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La Chanson franรงaise aujourd'hui par Louis-Jean C.ALVET
LIBRAIRIE HACHETTE
79, boulevard Saint-Germain, Paris-VIe
Les principaux cabarets de Paris. (c) Librairie Hachette, 1974. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 du l'article 41, d'une part, que les « copies un reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », ut. d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses fyants droit ou ayants cause, est illicite « lalinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce sont, constituerant donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 42b et suivants du Code pénal.
INTRODUCTION
On dit qu'en France lout commence par des chansons. Mais on ne chante pas seulement en France, on chante clans tous les pays, et depuis longtemps. Quand la chanson a-t-ellt commencé ? Personne ne le sait. On chante peut-être depuis toujours. Mais dans chaque pays les chansons sont différentes. On ne chante pas la même chose à Paris, à Londres, à Dakar, à Montréal ou à Rio de Janeiro. Et connaître la chanson d'un pays, la comprendre, c'est connaître et mieux comprendre ce pays. La chanson française a donc commencé il y a très longtemps. A partir de l'année 1000 après Jésus-Christ, les troubadours* et les trouvères* parlent de la guerre, de l'amour, et vont de ville en ville pour se faire écouter. Nous ne savons presque jamais qui a fait ces vieilles chansons, il ne nous reste que quelques noms: Guillaume d'Aquitaine, Bertrand de Born, Bernard de Ventadour . Seuls les riches écoutent alors les troubadours, et nous ne savons rien de ce que chantaient les pauvres. Certains mettent des mélodies* sur des poésies que d'autres ont écrites, par exemple sur des poésies de Ronsard (1524-1585). Puis la chanson devient une a r m e : les gens, quand ils ne sont pas contents ou quand ils sont malheureux, le disent dans des chansons. Ils se moquent aussi du gouvernement. La Marseillaise ou La Carmagnole en sont des exemples : ; « Dansons la Carmagnole Vive le son, vive le son Dansons la Carmagnole Vive le son du canon ».
On chante alors dans les rues, dans les fêtes ; il n'y a pas encore d'endroit où l'on va écouter des chanteurs. C'est en 1734 que naît ce qu'on appelle le caveau*, un endroit où des amis se retrouvent pour entendre quelques chansons. Le caveau devient ensuite le lieu où l'on va écouter les chanteurs connus, ceux dont tout le monde chante les chansons dans les rues: Béranger (1780-1857), Désaugiers (1772-1827), Pottier (1816-1887). Puis le caveau est remplacé par le cabaret*. C'est un endroit plus grand, où tout le monde peut venir. On paie pour écouter une vedette* : Jules Jouy (1855-1897), JeanBaptiste Clément (1836-1903), Aristide Bruant (1851-1925). Il y a alors beaucoup de cabarets à Montmartre, un quartier de Paris où les gens viennent souvent le soir. Le cabaret le plus connu esl « Le Chat Noir » et tout le monde en France a chanté : « Je cherche fortune Autour du Chat Noir Au clair de la Lune A Montmartre le soir ». Ensuite il y aura les music-hall*, grandes salles où l'on peut voir et entendre non seulement des chanteurs, mais aussi d'autres artistes. Les premiers music-halls de Paris sont « Les Folies-Bergère » ( 1869), « Le Casino de Paris » (1890), « Bobino » (1880) et « L'Olympia » (1893). On va au musichall en famille pour rire, s'amuser, le samedi soir après le travail ou le dimanche après-midi. Il y a des music-halls très connus au centre de Paris, d'autres moins connus dans les quartiers autour de la ville. Et tous les jeunes chanteurs espèrent passer un jour dans un grand music-hall. Mais le disque arrive et va changer bien des choses. Le phonographe est inventé par un Français, Charles Cros, en 1877, et par l'Américain Thomas Edison en 1878. La 4
Je cherche fortune autour du Chat noir.
En 1900, comme aujourd'hui, l'Olympia fait salle pleine.
Un cabaret... il y a un demi-siècle. maison Pathé fait des disques en France à partir de 1906. Le phonographe, qu'on appellera vite le phono1 , devient une chose importante : on peut écouter un chanteur à la maison, quand on le veut. Quelques années plus tard on pourra l'écouter à la radio qui passe souvent des disques. La télévision, enfin, permet de voir les chanteurs, et les gens, peu à peu, iront beaucoup moins au music-hall. Aujourd'hui, il ne reste à Paris que deux grands music-halls « L'Olympia » et « Bobino ». Lorsque les chanteurs vont dans d'autres villes de France, ils chantent souvent dans des théâtres ou des cinémas, quelquefois même, l'été, sur une scène* en plein air. Et les Français connaissent surtout la chanson par la radio, le disque et la télévision. 1 Aujourd'hui, on dit le plus souvent électrophone
AU TEMPS DE CHARLES TRENET La chanson française d'aujourd'hui doit beaucoup à Charles Trenet et à quelques autres chanteurs qui commencèrent leur carrière* juste avant la deuxième guerre mondiale. En 1936, Jean Sablon chante pour la première fois avec un micro*. Avant lui, on était obligé de chanter très fort pour être entendu par tout le monde, jusqu'au fond de la salle1. Quand Jean Sablon commença à se servir du micro, beaucoup de gens se moquèrent de lui, disant qu'il ne savait pas chanter, qu'il n'avait pas de voix. Mais aujourd'hui tout le monde se sert du micro et personne ne penserait à chanter, devant une grande salle, sans cet appareil. C'est pourquoi cette date est importante : la chanson moderne commence avec le micro. Jean Sablon sera vite très célèbre, et tout le monde chantera Vous qui passez sans me voir ou encore Je tire ma révérence. Au même moment, le duo* Pills et Tabet chante des chansons gaies qui sont aussi très connues {Couchés dans le foin). Mais c'est un autre duo, Charles et Johnny, qui aura un avenir important. En 1933, Charles Trenet et Johnny Hess décident de chanter ensemble. En pantalon blanc et veste rouge, ils chantent des chansons qu'ils font eux-mêmes (Hess fait la musique et Trenet écrit les paroles*) et qui ressemblent beaucoup à la musique de jazz* venue d'Amérique quelques années plus tôt. La chanson française — donc le public français - étaient habitués à des musiques plus 1. C'était le cas du célèbre Maurice Chevalier (1888-1972) pendant les premières années de sa carrière (voir p. 9).
lentes : Charles et Johnny chantent des choses gaies, vivantes, amusantes. En trois ans ils font quinze disques avec des chansons comme Sur le Yang-tsé-Kiang ou Quand les beaux jours seront là. Puis Charles et Johnny se quittent en 1937, pour aller à l'armée. C'est la fin du duo, mais nous reparlerons bientôt de Charles Trenet. Il y a au même moment, et depuis longtemps déjà, un autre chanteur célèbre non seulement en France mais aussi partout dans le monde : Maurice Chevalier (1888-1972). Fils d'ouvrier, né dans un quartier pauvre de Paris, il a commencé à chanter très jeune (en 1900). A vingt ans c'est déjà un chanteur connu. Après la première guerre mondiale, il part, en 1928, pour l'Amérique, à Hollywood, où il travaille dans le cinéma et fait de nombreux films. En 1935, il revient en France au moment où Jean Sablon commence à se servir du micro, où Pills et Tabet, Charles et Johnny sont écoutés par tout le monde à la radio. Et il retrouve tout de suite un grand public. Ses chansons les plus connues sont Prosper, Valentine, Louise, Ménilmontant (le quartier où il est né) et surtout Ma Pomme : « Ma pomme C'est moi, j'suis plus heureux qu'un roi ». Maurice Chevalier chantera toute sa vie et quelques années avant sa mort il montera encore sur la scène de « L'Olympia » où beaucoup de Parisiens viendront l'écouter. Quelques grands noms de la chanson — nous en reparlerons — commencent à chanter juste avant la guerre : Edith Piaf en 1935, Francis Lemarque en 1937, Yves Montand en 1938. D'autres sont très connus depuis bien des années : Damia qui chante depuis 1911, Georgius qu'on appelle l'« amuseur public numéro un » et qui fait rire tout le monde avec des chansons comme Le Lycée Papillon, et 9
La canne à la main, le « canotier » sur la tète, Maurice chez lui.
encore Félix Mayol qui chante depuis 1892 et qui ne s'arrêtera qu'en 1938, trois ans avant sa mort. Mais le chanteur le plus important, celui qui compte le plus dans l'histoire de la chanson française contemporaine, c'est Charles Trenet : nous en avons déjà un peu parlé. Jusqu'en 1937, Charles Trenet n'était que Charles, du duo Charles et Johnny : on ne connaissait que son prénom. Né en 1913, à Narbonne, dans le sud de la France, il vient à Paris en 1930 et commence à faire de la peinture. Puis il rencontre Johnny Hess et, nous l'avons vu, chante avec lui jusqu'en 1936. A l'armée, Charles Trenet écrit une chanson gaie, rapide, Y'a d'la joie et Maurice Chevalier la chante sur scène et fait ainsi connaître Charles Trenet. Le jeune compositeur a donc maintenant un prénom et un nom. Puis le jeune homme revient de l'armée avec de nouvelles chansons : Boum, Fleur bleue. Je chante. Au début, le public français s'étonne. Avec Pills et Tabet, Charles et Johnny, Maurice Chevalier, il s'était, bien sûr, un peu habitué à une chanson différente, ressemblant au jazz. Mais Charles Trenet va beaucoup plus loin. Ses mélodies sont si nouvelles, ses chansons si rapides, il saute tellement sur la scène (quelquefois même sur le piano) qu'on l'appelle « Le fou chantant ». Mais ce qui compte surtout, c'est que Trenet fait de la chanson un art. Avant lui, on mettait ensemble quelques phrases et une mélodie pour faire une chanson. Les gens pensaient que la chanson n'était pas une chose sérieuse, que les chanteurs n'étaient pas des artistes. Avec Trenet, tout change. Pour lui, chaque chanson est un petit monde poétique, un tableau qu'il peint avec beaucoup de couleurs, des personnes amusantes ou curieuses : Quand un facteur s'envole, Le Grand Café, L'Ame des Poètes, Dans les pharmacies. . . La vie de tous les jours entre dans ses chansons, mais elle est peinte autrement, elle est juste assez changée pour nous paraître nouvelle, poétique. Sa chanson la plus connue, La Mer a fait le tour du monde. On y trouve
justement un tableau, une peinture de la mer avec ses couleurs, ses bateaux, ses oiseaux. Pour Charles Trenet la mer ne bouge pas, elle danse, elle devient une vraie personne. La joie et la gaieté de Charles Trenet plaisent surtout aux jeunes qui aiment ses mélodies et sa poésie. Ils vont suivre Trenet tout au long de sa vie, et, plus de trente ans après, quand il viendra chanter à « Bobino » ou à « L'Olympia », il retrouvera le même public. Ce public sent bien l'importance de Trenet dans la chanson, sa nouveauté. Mais ceux qui ont le mieux montré cette importance, ce sont les chanteurs qui ont suivi et qui étaient encore des enfants quand Charles Trenet commença à chanter : Georges Brassens, René-Louis Laforgue, Jean Ferrat, Jacques Brel ont tous reconnu ce qu'ils devaient à Trenet. Quand une rivière est bouchée par une grosse pierre, elle attend, grossit, grossit encore. Et tout à coup la pierre saute, et l'eau, enfin libre, peut continuer son chemin. Il se passe souvent la même chose dans l'histoire des arts. Charles Trenet a fait sauter ce qui bouchait la chanson française, il a fait d'elle un art mais lui a donné, en même temps, une très grande liberté, liberté dans la musique, dans les paroles, et aussi dans les gestes du chanteur sur la scène. Après Trenet il n'y a plus une chanson, il y a dix, vingt, cent chansons : après lui les artistes se sentent plus libres de faire, d'écrire, de chanter, ce qu'ils veulent.
P. 13 En haut : le fou chantant, maintenant le grand-père de la chanson française. En bas : Charles Trenet et Johnny Hess, 36 ans après leurs premiers succès. 12
Les derniers succès d'Edith : " Non, Je ne regrette rien . . . . "
TRENTE ANS DE CHANSONS (1940-1970)
Pendant la guerre (de 1940 à 1945), la chanson continue dans les music-halls, les cabarets, à la radio. Mais il ne se passe presque rien de nouveau : beaucoup de chanteurs sont obligés de se cacher, certains se battent. C'est donc après la guerre que la chanson va vraiment reprendre. Il y a pourtant eu quelques chansons écrites pendant la guerre, par ceux qui se battaient, par exemple le Chant des Partisans : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine. . » (1) Mais la chanson française en 1945 c'est tout d'abord Édith Piaf. Édith Piaf (1915-1963), née dans une famille très pauvre, a eu une vie difficile. Elle commence à chanter avant la guerre et, en 1938, elle est déjà connue par une chanson qui a eu du succès : Le Fanion de la Légion. C'est pourtant en 1945 que commence sa grande carrière. Toujours habillée d'une robe noire, Piaf arrive sur scène, toute petite, et elle commence à chanter d'une voix forte, profonde, une voix qui vient du cœur. Elle chante l'amour, la vie, la mort, la pauvreté ou la gaieté, et sa voix devient très vite très connue, très aimée du public. Édith Piaf fait aussi du théâtre (elle joue dans une pièce de Jean Cocteau, Le Bel Indifférent) ou du cinéma, mais c'est la chanson qui sera toute sa vie : Mon Homme, La Vie en rose, La Foule, D'l'autre côté de la rue, Milord, sont ses plus grands succès. Elle chante souvent 1 Cette chanson sera ensuite c h a n t é par Yves M o n t a n d .
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comme on parle, avec des mots de tous les jours. Mais sa voix est un cri, et certains diront que c'est le cri du peuple. Édith Piaf est en effet une chanteuse populaire ; elle n'avait pas de public particulier, elle chantait pour tous. Son amour pour la chanson la poussera à aider des jeunes chanteurs. Ainsi, entre 1945 et 1950, elle fera connaître Les Compagnons de la chanson, puis Yves Montand, Charles Aznavour, Gilbert Bécaud. Les Compagnons de la Chanson sont un groupe de neuf garçons qui ont eu la grande chance de rencontrer Edith Piaf. Elle aime tout de suite ce qu'ils font et décide de chanter avec eux. En 1947, Piaf et Les Compagnons de la Chanson vont chanter dans toutes les grandes villes de France. Leur succès, qui fera le tour du monde, est alors Les Trois Cloches. Edith Piaf chantait les couplets* et les neuf Compagnons chantaient avec elle le refrain* de la chanson, les dix voix ensemble faisant penser au bruit des cloches. Puis Les Compagnons de la Chanson continuent seuls, sans Piaf. Ils se servent de beaucoup d'instruments de musique, chantent des airs très différents les uns des autres, et le public vient les applaudir*, aussi nombreux que pour Edith Piaf. Leurs grands succès sont L'Ours, Le Prisonnier de la tour, Mes Jeunes Années (chanson de Charles Trenet), etc. . . Mais depuis quelques années, peut-être parce qu'ils font trop de, disques, Les Compagnons de la Chanson ont changé : ils chantent tous les succès à la mode* sans toujours se demander si ce sont de bonnes chansons. Yves Montand (né en 1921 en Italie) arrive en France tout jeune. Il commence à travailler très tôt et chante à Marseille, juste avant la guerre, des chansons de cow-boys. Dans les plaines du Far West sera son premier succès. Mais la guerre arrive, et Montand connaît des problèmes. Heureusement, en 1944, il rencontre Edith Piaf. Elle lui donne des conseils, La soirée est finie. Yves Montand nous quitte. 16
l'aide à choisir ses chansons. Et Yves Montand devient vite très connu. Il chante des chansons populaires, qui parlent de la vie de tous les jours, de choses que tout le monde connaît : Luna-Park, La Grande Cité, Les Grands Boulevards : « J'aime me promener sur les grands boulevards Y'a tant de choses, tant de choses, tant de choses à voir ». Puis il rencontre deux personnes qui vont changer sa vie et sa carrière : Jacques Prévert et Francis Lemarque. Jacques Prévert est un poète très connu en France, et Yves Montand va chanter ses poèmes : Sanguine, Barbara. Ce sera un premier changement pour lui : il ajoute à ses chansons populaires des chansons poétiques. Francis Lemarque, lui, composait* des chansons, paroles et musique. Jacques Prévert le présente un jour à Yves Montand qui écoute ses chansons, les aime, et décide de les chanter : Les Routiers, A Paris, Mathilda, Ma Douce Vallée : « Qu'elle était belle ma vallée Qu'elle était douce à regarder Qu'il taisait bon y travailler Qu'il faisait bon s'y reposer ». Francis Lemarque chante lui aussi, et il aura un certain succès avec des chansons comme L'Air de Paris, Marjolaine. (que chanteront Les Compagnons de la Chanson), etc. . . Il y a un autre chanteur connu qui. à ses débuts, a été aidé par Édith Piaf, c'est Charles Aznavour. Sa voix est cassée, les gens, tout d'abord, ne la trouvent pas belle. Pourtant Charles Aznavour va vite avoir beaucoup de succès, avec des chansons comme La Mamma, Les Comédiens, Tu t'laisses aller, J'm'voyais déjà, etc. Ses mélodies retrouvent 18
les rythmes du jazz que Charles Trenet avait mis à la mode dans la chanson, et sa voix ajoute quelque chose d'intéressant, quelque chose qu'on ne trouve pas chez les autres chanteurs. Son exemple montre que rien n'est impossible dans ce monde curieux de la chanson, que tout peut arriver Qui aurait cru au succès d'un chanteur sans voix ? Jacques Prévert (à gauche) et son frère Pierre.
Charles Aznavour. A droite : le même, avec ses musiciens. CHARLES AZNAVOUR Varenagh Aznavourian est né à Paris en 1924, de parents qui venaient de Turquie. Il joue au théâtre à onze ans, avec sa saur Aida. La guerre arrive et le jeune Aznavourian devient vendeur de journaux. C'est en 1945 qu'il commence à chanter avec son ami Pierre Roche mais ils n'ont pas beaucoup de succès. Aznavour (c'est le nom qu'il a pris pour chauler) chante alors seul, pendant huit ans, et personne ne le connaît encore. Il travaille avec Gilbert Bécaud et c'est en 1955 que, pour la première fois, une de ses chansons devient
un succès : Sur ma vie. Sa carrière ira alors très vite. Connu en France, en Afrique du Nord, en Afrique noire, il débute aux États-Unis en 1965, à Carnegie Hall, et un journaliste écrit qu'il est «le plus important élément vocal des temps nouveaux ». Il fait aussi du cinéma, joue, par exemple, dans Un taxi pour Tobrouk, Le Passage du Rhin, etc., mais la chanson restera son métier préféré. Aznavour est marié et il a une petite fille. Entre la chanson, le cinéma, les affaires (il gagne beaucoup d'argent), il a quelquefois le temps de s'occuper de sa famille. Depuis le temps du petit chanteur inconnu de 1945, les choses ont beaucoup changé. Aznavourian est oublié. Aznavour est célèbre.
Bécaud commence aussi dans la chanson avec l'aide d'Édith Piaf. Elle chante en 1950 une chanson qu'il a écrite, Je t'ai dans la peau. C'est en 1954 que Gilbert Bécaud a son premier grand succès, à «L'Olympia». Il saute sur scène, casse son piano en jouant très fort, pendant que le public, des jeunes en très grand nombre, casse les fauteuils et les vitres. Les journaux donnent alors un nom à Gilbert Bécaud : « Monsieur 100 000 volts», parce qu'on dirait que son corps est rempli d'électricité. Bécaud continue à chanter avec le même succès. Son public est ensuite composé de gens moins jeunes. Lui-même devient peu à peu « Monsieur 50 0 0 0 v o l t s ». puis « Monsieur . 1 000 volts », enfin « Monsieur pas tic volt du tout », mais ses chansons sont toujours aussi connues : La Corrida, Dimanche à Orly, Nathalie, Mademoiselle Lise, Le P'tit Oiseau de toutes les couleurs, etc. . . Bien sûr, Bécaud ne peut plus chanter comme avant, aussi vite et aussi fort, et ses musiques deviennent donc plus lentes, plus douces. Mais, maintenant encore, c'est toujours le même Bécaud qu'on voit arriver sur scène, habillé de la même façon avec la même cravate, le même sourire : comme en 1954, vingt ans après. Après la guerre, en plus de ces chanteurs qui ont tous été plus ou moins aidés par Edith Piaf, débutent aussi les Frères Jacques, Juliette Gréco, Pierre Dudan, Léo Ferré, etc. . . Les Frères Jacques ont commencé en 1944. Ils sont quatre, chantent de bonnes chansons et surtout jouent sur scène comme s'ils étaient au théâtre. On ne les écoute pas seulement, on les regarde aussi. Un de leurs grands succès La Queue du chat, fait rire quand on l'écoute sur un disque. Mais voir les Frères Jacques chanter La Queue du chat est beaucoup plus amusant : ils font des tas de gestes, dans tous les sens. Il y a là une façon de chanter très différente de l'ancienne. Avant on ne remuait pas devant un micro, avec les Frères Jacques, les Compagnons de la Chanson, d'autres
Le Tout Paris à l'Olympia, avec Gilbert Bécaud. Le spectacle est dans la rue. . . avec les Frères Jacques.
e n c o r e , on c o m m e n c e à jouer les chansons. retrouverons la même chose avec Serge Reggiani.
Nous
Pierre Dudan est un chanteur suisse né à Moscou en 1916. 11 fait beaucoup de théâtre, de cinéma, mais chante aussi et deux de ses chansons auront un grand succès, Clopin-clopant et Café au lait au lit. Juliette Gréco et Léo Ferré chantent dans les cabarets et ne sont pas encore très connus. Nous reviendrons à Juliette Gréco avec la chanson rive gauche, et à Léo Ferré avec la chanson politique. Au moment où Gilbert Bécaud et Charles Aznavour commencent à être connus, où Edith Piaf est célèbre, beaucoup de jeunes chanteurs font leurs débuts le plus souvent dans les cabarets. Georges Brassens d'abord, puis Félix Leclerc (qui arrive du Canada), Juliette Gréco, Guy Béart, Jacques Brel et plus tard Jean Ferrat et Anne Sylvestre. Tous ces chanteurs sont connus aujourd'hui et forment une deuxième époque de ces trente ans de chanson française : après le temps d'Édith Piaf, celui de Georges Brassens qui, lui aussi, aidera beaucoup de jeunes à débuter. Nous reparlerons plus loin de tous ces grands chanteurs, mais il y a aussi un troisième moment, celui de ce qu'on a appelé la « chanson yéyé ». En 1963, lorsque meurt Édith Piaf, un chanteur commence à avoir beaucoup de succès auprès des jeunes : Johnny Hallyday. Après lui, avec lui, viendront Sylvie Vartan, Françoise Hardy, France Gall, Claude François, etc. . . La chanson change ainsi tous les jours. Mais, nous l'avons déjà dit, Charles Trénet continue à chanter, toujours avec le même succès. On pourrait dire que ces trente ans de chanson (1940-1970) commencent avec Charles Trénet et vont jusqu'à Johnny Hallyday. Mais Hallyday n'était pas né en 1940 alors que Charles Trénet avait toujours beaucoup de succès en 1970. C'est pourquoi il faut dire que, pendant ces trente ans, la chanson change, bien sûr, mais qu'elle continue aussi.
LA CHANSON « RIVE GAUCHE » Une rivière traverse Paris : la Seine. Elle coupe la ville en deux parties, et depuis longtemps on appelle ces deux parties la « rive gauche » et la « rive droite ». La rive gauche se trouve à gauche par rapport au sens de l'eau, la rive droite se trouve à droite par rapport à ce sens. Mais depuis longtemps ces deux parties de Paris ont été comme deux villes différentes. La rive gauche est surtout un quartier de jeunes, d'étudiants et d'artistes : on y trouve le Quartier Latin (le quartier des étudiants, appelé ainsi parce qu'on y parlait autrefois en latin) avec la Sorbonne, Montparnasse, SaintGermain-des-Prés, etc. . . La rive droite, au contraire, est plutôt le quartier des affaires, des bureaux, du commerce. La chanson, au début du vingtième siècle, vivait plutôt sur la rive droite, dans les cabarets de Montmartre. Mais, après la guerre, beaucoup de cabarets ouvrent sur la rive gauche, dans le Quartier Latin ou à Saint-Germain-des-Prés : « Le Tabou », « La Rose Rouge », « L'Échelle de Jacob », « L'Écluse », « La Méthode », « La Colombe », « La Contrescarpe », « Le Cheval d'or », etc. ... Et, dans ces cabarets, de jeunes chanteurs vont débuter. Le public, composé surtout d'étudiants et d'artistes, aime des chansons poétiques, et c'est justement des chansons poétiques qu'on écoute dans ces cabarets. Bien sûr, il n'y a pas d'orchestre*, les cabarets sont beaucoup trop petits. Aussi les chanteurs jouent du piano* ou de la guitare*. Ces cabarets deviennent de plus en plus nombreux, de plus en plus connus, de plus en plus importants. Et, comme ils se trouvent sur la rive gauche, on appellera chanson « rive gauche » la chanson qu'on y écoute. Puis, peu à peu, on appelle chanson « rive gauche » toute chanson qui fait penser aux cabarets, parce
qu'elle est poétique ou parce que le chanteur |oue de la guitare . . . Ces mots ne veulent donc plus dire grand-chose,' et nous verrons que beaucoup de chansons sont baptisées* chansons « rive gauche ».
« L'épée de bois », un cabaret « rive gauche .
Une silhouette sombre, un sourire : Juliette Gréco. JULIETTE GRÉCO Elle est née en 1927. Elle commence à faire du théâtre pendant la guerre puis, en 1949, elle chante dans les cabarets à Saint-Germain-des-Prés. Elle sera vite connue et ne quittera guère la rive gauche'. Elle chante quelquefois sur les grandes scènes à Paris ou à l'étranger mais c'est la chanteuse de Saint-Germain-des-Prés, habillée tout en noir que le public vient voir. Elle est mariée avec Michel Piccoli, un acteur de
cinéma, et elle fait aussi du cinéma et du théâtre mais revient toujours à la chanson et au disque. C'est Juliette Gréco qui sera la première chanteuse connue de Saint-Germain-des-Prés. C'est le moment où beaucoup de gens, chaque soir, vont à la « La Rose Rouge » ou au « Tabou », des gens qui habitent ou qui viennent s'amuser à Saint-Germain-des-Prés. Juliette Gréco sera célèbre en deux ans. Et pendant très longtemps les Français penseront à elles quand ils penseront à Saint-Germain-des-Prés : Juliette Gréco et Saint-Germaindes-Prés, c'était la même chose. Elle chante des poèmes de Robert Desnos ( La Fourmi) ou de Raymond Queneau (Si tu t'imagines), des chansons de Léo Ferré (Jolie môme) ou de Guy Béart (Il n'y a plus d'après). Jean-Paul Sartre, qui venait souvent dans ces cabarets, a même écrit les paroles d'une chanson pour Juliette Gréco : La Rue des Blancs-Manteaux. En même temps que Juliette Gréco, on pouvait entendre à « La Rose Rouge » les Frères Jacques1, Francis Lemarque, Nicole Louvier (sa chanson la plus connue était Mon P'tit copain perdu), Mouloudji etc. . . Et, dans les autres cabarets de la rive gauche, Michèle Arnaud, Catherine Sauvage, Boris Vian, Stéphane Golmann, Pia Colombo, etc. . . Boris Vian (1920-1959) est peut-être la personnalité la plus étonnante de tous ces chanteurs. Il écrit des livres (L'Écume des Jours), des pièces de théâtre, joue de la trompette* dans un orchestre de jazz et fait des chansons, seul ou avec son ami Henri Salvador. Ces chansons, il les chante mais les donne aussi à d'autres : Michèle Arnaud par exemple. Et plus tard, bien après la mort de Boris Vian, Serge Reggiani reprendra certaines de ses chansons et en fera un disque à succès. On peut dire que Boris Vian, toujours entre l'amusement et le sérieux, est un bon exemple de ce qu'était alors SaintGermain-des-Prés. Tous ces chanteurs quittent un jour ou l'autre le cabaret pour le music-hall, et les cabarets naissent, changent, se suc28
Maurice Fanon. cèdent* sans arrêt. A parti] de 1955, Maurice Fanon, Barbara, Serge Gainsbourg, Jean Ferrat, Anne Sylvestre vont être les chanteurs « rive gauche » les plus connus. Les noms et les personnes changent, mais la chanson « rive gauche » continue. Maurice Fanon (né en 1929) était professeur d'anglais. Mais il quitte ce métier parce qu'il préfère la chanson et débute au cabaret de la Méthode avec des chansons qu'il écrit lui-même : La Petite Juive, L'Écharpe, Avec Fanon, etc. . . Barbara, elle, commence par chanter les chansons de Georges Brassens, avec beaucoup de succès. Puis elle écrit elle-même ses chansons et les chante : Nantes, Pierre, Si la photo est bonne, Dis, quand reviendras-tu ? « Voilà combien de jours, voilà combien de nuits Voilà combien de temps que tu es reparti Tu m'as dit cette fois, c'est le dernier voyage . . . ».
Barbara, unique et mystĂŠrieuse.
Serge Gainsbourg. Barbara chante assise devant son piano, toujours habillée d'une longue robe noire (dans une de ses chansons, elle s'appelle elle-même « la longue dame brune »). Ses chansons sont le plus souvent très poétiques, ses mélodies très simples mais agréables. En 1969, Barbara quitte la chanson pour faire du théâtre et du cinéma, mais elle recommence à chanter en 1972. Serge Gainsbourg (né en 1928) se fait connaître par une chanson qui aura, à partir de 1958, beaucoup de succès : Le Poinçonneur des Lilas : « Des p'tits trous, des p'tits trous toujours des p'tits trous » C'est l'histoire d'un monsieur qui fait des trous dans les billets de métro que lui donnent les voyageurs et qui trouve que son métier n'est pas très amusant. La chanson sera aussi
LA CHANSON YÉYÉ
En rock vient grâce
1955, la chanson américaine change, quand arrive le and roll. Le rock and roll c'est une danse rapide, qui du jazz et qui va être connue dans le monde entier à des chanteurs comme Elvis Presley, Bill Haley, etc.
En France, on ne croit pas au succès du rock and roll. Boris Vian et Henri Salvador, pour se moquer de cette mode américaine, font du faux rock and roll. Mais quand Bill Haley vient en France, son public est très nombreux. Ensuite c'est Paul Anka qui, avec sa chanson Diana, aura un très grand succès en Amérique et en Europe. La chanson est d'ailleurs traduite* très vite en français : « Diana lu n'as que quinze ans Et déjà l'amour t'attend». Cette musique de rock and roll (on dit aussi rock-n-roll ou encore rock), c'est bien sûr des guitares électriques qui jouent très fort, des chanteurs qui se roulent par terre en chantant, mais c'est aussi, et peut-être surtout, la jeunesse. On dit aux U.S.A. que le rock était la musique des teenagers, les gens qui ont entre treize et dix-neuf ans. C'est vrai, d'autant que ces jeunes gens commencent à avoir assez d'argent pour acheter des disques ; ils deviennent des clients, comme leurs parents, mais ils n'achètent pas les mêmes choses. Ils achètent des disques de rock and roll et vont au music-hall écouter les chanteurs de rock. C'est ainsi que le rock and roll devient, dès le début de son histoire, une mode pour les jeunes mais aussi une industrie qui vit des jeunes. Le rock and roll, qui est venu des U.S.A., est arrivé en France comme dans toute l'Europe. Puis les chanteurs fiançais vont commencer à imiter Bill Haley ou Elvis Presley : ce seront les chanteurs yéyé. 14
Dans la caravane, le travail de tous les jours. JOHNNY HALLIDAY
Son vrai nom est Jean-Philippe Smet. Il vient de tourner un film qui raconte sa vie qui est une course sans fin. En septembre 1959, à seize ans, il chante au « Moulin Rouge » des chansons de cow-boy sans que personne l'écoute. Il est payé six francs par jour et nul en France ne le connaît. En septembre 1960, il chante au music-hall de « L'Alhambra » en première partie. Il est payé cinquante francs par jour ; on ne l'écoute presque pas et certains spectateurs se moquent de lui. Il a même du mal à finir ses chansons, tellement la salle
. . . mais aussi les moments de gloire. fait de bruit. En septembre 1961, il chante à « L'Olympia » toute la seconde partie. Il est payé cinq mille francs par jour, tous les journaux parlent de lui (même s'ils en disent du mal et se moquent de ce chanteur yéyé), sa photo se trouve partout. En septembre 1962, il vend des millions de disques, va chanter partout. Il est payé dix mille francs par jour, ce qui est la plus forte somme jamais reçue par un chanteur. Il a un cirque, le « Johnny Hallyday Circus », pour ses tournées : 5 000 places, 50 voitures, 129 artistes ! Johnny adore les voitures. « Chaque année, j'achète trois voitures, j'en casse trois et je dois en payer trois autres déjà à la ferraille. »
Un chanteur yéyé, qu'est-ce que c'est ? Le mot vient de l'anglais yes (ou yeah) qui veut dire oui. Et on appelle chanteurs yéyé tous ceux qui, suivant la mode américaine, vont lancer le rock en France, puis le twist qui viendra après. Cette chanson yéyé connaît un succès rapide et l'exemple de Johnny Hallyday le montre bien. Entre 195.9 et 1962, Johnny Hallyday devient la vedette la plus connue et la plus aimée de la jeunesse. On l'appelle alors dans les journaux l'idole* des jeunes. Chaque fois qu'il chante, le public se bat, casse les fauteuils de la salle, crie, essaie d'avoir un morceau de sa chemise ou de son pantalon. Les parents ne comprennent rien à ce qui se passe, mais les jeunes ont enfin « leur » chanteur. Comme les teenagers américains, ils onl de l'argent de poche, peuvent acheter des disques, des journaux. Les commerçants vont alors produire des disques quarante-cinq tours (moins chers que les grands trente-trois tours), beaucoup de disques, que les teenagers français vont acheter et écouter, et des journaux, beaucoup de journaux, que les teenagers fiançais vont acheter et lire : Salut les copains, Mademoiselle Age tendre, Vingt ans, etc. L'industrie de la chanson pour les jeunes, née en Amérique, est arrivée en France. On vend aussi de grandes photos de Johnny Hallyday, on forme des clubs Johnny Halliday où tous ses « amis » se rencontrent. Mais Johnny Hallyday change lentement. En 1961 il arrête de chanter du rock et lance le twist, nouvelle danse qui va être longtemps à la mode. 11 chante moins vite, chante quelquefois même des chansons lentes ; c'est un nouveau Johnny qui naît ainsi. Il explique à ses fans (c'est ainsi qu'on appelle les gens qui aiment beaucoup un chanteur, les fanatiques ou fans) qu'il est triste et seul : « Les gens m'appellent l'idole des jeunes 11 en est même qui m'envient 37
Mais ils ne savent pas dans la vie Combien seul je suis ». Avant on n'entendait pas les textes des chansons de Hallyday, on ne comprenait pas ce qu'il disait, et cela n'était pas important : on écoutait de la musique, des cris, mais pas vraiment la chanson. Aujourd'hui, il chante de façon plus lente, plus douce, il parle de choses de tous les jours (la pollution) ou même de choses profondes (Jésus-Christ). Il continue toujours à changer, changera sans doute encore, mais il reste à la tête des chanteurs yéyé. Derrière lui, à sa suite, beaucoup d'autres chanteurs yéyé vont arriver : Richard Anthony, Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Claude François, Antoine, Polnareff, Sheila, etc. Hallyday leur aura, à tous, ouvert la route. Richard Anthony (né en 1938) débute dans la chanson en 1958, au moment du rock, nous venons d'en parler. Mais il ne chantera jamais vraiment des chansons rapides, préfère le twist et les mélodies plus lentes. On connaît surtout de lui : J'entends siffler le train. Françoise Hardy (née en 1944), jeune étudiante, apprend l'allemand à la Sorbonne. Puis, en 1960, elle devient connue en très peu de temps avec une chanson qui aura beaucoup de succès, Tous les garçons et les filles. Elle a une voix douce, fait des mélodies souvent lentes ; elle ne ressemble pas du tout aux grands chanteurs du rock, ni non plus à Johnny Hallyday. Mais ce sont un peu les mêmes jeunes qui aiment Hallyday et qui aiment Françoise Hardy, et c'est pourquoi on dit qu'elle fait aussi partie des chanteurs yéyé. Sylvie Vartan (née en 1944) est la première femme qui chantera du rock en France. Son premier succès, La plus belle pour aller danser, la fera connaître presque en même 38
temps que Johnny Hallyday. Sylvie Vartan, Johnny Hallyday et Richard Anthony, sont les trois premiers chanteurs yéyé. On le verra mieux en 1963 lorsque radio Europe n° 1 prépare un spectacle* de chansons yéyé, place de la Nation, une grande place de la ville de Paris. Le spectacle a lieu le 22 juin 1963, avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan et Richard Anthony. Il y a peut-être deux cent mille spectateurs*, des jeunes surtout, parfois très jeunes, qui font beaucoup de bruit, et les journaux appellent cette nuit-là « folle nuit de la Nation ». C'est la première fois que l'ensemble de la chanson yéyé se présente à la France qui voit tout à la fois ces chanteurs qu'elle ne connaissait pas et cette jeunesse qui les suit, ses « fans ». Claude François est un autre chanteur yéyé. Né en 1938 en Égypte, il commence comme musicien dans un orchestre de jazz, puis fait de la chanson. Ses grands succès sont : Belles, belles, belles et Si j'avais un marteau. Claude François chante toujours des chansons rapides, rock ou twist, des airs de danse, et il danse lui-même sur scène, bouge, saute. Il y a plusieurs autres chanteurs yéyé : France Gall, Eddie Mitchell, Monty, Dick Rivers, etc. Mais trois d'entre eux sont importants pour différentes raisons : - Michel Polnareff tout d'abord, parce qu'il travaille beaucoup ses mélodies et représente donc un changement musical dans la chanson yéyé : après des airs rapides mais un peu simples, on en vient, avec lui, à des musiques plus difficiles, plus travaillées (La poupée qui fait non. Le bal des Lazes). Scheila, ensuite, non pas parce que ses chansons sont très bonnes, mais parce qu'elle représente quelque chose de nouveau dans la chanson française : elle fait des disques, passe à la télévision, mais elle n'a jamais chanté sur scène. Or 39
ceci aurait été impossible il y a encore vingt ans. On n'aurait pas pu trouver un chanteur connu n'ayant jamais paru sur la scène d'un music-hall. Et il y a là un changement qui vient peut-être de l'importance du disque, de la radio, de la télévision aujourd'hui, et qui va sans doute beaucoup changer la chanson. — Antoine, enfin, qui chante en 1966 les Êlucubrations où il se moque du yéyé en imitant les chanteurs à la mode : « Les choses devraient changer tout le temps Le monde serait beaucoup plus amusant On verrait des avions dans le couloir du métro Et Johnny Hallyday en cage à Médrano ». Antoine a les cheveux long ; il s'habille avec des vêtements de toutes les couleurs, cl on a toujours l'impression qu'il se moque des gens. Il aura quand même beaucoup de succès, et son histoire montre peut-être que la chanson yéyé en est arrivée à un moment difficile : si on peut faire n'importe quoi et avoir quand même du succès, c'est que les chanteurs les plus connus ne sont peut-être pas de bons chanteurs. Aussi la chanson yéyé est-elle en train de changer, comme a changé son chef, Johnny Hallyday, et elle ressemble de plus en plus à la chanson française dont les gens ont l'habitude. La mode américaine du rock et du twist s'en va lentement, et il n'en reste que peu de chose.
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LA CHANSON POLITIQUE
Depuis toujours, dans les chansons, les gens ont raconté ce qu'ils pensaient, se sont plaints quand ils n'étaient pas contents, quand ils trouvaient que les choses n'allaient pas bien. Contre la guerre, contre la pauvreté, contre le gouvernement, contre les lois, il y a donc depuis longtemps une chanson politique en France. Au 17e siècle, puis en 1789, pendant la Révolution française, en 1848, en 1871, pendant la Commune, en 1914 au moment de la première guerre mondiale, on entend ainsi des chansons qui parlent de politique. Et pendant la dernière guerre, entre 1940 et 1944, une chanson est chantée par tous ceux qui se battent, en France, contre les Allemands : Le Chant des Partisans. « Demain du sang noir Séchera au grand soleil Sur la route Sifflez compagnons Dans la nuit la liberté Nous écoute ». Puis, après la guerre, la chanson politique revient aussi forte qu'avant et elle suivra deux grandes directions : contre la guerre en général et contre les guerres qui viennent de finir. Il y aura beaucoup de chansons sur la guerre, et certaines même ne pourront pas passer à la télévision. Boris Vian chante contre la guerre dans Le Déserteur : « Monsieur le Président Je ne veux pas la faire Je ne suis pas sur terre pour tuer les pauvres gens » c o m m e Jean-Claude Darnal dans Le Soudard, Francis Lemarque dans Quand un soldat ou Jacques Brel dans La Colombe. Mais les chansons contre la guerre en général 41
deviennent des chansons contre des guerres que tout le monde connaît, quelquefois sans que les chanteurs l'aient voulu : au moment où on les chante, en effet, la France fait la guerre en Indochine, puis en Algérie, et en écoutant ces chansons tout le monde pense à ces guerres. La guerre mondiale qui finit en 1944 a été terrible et beaucoup de chanteurs en parlent. René-Louis Lafforgue par exemple dans Les Enfants d'Auschwitz ou Jean Ferrat dans Nuit et Brouillard. On parle aussi dans ces chansons de la guerre d'Espagne, comme Léo Ferré dans Franco la Muerte, ou de la révolution russe de 1905 comme Jean Ferrat dans Potemkine. Mais peu à peu la chanson va parler de choses qui se passent au moment même où l'on chante, c'est-à-dire qu'elle va devenir vraiment politique. Ainsi Léo Ferré chante la guerre d'Algérie dans Les Temps difficiles, le général de Gaulle dans Mon général et dans Sans façon, le monde et la vie dans Ils ont voté ou dans Ni Dieu ni maître. Jean Ferrat aussi défend dans ses chansons les pauvres contre les riches. Il chante les paysans et de la vie difficile a la campagne : il raconte la vie des femmes qui travaillent tout le temps à la maison dans On ne voit pas passer le temps : ou encore parle de la guerre du Vietnam. D'autres, au contraire, défendent le gouvernement, comme Gilbert Bécaud qui, dans Tu le regretteras, parle du général de Gaulle, ou comme Michel Sardou qui, dans Les Ricains défend les Américains. Presque tous les chanteurs ont l'ait ou feront un jour des chansons politiques. A ceux que nous venons de voir il faut ajouter bien d'autres n o m s : Philippe Clay (Mes Universités). Guy Béart (La Vérité), Dominique Grange (Les Nouveaux Partisans), Lény Escudéro (Charonne, Verdun), Georges Brassens (Les deux oncles), etc. 42
JEAN FERRAT Né en 1930, Jean Ferrat s'appelle en réalité Jean Tenenbaum et commence à travailler comme chimiste. C'est à vingtquatre ans qu'il écrit et chante ses premières chansons, en s'accompagnant à la guitare. Sa carrière avance lentement, de chanson en chanson ('Ma Môme, Nuit et brouillard, La Montagne). Après ces débuts «rive gauche », Ferrat devient chanteur politique /Potemkine). Mais ce qu 'il préfère c 'est la campagne, sa maison où il va le plus souvent possible, loin des bruits de la ville, avec sa femme (Christine Sèvres qui est aussi chanteuse) et sa fille.
LA CHANSON POÉTIQUE Nous avons dit que les chanteurs «rive gauche»1 débutaient dans de petits cabarets et que, quand ils avaient de la chance et du talent, ils devenaient de grandes vedettes. Toutes les vedettes de la chanson ne viennent pas, bien sûr, de la rive gauche de la Seine, mais celles qui en viennent ont apporté avec elles la poésie des chansons « rive gauche ». C'est pourquoi nous pouvons dire qu'il y a, dans la chanson française, une chanson poétique, qu'il y a quelques chanteurs connus pour leur poésie. Nous allons parler des principaux de ces chanteurs. Georges Brassens est sans doute, aujourd'hui, le chanteur le plus aimé en France, celui qui peut connaître, pendant des mois, le succès au music-hall, celui qui vend le plus de disques. A ses débuts, dans ses premières chansons, Georges Brassens, c'est pour le public, un homme qui reste en dehors du monde, qui ne vit pas comme tout le monde, ne s'habille pas comme tout le monde, qui se moque de beaucoup de choses que d'autres trouvent importantes. Et il le chante lui-même dans La Mauvaise Réputation : « Au village sans prétention J'ai mauvaise réputation ». Cette « mauvaise réputation », Georges Brassens la gardera longtemps : pendant de longues années bien des gens ne voudront pas écouter ses chansons, en disant qu'il y met trop de mots grossiers. Mais les chansons de Brassens sont tout autre chose. Qu'il parle des amis, de la mort, du travail, de l'amour, il en parle toujours avec des mots choisis, avec de jolies phrases, il fait de tous les moments de la vie un moment de poésie. Dans Le Fossoyeur par exemple, il I Voir page 25
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raconte la vie d'un homme dont le métier est de mettre les morts en terre. Dans L'Auvergnat, c'est l'histoire d'un pauvre homme qui a faim, qui a froid, qui n'a pas de maison, pas d'argent. Il dit merci à ceux qui l'ont aidé. C'est sa chanson la plus connue, celle qui l'a fait passer des cabarets au music-hall et qui en fait une vedette. Ailleurs, dans Pauvre Martin, il parle d'un paysan qui a un métier et chante toujours en travaillant, du début de sa vie jusqu'à sa mort : « Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps ». Brassens a écrit beaucoup d'autres chansons, plus de cent, et elles sont le plus souvent poétiques : Les Sabots d'Hélène, Les Lilas, Dans l'eau de la claire fontaine, etc. Ce qui est important, c'est que sa poésie est faite avec une langue simple : il écrit et il chante comme on parle dans la rue. Il écrit par exemple « J'suis un pauvre fossoyeur » alors qu'on écrit «je suis » mais que tout le monde dit «j'suis », il écrit « tout l'monde » au lieu de « tout le monde ». Mais cette façon de parler est comprise par tous, et Brassens est aimé par des gens qui quelquefois ne lisent pas de poésie parce qu'ils trouvent cela trop difficile. Avec lui, la poésie est descendue dans la rue. Dès le début, Brassens parle des poètes. Il fait des musiques pour la poésie de François Villon {La Ballade des femmes du temps jadis), Louis Aragon (Il n'y a pas d'amour heureux), Paul Fort, Victor Hugo, Francis Jammes, d'autres encore, montrant ainsi que pour lui, il n'y a pas de différence entre la chanson et la poésie, alors que beaucoup de gens pensaient que la poésie se trouvait seulement dans les livres.
Brassens : le plus grand poète français, dit-on. GEORGES BRASSENS Né dans le Sud de la France, à Sète, en 1921. Georges Brassens vient à Paris en 1939 et habite chez une vieille dame qui va l'aider toute sa vie. Elle s'appelle Jeanne, et Brassens lui fera plus tard deux chansons : La Cane de Jeanne et Chez Jeanne. Il ne chante pas encore mais écrit de la poésie et il vit avec des amis très simplement. Il ne changera jamais. En 1952. il commence à chanter au cabaret
Le même, avec Nana Mouskouri. des « Trois Baudets » puis, à partir de 1956, il a un grand succès. Il continue à vivre chez Jeanne (elle meurt en octobre 1968) quand il est à Paris et dans sa vieille maison (celle de son père) quand il est à Sète. Pour les Français, Brassens est un poète qui chante. L'Académie française, ellemême, lui a donné un prix. Ses chansons parlent d'amitié, d'amour, de campagne, du temps passé, de la police aussi (qu'il n'aime pas). . . Quand on pense à lui, on pense à sa pipe (il fume toujours) et à sa moustache, à son sourire et à sa gentillesse. C'est un monument comme la Tour Eiffel.
Nous avons déjà parlé de Léo Ferré 1 , mais il n'a pas t'ait que des chansons politiques. Comme Brassens, Ferré a mis des poèmes en musique : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, Aragon. Mais ses chansons sont aussi souvent poétiques, comme par exemple, L'Étang chimérique. Mais la poésie de Léo Ferré est souvent plus simple que dans cette chanson. Lui aussi, comme Brassens, fait descendre la poésie dans la rue, lui aussi chante avec des mots d'argot*, des mots de tous les jours, comme dans Paris canaille : « Paris marlou Aux yeux de fille Ton air filou l'es vieilles guenilles Et les gueulants Accordéons Ça fait pas d'rent's Mais c'est si bon ». Nous venons de voir que Brassens avait une poésie de François Villon, un poète Ferré en parle aussi, dans une chanson qui vie de tous les jours, la poésie s'en va l'camp).
mis en musique du Moyen Age. dit que, dans la (La Poésie fout
Or, François Villon était un poète, bien sûr, mais aussi un bandit qui n'était pas très ami avec la police. C'est pourquoi Brassens comme Ferré parlent de lui ou chantent ses poésies. La langue de Villon était celle des bandits, celle des gens qui vivaient dans la rue. Sa poésie était donc une poésie populaire, simple, comme celle que veulent faire Léo Ferré et Georges Brassens.
1. Voir page 43
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Léo Ferré.
La chanson de Guy Béart, également poétique, est différente de celles de Brassens et de Ferré. Guy Béart, né en Égypte en 1930, voyage beaucoup pendant sa jeunesse. Puis il fait ses études, travaille et chante le soir dans les cabarets. Georges Brassens, qui aime beaucoup les chansons de Béart, l'aide au début et Béart sera lui aussi, bientôt célèbre. Dès le début, Guy Béart se partage entre les chansons poétiques et les chansons amusantes. Chansons poétiques:Il n'y a plus d'après, Bal chez Temporel, Les Pas réunis, et L'Eau vive qui fut un de ses premiers succès : « Ma petite est comme l'eau Elle est comme l'eau vive Elle court comme un ruisseau Que des enfants poursuivent ». L'Eau vive était la chanson d'un film (que beaucoup de gens ont vu) et le refrain était connu de tout le monde : « Courez, courez Vite si vous le pouvez Jamais, jamais Vous ne la rattraperez ». Chansons amusantes : Chandernagor, L'Agent double, Suez et Le Chapeau, par exemple. Guy Béart, qui aime aussi beaucoup la poésie et les vieilles chansons, a enregistré sur disques des chansons populaires françaises que tout le monde connaît et que les mamans chantent à leurs enfants : Mon ami me délaisse, Sur l'pont de Nantes,; Vive la rose, etc. Jacques Brel est un autre chanteur très connu en France. Né en Belgique en 1929, il vient à Paris en 1953 et commence, lui aussi, à chanter dans les cabarets. Son premier succès sera, en 1957, Quand on n'a que l'amour, une très belle chanson : 50
Jacques Brel « Quand on n'a que l'amour A s'offrir en partage Au jour du grand voyage Qu'est notre grand amour Alors sans avoir rien Que la force d'aimer Nous aurons dans nos mains Ma mie le monde entier ». Les chansons de Jacques Brel sont très différentes les unes des autres, elles sont quelquefois presque politiques quand il parle de la guerre par exemple, mais la langue a pour lui beaucoup d'importance et ses chansons sont presque toujours
poétiques. Le meilleur exemple est peut-être Le Plat Pays, chanson dans laquelle il parle des plaines de son pays, la Belgique : « Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu Avec un ciel si bas qu'il fait l'humilité Avec un ciel si gris qu'un canal s'est pendu Avec un ciel si gris qu'il faut lui pardonner ». On trouve chez lui la même poésie lorsqu'il parle de ses amis (Jef), de l'amour (Marieke) ou des vieux : « Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un coeur pour deux ». Disons aussi que Jacques Brel était sur scène un chanteur étonnant. 11 sautait, jouait comme au théâtre, criait, riait, alors qu'en général les chanteurs restent sans remuer derrièe leur micro, à part les chanteurs yéyé1 (surtout Johnny Hallyday). Il a arrêté de chanter en 1967 pour faire du cinéma : Les Risques du Métier, La Bande à Bonnot, etc. Nous avons déjà parlé de Jean Ferrat, d'Anne Sylvestre, de Barbara2 . . . Mais il faut ajouter beaucoup d'autres noms : Henri Gougaud, Georges Moustaki, Serge Reggiani, Hélène Martin, Jacques Douai, etc. Il faut surtout redire que toute cette chanson poétique n'a été possible que grâce à Charles Trenet, le premier des chanteurs poétiques qui, nous l'avons vu, a ouvert la route aux autres. Ce qui est important chez Brassens, Ferré, Béart, Brel, Anne Sylvestre, etc., c'est qu'ils soient connus, que leurs chansons poétiques aient réussi, aient trouvé le chemin du grand public. Ainsi la chanson peut servir et aider la poésie. 1. Voir page 34. 2. Voir page 29.
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LES SUCCES POPULAIRES Il y a, bien sûr, des chanteurs qu'il est difficile de classer dans la chanson poétique ou dans la chanson politique. Il y en a aussi qui n'ont jamais chanté dans un cabaret et qui ont eu très vite du succès, sans attendre longtemps dans l'ombre. Ce sont des chanteurs qui se sont fait connaître par la radio, la télévision, les journaux. Prenons par exemple le cas de monsieur X, chanteur inconnu. Il enregistre un disque avec quatre chansons, mais personne ne l'a encore écouté. Si, pendant deux semaines, son disque passe plusieurs fois par jour à la radio, s'il chante une ou deux fois à la télévision et si beaucoup de journaux parlent de lui, monsieur X sera au bout d'un mois célèbre dans toute la France. Tout le monde connaîtra sa voix, ses chansons, sa photo, sa vie. En un mois, il aura donc fait autant de chemin qu'un autre chanteur en dix ans. On peut donc construire ainsi un succès populaire. Bien sûr, tous les chanteurs populaires n'ont pas été connus de cette façon. Certains, comme Charles Aznavour ou Gilbert Bécaud1, ont attendu longtemps le succès. Mais la plus grande partie des chanteurs célèbres dans toute la France ne sont pas passés par les cabarets, par la rive gauche ; ils ont été lancés par la radio et les journaux. Souvent, ils ne font pas eux-mêmes leurs chansons et chantent donc celles que d'autres écrivent pour eux. C'est pour leur voix, leur façon de chanter, leur vie aussi, quelquefois, que les gens les aiment. Dalida est un bon exemple de chanteuse populaire. Née en Égypte, elle vient en France en 1955 : elle a vingt-deux ans et veut faire du cinéma. Mais elle n'a pas de succès. En I. Voir page 2 2 .
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1956, elle commence à chanter avec une chanson italienne : Bambino. Le disque passe très souvent sur une chaîne de radio, Europe 1. Très vite, tout le monde chante Bambino, que l'on entend partout. C'est un très grand succès et, en quelques mois seulement, Dalida est célèbre. Seize ans après, en 1972, Dalida chante toujours, elle vend beaucoup de disques et a encore beaucoup de succès. Enrico Macias, lui, était instituteur en Algérie et chantait quelquefois chez lui, le soir, pour ses amis. En 1962, il rentre en France en même temps que beaucoup de Français qui habitaient l'Algérie et il écrit une chanson : J'ai quitté mon pays. La même année, il chante un soir à la télévision. Personne ne l'a jamais vu, personne n'a jamais entendu son nom. Le lendemain, toute la France le connaît. Il fait des disques, passe de nouveau plusieurs fois à la télévision. Tous les journaux parlent de lui. Enrico Macias a trouvé le succès en un soir. Lui aussi chante toujours, dix ans après, dans les grands music-halls, fait beaucoup de disques, a encore le même succès. Troisième exemple de succès populaire : Adamo. Salvatore Adamo est un jeune Italien qui habite en Belgique. Il chante sur sa guitare des chansons qu'il écrit lui-même et gagne à dix-huit ans un prix de chanson en Belgique. Il chante en français mais n'a encore jamais chanté en France, où personne ne le connaît, donc. En 1965, on entend pour la première fois à la radio une chanson d'Adamo, Vous permettez, monsieur : La même année, Adamo chante au grand music-hall de « L'Olympia » : c'est le succès. Ses chansons plaisent beaucoup, elles sont douces. Il chante avec des mots de tous les jours, des mots un peu populaires : « Z'étaient chouettes les filles du bord de mer Z'étaient chouettes pour qui savait y faire ». 54
Mais ses chansons, comme celles de Dalida ou d'Enrico Macias, n'ont pas la poésie des chansons de Brassens, de Ferré ou de Brel. Elles ont autant de succès, plus même. Un dernier exemple de succès populaire, celui de Mireille Mathieu. Nous avons déjà parlé d'Édith Piaf1. Après sa mort, en 1963, tout le monde cherche quelqu'un pour la remplacer, c'est-à-dire quelqu'un qui a la même voix et qui chante les mêmes chansons. Un jour, à la télévision, on entend deux chanteuses inconnues, Mireille Mathieu et Georgette Lemaire, qui font penser à Édith Piaf. Le lendemain, tous les journaux parlent de ces deux chanteuses : qui va remplacer Piaf: Mireille Mathieu ou Georgette Lemaire ? Elles font, pendant l'année 1965, une course vers le succès. C'est Mireille Mathieu qui va gagner. Elle passe à « L'Olympia » en 1967, tout le monde la connaît ; les journaux, quand ils parlent d'elle, l'appellent même Mireille. Et peu à peu, les gens vont oublier Georgette Lemaire. Bien sûr, les chanteurs et les chanteuses qui ont un grand succès populaire ne sont pas de mauvais chanteurs. Il y en a même qui chantent de très belles chansons. Mais le succès est ici, pour tous, une histoire de chance. Inconnu un jour, très connu le lendemain, cela paraît impossible, mais cela arrive souvent aujourd'hui avec la radio, la télévision, les journaux. Les chanteurs populaires sont ceux que l'on entend le plus souvent à la radio, qu'on voit le plus souvent à la télévision. Mais surtout les journaux parlent beaucoup d'eux. Si Mireille Mathieu est malade, si elle a un petit accident, beaucoup de journaux en parleront. Mais si la même chose arrive à Jean Ferrat ou à Léo Ferré, personne n'en parlera. C'est quelquefois de la faute des chanteurs : ce sont eux qui racontent leur vie aux journaux et qui aiment bien qu'on parle d'eux. Mais plus souvent, les journaux parlent des gens parce qu'ils sont très connus, et il est très difficile à un chanteur, un I. Voir page 15 et page 22.
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artiste de cinéma, un écrivain, de se cacher, de cacher ce qu'il fait. Aussi, un chanteur populaire devient-il de plus en plus populaire. C'est quelquefois un bien : il est agréable d'entendre souvent à la radio Hugues Aufray, Julien Clerc, Marie Laforêt ou Nana Mouskouri. Mais d'autres fois les gens ne sont pas contents, ils sont fatigués d'entendre toujours les mêmes chanteurs et les mêmes chansons. Les succès populaires sont aussi bien des chansons que beaucoup de gens aiment, que des chansons qu'on l'ail aimei à beaucoup de gens par la radio ou la télévision. Certains chanteurs sont trés vite oubliés, d'autres restent très longtemps, comme Luis Mariano, Annie Cordy, Henri Salvador, Marcel Amont. L'un d'eux, Tino Rossi, vient de fêter ses quarante ans de chansons '
A gauche : les débuts de la petite Mireille. A droite : le « bain de foule » de Mireille.
MIREILLE MATHIEU Née eu 1947 à Avignon dans une famille nombreuse (elle a douze frères et sœurs), Mireille Mathieu a une voix qui ressemble à celle d'Édith Piaf : c'est pourquoi elle aura vite un grand succès. Ensuite elle change un peu : elle chante des chansons sur l'amour, des chansons qui plaisent à tout le monde, aux jeunes comme aux moins jeunes.
EN PLUS
LA CHANSON QUÉBÉCOISE
On ne chante pas en français seulement en Fiance. Nous parlerons, dans ce livre, de chanteurs belges : Jacques Brel, Salvatore Adamo. Mais il y a un autre pays, beaucoup plus loin, où on parle français et où on chante en français : le Québec. Les premiers chanteurs québécois ont commencé à chanter en Fiance, comme Félix I eclerc. Puis c'est au Québec que la chanson s'est développée et, aujourd'hui, il existe une chanson vraiment québécoise, avec une langue un peu différente du français de France, une musique qui ressemble un peu à la pop music américaine . . . Voici les principaux chanteurs québécois. Félix Leclerc, né en 1914 à La Tuque, au Québec, il commence à chanter à Paris en 1950 après avoir fait beaucoup de métiers différents. Ses premières chansons sont toujours très connues aujourd'hui : Le p'tit bonheur, Moi. mes souliers. Puis Félix Leclerc retourne au Québec et il sera un exemple pour tous les jeunes chanteurs. Gilles Vigneault est né à Natashquan en 1928. Sou père était pêcheur et il vit longtemps dans la campagne, dans les forêts, au bord de la mer. Il commence à chanter en 1961, en France puis au Québec. Son plus grand succès : Mon pays. Gilles Vigneault raconte la vie de ses amis, à la campagne, parle du froid, de la neige, du vent : il a su mettre en chanson ce grand pays qu'est le Canada. 58
Pauline Julien est née à Trois-Rivières. Elle aussi débute à Paris en chantant des chansons de Léo Feue et de Boris
Vian. Puis elle retourne chez elle, au Québec, où elle devient une grande vedette. Elle chante des auteurs québécois (Vigneault, Lévesque) et aussi ses propres chansons. Robert Charlebois est né a Montréal en 1944. ("est le premier à chanter comme on parle dans la rue. au Québec. En 1968 il a un grand succès en chantant avec Louise Forestier Lindberg. Puis il chante seul : Dolorès, Québec Love, etc . . . Il annonce peut-être la chanson canadienne de demain. Jean-Pierre Ferland, né à Montréal en 1933, débute au Québec avec Je le sais (qui a eu aussi un grand succès en France), puis Modern Hôtel, L'Assassin mondain, etc . . . Claude Leveillé né en 1932 à Montréal, commence à chauler en 1953. Ses chansons les plus connues sont Frédérique et On en fera des voyages.
La jeune chanson québécoise Robert Charlebois.
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Alan Stivell. . . l'un des chanteurs les plus connus et les plus aimés en Bretagne actuellement. . .
ON CHANTE EN FRANCE . . ET ON NE CHANTE PAS EN FRANÇAIS Depuis quelques années, des jeunes gens se sont mis à chanter dans une autre langue que le français. En Bretagne, d'abord, où Glenmor chante en breton depuis 1958. Puis dans toutes les légions où il existe depuis longtemps une langue différente du français. En Occitanie, Marti, le premier, fait des chansons en occitan (lo pais que vol viure) et va dans les villages de paysans où tout le m o n d e le c o m p r e n d . Il est ensuite suivi
par Patric (cal demorar), Delbeau, et surtout par Joan Pau Verdier qui utilise deux langues, le français et l'occitan. Verdict écrit des musiques qui ressemblent au rock ou à la pop, des musiques trés modernes, mais dans ses paroles il raconte la vie des paysans (lo vilatge nejat) ou les légendes de son enfance (legendos). Il chante aussi en français (faitsdivers) et commence à avoir beaucoup de succès. En Bretagne, Alan Stivell joue d'un instrument qui a été oublié, presque perdu, la harpe celtique*. En partant d'airs anciens il fait des musiques trés modernes, cl chante en breton, eu français on en anglais (des chansons irlandaises). Après lui Gilles Serval puis Kirjuhel chantent, en français, des chansons qui parlent de la Bretagne. Des orchestres se forment et, dans les bals, on danse souvent aujourd'hui sur des musiques bretonnes : on appelle ces bals des festou noz (en breton : des fêtes de nuit). La Bretagne et l'Occitanie sont les deux principales régions où cette nouvelle chanson apparaît. Mais il y en a d'autres. Par exemple Roger Siffer chante de vieilles chansons alsaciennes ou en écrit de modernes ; il y a aussi de jeunes chanteurs basques ou catalans . , . Ainsi, à côté des succès populaires ou des chanteurs yéyé qui existent encore, la chanson française cherche une nouvelle direction.
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une guitaire
LEXIQUE
applaudir : frapper des mains pour m o n t r e r que ce que l'on a vu ou e n t e n d u plaît beaucoup. une harpe
celtique
argot : langue des bandits et des voleurs, et aussi langage particulier à certains métiers. baptiser : ici, appeler (donner un nom). un cabaret : endroit où l'on va é c o u t e r des chanteurs, en général jeunes et peu connus. une carrière : ici, vie d'un artiste. un caveau : endroit où l'on chantait autrefois. célèbre : très connu. composer : ecrire la musique ou/ et les paroles d'u ne chanson. un
couplet : dans une c h a n s o n . certaines paroles sont r é p é t é e s : c'est le refrain ; d'autres ne sont pas répétées : elles forment les couplets. un duo : deux personnes qui c h a n t e n t ensemble. enregistrer : faire un disque. une guitare : i n s t r u m e n t de musique. une harpe celtique : voir dessin. une idole: artiste très connu et très aimé. jazz : musique venue des ÉtatsUnis et qui a eu b e a u c o u p de succès en France el dans t o u t e l'Europe. une mélodie : musique d'une chanson. une
.
trompette
un
micro: instrument servant à chanter plus fort et à être e n t e n d u plus loin.
node : On dît que quelque chose est à la mode quand tout le m o n d e l'aime ou en parle. un
music-hall : grande salle ressemblant à un théâtre et où l'on va écouter des c h a n t e u r s l e music-hall e s t beaucoup plus grand que le cabaret. On y écoute des chanteurs très connus.
un
orchestre : est composé de plusieurs musiciens qui jouent ensemble des i n s t r u m e n t s différents (par exemple, tromp e t t e , p i a n o , violon). U n chanteur a en g é n é r a l un orchestre qui l'accompagne.
les
paroles : Quand quand on chante, mots, des phrases. paroles Dans une y a les paroles et (on dit aussi l'air).
un
piano : musique.
ou parle, on dit des Ce sont des chanson, il la musique
i n st r u m en t a l e
un refrain : partie des paroles d'une chanson qui revient plusieurs lois. une salle d'attente : endroit où, dans une gare, un aéroport, on attend le départ d'un train, d'un avion. Ici, le c h a n t e u r qui joue dans un cabaret attend
( e s p è r e ) le m o m e n t où il jouera au m usic-hall et à la télévision. une scène : endroit d'un théâtre où jouent les acteurs, ou endroit d'un music-hall où se trouve le chanteur. un spectacle voir jouer une pièce de théatre ou un film ; écouter des chanteurs, c'est voir et é c o u t e r un spectacle un spectateur : celui qui regarde un film, une partie de sport, une pièce de théâtre, etc. Ici, celui qui écoute un spectacle de chanteurs. se succéder: venir l'un après l'autre. succès : On dit q u ' u n c h a n t e u r a du succès quand il est très c o n n u , que beaucoup de gens achètent ses disques ou viennent l'entendre au music-hall. un succès : une une chanson qui est aimé par un très grand public c o n n a î t le succès. traduire : passer d'une langue à l'autre. Si on prend un livre français et q u ' o n l'écrit en anglais, on dit q u ' o n le traduit en anglais. une trompette : instrument de musique. un troubadour, un trouvère: anciens n o m s q u e l'on donnait aux c h a n t e u r s , il y a très long t e m p s en France. une vedette : artiste très c o n n u .
TABLE DES MATIÈRES Introduction 3 Au temps de Charles Trénet 8 Trente ans de chanson (1940-1970) 15 • Charles Aznavour 20 La chanson « Rive gauche » ... 25 • Juliette Gréco 27 La chanson yéyé ....... . . . . 34 • Johnny Halliday ... . . . . 35 La chanson politique 41 • Jean Ferrat 43 La chanson poétique 44 • Georges Brassens 46. Les succès populaires 53 • Mireille Mathieu 57 En plus . . . La chanson québécoise ... ... 58 On chante en France . . et on ne chante pas en français ............. 60 RÉFERENCES : des t e x t e s : p. 4 : Aristide Bruant, Dans la rue. Seghers ; p. 15 et 41 : avec l'accord des a u t e u r s . Joseph Kessel et Maurice Druon, de l'Académie Française ; p. 18 : Yves Montand, Les Grands Boulevards. et MCMLI Jacques Plante, Ed. Jacques Plante (Haut) ; Jacques Prévert, Ma douce vallée, Éditions Gallimard (Bas) ; : p . 29 : Dis, quand reviendras-tu ? Paroles et musique de Barbara", (c) Francis Liénas. 1962. Chappell S.A. ; p. 32 : Anne Sylvestre, Mon mari est parti. Edit.ions musicales T u t t i ; p. 38 : I.'Idole des jeunes, Mins France, F.d. musicales ; p. 40 : Les Elucubrations, avec l'aimabl autorisation des Ed. musicales Vogue international : p. 41 : Le Déserteur, c Julliard ; p. 48 : Léo Ferré, Paris Canaille, publié avec l'autorisation des Nouvelles Editions Méridian ; p. 50 : Fditions musicales intersong T u t t i ; p. 52 : Le Plat pays, de J a c q u e s Brel, (c) SEMI ( H a u t ) ; Les Vieux, de Jacques Brel, avec l'autorisation spéciale des Editions musicales Pouchenet (Bas). des illustrations : L. Adanson / G a m m a : op 47 49 ; CI. Cayré / Holmès-Lebel : p. 46 . Depardon / G a m m a . p2 . ; Doisneau / Rapho : p p . 1 7 , 5 9 ; i J. Gaumy / G a m m a : p 43 Holmès-Lebel ; p. 26 ; K e y s t o n e : p. 23 ; Lattes / G a m m a p. 13 ( 2 ) ; Le Roux / G a m m a : p. 23 ; Noguès / G a m m a : p. 2 1 . P i é t r i / R a p h o : p. 30 ; L. de R o e m y / G a m m a : p. 35 ; Roger Viollet : pp. 5. 6. 7. 19 ; Alain Sadoc / BNIPP ; p. 29 : Patrick Ullmann : p. 20 ; Georges Vill a i n / Gamma : p. 51 ; Huffloes Vassal / G a m m a ; p p . 56. 5 7 ; Z a l e w s k i / Rapho : p. 14. La p h o t o g r a p h i e de la couverture est de J. Pavlovsky / K a p h o . Carte de dessins de Pierre Dessous. Imprimé en France par l'Imprimerie Hérissey, Évreux. — Nº 21985. Dépôt légal nº 6459-6-1978 — Collection nº 04 — Édition nº 04. ISBN 2-01-000691-7
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DON DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS