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3. L'empiétement de la rente foncière sur le rapport du travail

PRÉFACE XV

doctrine ignoraient encore que certains défauts inhérents à notre système monétaire (qu'ils avaient repris inconsidérément dans leur système) opposent un obstacle insurmontable à l'évincement de la puissance financière.

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La doctrine manchesterienne enseignait aussi que le partage des héritages et l'infériorité économique naturelle aux descendants des riches, morcelleraient la grande propriété foncière dont toute la rente finirait automatiquement par devenir un revenu du peuple. De nos jours cette idée peut sembler quelque peu naïve. Elle était pourtant fondée dans une certaine mesure ; la rente foncière aurait en effet dû se réduire d'un montant égal à celui des droits d'entrée protecteurs, après l'avènement du libreéchange que réclamaient les manchesteriens. De plus, l'apparition de la navigation à vapeur et des chemins de fer apportait aux travailleurs la liberté effective de se déplacer. En Angleterre, ceci provoquait, au détriment de la rente foncière, d'une part la hausse des salaires jusqu'au niveau de ceux des ouvriers émigrés sur le sol américain, gratuit et franc de toute charge ; d'autre part la baisse des produits agricoles, devant la concurrence des produits des fermes de ce même sol franc. (En Allemagne et en France ce phénomène prit, par suite de l'adoption de l'étalon or, des proportions telles, que c'eût été la catastrophe si l'État n'avait annulé l'effet de sa première intervention [l'étalon or] par une seconde [les droits d'entrée sur les céréales].)

On comprend donc aisément comment les manchesteriens, au milieu des développements rapides auxquels ils assistaient, et dont ils exagéraient l'importance, se crurent en droit d'attendre du libre jeu des forces économiques l'élimination de cette autre flétrissure de notre système économique : la rente foncière privée.

En troisième lieu, les manchesteriens croyaient que, puisque l'application de leur principe, le libre jeu des forces économiques, avait suffi à éliminer les disettes locales, la même méthode permettrait, par l'amélioration des moyens de communication, de l'organisation commerciale et bancaire, etc. de supprimer les crises économiques. Comme il s'avérait que les famines résultent d'une mauvaise distribution locale des vivres, on attribuait aussi les crises économiques à une distribution défectueuse des marchandises. A la vérité, quand on se rend compte à quel point la politique douanière à courte vue de tous les États gène l'activité économique des peuples et les échanges internationaux, on comprend que les libre-échangistes, les manchesteriens, dans leur ignorance des troubles que peuvent causer les vices de notre système monétaire traditionnel, aient attendu simplement du libre-échange la suppression des crises économiques.

XVI PRÉFACE

Poursuivant leur raisonnement, les manchesteriens se disaient : Si, grâce au libreéchange universel, nous pouvons maintenir en pleine activité la vie économique, si le travail, désormais ininterrompu, affranchi des crises économiques, engendre la surproduction des capitaux et fait par conséquent baisser l'intérêt jusqu'à le supprimer, si le libre jeu des forces vient exercer sur la rente foncière l'effet que nous en attendons, les forces contributives du peuple tout entier croîtront au point de permettre de rembourser à bref délai toutes les dettes nationales et communales du monde entier. Ainsi disparaîtrait à jamais la quatrième et dernière plaie de notre régime économique. L'idéal de liberté sur lequel se fonde notre ordre économique se justifierait aux yeux de tous. L'envie, la malveillance de nos détracteurs et la malhonnêteté qui les déshonorent souvent, seraient confondues.

De tous ces beaux espoirs des manchesteriens, aucun ne s'est réalisé jusqu'à ce jour. Au contraire, à mesure que le temps passe, les défauts de notre régime économique s'accusent d'avantage. Il faut en voir la cause dans le fait que les manchesteriens, dans leur ignorance en matière monétaire, adoptèrent inconsidérément le système monétaire légué par l'antiquité ; système monétaire qui refuse de fonctionner chaque fois que l'économie s'engage dans la voie prévue par les manchesteriens. On ne savait pas que la monnaie fait de l'intérêt la condition sine qua non de ses services ; que les crises économiques, le déficit budgétaire des familles laborieuses, le chômage, résultent tout simplement de notre système monétaire traditionnel. L'idéal manchesterien était inconciliable avec l'existence de l'étalon or.

L'ordre économique naturel, grâce à la monnaie franche et au sol franc, débarrassera le manchesterianisme de tous les phénomènes perturbateurs et dangereux qui l'accompagnent ; et il réalisera les conditions nécessaires au jeu vraiment libre des forces. On verra alors si cet ordre ne vaut pas mieux que celui qu'on prône actuellement, et qui attend tout du zèle des fonctionnaires, de leur fidélité au devoir, de leur incorruptibilité et de leurs sentiments philanthropiques.

Économie privée, ou étatisme : pas d'autre solution. On peut quand on ne veut ni de l'une ni de l'autre, inventer pour l'ordre qu'on préconise des noms toujours plus séduisants : syndicalisme, collectivisme, corporatisme, etc. Ces mots voileront toujours les mêmes abominations : la mort de la liberté individuelle, de l'indépendance et de la responsabilité personnelles, en un mot : l'autoritarisme.

Les propositions exposées dans le présent ouvrage nous conduisent aujourd'hui à la croisée des chemins. Il faut choisir. Aucun peuple, jusqu'à ce jour, n'en a eu l'occasion. Maintenant, les faits nous y

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