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Cinquième partie : LA THÉORIE DE L'INTÉRÊT OU DU CAPITAL FONDÉE SUR LA MONNAIE FRANCHE
270 LA MONNAIE FRANCHE
connaissons le mot de Bamberger : Avec l'amour, c'est le problème monétaire qui a fait le plus de fous. Et nous ne désirons pas, pour une théorie des crises, soumettre nos méninges à cette épreuve dangereuse I »
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Cette dernière théorie était pourtant la plus simple et la meilleure. Les marchandises, expliquais-je, s'échangent presque exclusivement par le commerce ; c'est-à-dire que pour les échanger, il faut les vendre aux commerçants. Mais le commerçant n'achète les marchandises que lorsqu'il suppose qu'il pourra les revendre plus cher. Le prix de vente escompté doit être plus élevé que le prix exigé par l'artisan ou l'industriel. Dès lors, si le prix des marchandises marquait une tendance à la baisse, le commerçant ne saurait absolument plus quels prix payer ou offrir ; tandis que l'industriel ne pourrait faire descendre ses prix au-dessous du prix de revient, sans subir une perte sèche. Pour le consommateur, il en est autrement. Il paye le prix exigé. Il se réjouit en cas de baisse, et se lamente en cas de hausse. Les prix qu'il peut mettre sont limités par ses revenus. Le commerçant, lui, visera un prix qui dépasse une grandeur déterminée, le prix d'achat. Obtiendra-t-il ce prix ? Il n'en sait rien. Le prix de vente est une inconnue. Seul le prix d'achat est, lors de la prise de possession de la marchandise, une grandeur connue.
Quand les prix sont stables en moyenne, ou quand ils haussent, tout va bien ; alors le prix de vente promet de couvrir le prix d'achat avec un bénéfice, et le commerçant peut passer ses commandes en toute tranquillité. Par contre, quand les prix baissent, baissent sans relâche, d'un, de 2, de 5, de 10, de 20, de 30 %, comme nous l'avons déjà souvent observé, alors le commerçant perd pied complètement ; et ce qu'un homme prudent a de mieux à faire, c'est d'attendre. Le commerçant, en effet, ne peut pas tout bonnement tabler sur le prix d'achat pour établir son prix de vente, mais il doit tenir compte, pour celui-ci, des prévisions. Lorsque, durant l'espace de temps entre l'achat et la vente, les prix baissent, il doit baisser aussi ses prix de vente, et il essuie une perte. De sorte qu'en temps de baisse, le mieux est d'attendre. Dans le commerce, les marchandises ne s'échangent donc pas sous l'impulsion du besoin qu'on en a, mais en vue du profit.
Mais cette attente, cet ajournement des achats coutumiers du commerçant, signifiait pour l'industriel un arrêt dans la vente. Comme la plupart du temps l'industriel a besoin d'un débit régulier, comme il ne peut pas accumuler les marchandises en magasin, à cause de leur caractère périssable et de leur encombrement, il renvoyait ses ouvriers.
Les ouvriers, à leur tour, devant le manque de travail et d'argent, ne pouvaient acheter, ce qui faisait baisser les prix de plus belle. Et ainsi naissait, sous la pression de la baisse, un cercle vicieux.
C'est pourquoi, — telle était la morale — nous devons nous préserver de la baisse des prix ; nous devons émettre plus d'argent, afin que l'argent ne manque pas pour acheter les marchandises, afin que,
JUGEMENTS SUR LA MONNAIE FRANCHE 271
devant les énormes disponibilités des banques et des particuliers, aucun commerçant n'ait jamais à redouter une pénurie de moyens de payement, une chute des prix.
D'où le bimétallisme ou la monnaie de papier !
Au fond, absolument aucune de ces théories ne me satisfaisait complètement. La première théorie, qui traite des crises comme d'un phénomène naturel, est en soi trop naïve pour mériter quelque examen. La deuxième, qui accuse la spéculation, ne recherche pas si les réserves d'argent des particuliers et des spéculateurs, sans lesquelles la chasse au profit ne serait pas possible, ne sont pas en elles-mêmes la cause de cette spéculation, ni par suite, la cause des crises. À quoi bon fonder une banque d'État, lui donner le monopole d'émission, afin qu'elle puisse « ajuster la circulation monétaire aux besoins du commerce », si, malgré la banque et son monopole, la spéculation peut faire hausser les prix chaque fois qu'il lui plaît ? En négligeant cette question, cette théorie emprunte une fausse route qui la conduit à formuler des vœux au lieu d'indiquer les réformes à réaliser. Il est désirable qu'à l'avenir on s'abstienne de toute spéculation ; et voilà tout ce que cette théorie peut indiquer en fait de remède contre les crises.
Cette théorie ne recherche pas non plus le motif de cette « activité fiévreuse, de ces heures supplémentaires, de ce travail de nuit ». Sans cet accroissement de travail, toute spéculation serait en effet réduite à néant. Que deviendrait la spéculation si, quand le patron demande des heures supplémentaires, l'ouvrier répondait : mon travail actuel me suffit et couvre mes besoins. Si le travailleur accepte cette « activité fiévreuse », cela ne peut provenir que de ce qu'il a des besoins fiévreux à. satisfaire, avec le salaire de ses heures supplémentaires. Mais alors, si la demande est aussi fiévreuse que l'offre, comment peut surgir la crise ? La spéculation, qui fait affluer sur le marché les réserves pécuniaires, explique uniquement la hausse des prix, et n'explique pas du tout pourquoi la consommation ne garde point le pas avec la production, pourquoi l'écoulement s'arrête généralement tout d'un coup.
Cette incapacité d'expliquer pourquoi la consommation et la production ne s'équilibrent pas régulièrement, stigmatise toutes mes théories. Mais la théorie que cette question gêne le plus est la troisième, celle du surpeuplement. Cette dernière attribue la surproduction à la surpopulation, ce qui signifie que le trop de pain vient de la trop grande faim I Quand il s'agit de la surproduction en une branche isolée (cercueils, par exemple), la chose n'a pas besoin d'explication, mais on vient dire qu'il y a trop de tout, trop de produits agricoles et trop de produits industriels.
Non moins insuffisante est la théorie qui voit dans la sous-consommation la cause des crises, sous-consommation attribuée à un partage inégal du revenu. Elle n'explique pas pourquoi la consommation monte aujourd'hui verticalement, pour retomber tout à coup, dans quelque