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LA MONNAIE FRANCHE
Le fait suivant est également incontestable. Quand les capitalistes et les épargnants ont retiré l'argent de la circulation et ne le rendent au commerce, à l'échange des produits, que moyennant une rançon, l'intérêt, ils trouvent les détenteurs de marchandises disposés à leur accorder une part de la production pour obtenir cet argent indispensable aux échanges. Le terrain est bien préparé. L'argent vous est nécessaire pour échanger mutuellement vos produits ; il est enfermé là dans nos coffres-forts. Voulez-vous payer quelque chose pour en disposer ? Ce sera 4 % l'an. Sans quoi nous donnons un tour de clé. Et vous voyez ce qu'il vous en coûte. Nous exigeons de l'intérêt. Méditez bien ceci : Nous pouvons attendre ; la nature de notre argent ne nous contraint pas de le livrer. La chose est nette. Il dépend des possesseurs d'argent que le commerce s'en tire avec ou sans argent. En même temps, on rend l'emploi de l'argent indispensable du fait que l'État lève les impôts en argent. De la sorte, les maîtres de l'argent peuvent pressurer en tout temps. C'est exactement comme si un fleuve, coupant le marché en son milieu, était traversé par un pont gardé par un péager. Ce pont étant le seul moyen de liaison entre les deux parties du marché, et le péager pouvant à son gré ouvrir ou fermer le pont, notre homme est en mesure d'exiger une redevance sur toute marchandise. L'intérêt était donc un péage que les producteurs avaient à payer aux maîtres de l'argent pour la circulation de leurs produits. Pas d'intérêts = pas d'argent, voilà ce que cela signifiait. Pas d'argent = pas d'échanges; pas d'échanges = chômage; chômage = famine. Évidemment, plutôt que de mourir de faim, on payait l'intérêt. La force productrice d'intérêts de l'argent n'était donc pas « transmise », ni « empruntée » ; c'était une propriété de la monnaie métallique due en dernière analyse à la nature du métal choisi pour base, puisque ce métal occupait, vu son caractère impérissable, un rang exceptionnel parmi tous les éléments du globe. On pouvait le conserver indéfiniment et sans frais, alors que tous les autres produits de l'industrie humaine, les marchandises, présentent des inconvénients — pourrissent, vieillissent, rouillent, cassent, puent ou encombrent. Et l'on comprend maintenant pourquoi un champ s'échangeait contre telle somme d'argent : tous les deux, le sol et l'argent, ont la vertu de procurer d'eux-mêmes une rente. Il n'y avait qu'à prendre la somme d'argent dont l'intérêt représentait la rente rapportée par le champ, et le rapport était déterminé. Ce champ et cette somme s'échangeaient. Ils étaient de même essence : c'étaient des grandeurs comparables. Pour un champ, il ne pouvait être question de force transmise ou empruntée : pour l'argent non plus. Cette vieille rengaine de « propriété transmise ou empruntée » de rapporter de l'intérêt m'a joué un vilain tour; les mots vides de sens ne prennent que trop souvent la place des idées.