Retranscription du débat sur la circulation des artistes, organisé à l’occasion de la rencontre de réseau Zone Franche du 8 avril 2009, au Lavoir Moderne Parisien. La circulation des artistes : quelles solutions pour les professionnels ? Présentation de Christian Mousset, président de Zone Franche. Introduction de Gildas Lefeuvre, journaliste, modérateur de la rencontre. Présentation des intervenants : Marc Slyper, SNAM - CGT Richard Polaceck, juriste européen Frédéric Bouilleux, directeur Culture-Audiovisuel-Média à l’OIF Cendryne Roé, Nomades Kultur Didier Le Bret, directeur adjoint du cabinet d’Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la coopération et à la francophonie Francois Campana, Kyrnéa International, Enseignant à l’Institut d’études théâtrales de La Sorbonne-Paris III Sarah Ouaja Ok, adjointe culture maire de Reims. Tour de table. Gildas Lefeuvre : Dans un premier temps j’ai envie d’être un peu provocateur. Je travaillais déjà sur la question de la circulation il y a une dizaine d’années, alors de façon tout à fait candide : est-ce que la situation a changé depuis ? Si oui, dans quel sens ? Je vais passer la parole à Richard Polaceck pour faire un état des lieux de la situation, notamment au niveau des autres pays européens. Existe-il des dispositions dans d’autres pays, desquelles on pourrait s’inspirer ? Richard Polaceck : On m’a demandé d’expliquer comment la question de la circulation s’articule au niveau européen. En effet, les problématiques de visa sont des problématiques à traiter au niveau européen. Il faut savoir que l’Agenda européen pour la culture a été adopté en 2007, sorte de feuille de route où figurent plusieurs objectifs : promouvoir le dialogue interculturel, promouvoir la convention UNESCO sur la diversité culturelle, et encourager la mobilité des artistes et des professionnels de la culture.
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Deux méthodes de travail ont été définies pour atteindre ces objectifs : d’abord la mise en place d’un dialogue structuré avec la société civile, ensuite la méthode ouverte de coordination, la MOC (qui exprime l’idée d’un travail flexible et non contraignant entre étatsmembres, la concertation et l’échange de bonnes pratiques). Un programme de travail a été adopté, qui à l’horizon 2010 prévoit l’amélioration des conditions de circulation et la promotion et mise en œuvre de la convention UNESCO. J’insiste sur la convention de l’UNESCO car elle prévoit une facilitation de la circulation des artistes entre pays qui ont ratifié la convention, dont la France fait partie. Les états membres ont commencé à travailler au sein de la MOC et vont donner leurs recommandations à la fin de l’année 2010. Sur 2 points : comment améliorer les démarches administratives et conditions réglementaires d’une part, et comment améliorer l’accès à l’information sur les conditions de la mobilité d’autre part, c’est-à-dire comment faciliter l’accès à la connaissance des règles auxquelles se conformer (fiscalité, sécurité sociale, conditions de résidence…) J’ai quelques observations par rapport à ça, pour situer le contexte. Cela paraît assez banal, mais en réalité c’est déjà quelque chose d’extraordinaire qu’on ait réussi à se réunir au sein de l’UE sur ce sujet, avec un travail structurel et continu. C’est un pas en avant, mais la méthode de travail choisie est fastidieuse. Et évidemment nous ne savons pas encore quel sera le sort des recommandations des différents groupes de travail ; quel sera l’engagement politique de l’UE, et qu’est ce que les recommandations changeront concrètement pour les acteurs de terrain ? Quel serait le rôle de la société civile dans la formulation des recommandations ? Enfin il faut savoir que ces processus sont difficiles à suivre et pas forcément transparents. Il subsiste donc beaucoup de points d’interrogation. Un forum européen de la culture va être organisé à Bruxelles en septembre, et on espère que certains résultat provisoires seront alors rendus publics. Autre question : comment cela se passe-t-il ailleurs ? Que font d’autres états dans le monde pour répondre à ce problème ? Dans le cadre d’une étude réalisée pour l’Unesco nous avons contacté un certain nombre d’opérateurs culturels parmi les états membres. Je voudrais partager avec vous quelques exemples. Aux Pays-Bas existe la SICA, point de contact culture (un peu comme Relais Culture Europe en France). La SICA agit comme un point d’entrée pour les artistes extracommunautaires aux Pays-Bas : cet organisme fournit les informations de façon centralisée pour les acteurs culturels et les artistes. En 2003, la SICA a initié un groupe de travail artistes-visa et a invité à une coopération renforcée entre le secteur culturel et les autorités du travail. Cette coopération a débouché sur un permis de travail spécifique pour les artistes, où les organismes culturels enregistrés aux Pays-bas se portent garants pour les artistes issus des pays tiers. J’insiste sur la distinction entre les conditions d’obtention du permis de travail et celles de l’obtention d’un visa. Ces problèmes sont liés mais ne relèvent pas des mêmes procédures. Les néerlandais ont surtout avancé sur la question du permis de travail. Pour celle du visa, une solution envisagée aux Pays-bas est la qualification des artistes en travailleurs hautement qualifiés. L’inconvénient, surtout pour les petites structures, est que si l’obtention du visa est facilitée par ce statut, oblige l’employeur à verser un salaire en fonction, salaire qui dépasse souvent le montant des cachets versés à des artistes néerlandais. Aux USA, les syndicats des musiciens sont reconnus par les autorités pour aider les professionnels à obtenir des permis de travail temporaires pour leurs artistes étrangers. De même au Nigéria, le syndicat des musiciens entretient de très bonnes relations avec les
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autorités de l’immigration et aide à vérifier le statut d’artiste étranger, ou intervient dans les négociations pour les obtentions de visas. La Norvège permet aux grands employeurs de spectacles vivant d’effectuer directement des demandes de visas individuels ; ce dispositif se limite aux grands employeurs comme les orchestres, qui obtiennent un statut particulier. De manière générale, on observe que l’élément clé pour les bonnes pratiques c’est la confiance des autorités nationales envers les organisations professionnelles. Celles-ci ont pu mettre en place des solutions de procédure d’urgence par exemple, ou oeuvrer vers une clarification des procédures. GL : On va passer à autre point de vue, celui des problématiques concrètes des professionnels. Cendryne Roé, de Nomade Kultur : Cendryne Roé . Ça fait 10 ans qu’on rencontre les mêmes problèmes. Il y a eu quelque avancée, comme la directive Bockel, mais soyons réalistes, les problèmes demeurent. Nous, membres de Zone Franche, défendons les musiques du monde aussi pour les identités qu’elles représentent, et les artistes ne sont pas européens, mais africains, indiens et forcément on est toujours embêté. Il y a un donc gros décalage entre notre réalité vécue et ce drapeau des Musiques du monde. Décalage encore plus fort quand on pense à la convention Unesco dont parlait Richard : on est loin encore de cette diversité culturelle, que prétend la convention. Quelles sont ces entraves ? Principalement l’accès au territoire et les visas. Il y a encore un sas hermétique pour les artistes africains. J’entends des professionnels se résigner à programmer uniquement des artistes européens, ce qui me paraît dommage. Quelles solutions existent ? Je n’en ai pas, mais peut-être une solution est-elle de rapprocher les institutions, notamment au niveau des ministères, pour la France les ministères du travail et de l’immigration, qui sont deux ministères différents. On peut avoir un visa et pas forcément une APT, et inversement ; pourquoi ne pas réfléchir à un titre commun visa/permis de travail ? C’est le cas de la PAC (profession artistique et culturelle), délivrée par les préfectures pour les séjours de plus de trois mois. Or nous les professionnels, dans le cas des tournées, sommes souvent confrontés à des séjours de moins de trois mois, bout à bout sur le territoire, donc nous sommes sous le régime de l’APT. Or, il y a des cas de refus d’APT et comme l’obtention des visas et de l’APT sont liés, on a des difficultés à faire venir les artistes en France. Par rapport aux charges sociales, les logiques sont différentes. Pour les artistes des pays tiers qui ne bénéficient pas de convention bilatérale de protection sociale, on les salarie on paye pour rien des charges sociales, mais on a pas d’autres choix pour rester dans le cadre légal que de les embaucher. C’est quand même une grosse entrave à la circulation. Par exemple, pour les artistes américains qui viennent en France : il leur faut un permis de travail, mais s’ils sont profession libérale dans leur pays, ils ne sont pas soumis charges sociales en France du fait des conventions franco américaines qui leur reconnaissent la capacité à s’auto-détacher. Il leur faut un permis de travail mais ils ne doivent pas forcément cotiser aux charges sociales (Urssaf, Assedic et Audiens, caisses alignées sur le règlement communautaire).
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Il y a donc beaucoup de paradoxes en somme. Nous, dans le spectacle, ne sommes pas des juristes et même si nul n’est censé ignorer la loi c’est tout de même contraignant. Même chose au niveau fiscal : les conventions fiscales et les conventions bilatérales de sécurité sociale ne sont pas les mêmes et n’engagent pas les mêmes pays. Là aussi, cela peut prêter à confusion pour les professionnels. À un autre niveau, on connaît les mêmes difficultés pour partir à l’étranger que les artistes des pays tiers connaissent pour venir en France. Pour une tournée aux Etats-unis il faut être vraiment motivé, étant donné qu’on peut quasiment dire qu’il faut payer pour y aller : entre l’obtention des visas et celle des autorisations de travail, qui sont liées, et qui passent par les syndicats comme disait Richard tout à l’heure, ça revient très cher. Une APT en France est gratuite, autant aux USA elle sera payante. Sur une tournée de Juan Carmona, on en est déjà à 2000 euros, avant même d’être sûr d’obtenir les visas. Ce que vous connaissez, vous les Africains en France, on le vit, nous tourneurs, avec les pays anglo-saxons. Sans parler des problèmes fiscaux, où, quand on a négocié un contrat de cession en net, on se retrouve quand même à payer des retenues à la source sur le contrat de cession. Aux USA c’est 25%. Sur une tournée, ça fait beaucoup quand il faut tirer les comptes. Récemment, j’ai réussi à récupérer une retenue à la source avec le trésor public canadien, pour un concert à Jazz à Montréal. Ca n’est que 15% mais ça représente quand même des sous. C’est là un autre problème : il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que les visas, mais aussi les permis de travail, les charges sociales, la TVA… Est-ce qu’il y a une retenue à la source, estce qu’il y une TVA sur les contrats de cession, et qui la paye, qui la reverse ? Franchement, c’est très complexe, et s’il faut devenir spécialiste pour faire tourner des artistes, on ne va rien faire… Sinon, en termes d’actualité, on va parler de la directive Bockel. Au niveau des autorisations de travail il y a un nouveau formulaire CERFA depuis mai 2008. La procédure pour l’obtention d’un permis de travail en France pour tout artiste d’un pays tiers a été non pas simplifiée, mais clarifiée, un formulaire est valable pour le spectacle vivant comme pour la musique enregistrée. La France a signé des conventions bilatérales avec de nouveaux pays : la Corée du Sud et le Japon. Au niveau des syndicats, Marc en parlera, la décision de la cour de justice de la communauté européenne, en référent à l’affaire de Barry Banks et à la recodification du code du travail, permet aux artistes ayant le statut de profession libérale, intra-communautaires, d’exercer librement leur activité en France sans qu’on leur soumette la présomption de salariat. GL : Merci Cendryne, nous allons revenir à des problématiques plus générales : Frédéric Bouilleux, vous avez travaillé sur la directive Bockel, quel regard vous portez sur ces problématiques, du point notamment de vue des organisations internationales ? Frédéric Bouilleux : La problématique se situe à plusieurs niveaux, le premier étant politique. Sans détermination politique il ne se passera pas grand chose. Les politiques, il faut savoir les convaincre, étant donné qu’ils sont confrontés à des difficultés réelles de migration, et que ce sujet ne les enchante pas toujours. Il faut donc les rassurer. Le deuxième niveau est
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celui des techniciens et des administratifs, étant donné qu’il y a plusieurs degrés d’intervention : le visa, problème le plus visible, ensuite les questions d’harmonisation fiscale, sociale, etc.… Je dirais qu’il y a un troisième niveau qui est celui des politiques culturelles. S’il n’y a rien pour financer tout simplement les déplacements des artistes du Sud, il n’y a pas de mobilité. Là, nous intervenons via un fond d’aide à la circulation. Pour avoir travaillé au ministère de la culture il y quelques années, avec des représentants du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’intérieur (dans sa composante la plus « récalcitrante », celle qui s’occupe des flux migratoires) je dois dire que l’évolution est plutôt encourageante. Aujourd’hui on dit les choses, l’idée même de se réunir sur le sujet ne fait plus frémir. C’est vrai que pour vous, acteurs de terrain confrontés à ces problèmes au jour le jour, il y a un décalage, la patience étant une vertu pour les fonctionnaires internationaux, qui sont des animaux à sang froid, aux réactions lentes. Néanmoins je crois qu’on a jamais été aussi près d’une solution au niveau politique. Je salue ces initiatives qui mettent en contact des politiques, des institutionnels et des professionnels. Dans mon expérience au Ministère de la culture, les négociations s’étaient soldées par un échec car les professionnels n’étaient pas près alors à apporter des garanties, et à être otages d’une situation complexe. Là, je vois une évolution énorme. Il faut multiplier les initiatives, sur la scène internationale, il faut répéter, encore et encore… c’est lent mais on y arrive. La convention sur la diversité culturelle n’était pas parti gagnante, Didier le Bret s’en souvient. Il a fallu convaincre les pays du Sud, sceptiques au départ car eux-mêmes dénués de politique culturelle structurée, que c’était le combat de tous, ainsi que les Etats unis qui n’en voulaient pas. Finalement on a quand même abouti à une convention adoptée par tous les états sauf deux. Pour la problématique qui nous concerne aujourd’hui, je pense que c’est le moment d’enfoncer le clou. Le fruit est mûr. La récente réunion, à Bruxelles, à l’initiative du commissaire européen Louis Michel avec la présence du commissaire pour la culture, où nous étions quelques-uns à être présent, réunissait d’ailleurs tout ce qui compte dans la coopération internationale, et les états du Sud étaient là. Le problème des visas a été porté dans la déclaration, et le président Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie qui accueillait la déclaration et la donnait aux représentants d’états et à la commission européenne, a faites siennes dans son discours, de façon très claire, ces revendications. Ces éléments sont certes des éléments de discours, mais les initiatives de regrouper les différents ministères et les professionnels sont positives. C’est le moment d’enfoncer le clou et la francophonie est là, et vous pouvez compter sur elle. GL : Merci… pour enfoncer le clou encore davantage, Didier Le Bret, quelle est selon vous l’avancée de la situation au regard de la directive Bockel que avez inspiré ? Vous me disiez tout à l’heure que vous étiez quelque peu sceptique à l’égard de l’idée d’un visa francophone, qui fait son chemin. Je sais que vous avez récemment participé à une réunion avec Zone Franche, où il était question de la création d’un comité interprofessionnel pour traiter les problèmes de circulation. Comment est-ce que vous voyez l’avancée des travaux, et comment est-ce que vous y oeuvrez ? DLB : Le premier malentendu qu’il faut dissiper, c’est qu’il n’y a pas de mauvaise volonté politique sur le sujet. Pour des raisons évidentes, car c’est un sujet consensuel, qui n’est ni de gauche ni de droite. La mobilité des artistes et de manière plus générale la mobilité des hommes est un sujet que les Français ont largement compris et il n’y pas de volonté de pénaliser qui que ce soit. Une fois qu’on a dit ça, je sais qu’on n’a pas dit grand chose, mais si vous lisez les déclarations de l’ancien détenteur du portefeuille de l’immigration, précisément sur la question de la circulation des artistes, vous verrez qu’il n’a jamais manifesté d’hostilité particulière sur la question.
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Les instructions qu’on a envoyées à nos différents postes consulaires et diplomatiques l’an dernier, étaient conjointes du ministère de l’immigration et des affaires étrangères, avec la volonté de prendre des mesures concrètes. Le principe était de désengorger nos consulats qui ont un problème de gestion des demandes. On a demandé à ce qu’il y ait un dialogue entre les services consulaires et les services culturels qui sont en contact avec les artistes, et qu’on établisse des listes d’ « attention positive » de personnalités avec nous travaillons. Le travail que l’on conduit aujourd’hui avec Zone Franche et les professionnels, c’est d’essayer d’impliquer les professionnels afin qu’ils deviennent l’interface naturelle de nos services consulaires, pour que chacun puisse travailler avec le plus de confort et de sécurité possible. Je sais bien que les cas de refus sont spectaculaires, car les gens ne comprennent pas. Il y a eu le cas récemment de Konono n°1, il se trouve qu’il s’agissait d’une ambassade d’Allemagne, alors imaginez si ça avait été une ambassade française, le drame que ça aurait été… Mais néanmoins, si vous considérez les demandes de visas d’artistes en général, pour tout le continent africain, le taux de refus ne dépasse pas 10%, ce qui n’est pas quelque chose de colossal ni en soi monstrueux. Mais évidemment ça fait mal, parce que les puissances invitantes sont des petits organismes, des tourneurs, des festivals, et quand on annule une tournée ça peut-être assez dommageable. Donc a demandé ces listes pour éviter les situations de gestion de crise. On a également demandé pour les universitaires, artistes, intellectuels qui sont amenés à voyager fréquemment et qui ont fait la démonstration qu’ils n’avaient pas de profil migratoire particulier, qu’on leur donne le maximum de durée. Il s’agit de visas de circulation : ce sont des visas de court séjour, vous ne pouvez pas rester plus de trois mois, mais sur une période de cinq ans. Donc vous n’avez plus besoin de pointer votre nez au consulat pendant cinq ans. Encore faut-il, c’est le premier bémol, que votre passeport ait une durée de vie au moins égale à la durée du visa. Pour tous ceux qui avaient déjà fait un aller-retour ou deux, et qui n’avaient pas eu de visa de circulation, on a demandé à ce qu’on leur accorde des visas de circulation d’un an, ce qui désengorge encore le « stock » des demandeurs. Le problème le plus sensible se pose avec les personnes qui se présentent pour la première fois devant un consulat français, qui n’ont jamais quitté le territoire, et qui ont un magnifique profil migratoire à faire trembler tous les consuls de la terre : ils ont moins de 25 ans, ils n’ont pas de famille, pas de garantie bancaire et leur rôle au sein de la troupe ne paraît pas clair… Clairement, pour ceux-là la chance d’avoir un visa est faible. La difficulté est donc de sécuriser nos consulats, afin que lorsqu’une personne de ce profil se présente, on puisse montrer qu‘elle est invitée par un organisateur sérieux dans le cadre d’un festival qui l’est tout autant, etc… Ce n’est pas à niveau de fonctionnaire de consulat ou d’ambassade que cela peut se jouer, mais ça ne peut se faire que si l’on travaille en étroite liaison avec les professionnels. Il ne s’agit pas de demander aux tourneurs de « fliquer » les gens qu’ils invitent, mais de nous informer de façon sérieuse. La réunion que l’on a eue à l’initiative de Zone Franche avec l’ensemble des parties concernées et les professionnels, va dans ce sens, pour voir si l’on peut mettre en place un comité qui puisse travailler de manière plus étroite avec nos consulats, et avoir un point focal au sein de ce comité, qui puisse nous répercuter les difficultés. Afin d’éviter de travailler dans l’urgence, d’être saisi 48h avant, car ce n’est jamais très bon de travailler dans ces conditions… Les choses avancent, même si c’est compliqué, car il n’y a pas que les problèmes de visas, parfois les problèmes de contrat de travail sont bien plus compliqués encore. Mais encore une fois il n’y a pas de mauvaise volonté politique : on parlait de la convention Unesco pour la diversité culturelle tout à l’heure, c’est un sujet transpolitique. L’exception culturelle à été portée par la gauche, puis par la droite… La diplomatie culturelle de notre pays, historiquement, est faite d’échanges et d’accueil. Bien sûr, vous direz qu’il y a nos politiques actuelles de contrôle des flux migratoires, mais elles n’impactent pas sur la question de la circulation des artistes, car la proportion de demandeurs de visas d’artistes n’est
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pas importante en termes de chiffre, il ne s’agit pas d’une clientèle qui pose problème en nombre. Ce que l’on constate, c’est qu’un an après la directive, on a un peu avancé, mais pas suffisamment, donc nous allons continuer, et c’est bien que les professionnels français continuent à exercer des pressions, que les médias s’emparent du sujet, ce qui nous oblige à avancer. On a parlé d’un visa francophone, cette idée a été reprise par Hervé Bourges dans un rapport qu’il a transmis à Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la francophonie, en s’inspirant du modèle britannique du visa pour le Commonwealth. Le problème c’est que ce visa Commonwealth n’a pas vraiment existé en tant que tel et n’a pas duré longtemps, donc ce n’est pas forcément le bon modèle. Ce qui est sûr, c’est que si on veut donner un peu de chair et de sens à l’espace francophone, on devrait montrer que parler français est déjà en soi un visa pour voyager dans cet espace francophone. Tout le monde est d’accord, sauf que cet espace francophone est précisément celui qui pose le plus de problème en termes migratoires. L’espace dans lequel on se sentirait idéologiquement le plus de connivences est aussi celui ou il y a le plus de difficulté, et le taux de refus dans l’espace francophone est deux fois supérieur à ce qu’il est ailleurs… Vous connaissez tous la situation en Afrique, en Haïti, là ou la pression migratoire est forte, et où les gens sont prêts à tout pour quitter leur pays ; nos consulats ont des instructions et doivent rester vigilant. Mais une fois encore : les artistes ne sont pas la catégorie de personnes qui pose le plus de problème. Ce qui faisait défaut jusqu’à présent était les bonnes méthodes de travail. C’est pourquoi je pense que l’on tient le bon bout. GL : Merci, je vais passer le micro à François Campana… D’une part, vous avez une vision transversale, vous travaillez actuellement dans le cinéma, et vous mettez également en avant la flexibilité comme caractéristique fondamentale dans le spectacle vivant, qui ne serait pas assez prise en compte par les politiques. François Campana : Je vais faire un peu « dinosaure »… Que ce soit la directive ou le visa « profession artistique et culturelle », nous avons travaillé dessus il y a quelques années quand j’étais vice-président de Zone Franche. Nous avions réussi, et ça n’a pas été simple, à ajouter la mention « profession artistique et culturelle » à celle des chercheurs et des étudiants. Je voulais préciser que ce que nous avons réussi à faire comprendre, c’était : il y a des artistes qui viennent faire de la promotion de leur travail, sans être salariés, on ne va pas demander une autorisation de travail pour ce type de cas ! C’est important, mais c’est la seule chose que nous avions réussi à glaner. Rappelons que depuis la situation s’est durcie : d’abord il y a des baisses de financements, il ne faut pas l’oublier, et ensuite il y a une incohérence au niveau des services de l’Etat. Personne n’a évoqué pour le moment le ministère de la culture, ni les collectivités locales, qui sont quand même les premiers financeurs du spectacle vivant. Je suis assez surpris que quand vous parlez des professionnels, vous n’évoquiez pas la licence d’entrepreneur du spectacle, délivrée par le ministère de la culture. La licence d’entrepreneur du spectacle, c’est une autorisation d’exercice, délivrée par l’Etat et soumise à un contrôle. C’est pour moi un outil de reconnaissance qui devrait utilisé par les Ministère des affaires étrangères. Et là c’est l’État qui est en cause, et pas les professionnels qui ne s’entendent pas. Le Ministère de la culture a un rôle à jouer : prendre en considération que les gens ont une licence, des autorisations et des financements pour cela, c’est déjà des critères de crédibilité qui devrait être pris en compte en premier lieu.
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Par ailleurs, il ne faut pas oublier ce qu’est fondamentalement un spectacle vivant. C’est le problème quand on parle d’immigration, on s’égare. Un spectacle vivant c’est d’abord des gens, qu’il faut déplacer, souvent à la dernière minute… Ils se remplacent, ils bougent, et l’organisation d’une tournée, rappelons-le, se fait souvent tardivement. Une autre question se pose : quand on déplace un groupe, il faut demander des visas individuels. On ne peut pas demander de visas de groupes - on pourrait, mais cela ne se fait pas – et quand au sein du groupe apparaît un profil un peu complexe, on refuse la venue de cette personne. Ainsi, les quatre ou cinq autres membres du groupe vont venir sans elle. Dans ce cas, cela devient vraiment difficile et peut être onéreux. Beaucoup d’entre nous ont déjà été confrontés à cela. Apparaît alors un effet pervers de cette législation : beaucoup de structures, pour éviter les problèmes d’obtention des papiers prouvant que les charges sociales sont bien payées dans le pays d’origine, salarient les artistes sur des fiches de paye françaises. Cela complique énormément les choses pour les administrateurs, mais la seule sécurité vis-à-vis de l’URSSAF est de faire des fiches de paye. Quand vous venez avec un groupe de 15 ou 20 personnes ça devient très compliqué. Cela pose aussi le problème de payer des charges qui ne sont pas utilisables pour des prestations sociales, comme l’a dit Cendryne. Dans l’enchaînement, quand un groupe ne peut pas venir, se dessine une tendance qui consiste à faire travailler ceux qui sont sur place et qui vivent en Europe. En soi, c’est très bien pour eux et cela peut être un choix artistique judicieux, mais cela pose quand même quelques problèmes dans certains milieux. Par exemple dans le théâtre : il n’y a quasiment plus, actuellement, de spectacle africain avec des africains venants d’Afrique noire sur le territoire. Pourquoi ? Parce que c’est devenu trop difficile, économiquement, administrativement. Cela n’est plus gérable. Bien sûr, les Africains d’ici sont toujours africains, mais je pose quand même la question : est-ce que l’on est encore dans les échanges culturels, dans la connaissance d’un autre pays, d’une autre culture qui continue à se développer, à évoluer sur place ? Cette évolution, nous avons tendance à ne pas la prendre en compte. Je trouve cela très dommage. Ce n’est pas une critique mais juste une question. Par rapport à la directive Bockel, nous voyons apparaître des effets pervers à la loi. C’est le problème de la « catégorisation » qui a été proposée : plus on catégorise, plus on met les gens à l’écart. Dans le spectacle, comme ailleurs, on ne peut pas mettre les gens dans des cases sans risquer de grossières erreurs et injustices. Je ne parle pas des catégories « bon » / « mauvais », qui présentent un risque, le manichéisme n’amenant pas des choses très positives. Il me semble que la directive Bockel a apporté une séparation plus importante entre ceux qui ont choisi de rester dans la légalité et qui ont beaucoup de mal, et ceux qui ont décidé de sortir de la légalité parce que c’est ingérable. Nous savons que cela touche d’abord les artistes en émergence, les jeunes qui, comme vous le disiez, ont moins de 25 ans, pas de famille, etc … Ces jeunes, de toute façon, vont se déplacer, et c’est un peu bête de ne pas pouvoir les encadrer. Enfin, je pense qu’il faut prendre les choses de manière plus ouverte pour évoquer la circulation des artistes. De plus en plus d’échanges artistiques impliquent des artistes de différents pays sur le même plateau. Cela devient vraiment compliqué, même s’il y a une réflexion au niveau européen sur la présence des artistes d’un pays tiers. Faire venir un groupe ou une compagnie, c’est quelque chose que l’on peut faire, en se prenant un peu la tête et en suivant les règles. Sortir d’Europe, c’est relativement simple, à condition d’être national. Circuler en Europe avec des artistes dans certains pays sans qu’ils soient nationaux, c’est difficile. Prendre des artistes de différents pays européens et de différents pays du sud, c’est ingérable. Pourtant on sait bien, artistiquement parlant, que c’est dans ces échanges-là que les choses avancent. Mais cela n’est pas pris en compte lorsque l’on parle d’immigration ou de migration
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en simples termes d’aller-retour. Un de mes compatriotes, pas du même bord politique, Mr Pasqua, dans un rapport sénatorial jamais sorti, proposait de faire une carte de séjour familiale, qui serait attribuée à un membre de la famille, qui ferait un aller retour, puis à un autre… Je pense que dans le travail artistique, il faut qu’il y ait des allers-retours. Je parle des artistes originaires d’Afrique et du Maghreb, y compris ceux qui vivent ici. Ceci pose une autre question : dans notre pays nous avons des professionnels, tant mieux, mais dans d’autres pays, nombreux sont les professionnels, artistes, qui ne vivent pas de leur métier… donc, les allers-retours permettent aux artistes africains de gagner un peu d’argent ici, et de participer à des productions chez eux. On a des exemples très clairs, comme celui de la famille de Sotigui Kouyaté. Pour la créativité au Burkina Faso, cela me semble extrêmement important qu’il puisse faire des allers-retours. C’est ce que faisaient beaucoup d’artistes sénégalais, beaucoup d’artistes maliens. Depuis que la situation s’est durcie, l’effet pervers est que ces artistes se sont installés ici. Cela me pose pas de problème en soi, mais je pose la question : est-ce que nous allons vers une forme d’isolationnisme culturel de plus en plus prégnant, avec des artistes qui travaillent dans un espace où il est possible de le faire, et des artistes isolés dans d’autres espaces où il n’y a plus d’échanges, plus de frottements. Je pense que l’évolution légale n’est pas positive et que la situation ne s’améliore pas. Vous disiez tout à l’heure qu’ils ne sont pas beaucoup, 10% de taux de refus ce n’est pas beaucoup, c’est vrai, mais s’ils ne sont pas nombreux, alors pourquoi est-ce si compliqué ? Le réel problème, c’est plutôt le nombre d’artistes qui n’ont pas déposé leur demande de visa, et qui ne viendront pas au consulat. On le sait, on les retrouve ici. Par ailleurs, comment considérer qu’un artiste dans un pays d’Afrique soit reconnu ? Qui va décider de cela ? Le tourneur français, les autorités locales, monsieur le Consul, monsieur l’Ambassadeur ? N’oublions pas qu’il y des influences, des artistes d’état… J’ai déjà vécu ce cas, il y a quelques années : j’avais fait venir une troupe de théâtre, et on m’a envoyé des artistes officiels, qui n’avaient évidemment pas répété le spectacle. Pour être clair, j’ai peur des listes officielles des artistes. Et j’ai peur d’une dernière chose : c’est que l’on mélange la défense du professionnalisme avec les problèmes d’immigrations. Je suis naïf, mais cela m’échappe. Je pense que les artistes doivent passer les frontières, déjà les marchandises et tout le reste passent les frontières. Les seuls qui ne passent pas les frontières, ce sont les hommes, ou les femmes. Je pense que quand on empêche les artistes de passer les frontières, on perd un petit peu d’humanité. GL : Comme on le voit la question de la circulation des artistes est une sorte de poupée russe, où dès qu’on l’ouvre on est renvoyé vers de nouvelles questions et de nouveaux éléments. Je vais maintenant passer la parole à Sarah Ouaja-Ok. Je sais qu’une lettre a été envoyée par la mairie de Reims à Brice Hortefeux, qui y a répondu… Alors comme entrée en matière, pouvez-vous nous en parler ? Sarah Ouaja-Ok : Avant de vous parler de la lettre, je voudrais revenir sur trois points qui ont été abordés, et sur lesquels je voudrais qu’on ne mente pas et qu’on soit un petit peu honnête, qui sont la position des pays du Sud, la volonté politique et la question du consensus. Ensuite je vous parlerai de l’article et aussi de la position des collectivités locales, puisque nous sommes, nous aussi, des entrepreneurs du spectacle, comme le disait justement Mr Campana, et nous accueillions des artistes. Vous avez dit tout à l’heure que les pays du sud étaient dans une sorte de connivence, ou de « j’menfoutisme » par rapport à ces questions, et qu’ils n’avaient pas eu de position ferme pendant longtemps par rapport à la circulation. FB : Qui a dit ça ? Moi ? Si j’ai dit ça, il faut que je réapprenne à parler français.
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SO : Vous aviez l’air en tout cas de supposer ça, et de dire que les pays du sud avaient trouvé que ces questions ne les concernaient pas… FB : Je n’ai jamais dit ça, et c’est même le contraire ! Les pays du sud se sont toujours battus, et pour cause vu que ce sont eux qui sont touchés. On ne refuse pas un visa à un Suisse, généralement, il n’en a pas besoin… Celui qui dirait ça est un parfait crétin, et comme je ne me considère pas comme un crétin, je ne l’ai pas dit. Ce que j’ai dit, en parlant de la convention Unesco sur la diversité culturelle, c’est que les pays du Sud étaient sceptiques parce qu’ils pensaient que c’était un truc entre pays du Nord et qu’une fois de plus ils seraient laissés de côté. SO : Très bien, excusez-moi d’avoir mal interprété vos propos et je lève donc ce point. Sur la question de la volonté politique et là j’ai bien compris les propos qui étaient les votres, Didier Le Bret, vous avez dit qu’il n’y avait pas de mauvaise volonté politique. Je pense que c’est faux. Quand nous avons écrit cet article avec Mme Hazan, maire de Reims, nous l’avons fait avec une double casquette. Celle d’avoir envie de défendre, du point de vue de la culture, la chance que nous avons, en tant que collectivité, de proposer au citoyen la venue d’artistes étrangers, et la néssécité de défendre ces échanges avec les artistes étrangers politiquement. Monsieur Hortefeux a répondu par un article qui avait un très beau titre, « Oui à la circulation des artistes », mais répondait en termes d’immigration. Nous parlions d’accueil et de circulation des artistes, d’une idée que l’on se fait de la culture et de la société, et toute sa réponse était sur l’immigration. Or cette volonté systématique, quand on parle de circulation, de répondre par immigration, est une position qui en soi est xénophobe. Présenter l’artiste qui vient faire un spectacle, offrir quelque chose au citoyen français comme un clandestin potentiel, quelqu’un qui viendrait défier la loi, c‘est une position qui ne témoigne pas d’une vraie volonté politique pour faire avancer la question de circulation des artistes, mais pas seulement des artistes, aussi des étudiants et des chercheurs. Il n’y a pas de consensus, et je pense qu’il y a un vrai débat politique en ce moment entre ceux qui veulent considérer cette question comme une question culturelle, un idéal fondamental dans la manière dont on envisage notre société, et ceux qui veulent systématiquement ramener cette question à un problème d’immigration. D’ailleurs on met souvent « problème » devant « immigration ». Il n’y a pas de consensus entre la position de Mr Hortefeux (je n’ai pas encore entendu Mr Besson s’exprimer sur le sujet), et celle que nous défendons (pas forcément que la gauche, il y a des gens au sein de la droite et de la gauche qui défendent cette position, et des ambassadeurs de tout bords politiques). En tout cas il n’y a pas de consensus donc j’aimerais qu’on ne mente pas sur ce point. Pour ce qui est des collectivités locales, que je représente ici bien que je ne parle qu’au nom de la ville de Reims, nous sommes régulièrement confrontés à ces problèmes au même titre que les entrepreneurs du spectacle privés. Nous avons des CDN, des SMAC, des scènes nationales, lieux dans lesquels nous accueillons fréquemment des artistes étrangers. Souvent, et je m’étonne du taux de 10%, qui voudrait dire qu’à Reims nous serions particulièrement victimes du refus à la frontière, il y a eu des annulations de dernière minute, soit dans le cadre de programmations fixes, soit dans le cadre de festivals, y compris pour des lieux qui jouissent quand même d’une certaine crédibilité. Nous sommes dans une situation d’impossibilité, Madame la Maire qui écrit des courriers, les consuls, les ambassadeurs… Tout le monde se sent impuissant. À un moment, en tant que collectivité locale, on revendique un certain crédit, qu’on nous fasse confiance ; nous pourrions nous porter caution, pourquoi pas, pour les artistes que nous accueillions dans nos lieux publics. Cela ne résoudrait pas le
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problème pour tout le monde, étant donné que tous ne sont pas des collectivités, mais en tant qu’élus nous revendiquons la possibilité de nous porter caution. DLB : Pour répondre brièvement : que les collectivités territoriales se portent caution, on ne demande pas mieux. Ça s’inscrit parfaitement dans ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est-àdire l’idée d’un partenariat global dans lequel chacun prend ses responsabilités. Simplement, pas plus que les services consulaires, vous ne connaissez individuellement les personnes que vous allez inviter, et dans une troupe de 30 personnes, vous n’êtes pas à l’abri de quelques uns qui voudront rester. Ça, vous ne pouvez pas le garantir, et c’est pourquoi en amont, les consulats appliquent, certes un peu à la lettre, mais d’une manière qui leur paraît rigoureuse, les directives. Sur votre différend avec Brice Hortefeux, je voudrais simplement revenir sur ce qu’il a écrit. Notez au passage que vous ne trouverez aucun homme politique en France qui se dise contre les échanges culturels, il n’y en a pas (sauf peut-être une ou deux exceptions…). Mr Hortefeux a dit : « J’ai toujours cherché à favoriser les échanges culturels entre l’Afrique et la France, et j’ai donné des consignes claires aux services consulaires (il fait ici référence à la directive Bockel, qui est d’ailleurs la directive Bockel-Hortefeux, ils l’ont co-signé, il était d’accord, et les cabinets ont travaillé ensemble) afin qu’ils examinent avec bienveillance les demandes de déplacements à vocation artistique. 6849 visas d’artistes ont pu être délivré en 2007, en augmentation par rapport à 2006. La politique d’immigration et de développement solidaire se fonde sur la conviction que la circulation des compétences est un facteur de progrès, aussi bien pour l’Afrique que pour notre pays. » Que vous ne soyez pas d’accord avec la politique d’immigration du gouvernement, le débat est ouvert. Mais vous ne pouvez pas reprocher à un homme politique français, responsable, du gouvernement ou de l’opposition, d’avoir une position négative par rapport à la circulation des artistes. Ce n’est pas dans la tradition de notre pays, et contraire à nos intérêts, même économiquement. Zone Franche a d’ailleurs fait une étude là-dessus. Quand on est une terre d’accueil, et la première destination touristique au monde, il n’est pas dans notre intérêt de hisser notre drapeau bleu blanc rouge et de dire « on ne veut personne chez nous ». Ce n’est pas une position défendable. SO : Je voudrais sans passer trop de temps là-dessus, attirer votre attention sur d’autres parties de l’article. Après nous avoir attaqué sur le congrès socialiste, mais c’est de bonne guerre, il nous répond : « les deux élues rémoises (madame la Maire et moi-même), ont cru bon de se distinguer, non pas par une vraie force de proposition, mais par une critique hâtive de la politique du gouvernement en matière d’immigration ». Et à plusieurs reprises dans l’article (d’ailleurs j’invite tout le monde à le lire), il revient systématiquement sur le fait que ce que nous proposons cache des formes d’immigration irrégulière en France. Évidemment, on ne s’attendait pas à ce que Mr. Hortefeux s’exprime contre les échanges culturels, parce que politiquement cela ne sert pas, mais il reste qu’il assimile les artistes en circulation à des immigrés potentiels, il fait de la question une problématique migratoire. GL : Alors pour terminer le tour de table, Marc Slyper, SNAM CGT, je vous voyais avec des moues dubitatives à certains moments du débat… Marc Slyper : Je vais d’abord vous raconter la vraie raison pour laquelle Brice Hortefeux à changé de ministère ; à cause des quotas d’immigration non respectés, il a été obligé de raccompagner son marocain à la frontière… Ceci étant dit, je pense qu’il y a beaucoup de confusion. La question n’est pas, pour nous, une question de visa. Nous sommes pour une liberté totale de circulation des artistes dans le monde, et pour un co-développement. Mais une fois que la mobilité est organisée, quel contenu met-on dans les échanges entre artistes et
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dans les échanges internationaux ? J’entends ce qui se dit par rapport aux collectivités territoriales, qui devraient avoir voix au chapitre. Pour moi, si on lutte contre les politiques migratoires, qu’on soit de droite ou de gauche, d’ailleurs surtout de gauche, il faut d’abord modifier les statuts de la fonction publique. Les statuts de la fonction publique empêchent toutes les collectivités territoriales et l’Etat de titulariser des étrangers comme fonctionnaires dans notre pays. C’est clair, net et précis. Si on est très généreux, culturellement, c’est-à-dire dans le cadre de la culture de la France terre d’accueil, il faut ouvrir les fonctions publiques à la titularisation. Sous prétexte qu’on est étranger et qu’on vient travailler dans une collectivité publique quelle qu’elle soit, on n’a pas le droit d’avoir les mêmes droits qu’un français, et c’est à la base un problème. C’est un problème de fond, et le problème de la circulation des artistes est complètement ailleurs. C’est une question de principes. Sinon, le SNAM participe aux activités de la fédération internationale des musiciens. Richard Polaceck a parlé tout à l’heure de syndicats qui ont la possibilité d’intervenir : ce sont des syndicats qui ont le « close shop », la carte professionnelle, avec l’obligation d’être syndiqué pour pouvoir travailler et qui jouent un rôle direct sur les flux migratoires. Or notre tradition syndicale dans notre pays n’est pas d’avoir des cartes professionnelles et des numerus clausus qui permettent de fermer les portes. Et je répondrais à François Campana, que notre position n’est pas de dire : « on ferme les frontières pour défendre les professionnels ». Mon organisation n’a jamais été pour un blocage des frontières. La France doit être une terre d’accueil à tous les niveaux. Mais une fois qu’on a réglé entre nous la question des visas, on rencontre tout un tas d’autres problèmes liés à la mobilité, qui sont différents. On aborde alors des questions de protection sociale, différente dans tous les pays du monde, de statuts différents de l’artiste (entre salariés et indépendants, entre professionnels et amateurs), et aussi de dumping social. D’ailleurs ça a été une partie de débats explosifs, il y a quinze ans avec Zone Franche, je le rappelle. Pourquoi ? Il y a quinze ans, un regroupement de producteurs français, dont faisaient partie Zone Franche et ses adhérents, a saisi la commission de Bruxelles, contre la présomption de salariat dans notre pays, de façon complètement inconsidérée, je le dis. Il y a eu une polémique qui a amené Zone Franche à se retirer de la COPDAF, et à changer le terme des débats. Pour autant, c’est cette action-là qui a modifié la présomption de salariat, et pas uniquement l’arrêt Barry Banks. Or que dit aujourd’hui le code du travail ? On a inversé le sens de la preuve : avant, un non-résident qui venait travailler en France devait faire la démonstration qu’il était travailleur indépendant dans son pays pour ne pas se voir appliquer la présomption de salariat ; aujourd’hui, si on veut lui faire appliquer la présomption de salariat, il faut faire la démonstration qu’il est engagé en France dans les conditions du salariat. Tout ça n’est pas sérieux, et je le dis très sérieusement. Ce n’est pas en détricotant des avantages acquis dans certains pays qu’on va régler les problèmes. La vraie question, c’est comment est-ce qu’on permet à des artistes de circuler et de transférer des droits, quel que soit le pays d’où ils viennent et quel que soit leur statut. C’est ce sur quoi la fédération internationale des musiciens et le SNAM travaillent. Dans notre fédération internationale il y a des artistes Africains (la France aide par exemple le Sénégal, le Cameroun, le Gabon), ou de l’ex-URSS (la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie). On les fait venir en France, on les emmène dans des négociations collectives. Mais vous avez en Europe nombre de pays ou le statut des artistes est un statut de travailleur indépendant. Il ressemble d’ailleurs à ce que d’aucun appelait le statut d’intermittent, parce que ces travailleurs indépendants ont des syndicats qui négocient pour eux des conventions collectives quand ils sont employés. Ça a d’ailleurs fait débat au niveau européen, sur la capacité des travailleurs indépendants à se syndiquer pour négocier des accords collectifs, mais passons. Comment est-ce que les fédérations internationales d’artistes réagissent à cela ? Ce qu’on s’est dit depuis le départ, c’est : les artistes revendiquent des droits, quel que soit leur statut : droit à la santé, à la retraite, à l’assurance-chômage, à des accords collectifs, ect… Ce que
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nous voulons, c’est créer la transférabilité des droits. Par exemple, la ville de Lille a organisé une grande manifestation avec des artistes africains. On a été obligé de passer une convention avec la caisse des congés spectacles pour que les artistes africains puissent toucher leurs congés spectacles. On est passé par le producteur du spectacle qui a reçu les cotisations et qui les a envoyées aux artistes en Afrique. Il n’y a donc pas de situation bloquée, il y a des possibilités, simplement il faut se retrousser les manches. À côté de ça, j’entends qu’il faut à tout prix garantir la circulation des œuvres et des artistes… Je dirais que bien sûr, la créativité vient des échanges de tous les pays du monde, et on en a besoin. C’est le cas dans la musique, qui est un langage universel que je connais bien. Pour autant on sait aussi que derrière la mobilité se cache du dumping social. Faire venir un artiste pour sa démarche artistique, et aller chercher des violonistes en Bulgarie pour une tournée de variété, parce qu’on va les payer dix fois moins cher, ce n’est pas la même chose. Or nous le vivons au quotidien, et ce n’est pas possible. On est pour que la circulation soit totale, et qu’on ne soit pas pris par les visas, mais il faut travailler à des règles. Car si on est pour les échanges, on n’est pas pour la mise en concurrence des peuples. Je citerai l’exemple d’un ensemble argentin qui faisait une tournée en France grâce aux aides d’un fonds de soutien. Leur salaire était particulièrement en dessous des minima conventionnels français. On nous a dit : « oui, mais en rentrant dans leur pays, ils vont avoir un salaire extraordinaire ». Notre réponse à été, que tout d’abord, le fait que les échanges culturels fassent circuler des devises n’est pas interdit, et que ce salaire pourra amener de la richesse dans le pays. Et deuxièmement, je veux bien l’entendre, mais à ce moment-là, le prix de la place de ce spectacle argentin, mettons-le au cours du peso, comme ça on n’a pas de problèmes. Il faut le faire dans les deux sens, sinon on travaille à autre chose. Alors, je voudrais rester bref, beaucoup de choses ont été dites, mais je souhaite que quand on aborde la question du visa, on passe sur les questions de politiques d’immigrations pour qu’on parle de la défense des artistes, tout pays et statuts confondus. On va bientôt fêter le 30ème anniversaire d’une résolution ONU qui est un outil extraordinaire dans ce qu’elle amène pour défendre les arts et la culture. Le problème c’est que cette résolution est signée par un nombre de pays incalculable, mais qu’il n’y a pas le début du commencement d’une mise en œuvre. Quand on dit qu’un artiste doit bénéficier d’une protection sociale dans le monde entier, égale aux salariés des autres secteurs d’activité dans le même environnement, ça n’est jamais appliqué. Et quand il est écrit que les Etats doivent investir 1% de leur budget national dans les arts et la culture, ça n’est jamais appliqué, et j’en passe, sur la circulation des œuvres, la formation, la protection des auteurs, ect… J’entends ce qui se dit sur la convention Unesco sur la diversité culturelle, mais déjà, lors de la réunion d’il y un an à Bruxelles sur sa mise en oeuvre, le représentant de la direction générale du marché intérieur faisait savoir qu’il y avait des limites à l’entrave d’une concurrence libre et non faussée. On est toujours, en voulant mettre en œuvre la protection des artistes, à s’attaquer à des règles du marché qui s’imposent au développement humain, et c’est quelque chose qu’il faut absolument contrer. D’ailleurs, le point du débat de l’élaboration de la convention sur la diversité culturelle sur lequel les fédérations d’artistes ont été battues, c’est la construction d’un outil international contraignant pour garantir la diversité culturelle. Or, la question de la circulation des artistes et des visas, elle est là. Tant que l’ « ordre mondial » pour ne pas fausser une concurrence libre, refuse de se donner des instruments internationaux un peu contraignants (et encore ce n’était pas la police des polices) pour faire respecter ses propres textes, on n’ira pas loin. GL : Je vais repasser le micro à François Campana qui souhaite répondre, ensuite on passera le micro à la salle.
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FC : Merci. Très rapidement : Marc, ce ne sont pas nous, les ennemis. Les gens ici dans la salle sont en première ligne pour défendre tous les artistes du monde, et c’était aussi le cas, il y a quinze ans. Je suis bien content de savoir que les Anglais aient réussi à récupérer leurs congés spectacles, et s’il y a bien quelque chose que les syndicats peuvent faire, c’est de nous aider à récupérer les congés spectacles pour leurs artistes. Ça c’est compliqué, surtout pour les petites structures. Le combat actuel, il est aussi de défendre les artistes tel qu’on le faisait il y a quinze ans. Tu parlais de cette histoire ancienne et je ne vais pas revenir là-dessus, n’empêche qu’à l’époque, on nous obligeait à payer des charges sociales pour des travailleurs indépendants qui venaient d’Allemagne, d’Angleterre ou d’autres pays, et du coup les cachets étaient ridicules. Je ne voudrais pas qu’on ait une mauvaise image de ce qui s’est passé à l’époque, et même si je ne suis plus à Zone Franche, j’assume totalement ce qui s’est passé. GL : Merci. Est-ce qu’il y a des questions dans la salle ? Intervention du public : Je suis Saïd Assadi, productions Accords Croisés. J’ai quelques chiffres à vous donner. Premièrement, vous avez parlé des visas de circulation d’un an. Nous avons des artistes qui viennent en France depuis neuf ans régulièrement, pour différentes tournées. Nous n’avons jamais réussi à obtenir ce genre de visas, le maximum que nous avons pu obtenir ce sont des visas de 6 mois, en faisant des concerts à l’ambassade de France dans ces pays, totalement gratuits, alors que les artistes remplissent toutes les conditions nécessaires pour obtenir les visas d’un an que vous avez évoqués. Deuxièmement je voulais vous parler d’une expérience professionnelle : nous avons fait une création qui s’appelle Qwââli et Gospel. Il s’agit d’artistes pakistanais et américains qu’on essaye de faire tourner ensemble. Avec les producteurs américains, on s’est mis d’accord financièrement sur une même enveloppe pour chaque groupe, par exemple 8500 € par groupe à partager. Je vais vous détailler ce qui reste à la fin pour les Pakistanais et les Américains. En se basant sur le cachet de 8500 €, pour les Pakistanais, le cachet net à la fin est de 3500 € à partager (ils sont 10). Pour les Américains, il est de plus de 7000 €. La répartition est la suivante : la seule charge qui est à payer en France quand on emploie des artistes américains, c’est une retenue à la source de 15%, qui est récupérable aux USA grâce aux conventions bilatérales entre les deux pays. Pour les Pakistanais : quand on paye 3500 € net, il y a 3000 € de charges sociales ; 525 €, soit 15% du salaire net, de retenue à la source, pas récupérable parce qu’il n’existe pas de conventions bilatérales ; 1429 € de frais de visas. Je les détaille : 62 € par personnes, donc pour 10 personnes 620 € ; 259 € de frais d’assurance obligatoire auprès de sociétés privées, qui sont traités par les consulats et ambassades sur place. Environ 300 € de frais de déplacement entre Lahore et Islamabad pour ces artistes, qui doivent consacrer deux journées de trajet aller-retour pour remplir des fiches de renseignement individuelles, et évidemment leurs repas, et les frais de téléphone et de fax pour une personne sur place qui s’occupe de toutes ces démarches, qui sont vraiment terribles. Donc, au niveau des cachets : sur une même enveloppe, les artistes Américains perçoivent un cachet de 7000 €, les Pakistanais, de 3500 €. Je pense que c’est important que le représentant de la CGT soit au courant, car vous défendez, il me semble, les droits des artistes dans le monde entier. Voilà pour les cachets, passons aux voyages. L’offre promotionnelle sur les voyages entre les USA et la France est énorme. Avec les pays du sud, les promos n’existent pas, étant donné qu’on est dans une politique d’encouragement du tourisme de masse entre pays riches. Sur un budget de voyages, pour 10 artistes, Nouvelle Orléans – Paris, on en est à 2500 €. Pour autant de personnes qui arrivent d’Inde ou du Pakistan, on en est à environ 8000 €. Faisons l’addition : est-ce que la politique culturelle encourage la multiculturalité, ou les règles empêchent-t-elles l’expression artistique des pays du Sud ? Et je parle d’expression artistique et pas d’immigration. La situation nous oblige, nous promoteurs, à travailler de plus en plus
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avec des artistes basés en Europe ou des artistes européens. La question de fond, sans laquelle on ne peut pas avancer, est celle de la politique culturelle. Ma proposition est que nous professionnels, nous nous engagions en nous portant garants pour le retour de nos artistes, face aux inquiétudes que vous exprimez, par rapport à l’amalgame entre circulation et immigration. Je voudrais qu’on commence à travailler sur cette question de fond, pour qu’on ait une position plus claire et plus honnête : entre le discours théorique sur la diversité culturelle, où nous sommes tous d’accord, et la réalité pratique, il y a un décalage qui révèle une sorte d’hypocrisie. D’un côté, vous nous expliquez comment faire les démarches et profiter des avantages existants, comme le visa d’un an, parallèlement essayez vraiment d’avancer. Parce qu’avec la crise, nous sommes dans une situation dangereuse à l’égard de nos métiers et encore davantage à l’égard de la circulation des artistes. Didier Le Bret : Je vais répondre brièvement à vos trois questions. Sur les visas dits de circulation, ce sont des visas qui, une fois encore, sont de courte durée et qui ne peuvent excéder trois mois. Ensuite la directive n’a été communiquée qu’aux services en Afrique subsaharienne, donc ça ne concerne pas encore le monde entier. En revanche c’est dans l’intérêt des consulats d’appliquer cette politique, étant donné qu’il s’agit de désengorger les services consulaires, donc, plus ils attribuent de visas de ce type, moins ils ont à traiter de demandes à répétition. L’obstacle, c’est que pour appliquer cette durée maximale, il faut que le passeport ait une durée de validité qui soit au moins égale ou supérieure, et c’est rarement le cas. Mais quand j’étais moi-même chef de la mission de coopération à Dakar, j’ai établi personnellement une liste d’artistes dont je savais qu’ils en étaient à leur 10ème aller retour, et je l’ai mise sous le nez du consul avec instruction expresse de l’ambassadeur, et ça a marché. Donc c’est aussi de la responsabilité des ambassadeurs, et nous leur avons transmis la directive. Après il y a un problème de communication entre les services, qui n’ont pas les mêmes objectifs. Un service culturel a pour objectif de faire de la politique culturelle, un service consulaire a pour objectif d’attribuer des visas avec le moins de ratés possibles, donc il ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde, mais ils peuvent travailler ensemble. Pour ce qui est des tarifs des billets d’avion, honnêtement, le problème ne relève pas de la politique culturelle de la France mais du marché. Les prix sont structurés en fonction de la demande, du potentiel et ne sont pas de la responsabilité d’un quelconque ministère français. Pour le troisième volet, c’est-à-dire : est-ce que la posture de diversité culturelle française est de pure rhétorique, ou est-ce qu’elle correspond à des faits, je rappelle que 80% de nos crédits en matière d’action culturelle vont aux échanges, c’est-à-dire à l’ouverture de notre territoire aux autres cultures, ou au financement direct des politiques culturelles de nos pays partenaires. Certes on ne fait jamais assez, mais c’est aussi à vous de nous aider à faire plus. On est sans cesse soumis à la question, à la torture, sur la façon dont nous dépensons l’argent du contribuable dans notre diplomatie culturelle. Tout le réseau des centres culturels français est à la disposition des artistes étrangers. Dans les différentes capitales africaines, nos centres ont une programmation qui est à 60, 70% pour les artistes locaux, on nous le reproche d’ailleurs. Mais c’est là notre conception des échanges, que nos centres culturels soient des plates-formes de valorisation pour les artistes étrangers. Tous les ans, on nous emmerde parce que soi-disant ça coûte trop cher. Or, tout le réseau des centres et instituts dans le monde fonctionne sur l’équivalant de la subvention annuelle accordée à l’opéra Garnier. Avec ça, on fait toute notre politique culturelle. À vous aussi de monter au créneau et de dire que la diplomatie culturelle c’est important, car aujourd’hui on est sous contrainte, très clairement. Intervention du public : Je voudrais intervenir pour dire une chose simple. Il y a un problème de fond dont on ne parle pas, et au niveau duquel tout se joue. Il y a une hypocrisie
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politique énorme, à droite comme à gauche de façon indifférente, sur le rapport aux pays du Sud. Le problème migratoire est la grande sanction, or on crée le problème migratoire par la politique « Françafrique » ; on pille ces pays depuis des années, on les empêche d’aller vers un développement au sens de leur développement propre. Les Américains font pareils… On encourage un développement pour les intérêts du Nord. On a un rapport destructeur dans ces pays-là. Les ressources fondamentales pour fabriquer nos frigos, nos portables ect, viennent d’Afrique. On fait des productions sur place qui sont extrêmement polluantes, qui sont dommageables pour les Africains et qui les empêchent de construire leur pays. C’est donc un problème politique beaucoup plus global auquel on s’attaque. Tant qu’on reste dans cette hypocrisie, les choses ne vont jamais se régler, et on pourra continuer à déplorer les problèmes d’immigration. Pour vous ce n’est pas facile parce que vous avez le côté « seulement votre fonction », mais c’est un problème politique beaucoup plus profond auquel on s’attaque. Tant qu’on ne sera pas monté au créneau pour dire qu’on est pas d’accord avec cette politique, les problèmes resterons superficiels. Effectivement, ça serait bien que tout le monde ait les mêmes droits, comme vous le disiez au sujet du syndicat, mais on fragilise tellement ces pays par une aide de dépendance, comment voulez-vous qu’ils réussissent à construire quelque chose ? Il y a une question de fond à se poser. Frédéric Bouilleux : Un mot sur cette question récurrente, qui est celle de la coopération internationale et du côté pas du tout angélique qui sous-tend tout ça. Les relations entre les hommes et les peuples, ça implique des intérêts et ça n’est pas toujours joli-joli. Néanmoins, il ne faut pas tomber dans le risque qu’il y a, et que je connais bien, de la part des pays du Sud, à commencer par faire une liste de tout ce qui ne va pas, et de prendre les choses avec tellement de hauteur qu’on ne peut pas avancer. On se retrouve alors avec une liste impressionnante de choses qui ne vont pas, de disfonctionnements, de problèmes moreaux ; on s’est réuni pendant deux jours, et on se dit : « et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? ». Devant l’énormité de la tâche, on est comme paralysé. Donc il faut aussi tenter, chacun dans notre domaine, d’avancer sur un point, ou deux, et quant on a constaté qu’on a réussi sur ce point, s’attaquer à un autre. Surtout dans le domaine international, ou les intérêts contradictoires sont inextricables, et où chacun a des doubles et des triples et des quadruples langages, et c’est malheureusement le quotidien de la vie internationale. GL : Sophie Guénebaut voulait intervenir : Sophie Guénebaut : Bonjour, Sophie Guénebaut, directrice de Zone Franche. Je trouve que ce débat est important dans la mesure où on comprend la complexité des enjeux, et que toutes ces pièces doivent être prises en compte dans l’avancée. Je pense que l’entreprise de dialogue menée par Zone Franche avec le Secrétariat à la coopération et le Ministère de l’immigration est discutable en soi, car ça implique d’admettre la situation telle qu’elle est. En même temps, pour les professionnels du secteur et du réseau, les situations deviennent tellement urgentes, que quand on dit que les professionnels sont prêts à discuter, et bien aujourd’hui il y a de très bonnes raisons à cela. Les solutions qu’on essaie de trouver avec Didier Le Bret, qui est assez moteur sur le sujet, sont peut-être discutables, en même temps elles auront peut-être le mérite d’exister. C’est tout le problème qu’on a : pour avancer, on a besoin des représentants des organismes professionnels, on a besoin de la parole politique, même si elle est contradictoire, et on a également besoin de ceux qui sont au pouvoir. C’est important pour nous de mesurer que toutes les pièces du puzzle sont nécessaires. C’est un problème qu’on rencontre pour discuter avec tous.
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GL : Louis Joinet souhaitait intervenir : Louis Joinet : Une fois de plus le débat montre l’immensité de la tâche et le découragement qui se profile quand on analyse les problèmes. Comme vous le disiez : par où commencer ? Je pense que le problème le moins difficile à résoudre, c’est celui de pouvoir quitter son pays pour venir dans un autre, pour une création artistique, soit parce qu’on en a envie, soit parce que le pays en a envie. J’ai quelque expérience, j’ai fait 10 ans de Matignon, donc de coordination, et par ailleurs comme président du festival d’Aurillac, je dirais que la coordination est l’un des maillions faibles, et ça commence dans les ambassades. Les services culturels doivent intervenir dans l’étape de ce qu’on a appelé « se porter caution ». C’est ce service qui connaît le mieux, ou qui peut se renseigner. Tandis que du côté du consulat, les législations se sont raidies (depuis Hortefeux certes, mais la tendance a commencé bien avant, même si là ils y sont allés un peu fort), et les instructions ne viennent pas du ministère de la culture. Le consulat doit donc passer par une filière parallèle. Actuellement, je ne sais pas qui du ministère des affaires étrangères, de l’intérieur ou de l’immigration a finalement le plus de poids dans la décision. Le Quai d’Orsay, généralement, en a le moins. Avant c’était l’intérieur et le Quai. Maintenant, j’ai l’impression que l’immigration en a le plus. Peu importe le ministère, les mots « caution », « confiance » sont revenus dans la discussion. Alors quelles solutions techniques, car il faut être pragmatique, peut-on trouver ? Améliorer la coordination, c’est un problème de gouvernement que nous poserons dans les entretiens de Valois, qui passent la porte des négociations en ce moment. Le deuxième aspect, c’est qu’il y a une confusion entre circulation et immigration. Je le vois, il y jusqu’à 500 compagnies qui viennent au festival d’Aurillac, dont un pourcentage important d’étrangers. Ce ne sont pas des gens qui sont dans des filières d’immigrations clandestines, qu’on fait venir en France pour faire du travail au noir dans le spectacle, ça n’a rien à voir. Je ne les fais pas venir en France pour travailler au noir et me faire du beurre. Ça a à voir avec le droit d’aller et venir qui est inscrit dans la déclaration universelle, dans la convention européenne, qu’il faut extraire sur cet angle-là. Sur le plan pratique : du côté français il a y une structure, une procédure, quelque chose à faire et vous y avez réfléchi à Zone Franche. Il faut partir du principe qu’il n’y a pas de bonne solution intégrale. Le zéro risque de « perte en ligne », quand vous faites entrer 10 artistes étrangers en France et qu’il n’y a que 8 qui repartent, n’existe pas. Je me suis beaucoup penché sur cette question : qui ne rentre pas et pourquoi ? Je mets de côté ceux qui restent à cause la répression dans leur pays, ect.. Ça n’est pas significatif. Ce qui est intéressant, c’est que vous avez des gens qui viennent avec la meilleure bonne foi du monde, mais que la diversité fait qu’on se frotte les uns aux autres, et qu’un jeune artiste puisse être repéreré pour une tournée ou découvre le cirque de création, avait une vision chinoise du cirque et s’engage dans quelque chose de nouveau… Là, c’est de la circulation des idées qu’il est question, telle qu’elle est décrite dans la déclaration universelle, et la perte en ligne est relativement faible, sachant que ces artistes ont surtout une envie, celle de retourner dans leur pays montrer qu’ils sont devenus importants. François Campana : Il y a une chose que je reproche aux Ministères de la Culture et des Affaires étrangères, c’est de ne pas prendre en compte ce que font les professionnels. Vous citiez le festival d’Aurillac, on pourrait citer les quelques 2000 festivals français qui font venir des artistes du monde entier. Or, quand on regarde le bilan de la politique culturelle extérieure de la France, il se limite à ce que fait Culture France. C’est un peu méchant dit comme cela, mais on oublie le travail de certains centres culturels ou ambassades, ainsi que la majorité des choses qui se font chez les professionnels. Par là même, on perd l’expérience que les professionnels ont à partager, comme l’exemple de Saïd tout à l’heure. On parle de confiance
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entre professionnels et artistes. C’est un peu ce qui manque à certaines institutions. Comme si producteurs et festivals étaient là pour faire de l’immigration. Nous travaillons, nous défendons des idées, et si parfois on perd des artistes au retour, c’est souvent pour des raisons autres que ce que l’on appelle l’immigration. La contamination artistique, j’y crois. Si on ne la permet pas, on crée de l’illégalité, et c’est ce qui est en train de se passer. Richard Polaceck : Pour finir, deux points. D’abord il faut prendre en compte l’espace européen dans la recherche de solutions. La France ne peut pas décider seule des conditions d’accès pour les artistes extra-communautaires. L’espace Schengen est un espace de circulation, qui requiert une concertation au niveau européen. Sans cette concertation, ça ne marchera pas, même si évidemment ça complique un peu les choses. Deuxièmement : je trouvais votre exemple extrêmement parlant, au sujet des artistes américains et pakistanais. On retrouve souvent le même cas de figure : au niveau européen on a du mal à faire comprendre aux politiques européens ce qu’est la réalité du terrain, la réalité de votre profession. C’est pourquoi il faut faire remonter ces cas de figure, et expliquer les conséquences pratiques de la politique, appliquée à votre cas concret. Votre rôle en tant qu’opérateur, que société civile, est extrêmement important, en termes de communication avec les décideurs. On a constaté ça dans d’autres pays : là où les professionnels parviennent à s’unir et à parler d’une seule voix, ils arrivent à peser sur les politiques et à changer la situation. GL. Ça me fait faire un lien en tant qu’observateur extérieur, pour conclure. Ça fait une quinzaine d’années que la question de la circulation des artistes est présentée comme un combat, souvent porté par Zone Franche, qui est identifié comme porte parole sur ce sujet. Je pense que si d’autres secteurs de la profession, c’est-à-dire des représentants de la musique en général, et pas uniquement des Musiques du monde, s’emparaient de la question, cela aurait davantage de poids. Saïd Assadi : Juste quelques précisions sur l’exemple que je citais tout à l’heure. Cette création, seuls deux ou trois lieux avec des budgets importants on a pu l’accueillir (la salle Pleyel, les nuits de Fourvière…). On n’a pas pu tourner. En revanche, il tourne en Europe, où les surcoûts propres au cadre français n’existent pas. Il y a quantité de conséquences économiques qu’on peut détailler, notamment sur la question de l’harmonie entre pays européens. GL : Merci à tous les intervenants.
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