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21.7 - Les linéaments d'une posture esthétique commune ?

surprise et à l’éclectisme des propositions. (…) Produire des univers visuels singuliers. (…) Être aussi l'espace du ratage. (RU, MD, SV, CO) Nous fonctionnons au coup de pouce et au coup de cœur en privilégiant ce qui sort des sentiers battus, ce qui peut bousculer les préjugés et les stéréotypes. (…) Il n’y a pas de ligne artistique puisque ces choix sont l’expression de la diversité des personnes qui composent le collectif. (…) L’accueil dans le lieu se fait bénévolement par des adhérents. (CU, PO, SV-AV-AA, CO)

21.7 - Les linéaments d'une posture esthétique commune ?

La question des partis pris esthétiques est d'importance dans un contexte où elle a tendance à être accaparée par les logiques de l'agrément, du proft fnancier et du moralement correct (Michaud, 2021). Il est alors capital de souligner ce qui apparaît à ce propos, de manière explicite ou au moins en fligrane, dans les projets et tels qu'exprimés sur les sites des lieux. À ce titre, nous avançons ici une hypothèse plus personnelle, qui nous semble pouvoir être étayée sur plusieurs traits génériques perceptibles, au sein de l'échantillon qualitatif et plus largement au travers du corpus de travail dans son ensemble.

On pourrait ainsi dire que, pour la totalité des lieux, les modes d'esthétisation exprimés ou implicites renvoient au double registre d'une expérimentation à vivre par chacun et d'une situation toujours pour partie composite. Expérience à vivre qui implique et mobilise les différents êtres qui y participent, à partir de gestes, d'actions et de projets concrets que les uns et les autres se révèlent en capacité d'assurer. Expérience qui comporte aussi des moments de doute, d'incertitude, de diffculté inévitables dans de tels processus, où le point de départ ne détermine en rien ni le parcours exact ni le point d'arrivée. Situation composite également, par la diversité aussi bien des êtres humains impliqués que des matériaux utilisés et travaillés. On se trouve alors constamment plutôt dans un univers de bricolage et d'artisanat, du faire et du fait à partir des désirs et compétences de chacun, dans l'émulation individuelle et relationnelle, dans un rapport interindividuel où la prise de risque implique attention réciproque, hospitalité et convivialité. Soit un tressage permanent – mais aussi de frottement – entre êtres porteurs de leur propre singularité et communauté accueillante d'apprentissage et de découverte. D'où la primauté accordée à une horizontalité des échanges – où chacun compte bien pour un –, qui construit un commun – au moins le temps de chaque projet particulier – au travers des actes et des usages partagés. Mais aussi un équilibre constant à trouver, tout au long des étapes et des épreuves de chaque projet. Au bout du compte, une école aussi bien de mutualisation et de coopération que d'individuation et de singularisation personnelle (Henry, 2023).

Parce que les expériences à forte dimension artistique s'ancrent dans la mobilisation et la reconfguration au moins partielle de nos modes de perception sensible et de notre imaginaire émotionnel, les éléments que nous venons de pointer s'en trouvent exacerbés. En cela, ils laissent souvent des traces mémorielles de forte intensité – y compris quand ils sont parfois vécus comme des échecs – et incitent –dans les nombreux cas où ils sont vécus comme positifs – à recommencer ce type d'expériences. Car au-delà des tâtonnements, erreurs, bifurcations imprévues du parcours, ces processus génèrent régulièrement – ne serait-ce que de manière partielle, localisée et fugace – un sentiment personnel et collectif de « bien être », fortement inscrit dans notre perception émotionnelle et cénesthésique. Ils sont aussi à la source de connaissances moins rationnelles qu'intuitives, qui participent d'un « mieux vivre » auquel chacun aspire, quand bien même il représente un horizon de sens et de vie toujours pour partie rêvé. L'inscription des expériences dans le temps présent de leur propre avancée renforce encore leur capacité à faire éclore et se développer ces sentiments physiquement vécus d'individuation plus sereine au sein d'une

communauté motivante et, par là, au moins pour partie apaisante. La dimension fréquemment pluri-sensorielle (ou synesthésique) de nombre d'expériences artistiques ou culturelles portées par les lieux que nous étudions participe probablement à renforcer leur inscription dans un présent fortement vécu sur le triple plan sensoriel, émotionnel et cognitif et dans sa double dimension personnelle et collective.

L'hypothèse que nous venons de proposer est plus facile à écrire dans un texte analytique que sur un site web de présentation d'une organisation où l'activité artistique tient une grande place. Elle est pourtant congruente avec ce qui ressort également d'échanges plus informels ou personnels que nous avons pu avoir avec des artistes directeurs ou associés de lieux appartenant au corpus de travail. La prochaine section permet de prolonger et préciser la réfexion à cet égard.

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