclarations similaires ici).
Depuis la loi Fillon de 2003, les perspectives d’augmentation de l’espérance de vie ont bien changé. Il y a maintenant bien plus de personnes très âgées, et donc très fragiles. L’espérance de vie se rapprochant de la longévité maximale (110 ans, si on excepte quelques très rares personnes), son augmentation annuelle est de plus en plus faible alors que ces grands vieillards résistent mal aux épidémies hivernales, à la canicule, sans même parler du coronavirus. De fait, l’espérance de vie des femmes tend à stagner ou à diminuer ces dernières années, et la projection basse d’espérance de vie de l’Insee de 2021-2070 fait l’hypothèse d’une faible augmentation d’ici 2070 (figure
2). Les hommes ont une mortalité plus importante aux âges jeunes que les femmes et donc plus de marge de diminution de cette mortalité : on peut estimer que leur espérance de vie devrait continuer à augmenter (figure 2).
Pour tout dire, si on observe pour les femmes et les hommes une augmentation de l’espérance de vie de trois mois par an sur la période 1962-2010, elle n’est plus que de 28 jours par an entre 2011 et 2022 pour les hommes et de 11 jours par an pour les femmes. L’augmentation n’étant pas statistiquement significative pour les femmes, on peut tout aussi bien dire que leur espérance de vie n’a pas augmenté de 2011 à 2022. Dans ces conditions, le plus probable n’est plus une progression continue de l’espérance de vie – au moins chez les femmes – justifiant, selon la loi Fillon de 2003, une augmentation de l’âge légal de départ ou de la durée de cotisation nécessaire pour avoir droit à une retraite au taux plein. Dans la logique même de la loi Fillon, il faudrait peut-être se préparer à un gel de cette durée, voire à une diminution en cas de baisse de l’espérance de vie, et la pertinence d’augmenter l’âge légal de départ interroge.
UNE FÉCONDITÉ EN BERNE ?
La crainte de la dénatalité en France n’est pas nouvelle. De temps à autre, des responsables politiques
s’en inquiètent, comme le groupe parlementaire Les Républicains qui a déposé en 2021 la proposition de loi « pour relancer la natalité en France », ou le Haut-commissariat au Plan. Ces craintes sont sans objet, puisqu’au cours de leur vie les femmes ont en moyenne plus de deux enfants (femmes nées en 1950, 1960, 1970, 1980 : 2,12 ; 2,12 ; 2,01 ; 2,05).
Toutefois, l’indice conjoncturel de fécondité (ICF), qui additionne pour une année, par exemple 2020, les taux de fécondité par âge et permet de connaître le nombre d’enfants qu’ont eus, en 2020, les femmes en âge de procréer, montre des variations d’une année à l’autre (par exemple, 1,68 en 1994 et 2,03 en 2010), parce que la fécondité annuelle est la décision des couples. De ce fait, on observe une fourchette de 65.000 naissances autour d’une moyenne de 790.000 depuis 1970.
Du fait des variations annuelles du nombre de naissances, on observe environ 30 ans plus tard une nouvelle variation de ce nombre puisque, à fécondité égale, il dépendra du nombre de femmes en âge de procréer. Depuis quelques années, le nombre de naissances a baissé, en relation avec la baisse de ce nombre de 1980 à 1995, environ, comme le montre la figure 3. L’Insee a projeté le nombre de naissances de 2021 à 2070 selon un scénario de fécondité centrale (ICF de 1,8 enfant par femme après 2022) ou haute (2 enfants
après 2029). Si, de 1982 à 2001, l’ICF était en moyenne de 1,79, il était de 1,94 de 2002 à 2021, ce qui permet de penser que les résultats observés dans les années qui viennent seront plus proches de l’hypothèse de fécondité haute que de celle de fécondité centrale, d’autant plus que le nombre de naissances en 2021 est supérieur de 22.000 à ce qui était projeté par l’Insee pour cette année (742.000 au lieu de 720.000), et d’au moins 8000 en 2022 (725.000 au lieu de 717.000, mais les données de 2022 sont encore provisoires). La figure 3 montre que le nombre de naissances va augmenter jusque vers 2040, quel que soit le scénario, le plus probablement avec un nombre de naissances similaire à ce qui est observé depuis 50 ans. En somme, la dénatalité n’existe pas en France, et il n’y a pas lieu de s’inquiéter du nombre futur de cotisants aux régimes de retraite.
UNE POPULATION ACTIVE DÉCLINANTE APRÈS 2040 ?
L’Insee a publié en juillet 2022 [3] des projections de la population active jusqu’en 2070 en se basant sur le seul scénario central des projections démographiques 2021-2070. Contrairement aux projections de 2017, l’Insee prévoit maintenant une baisse de la population active après 2040, ce qui a pu donner lieu à des commentaires soutenant la nécessité d’une nouvelle réforme des retraites.
Cette baisse est liée à l’évolution des projections démographiques de l’Insee entre les deux dates, mais il a été dit précédemment que l’hypothèse de fécondité centrale est peut-être trop faible et celle d’espérance de vie centrale trop élevée. Si l’Insee n’a pas publié les résultats d’autres scénarios, il est cependant possible d’effectuer les calculs, en particulier avec le scénario d’espérance de vie basse et de fécondité haute, plus vraisemblable. La figure 4 montre que cela aboutit à une augmentation de la population active après 2040, résultat d’une fécondité plus forte. Il est vraisemblable que la taille de la population active se situera entre l’hypothèse centrale de l’Insee et celle-ci : une baisse de la population active après 2040 n’est probablement pas le scénario le plus crédible.
CONCLUSIONS
Faut-il faire une nouvelle réforme des retraites augmentant l’âge légal de départ, ou durcissant par d’autres mesures les conditions de départ ?
C’est une décision politique qui, pour être acceptée par ceux qui vont la subir, doit être justifiée. Si elle est mise en œuvre pour une raison idéologique, comme la volonté de diminuer le coût des pensions à tout prix, et ceci que les régimes de retraite soient globalement à l’équilibre ou pas, il est peu probable que les salariés l’acceptent. Il faut donc justifier une telle réforme par des arguments qui emportent l’adhésion. Les arguments démographiques sont
dans ce cadre toujours utilisés pour plusieurs raisons. La première est que la population n’a généralement pas les moyens de vérifier leur pertinence. La deuxième est que les responsables politiques et syndicaux, eux-mêmes, sont souvent dans l’incapacité de le faire et propagent parfois des énormités, pas toujours de mauvaise foi. La troisième raison est que les données démographiques semblent échapper à notre contrôle : on ne peut guère augmenter notre espérance de vie ou la fécondité par une simple décision administrative ou politique, ou diminuer le nombre de retraités. Comme le temps qu’il fait, les contraintes démographiques semblent s’imposer à tous.
La bonne nouvelle est que ces contraintes démographiques ne posent aucun problème insoluble pour le paiement des pensions, même si le nombre de personnes âgées augmente grâce aux progrès médicaux et sociaux. Les cohortes nombreuses du baby-boom partent à la retraite depuis 15 ans : les pensions sont payées. La dernière génération du baby-boom, celle de 1973, a 50 ans, et rien ne permet de penser que ses pensions ne seront pas payées. Nos contemporains vivent plus longtemps que durant les décennies précédentes, mais cette progression de l’espérance de vie diminue, voire s’arrête, en particulier parce que nous nous rapprochons des limites de la longévité : l’immense majorité des Français ne sera pas centenaire et la
France ne sera pas submergée par des bataillons de Jeanne Calment. Le nombre de cotisants aux régimes de retraite ne va pas s’écrouler, la France étant un des pays les plus féconds d’Europe : il n’y a pas de dénatalité. En résumé, les arguments démographiques faisant craindre le non-paiement des retraites – trop de retraités du baby-boom, une durée de vie qui augmente tout le temps, une fécondité en baisse constante, et donc un nombre de cotisants qui s’écroule – ne correspondent pas à la réalité et sont propagés par ignorance, incompétence, voire mauvaise foi. À moins de vouloir tromper l’opinion publique, il est nécessaire d’avancer d’autres arguments pour justifier un nouveau durcissement des conditions de départ en retraite.
éric le bourg Chercheur retraité du CNRS, depuis août 2022, en biologie du vieillissement.
Emploi, retraites : le RN, LR et le Medef veulent mettre les femmes en cloque
Pendant que vous pensez réforme des retraites, d’autres ont déjà l’esprit ailleurs : dans vos utérus mesdames !
C’est une petite musique qui monte, doucement, tranquillement. Une mélodie qui fait le lien entre la réforme des retraites et le projet de loi Immigration – ce dernier devrait être examiné par les parlementaires au printemps – : Françaises, faites des mioches !
D’un côté, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, se dit, le 19 février, « passionné » par le sujet. Pour pallier, selon lui, un avenir où il y aurait de moins en moins de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail et, en même temps, de plus en plus de vieux qui partent en retraite, il a une solution toute simple : « Si on faisait plus d’enfants en France, on réglerait le problème assez facilement. »
De l’autre côté, on a l’extrême droite, qui ajoute sa petite touche nationaliste pour résoudre un éventuel problème de main d’oeuvre. Voyez Sébastien
Chenu, le 13 février : « Moi je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe. [...] Pour
assurer la perpétuité de la civilisation et de la population française. Qu’on ait plus de petits français demain plutôt que d’ouvrir les vannes et de voir l’immigration comme un projet de peuplement. »
Notez le vocabulaire pour le moins étonnant de la marchandise, alors que l’on parle d’êtres humains. Notez aussi le lien direct fait entre « civilisation » et « population française », synonymes dans la pensée du vice-président du RN.
### interlude technique ###
Sébastien Chenu veut que l’on prenne exemple sur l’Allemagne, l’Italie ou encore la Hongrie… alors même que la France est le pays de l’UE où le taux de fécondité est le plus élevé ! Mieux, dans les deux premiers cas, les natalités allemande et italienne font partie des plus déclinantes au monde, quant à la Hongrie, on pourrait en effet dire que sa volonté nataliste fonctionne, mais elle va de
pair avec une politique nationaliste et réactionnaire sur l’avortement, et les droits des femmes en général, qui n’a pas son pareil en Europe. Or, si le taux de fécondité hongrois est passé de 1,2 à 1,55 enfant par femme en dix ans, il semble avoir atteint un plafond. Par ailleurs, les principaux problèmes démographiques de la Hongrie restent l’émigration et la mortalité. Comme on lit sur franceinfo : « Un million de Hongrois ont quitté le pays. Des Hongrois partis pour chercher un job mieux payé dans l’Europe de l’Ouest, ou pour échapper au régime autoritaire de Viktor Orban ». Le rêve du RN ?
### fin de l’interlude technique ###
Un peu plus loin à l’extrême droite, on trouve également cette rhétorique dans les tweet de Damien Rieu, ici et là :
« Qui va payer les saintes retraites par répartition si vous ne faites pas d’enfants ? »
Même la députée macroniste Prisca Thévenot y est allée de bon cœur : « Voilà que vous sortez de votre grotte pour raviver non pas vos vieux démons mais vos démons actuels. [Selon vous,] il y a un problème, c’est les femmes. Merci pour vos leçons, mais on passera. » Mais il est important de préciser qu’elle s’adressait au RN, pas à Gabriel Attal…
Sur Twitter, l’historienne Mathilde Larrère s’inquiète : « Ce n’est pas neuf, c’était dans le programme de Marine Le Pen dans les deux dernières élections présidentielles. Ce sont des idées qu’on trouvait défendue par l’extrême droite dans les années 30 et sous Vichy [...] quand ces idées s’imposent, on sait ce que ça entraîne : des mesures anti-IVG. Et ne nous pensons pas à l’abri en France. (Ce d’autant qu’on ne le rappellera jamais assez, les mesures anti IVG ne diminuent pas le nombre d’IVG, mais les rendent très dangereuses pour les femmes) ».
Sur Regards, la semaine dernière, Éric Le Bourg, spécialiste en biologie du vieillissement, écrivait justement ceci : « La dénatalité n’existe pas en France, et il n’y a pas lieu de s’inquiéter du nombre futur de cotisants aux régimes de retraite. » Mais la politique n’est pas affaire d’experts…
Vous pensiez que la réforme des retraites allait pénaliser un peu plus les femmes ? Vous n’êtes pas prêts pour la suite !
« Délibérément choisir de ne pas avoir d’enfants quand on en a la possibilité est plus qu’un caprice égoïste et bourgeois, c’est une faute morale qui
conduit au suicide de la civilisation dont vous profitez, grâce au efforts et sacrifices de vos ancêtres. »
Le débat sur la natalité s’est même invité dans l’hémicycle, lors des débats sur la réforme des retraites, les LR proposant de « baisser le taux de CSG sur les revenus d’activités des mères de famille » en fonction du nombre d’enfants à charge. Amendement rejeté par le gouvernement, mais le ministre Gabriel Attal a tout de même assuré être « en ligne avec vous sur les objectifs ». Tiens, vous n’avez rien remarqué d’étrange ? Que des hommes. Que des hommes pour discuter natalité… Étrange, étrange…
À l’Assemblée, la députée écologiste Sandrine Rousseau s’en est sérieusement agacée : « Un conseil : lâchez nos utérus ! Si vous souhaitez aider les femmes, faites l’égalité salariale, le congé paternité équivalent au congé maternité. Laissez partir les femmes avant 64 ans avec les trimestres acquis. Retirez votre réforme ! Nos ventres ne sont pas la variable d’ajustement de votre réforme des retraites. » loïc le clerc
La retraite à 72 ans ? Certains y pensent sérieusement...
Le cabinet de conseil de Nicolas Bouzou bouleverse la science : demain, Homo Sapiens vivra jusqu’à 140 ans ! Alors, la réforme des retraites de Macron et Borne, c’est si peu de choses... Décryptage d’Éric Le Bourg, chercheur retraité du CNRS en biologie du vieillissement.
Les cabinets de conseil, chers à nos gouvernants (et encore plus aux contribuables), ont pour mission de fournir des études de haute qualité. On s’attend donc à la rigueur d’analyse, de calcul, de contrôle des sources, etc. Le cabinet Astérès a ainsi publié une étude sur les technologies antivieillissement. Étude qui vaut son pesant de cacahuètes ! Que nous dit cette étude ? Se basant sur des expériences chez les souris, « Asterès retient l’hypothèse d’un gain d’espérance de vie à horizon 2070 semblable aux résultats de l’expérience de Jaijyan et al. », soit +41%. Astérès « considère qu’il faut compter 7 ans avant de réaliser de premières expériences sur des êtres humains […], 15 ans pour compléter la phase d’essais cliniques […] et 10 ans en moyenne pour la diffusion du traitement », soit un total de 32 ans avant les applications cliniques. Puis, Astérès redessine la pyramide des âges en 2070 : « Les personnes âgées de 111 ans à 119
auraient ainsi autant de chances de décéder que les personnes âgées de 80 à 89 ans aujourd’hui et les personnes âgées de 120 ans ou plus auraient autant de chances de décéder que les personnes âgées de 90 à 110 ans aujourd’hui ». Enfin, « certaines personnes atteindraient 140 ans en 2090 ».
Tout ceci est-il sérieux ? En particulier, des personnes âgées aujourd’hui d’environ 75 ans bénéficieraient donc des applications cliniques d’ici une trentaine d’années, à l’âge d’environ 105 ans, puis atteindraient les 140 ans vers 2090. Pour que des personnes âgées de 105 ans, qui sont rares, atteignent les 140 ans, il faut probablement que la plupart d’entre elles aient leur vie prolongée pour qu’au moins certaines vivent jusqu’à 140 ans. Le traitement en question aurait donc une efficacité redoutable, en prolongeant drastiquement la vie de grands vieillards normalement assurés de mourir très prochainement, puisque
le taux de mortalité vers l’âge de 105 ans est d’environ 50% par an [1] : tout ceci semble bien improbable, pour le moins. L’étude conclut que « Asterès a délibérément choisi d’analyser l’impact d’un scénario radicalement optimiste, l’hypothèse centrale étant que les résultats obtenus sur des souris en 2022 (Jaijyan et al.) seraient transposables aux êtres humains et seraient déployés, au vue (sic) des moyennes, dans la décennie 2050. » Hélas, la possibilité de transposer aux humains les résultats en question semble nulle puisqu’il s’agit d’un enzyme actif chez la souris – la télomérase – mais inactif chez les humains, sauf dans les cellules germinales et… cancéreuses. Sans entrer dans les détails, disons aussi que ce qui augmente la longévité des souris n’a pas forcément le même effet chez les humains. Par exemple, la restriction de nourriture augmente souvent la longévité des souris, ce qui est utilisé comme argument par des
entreprises commerciales proposant de jeûner, avec pour résultat tangible l’amaigrissement du portefeuille des clients, mais la restriction de nourriture n’augmente pas la longévité humaine. Cette étude du cabinet d’Astérès, quelle que soit la manière dont on l’aborde, n’a donc aucune pertinence scientifique ou démographique, et on peine à comprendre qu’il ait été décidé de la rendre publique. Le cabinet Astérès en conclut que « si les recherches sur la lutte contre le vieillissement tiennent leurs promesses, l’âge de départ à la retraite pourrait être porté à 72 ans en 2070 » pour assurer le même ratio de cotisants/retraités que celui attendu en 2070 si l’âge de départ était porté à 64 ans. On a envie de dire : nous y voilà ! Publier cette étude le 7 février 2023, au moment où la majeure partie de la population n’accepte pas le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ne peut qu’inciter ceux qui la lisent à se dire que, finalement, 64 ans est un moindre mal, d’autant plus que cette étude a été commentée dans un quotidien. Dans ce contexte, l’étude du cabinet Astérès ne peut être considérée que comme un coup de main à l’adoption du projet de réforme des retraites, soutenu par son dirigeant Nicolas Bouzou, même si c’est au prix de rendre son cabinet de conseil ridicule. Décidément, les cabinets de conseil servent à tout…
éric le bourg