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Le coopérateur
JUGEMENTS SUR LA MONNAIE FRANCHE 225
restent vides, et doivent être démolis pour faire place à des habitations. En ce qui meconcerne, quoique je paye si peu de loyer, et que je vende dix fois plus, mon bénéfice n'a pas augmenté en proportion, car la concurrence se contente d'un bénéfice réduit. Je prends maintenant, au lieu d'un bénéfice moyen de 25 %, une simple commission d'un pour cent. Comme je livre tout en emballage d'origine et comme je touche à la livraison, il m'est possible d'établir des calculs précis. Pas de comptabilité, pas de comptes, pas de déchets. D'ailleurs quoique ma vente soit décuplée, mon magasin ne s'est pas agrandi. J'ai organisé pour mes clients des livraisons régulières qui leur sont faites par chemin de fer. Ainsi le détaillant n'est plus qu'un simple consignataire.
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Ceux de mes concurrents qui ont dû cesser leurs affaires sont évidemment à plaindre, surtout les plus âgés d'entre eux qui ne peuvent plus apprendre un autre métier. Comme leur appauvrissement provient directement de l'adoption de la monnaie franche, il serait juste, me semble-t-il, de les indemniser par une pension de l'État. L'État peut facilement le faire, puisque, par la suppression de ces intermédiaires et l'abaissement des prix, la capacité de payement des contribuables a crû de façon extraordinaire. Si l'État a jugé jadis qu'il convenait de protéger la rente foncière en établissant un droit d'entrée sur les céréales, dans le cas présent une subvention se justifierait encore davantage.
Je dois l'avouer, le commerce de détail a été considérablement simplifié par l'affranchissement monétaire. Il fallait une simplification. A la longue, le petit détail, avec ses faux frais exagérés, et le scandale de la vente à crédit devaient prendre fin. Une augmentation de 25 % pour la vente en détail de choses nécessaires à la vie quotidienne était tout à fait ridicule, intenable, en un temps où les travailleurs menaient une lutte acharnée pour obtenir une augmentation de 5 %.
Avec ses trois millions d'habitants, la Suisse occupait déjà en 1900, 26.837 voyageurs de commerce payant ensemble 322.200 francs à titre de licence. En ne comptant que 5 francs par tête et par jour, les voyageurs de commerce coûtaient à la Suisse 48.977.525 francs par an.
A la même époque il y avait en Allemagne environ 45.000 représentants constamment en voyage. (En Suisse cette occupation n'est souvent qu'une occupation complémentaire ; d'où le nombre relativement élevé de titulaires, et la somme minime de 5 francs par jour que j'ai supposée). Dans les milieux compétents, on a calculé que chacun de ces 45.000 hommes dépense quotidiennement 14 marks (salaires, déplacements, hôtel) ce qui n'est certainement pas exagéré. Cela fait 600.000 marks par jour, et 219 millions par an. Ajoutons-y les autres voyages d'affaires. On peut dire que les deux tiers de tous les hôtels servent aux voyageurs de commerce.
On avait prédit qu'à l'introduction de la monnaie franche, les
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acheteurs perdraient de leur prétention, et je dois reconnaître que leur conduite a déjà remarquablement changé. Samedi passé, j'ai discuté pendant une heure avec un client qui désirait une machine à coudre ; mon homme ne parvenait pas à se décider. Il trouvait toujours quelque nouveau défaut à cette machine pourtant irréprochable. Pour finir, je lui fis remarquer que la fin de la semaine allait faire baisser le cours de ses billets. Le coup porta : l'échafaudage d'arguments chancela. Le client consulta sa montre, contempla ses billets, et calcula que s'il hésitait plus longtemps il perdrait 10 pfennigs. Du coup ses arguments tombèrent, il paya et s'en fut. Je perdis ainsi 10 pfennigs, mais je les regagnai cent fois par le temps que j'avais épargné.
Un autre client, un homme aisé, acheta et déclara qu'il avait oublié d'emporter son argent ; je pouvais porter en compte. Je lui fis cependant remarquer que, eu égard à la fin de la semaine, son dérangement serait bien payé s'il allait chercher son argent ; sans quoi il devrait supporter la chute du cours. H me remercia de mon attention, et deux minutes après j'étais payé. Je pus ainsi, de mon côté, payer l'ouvrier qui à ce moment me livrait de la marchandise. En l'occurrence, si mon client ne m'avait pas payé, ce n'eût été pour lui qu'une nonchalance, qui aurait eu pour conséquence que je n'aurais moimême pu payer comptant. Que de peines, de soucis, de dangers sont supprimés par la monnaie franche. Un comptable me suffit aujourd'hui au lieu de dix. Chose étrange, la question du paiement au comptant a été résolue, sans que cette répercussion fût voulue. Ce n'était pas la pauvreté qui empêchait l'acheteur de payer au comptant, mais bien un calcul : de sorte que le paiement au comptant se généralise aujourd'hui parce qu'il est plus avantageux pour l'acheteur. Du reste, chacun sait que le commerçant n'était pas payé plus vite du riche que du pauvre diable : parce que pendant le délai, le mauvais payeur profitait de l'intérêt.
Au reste, la perte périodique, je la supporte volontiers. En tant que commerçant, je préférerais voir porter la taxe monétaire de 6 à 10 % par an ; l'acheteur n'en deviendrait que plus accommodant et la comptabilité disparaîtrait complètement, de sorte que je pourrais congédier mon dernier comptable. Je constate maintenant dans le commerce la vérité de l'adage : plus la monnaie est vile, plus on apprécie la marchandise. . . et les producteurs, et plus facile est le commerce. Le travailleur ne peut jouir de considération que là où la monnaie n'est pas meilleure que lui-même et que le fruit de son travail. Sous un impôt de 6 % ce n'est pas encore tout à fait le cas, et l'on pourrait peut-être, pour le bien des travailleurs, porter la taxe monétaire annuelle de 6 à 10 %.
D'ailleurs, que représentent pour moi 10 % sur une encaisse moyenne de 1.000 marks ? Cent marks par an ! Un rien à côté de mes autres frais d'entreprise. Et je puis facilement épargner une