Quel rôle pour l’architecte dans des processus d’autoconstruction ?
Rémi El Jadaoui étudiant Stéphane Hanrot et Marion Serre encadrants
Remerciements Je remercie Stéphane Hanrot et Marion Serre qui m’ont patiemment suivi et conseillé tout au long de ce travail. Je remercie également toutes les personnes qui ont accepté de prendre de leur temps pour partager leurs expériences avec moi, sans qui je n’aurais pas pu faire aboutir ce travail. Merci à Laurent pour sa lucidité et son travail de relecture. Je remercie également Mona, Marie-Claude, Clément et mes autres lecteurs et relecteurs pour leurs temps précieux. Enfin, merci à mes amis et à ma famille pour leur soutien tout au long de ce semestre. Mots-Clés Autoconstruction, Architecte, Compétences Résumé Cette recherche se concentre sur la position de l’architecte dans des processus d’autoconstruction. L’objectif a été de documenter à partir de cas concrets les étapes cruciales et les difficultés du processus d’autoconstruction puis de développer une méthode d’analyse pour mettre en évidence le rôle de l’architecte parmi les autres acteurs de ce processus. Grâce à une méthode graphique inspirée du travail de John Habraken sur les Niveaux, et appliquée aux compétences impliquées dans la réalisation d’un processus d’autoconstruction, l’étude propose un modèle graphique d’analyse des interactions architectes / autoconstructeurs. À travers l’interview des autoconstructeurs et des architectes impliqués, nous avons pu mettre en évidence l’existence d’un type particulier de collaboration architecte / autoconstructeur, que cette recherche appelle l’accompagnement à l’autoconstruction. L’étude poursuit en explorant les mécanismes qui sous-tendent les projets d’autoconstruction et conclut en questionnant la législation actuelle qui entrave le développement potentiel de ces collaborations. Abstract This study explored and described which position could take an architect involved in self-build housing processes. The study’s objectives were to document the process and difficulties of self-build housing processes and to develop a method of analysing an architect’s position amongst other actors involved in this kind of processes. A graphic method based on the work of John Habraken on Levels applied to the skills required during the self-building process allowed to develop a model for graphic anlysis of architects / selfbuilders interactions. This graphic model was then applied on real cases of self-build housing through interviews of builders and architects. This study has enabled the discovery of a specific type of architect / self-builder collaboration called the self-build housing support type. The study goes on exploring the hidden rules of self-build processes and concludes by questioning today’s law that impedes further devlopment of these architect / self-builder interactions.
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Sommaire
Avant-propos
p. 9
Introduction
p. 11
I. Quelle place pour l’architecte aujourd’hui dans les processus d’autoconstruction - Études de cas I.1. Années 1970 : Études de cas
p. 19
I.2. Années 2000 – 2010 : Études de cas
p. 25
I.3. Rencontre avec des professionnels de la construction
p. 37
II. Dégagement de types d’autoconstruction à partir des cas d’étude II.1. L’autoconstruction radicale
p. 41
II.2. L’accompagnement au projet d’autoconstruction
p. 42
II.3. Le cas de Léa : un cas d’autoconstruction hybride
p. 46
III. Du rôle de l’architecte dans les processus d’autoconstruction III.1. L’architecte
a-t-il
une
place
légitime
dans
les
chantiers
d’autoconstruction ?
p. 49
III.2. La définition des rôles dans les projets d’autoconstruction
p. 55
Potentiels et limites de l’accompagnement à l’autoconstruction
p. 61
Bibliographie
p. 62
Table des figures
p. 64
Liste des annexes
p. 65
Verbatim d’entretiens
p. 66
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Informations préalables J’ai choisi, pour mes entretiens retranscrits en annexe, de ne communiquer ni les noms de famille ni les lieux de résidence de toutes les personnes qui m’ont accordé de leur temps. Certains prénoms ont été modifiés dans un souci de discrétion. En ce qui concerne les architectes et professionnels du bâtiment, j’ai considéré que leur statut les rendait connus et ai donc indiqué leur nom en entier.
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Avant-propos Ce mémoire trouve ses origines dans un événement dont je fus témoin l’année dernière. Je vivais à Naples depuis 6 mois et depuis quelque temps déjà je fréquentais régulièrement plusieurs friches squattées par des associations culturelles. C’est une pratique courante là-bas qui permet à ceux qui le souhaitent de se retrouver, d’échanger et d’apprendre beaucoup de choses. J’y ai suivi quelques cours de russe, j’y ai rencontré des réalisateurs de films, des philosophes, des musiciens et même un responsable politique du parti Syriza. En janvier 2015, un groupe d’activistes s’est emparé d’une friche inoccupée jusqu’alors : un hôpital psychiatrique judiciaire, sorte de prisons pour fous dont on n’osait pas dire le nom et qui ont arrêté de fonctionner il y a quelques années déjà. Cet hôpital était dans un état déplorable : pas d’eau, plus de câblage électrique et la plupart des vitres explosées. Cette forteresse inhabitée se situe au centre d’un quartier enclavé et marqué par la misère et la détresse humaine. L’intention était de rendre cet espace au quartier et d’en faire un pôle où le lien social pourrait redonner de l’espoir et réactiver l’ensemble du quartier. Ce groupe d’activistes s’y est installé puis barricadé à l’intérieur. Dès le lendemain, la police commençait à préparer l’expulsion des militants. La force de ce groupe se trouve dans le fait que dès la prise de la place forte, ils ont trouvé les ressources nécessaires pour ouvrir l’endroit aux riverains, organiser des manifestations artistiques (poésie, peinture, etc.), diffuser des matchs de foot et ouvrir les anciens espaces communs des détenus aux enfants du quartier. Je m’y suis présenté un jour de réunion populaire en me figurant que ces gens auraient sûrement besoin d’architecture et donc d’architectes pour les aider. Il m’est assez vite apparu que mes compétences durement acquises au sein de l’école ne m’étaient quasiment d’aucun secours quand justement je rencontrai des gens en détresse d’architecture pour répondre à leurs besoins vitaux. J’ai pris une pelle et comme tout le monde j’ai commencé à déblayer les gravas qui bouchaient les couloirs. Cela m’a fait réfléchir sur le rôle de l’architecture et de l’architecte tel qu’on me l’a toujours présenté à l’école d’architecture, et sur le gouffre entre mon niveau actuel et la réalité, alors que l’État considère ce niveau comme égal à un master 1. Suite à cette expérience, je me suis beaucoup questionné sur le rôle de l’architecte dans ces situations où les gens sont encore conscients et acteurs de leur espace vital. Ce collectif n’avait pas besoin de qui que ce soit. Ils construisaient eux-mêmes les conditions d’un futur plus heureux. Chacun des militants avait un bagage, plus ou moins modeste, et c’est l’ensemble de ces bagages mis bout à bout qui a permis de remettre en route les circuits électriques, de calfeutrer les fenêtres, de se procurer du chauffage et de remettre en état la salle de théâtre de la prison. Ces gens auto-construisaient, c’est-à-dire qu’ils construisaient pour eux-mêmes un espace.
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Cela m’a porté vers un autre souvenir, plus familial et plus enraciné chez moi : la maison de mes grands-parents. En Lorraine, dans les années 1970, mon grand-père l’a construite de ses mains. C’est pour moi la véritable maison rêvée au sens de Bachelard 1, j’y ai fantasmé des portes vers d’autres mondes dans le grenier, des pièces magiques et des caves infinies et je pense que c’est sûrement elle qui m’a donné le goût de l’architecture. Faire un mémoire sur l’autoconstruction représentait pour moi à la fois une quête des origines mais aussi un regard vers l’avenir. Je me suis attelé à questionner cette maison qui constitue un repère familial et une partie de mon histoire avec mes yeux d’architecte adulte, et à travers cette enquête j’ai exploré quelle place cette pratique constructive pourrait occuper dans ma vie professionnelle.
1. Cf. Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, 1957.
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Introduction Le fait de réaliser son propre habitat est une pratique intemporelle et on la trouve sous de nombreuses formes partout dans le monde. Toutefois elle ne porte ce nom que depuis peu. Selon le dictionnaire Larousse, l’autoconstruction est “la construction par quelqu’un de sa propre maison”. Mediadico 2 nuance en expliquant que c’est une “construction réalisée en tout ou partie par l’usager”, ainsi l’autoconstructeur (celui qui autoconstruit, l’usager donc) peut se faire aider. La définition que nous retiendrons sera celle de “construction de sa propre maison en tout ou partie par l’usager” ce qui permet de conserver un lien avec l’habitat individuel. Qu’en pensent les architectes ? Les architectes ont commencé à s’intéresser à cette à partir de 1964 avec l’exposition au Museum of Modern Arts de Bernard Rudolfsky 3, et elle fut appelée de manière générale l’architecture vernaculaire.
La rencontre des architectes de cette génération avec les faiseurs d’architecture traditionnelle a permis de mettre en valeur des techniques ancestrales et maîtrisées par les habitants locaux. C’est à travers la découverte de ces techniques et des gens qui les emploient que l’on a commencé à nommer l’autoconstruction. Qui s’est intéressé aux liens entre l’architecture et les autoconstructeurs ? Nous nous appuyons sur le travail d’autres chercheurs. En 2013, l’architecte Albert Hassan a dressé une définition globale des autoconstructeurs et des typologies de l’autoconstruction où il examine dans chaque catégorie quels sont les enjeux et qui sont les acteurs impliqués. Il conclut son étude en proposant d’étudier plus en détail le rôle de l’architecte dans le logement autoconstruit après avoir mis en évidence que la plupart des particuliers se lançant dans l’aventure de l’autoconstruction n’ont pas à priori la connaissance de la construction ni des dangers que cela implique. L’architecte aurait donc un rôle pour aider les constructeurs qui ne disposent pas de tous les savoirs pour construire. Lucien Kroll, architecte, explique que les autoconstructeurs ont besoin d’architectes en ce qui concerne l’accessibilité, les réserves d’espace public, la sécurité au feu, la structure et la santé des matériaux et de l’habitation. Néanmoins, il précise que les autoconstructeurs produisent de la valeur, de la complexité, du pluralisme paysager et de la culture populaire vivante que les architectes sont incapables de créer et qu’ils devraient valoriser. 4 Dans Housing : An Anarchist approach 5, le théoricien anarchiste Colin Ward préconise que l’architecte redescende de son piédestal et souligne que : “Le chef de l’équipe est souvent moins expérimenté que d’autres membres de l’équipe dans d’autres domaines. Cette idée est acceptable si l’on donne la priorité aux meilleures idées et non aux idées du responsable.” 6
2. Dictionnaire numérique français, il est accessible aujourd’hui à http://www.notrefamille.com/dictionnaire/ 3. Architecture without architects : A Short Introduction to Non-pedigreed Architecture au Museum of Modern Arts de New York. 4. Lucien Kroll, Tout est paysage, 2001, Op. Cit. p. 68 - 69 5. Colin Ward, Housing : An anarchist approach, 1976. Op. Cit. 6. “He must have a belief in what I call the non-hierarchical organisation of work. [….] That will only be accepted if it’s commonly accepted that primacy lies with the best idea and not with the senior man.” idem, p. 113 (traduction personnelle)
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Il va même plus loin en expliquant que l’architecte et le maçon devraient être la même personne et cite les architectes Thomas Graham Jackson “…il n’y avait pas d’architecte au sens d’aujourd’hui ; ou plutôt tous ceux qui avaient à voir avec la construction étaient architectes.” 7 ou encore William Richard Lethaby : “L’architecture est une compétence et une sensibilité humaine visible dans la très nécessaire activité de la construction ; Ce doit être un art vivant, progressiste et structurel, en constante adaptation à son temps et son espace.” 8 Pour Colin Ward, l’architecte, le maçon et l’habitant seraient idéalement la même personne. Ratia Rabemananoro propose en 2008 dans son mémoire L’autoconstruction en France 9 une vision critique des mouvements collectifs d’autoconstruction et en particulier des associations Castors. Selon lui, l’autoconstruction en solitaire serait impossible, car certaines tâches requièrent l’intervention de personnes qualifiées, notamment celles qui concernent la stabilité structurelle du bâtiment. Il explique ensuite qu’aujourd’hui, avec l’apparition d’internet, des réseaux de solidarité plus performants ont vu le jour et permettent de surmonter beaucoup d’obstacles grâce aux retours d’expérience entre autoconstructeurs du monde entier tout en conservant la liberté de choix sur les solutions techniques à adopter. La définition de nouveaux rôles Yona Friedman dans son livre L’architecture de Survie 10 renverse la façon dont est produit le logement aujourd’hui et postule que l’habitant est seul capable de bien réaliser sa maison. Il propose deux nouveaux rôles pour l’architecte, radicalement différents de ceux qu’il possède aujourd’hui : Premièrement, celui de grammairien-enseignant de langage architectural 11 chargé d’apprendre aux non-professionnels comment concevoir leurs espaces à partir d’un langage architectural simple. Deuxièmement, celui de conseiller en architecture qui, tel un médecin, dispenserait aux habitants-constructeurs des conseils lors de consultations payantes. Ratia Rabemananoro ne mentionne pas les architectes dans son mémoire mais en suggérant que les autoconstructeurs peuvent plus ou moins bien gérer d’eux-mêmes toutes les étapes du projet, sa conclusion pourrait faire écho à la proposition de Yona Friedman de faire de l’architecte un conseiller. On pourrait l’inclure dans cette catégorie des ressources mobilisables par les autoconstructeurs afin de surmonter les obstacles de la construction demanière autonome. Qui de plus qualifié qu’un expert de la réalisation de projet pour assister un autoconstructeur dans sa tâche ?
7. “Time was when ugly building was not. In those days there were no architects as we understand them; or rather everyone who had to do with buildings was an architect.” idem (traduction personnelle) 8. “Architecture is human skill and feeling shown in the great necessary activity of building; it must be a living, progressive, structural art, always readjusting itself to changing conditions of time and place.” ibidem (traduction personnelle) 9. Ratia Rabemananoro, L’autoconstruction en France, 2008. 10. Yona Friedman, L’architecture de survie, 1977. 11. Cf. idem, Op. Cit. p. 58
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Enfin, Claire Guyet a écrit en 2014 un mémoire intitulé Quel rôle pour l'architecte dans l'autoconstruction ? 12 qui dresse une typologie des postures d’architectes vis-à-vis de la pratique autoconstructive. Elle définit 5 catégories d’architectes en rapport avec les autoconstructeurs : •
Les théoriciens sont ceux qui étudient le phénomène ;
•
Les vendeurs de plans ;
•
Les constructeurs de kit comme Jean Prouvé ou Walter Segal ;
•
Les membres associatifs à l’instar des Compaillons ;
•
Les architectes humanitaires comme le Rural Studio.
Toutefois, ces catégories envisagent l’architecte sous l’angle de son rapport à l’autoconstruction en tant que thématique et pas forcément de la collaboration effective que peut avoir un architecte avec une famille souhaitant autoconstruire sa maison. Nous nous demanderons dans cette étude quelle place l’architecte peut occuper dans des contextes concrets d’autoconstruction. Des profils très variés La diversité des cas d’autoconstructions individuelles rend difficile leur classement en catégories. Ainsi, on peut se demander comment comparer des cas qui par nature sont distincts. Fort heureusement, il existe des lois fondamentales qui régissent la construction quel que soit son type. Ainsi que des étapes clés incontournables et ce, quel que soit le projet de vie que veut concrétiser l’autoconstructeur à travers la construction de sa maison. À chacune de ces étapes les autoconstructeurs sont confrontés à des problèmes qui sont en fait des problèmes typiques de la réalisation d’un projet de construction. Et ils devront trancher à chaque étape en faveur de la solution qui leur parait la plus appropriée. Ce jugement de valeur, nous le retrouvons aussi dans la figure de l’architecte ; c’est le cœur de son métier, c’est ce qui détermine sa compétence. L’introduction de la compétence comme outil transversal Selon le TLFi 13, la compétence est “la capacité que possède une personne de porter un jugement de valeur dans un domaine dont elle a une connaissance approfondie.” Appliquée à l’autoconstruction, cette définition décrirait les compétences comme “les capacités que possède une personne de porter des jugements de valeur en ce qui concerne la réalisation de son habitat.” Dans son livre L’Invention du quotidien 14, le sociologue Michel de Certeau parle des compétences des citadins comme savoir-dire et arts-de-faire.
12. Cf. Claire Guyet, Quelle place pour l’architecte dans l’autoconstruction ? 2014. 13. Trésor de la Langue Française informatisé, disponible sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Linguistiques : http://www.cnrtl.fr/ 14. Michel de Certeau, L’invention du quotidien – Arts de faire, 1980.
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Nous y rajouterons la notion de savoir-habiter issue des travaux de Daniel Cérézuelle : “la capacité à la fois pratique et psychologique à utiliser et entretenir son logement, à se l’approprier, à maîtriser les diverses interactions sociales, techniques, symboliques, économiques, qui accompagnent le fait de vivre dans un logement, de l’entretenir, et pas seulement d’occuper des mètres carrés.” 15 Nous pensons que ces trois types de compétences (savoir-dire, arts-de-faire et savoir-habiter) sont à l’œuvre dans les processus d’autoconstruction de son propre habitat. Chez de Certeau, la compétence apparait aussi comme un outil de résistance, de subversion aux obligations que l’on subit au quotidien. C’est son “Art du faible”. Mais l’objet de notre étude porte sur la création d’espace et non de subversion. Pour nous les compétences ont plutôt valeur d’outils au service de la réalisation de l’habitat individuel. La compétence s’entend aussi dans le travail d’Agnès Deboulet et d’Isabelle Berry-Chikhaoui 16 comme “capacité à juger, à se représenter mais aussi à agir juste, c’est-à-dire au bon moment dans un registre compréhensible pour un public à convaincre et des autorités à influencer” ce qui nous semble décisif en situation de projet et notamment sur un chantier. En effet le chantier est un temps bien particulier avec son propre rythme, fait de temps forts mais aussi de temps faibles. Les temps forts sont les “bons moments” dont parle Deboulet, ceux où l’on exerce la compétence pour prendre un choix. Les temps faibles sont ceux où le chantier poursuit dans la direction choisie jusqu’au prochain tournant décisif. Nous voyons donc que la compétence n’est pas un savoir immanent. Elle est au contraire indissociable de sa mise en œuvre. La dimension temporelle pour mettre en valeur la répartition des compétences La volonté d’inscrire cette recherche sur la temporalité du projet, c’est-à-dire dans un processus avec des étapes qui se succèdent, est fondamentale pour mettre en évidence le rôle des acteurs en présence. C’est à travers cet outil que nous serons capables de définir qui intervient, quand et dans quelles conditions. Pour déterminer le rôle que peut occuper l’architecte dans des processus d’autoconstruction, nous allons analyser des cas concrets. L’outil que nous utilisons est celui de l’entretien. Nous avons procédé par entretien semi-directif car ceux-ci sont plus aptes à recueillir les récits d’expérience et l’avis personnel de nos interlocuteurs. Pour formuler nos questions, nous nous sommes intéressé à l’aspect concret des projets (surface, prix, temps de réalisation), à leur aspect juridique (mode de collaboration légale architecte / autoconstructeur) et au récit du chantier étape par étape (qui fait quoi, quand et comment ?) La relative liberté de ton qu’autorise l’entretien semi-directif a aussi permis d’obtenir des réponses à des questions non préparées. Nous avons mis au point deux outils graphiques pour mettre en évidence les différents acteurs et leurs rôles tout au long du chantier à partir de nos entretiens.
15. Daniel Cérézuelle, Crise du « savoir habiter », exclusion sociale et accompagnement à l’autoréhabilitation du logement, 2007. Op. Cit. p.3 16. Isabelle Berry-Chikhaoui et Agnès Deboulet (dir.), Les compétences des citadins dans le monde arabe : penser, faire et transformer la ville, 2000.
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Le premier outil est une grille inspirée des travaux de John Habraken sur les niveaux.17 Cet outil propose une décomposition des étapes du chantier pour mettre en évidence qui réalise quoi. Pour aider à la compréhension des particularités du chantier, l’ordre effectif de réalisation apparait dans la colonne de gauche et des détails sur la mise en œuvre sont indiqués dans la colonne de droite. Au centre, les acteurs intervenant sur le projet sont divisés en quatre catégories : L’autoconstructeur, l’architecte, les professionnels et les autres. Cet outil permet de mettre en évidence les responsabilités et la participation des intervenants tout au long du chantier.
(ordre de réalisation) Choix du terrain
Compétences Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Définition du programme Dessin des plans Dépôt Permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier Existant VRD Charpente bois
Date
Les pastilles vertes donnent des informations sur le rôle de l’autoconstructeur La présence de deux couleurs indique une collaboration lors de cette étape. Les variations de largeur désignent un changement d’autorité. Ici l’architecte prend le pouvoir pour les étapes de conception
Définition du programme Dessin des plans Dépôt permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier
En bleu, nous considérons tous les professionnels payés pour prendre part au chantier. Ici ce serait une entreprise générale qui réalise tout les travaux, assistée de l’autoconstructeur.
Fondations VRD Structure Toiture
Plomberie
Isolation
Isolation
Fenêtres
Fenêtres
Enduits extérieurs
Enduits extérieurs
Plomberie
Électricité
Électricité
Chauffage
Chauffage Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
st ru
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Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
Le
ut oc on
Aménagement
En Jaune, nous représentons tous les autres acteurs du projet : amateurs, bénévoles, amis, famille, etc. Dans ce cas de figure, des amis sont venus aider à réaliser le second oeuvre, l’ isolation, les enduits et les cloisons
Cloisons
L’a
Cloisons Enduits & peintures intérieures
A gauche, nous indiquons l’ordre effectif de réalisation des étapes du chantier. Dans cet exemple de projet les fondations existaient déjà et la structure et la toiture sont une seule et même charpente. On voit aussi que la plomberie a été réalisée avant l’ isolation.
Second œuvre
L’a
Second œuvre
Détails
Figure 1 – Exemple : Compétences et responsabilités des acteurs d’un projet type
17. John Habraken, “The Uses of Levels”, dans l’Open House International, Vol. 27 n°2, 2002. Disponible sur son site : http://www.habraken.com/html/downloads/the_uses_of_levels.pdf
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Le deuxième outil est un diagramme de Venn à quatre courbes. Chacune représente la quantité d’étapes auxquelles a participé une de nos quatre catégories. Leurs intersections représentent les étapes réalisées en collaboration. Cela permettra de mettre en évidence les chantiers où une véritable collaboration a eu lieu.
L’autoconstructeur Professionnels
L’architecte
Proches
Figure 2 – Exemple : Collaboration entre les différents acteurs d’un projet type Par comparaison, ces deux schémas nous permettront de repérer rapidement des similitudes et des éléments récurrents dans la répartition des compétences au sein des les chantiers d’autoconstruction que nous avons étudiés. Cadre du sujet L’étude se concentre sur le contexte français, et en particulier sur la réalisation de maisons individuelles, que ce soit ex nihilo ou en réhabilitation, à une époque récente. Travailler sur l’autoconstruction en France m’intéresse car, dans le contexte de ce pays, la pratique semble représenter un paradoxe. La France est un des pays les plus riches parmi les puissances occidentales. C’est un pays capitaliste financier et industrialisé qui produit massivement du logement standardisé fabriqué par une industrie de spécialistes aux rôles bien répartis. La France est aussi un des pays qui contribue le plus aux programmes de développement pour les pays pauvres. Elle contribue notamment en 2005 à hauteur de 6 millions d’euro au Fonds des Nations Unies pour la Population 18 et à 5,59 % annuels du budget total de l’organisation des Nations Unies (soit 8,5 milliards d’euro) 19. Pourtant dans ce même pays, l’autoconstruction est populaire auprès des élites intellectuelles françaises concernées bien qu’elle soit une pratique marginale (3 % des constructions annuelles selon Consoglobe). 20 On peut citer de nombreux professeurs des grandes écoles des disciplines urbaines en France, notamment Patrick Bouchain, Gilles Clément (titulaire d’une chaire annuelle au Collège de France en 2011) ou encore Jean-Paul Loubes. Mais aussi beaucoup 18. Cf. Site officiel de l’UNFPA : http://www.unfpa.org/funds-and-funding 19. Cf. le site de l’ambassade française à l’ONU : http://www.franceonu.org/Le-financement-de-l-ONU-8604 20. Article : http://www.consoglobe.com/autoconstruction-un-reve-qui-devient-accessible-cg/ Toutefois, il est à l’heure actuelle impossible de recenser précisément le nombre d’autoconstructeurs. Les seuls qui seraient en mesure de calculer cette donnée sont les banques qui prêtent aux autoconstructeurs.
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d’associations et de collectifs d’étudiants et de jeunes diplômés sensibles à ces questions. Ainsi tout en finançant le développement à travers le monde d’une architecture basée sur une production industrielle lourde, nos penseurs s’inspirent de la ville informelle des pays que l’on est supposé aider pour imaginer nos pratiques de demain. D’autre part le contexte français me semble propice au développement de l’autoconstruction. La population est bien instruite, l’accès aux livres et à internet est facile. La population française est de plus en plus sensible à l’écologie et aux économies du partage. Les AMAP 21 et les Fab Labs fleurissent sur le territoire ces dernières années. De plus, les Français sont les plus bricoleurs de l’Union Européenne selon des sondages européens. Nous dépensons en moyenne 1060 € par an dans l’amélioration de nos logements, tout en étant 62 % de la population à considérer le bricolage comme un loisir selon un sondage IFOP 22. Nous subissons également une crise économique rude et durée installée. Toutes ces conditions me semblent propices à une augmentation du nombre d’autoconstructeurs en France dans les années à venir. L’étude de l’autoconstruction de l’habitat individuel me semble être la bonne échelle pour étudier cette pratique. D’une part, les différents acteurs du processus d’autoconstruction sont facilement identifiables et d’autre part l’échelle modeste de ces projets devrait me permettre d’obtenir de la part des acteurs engagés des retours d’expérience plus complets de leur aventure autoconstructive. Le choix de prendre également en compte l’autoréhabilitation dans ma définition du cadre d’étude est motivée par le fait qu’il s’agit d’une pratique courante. Le Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire estime à partir d’un rapport de l’Agence Nationale de l’Habitat qu’entre 700 et 1000 chantiers d’autoréhabilitation sont initiés chaque année 23. Cela me semble assez conséquent et mérite donc que cela soit pris en compte. C’est en tant que jeune architecte que je souhaite aborder ce sujet. C’est-à-dire avec une vision assez globale sur l’acte de construire dans ses dimensions historiques, théoriques, techniques, conceptuelles, logistiques, etc. Je ne suis pas un spécialiste mais je me réserve le droit de convoquer des outils venus d’autres disciplines à l’appui de ma réflexion et de l’aide pour les utiliser, notamment l’outil de l’entretien venu de la sociologie.
21. Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne 22. Freins et motivations des Français face au bricolage, Etude Ifop pour Castorama, 31 mai 2011. 23. Julien Rémy, “L’auto-réhabilitation accompagnée : Un outil technique au service d’une « mise en mouvement » des populations défavorisées” dans Recherche Sociale n°183, Juillet-Septembre 2007, p. 4
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Nous ne parlerons pas de… Nous ne parlerons pas de l’architecte vendeur de plans.24 Même s’il intervient effectivement dans des processus d’autoconstruction, son rôle nous semble assez évident et peu intéressant. Il résout les problèmes de conception et de technique via un système fini d’éléments combinatoires. Il vend des kits ou des plans préconçus. Cela nous semble passer à côté de toute la dimension paysagère et personnelle d’un projet individuel et unique. Nous parlerons plutôt d’architecture in situ. Nous ne parlerons pas non plus des autoconstructions collectives d’équipements urbains par des associations. Bien que ce soit une forme importante d’autoconstruction, elle ne répond pas à la question de l’émancipation personnelle et du projet de vie individuel qui nous intéresse. L’objectif est de mettre en évidence le rôle de l’architecte dans des processus d’autoconstruction, à l’échelle de la réalisation d’une maison individuelle en France. Présentation de l’argumentaire Afin de trouver quel pourrait être le rôle de l’architecte dans des processus d’autoconstruction contemporains, nous allons commencer par étudier en détail nos cas d’étude et en faire ressortir les éléments structurants concernant le rôle de l’architecte. Ensuite nous prendrons un peu de distance et nous nous questionnerons sur la légitimité de la présence d’un architecte dans ces projets et enfin nous analyserons comment sont définis et articulés les rôles entre les protagonistes dans les projets d’autoconstruction.
24. Selon Claire Guyet, déjà citée plus haut. Voir p.10, note n°11.
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I. Quelle place pour l’architecte aujourd’hui dans les processus d’autoconstruction - Études de cas Je suis allé à la rencontre d’autoconstructeurs pour recueillir leurs témoignages. Tous sont différents. Certains ont eu affaire à un architecte, d’autres s’en sont passés. Parmi mes cas d’études, figurent tout d’abord des autoconstructeurs ayant mené leur projet durant les années 1970. Ce contexte historique me semblait intéressant car il témoigne d’une pratique déjà bien existante et de préoccupations caractéristiques de cette époque. J’ai ensuite sélectionné quatre familles d’autoconstructeurs contemporains avec des projets de vie et des résultats qui se distinguent suffisamment entre eux. Ces familles m’ont reçu chez elles et nous avons pu revenir en détail sur leur expérience. Parmi eux, trois ont collaboré avec des architectes que j’ai rencontré et avec qui nous avons parlé de ces projets. Pour parfaire cette enquête, je suis allé rencontrer des professionnels. Je me suis dit que des avis extérieurs seraient les bienvenues pour avoir un regard plus large sur cette pratique. J’ai interrogé un professeur en école d’architecture et le responsable des Castors Rhône-Alpes.25 Certaines constantes sont apparues et nous les analyserons ensemble un peu plus loin. Examinons d’abord en détail les témoignages.
I.1. Années 1970 : Études de cas Mes deux premiers cas sont liés : Jean-Claude (cas 1) et Jean-Marie (cas 2) sont beaux-frères. En 1972, Jean-Claude entreprend la construction de sa maison. Jean-Marie donnera des coups de main et cette expérience de construction lui donnera la motivation de lancer le chantier de sa propre maison en 1974. Jean-Claude réalisa les plans de la maison de Jean-Marie et il interviendra également pour aider sur le chantier. I.1.1. Cas n° 1 : Jean-Claude et Lucette, 1972 : autoréhabilitation d’une maison de village Biographie Jean-Claude et Lucette sont mariés et vivent dans un petit village en Moselle. Compétences Jean-Claude a été ajusteur en usine puis dessinateur technique. Avant ça, il avait travaillé comme manœuvre à la ferme et à l’usine. Il se considère comme un touche-à-tout et pense tout pouvoir faire.26 Jean-Claude est aussi impliqué à la mairie de Lommerange. Il est au courant des subtilités des documents à instruire pour faire des travaux.
25. L’association des Castors – Section Rhône Alpes est une fameuse association d’aide à l’autoconstruction. 26. Cf. entretien avec Jean-Claude, le 17 décembre 2015. Voir en Annexe p. 68
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 19
Le projet En 1972, il achète une vieille maison à Lommerange. Elle est en très mauvais état à l’intérieur mais les murs porteurs et la toiture sont encore valides. Il décide d’autoconstruire et en 1974 la maison est achevée. Pourquoi autoconstruire ? Le choix de l’autoconstruction est avant tout motivé par des raisons économiques. Construire soi-même évite d’avoir à payer la main d’œuvre et permet de réaliser une grosse économie par rapport à un chantier traditionnel. Conditions de vie pendant le chantier Jean-Claude et sa famille vivaient dans une maison en location en face du chantier. Opinion sur le rôle de l’architecte Jean-Claude n’a pas eu besoin de faire appel à un architecte. Les caractéristiques de son chantier ne le lui imposaient pas et il n’en voyait pas l’utilité. Résolution des problèmes Jean-Claude considère qu’il sait tout faire, ou qu’en tout cas, rien n’est impossible. Partant de ce postulat, il a tout fait lui-même. Pour s’aider quand il ne savait pas, il s’est documenté, notamment auprès du magazine Système D 27 qui lui a fourni les instructions pour réaliser son installation électrique. Avant et après ce chantier, il réalisa des plans de maison pour des particuliers puisqu’il savait dessiner de par sa formation de dessinateur industriel et qu’il possédait les outils. Sur le chantier, il y a eu quelques moments délicats (consolidation de la toiture, pose des dalles). Dans ces situations, Jean-Claude a “parfois réfléchi plusieurs jours avant de décider comment j’allais le faire. Mais on peut tout faire.” 28 Satisfaction Jean-Claude est satisfait du résultat. Il estime qu’en comparaison avec les maisons d’architectes réalisées à cette époque dans son village, la sienne ne se dégrade pas plus vite.
27. En 1972 internet n’existait pas. 28. Cf. entretien avec Jean-Claude, le 17 décembre 2015. Voir en Annexe p. 68
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 20
(ordre de réalisation)
Date
Compétences
Détails
1972 Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier
Définition du programme Dessin des plans Dépôt permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier
Existant
Fondations
Existant
VRD
Structure Existant Second œuvre
Structure Second œuvre Isolation
Fenêtres
Fenêtres Enduits extérieurs
Plomberie
Plomberie
Électricité
Électricité
Chauffage
Chauffage Cloisons
Jean-Claude a préféré faire intervenir un plâtrier pour obtenir un rendu d’une qualité supérieure à ce dont il était capable.
Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
1974
Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
ru st ut oc on
Aménagement
Un chauffagiste interviendra pour installer le chauffage central.
L’a
Cloisons Enduits & peintures intérieures
Son beau-père et son beau-frère Jean-Marie viendront aider à la réalisation des dalles et d’autres ouvrages par la suite.
Toiture
Isolation
Enduits extérieurs
Jean-Claude dessine le plan d’après son expérience et en s’inspirant des maisons du village. Il conserve les façades et la toiture existante et ne pose donc pas de permis.
ct eu rc r pr hit e of c es t si e on ne l Au tr e
Dessin des plans Dépôt Déclaration de Travaux
Il décide de lui-même que les planchers sont trop vieux et qu’ il faut les refaire.
Le
Définition du programme
Jean-Claude rachète une vieille maison de village pour s’y installer.
L’a
Choix du terrain
Figure 3 – Jean-Claude : Compétences et responsabilités des acteurs du projet
Jean-Claude
Jean-Marie et son père
Professionnels
Figure 4 – Jean-Claude : Collaboration entre les différents acteurs du projet
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 21
I.1.2. Cas n° 2 : Jean-Marie et Marie-Paule, 1974-76 Biographie : Jean-Marie et Marie-Paule sont mariés avec des enfants et vivent dans un petit village de Meurthe-et-Moselle. Compétences : Jean-Marie a un parcours similaire à celui de Jean-Claude. Il a travaillé dans les champs et à la mine puis en usine. Il obtient par la suite un diplôme d’ajusteur en usine. Le projet : Séduits par l’expérience constructive de Jean-Claude et Lucette à laquelle ils ont participé bénévolement, ils décident de construire eux aussi leur maison. Ils rachètent une maison de village et la rénovent. Contrairement au chantier de Jean-Claude, tout le gros œuvre et certains autres ouvrages sont confiés à des entreprises. Jean-Marie réalise tout seul certains ouvrages du chantier. Pourquoi autoconstruire ? Le choix d’autoconstruire est là aussi principalement motivé par des raisons économiques. Jean-Marie réalise la charpente, le crépi, la pose des fenêtres, l’isolation, les cloisonnements, les plâtres, tapisseries et enduits. Conditions de vie pendant le chantier : Jean-Marie et sa famille vivaient dans un appartement dans une ville voisine. Ils payaient à la fois la location et les traites du crédit pendant le chantier. Ils se sont installés une fois la maison hors d’eau, hors d’air et raccordée aux réseaux. Opinion sur le rôle de l’architecte : L’architecte a seulement signé le projet. Jean-Marie le considère comme un profiteur. Marie-Paule nuance en expliquant qu’il était utile, au moins pour s’assurer de la conformité de leurs plans.29 Résolution des problèmes : Pendant la conception, Jean-Marie s’est assuré de surélever la maison car il savait que le sous-sol était particulièrement humide et nécessitait une aération. Pour réaliser les plans, il est allé solliciter son beau-frère Jean-Claude. Ils se sont servis de l’emprise de la maison démolie et du plan de la maison de Jean-Claude pour dessiner celui de la maison actuelle. Sur le chantier, peu de problèmes sont survenus, à part quelques retards d’exécution de la part des maçons. Pour réaliser les ouvrages dont il était responsable, Jean-Marie insiste sur le fait d’observer un sachant pour pouvoir faire par la suite. Pour la charpente, il a notamment participé à d’autres chantiers afin d’apprendre la technique. Satisfaction : Jean-Marie et Marie-Paule sont relativement satisfaits de leur ouvrage. Ils regrettent quelques choix (le revêtement de sol au rez-de-chaussée, le dessin de l’entrée) mais reconnaissent qu’ils n’auraient pas pu faire mieux faute d’expérience préalable. Jean-Marie reconnaît avoir appris pas mal de compétences. 29. Cf. entretien avec Jean-Marie et Marie-Paule, le 29 novembre 2015. Voir en Annexe p. 73
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 22
(ordre de réalisation)
Date
Compétences
Détails
1974 Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier Existant VRD Structure Second œuvre Toiture
Dessin des plans Dépôt permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier Fondations VRD Toiture Second œuvre Isolation
Fenêtres
Fenêtres Plomberie
Électricité
Électricité
Chauffage
Chauffage
Jean-Marie a réalisé tout le reste lui-même, le soir et les week-ends.
Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
1976 1974
Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
ru st ut oc on
Aménagement
Cloisons
L’a
Cloisons
Jean-Marie participera à toutes les phases de construction, d’abord en tant que manoeuvre puis en autonomie sur certains ouvrages. Jean-Claude est venu donner la main sur son temps libre pour aider Jean-Marie à réaliser la toiture et les fenêtres. Un cousin électricien viendra installer le réseau pour des raisons légales. Il sera secondé de Jean-Marie. Il l’aidera également à poser la tuyauterie.
Enduits extérieurs
Plomberie
Enduits & peintures intérieures
Une petite entreprise de maçonnerie réalisera la démolition et le gros œuvre de la maison. Pour économiser de l’argent, les pierres de l’ancienne maison ont servi à faire la nouvelle.
Structure
Isolation
Enduits extérieurs
Jean-Marie engage un architecte pour le dépôt du permis de construire.
ct eu rc r pr hit e of c es t si e on ne l Au tr e
Dessin des plans Dépôt Permis de construire
Définition du programme
Le
Définition du programme
Jean-Marie possède une vieille maison. Il décide de la détruire et d’en reconstruire une autre sur le même emplacement. Avec l’aide de Jean-Claude, ils dessinent le plan d’après sa maison et celle de Jean-Claude. Ils pensent à intégrer des contraintes locales (humidité au sous-sol).
L’a
Choix du terrain
Figure 5 – Jean-Marie : Compétences et responsabilités des acteurs du projet
Jean-Marie
Jean-Claude
L’architecte du permis
Professionnels
Figure 6 – Jean-Marie : Collaboration entre les différents acteurs du projet
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 23
I.1.3. Synthèse intermédiaire : Années 1970 Dans les deux cas étudiés, les autoconstructeurs sont des jeunes familles voulant s’installer. Les deux démarches revêtent un caractère décisif dans leur projet de vie. Ces deux projets sont liés. Jean-Claude a réalisé sa maison et a bénéficié de l’aide de sa famille pour y parvenir. Parmi eux, il y avait Jean-Marie. Jean-Marie par la suite décide de réaliser sa maison et sollicitera Jean-Claude. Celui-ci était tout indiqué pour l’aider. Non seulement il avait les compétences pour dessiner le plan mais surtout il avait déjà réalisé une maison lui-même. Il apparaît dès lors que le réseau de solidarité constitué par la famille a eu une importance majeure dans la bonne réussite du projet de Jean-Marie car il a pu bénéficier de l’expérience de Jean-Claude. Mais ce réseau a aussi profité à d’autres membres de sa famille ; Jean-Marie cite notamment un cousin électricien qui est venu travailler sur sa maison. 30 Selon les dires de Jean-Claude, Jean-Marie n’est pas le seul à l’avoir consulté pour réaliser les plans. Et nombreuses sont ses connaissances qui sont venus lui demander de l’aide dans la mise en forme de leur projet de maison. La présence de quelqu’un de compétent en dessin de plans, même non architecte, a permis de faciliter les démarches d’une vingtaine de familles dans la région à cette époque. Pour résoudre les problèmes qui peuvent survenir sur ces deux chantiers on observe dans les cas d’étude trois cas de figure : aller chercher de la documentation technique, aller solliciter des savants dans son réseau social ou encore aller apprendre les techniques auprès de professionnels. On constate également que le choix de l’autoconstruction est motivé par des raisons économiques. Dans nos deux cas, une logique de réemploi des matériaux du site a été mise en œuvre, toujours dans un souci économique. On notera enfin cette remarque de Marie-Paule, qui qualifie l’autoconstruction de pratique fréquente à l’époque où se sont déroulés ces projets.
30. Cf. entretien avec Jean-Marie et Marie-Paule, le 29 novembre 2015. Voir en Annexe p. 74
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 24
I.2. Années 2000 – 2010 : Études de cas Afin de rassembler des témoignages plus contemporains, j’ai rencontré 4 familles d’autoconstructeurs, tous situés dans la même vallée des moyennes Alpes. Dans le premier cas d’étude, l’autoconstructeur a engagé un architecte avec qui il s’est brouillé après le dépôt de permis. Il a de ce fait construit le projet seul, sans respecter les plans qu’il jugeait inadéquats. Les trois autres cas sont des collaborations fructueuses entre architectes et autoconstructeurs de la même famille ou amis proches. Deux de ces cas ont reçu l’aide du même architecte. I.2.1. Cas n° 3 : Gino, 2000-2015 (chantier en cours) Biographie Gino et sa femme sont belges. Ils décident en 2000 de quitter leurs emplois respectifs pour s’installer dans les moyennes Alpes et y construire un gîte dont ils s’occuperont pour assurer leur subsistance. Compétences Gino est comptable de profession. Cependant son père gérait une société de construction générale et Gino y a travaillé toute sa jeunesse.31 Il est donc relativement à l’aise avec les différentes étapes d’un chantier et plus précisément sur tout ce qui concerne la maçonnerie. Le projet Sur le terrain qu’ils ont acheté se trouvait une grande maison en pierre assez abîmée. Gino a choisi de la réhabiliter et de la convertir en gîte. Une partie du gîte est dédiée à l’appartement de Gino et de sa femme. Surface : 1200 m² Prix : inconnu Pourquoi autoconstruire ? Au vu de l’ampleur des travaux à conduire et le coût que cela représentait, Gino a choisi de s’en occuper lui-même pour économiser de l’argent. Pourquoi avoir fait appel à un architecte ? Gino a fait appel à un architecte car la législation le lui imposait. En effet, son projet dépassait largement les 170 m² réglementaires. Malheureusement, le projet tel que l’avait conçu l’architecte ne convenait pas vraiment aux désirs de Gino. L’agencement des chambres ne convenait pas à la conception que Gino se faisait d’une chambre d’hôtes et la problématique de travailler avec l’existant n’a pas vraiment été prise en compte.32 Après le dépôt de permis, Gino a rompu le contact avec l’architecte et a entrepris lui-même la construction. Il en a profité pour intervertir certaines pièces afin de mieux les ventiler. Il a aussi changé les circulations et réalisé d’autres ouvertures que celles préconisées par le plan de l’architecte.
31. Cf. entretien avec Gino, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 77 32. Cf. entretien avec Gino, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 78
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 25
Résolution des problèmes Le père de Gino est venu l’aider de façon ponctuelle pour des travaux complexes comme par exemple le coffrage des voûtes en pierre du rez-dechaussée ou pour déplacer des éléments en pierre massive. Pour tout le reste, Gino s’est débrouillé seul. Pour résoudre les problèmes de conception qu’il a identifiés dans le plan de l’architecte, notamment au niveau des chambres, Gino a utilisé une technique originale : Avant de poser les cloisons, Gino posait au sol une rangée de briques selon le dessin de l’architecte pour vérifier si la disposition des espaces (salle de bain, placards, chambre à coucher) lui convenait. Il modifiait ensuite la configuration en bougeant les briques jusqu’à obtenir quelque chose qui lui plaisait. Enfin il passait à la réalisation effective des cloisons. Satisfaction Gino est satisfait pour l’instant mais il dit également accuser une certaine fatigue. Le chantier n’est pas encore achevé et il a hâte d’en voir la fin. “J’attends le beau temps pour continuer. Mais bon un jour ça va être fini, je ne sais pas encore lequel mais voilà.” 33
33. Cf. entretien avec Gino, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 82
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 26
(ordre de réalisation)
Compétences
Date
Détails
2010 Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Dépôt Permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier Existant VRD Structure Toiture Second œuvre
Définition du programme Dessin des plans Conception technique Commande des matériaux Fondations VRD Structure Second œuvre Isolation Fenêtres Plomberie
Électricité
Électricité
Chauffage
Chauffage
Gino ne s’y connaissait pas trop en plomberie / électricité. Avec des livres il a appris comment réaliser ces ouvrages.
Cloisons Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
non achevé
À l’heure actuelle, 1000 m² sur les 1500 du plan original ont été réalisés. Le gîte est fonctionnel et Gino et sa femme s’en occupent. Gino a moins de temps disponible qu’avant pour continuer les travaux.
Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
ru st ut oc on L’a
Aménagement
C’est aussi son père qui fabrique et monte les fenêtres et les placards.
Enduits extérieurs
Plomberie
Cloisons
Le père de Gino est entrepreneur en bâtiment. Il vient l’aider à remonter des voutes et des murs de pierre en mauvais état.
Toiture
Fenêtres
Enduits & peintures intérieures
Gino s’attelle à la construction tout seul. Il commence par son logement et construit petit à petit le gite.
Organisation du chantier
Enduits extérieurs Isolation
Gino est obligé d’engager un architecte local car le projet faisait 1500 m². Celui-ci dessinera le projet à partir du programme de Gino et déposera le permis de construire.
Dépôt permis de construire
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Dessin des plans
Le
Définition du programme
Gino rachète un vieux mas en ruine pour le transformer en son logement et des gites de montagne
L’a
Choix du terrain
Figure 7 – Gino : Compétences et responsabilités des acteurs du projet
Gino
L’architecte du permis Son père
Figure 8 – Gino : Collaboration entre les différents acteurs du projet
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 27
I.2.2. Cas n° 4 : Manon, Johann et Stéphane Hanrot en 2010 Biographie – Manon et Johann Johann et Manon sont un jeune couple d’instituteurs. Ils ont décidé de s’installer ensemble à la campagne une fois leurs études finies. Accéder à la propriété était aussi un moyen de s’affranchir du système locatif, que Johann considère comme une absurdité. 34 Compétences Avant la construction, ni Johann ni Manon ne disposaient de compétences de construction. Le projet Le projet se compose de deux maisons accolées et reliées entre-elles. Ce terrain se situe dans un centre villageois classé au patrimoine historique. L’idée était de réhabiliter ces maisons pour en faire un bel habitat. Surface : 300 m² Budget : 150 000 € soit 500 € / m² Pourquoi autoconstruire ? Tous les deux avaient envie de tenter l’aventure. “J’avais clairement envie de mettre les mains dedans et de faire une partie […]On ne voulait pas une maison neuve.” 35 Pourquoi faire appel à un architecte ? Manon a un père architecte, Stéphane Hanrot. Lorsqu’ils ont commencé à chercher une maison ils lui ont demandé de venir les assister. Biographie - Stéphane Hanrot Stéphane Hanrot est architecte et dirige une agence à Marseille. Il est aussi professeur, directeur de département et chercheur à l’école d’architecture. Avant de faire de l’architecture, il avait commencé un CAP de maçonnerie. Stéphane est le père de Manon. Lorsqu’elle et son compagnon Johann ont décidé de s’installer ensemble ils ont sollicité Stéphane pour les aider à choisir une maison à réhabiliter. Il continuera à apporter son aide tout au long du chantier mais de manière informelle, comme il dit “on y allait en famille.” 36 Un rôle d’accompagnement Pour cette expérience d’autoconstruction, Stéphane a pris une posture différente de celle qu’occupe généralement un architecte sur un projet traditionnel. Il a choisi de se mettre en retrait. De ses propres mots : “Il y avait des précautions de ma part pour essayer de ne pas être envahissant sur la question de l’architecture et du chantier et de la réalisation, pour éviter de m’imposer comme l’architecte de la maison… Je me suis astreint à être plutôt le conseiller en architecture.” Et plus loin “Quand on se voyait, je leur donnais des principes, des suggestions…” 37
34. Cf. entretien avec Johann, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 83 35. Cf. idem 36. Cf. entretien avec Stéphane Hanrot, le 18 décembre 2015. Voir en Annexe p. 91 37. Cf. idem p. 92
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 28
C’est un poste de conseiller pédagogue qu’il s’efforcera d’adopter sur le projet. C’est ce que confirme Johann qui explique que Stéphane passait beaucoup de temps à lui expliquer des principes plutôt que de lui donner des solutions techniques. Toutefois, dans des situations bien particulières, Stéphane reviendra au premier plan. Il cite notamment le refus du permis de construire qu’il est ensuite allé négocier avec l’Architecte des Bâtiments de France, ainsi qu’un autre évènement survenu pendant le chantier : un mur structurel à risque qu’il a stabilisé après avoir demandé à tout le monde d’évacuer la maison par sécurité. Dans ces cas, Stéphane a pris un rôle plus proche de celui d’un artisan. Résolution des problèmes La conception s’est faite au fur et à mesure et d’abord de manière informelle avec des croquis. Une fois sur chantier, Johann et Manon se sont confrontés étape par étape aux problèmes techniques. Ces derniers ont pu être résolus soit grâce aux conseils de leur réseau social et notamment de Stéphane et d’autres habitants du village, soit en expérimentant sur le chantier. L’aspect familial Ce chantier possède un caractère familial qu’il est important de préciser et qui influe sur le rôle que Stéphane a pu occuper dans le chantier. D’une part ses premières interventions étaient informelles, et se déroulaient au cours des repas de famille où l’on discute en dessinant sur un coin de table. Cela continuera tout au long du chantier où il viendra aider régulièrement le week-end. D’autre part, le caractère familial de ce chantier a conforté Stéphane dans son choix de se mettre en retrait : c’était la période où il apprenait à connaître son gendre. Satisfaction Johann et Manon sont très satisfaits de leur expérience de construction. Elle leur a permis de faire leurs preuves auprès des habitants du village. Johann considère qu’il a énormément appris grâce à cette expérience.
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 29
(ordre de réalisation)
Compétences
Date
Détails
2008 Choix du terrain
Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Définition du programme Dessin des plans Dépôt Permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier Fondations existantes VRD existante Planchers et renforts structurels Toiture Second œuvre existant
Pour trouver une maison à réhabiliter, J & M ont sollicité l’avis de Stéphane et d’autres membres de la famille avec une expérience de construction. Stéphane et l’oncle de Johann ont chiffré les travaux.
Définition du programme
J & M dessinent les plans. Stéphane leur donne des conseils.
Dessin des plans
J & M déposent le permis et l’ABF le refuse. Stéphane redessine le projet et convainc l’ABF.
Dépôt permis de construire Conception technique
Un nouveau plancher collaborant a été étudié par un collègue ingénieur de Stéphane.
Commande des matériaux Organisation du chantier
Dominique, la mère de Johann a aidé à organiser le chantier
Fondations VRD
Certains ouvrages structurels ont été faits par Johann, d’autres par Stéphane. Le plancher collaborant a été réalisé par une entreprise spécialisée. Une entreprise a réalisé la toiture pour permettre de mettre le chantier hors d’eau. L’hiver approchait.
Structure Toiture Second œuvre
Plomberie
Isolation
Tout au long du chantier, de la famille et des amis viennent aider à la réalisation.
Électricité
Fenêtres
Une entreprise a posé les fenêtres Gino a réalisé les enduits.
Fenêtres
Enduits extérieurs
Isolation
Plomberie
Enduits extérieurs
Électricité
Tout au long du chantier, des amis viennent aider à la réalisation du des ouvrages.
Chauffage
Chauffage
Une entreprise a posé la chaudière.
Cloisons
Une fois installés, le chantier a continué pour finir tous les intérieurs.
Cloisons Enduits & peintures intérieures Aménagement
Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
2011
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Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
Figure 9 – Johann et Manon : Compétences et responsabilités des acteurs du projet Stéphane
Professionnels
Bénévoles
Johann et Manon
Figure 10 – Johann et Manon : Collaboration entre les différents acteurs du projet
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 30
I.2.3. Cas n° 5 : Serge et Julien, 2014 Biographie – Serge Serge est éleveur de chevaux. Il vit avec sa femme et sa fille. Ils ont géré un gîte dans leur village pendant quelques années et y vivaient. Puis ils se sont installés en yourte sur leur propre terrain. Compétences Serge est un cavalier professionnel. Il maîtrise également le métier de sellier et la maroquinerie. Il m’a dit qu’il savait réaliser de petits ouvrages (un enduit, une bibliothèque en bois). Sa femme Jeanne est scénographe. C’est elle qui dessinera les plans de la maison avant de les faire viser par un architecte professionnel. Le projet Sur leur terrain se trouve une grande écurie équipée d’une salle de bain. L’idée a été de transformer cette écurie existante en maison de plain-pied de 80 m² pour obtenir plus de confort que ce que la yourte leur offrait. Lors du projet, une attention toute particulière a été portée à utiliser des matériaux écologiques et locaux. La charpente et les menuiseries sont en bois de la région. Et le remplissage est en chaux-chanvre. Surface : 80 m² Budget : 25 000 € soit 320 € / m² Pourquoi autoconstruire ? Pour des raisons économiques. La maison aura coûté à Serge 55 000 € au total (écurie 20 000 + transformation 25 000) Pourquoi faire appel à un architecte ? Serge est conscient de l’importance de l’architecte, comme il le dit humblement “moi j’y connais rien, c’est les chevaux ma vie.” 38 Il avait déposé un permis en faisant appel à un premier architecte. Quelques années plus tard, il s’en est remis à son filleul Julien pour l’aider dans la réalisation de la maison. “À ce moment-là mon filleul est sorti de l'école d'architecture et j'ai pensé à lui, je me suis dit que ça pouvait l'intéresser.” 39 Biographie – Julien Julien est diplômé de l’école d’architecture de Grenoble depuis quelques années. De manière générale il considère que la profession doit évoluer si elle veut répondre à des enjeux comme ceux de la frugalité ou de l’écoconstruction. Selon lui à l’école on ne se forme pas assez aux matériaux innovants et surtout à la mise en œuvre technique. Lui-même possède une bonne connaissance de la mise en œuvre de charpentes en bois. Il poursuit un idéal d’architecture totale40 et essaie de construire lui-même les projets qu’il dessine. 38. Cf. entretien avec Serge, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 97 39. Cf. idem p. 95 40. Cf. Albert Hassan, L’autoconstruction dans tous ses états, Paris, 2010. Op. Cit. “ C’est celle où le concepteur et le constructeur sont confondus. Devant le malaise qu’éprouvent certains architectes devant le fonctionnement habituel de leur profession, ils choisissent de réaliser eux-mêmes ce qu’ils dessinent, et en cela renouent avec l’implication du concepteur dans la réalisation (perdue chez de nombreux architectes qui sous-traitent la phase chantier, ou qui omettent de considérer l’habitant). C’est aussi le domaine des collectifs d’architectes proches de la performance artistique.”
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 31
Il travaille actuellement dans la région comme main d’œuvre sur des chantiers avec une spécialité particulière : celle de l’assistance à la maîtrise d’œuvre. Assistant à la maitrise d’œuvre Sur le projet de Serge, Julien a pris en main la conception technique. Il a redessiné le projet pour arriver à une échelle de détail et régler précisément le choix des matériaux. À partir de ce moment-là, tout le chantier s’est fait en collaboration entre Serge et Julien. Ils sont ensuite allés démarcher les fournisseurs et négocier des prix puis ont défini un planning. Ensuite le chantier a pu commencer. Avec Loïc, un ami architecte de Julien, ils ont réalisé la structure. Ensuite le remplissage a été fait avec l’aide de bénévoles et d’un maçon. Et tout le reste du chantier s’est déroulé de cette manière informelle. Résolution des problèmes La réalisation s’est effectuée sans trop de problème. Cela a été possible grâce à la phase de dessin technique assez poussée. Le choix des matériaux était important : le bois permet une flexibilité de conception et la possibilité de rattraper les erreurs assez facilement. Satisfaction Serge est très satisfait de sa maison. Il souligne notamment l’ambiance du chantier comme un élément qui lui a beaucoup plu et qui lui a rappelé la vie en communauté au cirque.
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 32
(ordre de réalisation)
Compétences
Date
Détails
04/2009 Choix du terrain
Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Définition du programme Dessin des plans Dépôt Permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier
Définition du programme Dessin des plans Dépôt permis de construire
2010
Conception technique
04/2014
Commande des matériaux Organisation du chantier
Existant
Fondations
Existant
VRD
Charpente bois
Sur le terrain se trouve une écurie construite par Serge et un ami. L’écurie est équipée d’une salle de bain fonctionnelle. De 2009 à 2014 Serge et Jeanne vivaient dans une yourte en face de l’écurie.
Structure
Pour le montage des murs, Serge engagea un maçon pour la semaine.
Second œuvre Isolation
Fenêtres
4 ans plus tard, Julien reprend le projet et le dessine en détail. Avec Serge ils organisent le chantier. Serge participe activement à la commande des matériaux et à l’organisation du chantier. C’est notamment lui qui a négocié le prix des matériaux. Julien et Loïc réalisent en bois la structure et la toiture de la maison.
Toiture Béton de chanvre
Serge engage un architecte pour obtenir le permis de construire
Simon, le fils de Serge, et des amis sont venus aider bénévolement à monter les murs.
Fenêtres
Serge fait appel à une entreprise locale pour la pose des fenêtres.
Enduits extérieurs Plomberie
Plomberie
Électricité
Électricité
Serge fait appel à un électricien pour l’électrici-
Chauffage
Chauffage
Serge a installé le poële à bois.
Cloisons
Serge a fait toutes les finitions, le meuble de la bibliothèque, les enduits intérieurs, etc.
Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
09/2014
Le
L’a
st
ru
ct eu rc r pr hit e of c es t si e on ne l Au tr e
Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
ut oc on
Aménagement
L’a
Cloisons Enduits & peintures intérieures
Figure 11 – Serge : Compétences et responsabilités des acteurs du projet
Serge Professionnels
L’architecte du permis
Bénévoles
Julien
Figure 12 – Serge : Collaboration entre les différents acteurs du projet
Séminaire S9 AVT — 2015 – 2016 — page 33
I.2.4. Cas n° 6 : Léa, 2015 (chantier en cours) Biographie Léa est une jeune femme qui vit avec ses parents Vincent et Brigitte dans la ferme familiale où ils travaillent tous ensemble. Compétences Léa n’a pas vraiment de connaissances de construction préalables au projet. Vincent et Brigitte viennent tous les deux de familles où l’on autoconstruit. La maison familiale a été construite par Vincent avec l’aide d’un oncle maçon de Brigitte. Comme il dit “On s’est toujours débrouillés entre nous.” 41 Le projet Léa souhaite construire sa propre maison à côté de la ferme pour pouvoir s’occuper plus facilement des animaux et pouvoir s’émanciper du foyer familial. Surface : 100 m² Budget prévisionnel : 90 000 € en comptant les fondations réalisées d’une extension potentielle. Soit 900 € / m² Pourquoi faire appel à un architecte ? Julien est un ami d’enfance de Léa. Lorsqu’elle a décidé de construire sa maison elle l’a naturellement contacté. Un mode de construction particulier Julien lui a proposé un mode de construction similaire à celui qu’il avait pu pratiquer chez Serge : Léa l’a alors engagé pour réaliser sa maison. Le père de Léa a réalisé certains ouvrages, d’autres ont été faits par des amis de Léa. La différence entre le chantier de Serge et celui-ci, c’est qu’entre temps, Julien a mis au point un montage légal particulier : il se fait employer comme travailleur occasionnel du bâtiment 42 par Léa. Il réalise tous les ouvrages du bâtiment et gère en sus les problèmes techniques, les commandes de matériaux et l’organisation sur site. Résolution des problèmes Au moment de poser les fondations, Vincent a fait décaler la zone d’implantation. Il a constaté que le sol était trop dur et qu’il serait difficile de s’en sortir autrement. Ensuite le chantier a été pris en main par Julien et Loïc (qui était déjà présent sur le chantier de Serge). Satisfaction La maison n’est pas terminée mais sa forme actuelle plaît déjà à Léa. Vincent trouve des choses à redire à certains choix techniques.
41. Cf. entretien avec Léa, Vincent et Brigitte, le 15 décembre 2015. Voir en Annexe p. 107 42. Ou T.O.B. C’est un statut légal d’intermittent du bâtiment. Cela contraint néanmoins l’autoconstructeur à se déclarer comme auto-entrepreneur et à verser des cotisations sociales à l’URSSAF pour Julien.
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(ordre de réalisation)
Compétences
Date
Détails
10/2015 Choix du terrain
Choix du terrain
Etudes structurelles
Etudes structurelles
Définition du budget
Définition du budget
Définition du programme Dessin des plans Dépôt Permis de construire Conception technique Commande des matériaux Organisation du chantier Fondations VRD Charpente bois
Léa et son père Vincent choisissent sur leur terrain un espace où elle va pouvoir construire sa maison.
Définition du programme
Julien et Léa définissent un programme et Raf en fait des plans.
Dessin des plans Dépôt permis de construire Conception technique
Julien et Loïc reprennent les plans pour pouvoir attaquer le chantier.
Commande des matériaux Organisation du chantier
Deux maçons amis de Léa interviennent pour réaliser les fondations à un bon prix. Vincent les conseille car il connait son sol. Vincent se charge de la VRD.
Fondations VRD Structure
Julien et Loïc se chargent de la charpente bois. Vincent leur donne un coup de main pour débiter les pièces de bois.
Toiture Remplissage paille
Second œuvre
Fenêtres
Isolation
Cloisons
Fenêtres
Un professionnel s’occupe de poser les fenêtres.
Enduits extérieurs
Avec les premières gelées le chantier a été interrompu. La maison est bâchée pour l’hiver pour protéger la paille.
Plomberie Électricité Chauffage Cloisons
Pendant ce temps là, Julien et Loïc ont commencé à poser les cloisons et à réaliser certains sols.
Enduits & peintures intérieures Aménagement Livraison
non achevé
L’a
Le
L’a
ut oc on
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ru
ct eu rc r pr hit e of c es t si e on ne l Au tr e
Le marqueur le plus large représente le responsable de chaque étape du chantier
Figure 13 – Léa : Compétences et responsabilités des acteurs du projet
Julien
Professionnels
Vincent Léa
Figure 14 – Léa : Collaboration entre les différents acteurs du projet
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I.2.5. Synthèse intermédiaire : années 2000 Dans ces quatre cas nous voyons apparaître des constantes. Comme dans nos deux premiers cas des années 1970, les autoconstructeurs contemporains construisent un projet de vie à travers la réalisation de leur maison. Que ce soit une reconversion pour Gino qui souhaite changer de vie, l’accès à la propriété et l’émancipation pour Johann, Manon et Léa ou encore la réalisation d’une maison plus adaptée à un couple vieillissant pour Serge. Dans ces quatre cas, nous constatons aussi que la dimension familiale est très importante. Tous les autoconstructeurs ont reçu beaucoup d’aide de leur famille pour réaliser leur projet. Le réseau social au sens large a joué un rôle dans tous les projets. Que ce soit pour trouver des professionnels, négocier les tarifs des matériaux, donner la main sur le chantier ou mobiliser des bénévoles, les proches des autoconstructeurs ont un impact décisif sur la bonne réussite de nos cas d’étude. Nous constatons aussi que les préoccupations des autoconstructeurs ont évolué par rapport à nos cas d’étude des années 70. Deux des projets étudiés témoignent d’un engagement politique, ce sont celui de Serge qui a fait appel à un architecte anarchiste et celui de Manon et Johann qui souhaitent devenir propriétaires pour sortir du système locatif qu’ils ne cautionnent pas. On constate aussi des préoccupations d’ordre écologique. Johann explique qu’ils essayaient au maximum d’utiliser des matériaux non polluants mais qu’ils se sont résolus à utiliser du béton. Serge a attendu de trouver quelqu’un qui connaissait bien la technique du chaux-chanvre avant de lancer le projet. Il a aussi fait en sorte de ne commander que des matériaux locaux. Le choix d’autoconstruire n’est plus seulement lié à l’économie. Dans le cas de Johann et Manon, c’est la dimension de défi personnel qui les a motivés à réaliser eux-mêmes la maison. Chez Léa, le choix de l’autoconstruction est surtout lié au respect des méthodes de Julien. Le fait de faire appel à un architecte a été soit imposé par la loi (c’est le cas de Gino), soit motivé par une humilité des autoconstructeurs vis-à-vis de leurs compétences constructives et la présence d’un architecte dans son réseau social. J’ai aussi senti beaucoup d’enthousiasme et de fierté dans la voix des gens qui m’ont livré leur témoignage. Peut-être est-ce lié au fait que ces projets sont assez récents et que l’euphorie de la création n’est pas encore retombée. Toutefois, j’ai constaté que les autoconstructeurs avaient beaucoup de plaisir à me parler de techniques de construction et j’ai même été surpris par l’ingéniosité de certaines trouvailles dans l’aménagement chez Gino et chez Johann. On pourrait dire que les projets d’autoconstruction deviennent des supports d’expression pour ceux qui les mènent. Alors qu’au contraire, chez Jean-Claude et Jean-Marie, le rapport à la construction semblait plutôt utilitaire. Encore une fois, ceci peut-être dû au fait que leurs projets sont construits depuis longtemps.
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I.3. Rencontre avec des professionnels de la construction Pour embrasser un point de vue plus large sur l’autoconstruction et le rôle que peuvent y jouer les architectes, il m’a paru important d’aller solliciter l’avis de professionnels de la construction. Premièrement, je suis allé interroger un professeur à l’ENSA Marseille qui a dirigé un atelier de projet où la construction occupait une part importante de la pédagogie. Ensuite, je suis allé à la rencontre du responsable des Castors Rhône-Alpes pour en apprendre un peu plus sur l’autoconstruction telle qu’elle est pratiquée partout en France. I.3.1. Cas n° 7 : Jean-Michel Fradkin, responsable de l’atelier Petit édifice Biographie Jean-Michel Fradkin est architecte et chef d’agence à Marseille. Il réalise principalement des équipements publics. Il est aussi professeur à l’ENSAM. Il n’a pas de rapports professionnels avec des particuliers qui ont fait le choix d’autoconstruire. Mais il a dirigé ce que l’on pourrait appeler un atelier de projets d’architecture autoconstruits : Il a dirigé l’atelier Petit Édifice (un studio pédagogique au sein de l'ENSAM) qui pourrait être qualifiée d'atelier de projets d’architecture autoconstruits. L’atelier Petit Édifice Cet atelier présente la particularité de faire réaliser chaque année le meilleur projet du semestre par les étudiants aux Grands Ateliers. L’expérience pédagogique est selon lui intéressante, car elle oblige les étudiants à se confronter à tous les aspects d’un projet architectural et notamment aux fondations, aux calculs structurels, à l’étanchéité, etc. mais aussi à des aspects moins familiers aux étudiants comme la gestion d’un budget ou les temps de mise en œuvre. Opinion sur le rôle de l’architecte Jean-Michel Fradkin considère que sur le chantier l’architecte est tout aussi utile à la construction que l’artisan. Il ne met pas les mains directement à l’œuvre mais son rôle est décisif. Il est le seul à disposer d’une vision d’ensemble et à visualiser dans le temps l’enchaînement des ouvrages à réaliser. On a besoin de lui pour vérifier que l’intelligence de la main de l’ouvrier qui sait faire ne rentre pas en contradiction avec la finalité du projet.43 Opinion sur l’autoconstruction assistée d’un architecte C’est une pratique complexe. Il faut énormément de culture et une grande capacité d’écoute pour réussir à maintenir une cohérence globale dans le projet tout en accueillant les différentes particularités d’un projet participatif et par définition incontrôlable. Le célèbre architecte Patrick Bouchain est selon lui un des seuls à y arriver.
43. Cf. entretien avec Jean-Michel Fradkin, le 03 décembre 2015. Voir en Annexe p. 111
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I.3.2. Cas n° 8 : Pierre Cellard, responsable pendant 15 ans de l’association des Castors Rhône-Alpes Biographie Pierre Cellard est un ancien assistant à la maîtrise d’œuvre. Il a abandonné ce métier pour s’occuper de l’association des Castors Rhône-Alpes et a occupé ce nouveau poste pendant 15 ans. Rôle des architectes Pierre Cellard explique que les autoconstructeurs se méfient des architectes et les visualisent comme une dépense superflue supplémentaire. Néanmoins, de par son expérience dans la construction il estime qu’ils peuvent être utiles aux autoconstructeurs tout au long de leurs chantiers et nous apprend que la plupart des Castors qui font appel à un architecte ne regrettent pas ce choix. Rôle des Castors De nos jours, les Castors endossent deux missions importantes : Le premier est un rôle de mise en relation des adhérents entre eux afin qu’ils puissent partager leurs expériences de construction. Le second est un rôle d’assistance sous forme de formations, de visites de chantier, de conseils techniques et légal aux autoconstructeurs. Importance des aspects financiers et légaux Pierre Cellard a insisté sur le fait que les autoconstructeurs n’ont pas la vie facilitée par le cadre légal des assurances de construction. La Loi Spinetta ne leur permet pas d’assurer leur construction au même titre qu’une construction réalisée par des entreprises puisque les autoconstructeurs ne peuvent pas attester d’une garantie décennale. Le profil des autoconstructeurs Selon Pierre Cellard, il n’existe pas de profil type d’autoconstructeur. Cependant, au fil de sa carrière il a pu constater une évolution de sa clientèle. Les adhérents des premières associations Castors se regroupaient pour construire des quartiers entiers tous ensemble à la suite de la deuxième Guerre Mondiale. Aujourd’hui les autoconstructeurs sont des particuliers individuels qui viennent chercher des avantages fiscaux 44, des formations et un soutien pour mener à bien leur projet d’habitation. Il a aussi noté un intérêt de plus en plus important pour les technologies écologiques et l’utilisation de matériaux sains. Selon lui la pratique autoconstructive est en hausse et on compte actuellement environ 300 adhérents Castors dans la région de Lyon. C’est le seul indicateur dont nous disposons pour quantifier cette pratique : Pierre Cellard explique que personne ne recense le nombre d’autoconstructions. Le seul moyen serait de faire appel aux banques qui délivrent des crédits.
44. En effet, en adhérant aux Castors, on obtient la possibilité d’acheter des matériaux de construction avec un emprunt type CEL (Compte Épargne Logement) ou PEL (Plan Épargne Logement).
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I.3.3. Synthèse intermédiaire : professionnels de la construction
Les deux professionnels que j’ai pu interroger ont mis l’accent sur le fait que l’architecte occupait un rôle important pour les personnes qui souhaitent construire leur maison. Toutefois, Pierre Cellard explique que la plupart du temps, les autoconstructeurs préfèrent s’en passer. L’un comme l’autre expliquent que le chantier est un moment important de la construction. Pour l’architecte, le chantier représente la mise à l’épreuve du dessin et un lieu d’échange et d’apprentissage entre l’architecte et l’artisan. Pour Pierre Cellard le chantier est un espace de construction de soi, mais aussi d’échange et de formation entre les autoconstructeurs.
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II. Dégagement de types d’autoconstruction à partir des cas d’étude Les cas que nous avons étudiés présentent une grande variété de caractéristiques. Parmi elles apparaissent des similitudes et des différences. Nous avons déterminé des catégories d’autoconstructions à partir des spécificités de ces projets. Le critère discriminant a été le niveau de collaboration entre les acteurs impliqués dans les projets, que nous avons mis en évidence grâce à nos schémas. Nous avons identifié trois catégories de processus d’autoconstruction : •
Les projets d’autoconstruction radicale
•
Les projets d’autoconstruction assistée par un architecte
•
Un hybride d’un autre genre
II.1. L’autoconstruction radicale La première catégorie apparue de processus d’autoconstruction est celle des autoconstructions dite radicales. C’est le cas qui prend la définition de l’autoconstruction au pied de la lettre. Le client construit lui-même sa maison. Sans aide, autodidacte et en autonomie. Dans cette catégorie, nous avons rassemblés les expériences respectives de Jean-Claude, Jean-Marie et Gino. L’importance du bagage Dans ces trois cas d’étude, les autoconstructeurs se sont engagés dans la réalisation de la maison d’eux-mêmes, en faisant appel à quelques professionnels voire pas du tout pour Gino. Nous pensons que pour s’engager dans cette aventure il faut déjà avoir des compétences solides en construction ce qui permet d’être confiant quant à la réussite du projet. Jean-Claude et Jean-Marie viennent tous les deux d’un contexte culturel bien particulier : celui d’ouvriers qualifiés dans les aciéries. Avant cela, tous les deux avaient travaillé aux champs, puis à la mine. Jean-Claude témoigne d’une grande assurance dans sa capacité à tout faire et Jean-Marie, même si plus modeste, nous dit qu’il suffit de bien observer pour savoir faire. Gino aussi vient d’un milieu très favorable à l’acquisition de compétences de construction puisqu’il a fait beaucoup de chantiers avec son père entrepreneur en bâtiment quand il était jeune. Ainsi, le passé de ces trois cas d’étude est décisif dans leur choix d’entreprendre une autoconstruction radicale.
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Le rôle de la famille Un autre point qui rassemble ces trois cas d’étude est leur rapport à la famille. Dans les trois projets, la réalisation a été réalisée en étroite collaboration avec le réseau familial. Ce n’est pas exclusif à ces trois cas, mais étant donné le peu de collaborations avec les autres acteurs du projet, il est intéressant de noter qu’a contrario, la famille est pleinement incluse dans le chantier, dans une dynamique collaborative totale. Le rapport aux professionnels Dans ces trois cas nous voyons que les collaborations entre l’autoconstructeur et les professionnels sont limitées au minimum. Le cas de Jean-Marie est un exemple hybride. Ne disposant pas de toutes les compétences pour réaliser sa maison lui-même, il est allé aider les maçons afin de les acquérir mais aussi d’apprendre à faire lui-même pour la suite du chantier. Il n’a pas hésité à aller travailler avec les ouvriers sur un autre chantier pour apprendre à faire une charpente avant de réaliser la sienne. Cela confirme ce que nous avancions plus tôt sur l’importance du bagage de compétences préalables de l’autoconstructeur. En ce qui concerne le rôle de l’architecte, il est absent du projet de JeanClaude. Jean-Marie et Gino y ont fait appel, mais on peut supposer que c’est seulement lié à une obligation légale : sa présence est seulement constatée pour le dessin des plans et le dépôt de permis. Hors de ces deux compétences, il n’apparait pas. L’opinion des autoconstructeurs sur le rôle de l’architecte dans leur projet confirment nos dires. Cette catégorie d’autoconstructeurs répond à la question du rôle que peut occuper l’architecte dans leurs projets par la négative : L’architecte n’a aucun rôle à y jouer.
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Jean-Claude
Jean-Marie et son père
Professionnels
Jean-Marie
Jean-Claude
L’architecte du permis
Professionnels
Gino
L’architecte du permis Son père
Figure 15 - Comparaison des diagrammes de collaboration des cas n°1, 2 et 3
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II.2. L’accompagnement architectural au projet d’autoconstruction La deuxième catégorie de processus d’autoconstructions apparue de l’analyse de nos entretiens est celle des autoconstructions assistées. Cette catégorie contient les cas où l’autoconstructeur s’est adjoint l’aide d’un architecte pour la majorité des étapes du projet. Dans cette catégorie, nous avons rassemblés les expériences respectives de Johann et Manon avec Stéphane (cas n° 4) et celle de Serge avec Julien (cas n° 5). Leur collaboration étroite se manifeste sur nos schémas ci-contre par l’entrelacement des différentes courbes. Dans le cercle social de l’autoconstructeur Dans ce type de processus d’autoconstruction, l’architecte a une place de choix dans le réseau social de l’autoconstructeur. Dans nos cas Stéphane et le père de Manon, Julien le filleul de Serge. Cette place qu’ils occupent dans le réseau affectif de l’autoconstructeur pèse autant voir plus que sa compétence professionnelle dans la décision des autoconstructeurs de faire appel à lui. La dimension familiale de l’architecte pourrait même créer l’impulsion. On est dans le principe informel et spontané de l’autoconstruction. Il n’y a pas d’offre commerciale précise. S’il n’y avait pas d’architecte dans la famille, il n’y aurait peut-être pas eu de projet. L’accompagnement au projet d’autoconstruction Dans cette catégorie de processus, l’architecte occupe un double rôle. Premièrement c’est un pédagogue. Cela est apparu dans nos deux cas d’étude de façon assez limpide. Stéphane a expliqué qu’il s’est attelé à être là pour la plupart des premières fois sur le chantier afin d’expliquer la procédure à adopter. 45 Julien quant à lui a notamment appris aux bénévoles la méthode pour réaliser du chaux-chanvre. Deuxièmement, dans nos deux cas d’étude l’architecte a pris part directement aux travaux. On pourrait se demander si c’est une étape obligatoire de l’accompagnement à l’autoconstruction. A priori ce n’est pas le rôle historique de l’architecte. D’habitude il aura plutôt tendance à s’inscrire en observateur et à prodiguer des conseils de loin. Toutefois, la nature collaborative de l’autoconstruction suggère que l’architecte descende de son piédestal et prenne part directement à l’ouvrage. Cela rentre plus en conformité avec l’ambiance informelle et participative qui caractérise l’autoconstruction. On pourrait dire que le rôle de l’architecte dans ce type de processus est d’accompagner l’autoconstructeur à travers son projet. Il doit pallier à ses carences de compétences et lui permettre de réaliser dans les meilleures conditions sa maison. Un élément qui témoigne du degré de la collaboration de l’architecte avec l’autoconstructeur est la place qu’occupe la famille dans ces deux schémas de collaboration : incluse dans la zone d’intersection de l’architecte et de l’autoconstructeur. Quand on sait que chez les autoconstructeurs radicaux, on ne collabore qu’en famille, c’est assez révélateur d’un autre état d’esprit. La dimension temporelle de ses interventions (deux cas de figure) Dans ce type de processus, les interventions de l’architecte peuvent prendre plusieurs formes dans le temps. Nous avons deux cas de figure très différent sur ce point. Stéphane est venu ponctuellement pendant les 2 ans du projet. Julien a préparé les choses en amont puis a été présent en permanence 45. Cf. entretien avec Stéphane Hanrot, le 18 décembre 2015. Voir en Annexe p. 92
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pendant les 6 mois de chantier. Le temps est différent selon les projets. Les profils des autoconstructeurs et leur besoin d’architectes le sont sûrement aussi. Toutefois, l’architecte et l’autoconstructeur ont participé ensemble à quasiment toutes les étapes du projet. C’est ce que mettent en évidence nos schémas. L’accompagnement à l’autoconstruction serait donc caractérisé par collaboration à toutes les étapes importantes du chantier plutôt que dans une présence permanente sur le chantier.
Stéphane
Professionnels
Bénévoles
Johann et Manon
Serge Professionnels
L’architecte du permis
Bénévoles
Julien
Figure 16 - Comparaison des diagrammes de collaboration des cas n°4 et 5
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II.3. Le cas de Léa : un cas d’autoconstruction hybride La genèse du projet de Léa en fait un cas à part. Contrairement aux autres autoconstructeurs, Léa souhaite avoir une maison, mais n’a pas envie de la réaliser elle-même. Son cas nous intéresse toutefois car la forme que prend son chantier est particulière. Après avoir décidé de se construire une maison, Léa a contacté son ami Julien. Celui-ci lui a proposé une manière bien particulière de faire la maison : il endosserait à la fois les rôles d’architecte et de maçon, et Léa le paie pour réaliser le tout. D’un point de vue légal, il s’agit d’un modèle inédit inventé par Julien : il se fait engager comme ouvrier par Léa tout en lui offrant par la même occasion son expertise d’architecte. Julien définit son rôle comme ouvrier-assistant à la maîtrise d’œuvre, ce qui constitue un positionnement professionnel innovant. Le montage légal et l’éthique de la démarche peuvent être sujettes à débat, mais selon lui cette configuration permet vraiment de faire des projets intéressants. Ce cas est exemplaire en ce qu’il permet de mettre en évidence la difficulté de faire de l’architecture autoconstruite satisfaisante pour toutes les parties. Ici le contrat s’avère n’être pas satisfaisant. Julien a eu l’opportunité de réaliser lui-même un projet qu’il a dessiné et a été payé pour le faire. Il n’a pas non plus besoin de cotiser ni à l’ordre des architectes ni à la mutuelle obligatoire. Par contre, il est à la fois l’architecte et l’ouvrier et ne touche qu’un salaire très faible en comparaison de la quantité de travail qu’il réalise. Léa, quant à elle, obtient un projet unique, personnalisé, avec une véritable qualité spatiale et une histoire, le tout pour un coût assez modique (900 € / m²). En revanche la réalisation du projet repose sur le travail d’un constructeur débutant et la probabilité de malfaçons sur le chantier est par conséquent élevée. Cependant, à cause du contrat atypique qui la lie à Julien, elle ne bénéficiera pas d’une garantie décennale sur sa maison. Pris dans son ensemble, ce projet est plus proche d’une architecture totale 46 que d’une autoconstruction stricto sensu. Ici, l’autoconstruction émane d’une volonté de l’architecte plutôt que de l’autoconstructeur. Le diagramme des collaborations (fig. 10 p. 35) trahit cette nuance en prenant une forme différente de toutes celles que l’on a pu voir jusqu’ici : la courbe de Léa est très petite, car cette dernière a finalement pris part à peu d’étapes du projet ; a contrario la courbe de Vincent, son père, prend une place importante car il s’est beaucoup impliqué dans la réalisation du projet. On pourrait même penser que Vincent est le dénominateur commun du projet, car c’est le seul à avoir été en contact avec tous les acteurs tout au long du processus. Compte tenu de ces particularités, nous estimons que ce projet est un prototype de collaboration professionnelle entre un architecte total et son client plutôt qu’un véritable projet d’autoconstruction. Il nous paraît important de se borner à l’analyser sous cet angle hautement expérimental plutôt que d’y voir un cas d’école de typologie d’autoconstruction avec architecte.
46. Cf. Albert Hassan, L’autoconstruction dans tous ses états, 2010. Op. Cit. voir p. 27, note 36.
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III. Du rôle de l’architecte dans les processus d’autoconstructions Nous avons jusqu’à présent décrit les étapes dans l’aboutissement des cas d’étude, avant de mettre évidence des catégories émergentes de processus d’’autoconstruction. Intéressons-nous maintenant aux mécanismes qui semblent sous-tendre ces processus. Nous nous questionnerons à cette occasion sur la légitimité de l’architecte à intervenir dans des projets d’autoconstruction puis nous reviendrons sur la configuration des rôles telle qu’elle prend forme dans ce type de projets. III.1. L’architecte a-t-il une place légitime dans les chantiers d’autoconstruction ? III.1.1. Des aspirations contradictoires L’autoconstruction comme émancipation du système Dans le contexte de l’habitat français du XXIe siècle, le fait de construire sa propre maison peut être considéré comme une preuve d’anticonformisme. L’autoconstructeur refuse de passer par les réseaux traditionnels de construction de maisons et choisit de le faire soi-même. Certains anarchistes des années 1960 s’étaient emparés de cette pratique pour en faire un modèle d’émancipation. L’essayiste Colin Ward était un grand admirateur des structures autoconstructibles de l’architecte Walter Segal47, tandis que des penseurs comme William dit Bill Coperthwaite ont popularisé l’habitat en yourte et en dôme notamment. Précisément, ce souci de faire autrement transparaît dans trois des entretiens que j’ai pu réaliser avec des autoconstructeurs. Johann nous explique qu’il souhaite acquérir une propriété pour ne plus être obligé de verser un loyer à quelqu’un qui ne fait rien pour le mériter.48 De son côté, Serge explique que Julien est un “architecte anarchiste, pas un architectearchitecte” et que c’est en partie pour cela qu’ils ont travaillé ensemble.49 Dans le cas de Léa, son père Vincent, agriculteur avait déjà réalisé la maison familiale et le grand corps de ferme sur leur terrain ; il nous explique que la maison de Léa est le premier bâtiment qu’il n’ait pas construit lui-même sur leur propriété. On peut alors se demander pourquoi, dans la recherche d’une alternative au parcours ordinaire de construction de maison, l’autoconstructeur aurait envie de faire appel à un architecte qui est un professionnel d’État. L’architecte est diplômé par l’État En effet, l’exercice de la profession et le port du titre d’architecte sont réglementés et nul ne peut exercer et porter le titre sans être inscrit à un tableau régional de l’Ordre des Architectes. Choisir un architecte, c’est choisir une compétence reconnue par la loi.
47. Voir l’article “Walter Segal – Community Architect” de Colin Ward, sur le site du Segal Self-Build Trust, http:// http://www.segalselfbuild.co.uk/news/waltersegalbycol.html/ 48. Cf. entretien avec Johann, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 83 49. Cf. entretien avec Serge, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 95
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Cette réglementation est légitime. En effet, l’architecte de par son rôle endosse de lourdes responsabilités et on ne peut pas décemment laisser n’importe qui se porter garant d’un chantier tant les conséquences pourraient être graves. Toutefois, ce côté étatique et institutionnel pourrait être un frein à la présence d’architectes dans l’autoconstruction pour les raisons citées précédemment : il incarne l’ordre et la norme aux yeux de l’autoconstructeur lambda. On peut aussi souligner que la majorité de la population ne sait pas exactement en quoi consiste le rôle de l’architecte. Lorsque Jean-Marie explique que l’entière implication de l’architecte sur son projet s’est résumée à retoucher “5%” du plan 50, il dénonce avec humour ce qu’il considère comme une dépense inutile qui lui a été imposée. L’autoconstruction, de par sa nature de processus alternatif, impliquerait donc des volontés autonomistes, et une méfiance à l’égard de l’architecte que l’on considère comme un surcout évitable, ce que confirme Pierre Cellard 51. Des préjugés des deux côtés Cependant, les préconceptions qui pourraient nuire à la collaboration entre les différentes parties ne se situent pas seulement chez les autoconstructeurs. J’ai entendu plusieurs fois de la part de mon entourage, en leur évoquant la préparation de ce mémoire, l’idée selon laquelle les autoconstructeurs fabriquent des taudis et de la non-architecture. Comme Jean-Michel Fradkin l’explique 52, la capacité à visualiser de façon globale et à s’abstraire du détail est la spécialité des architectes. Tout comme celle de mettre des espaces sur les mots et les envies de l’habitant. Malheureusement ces compétences ne sont pas forcément comprises ou estimées du grand public. Ce qui est extrêmement dommage car le métier d’architecte est à la base de la conception des villes, soit du milieu dans lequel les humains évoluent. De plus, en refusant d’avoir recours à un architecte, l’autoconstructeur se passe d’une expertise bien utile qui permet d’économiser de l’argent et souvent d’obtenir une maison mieux finie. De leur côté, les architectes sont réputés pour manquer d’écoute et de compréhension vis-à-vis des désirs des clients. Dans les grands médias est souvent véhiculée l’image d’un architecte artiste, pseudo-visionnaire et complétement inconscient des réalités et des goûts du bas peuple.
50. Cf. entretien avec Jean-Marie et Marie-Paule, le 29 novembre 2015. Voir en Annexe p. 73 51. Cf. compte-rendu avec Pierre Cellard, ancien responsable des Castors Rhône-Alpes, du 10 décembre 2015. Voir en Annexe p. 116 52. Cf. entretien avec Jean-Michel Fradkin, le 03 décembre 2015. Voir en Annexe p. 112
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Et peut-être que l’explication de l’absence d’architectes dans ces contextes d’autoconstruction tient justement à cette supposée absence d’écoute et de prise en considération des désirs du client. L’architecte […] a appris, à l’école, comment vivait l’habitant (non pas l’habitant spécifique, particulier, qui utilisera le bâtiment à construire, mais l’habitant moyen) et il a acquis la certitude que c’est lui qui sait, mieux que chaque habitant, un à un, comment ceux-ci désirent vivre. 53 – Yona Friedman III.1.2. L’autoconstruction est une aventure privée Projet d’émancipation et de développement personnel Le choix de l’autoconstruction n’est jamais naïf. Il ressort de nos cas d’étude que les autoconstructeurs optent pour ce modèle avant tout pour des raisons économiques. Tous ont mis en évidence l’économie réalisée par l’absence de main d’œuvre à financer. Toutefois, une autre motif est également invoqué à travers ces témoignages : choisir d’autoconstruire c’est faire le choix d’une manière alternative d’accéder à la propriété. Une manière où l’on prend les décisions soi-même et dont l’on sort potentiellement grandi. Tous les autoconstructeurs interrogés insistent sur le fait qu’ils ont appris énormément de cette expérience et qu’ils ne voudraient pour rien au monde vendre leur maison. Johann et Manon ont délibérément choisi d’autoconstruire alors que leurs finances leur permettaient d’acheter du neuf. “Ce n’est même pas le prix, c'est clairement le fait que j’avais envie de faire des travaux, et que Manon aussi avait envie de faire des travaux. On avait envie de pouvoir s'amuser, faire comme on avait envie et comme nous on l'entendait.” 54 Pierre Cellard des Castors considère que pour les autoconstructeurs, le plus souvent, il s’agit autant de construire la maison que de se construire soi-même. La dimension symbolique que véhicule l’acte de construire sa maison serait alors au cœur de ce type de projet : “Ce n’est pas la maison qu’on s’est payé, c’est la maison qu’on s’est construite.” (Johann et Manon) 55 L’architecte, si on se borne à le percevoir comme le cliché de l’artiste sourd aux désirs du client, sera logiquement considéré comme un indésirable dans la réalisation de ce genre de projets. L’architecte, si on se borne à le percevoir comme le cliché de l’artiste sourd aux désirs du client, sera logiquement considéré comme un indésirable dans la réalisation de ce genre de projets. Le réseau des amis et de la famille est fondamental Dans tous les cas étudiés, nous avons remarqué la forte dimension familiale de ces projets. Sans tenter une généralisation, il nous a paru important de mettre en évidence la primauté du réseau familial, et plus largement du réseau social proche des autoconstructeurs dans la réalisation de leur projet.
53. Cf. Yona Friedman, L’architecture de survie, 1977. Op. Cit. p. 21 54. Cf. entretien avec Johann, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 89 55. Cf. idem. Voir en Annexe p. 89
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Parmi les autoconstructeurs rencontrés, beaucoup ont fait appel à des membres de la famille et des amis possédant des compétences ou une envie d’aider à la concrétisation du projet. Certains se sont même manifestés spontanément. Qu’il s’agisse d’oncles maçons, plombiers, électriciens, d’amis débrouillards ou de collègues ingénieurs, Il semblerait que la mise en œuvre d’un projet de cette ampleur sollicite et renforce les liens entre les membres d’un même réseau social. L’architecte fait souvent partie de ce réseau social Dans la plupart des cas, l’architecte fait lui-même partie de ce réseau social autour de l’autoconstructeur : C’est le cas de Stéphane et de Julien, ainsi que de Jean-Claude même s’il n’est pas réellement architecte. Au sujet de Julien, Léa nous dit qu’elle “préfère qu’il fasse des conneries dans ma maison que chez un inconnu qui lui en tiendra rigueur.” 56 Serge tient des propos similaires. “C’est mon filleul… s’il fait une connerie dans la maison, il vient, il la répare […] si tu ne fais pas confiance dans la vie, tu ne vas nulle part.” Ces deux phrases révèlent un rapport nettement différent de celui que l’on pourrait rencontrer dans le cas traditionnel d’une réalisation de maison avec un client et un prestataire. Nous pensons que dans ces cas d’étude, l’architecte, lié par des liens affectifs aux autoconstructeurs, a été sollicité de la même manière dont on solliciterait notre cousin électricien. On aura plus tendance à appeler une connaissance qu’un inconnu. III.1.3. Des aspects légaux et contractuels Un autre obstacle semble s’opposer à la collaboration des architectes à des projets d’autoconstruction. C’est l’obstacle légal, plus précisément un ensemble de zones grises juridiques qui ne permettent pas d’établir des contrats satisfaisants ni pour les autoconstructeurs, ni pour les architectes. En droit, l’autoconstruction est une zone juridique grise Selon les textes réglementaires il est obligatoire d’assurer tous les chantiers. La Loi 78/12 du 4 janvier 1978 dite Loi Spinetta57oblige à souscrire une assurance décennale pour tout intervenant dans une construction (architectes, sociétés, artisans, etc.) Un arrêté de la Cour de cassation de 1998 complète la règle en imposant à tous les particuliers qui construisent ou font construire une maison de souscrire à une assurance dommages. 58 Pour rester en conformité avec la loi, l’autoconstructeur va devoir s’assurer contre les malfaçons qui peuvent subvenir sur son chantier. Rappelons que dans son cas, l’autoconstructeur est à la fois le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Qui va accepter d’assurer l’autoconstructeur contre lui-même ? Pour commencer, les autoconstructeurs n’ont pas le droit à une garantie décennale. Les décennales sont accordées par les assureurs aux professionnels et garantissent la bonne réalisation des ouvrages ; dans le cas contraire, le client peut se retourner contre les entreprises qui viendront réparer les dommages ou le dédommageront. Aucune compagnie n’assure les autoconstructeurs, puisqu’ils ne peuvent pas témoigner d’une expertise dans la réalisation de tous
56. Cf. entretien avec Pierre Cellard, le 10 décembre 2015. Voir en Annexe p. 116-117 57. http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000522720 58. Arrêt de la 3ème chambre de la Cour de cassation du 1er avril 1998 : “le particulier qui construit ou fait construire, agrandit ou fait agrandir une maison individuelle est tenu de souscrire une assurance dommages.”
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les ouvrages. Ceci établi, les autoconstructeurs ont toutefois la possibilité de souscrire à une assurance dommages-ouvrage. Celle-ci rembourse dans tous les cas où une malfaçon est avérée. Si c’est la faute de l’autoconstructeur, l’assurance paiera ; et si c’est la faute d’un autre corps de métier, elle paiera tout de même et se remboursera avec l’assurance décennale du professionnel responsable une fois les responsabilités établies par un expert. Cette assurance permet aussi à l’autoconstructeur de revendre sa maison dans les 10 ans suivant la construction sans moins-value due à l’absence d’assurance. Elle impose par contre de mettre en évidence sur l’acte de vente la nature autoconstruite de la maison. Malgré tout, la grande majorité des assureurs refusent cette assurance aux autoconstructeurs. Ces derniers peuvent saisir le Bureau Central de Tarification pour obliger un assureur à fournir cette prestation, puisque selon la réglementation, il est obligatoire d’être assuré. Mais peu d’autoconstructeurs le savent puisqu’en 2008 seuls 18 recours ont été posés par des particuliers.59 Le sujet est assez problématique car, en cas d’accident comportant des blessés, l’autoconstructeur est susceptible de devoir verser des dommages et intérêts voire d’être attaqué au pénal. Lors de notre entretien, c’est un point sur lequel Pierre Cellard a beaucoup insisté lors de notre entretien60, nous rappelant le manque de clarté juridique sur la situation des autoconstructeurs et la relative ignorance de ceux-ci dans le domaine juridique. Il nous explique que les Castors ont notamment pour vocation de remplir ce rôle de conseil juridique aux autoconstructeurs. Les entretiens avec les autoconstructeurs ont confirmé cette situation : il est apparu qu’aucun de nos cas d’étude n’a assuré convenablement son chantier.
59. Cf. Pierre-Gilles Bellin, L’auto-écoconstruction, 2009 dans l’encadré p. 200 60. Cf. entretien avec Pierre Cellard, le 03 décembre 2015. Voir en Annexe p. 116-117
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L’architecte est un citoyen avec des responsabilités civiles lourdes L’architecte n’est pas un citoyen comme les autres. En effet, en tant que professionnel de la construction, lorsqu’il participe à un chantier, ses responsabilités sont immenses. L’architecte est notamment tenu à un devoir de conseil qui s’exerce tout au long des missions qui lui sont confiées : Au stade de la conception : l’architecte doit vous avertir de la faisabilité de l’opération, vous mettre en garde contre l’état du sol ou du sous-sol, vous prévenir des imperfections d’un ouvrage réalisé à moindre frais ou de l’éventuel dépassement du budget prévu, des risques de la construction envisagée sur les immeubles voisins… Au stade de la réalisation : l’architecte doit vous conseiller sur le choix des entreprises, sur la qualité et les caractéristiques des matériaux utilisés (il peut vous déconseiller l’usage de certains matériaux) Au stade de la réception : il doit vous alerter sur tous les vices et malfaçons apparents. 61 Mais même en dehors du cadre professionnel contractuel, l’architecte est tenu par la loi d’exercer son devoir de conseil sur toutes les malfaçons dont il est témoin et sa présence sur un chantier pour lequel il n’est pas assuré, même si ce n’est qu’une simple visite informelle, peut le mettre en défaut aux yeux de la loi et avoir de graves conséquences. Ainsi, sa présence sur des chantiers d’autoconstruction paraît bien compromise. La question de la rémunération : arrangements entre amis et informalité Au vu des paragraphes précédent, on pourrait penser que la présence d’un architecte dans des chantiers d’autoconstruction est juridiquement improbable. Pourtant, en pratique, nos cas démontrent le contraire. Faute de cadre légal existant, les autoconstructeurs et les architectes ont dû trouver des arrangements. Et effectivement, dans les différents cas étudiés, la question de la rémunération n’est pas toujours réglée de la même manière. Le premier cas est celui où l’architecte intervient seulement pour le dépôt de permis et ne s’engage pas à suivre le chantier. Il suit un schéma classique de rémunération professionnelle d’architecte. C’est le cas de Jean-Marie et celui de Gino. Dans les autres cas où intervient un architecte, la rémunération financière est soit inexistante (Johann et Manon), soit se construit sur des modalités différentes de celles que l’on rencontre dans la profession habituellement. À cet égard, le cas de Julien est exemplaire. Chez Serge, il se fait simplement payer au noir pour l’ensemble du chantier. Mais dans le cas de Léa, comme nous l’avons vu précédemment, Julien a opté pour un montage plus complexe, en élaborant un modèle professionnel alternatif où il ne se fait pas engager en tant qu’architecte, mais comme manœuvre par l’autoconstructeur, en réalisant sa part de travail manuel. Dans ce modèle-là, en plus de sa prestation de manœuvre, il s’engage à assister l’autoconstructeur dans ses attributions de maître d’œuvre (conception, choix des entreprises, logistique et suivi des 61. Selon l’article 12 du Décret n° 80-217 du 20 mars 1980 portant code des devoirs professionnels des architectes.
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travaux). Le statut de Julien lui permet de trouver son compte financièrement et professionnellement tout en ne prenant pas les responsabilités liées au statut d’architecte. Il ne cotise ni à l’Ordre des architectes ni à la MAF.62 De leur côté, les autoconstructeurs qui embauchent Julien ont pour le prix d’un manœuvre accès à l’expertise d’un architecte tout au long de leur chantier. En dépit de l’aspect éthique discutable, voire déloyal de la manœuvre quant au respect de la profession, Julien offre tout de même à l’autoconstructeur une configuration où l’architecte n’est plus perçu comme une dépense inutile, mais comme un acteur du chantier à part entière. Le cas de Stéphane est tout aussi exemplaire, mais il témoigne d’une autre forme de rémunération. Stéphane considère en effet qu’il investit dans l’avenir de sa fille et de son gendre. Pour lui, la rétribution n’est pas monétaire : elle révèle la place primordiale des relations affectives dans le bon déroulement d’un projet d’autoconstruction. III.2. La définition des rôles dans les projets d’autoconstruction Une fois établi que l’architecte a un rôle à jouer dans l’autoconstruction, nous pouvons maintenant examiner comment ce rôle s’articule avec celui des autres acteurs en présence. III.2.1. l’autoconstructeur a un rôle évolutif Un projet d’autoconstruction est un projet individuel, qui trouve son origine dans la volonté d’une famille de construire sa maison. C’est un défi personnel que ces personnes se lancent. Ce qui ressort de nos cas d’étude, c’est que les autoconstructeurs évoluent grâce à cette expérience. Ils grandissent et apprennent de nouvelles choses. Mais il doit tout faire Armé de sa bonne volonté et de son enthousiasme, l’autoconstructeur va devoir se confronter à tous les aspects dont nous avons parlé précédemment. Et comme tout novice, il va se livrer à des expériences pour acquérir un résultat qui lui parait satisfaisant. C’est aussi là une des caractéristiques inhérentes de l’autoconstruction, cet aspect spontané et parfois naïf. Dans le meilleur des cas, le résultat est concluant dès le premier test ; dans les autres cas l’autoconstructeur recommencera plusieurs fois jusqu’à obtenir quelque chose qui lui plaît. Pour s’aider dans sa découverte de tous les aspects de la construction, l’autoconstructeur dispose de nombreuses ressources qui lui permettront d’acquérir rapidement des bases. C’est en premier lieu son réseau social qui pourra lui prodiguer des conseils ou le mettre en relation avec d’autres personnes compétentes. Les associations de formation à l’autoconstruction voire à l’éco-construction remplissent un rôle similaire puisqu’elles organisent des visites de chantier et mettent en relation des autoconstructeurs pour leur permettre d’échanger.
62. Mutuelle des Architectes Français assurances.
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Ensuite, une documentation fournie est éditée à l’attention des autoconstructeurs, et ce depuis longtemps : de nombreux livres et guides sont disponibles chez des éditeurs tel qu’Eyrolles ou Terre Vivante, tandis que des magazines comme Système D (auquel a eu recours Jean-Claude dans les années 1970) ou encore La maison écologique font régulièrement des articles traitant de l’autoconstruction. Ces derniers ont même édité en janvier 2012 un hors-série intitulé “Autoconstruire sa maison” avec des conseils pour réaliser son habitat étape par étape. Enfin, internet constitue une ressource considérable d’information et de formation pour s’aider dans la réalisation de sa maison. Entre les tutoriels, les mooc 63 et les nombreux forums d’entraide en libre accès, l’autoconstructeur d’aujourd’hui peut facilement trouver des réponses à la plupart de ses questions. Lors des différentes étapes de son projet, l’autoconstructeur va pouvoir interroger les différentes ressources à sa disposition et faire des choix qu’il va expérimenter jusqu’à obtention d’un résultat correspondant à ses attentes. Et par cette pratique, l’autoconstructeur va petit à petit apprendre à maîtriser sa construction. Les compétences de l’autoconstructeur vont donc croître au fil de la réalisation du projet. Et donc, sa capacité à interpréter plusieurs rôles sur un chantier grandira de même. En quelque sorte, l’autoconstructeur peut être considéré comme l’auteur de sa maison : de par son pouvoir de décision à toutes les étapes de son projet, il façonne son œuvre à son image – une œuvre dont il sera le principal destinataire. III.2.2. Les autres ont un rôle changeant Autour d’un autoconstructeur auteur, touche-à-tout par nature et se formant sur le tas, les autres acteurs du chantier d’autoconstruction doivent se répartir des rôles qui s’avèrent ne pas être forcément mieux définis. Le cercle social favorise l’indéfinition Dans un chantier autoconstruit il est fréquent de trouver des amis et des membres de la famille qui viennent donner de leur temps pour aider à l’achèvement du projet. Il en est ainsi dans tous les cas que nous avons étudié. Leur présence est précieuse pour l’autoconstructeur car elle représente un soutien moral et une main d’œuvre supplémentaire dont il a souvent besoin. La plupart du temps, ils travaillent bénévolement car leur présence est justifiée comme un service rendu à leurs proches. C’est ce qui s’est passé dans le projet de Serge 64 ou encore dans celui de Johann et Manon.65 Comme le précisait Stéphane,66 en situation familiale, toutes les parties font naturellement attention à ne pas se vexer. Toutefois, cette diplomatie propre aux relations entre proches peut poser des problèmes en situation de chantier : Il peut être difficile d’intimer des ordres à un proche lorsqu’il commet une erreur dans la mise en œuvre.
63. Les MOOC ou Massive Online Open Course sont des cours en ligne dispensés par des professionnels via vidéo ou des interfaces interactives type Flash. Ils sont la plupart du temps gratuits. 64. Cf. entretien avec Serge, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 99 65. Cf. entretien avec Johann, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 87 66. Cf. entretien avec Stéphane Hanrot, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 92
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Les compétences sont dispersées Tout comme il est ardu de donner des ordres à un proche, il s’avère guère plus facile de lui assigner un rôle bien délimité. Bien souvent, sur les chantiers d’autoconstruction, les rôles de chacun ne sont tout simplement pas définis, ou bien font l’objet d’une rapide discussion informelle : advienne que pourra. Cette dimension informelle dans la répartition des rôles se retrouve parfois même lorsque des professionnels interviennent. Ainsi, sur le chantier de JeanMarie, bien que certains ouvrages aient été réalisés par des entreprises, JeanMarie a quand même participé au chantier avec eux tout au long de ses étapes. Pour la maison de Serge, un maçon a été engagé en renfort et s’est trouvé mêlé au groupe de volontaires du chantier. Les rôles ne sont pas définis clairement, ou bien finissent par se mêler. Tous les participants sont là pour construire, chacun avec des envies et des préférences de tâche à réaliser et des niveaux de compétence variés qui ne se recoupent pas forcément. Lors de notre entretien, Julien a considéré que c’est là une particularité des chantiers autoconstruits. Il y est difficile de cadrer les postes et les responsabilités respectives puisque la majorité des acteurs en possède plusieurs. Favoriser la synergie …mon filleul Julien, l’électricien, et quelques coups de main au niveau de la maçonnerie pour envoyer du pâté les jours où j’avais besoin de main d’œuvre qualifiée. Pour monter ce mur-là par exemple. Pendant que je faisais autre chose le mec il montait ce mur-là. Les mecs ils sont venus couler le chaux-chanvre, je ne suis pas allé les voir pour savoir comment ils faisaient et si c’était nickel. On leur a expliqué comment ça marchait et après on a envoyé du pâté quoi. 67 – Serge Dans un contexte d’autoconstruction, il n’importe pas vraiment de donner un rôle précis à chacun. Il s’agira plutôt de favoriser l’émulation entre les participants et de mettre en place une synergie. En d’autres termes, ceux qui savent faire plus expliquent aux autres, puis chacun participe dans la mesure de ses compétences. Franchement c’était festif, et en même temps une belle harmonie dans la journée. C’était plaisant. Moi ça me rappelait grosso-modo ce qu’on vivait en cirque avant. On se levait tous ensemble le matin […] on travaillait tous pour la même chose et le soir on était tous contents de bouffer ensemble et de boire des canons et de repartir le lendemain. 68 – Serge à propos de l’ambiance sur le chantier
67. Cf. entretien avec Serge, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 98 68. Cf. entretien avec Serge, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 99
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Sur le chantier de Johann et Manon, on voit apparaître une méthode originale pour réaliser des ouvrages : …on lance une invitation en disant “Nous on fait la bringue chez nous, on fournit tout ce que vous voulez. Par contre y’a de la chaux à faire.” Et puis ils viennent, c’est rigolo. On était trente pour faire un mur, on a plus fait la bringue que l’enduit mais au final c’est fait et ça fait aussi de beaux souvenirs. 69 – Johann à propos des apéro-chantiers Trop-plein de compétences Toutefois cette indéfinition des rôles peut générer des problèmes. Nous en avons constaté un sur le chantier de Léa entre le père de celle-ci et Julien, à propos d’un choix technique d’isolation. De son côté, l’architecte engagé (Julien) estime qu’il est responsable des choix de conception ; il commande les matériaux et réalise en conséquence. De l’autre côté, le père de Léa, qui participe également au chantier bien que de manière ponctuelle et qui vit sur place, estime qu’il a la légitimité pour remettre en question les choix techniques et modifier le projet. Il y a aussi des techniques que moi je n’ai jamais pratiqué, je ne connaissais pas la technique de l’ossature bois, je trouve ça vraiment intéressant. Après, j’ai lu aussi, je sais un peu ce qui se fait et comment ça marche. Il y a des petits détails techniques ou j’ai pu poser des questions et… je n’ai pas toujours eu de réponse. 70 – Vincent Cet exemple montre bien que l’indéfinition des rôles, couplé à la superpositon d’une même compétence par deux acteurs importants du chantier peut créer des conflits. Fort heureusement, dans ce cas précis, le conflit s’est résolu pacifiquement ; mais on peut supposer que cela pourrait dégénérer dans d’autres cas. Carence de compétences Aux antipodes du cas précédent, il peut aussi arriver que la compétence nécessaire à la résolution d’un problème technique ne soit pas disponible dans les ressources de l’autoconstructeur. Deux cas – ceux de Stéphane et Julien, respectivement – y ont été confrontés à propos d’un même problème : le dimensionnement d’un plancher. Sur le projet de Stéphane, Johann et Manon, il a été décidé de réaliser un plancher collaborant béton-bois en toiture. Stéphane l’a dessiné mais n’était pas sûr de son dimensionnement pour assurer une bonne résistance structurelle. Sa réaction a été d’aller solliciter un collègue ingénieur dans un bureau d’études pour s’assurer que le dessin était bon avant d’en tenter la mise en œuvre.
69. Cf. entretien avec Johann, le 27 novembre 2015. Voir en Annexe p. 87 70. Cf. entretien avec Léa, Vincent et Brigitte, le 15 décembre 2015. Voir en Annexe p. 107
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A contrario, Julien considère qu’il vaut mieux éviter de faire appel à des bureaux d’études : pour le budget d’un autoconstructeur, ils représentent un surcoût trop élevé. La solution prônée par Julien dans ce genre de cas est de surdimensionner le plancher, car le coût est nettement moins élevé pour une sécurité selon lui satisfaisante. La réponse de Stéphane correspond à la manière dont réagirait un architecte sur un chantier traditionnel ; la réponse de Julien est plus pragmatique mais plus dangereuse. III.2.3. L’architecte est entre les deux Voyons maintenant comment s’articule le rôle de l’architecte avec les deux forces qui animent le chantier : l’autoconstructeur (et auteur – réalisateur) du projet et les intervenants à rôle variable. L’entretien que nous avons réalisé avec Jean-Michel Fradkin nous apporte un élément de réponse : “C’est là que nous retrouvons une capacité, une plus-value dans la gestion du projet parce que justement nous savons ce qui vient avant, on sait ce qui vient après et on connaît la finalité. Il y a un certain détachement, une certaine capacité d’abstraction que nous avons acquis par notre apprentissage.” 71 L’architecte serait donc, de par sa formation, doté d’une vision globale du projet et d’un recul suffisant pour évaluer l’impact d’une action sur les suivantes tout au long du chantier. Il a donc une place à part : puisqu’il est doté de la compétence pour repérer une action contre-productive et pouvant nuire à l’achèvement du chantier, il est de ce fait au-dessus des ouvriers. Toutefois, ce n’est pas lui qui est habilité à prendre les décisions. Ce serait se substituer à l’autoconstructeur dans ses prérogatives à décider la forme que doit prendre son habitat. Or, ce dernier doit demeurer l’auteur. Usurper ce rôle, c’est ôter à l’autoconstruction sa raison d’être. L’architecte doit donc adopter une position intermédiaire et assister l’autoconstructeur. L’architecte devra faire preuve de pédagogie afin de permettre à l’autoconstructeur de prendre les décisions en toute âme et conscience. Stéphane et Julien, chacun à leur manière, ont rempli ce rôle d’assistance à l’autoconstructeur.
71. Cf. entretien avec Jean-Michel Fradkin, le 03 décembre 2015. Voir en Annexe p. 110
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Conclusion : Limites et potentialités de l’accompagnement à l’autoconstruction Tout au long de cette étude, nous nous sommes demandés quel rôle l’architecte pouvait occuper dans des projets d’autoconstruction ; mais à l’issue de notre réflexion, force est de constater que l’architecte y occupe déjà un rôle. Parmi les cas pratiques étudiés, les constantes que l’on retrouve dessinent un portrait plus précis que ce que l’on pouvait imaginer. Ce n’est pas dans l’autoconstruction radicale que l’architecte trouvera un rôle épanouissant. Par définition, les autoconstructeurs qui font ce choix ne sont pas intéressés par le conseil de professionnels venus de circuits plus conventionnels. Ils veulent faire eux-mêmes. L’architecture totale telle que nous l’avons vue semble elle aussi être une impasse, dans la mesure où un projet autoconstruit par l’architecte pour un auteur qui méconnait le pouvoir qu’il lui abandonne va forcément générer des conflits. C’est en quelque sorte une autoconstruction vidée de tout ce qui fait sa substance. La famille, l’entraide, l’échange, l’expérimentation et l’émancipation personnelle sont les valeurs qui sous-tendent toutes les autoconstructions. L’architecte assistant à l’autoconstruction doit s’inscrire dans cette démarche plus humaine, dans un rapport de cas par cas, plus à même de développer cette culture populaire vivante dont parlait Lucien Kroll lorsqu’il disait qu’il “est urgent d’apprécier et de coordonner cette culture avec l’intelligence des architectes.” 72 Entre les contingences d’une discipline complexe et le processus créatif nécessaire à la construction personnelle de la vie de l’autoconstructeur, l’architecte s’insère en tant que médiateur. Cette place n’est pas une dévaluation du rôle de l’architecte traditionnel. Au contraire, l’architecte reste comme toujours le chef d’orchestre, et il n’est toujours pas l’auteur, malgré ce que certaines positions doctrinales peuvent suggérer. Il est juste plus compliqué d’oublier l’usager lorsque celui-ci est en face de vous du premier coup de crayon à la dernière pierre posée. C’est l’occasion de construire un rapport plus sain à la construction. Un rapport de collaboration, un accompagnement, une assistance architecturale à l’autoconstruction. Nous avons pu observer deux cas particulièrement exemplaires de cette catégorie qui produisent des architectures enracinées, où le chantier est vécu comme une aventure épanouissante et où le résultat reflète réellement le projet de vie des auteurs. Ce ne sont que des ersatz de ce que pourrait produire ce nouveau type de pratique architecturale. Pourtant le contexte légal ne va pas dans le sens de ces réussites et crée des situations absurdes comme celle de Stéphane où, pour aider sa fille à réaliser un projet de vie qui lui convienne, il se retrouve obligé de transgresser une loi qu’il est censé incarner. La législation doit cesser de méconnaître cette pratique ; et encadrer les solutions qui naissent déjà de l’usage, pour pouvoir accompagner toutes ces personnes qui ont le potentiel de produire pour eux-mêmes une belle architecture, pourvu qu’on les y encourage. À charge enfin, pour la recherche architecturale, de consacrer les usages voués à s’établir sur les chantiers d’autoconstruction, et de constituer le savoir qui permettra aux architectes de pleinement y contribuer.
72. Lucien Kroll, Tout est paysage, 2001, Op. Cit. p. 68 - 69
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Table des figures Figure 1 – Exemple : Compétences et responsabilités des acteurs d’un projet type p. 15 Figure 2 – Exemple : Collaboration entre les différents acteurs d’un projet type p. 16 Figure 3 – Jean-Claude : Compétences et responsabilités des acteurs du projet p. 21 Figure 4 – Jean-Claude : Collaboration entre les différents acteurs du projet p. 21 Figure 5 – Jean-Marie : Compétences et responsabilités des acteurs du projet p. 23 Figure 6 – Jean-Marie : Collaboration entre les différents acteurs du projet p. 23 Figure 7 – Gino : Compétences et responsabilités des acteurs du projet p. 27 Figure 8 – Gino : Collaboration entre les différents acteurs du projet p. 27 Figure 9 – Serge : Compétences et responsabilités des acteurs du projet p. 30 Figure 10 – Serge : Collaboration entre les différents acteurs du projet p. 30 Figure 11 – Léa : Compétences et responsabilités des acteurs du projet p. 33 Figure 12 – Léa : Collaboration entre les différents acteurs du projet p. 33 Figure 13 – Johann & Manon : Compétences et responsabilités des acteurs du projet
p. 35
Figure 14 – Johann & Manon : Collaboration entre les différents acteurs du projet p. 35 Figure 15 – Comparaison des diagrammes de collaboration des cas n°1, 2 et 3 p. 43 Figure 16 – Comparaison des diagrammes de collaboration des cas n°4 et 5 p. 45
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Liste des annexes Verbatim d’entretiens : Jean-Claude, entretien du 12 décembre
p. 66
Jean-Marie et Marie-Paule, entretien du 29 novembre
p. 73
Gino, entretien du 27 novembre
p. 77
Johann, entretien du 27 novembre
p. 83
Stéphane Hanrot, entretien du 18 décembre
p. 91
Serge, entretien du 27 novembre
p. 95
Julien, entretien du 15 décembre
p. 100
Léa, Vincent et Brigitte, entretien du 15 décembre
p. 106
Jean-Michel Fradkin, entretien du 03 décembre
p. 110
Pierre Cellard, entretien du 10 décembre
p. 116
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