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Transformation personnelle, transformation collective : les deux faces d’une nécessaire révolution civique
par Didier MINOT
janvier 2007 1
Aujourd'hui, face aux graves enjeux de survie de l'humanité et des sociétés où nous vivons, une mobilisation nationale, européenne et mondiale est nécessaire pour redonner toute sa force à la déclaration universelle des droits humains et construire un monde fraternel et solidaire. L’évolution actuelle nous conduit en effet à la remise en cause de l’avenir de la planète, à des logiques de guerre, à la remise en cause des libertés fondamentales et de la démocratie, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Face à ces enjeux, les aménagements ne suffisent pas. Une véritable révolution civique est nécessaire : participative, responsable, non violente, mais déterminée à ne pas laisser faire. Elle engage d’abord notre propre responsabilité. C’est pourquoi nous avons lancé un appel à la mobilisation civique dont le texte est joint en annexe. Ce petit document nous invite à faire un effort de lucidité pour voir de quelle manière nous contribuons aux dysfonctionnements et aux scandales de notre société et du monde, et à agir pour changer nos comportements et ainsi changer le monde.
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SOMMAIRE Transformation personnelle, transformation collective :................................................................... 1 SOMMAIRE..........................................................................................3
Première partie : la nécessité d'une révolution civique, personnelle et collective.............................................. 4 1 De multiples enjeux de survie de l'humanité et des sociétés où nous vivons.................................................................................................... 5 2 Être lucides sur notre connivence objective au système....................7 3 Une nécessaire révolution civique : changer de valeurs.....................9
Deuxième partie : quelle transformation collective ? 12 1 Transformer radicalement les modes de consommation et de développement.....................................................................................13 2 Réguler la mondialisation, développer des échanges équitables......13 3 Reconquérir les droits, lutter contre les discriminations..................14 4 Vivre ensemble.................................................................................16 5 Réhabiliter le politique comme une participation de tous à l'organisation de la cité........................................................................18 6 Bâtir une information au service de la liberté des citoyens..............22
Troisième partie : quelle transformation personnelle ? ...................................................................................24 1 Conquête de l’autonomie et capacitation citoyenne ........................25 2 Un mode de vie et de consommation solidaires...............................27 3 Vivre la fraternité............................................................................. 29 4 Maîtrise du temps et présence au présent.........................................32 Appel à une mobilisation civique........................................................34
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Première partie : la nécessité d'une révolution civique, personnelle et collective
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1 De multiples enjeux de survie de l'humanité et des sociétés où nous vivons Une situation qui s'aggrave Au niveau mondial nous sommes confrontés à de multiples difficultés : révolution de l'information, mondialisation libérale, menaces sur l'écologie de la planète et l'espèce humaine, écarts croissants entre les riches et les pauvres, déséquilibre dans les droits et les libertés, logiques de guerre, … La marchandisation banalise et normalise la vie humaine. . Chacun est aujourd'hui conscient de la rapidité du changement climatique et de ses conséquences. Nombreux sont ceux qui pensent que nous allons droit dans le mur, et qu'il y a urgence. Les fondamentalismes religieux et les guerres sont alimentés par les écarts croissants entre les riches et les pauvres, la politique de domination des pays riches et le « fondamentalisme de marché ». En France nous sommes dans un processus de crise et de bouleversements qui va en s'accélérant, avec la remise en question des fondements du rôle de l'Etat (sécurité collective, partage de la richesse, libertés publiques). Le chômage, l'exclusion, l’insécurité, les discriminations, la perte de sens ou la solitude touchent la majorité des habitants. L’évolution actuelle nous conduit à la remise en cause des libertés fondamentales et de la démocratie. Cette véritable révolution libérale instaure une nouvelle société et de nouveaux rapports sociaux. Ces changements ont été préparés depuis 20 ans par une longue série de défaillances et d'abandons, qui ont conduit à un rapport de forces globalement défavorable. Faute de perspectives politiques, de plus en plus de citoyens se replient sur l'individualisme, sont rejetés hors de la cité, rejettent des institutions dévalorisées à leurs yeux. L'Europe a représenté un espoir majeur pour construire la paix et aller vers une société porteuse de valeurs qui lui sont propres. Son évolution depuis 15 ans en fait une zone de libre échange, vecteur d'un libéralisme dur, tant dans les négociations internationales qu'envers les États membres. Il n'y a pas aujourd'hui de projet européen. La plupart des politiques rejetées par le peuple français (retraites, services publics, qui réforme de l'enseignement, déclin de l'État) ont leur source dans des règlements européens adoptés de façon non démocratique, sous la pression des lobbys.
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Au niveau des représentations, les médias dominants, la publicité, le système scolaire et la politique spectacle cultivent le spectaculaire au détriment de l'information, l'émotion au détriment de l'analyse, la peur au détriment de l'espérance et de la responsabilité, le seul intérêt individuel au détriment de la coopération. Le système produit sciemment, avec de gros moyens, un conditionnement en profondeur des représentations, de notre imaginaire, des consciences. La pression médiatique cultive la peur, l'individualisme, le seul intérêt individuel, et infantilise la société. La révolution de l'information permet ce travail de conditionnement bien au delà de ce qu'on pouvait faire dans le passé. Cette éducation à rebours sollicite et obtient souvent le consentement ou la résignation de ceux qui la subissent. Nous n'avons plus le choix Le monde, l'Europe, et la société française sont dans une situation grave. Nous sommes confrontés à de multiples enjeux de survie de l'humanité et des sociétés où nous vivons. Face à de tels enjeux, nous n'avons plus le choix. Il est suicidaire de continuer comme avant. L'insuffisance de l'action classique de lutte contre le système capitaliste Les résistances à ces évolutions sont nombreuses, mais ne sont pas suffisamment efficaces. Pourquoi ? Pour Alain Accardo, la faiblesse des luttes tient à une analyse tronquée du «système capitaliste». Nous donnons habituellement à ce concept un contenu fondamentalement économique : nous pensons structures économiques de production, d’accumulation et de répartition. C’est une définition partielle et réductrice, qui méconnaît le rôle joué par l’accumulation d’autres capitaux que l’économique. Elle conduit à focaliser l’action sur ce qu’elle nomme et non sur ce qu’elle occulte. De ce fait, l'action cherche à contrebalancer la puissance des détenteurs du capital et à contrecarrer les stratégies des grands dispositifs économiques et juridiques. Elle passe par le canal des organisations syndicales et politiques qui sont en prise directe avec le pouvoir d’État et cogèrent les affaires publiques. CDe e combat constitue un piège par rapport à l’adversaire car « nous nous laissons prendre au jeu politique, qui nous impose ses règles et ses enjeux, et paralyse notre action ». Il ne suffit pas de prendre le pouvoir et de changer de gouvernement pour changer de société… quand un pouvoir change de main, il ne change pas forcément de logique. Ainsi par la perversion des urnes, et par peur de ramener la droite au pouvoir, les militants donnent régulièrement leur caution à des organisations de gauche qui font une politique de droite en les légitimant ainsi et en les absolvant pour leurs impostures. 6
Les aménagements ne suffisent pas La résistance au capitalisme utilisant la règle du jeu démocratique a porté des fruits. Sans les luttes menées depuis 15 ans, les choses seraient bien pires. Cependant elle a appris aux dirigeants capitalistes à savoir céder sur le secondaire, à prendre tout ce qu’ils pouvaient prendre des revendications, pour les retourner à leur profit ou pour éviter d’avoir à changer l’essentiel. Les critiques et les oppositions aident le système à s’adapter. L’habitude de résister et de négocier avec les dirigeants amènent quelquefois les organisations opposantes (syndicales ou politiques) à co-gérer le système et à ne plus en dénoncer que les excès. Les aménagements ne suffisent pas à éviter les catastrophes écologiques, sociales et politiques, car le système capitaliste impose sa logique, récupère des idées neuves en évitant de leur substance est fait en sorte que tout change pour que rien ne change. L'exemple du développement durable tout à fait probant.
2 Être lucides sur notre connivence objective au système. Rappel de quelques principes de sociologie (Accardo) Un système social, quelque qu’il soit existe toujours sous une double forme, objective dans le foisonnement des institutions, techniques, réglementations… et subjective chez chacun, sous la forme de dispositions personnelles, inclinaisons, représentations, motivations… Pour qu’un système fonctionne, il faut un minimum de concordance entre les dispositions personnelles des individus et le fonctionnement des institutions, entre les structures externes et les structures internes façonnées par la même histoire. Sinon, la société entre en crise. Toutes les formations sociales – mêmes les plus coercitives et les plus tyranniques – ont un « esprit » indispensable au fonctionnement de l’ordre établi, qui secrète en quelque sorte le consensus subjectif et donc la légitimité dont elles ont besoin. Il ne suffit pas de remettre en cause les structures objectives de l’ordre établi mais il faut en même temps analyser « l’esprit » que le système a mis en place et prendre conscience de la part que nous prenons personnellement - même et surtout si ce n’est pas intentionnel - à la « bonne marche » de l’ensemble. 7
La classe moyenne a été particulièrement développée par le système économique et politique actuel et est ainsi devenue la composante la plus importante, sociologiquement.1 Or, cette classe est dans une situation intermédiaire dans le système ; elle a intérêt apparemment à s’accommoder d’un compromis avec un système dont elle tire sa subsistance et en dehors duquel elle aurait peine à seulement imaginer son avenir. Cette classe se situe souvent « à gauche » et se déclare « contre le système », mais elle se trouve, de fait, en connivence inconsciente avec le système. En quoi consiste notre connivence au système ? Nous partageons un certain nombre de dispositions implicites qui font partie de l’inconscient social des classes moyennes : - un besoin extrême de distinction personnelle et de reconnaissance sociale, - l’horreur du commun (la peur d’être noyé dans la masse) - le culte de la nouveauté (le goût pour ce qui fait « chic » et « classe »), - une propension à l'hypertrophie de l’ego, - une inclination au consensus et au compromis (une propension à éviter de heurter, à paraître comme un interlocuteur « de bon ton »), - la valeur donnée à la recherche, au moindre coût, de la plus grande jouissance possible, dans les meilleurs délais. - Le système, qui transforme tout en marchandise, nous transforme en consommateur. Il faut gagner plus pour jouir plus. Si donc, nous faisons partie intégrante du monde social au sens où il est incorporé en nous, où il est devenu notre substance même, changer le monde veut dire aussi nous changer nous-mêmes. Mais cette transformation est rendue difficile par une conscience aveuglée de cette réalité. Nous sommes en effet rarement pleinement conscients de notre connivence objective. Nous acceptons d'être trompés On passe son temps à nous mentir. Le système ne peut fonctionner qu’à condition de faire illusion, de faire ce qu’il fait comme il le fait, en feignant de ne pas le faire ou de le faire autrement. Quand les patrons du MEDEF s’attaquent aux retraites, ils prétendent les sauver. Quand les dirigeants de la CFDT approuvent les propositions du patronat, ils prétendent qu’ils défendent les salariés ; quand les marchés financiers colonisent la planète, 1
Avec la mondialisation libérale, ceux qui produisent à bas prix nos biens de consommation sont de plus en plus dans des pays à bas salaire. L’ancien prolétariat industriel est employé à des tâches de services, de manutention et d’entretien de plus en plus précaires, ou carrément exclus de la production et de la vie sociale.
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ils prétendent faire progresser la liberté. Quand les Américains interviennent en Irak, ils prétendent instaurer la démocratie. Ils font une chose et prétendent faire le contraire. Tout le discours de légitimation et d’autocélébration du néolibéralisme à propos de l’égalité et de la liberté des contractants sur le marché, de la transparence et de la loyauté de la concurrence, de l’autorégulation du marché, de la juste récompense du talent et du travail, de la création massive des emplois, du plein-emploi, du bien-être pour tous, du lien indissociable entre capitalisme et démocratie, de la nocivité des interventions de l’État, etc., va dans ce sens. Mais nous acceptons d’être trompés. L'étonnant est que « ça marche » et que le mensonge passe bien, depuis des générations, en dépit des crises, des dépressions et des krachs récurrents et des effroyables dégâts matériels, écologiques et humains que le capitalisme ne cesse de causer. Si le message nous trompe, c’est que quelque chose en nous, une attente, un intérêt nous dispose à être trompés, à faire crédit, à collaborer à l’illusion. Le système ne peut se jouer de nous que si nous sommes prêts à entrer dans le jeu. Nous sommes ainsi avec le système dans une sorte de connivence qui consiste à lui obéir objectivement, en nous donnant subjectivement des raisons honorables de le faire, dans une conscience « claire obscure », faite d’un mélange à dose variable de lucidité et d’aveuglement, de volonté et d’automatisme, de calcul et d’inconscience.
3 Une nécessaire révolution civique : changer de valeurs. Si nous prenons conscience de la gravité des évolutions actuelles, il n'est plus possible de rester dans l'ambiguïté actuelle. Un changement de paradigmes s'impose à toute la société, et pas seulement aux jeunes se disent2., à travers le service civique, aux hommes politiques, à travers une moralisation de la vie politique, ou aux chefs d'entreprise.
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On ne pourrait pas demander par exemple au service civique d'assurer seul une éducation à la citoyenneté à contre-courant de tous les messages de compétition, de lutte de tous contre tous, de droit du plus fort, d'individualisme que reçoivent les jeunes.
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C'est pourquoi RECIT a lancé un appel à une révolution civique, qui s'adresse à la fois à la société, aux responsables aux citoyens. Les signataires appellent chacun, le pays tout entier et l'Union Européenne à ouvrir les yeux sur la gravité de la situation et à faire prévaloir des principes d'action nouveaux : garantir une égale dignité à tous, désarmer la peur et favoriser le vivre ensemble, changer les modes de consommation pour assurer un avenir à la planète et à l'espèce humaine, remettre en cause le fondamentalisme de marché pour restaurer le pouvoir des peuples et instaurer des échanges équitables, renouveler la citoyenneté en permettant à chacun d'être acteur de sa propre vie et citoyen d'un monde solidaire. Ils appellent chacun à devenir acteur de sa propre vie et artisan d'un monde solidaire, à changer de comportements, à agir collectivement. De multiples actions vont déjà dans ce sens. Nous avons à RECIT rassemblé des centaines d'expériences qui contribuent à l'émergence d'une société à finalité humaine À travers leur diversité, elles montrent qu'il est possible d'agir efficacement, du niveau personnel au niveau mondial, pour : • Instaurer des échanges équitables et un partage des richesses aux différents niveaux (mondial, européen et national, local), et affirmer la prééminence des droits humains sur le droit du commerce. • développer des modes de vie et d'organisation soutenables, compatibles avec les besoins des générations futures, la survie de la planète et de l’espèce humaine. • Assurer à chacun une liberté effective dans sa vie personnelle et collective, une émancipation par rapport aux conditionnements imposées par la société, notamment par les médias dominants et la publicité, une garantie de libertés publiques par rapport à la surveillance généralisée. • Respecter les droits de l’homme et la dignité humaine, garantir les libertés publiques et la laïcité, lutter contre toutes les discriminations. • Dépasser l’égalité des chances pour aller vers une égalité effective d’accès à l’éducation, aux services, à la santé, à la culture. • Promouvoir des logiques de coopération et non de compétition et d’individualisme, car l’égalité et la liberté ne trouvent leur sens que dans un contexte de fraternité. • Concevoir la solidarité non comme une assistance, mais comme une réciprocité et une co-responsabilité de chacun envers tous. • Permettre à chacun de développer ses potentialités, en particulier ses capacités de don, de partage, de non violence, dans une optique de
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développement personnel et de promotion collective, par un parcours de citoyenneté tout au long de la vie. • trouver un nouvel équilibre entre identité et ouverture, entre culture propre et métissage, rechercher des convergences et reconnaître les différences, dans une laïcité qui n'occulte pas les raisons d'agir de chacun. Cette exigence civique n'est pas optionnelle, elle intéresse tous les citoyens. C'est toute la société qui a l'obligation de se situer dans une telle démarche civique sous peine de disparaître.
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Deuxième partie : quelle transformation collective ?
Pour répondre aux enjeux énoncés ci-dessus, de multiples actions sont nécessaires aux niveaux local, national, européen et mondial. À supposer qu'une dynamique se mette en place, ce n'est que progressivement, à l'échelle des générations, qu'une culture de la liberté peut gagner l'ensemble des citoyens. Mais il est essentiel d'impulser dès aujourd'hui des changements politiques qui permettront cette évolution. L'objectif de ce document n'est pas de tracer un programme complet d’action, ni de définir une stratégie de transformation sociale. Nous insisterons ici sur six changements politiques majeurs qui nous semblent constituer des clés pour la transformation sociale.
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1 Transformer radicalement les modes de consommation et de développement. Nous savons maintenant que le mode de développement des pays riches ne peut pas s'appliquer à l'ensemble de la planète et que le changement climatique provoquera de toute façon des catastrophes de grande ampleur dans les 50 ans qui viennent . Nous savons que le développement non maîtrisé génère des risques mortels pour la paix, pour la santé publique et pour la diversité des cultures et le lien social. Des changements radicaux de comportements et de politiques sont nécessaires dès aujourd'hui si nous voulons permettre la poursuite de l'aventure humaine et limiter l'ampleur des dégâts pour les générations futures, protéger le patrimoine de la planète et les biens communs de l'humanité comme l’eau, l’air, la capacité des sols et la construction des villes. Comment changer ? "D'abord ne pas nuire", dit Yoranoo. Ensuite adopter une attitude critique par rapport à nos habitudes, nos achats et nos conditionnements. Mais cela ne suffit pas si les décisions collectives continuent à ignorer tous ces enjeux. Des politiques publiques ambitieuses doivent être mises en oeuvre pour éduquer les citoyens à d'autres modes de vie et de consommation, faire prévaloir dans les décisions publiques la priorité à accorder à ces changements, négocier au niveau européen des règlements prenant en compte les impératifs écologiques, y compris au détriment de l'intérêt à court terme des entreprises.
2 Réguler la mondialisation, développer des échanges équitables. Au niveau mondial et national Selon une voix autorisée, celle de Joseph Stiglitz, « la mondialisation libérale fonctionne mal. Ses règles du jeu sont au service des puissants, elle donne la priorité aux valeurs matérielles sur l'environnement et sur la vie des gens, elle prive les pays pauvres de leur souveraineté, elle fait beaucoup de perdants, elle impose une américanisation du monde et la 13
façon dont elle est gérée est incompatible avec les principes de la démocratie ». Celui-ci estime possible de réguler la mondialisation au bénéfice de tous en redonnant aux États une place dans la régulation de l'économie, et en développant un multilatéralisme puissant et accepté. Il démontre, exemple des pays asiatiques à l'appui, que l'intervention de l'État accroît l'efficacité économique. Il propose de rompre avec les droits de la propriété intellectuelle, qui créent des monopoles sources de rentes privées pour les multinationales, alors que l'efficacité économique exige le libre accès au savoir3. De telles propositions peuvent paraître utopiques, mais elles devraient recevoir un meilleur accueil si un autre gouvernement se met en place à Washington et si les pays européens prennent conscience de l'impasse où les conduit une soumission aveugle à la logique de la concurrence. Au niveau local. Face à la domination du modèle libéral il est nécessaire de se réapproprier une citoyenneté économique. Les approches et pratiques qui relèvent de l’économie solidaire construisent des chemins pour agir dans ce sens, même si derrière la notion d’économie solidaire se dessinent des manières de faire, des registres d’action extrêmement variés. Elles font progresser l'idée que les échanges portent en eux une dimension éthique, une responsabilité par rapport à l'ensemble des acteurs économiques appliqués dans la chaîne de production, de transformation et de commerce. Le succès du commerce équitable est tel aujourd'hui que la grande distribution a dû s'en saisir pour en faire un argument de marketing, avec le risque de détourner la volonté de justice des consommateurs. Seule l'action collective permettra de dépasser cette récupération.
3 Reconquérir les droits, lutter contre les discriminations La remise en cause des libertés publiques Notre exigence incontournable est que les Droits de l'homme soient une égale réalité pour tous. Or, plusieurs lois restreignant les libertés publiques ont été votées depuis 2 ans (loi Perben, réforme du droit de séjour des étrangers, loi sur l'économie numérique). Les interpellations illégales, fondées sur la seule apparence des personnes, se sont multipliées. Il est 3
Voir Joseph Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme de marché, Éditions Fayard, 2006,22 €
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essentiel d'en dégager le sens et d'en dénoncer le caractère totalitaire, afin d'engager les futurs responsables politiques à revenir sur ces dispositions. Par ailleurs, au niveau mondial, la lutte contre le terrorisme sert de prétexte à une remise en cause des libertés publiques sous la pression du gouvernement américain : fichage généralisé de toute la population, détentions et exécutions arbitraires, etc. Ces pratiques sont véhiculées en France par l'actuel ministre de l'intérieur, mais reprises par toute une partie des médias et des administrations. On voit se développer une théorie "génétique" des risques sociaux. On identifie des individus et des populations à risques. On interprète précocement tout curiosité, toute agressivité comme des preuves de danger. Derrière ces positions, on voit ressurgir la peur de l'autre, le culte du semblable. Les professionnels du conditionnement utilisent déjà depuis longtemps des discours simplistes. Appliquée à la haine des minorités, les méthodes de la communication sont extrêmement dangereuses. Elles sont porteuses de haine raciale, et violences envers l'autre dès qu'il est différent. Le gouvernement, en utilisant ces pulsions avec la puissance que donne le pouvoir, porte une grave responsabilité. Lutter contre les discriminations Les discriminations sont l'affaire de tous, et pas seulement de ceux qu'elles frappent. Cette approche vaut pour toutes les discriminations. Le racisme ne concerne pas que les africains et les arabes, mais toute la société. Les chômeurs, les exclus, les femmes, font l'objet de discriminations qu'il s'agit de regarder en face et de refuser au nom de l'égalité des droits et du respect de la dignité de chacun. Notre passivité est une des conditions du retour à la barbarie. Il devient essentiel de ne plus rien laisser passer dans la vie courante 4 comme dans les actions collectives. Face aux abus, on voit un vent nouveau d'initiatives et de réactions. Ces actions ne sont pas sans effet, car elles font pression sur le pouvoir et entraînent à elles toutes l'opinion publique. Les forces dominantes nous font croire qu'il est inefficace de protester et de se battre. Face à la gravité de la situation, le mot d'ordre "çà suffit, basta" retrouve toute son actualité. . Exclusion et exploitation Les analyses étaient faites autrefois en termes d'exploitation : dans un cadre assez stable (l'usine ou le bureau) on nommait de façon assez simple un 4
Si votre boucher tient des propos racistes, il est aussi essentiel de le reprendre que s'il était en situation de décision. Si vous voyez une injustice à la Poste, intervenez.
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exploiteur, le patron, et un exploité, l'ouvrier. Une partie de la richesse produite par le travail du second était captée par le premier, de façon excessive. L'ouvrier dépossédé du fruit de son travail était aliéné (porté hors de lui-même) par un travail qui lui était étranger. On raisonne aujourd'hui en termes d'exclusion. Est exclu celui qui n'est plus utile à la société, et se trouve rejeté de mille manières : chômage, expulsion de son logement, exclusion de la parole et du lien social. Le chômage, les ruptures familiales entraînent un repli sur soi, et conduisent à l'isolement et au rejet. A ce changement, l'analyse a gagné par rapport à un discours sans doute trop manichéen. Mais on fait comme si l'exploitation avait disparu, et on ne nomme plus les responsables. La précarisation du travail, la multiplication des petits boulots, l'internationalisation de l'économie remettent en cause les acquis des luttes sociales qui avaient limité l'exploitation et conduit au progrès social pour tous. Il faut reprendre l'analyse et conjuguer les deux approches, car il y a aujourd'hui à la fois exclusion et exploitation.
4 Vivre ensemble Comment rétablir et développer la qualité du lien social fondée sur des individualités libres et responsables. Il s'agit avant tout de refonder le pacte démocratique sur deux axes : - au niveau du territoire, par des dynamiques locales qui développent la participation et le partenariat, dans une optique de partage et de réciprocité. - par une reconnaissance de la contribution de chaque personne, chaque citoyen à la communauté. Le débat sur le service civique qui se développe actuellement remet au premier plan cette nécessité de refonder le contrat social. Mais cela ne sera possible que si l'ensemble de la nation retrouve une cohérence entre les valeurs affichées et les actions réalisées, une articulation entre actions individuelles et collectives. Mais le premier niveau de reconstruction du lien social est dans la reconstruction de l'estime de soi, des relations familiales et des relations de proximité. Dans la famille Les ruptures qui affectent les individus, les familles, les enfants sont nombreuses et largement diversifiées. Jamais la vie des enfants comme celle 16
des adultes d'aujourd'hui n'a tellement été placée sous le signe de la séparation. La droite présente la famille idéalisée comme le refuge de la stabilité, mais elle est également le réceptacle de toutes les conséquences des mutations qui sont subies par la population : - déplacements : en zone urbaine, les individus connaissent une nouvelle forme de nomadisme ; les changements de logement, les accessions, mais aussi les décompositions et re compositions familiales sont l’occasion d’une interminable litanie de déménagements - éloignement des familles étendues ; les problèmes immobiliers, financiers familiaux et personnels entraînent l’éloignement fréquent vis à vis des parents, de la famille du milieu d’origine. De nombreux individus et parents se retrouvent aujourd’hui complètement isolés dans leur environnement immédiat, - instabilités des emplois : c’est un lieu commun, mais on ne peut plus parler aujourd’hui ni de carrière, ni de parcours professionnel continu, au moins pour le plus grand nombre. La période d’activité des individus est largement devenue discontinue avec des périodes d’inactivité, de reprise, de stages, aux fortunes diverses, etc. - instabilités institutionnelles des intervenants dans la vie de l’enfant : valse des intervenants sociaux et éducatifs dans la vie des enfants. Dans les quartiers et les territoires : la dé liaison sociale en constante progression Les débats ont montré à quel point la situation de déliaison sociale est actuellement en France préoccupante et en plein développement ; tel élu municipal de la Région Parisienne ne pouvait que témoigner de la faveur actuelle du « sauve qui peut individuel » des classes moyennes, avec la fuite vers les zones urbaines dites préservées et la multiplication des dérogations scolaires. Même dans les milieux les plus défavorisés, on constate une clôture sur soi, un refus de l’autre et du sécuritaire à bon marché ; les locataires des cités HLM réclament ainsi eux-mêmes les dispositifs de serrures et clôtures, de fragmentation des espaces collectifs en petits espaces fermés, les vidéo surveillances qui entravent pourtant leur vie quotidienne et renforcent leur solitude sociale. Refonder le pacte social en partant du local, en redonnant du sens aux mots et aux valeurs Comment convaincre la population locale que la vie en collectivité ne rime pas forcément avec le sentiment de se faire « avoir » ; et faire comprendre que ce sentiment de concurrence de chacun avec tous, surtout dans les 17
milieux les plus défavorisés, fait aussi partie du problème et renforce la solitude et l’inefficacité des réponses individuelles. Les valeurs énoncées en réponse à cette question n'ont rien d’extraordinaire. Elles pourraient s’énoncer ainsi : accueil de l’hétérogénéité, mixité des âges, des origines, des cultures. Les expériences montrent qu'il est possible de se ré approprier collectivement et individuellement des lieux d’éducation, sociaux ou lieux de vie. Cet objectif prioritaire semble être poursuivi de plus en plus largement. Mais il est mis en danger par deux tendances lourdes des secteurs sociaux et éducatifs en France : - le durcissement des relations d’autorité des institutions vis à vis des publics en déficit de citoyenneté : familles pauvres, enfants, ados, personnes âgées, etc. - la marchandisation et l’individualisation de la relation d’aide qui aboutit à la fermeture ou au démantèlement des institutions les plus collectives et leur remplacement par des « prestataires de services » liés à une logique marchande qui tiennent chaque usager dans une relation individuelle et dans la solitude. Que faire ? Face de telles agressions vis à vis de l’expérience élémentaire du vivre ensemble, il faut affirmer trois principes d’action : - défendre les droits des personnes et l’existence des équipements publics éducatifs et sociaux, - démocratiser ces lieux et institutions pour donner envie de les défendre et de les faire vivre, - mettre en actions les citoyens pour qu'ils se mobilisent, fassent pression et trouver des solutions par eux-mêmes. En particulier, il pourrait être proposé aux citoyens d'établir collectivement un inventaire des problèmes qu’ils subissent, pour rendre visible ce qui est vécu par une partie importante de la population, se mobiliser pour trouver des solutions politiques, et aussi pour trouver par eux-mêmes des solutions à leur niveau.
5 Réhabiliter le politique comme une participation de tous à l'organisation de la cité 18
Le discrédit du politique L'affaiblissement des institutions démocratiques est lié à plusieurs facteurs, qui se renforcent mutuellement : montée de la pauvreté et du chômage, rôle des médias, notamment la télévision, (qui privilégient le spectaculaire et manipulent l’information), mondialisation libérale, (qui a déplacé le pouvoir vers les entreprises transnationales et vers les institutions financières et a vidé le rôle régulateur des Etats de sa substance), évolution de l'Europe (qui éloigne encore plus la décision du citoyen et donne le pouvoir aux forces économiques), scandales et malversations politiques. Ce discrédit du champ politique est dangereux car il conduit à la mise en cause de la démocratie elle-même. Nous risquons d'avoir à reconquérir les droits que nous n'aurons pas su défendre. Une égalité de tous les citoyens, mais des rôles différents Restaurer le politique suppose de restaurer la légitimité de chaque citoyen à pouvoir discuter du tout et des questions le concernant. Ce principe de la révolution de 1789 est aujourd'hui remis en cause par une interprétation restrictive du principe de délégation ("faites moi confiance et je m'occupe de tout".) et par le véritable détournement du pouvoir opéré par le pouvoir économique et financier à son profit. Le champ de la démocratie est de plus en plus restreint, et les questions essentielles sont traitées par l'exécutif, des experts et des lobbies à Bruxelles, en France par l'exécutif (les grands corps de l'Etat) en lien étroit avec le patronat. Il faut réaffirmer que fondamentalement, la légitimité à co-construire la société appartient à chaque citoyen. Il est nécessaire que des citoyens prennent des responsabilités au service de tous et soient habilités à prendre des décisions. La reconstruction du politique repose sur 4 pieds : - la représentation avec les élus politiques qui acceptent de prendre des responsabilités par rapport aux enjeux, - la représentation des corps intermédiaires, associations, mouvements, institutions locales qui contribuent à la vie locale, - la participation des citoyens actifs qui souhaitent contribuer à l'organisation de la société, - la reconnaissance de l'expertise des habitants et des citoyens qui sont les premiers concernés par leur propre avenir. La démocratie ne peut tenir debout que si ces quatre pieds sont également développés.
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La nécessité d'un projet de société Face à l'urgence, nous devons réagir dans l'urgence. Mais nous savons bien que la solution n'est pas dans l'urgence. Nous avons besoin de réaliser une transformation en profondeur du politique, de notre rapport au politique, que nous devons inventer en marchant. Pour que les citoyens se sentent concernés, il faut qu'ils se sentent utiles à un projet commun, crédible, en lien avec leurs difficultés et leurs aspirations : quelle organisation, quelles actions permettent de vivre ensemble aujourd'hui dans l'égalité, la liberté et la fraternité, sans exclure personne, et de préparer un avenir pour la planète et les générations futures ? Ce projet de société solidaire ne peut être élaboré que progressivement, à travers un débat public sollicitant la participation de tous les citoyens. Il doit être basé sur la coopération, et non la compétition, la solidarité, et non l'intérêt individuel, le partage et non l'accumulation. Si un tel débat est engagé, il rendra crédible la révolution civique à laquelle RECIT appelle aujourd'hui.
Passer du « pouvoir sur » au « pouvoir de ». Pendant longtemps, on a vécu sur une équation simple : il faut construire un parti pour conquérir l'État, pour changer la société. L'histoire nous a montré que cette équation n'est pas certaine. Les nécessités de la prise du pouvoir, et encore plus de s'y maintenir, occultent le projet et conduisent à garder le pouvoir pour le pouvoir. Tous ceux qui mènent des actions directes pour faire prendre conscience, aider à consommer autrement, éveiller chacun à soi-même comme une personne en relation avec les autres, tous les acteurs de l'éducation émancipatrice sont des acteurs politiques. Ils ne peuvent pas se placer en dehors du champ politique et l'observer comme s'ils étaient sur une autre planète. Il est contradictoire de revendiquer le droit de participer aux décisions et de laisser à d'autres la responsabilité des décisions politiques, celles du pouvoir politique, en les condamnant pour leur mollesse ou leur dérive. Mais ils peuvent, en participant au jeu politique, contribuer à son renouvellement à condition d'avoir suffisamment réfléchi auparavant. En effet, le renouveau du politique va de pair avec de nouvelles formes d'exercice du pouvoir. Il faut passer du "pouvoir sur" au "pouvoir de", du mot, "le pouvoir", au verbe : "que puis-je faire", au service du bien commun, de la restauration des droits, du lien social, de la lutte contre les discriminations, etc…. Sur cette base chacun de nous peut prendre des
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initiatives. Nous pouvons agir localement, avec des alliances entre collectivités, associations, intellectuels, opérateurs économiques locaux. Articuler la citoyenneté locale et la citoyenneté mondiale Comment agir à la fois comme citoyens d'un territoire et citoyens du monde ? Comment faire en sorte que le détail participe d’une action générale ? Il faut se battre contre le chacun pour soi, le phénomène NIMBY (Not in my back yard = pas dans mon arrière cours = pas de ça chez moi !). On ne peut pas se contenter de regarder le problème sous le seul angle local : un phénomène local (par exemple l’opposition locale à l’installation d’une déchetterie sur un territoire) a des causes et des conséquences qui dépassent ce territoire. Les solutions peuvent également être trouvées à un niveau plus large. Il est difficile d'articuler les deux niveaux : le local et le global. Les contradictions sont inévitables. C'est le débat qui permet d'exprimer les tensions et de trouver un équilibre entre les différentes échelles de citoyenneté. Et des arbitrages sont nécessaires pour faire prévaloir le bien commun sur les intérêts plus particuliers. Organiser la participation des citoyens, de tous les citoyens Ceux qui ont le plus de capacité ne doivent pas se taire ; ils doivent faire partager leur intelligence aux autres. Il est intéressant de se frotter à des « experts »; cela permet de mieux comprendre les différents phénomènes, de faire naître des questionnements et de s’approprier les savoirs constitués, la chose publique, le monde... Cela nécessite des outils pour former les leaders sociaux. Mais en même temps, comment donner la parole à tous, y compris ceux pour qui la prise de parole est plus difficile, ou ceux qui estiment que des gens comme eux n'ont rien à dire ? l'éducation populaire, au sens brésilien du terme vise à libérer les dominés de leurs sentiments d'infériorité et à permettre à chacun d'exprimer son point de vue. Sa parole difficile n'est pas toujours une parole faible. Il est important de donner le goût de débattre ensemble en incitant à s’exposer dans la cellule la plus sécurisée (famille) et dans des petits groupes. Certains parleront dans des groupes de 3, 5 ou 8 personnes alors qu'ils n'osent pas affronter une assemblée plus nombreuse.
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6 Bâtir une information au service de la liberté des citoyens Dans notre société de l'information, le rôle des médias est essentiel. Ce sont eux qui nous donnent une vision du monde qui nous entoure. Leur rôle éducatif est considérable. Les politiques de communication influencent nos images intérieures, modèlent à notre insu les représentations de chacun d'entre nous. La publicité, les fictions télévisées, les informations, renforcent les pulsions comme la violence, l'envie, l'intérêt individuel et met en exergue les événements violents, monstrueux, ou au contraire dérisoires. Certaines réalités donnent lieu à une profusion d'images et d'articles (l'affaire Dutroux), alors que d'autres sont occultées (pas d'images du Rwanda). Ainsi s'instaure une barbarie douce5, qui viole les consciences et nous aliène plus profondément que si nous étions soumis à la violence physique. Comment travaillé à dépasser cette situation ? L'éducation à la lecture et au regard critiques Un premier niveau d’éducation à la citoyenneté est de favoriser l'apprentissage de la lecture ou d'un regard critique. Il ne s'agit pas de supprimer tout lien avec la « culture médiatique », mais de devenir « libre malgré les barreaux ». Plusieurs mouvements d'éducation populaire ont déjà beaucoup travaillé pour forger des outils permettant d'éduquer le regard du téléspectateur. Ils gagneraient à être largement diffusés. La rédaction d’un journal est également une éducation à la citoyenneté comme à Larrazet, village du Tarn et Garonne où les habitants rédigent depuis 30 ans un journal trimestriel de 40 pages, le « Trait d’Union », formidable expérience de dialogue communautaire et d’auto-pédagogie. Faire pression sur les médias dominants Tout le monde ne lira pas demain le journal de nos rêves. Il faut aussi dénoncer le fonctionnement des médias, faire prendre conscience à la masse des lecteurs et téléspectateurs combien ils sont manipulés, conditionnés dans leurs représentations. Le courrier des lecteurs est un espace de réaction qui fait contrepoids à la rédaction. De la même manière, les sociétés de lecteurs sont des lieux où il est possible en direct d'interpeller les responsables du journal, de s'interroger sur les orientations, de faire des propositions.
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Selon le titre de l'ouvrage de Miguel Benasayag
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Créer de nouveaux médias associatifs et militants Il est aujourd'hui plus facile de faire des journaux, avec les moyens de communication actuels, dès lors qu'on dispose d'une capacité militante de traitement de l'information. Il faut pour cela constituer une alliance avec des professionnels, des militants, des associations, pour pouvoir dans nos associations, ou dans nos territoires, produire de nouveaux journaux, revoir les orientations de journaux existants. Il est possible de faire à coût modique de la qualité en terme d'éducation des citoyens, en remettant au premier rang l'information, et en se préoccupant d'aider à comprendre, faire circuler les expériences, organiser des débats.
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Troisième partie : quelle transformation personnelle ?
La première question à se poser, en amont de toute mobilisation, est celleci : Qu’est-ce qui en moi a déjà été acheté, approprié par le système, et fait de moi un complice qui s’ignore ? » Cette aliénation n'est pas fatale. La première révolution civique est une révolution personnelle. Il suffit d’être cohérent avec ce dont on prend conscience, de faire réellement quelque chose pour changer la situation. L'expérience montre que cela permet de retrouver l'espérance d'un monde meilleur. Le monde peut changer si chacun de nous fait sa part.
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1 Conquête de l’autonomie et capacitation citoyenne L'apprentissage d'une conscience critique. L'apprentissage d'une conscience critique est un combat permanent contre nos tendances à généraliser trop vite, à privilégier le pittoresque, le sensationnel, à raisonner de façon analogique. Les médias poussent en permanence à adopter ce regard superficiel. La conscience critique a aussi pour ennemis les passions (la richesse, les positions acquises, à défendre, le goût du pouvoir et des honneurs, l'impulsivité du désir). On ne peut jamais saisir totalement le réel, mais on peut l'approcher avec un regard critique. Cette recherche implique un regard lucide et optimiste. Lucidité et espérance sont toutes deux nécessaires. Sans lucidité, l'espérance n'est qu'illusion. Sans espérance, la lucidité est vite une forme de désespoir 6. Le cœur et la raison sont complémentaires. Ils s'opposent à l'irrationnel et à la peur. En particulier la connaissance est souvent assimilée au progrès. Mais le "progrès" n'est pas neutre. Il n'est pas assimilable à la science. Les objets de recherche ne sont jamais neutres, surtout s'ils sont payés par des crédits privés. La maîtrise des technologies, l'orientation de la recherche vers des objectifs utiles au bien commun est aujourd'hui une impérieuse nécessité. La passion de la connaissance peut être meurtrière, comme l'a bien dit Einstein. Regarder la globalité des choses Un regard citoyen ne peut pas se confiner à une approche de spécialiste. En tant que citoyens nous ne devons pas nous interdire de regarder la globalité des choses. Le système dominant interdit la connaissance du tout, au nom de la complexité des choses, confinant les hommes non dirigeants à une vision parcellaire, alors que la complexité exige justement une vision globale. Pour cela, il faut rester curieux, remonter aux causes des problèmes, oser penser. L'éducation à la citoyenneté consiste à dégager peu à peu, à travers les enjeux des situations vécues, les principes fondateurs de toute action humaine. 6
cf les deux livres clés que sont "Le principe espérance",de Ernst Bloch, et "Le principe responsabilité", de Hans Jonas. C'est la conclusion du beau livre de Jean Chesneaux "Habiter le temps", Bayard Éditions Paris 1996
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Mais la confrontation à l'expérience est également nécessaire. Désincarné, le trop global conduit souvent à une vision mécanique des choses, génératrice de fatalisme. La prise en compte d'actions exemplaires, porteuses d'humanité est indispensable pour tempérer le pessimisme d'analyses trop globales qui conduisent au fatalisme. C'est pourquoi nous rassemblons à RECIT les expériences porteuses de citoyenneté pour acquérir une vision du monde plus réaliste. Remettre en question l’art de vivre que le système a rendu possible et désirable à nos yeux et aux yeux du plus grand nombre.
Parce qu’il en a besoin pour son développement, le système nous a habitués à penser que la liberté de faire ce qu’on veut est la première des libertés…Parce qu’il est une structure d’accumulation insatiable de profit, il nous incite à penser la vie en termes de consommation et à toujours chercher à gagner plus pour consommer plus….Parce qu’il est une structure de domination, il a besoin d’hommes avides de pouvoir personnels, prêts à s’investir dans toutes sortes de compétions… Ce qui est en cause, c’est l’ensemble de notre style de vie et de notre éthos,du rapport existentiel que nous avons forgé avec le monde qui nous entoure, avec les autres et avec nous-mêmes : rapport à l’argent et à la propriété, au travail et au loisir, au temps et à l’âge, au corps propre et à la santé, au sexe et à la reproduction, à l’éducation, à la culture, à l’art, à la science, à la morale et à la religion . Choisir nos conditionnements Pour appréhender le réel, on est toujours conditionné par ce qu'on lit, ce qu'on entend, avec qui on débat. Nous sommes conditionnés par les médias, par un flot d'informations continues et surabondantes, un rythme de vie instantané. Mais on peut choisir ses conditionnements. Nous pouvons choisir nos sources d'information, nos lectures. Le choix des loisirs, des relations que l'on développe, des groupes auxquels on choisit d'appartenir sont des éléments déterminants, qui conditionnent notre vision de la réalité. Nous pouvons également cultiver une distance critique qui permette de « vivre libre malgré les barreaux » comme le fait l'association Repousser les murs dans son travail sur les médias avec les prisonniers de la centrale de Loos. Il est essentiel de se donner des temps de débat sur la signification des événements, l'articulation des idées: l'analyse doit périodiquement se 26
renouveler, s'ouvrir aux idées nouvelles. C'est une condition pour approfondir nos propres convictions et les faire évoluer dans l'échange. Les obstacles : répéter des vérités toutes faites, fonctionner en petites chapelles, s'assoupir sur des analyses autrefois justes mais dépassées. Une éducation personnelle tout au long de la vie Nous parlons d'un parcours de citoyenneté tout au long de la vie. La participation à une révolution civique comporte nécessairement une éducation personnelle avec plusieurs dimensions : • Comprendre les grands enjeux du monde d’aujourd’hui, du mondial au local, • Rechercher une cohérence entre l’action et le sens donné par chacun à son existence, dans la diversité des options et des histoires personnelles. • Développer des méthodes et des comportements (sens critique, autonomie, lucidité, écoute, partage, respect des différences) en cohérence avec les principes d'action communs, car le mode de faire conditionne la finalité poursuivie. • Se préparer à pouvoir inventer un avenir incertain, par l'acquisition de méthodes, d'outils, de savoir-faire pratiques (s’informer, animer, monter un projet, communiquer,…). • Approfondir le lien entre ses propres raisons d'agir et les principes communs, entre le sens que chacun donne à son existence et le sens de l'action collective.
2 Un mode de vie et de consommation solidaires. Trouver un art de vivre qui ne soit pas fondé sur l’individualisme, la consommation et la compétition. Il est possible de changer d'art de vivre en donnant leur place aux richesses matérielles et symboliques capables de mobilisation et de résistance : le savoir désintéressé, la culture, la justice, le service public… Ces forces existent aujourd’hui chez beaucoup d’entre nous ; mais elles sont isolées, émiettées et ne constituent pas encore un front anticapitaliste uni (certaines de ces forces ne sont pas même conscientes de la guerre que leur livre le système capitaliste). C’est pourquoi on peut affirmer que la lutte contre le système a nécessairement une dimension éthique. Elle passe non seulement par une réforme des structures externes mais aussi par une réforme des mœurs, dont il est vain de chercher à faire l’économie si on veut vraiment changer les choses, car faute d’une telle réforme il y a toute raison de penser que le 27
système continuerait à imposer la logique, même dans l’hypothèse où ses opposants auront réussi à s’emparer du pourvoir politique. Prendre conscience de la portée politique de nos actes quotidiens On a tendance à voir la réhabilitation du politique sous l'angle des structures, de institutions et des hommes politiques. Mais la première étape est sans doute de prendre conscience que les actes que nous posons tous les jours ont une dimension politique. Nous avons les moyens de faire des choix, de prendre conscience d'un certain nombre de problèmes au plan local, national, international. Nous avons les moyens d'agir et de prendre des positions. Une enquête réalisée en 2004 auprès des consommateurs 7 a révélé que pour la première fois les ventes de produits de grande consommation sont en baisse. Le chiffre d'affaires des grandes surfaces a chuté en volume. "On voit surgir des thèmes comme le refus des emballages inutiles, des doutes sur le bien fondé du toujours nouveau, des questions sur les valeurs éthiques des entreprises". Les alterconsommateurs représentent 25% des consommateurs, contre 11% seulement d'hyper consommateurs aimant la publicité. Cela montre bien que nos comportements individuels ont une portée globale. Aller vers une frugalité volontaire, éliminer les faux besoins Ce qui est vrai de la consommation l'est aussi de nos actes de conduite automobile, de relations de voisinage, de choix de vacances. Nous pouvons agir efficacement par notre vie quotidienne, et par le bouche à oreille. De plus en plus de militants qui cherchent à être cohérents avec les options qui défendent en cherchant à vivre de façon a laissé une trace écologique nulle ou faiblement positive. Comment promouvoir une frugalité volontaire dans le niveau de vie et une responsabilité de chacun sur ses actes, afin d'aller vers un mode de consommation soutenable à l'échelle des générations et accessible à tous ? Afin de répondre à cette question, des groupes de travail se sont constitués à RECIT sur l'éco habitat, la cuisine et la nutrition, le rapport à la santé afin de mutualiser les expériences, développer une réflexion, rendre accessible les outils et les méthodes qui existent déjà. Nous savons qu'il suffit qu'une portion des citoyens du Nord infléchisse ses modes de consommation pour
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Le Monde du 15 juillet 2004 : La distribution est désemparée face aux alterconsommateurs
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faire vaciller le système et obliger les entreprises de distribution et les gouvernements à faire d'autres choix. Le changement de comportement concerne aussi bien les dirigeants, que les acteurs sociaux et les artistes Mais il faut travailler aussi avec ceux qui sont dominants dans la société, car ils ont une grande influence sur les représentations. Il est nécessaire que les décideurs politiques et économiques, les acteurs sociaux, les artistes et tous ceux qui contribuent d'une manière ou d'une autre à la vie de la société prennent conscience de leurs responsabilités. Chacun doit faire ce qui est en son pouvoir pour transformer les représentations, les institutions, le fonctionnement de la société et de l'économie, pour que la coopération l'emporte sur la compétition, la solidarité sur l'irresponsabilité, le respect de la diversité sur le mimétisme, et que cessent le mensonge, le paraître, le clanisme et la recherche du pouvoir pour le pouvoir qui minent notre démocratie. Mais les décideurs ne décideront pas tout seuls de tels changements sans la pression des citoyens et de l'opinion publique, c'est-à-dire chacun d'entre nous. La situation actuelle ne serait pas possible sans notre consentement. C'est pourquoi il faut que les citoyens exercent leur vigilance et s'organisent en constituant dans chaque commune, dans chaque quartier des groupes citoyens, des comités civiques, qui jouent un rôle de contre-pouvoirs et de partenaires pour les collectivités qui veulent aller de l'avant.
3 Vivre la fraternité L'accueil de l'autre et la fraternité. Nous sommes dans une société qui cherche à produire des individus identiques et réduits à leur dimension de consommateurs. Cela engendre l'intolérance et la haine de l'autre, qui devient un danger dès lors qu'il est différent. Mais l'homme n'est pas un objet. Nous aspirons au contraire que la diversité des cultures, des visions du monde et des interprétations est pour les hommes une richesse exceptionnelle. L'autre n'est pas mon ennemi même s'il pense différemment de moi, si ses traditions et ses coutumes sont autres. Au contraire, dans l'échange, il me révèle ma propre richesse. Cela nous permet ensemble d'approfondir notre profonde humanité commune. Face à l'intolérance, la tolérance ne suffit pas. Il faut affirmer, dans un monde ouvert, la nécessité de l'échange des points de vue aussi bien 29
politiques que philosophiques, religieux ou spirituels. Là réside la vraie laïcité. Dans ces échanges, une chaleur humaine est nécessaire. Nous ne sommes pas seulement des êtres de raison mais aussi de cœur. C'est pourquoi il est essentiel de porter attention aux relations de fraternité et de chaleur humaine vécues au quotidien. La fraternité vécue au quotidien montre que les différences ne sont pas destinées à la compétition et à l'exploitation, mais à la complémentarité, à la coopération, au bien commun. Elles sont source d'enrichissement mutuel et de création. Il n'y a pas de création sans rencontre entre des différences. Notre progrès personnel passe par le combat pour accepter toujours plus l'anonyme, l'autre, celui qu'on ne connaît pas encore. « Nous sommes riches de nos manques8 ». Nous avons aussi à lutter contre la tendance permanente à réduire les hommes à des chiffres, des statistiques. La sensibilité aux expériences vécues, le contact direct avec le terrain sont nécessaires pour équilibrer la violence que constitue cette tendance à considérer les humains comme des choses. Don, pardon et recherche de la paix Au delà des règles de la vie commune, au delà de l'échange, toutes les spiritualités, tous les systèmes philosophiques montrent que donner et recevoir est nécessaire à une vie pleinement humaine. Le contrat ne suffit pas. Les civilisations africaines nous montrent l'importance du don et du contre-don9 La bonté ne s'oppose pas à une pensée construite, mais parfois la dépasse. La prise en compte de l'autre peut conduire à un mouvement du cœur qui consiste à donner sans compter, à préférer l'intérêt d'autrui au sien propre. En particulier, le partage avec ceux qui sont dans la peine, l'injustice ou l'exclusion est une des premières sources de l'engagement pour un monde plus humain. Le pardon est essentiel pour effacer les guerres, le mal, les insultes. Nous avons à trouver les gestes et les symboles qui permettent les réconciliations, en conciliant le nécessaire devoir de mémoire et le non moins nécessaire devoir d'oubli et de régénération.
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Claire Heber Suffrin cf Serge Latouche L'autre Afrique, entre don et marché Albin Michel 1998
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L'importance de l'écoute et des égards Pour pouvoir vivre ensemble, il est nécessaire de nous accepter les uns les autres avec nos faiblesses, et nous considérer tous comme inachevés par rapport à un idéal de perfection. Tout homme porte en lui la condition humaine, y compris dans ce qu'elle a de plus négatif. Nul n'est parfait, mais nous pouvons nous entraider à atteindre un niveau plus grand de liberté. Soulignons pour cela l'importance des égards réciproques (lutter contre la parole qui blesse et qui tue), de l'écoute, de la disponibilité au sein du groupe. Redécouvrir le lien Dans le temps long, face à une fausse vision de l'autonomie des individus, l'homme a besoin de reconnaître qu'il est membre d'une lignée (il a des ancêtres, des descendants), et qu'il aura un jour à accepter de quitter cette vie pour laisser la place aux générations futures, à l'humanité de demain, à l'espèce humaine en devenir. Une des dimensions de notre action, qui nous sépare du libéralisme, est de porter attention aux générations futures. Chacun a également besoin de réseaux (de voisinage, de relations) et de dépendances multiples pour vivre pleinement sa vie dans sa dimension individuelle et collective. Ceux qui luttent pour un monde plus humain peuvent difficilement le faire seuls. Ils ont besoin de groupes où vivre ensemble la recherche d'un bien commun, de lieux qu'il peuvent considérer comme des lieux fraternels, préfigurant la société plus humaine à laquelle ils aspirent. La fête La fête est le propre de l'homme libre (par opposition aux « petits hommes tristes »). Avec la fête, l'expression artistique est essentielle pour vivre ensemble. L'émotion donne la vie, disait le document préparatoire du forum social mondial de Porto Alegre, qui proposait de célébrer la vie de la planète terre en combinant différents langages (parole, musique, chant, danse, théâtre, etc...). La première citoyenneté des jeunes est souvent culturelle.
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4 Maîtrise du temps et présence au présent La continuité et les rythmes du temps La société en réseau incite chacun à être mobile. Le héros de la cyber-cité est celui qui sait abandonner ses amis pour créer une start-up, être employable pour le bon projet. Cette perpétuelle fuite en avant est une fuite de la réalité, une fuite du temps. Comme on l'a vu, la société des réseaux développe un temps instantané, atomisé, où l'échelle est la nanoseconde, qui engendre une angoisse : comment se situer si le temps nous prive de perspectives, si seul compte le projet dans l'instant ? On peut combattre cette angoisse en valorisant au contraire la continuité, le respect de la parole donnée, la possibilité d'un engagement dans la durée, au regard d'un projet de transformation collective qui s'inscrit lui même dans le long terme. Il est essentiel de briser le cercle vicieux, de perdre du temps pour se reposer, pour jouer, pour voir les choses autrement, de laisser de coté tout le bric à brac des soucis, stress, préoccupations,... Pour cela, nous pouvons, comme on l'apprend dans les cours de management, "dire non une fois de plus par jour", savoir refuser, ne pas répondre à tout. Nous pouvons choisir l'essentiel car l'urgent peut souvent attendre. Cela est nécessaire pour rester ouvert à la beauté des choses, à la portée de gestes cachés, en apparence inefficaces. Le recul permet d'éveiller notre regard à ces réalités. Le recul et la prise de distance, conditions de l’éveil au réel Des temps de recul sont très utiles pour garder une distance par rapport au tourbillon du quotidien. Des temps de silence permettent de retrouver la présence au réel. Ils peuvent commencer, comme le dit le moine tibétain, par "respirer 21 fois en étant seulement attentif au mouvement de l'air dans ses narines, et en restant droit pour laisser descendre en soi les perturbations et les voix discordantes". Et on s'aperçoit que les arbres bougent, que le vent fait vibrer les couleurs d'automne, toutes choses qui étaient masquées par notre agitation. Méditer, penser, prendre du recul, c'est se tourner vers ce qu'on regarde, discerner ce qui est plus grand et plus petit, et mieux voir l'essentiel. Les événements collectifs et les personnes, ont besoin, pour trouver leur sens, 32
d'un regard distancié, c'est à dire d'une objectivité qui n'oublie pas l'essentiel". Cet éveil à la réalité ouvre à une autre manière d'agir et à la maîtrise des pulsions. Ce recul peut prendre des formes diverses selon le langage du sens de chacun. Il ne s'agit pas ici de comparer les voies de sagesse ou de méditation offertes par les différentes écoles mais de souligner le lien entre un regard distancié, un effort pour voir, et la capacité de chacun à transformer la société. Des groupes de paroles Le travail sur soi est difficile à faire seul. C'est pourquoi il est proposé de constituer des petits groupes de parole qui permettent à chacun de confronter son mode de vie à des principes communs afin de pouvoir se libérer des conditionnements, des consommations et de la peur, et devenir « libres malgré les barreaux ».
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Changer radicalement pendant qu'il en est temps :
Appel à une mobilisation civique. On ne peut pas continuer comme çà. Nous sommes confrontés à de multiples enjeux de survie de l'humanité et des sociétés où nous vivons. L’avenir de la planète est menacé. En France, le chômage, l'exclusion, l’insécurité, les discriminations, la perte de sens ou la solitude touchent la majorité des habitants. Le « fondamentalisme de marché » créée des écarts croissants entre les riches et les pauvres, développe des logiques de guerre, entraîne la montée des fondamentalismes religieux. L’évolution actuelle nous conduit à la remise en cause des libertés fondamentales et de la démocratie, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Nous affirmons qu'il n'est pas possible de continuer dans cette voie, car nous allons droit à la catastrophe, à la guerre et à la fin de la démocratie. Pour s’en sortir, les aménagements ne suffisent pas, il faut changer radicalement de valeurs et de mode de fonctionnement. Une révolution civique est nécessaire : participative, responsable, non violente, mais déterminée à ne pas laisser faire. Nous appelons les gouvernements à ouvrir les yeux sur la gravité de la situation et à adopter de nouveaux principes d’action : changer de mode de vie et de production pour assurer un avenir à la planète, garantir à tous une égale dignité et un égal accès aux droits, remettre en cause le fondamentalisme de marché pour restaurer le pouvoir des peuples, instaurer des échanges équitables, réhabiliter mais aussi rénover les services publics et le rôle de l’État, favoriser le vivre ensemble, faire de l'éducation citoyenne une priorité. Nous appelons tous ceux qui ont une influence sur les représentations, décideurs politiques et économiques, acteurs sociaux, éducateurs, artistes et journalistes à prendre conscience de leurs responsabilités. Chacun doit faire ce qui est en son pouvoir pour que la coopération l'emporte sur la compétition, la solidarité sur l'irresponsabilité, le respect de la diversité sur le mimétisme, et que cessent le mensonge et la recherche du pouvoir qui minent notre démocratie. Les signataires s’engagent Cet appel n’a de valeur que s’il engage aussi notre propre responsabilité. Chacun participe à l'organisation de la société par ses échanges, sa
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consommation, ses choix et ses préférences. La première révolution civique est une révolution personnelle. Nous, soussignés, nous nous engageons donc à faire un effort de lucidité sur notre rôle objectif dans la société, à rechercher une cohérence entre nos convictions, nos paroles et nos actes, à agir là où nous sommes pour changer la situation et construire des alternatives, à participer à des mobilisations plus larges pour exercer notre commune vigilance de citoyens, et nous engageons chaque citoyen à faire de même. S’auto organiser, agir dès maintenant On ne part pas de zéro. De multiples actions porteuses d'humanité sont menées sur le terrain. Beaucoup contribuent à l'émergence d'une société moins inégale, libre et fraternelle. Des associations, des comités de quartier constituent déjà des lieux de mobilisation. Nous appelons les citoyens à multiplier ces lieux en constituant des groupes locaux au niveau des territoires, des communes ou des quartiers, à travers les lieux déjà constitués ou en réunissant des comités civiques ou des forums sociaux locaux afin de : - Faire un état des lieux des enjeux, des dysfonctionnements et des besoins sociaux non satisfaits, mais aussi des multiples actions et des actes qui contribuent à construire dès à présent un projet de société à finalité humaine. Cet état des lieux pourrait permettre, si un service civique se met en place, de s’appuyer sur les besoins réels du territoire et d’avoir un contrôle citoyen sur la mise en place du service civique. - Mettre en lien tous ceux qui souhaitent agir pour répondre aux enjeux de la société, en leur permettant de ne pas rester seuls, et favoriser le travail en petits groupes pour permettre à chacun de prendre la parole, de devenir acteur de sa propre vie et citoyen d’un monde solidaire. - Mener des expérimentations et des actions, même limitées, qui permettent d’inventer la société de demain, tout en parvenant à quelques résultats rapides montrant qu’un autre monde est possible. Agir dès maintenant pour changer ce qui peut l'être en s'auto organisant, sans tout attendre de l'État, de l'Union Européenne ou des politiques locales.. - Jouer un rôle de veille, de contrôle et de proposition par rapport aux décisions publiques. Cette interpellation des pouvoirs publics doit permettre de développer des contre-pouvoirs et d’exercer une pression pour que le changement des priorités devienne effectif.
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Aujourd'hui, face aux graves enjeux de survie de l'humanité et des sociétés où nous vivons, une mobilisation nationale, européenne et mondiale est nécessaire pour redonner toute sa force à la déclaration universelle des droits humains et construire un monde fraternel et solidaire. L’évolution actuelle nous conduit en effet à la remise en cause de l’avenir de la planète, à des logiques de guerre, à la remise en cause des libertés fondamentales et de la démocratie, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Face à ces enjeux, les aménagements ne suffisent pas. Une véritable révolution civique est nécessaire : participative, responsable, non violente, mais déterminée à ne pas laisser faire. Elle engage d’abord notre propre responsabilité Ce petit document nous invite à faire un effort de lucidité pour voir de quelle manière nous contribuons aux dysfonctionnements et aux scandales de notre société et du monde, et à agir pour changer nos comportements et ainsi changer le monde RECit (réseau des écoles de citoyens) se propose de mettre en lien tous ceux dont l'action contribue à l’éducation citoyenne en permettant à chacun d'être acteur de sa propre vie et citoyen d’un monde solidaire. RECit rassemble aujourd'hui 300 organisations et 3000 personnes en France et dans quelques pays pour des échanges d'expériences, des rencontres et des réflexions communes, avec des groupes locaux dans différentes villes.
Achevé de rédiger le 30 novembre 2006 et édité par RECIT Pour plus d'information on peut consulter le site www.recit.net RECIT (réseau d’écoles de citoyens) recit@recit.net 15 avenue Robert Fleury 78 220 VIROFLAY (France) 06 67 05 58 95
Prix : 4 euros
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