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La stabilisation des changes

264 LA MONNAIE FRANCHE

Le fait suivant est également incontestable. Quand les capitalistes et les épargnants ont retiré l'argent de la circulation et ne le rendent au commerce, à l'échange des produits, que moyennant une rançon, l'intérêt, ils trouvent les détenteurs de marchandises disposés à leur accorder une part de la production pour obtenir cet argent indispensable aux échanges. Le terrain est bien préparé. L'argent vous est nécessaire pour échanger mutuellement vos produits ; il est enfermé là dans nos coffres-forts. Voulez-vous payer quelque chose pour en disposer ? Ce sera 4 % l'an. Sans quoi nous donnons un tour de clé. Et vous voyez ce qu'il vous en coûte. Nous exigeons de l'intérêt. Méditez bien ceci : Nous pouvons attendre ; la nature de notre argent ne nous contraint pas de le livrer.

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La chose est nette. Il dépend des possesseurs d'argent que le commerce s'en tire avec ou sans argent. En même temps, on rend l'emploi de l'argent indispensable du fait que l'État lève les impôts en argent. De la sorte, les maîtres de l'argent peuvent pressurer en tout temps. C'est exactement comme si un fleuve, coupant le marché en son milieu, était traversé par un pont gardé par un péager. Ce pont étant le seul moyen de liaison entre les deux parties du marché, et le péager pouvant à son gré ouvrir ou fermer le pont, notre homme est en mesure d'exiger une redevance sur toute marchandise.

L'intérêt était donc un péage que les producteurs avaient à payer aux maîtres de l'argent pour la circulation de leurs produits. Pas d'intérêts = pas d'argent, voilà ce que cela signifiait. Pas d'argent = pas d'échanges; pas d'échanges = chômage; chômage = famine. Évidemment, plutôt que de mourir de faim, on payait l'intérêt.

La force productrice d'intérêts de l'argent n'était donc pas « transmise », ni « empruntée » ; c'était une propriété de la monnaie métallique due en dernière analyse à la nature du métal choisi pour base, puisque ce métal occupait, vu son caractère impérissable, un rang exceptionnel parmi tous les éléments du globe. On pouvait le conserver indéfiniment et sans frais, alors que tous les autres produits de l'industrie humaine, les marchandises, présentent des inconvénients — pourrissent, vieillissent, rouillent, cassent, puent ou encombrent.

Et l'on comprend maintenant pourquoi un champ s'échangeait contre telle somme d'argent : tous les deux, le sol et l'argent, ont la vertu de procurer d'eux-mêmes une rente. Il n'y avait qu'à prendre la somme d'argent dont l'intérêt représentait la rente rapportée par le champ, et le rapport était déterminé. Ce champ et cette somme s'échangeaient. Ils étaient de même essence : c'étaient des grandeurs comparables. Pour un champ, il ne pouvait être question de force transmise ou empruntée : pour l'argent non plus.

Cette vieille rengaine de « propriété transmise ou empruntée » de rapporter de l'intérêt m'a joué un vilain tour; les mots vides de sens ne prennent que trop souvent la place des idées.

JUGEMENTS SUR LA MONNAIE FRANCHE 265

Donc, l'argent, l'instrument des échanges, était un capital en soi.

Considérons un moment où nous mène ce fait d'élever au rang de capital l'instrument nécessaire à l'échange de toutes les marchandises. 1.L'argent ne peut être un capital qu'aux dépens des marchandises. C'est en effet sur les marchandises que l'argent prélève le tribut qui fait de lui un capital. 2.Si les marchandises sont contraintes de payer de l'intérêt, il est dès lors impossible qu'elles soient elles-mêmes un capital. En effet, si les marchandises étaient du capital au même titre que l'argent, aucun des deux ne s'arrogerait la qualité de capital vis-à-vis de l'autre, et dans leurs rapports entre eux au moins, ils cesseraient d'être du capital. 3.Si dans le commerce les marchandises nous apparaissent comme étant du capital, puisqu'elles prélèvent dans le prix de vente, à côté du prix d'achat et du bénéfice commercial, l'intérêt du capital, cela s'explique comme suit : c'est que le commerçant a déjà fait déduire l'intérêt de la somme qu'il devait payer au producteur, c'est-à-dire à l'ouvrier. La marchandise joue simplement ici le rôle d'encaisseur au service du capital monétaire. Si le prix de vente est de 10 marks, le bénéfice commercial de 3 et l'intérêt de 1, l'artisan touche 6 marks.

Il ressort de là que si l'instrument des échanges, l'argent, n'était pas un capital, la totalité des échanges s'effectuerait sans aucune charge d'intérêt. De sorte que Proudhon avait raison, quand il s'obstinait à soutenir cette thèse.

Considérons maintenant l'influence que doit exercer un instrument d'échanges sur la création des moyens de production, lorsque cet instrument d'échanges est lui-même un capital.

Comment naissent les moyens de production (machines, navires, matières premières) ? Voit-on encore quelqu'un tirer ses moyens de travail de matières premières provenant de son propre sol ? Exceptionnellement, peut-être, cà et là. Mais en règle générale, pour créer son entreprise, on doit débourser une certaine somme portée en tête de la première page du grand livre. Si l'argent déboursé pour leur installation est un capital, si les possesseurs d'argent sont en mesure d'empêcher l'établissement de n'importe quelle entreprise par la simple rétention de l'argent, il va de soi qu'ils ne lâcheront pas celui-ci pour des entreprises qui ne rapportent pas d'intérêt. C'est clair et net. Si le trafic des marchandises me permet d'obtenir 5 % de mon argent, comment me contenterais-je de moins pour leur fabrication ? Si l'on peut recueillir le minerai à fleur du sol, pourquoi percer des galeries ?

Voilà pourquoi on ne bâtit jamais plus de maisons qu'il n'en faut pour que le rapport des loyers suffise à servir l'intérêt courant. Si l'on

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