De la Cité Pierre Wigny à Matete. Pratiques d’habiter et récits d’appropriation d’une Cité Indigène

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De la Cité Pierre Wigny à Matete Pratiques d’habiter et récits d’appropriation d’une cité indigène à Kinshasa. Travail de fin d’étude Faculté d’Architecture La Cambre-Horta Université libre de Bruxelles Année académique 2019 - 2020 Romane M’Bao dirigé par Victor Brunfaut

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De la Cité Pierre Wigny à Matete Pratiques d’habiter et récits d’appropriation d’une cité indigène à Kinshasa. Mots clefs : Matete, habitat, colonial, appropriation, alter-modernité..

Mémoire de fin d’études Faculté d’Architecture La Cambre-Horta Université Libre de Bruxelles Année académique 2019 - 2020 Romane M’Bao dirigé par Victor Brunfaut

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Réalisée dans le cadre de l’option ADP 3, une vidéo (amateure) mise en ligne à l’adresse dessous, vous permettra de mieux vous imprégner du lieu dans lequel je vous emmène. https://www.youtube.com/watch?v=Creoo1TKSzU&t=19s

Note iconographique : Toutes les images ici présentes sont issues de ma propre production, excepté celles dont le copyright est mentionné.

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Remerciements

Je tenais à remercier mon promoteur Victor Brunfaut, pour m’avoir suivie tout au long de l’année dans le cadre d’un projet-off, qui allie le mémoire et le projet d’Architecture. Je remercie aussi chaleureusement Yves Robert, Eric Kibala ainsi que Victor Brunfaut, pour m’avoir donné l’opportunité d’effectuer cette incroyable étude de terrain à Kinshasa. Je remercie Joëlle, pour sa gentillesse et pour m’avoir accompagnée chaque jour, des heures durant sur le terrain. Je remercie toutes les Soeurs Salésiennes de la visitation, pour leur amitié, leur accueil mais aussi, pour avoir toujours énormément veillé à ma protection. Je remercie l’ARES, pour leur aide très précieuse. Je remercie mes amis, pour leur soutien sans faille depuis la première année. Enfin, je remercie ma famille, mes parents, pour m’avoir accompagnée, soutenue, aidée, relevée et épaulée durant ces cinq années d’études et depuis toujours.

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Sommaire Avant - propos............................................................................................................. p.11 Introduction...................................................................................................................p.14 Objet d’étude................................................................................................................p.19 État de l’art....................................................................................................................p.21 Méthodologie................................................................................................................p.27

PARTIE I : CADRAGE HISTORIQUE 1.

Avant 1960 : la question de l’habitat indigène à Léopoldville, capitale du Congo Belge..............................................................p.31

1.1.

1923 : Léopoldville, capitale du Congo Belge.....................................p.33

1.1.1.

Les Anciennes Cités indigènes.........................................................................p.34

1.2.

1929 : Mise en place du Fonds d’Avance............................................p.35

1.3.

1940 : Les Nouvelles Cités indigènes...................................................p.36

1.4.

1949-1959 : Le Plan décennal et la création de l’Office des Cités africaines (1952) ................................................................p.39

1.4.1.

Les Cités Planifiées : Propos sur la conception de la Cité idéale, Y.J Le Normand : Technique et Architecture (1952)...............................p.40 L’habitat dans la Cité Planifiée : Une réflexion sur “l’Habitat africain” menée par les architectes de l’O.C.A ................................................................p.41 L’habitat indigène dans la Cité Planifiée, sous l’angle de la technique moderne.............................................................................................................p.45 Des modules d’habitat standardisés..................................................................p.45 Des modules d’habitat flexibles.........................................................................p.46 Modernisme tropical et stratégies climatiques...................................................p.47

1.4.2. 1.4.3. 1.4.4. 1.4.5. 1.4.6.

2. Dès l’Indépendance en 1960 : la question de l’accès à la propriété...p.51 2.1

Contexte Politique et économique : 1960...........................................p.52

2.2

L’appropriation du « sol »..........................................................................p.53

2.2.1

La loi foncière....................................................................................................p.53

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2.3

Les modalités administratives actuelles des transformations sur les terrains : Cas de la commune de Matete....................................p.54

2.4

Kinshasa : une urbanisation hors de tout contrôle ou l’expression urbaine du “droit à la ville” ..................................................p.57

PARTIE II : LE CAS D’ÉTUDE 1.

La Cité Planifiée Pierre Wigny (1952)......................................................p.59

1.1.

Description du projet......................................................................................p.59

1.1.1.

Le réseau viaire.....................................................................................................p.62

1.1.2.

L’administration....................................................................................................p.64

1.2.

L’habitat dans la cité .....................................................................................p.66

1.2.1.

Typologies de l’habitat : Focus sur la typologie numéro 18 (T.18).......................p.66

2.

Étude de terrain au coeur de la Cité Planifiée P.Wigny, actuelle commune de Matete.......................................................................................p.73

2.1.

Terrain : Choix et délimitation de la zone d’étude............................p.74

2.2.

La population..................................................................................................p.75

2.3.

Récits des espaces habités.............................................................p.77

3.

L’articulation des espaces et des pratiques domestiques.................................................................................................p.119

3.1

Des limites : l’introversion..........................................................................p.123

3.2.

Entre continuité et discontinuité, l’espace public et l’espace privé................................................................................p.125

3.3.

L’espace extérieur : centre de la parcelle d’habitation..................p.127

3.4.

Le mode de production de l’habitat urbain....................................p.131

3.4.1

Le parpaing : une valeur d’usage et d’échange...................................................p.131 7


4.

Les stratégies de survie, récits d’une alter-modernité...............p.135

4.1.

L’économie urbaine et le commerce informel.........................................p.136

4.2.

La propriété et le phénomène location.....................................................p.137

4.3

La famille entre tradition et modernité : la mutation des modèles familiaux..........................................................................................................p.139

4.4

Espace et genres : l’assignation genrée des espaces publics et privés...............................................................................................................p.142

5.

Conclusion : Un ensemble hybride et résolument moderne..........p.144

6.

Annexe : Projet-Off, Atelier terrain d’Architecture Réhabilitation de l’école primaire d’Anunga......................................p.150

7.

Bibliographie...................................................................................p.156

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TraversĂŠe de le Nationale 1...

MarchĂŠ...

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Avant propos

“Tout Kinshasa est plein d’échos d’une modernité qui existe encore sous son apparence formelle mais s‘est vidée du contenu qu’elle possédait autrefois”.1 Lors de la période de colonisation belge (1908-1960), l’urbanisation de la ville est planifiée et contrôlée par l’administration coloniale.2 Toutefois, l’indépendance du pays en 1960, marque le début d’une ère, où la liberté s’exprime à travers une urbanisation qui croit hors de tout contrôle. Depuis, chaque jour, les kinois luttent pour dépasser les fractures infligées par le monde postcolonial.3 Cependant, cette appropriation de l’espace reste, encore aujourd’hui, à l’origine de l’expansion effrénée de la ville. Par ailleurs, les guerres et l’insécurité qui règnent dans de nombreuses régions du pays, sont à l’origine de l’explosion démographique, qui s’accentue au cours des années. Nombreux sont ceux qui tentent de fuir et cherchent à se réfugier dans la ville. Chaque année la capitale connaîtrait une pénurie de logements d’au moins 200 000 maisons.4 De plus, selon un rapport du FMI5 datant de 2015, plus de 80% de la population kinoise vivrait sous le seuil de pauvreté (soit - de 2$/ jours). De ce fait, pour une grande majorité de la population, chaque jour est un combat car beaucoup vivent, dans des conditions de vie indignes et extrêmement précaires. 1  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. Kinshasa. Bruxelles Edition CIVA, 2013, p.6 2  De boeck, Filip. La ville de Kinshasa, une architecture du verbe. Esprit, vol. décembre, no. 12. 2006. pp. 79-105. § 4. Disponible à cette adresse : https://www-cairn-info.ezproxy.ulb. ac.be/revue-esprit-2006-12-page-79.htm#no4. Consultée le 3 août 2020. 3  Boeck, Filip de, and Marie-Françoise Plissart. Kinshasa : Tales of the Invisible City. Ludion, 2004. p.18 4  Ibid, §3. 5  Disponible à cette adresse : https://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2015/cr15280.pdf Consultée le 3 août 2020 11


La vie au cœur des communes telles que Matete, se déroule principalement dans l’enceinte, la parcelle et dans la rue. Héritée de la période coloniale, la parcelle d’habitation est un espace typique de Kinshasa. Souvent entourée d’un mur et d’un portail en fer qui marque son entrée, la parcelle, avec sa, ou ses maisons, créent un petit îlot de domesticité plus ou moins privée, dans l’intimité partagée avec sa famille (élargie) ou bien une autre. Dans de nombreux autres quartiers de la ville, cependant, la parcelle, a été envahie par la rue et vit en étroite proximité et en symbiose avec elle.6 Née d’une mère française et d’un père d’origine centrafricaine. Jamais, avant cette étude, je n’avais eu l’opportunité connaître cette culture, qui m’est à la fois familière et complètement étrangère. L’Afrique subsaharienne m’a d’ailleurs toujours autant fascinée pour sa beauté et sa richesse culturelle, que révoltée pour son extrême pauvreté. Ainsi, depuis plusieurs années, mon intérêt et la volonté d’agir pour les pays du Sud n’ont cessé de grandir. J’ai, de ce fait, pour cette dernière année de Master décidé d’approfondir un seul et unique sujet dans le cadre de mon mémoire ainsi que de mon cours d’option Architecture, Développement et Patrimoine, pour lesquels les analyses, les réflexions théoriques et scientifiques, m’ont notamment permis de nourrir un projet d’architecture, dans le cadre de l’atelier. Avoir l’opportunité d’associer, un sujet qui me tient à cœur et mes études, m’a quelque part, permis de leur redonner sens. Le travail développé s’est structuré autour d’un travail de terrain portant sur le quartier de Matete, à Kinshasa, un quartier né comme “cité indigène”, planifiée et construite par le pouvoir colonial belge au début des années 1950. L’idée était d’étudier les transformations apportées à ce quartier par les habitants après l’indépendance, au sein de leur parcelle d’habitation. Si l’étude de terrain, menée dans le cadre de ce travail, fut une expérience intense, merveilleuse, elle fut parfois aussi, effrayante. En tout état de cause et comme le décrit si bien Filip De Boeck dans son ouvrage “Kinshasa : Tales of the invisible City” ; Kinshasa est “... une ville qui, non seulement par sa taille, mais par sa nature même de changement de forme, résiste à l’objectivation, à la colonisation, à la synthèse et au résumé. Elle reste constamment hors de portée. C’est une ville difficile à apprivoiser, et impossible à saisir dans un seul récit maître. Elle échappe à tout ordre que l’on impose à ses réalités. Son énergie et son mouvement constants refusent d’être figés dans des images statiques, dans un texte linéaire. Sa somme est toujours plus que ses parties”.7 Bien qu’aux premiers regards, la ville me soit apparue comme chaotique, confuse et désordonnée, y séjourner durant plusieurs semaines m’a permis de me rendre compte du contraire. Certains urbanistes, comme Simone, partent même de “... l’idée que la ville s’ordonne à bien des niveaux et qu’il existerait quelque chose comme une infrastructure urbaine (certes) “invisible” mais efficiente”.8 6  Boeck, Filip de, and Marie-Françoise Plissart. 2004,opcit,. p.53 7  De Boeck, Filip, and Marie-Françoise Plissart. 2004, opcit,. Disponible à cette adresse : https://limo.libis.be/primo-explore/ fulldisplay?docid=LIRIAS1796354&context=L&vid=Lirias&search_scope=Lirias&tab=default_ tab&lang=en_US&fromSitemap=1 Consultée le 6 août 2020 8  Simone, Abdoumaliq. For the City Yet to Come. Changing African Life in Four Cities. 12


Nous verrons d’ailleurs, que si durant la période coloniale, la capitale fut un temps le récit d’un l’idéal moderniste, dans laquelle régnait avec autorité, l’ordre, le calme et la propreté. Elle devient dès l’indépendance, le support favorable de l’expression de la liberté et de l’agentivité9 de ses usagers. Dès lors, ce qui “... représentait alors des quartiers-modèles de logement social a depuis longtemps été détourné et réaménagé à partir de dynamiques tout autres, que les anciens bâtisseurs belges n’avaient jamais prises en compte”.10

Durham, Duke University Press, 2004. Cité dans : De Boeck, Filip. 2006, opcit,. §9 9  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. Quand la vie prend le dessus : les interactions entre l’utopie bâtie et l’habiter. CLARA, vol. 4, no. 1, Éditions de la Faculté d’Architecture La Cambre Horta de l’Université libre de Bruxelles, 2017, p.17 doi:10.3917/clara.004.0009 . “ En sciences sociales et en philosophie, l’agency, terme traduit par agentivité, est la faculté d’action d’un être ; sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer. En sociologie, l’agentivité est la capacité d’agir, par opposition à ce qu’impose la structure “. Disponible à cette adresse : https://www.primospopuli.com/lempowerment-nest-pas-assezpriorisez-lagentivite/. Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Agentivit%C3%A9 Consultée le 31 juillet 2020. 10  De Boeck, Filip. 2006, opcit,. § 14 13


Introduction

Dès les années trente du siècle passé, le Congo devient un terrain d’expérimentations privilégié pour les architectes modernistes. C’est l’occasion d’appliquer de façon concrète les modèles théoriques modernes, pour une architecture “idéale”.11 La capitale de la colonie, Léopoldville, connaît une croissance importante. Cette période marque la naissance d’une agglomération de plus en plus calquée sur les normes européennes12, dont l’urbanisation très contrôlée permet la création d’une ville coloniale fortement ségrégée. En effet, le nord de la ville est exclusivement réservé à la population blanche européenne (La Gombe). Les Cités, quant à elles, situées au Sud de la ville sont réservées à la population noire dite “indigène”13. Dans ces Cités, un simple tracé parcellaire définit les limites des terrains, sur lesquels les “indigènes” sont autorisés à construire leurs habitations14. Malgré tout, la population ne cesse de croître et ces Cités ne sont pas en mesure de répondre au besoin croissant en logements. Elles s’agrandissent, s’étalent et très vite leur proximité avec la ville européenne inquiète l’administration coloniale15. La période d’après-guerre (1945 - 1960), marque la naissance d’une volonté de pérennisation des ces réalisations architecturales autoconstruites. En 1949, est créé un service d’urbanisme, dirigé par Maurice Heymans16, ainsi qu’un vaste programme de développement économique et social pour le Congo Belge, le Plan décennal, est lancé par le ministre de l’époque Pierre Wigny. Ce plan permet de définir les enjeux et objectifs de développement économique et social, sur lequel le Congo Belge va devoir se concentrer durant les années 1949 - 1959.17 Quelques années plus tard, en 1952 précisément, est créé l’Office des Cités Africaines (O.C.A), un organisme de planification spécialisé dans l’urbanisme, l’architecture et l’infrastructure. Il est en charge de répondre au problème du manque de 11  De Boisseson, Jean Baptiste, and Robert Yves. Le “modernisme tropical” : essai de définition : regard croisé entre Congo Belge et Brésil. Université libre de Bruxelles, 2016, p.9 12  Robert, Yves. Nouveaux Patrimoine et Enjeux de développement . Éditions des Presses Universitaires, 2011-2012, p.88 13  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. Monographie de la ville de Kinshasa. CRDI, Montréal, 2015, p.56 14  Lusumba Kibayu, Michel. La typologie des quartiers dans l’histoire du développement de Léopoldville-Kinshasa en République démocratique du Congo. Territoires et Développements durables - Notes de Recherche 2008-1, Institut d’études du Développement (UCL), 2008, p.30 15  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. 2015, opcit,. p.57. 16  ROBERT, Yves. 2011-2012, opcit,. p.118 17  ibid,. p.62 14


logements salubres pour les indigènes, survenu après la Seconde guerre mondiale18. De nouveaux quartiers, entièrement lotis, appelés « Cités planifiées », sont alors développés, comme Renkin (Matonge), Christ-Roi (Kasavubu), Bandalungwa, Lemba, Foncobel, Yolo et la Cité Pierre Wigny (Matete).19 En huit ans, pas moins de quarante mille maisons seront construites20, incluant l’élaboration d’une série de typologies de l’habitat. “ Leurs réalisations attestent d’ailleurs, pleinement la mondialisation du modernisme vers les territoires d’outre-mer et de son application au contexte tropical”.21 Malgré tout, la demande de logements augmente constamment et l’étalement des Cités affaiblit petit à petit la politique d’aménagement urbain, maintenue jusqu’alors. Le 30 juin 1960, le Congo Belge accède à l’indépendance. Celle-ci est suivie d’un important exode rural. “L’autorité administrative congolaise s’effondre et assiste impuissante à l’accélération de la croissance spatiale spontanée de la ville”.22 C’est à travers cette conquête spatiale que le peuple congolais s’octroie ce Droit à la ville23 tant espéré, qui s’exprime par des actes d‘appropriation. Durant cette période et jusqu’à aujourd’hui, la population n’a cessé de croître, menant les habitants à manier l’art de la “débrouille”, dans le but de se nourrir et se loger. Pas moins douze millions de personnes résident désormais dans la capitale.24 L’appropriation de l’ancienne ville coloniale est telle, que l’on peut considérer Kinshasa comme un territoire littéralement “gouverné” par ses habitants. Cependant, la réalité reste malgré tout à la fois celle d’une population pauvre, démunie et délaissée, que celle d’une population authentique, créative, qui n’a cessé de se réinventer chaque jour pour survivre. En franchissant parfois les limites de la légalité, ces transformations témoignent des revendications claires du peuple, comme une forme de prise du pouvoir par l’action. Dans ce contexte, les cités de l’OCA ont constitué des éléments structurants particulièrement importants dans le développement urbain. 25

18  ibid,. p.62 19  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit,. p.30 20  Johan, LAGAE. Disponible à l’adresse suivante : http://www.wikinshasa.org/index.php/ Commune_de_Matete_-_maisons_type (Consultée le 22 mai 2020) 21  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.99 22  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. 2015, opcit,. p.6 23  Lefebvre, Henri. Le droit à la ville . 3e éd., Economica-Anthropos. 2009. 24  Disponible à cette adresse : https://www.populationdata.net/pays/republique-democratiquedu-congo/ Consultée le 23 juillet 2020 25  “La plupart des Maisons de l’Office des Cités Africaines, a donc subi de fortes transformations qui ont changé le paysage de ces Cités de façon considérable, d’autant plus que plusieurs d’entres elles qui sont conçues comme des “Cités satellites” autonomes sont aujourd’hui complètement envahies par la croissance urbaine et l’auto-construction. Malgré ces changements, la structure de base de ces environnements urbains prouvent leur qualité au cours du temps. Les Cités O.C.A forment encore le noyau d’une nouvelle dynamique urbaine”, in Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. Kinshasa. Bruxelles Edition CIVA, 2013, p.161 15


carte personnelle sur base du logiciel Qgis

Ville de Kinshasa

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Fleuve, Le Congo

Commune de Matete 17


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Objet d’étude

La commune de Matete située au Sud de la ville de Kinshasa, fait partie de ces anciennes Cités Planifiées aux allures de Cité-Jardin, conçues pour les ouvriers kinois dans les années 1950. Une Cité qui n’a pas échappé aux conséquences de la poussée démographique, ainsi qu’à la baisse de la régulation qu’a connu la ville lors du passage à l’Indépendance. Initialement prévue pour accueillir 30 000 personnes avec ses 6 000 logements, sa population compte aujourd’hui plus de 220 000 habitants. Ainsi, comme la quasi-totalité du reste de la ville de Kinshasa, la commune de Matete, est, dans sa forme bâtie, hybride de deux cultures : européenne, par ses origines, et kinoise, par son appropriation par la population dès l’indépendance du pays en 1960. Aujourd’hui leur paysage urbain a bien évolué et les espaces modernistessont devenus “...le terrain d’une contestation spatiale qui oppose d’une part les organismes et administrations de l’État chargé de légiférer cette production de l’habitat, d’autre part, par les habitants qui tentent d’y reconstituer des contre-types en correspondance avec leur pratiques domestiques” 26. Le présent mémoire s’intéresse à la production d’habitat au sein des parcelles d’habitations depuis 1960, dans la commune de Matete en s’attachant à observer les évolutions à l’échelle des parcelles, comme révélatrices des relations entre espaces habités et pratiques habitantes. En ce sens, en nous immisçant au cœur de diverses habitations matetoises, nous observerons l’émergence de ces véritables constellations socio-spatiales issues de la rencontre entre une utopie bâtie et son appropriation habitée.27 Dans un premier temps, nous reviendrons sur toute une série de points à l’origine de la création des Cités Planifiées. Nous nous intéresserons à l’évolution des mentalités et des pratiques en ce qui concerne l’habitat 26  Pinson, Daniel. Modèles d’habitat et contre-types domestiques au Maroc. no. n° 23, Urbama-URA 365 CNRS-Université de Tours, 1992, p.7. 27  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. 2017, opcit,. p.26 19


“indigène”. À travers l’analyse de la Cité Planifiée de Pierre Wigny (actuelle Matete), nous étudierons le plan-type mis en place par l’administration coloniale, afin de définir ce qu’il a permis, imposé et véhiculé culturellement. Nous nous intéresserons ensuite au contexte politique et économique dès l’indépendance, qui explique l’urbanisation croissante des Cités planifiées, ainsi que du reste de la ville. Dans ce cadre, nous verrons de quelle manière l’État, suivi de près par le peuple congolais, reprend possession des terres et de la ville, grâce à la promulgation de différentes lois. Dans un second temps, après avoir présenté la Cité P.Wigny, telle qu’elle se présente dans les années 50, nous effectuerons un saut de 70 ans dans le temps et nous nous intéresserons à l’état actuel des parcelles d’habitations dans la Cité. Ainsi, après avoir dressé le portrait de 20 espaces habités, l’analyse, nous permettra d’étudier la manière dont les espaces ont été redessinés, transformés pour produire de nouvelles spatialités, ainsi que de nouveaux rapports sociaux. En effet, nous verrons qu’au cours des dernières décennies, comme l’atteste Filip de Boeck, “... le paysage social de Kinshasa voit ses bases s’ébranler et se modifier. Il s’est progressivement écarté des anciennes conceptions éthiques et morales fondées sur la solidarité familiale, la réciprocité et l’esprit communautaire”.28 Une analyse qui nous permettra par la suite d’émettre l’hypothèse, que malgré leur obsolescence, les espaces modernistes ont été un levier de développement pour la population, comme une structure primaire autour de laquelle il a, d’une certaine manière, été possible de s’émanciper : “... les populations engagées dans leur libération de l’imposition coloniale  sont devenues porteuses d’une identité hybride prise entre la destruction d’un ordre antérieur et la re-signification productive de celui-ci (Fanon, 1961) ”.29 Pour conclure, nous évaluerons les points soulevés par cette étude, afin d’émettre des hypothèses quant à la prise en compte de cette appropriation, comme point de départ d’une nouvelle grammaire du “faire-ville”, ou du “faire architecture” 30. L’idée n’étant pas ici de dresser le réquisitoire du colonialisme, mais bien d’essayer de révéler ce qu’a permis, cette rencontre entre deux cultures étrangères.

28  De Boeck, Filip. 2006, opcit,. pp. 79-105. § 19 29  Fanon, F .The Wretched of the earth. Harmondsworth, Penguin. (1961), 1967. Cité dans : D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. 2017, opcit,. p.26 30  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. 2017, opcit,. p.26 20


État de l’art

A travers ce mémoire nous chercherons à effectuer une distinction entre la production d’espaces modernistes dans les années 50, lors de la période coloniale belge et la période d’appropriation qui s’en est suivie, à l’aide d’une série d’ouvrages, livres, mémoires et archives sur le sujet. En ce qui concerne la période coloniale Belge, l’ouvrage de Xavier Lejeune De Schiervel31, intitulé “Les Nouvelles Cités Congolaises, I, L’architecture et le Logement ”32, publié en 1956, traite de l’importante production d’habitat menée par l’Office des Cités Africaines, en vue de répondre au besoin de logements survenu après la Seconde guerre mondiale. Cet ouvrage, nous permettra de comprendre quels sont les enjeux de l’administration coloniale à cette période. En parallèle, les articles parus dans les revues spécialisées d’architecture belges Technique et Architecture (1952)33 et La Maison (1956)34 témoignent, de l’importante recherche menée par les architectes et urbanistes coloniaux, autour de la question de la cité idéale, de l’habitat indigène ainsi que de l’architecture climatique.

31  “Chargé de mission auprès du ministre des Colonies Pierre Wigny (1947-1949, voir notice). De 1949 à 1960, il fut directeur du Bureau du Conseil supérieur des Centres extra-coutumiers et des Cités indigènes, puis administrateur-gérant de l’Office des Cités africaines (OCA), créé en 1952 sous la tutelle du ministre des Colonies en vue d’assurer l’aménagement des agglomérations indigènes.” Bibliographie disponible à cette adresse : Lejeune de Schiervel 32  Le Jeune De Schiervel, Xavier. Les Nouvelles Cités congolaises, I, L’architecture et le logement. in : Mémoires de l’Académie royale des Sciences coloniales, (Classe des Sciences et Techniques), 1956, Tome IV, fasc. 3 et dernier, 1, 1956. 33  Techniques & Architecture (numéro spécial intitulé L’architecture intertropicale). Paris. n° 5-6, IIe série, 1952. 34  La Maison. Bruxelles. 12e année. n° 2. février.1956. 21


Yves Robert, historien de l’art et archéologue, professeur à la faculté d’Architecture de la Cambre concentre principalement ses travaux sur les patrimoines culturels africains. Son syllabus35, ainsi que sa collaboration, avec les historiens de l’Architecture Johan Lagae et Bernard Tourlier, dans un ouvrage dédié à Kinshasa36, offrent une importante rétrospective de l’Architecture coloniale37, ainsi qu’une réflexion autour du patrimoine ; “... à savoir de quelle manière celui-ci est porteur d’un point de vue, mémoriel et historique”38. Le mémoire de Jean-Baptiste de Boisséson, “Le Modernisme tropical” Essai de définition : regards croisés entre Congo et Brésil”39, nous donne quant à lui, une définition complète et qualitative du mouvement dit “moderniste tropical” au Congo. D’un point de vue plus méthodologique, les écrits de Daniel Pinson qui traitent de la manière dont des espaces peuvent être vécus, construits, transformés et aménagés, sont une base structurante pour ce travail. Ils me permettent d’établir un lien entre les transformations de ces espaces et leurs significations, à travers notamment, l’analyse du relevé d’espaces habités.40 Bien que ces études ne concernent pas le Congo, la comparaison entre un modèle d’habitat-type (européen) et ce qu’il définit comme un “contre-type” (modèle de résistance et d’appropriation), nous a semblé pertinente dans le cadre de cette analyse. Dans cette même optique, la thèse de Patrick Canel (1987), qui traite de la production de l’habitat populaire en ville africaine avec comme cas d’étude Douala et Kinshasa41, constitue une source importante d’informations en ce qui concerne les stratégies et le système constructif de la production d’habitation post-coloniale, dans les Cités. L’ouvrage du sociologue René de Maximy, sociologue émérite intitulé, “Kinshasa : Ville en suspens. Dynamique de la croissance, et problème d’urbanisme - approche socio-politique” (1984)42 nous offre, quant à lui, en plus d’une importante rétrospective sur la production architecturale et urbanistique coloniale, une importante rétrospective de la production 35  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. 36  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. 2013, opcit,. 37  Le concept d’architecture coloniale peut être restitué en faisant référence à un cadre chronologique bien délimité (1908-1960), à un contexte environnemental particulier (la zone équatoriale), à un ensemble d’influences locales et à un projet politique, économique et culturel global (la colonisation du Congo : un projet considéré à l’époque comme « civilisationnel » In: Robert, Yves. 2011-2012 opcit,. p.87 38  De boisseson, Jean Baptiste, and Robert Yves. 2016, opcit,. p.11 39  De boisseson, Jean Baptiste, and Robert Yves. 2016, opcit,. 40  Pinson, Daniel. L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son appropriation. Espaces et sociétés 164-165, no. 1. 2016. Dispoinible à cette adresse : L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son appropriation Consultée le 3 août 2020; Pinson, Daniel. 1992, opcit,. 41  Canel, Patrick. La production de l’habitat populaire en ville africaine : étude de cas à Douala et Kinshasa, essai d’interprétation et conséquences théorique et pratique . Université de Paris I, Panthéon - Sorbonne, 1987. 42  De Maximy, René. Kinshasa, ville en suspens-- : dynamique de la croissance et problèmes d’urbanisme : étude socio-politique . Editions de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, 1984. 22


post-coloniale à Kinshasa. Cet ouvrage est intéressant, puisqu’il amène parfois, selon moi, une dimension sociale et humaine de l’histoire. Certaines publications plus récentes sur le sujet ( Hannah Leroux43, Johan Lagae, Jérôme Chenal 44...) et tout particulièrement le numéro de la Revue Clara n°4 (2017) consacré aux processus de réappropriation de l’architecture et l’urbanisme moderniste dans les contextes post-coloniaux45 , nous permettront d’explorer la question de l’appropriation de ces espaces modernistes comme leviers de développement.

Les échos de la modernité..

43  Le Roux, H. Lived Modernism, When architecture transform, Thèse de doctorat, Leuven, Ku Leuven, 2014 44  Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.), 2012, opcit,. p.243 45  Fisher, Axel, et al. et. CLARA Architecture/Recherche. N°4: Modernisme(s) Approprié(s)?. Madarga, 2017. 23


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Méthodologie

Le mémoire repose principalement sur un travail de terrain portant sur vingt parcelles d’habitations d’un même îlot, situé dans la commune de Matete. L’îlot a été sélectionné en raison de sa proximité avec un axe de voirie principal très commercial ainsi que du centre d’activité du quartier, ce qui lui confère un caractère mixte, à la fois commercial et résidentiel. De ce fait, bien que l’îlot d’étude ne corresponde qu’à un fragment d’une entité habitée bien plus vaste, on peut estimer que les 20 maisons sélectionnées constituent un échantillon représentatif des pratiques de cette « alter-modernité », cette « modernité parallèle »46; définie avec finesse et poésie par J. Chenal (2009), comme “...un univers contemporain, à la fois en retard et en avance sur le reste du monde, pour autant que ces mots aient un sens (….) dont l’urbanité́ a la plupart des qualités des urbanités américaines, européennes ou asiatiques, mais sur un mode légèrement décalé, socialement et spatialement, qui en fait un espace aux formes mouvantes, comme troublées par la chaleur, à la manière de ces mirages du désert”.47 Dans un premier temps, pour mener à bien cette étude, un travail de recherches aux Archives Africaines de Bruxelles a été nécessaire, afin d’étudier la production moderniste de logements menée par les architectes de l’Office des Cités Africaines dans les années 50, à Kinshasa et plus particulièrement à Matete. Dans le cadre de ce travail et dans le but d’établir une comparaison entre la situation actuelle et la situation initiale, j’ai choisi de focaliser mon analyse sur la typologie de logement T.18, celle sur laquelle j’ai obtenu le plus d’informations (plans et coupe détaillés). En parallèle, la réalisation de cartes de la ville actuelle via le logiciel Qgis, ainsi qu’un travail de repérage grâce à Google Maps, m’a permis de survoler et 46  Alter-moderne : “... d’une autre modernité que celle de l’occident” Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.), 2012, opcit,. p.241 47  Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.), 2012, opcit,. p.243 27


d’entrevoir ces nombreuses réalités urbaines, afin d’apercevoir chacuns de ses rouages. ( marchés, grands axes, densité de population...) Durant ce mois d’immersion au cœur de la ville, j’ai eu la chance et le privilège d’être logée au couvent des Sœurs Salésiennes de la Visitation. Ces Sœurs ont durant mon séjour, pris le temps de me montrer les diverses facettes de la ville, mais ont aussi toujours veillé à ma protection, en me faisant prendre conscience de tous ses dangers. D’ailleurs, sortir me balader et découvrir la ville seule m’était impossible et même formellement interdit. Ainsi grâce à l’aide de la Sœur et Architecte Astrid et de l’Architecte et professeur Eric Kibala, il m’a été possible de trouver une accompagnatrice ; Joëlle, une jeune urbaniste fraîchement diplômée de l’Institut d’Urbanisme et d’Architecture de Kinshasa (ISAU). Elle m’a accompagnée chaque jour sur le terrain, pendant près de 3 semaines. Son aide me fut extrêmement précieuse, car elle connaît tous les recoins de la commune et de la ville. C’est elle qui, grâce à sa maîtrise de l’une des langues nationales : Lingala, ainsi que du Kikongo, entamait les premiers contacts avec les habitants des parcelles, afin de leur expliquer la raison de notre venue. Puisqu’en effet, bien que Kinshasa soit une ville francophone, parler lingala est essentiel. Ne pas le parler, ni le comprendre peut s‘avérer fort contraignant (incompréhension, méfiance). Je me suis donc rendue sur l’îlot que j’avais préalablement sélectionné, chaque jour pendant près de 3 semaines. Les premiers jours ne furent pas les plus évidents. Ma présence suscitait beaucoup d’intérêt, de grandes interrogations et parfois même une certaine réticence. Je pris donc soin chaque jour, de saluer chaque personne que j’avais rencontrée la veille, mais également de me souvenir de leur nom, comme marque de respect. Ce que j’ai remarqué en effet, chez les matétois, c’est ce premier regard, très méfiant, froid et parfois presque accusateur. Un regard qui, après avoir accusé réception de mes bonnes intentions, se transformait généralement, assez rapidement en un immense sourire. En ce qui concerne l’étude à proprement parler, j’avais dans un premier temps pour objectif de n’ étudier qu’une petite série de maisons, de manière très détaillée. Je m’imaginais pouvoir rester des heures à discuter, à poser toute une série de questions bien précises, en prenant soin de bien tout relever (physique, historique, d’usage...). Mes premiers jours sur le terrain m’ont cependant rapidement fait comprendre, qu’il n’en serait pas ainsi, car mener une étude au cœur d’une maison, c’est pénétrer dans un espace privatif, une zone d’intimité familiale. Bien qu’à ma plus grande surprise, la grande majorité des habitants ne voyait aucune objection quant à ma venue, ni même à ce que je photographie leur intérieur, j’ai cherché à ne pas dépasser ce “temps” qui m’était accordé, en ne m’attardant pas trop dans les maisons et en étant la plus efficace possible. Dans certains cas, l’accès à l’intérieur des annexes ne m’a pas été autorisé. Certains habitants expriment en effet un sentiment de honte envers le intérieur, qu’ils considèrent trop “pauvre” et trop encombré. Ce qui m’importait cependant, lors de mes visites, c’était de photographier les familles ou les personnes qui m’ouvraient leurs portes. Je leur expliquais 28


qu’il est important pour moi que lors de l’affichage de mon travail, chaque plan de chaque parcelle soit accompagné d’une photo des familles qui les habitent. Sur les vingt parcelles étudiées, une seule famille aura refusé. Je pense que la plupart des personnes rencontrées durant mon étude sur le terrain, étaient d’une certaine manière, assez enthousiastes et heureuses que je m’intéresse à leur situation. Les personnes les plus âgées étaient ravies de pouvoir raconter leur enfance à Matete et fières de l’évolution de leur parcelle, au fil des générations. Malgré tout, les visites effectuées sur les parcelles des familles les plus démunies, n’étaient pas chose facile. Certains pensaient que je venais dans le but de leur proposer une rénovation, ou bien de trouver une solution pour les reloger. Il était à ce moment-là nécessaire d’insister sur le fait que j’effectuais ce travail dans le cadre de mes études. Dans le cadre de l’étude sur le terrain, divers outils ont été mobilisés. La photographie, et la vidéo ont permis de documenter et de traduire visuellement certains faits, certains détails ainsi que certaines ambiances. Malgré tout et en dépit de la profusion d’informations qu’il offre, ce type de média ne permet pas de synthétiser, ni de clarifier des situations que l’on souhaite étudier. Dès lors, le dessin d’espaces habités s’est quant à lui révélé être un instrument de connaissance permettant de faire exister les situations étudiées48. Il permet, comme Pinson (2016) l’explique très clairement, dans son ouvrage sur le sujet, de se “... différencier du relevé architectural (...) en ce sens que cette méthode fait mention de la présence des objets dans l’habitation, en plus d’indications relatives à l’espace architectural lui-même, selon les conventions de dessins courantes (plans – de masse et de détail –, coupes, élévations et éventuellement axonométries, voire écorchés). Au-delà de la destination des pièces, l’indication de ces objets, de leur place dans la pièce apporte des informations sur le mode de vie des occupants, son niveau de confort…”49 Lors de l’étude, j’ai notamment cherché à recueillir certaines données, grâce à l’enregistrement sonore, lors d’interviews. Un outil, que j’ai cependant généralement eu du mal à contrôler, étant donné que les personnes mobilisées et plus particulièrement les personnes âgées, avaient plus de facilités à s’exprimer dans leur langue maternelle (lingala), langue que je ne maîtrise guère. Généralement, après avoir obtenu leur accord, je laissais Joëlle s’occuper de poser toute une série de questions (sur l’histoire, les transformations, la famille, les conditions de vie), tandis que je commençais mes relevés. Cet aspect-ci des recherches a été pour moi, source de frustration puisqu’il fut parfois office de barrière entre les habitants et moimême. Malgré tout, il m’a été possible d’obtenir quelques entretiens très fructueux avec le personnel du service de l’urbanisme, au sujet du quartier de Matete, de sa gestion, du pouvoir d’action de l’état ainsi que de l’avenir du quartier. 48  Raport, Lisa. Bruxelles et le Rif : habiter en migration. p. 45 In : Brunfaut, Victor , Nicolai Quentin, Tassi Sara, CLARA Architecture/Recherche, n°6. Décrire en situation/Décrire des situations. Compte-rendu d’expérimentations avec les outils de l’architecture, au Bénin et ailleurs. Bruxelles, 2019. 49  Pinson, Daniel. 2016, opcit,. p. 49-66 § 28. Disponible à cette adresse : L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son appropriation. Consultée le 3 août 2020 29


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Toulier, Bernard., et al. Kinshasa : architecture et paysage urbains. Somogy Éditions d’Art, 2010, p.95


PARTIE I : CADRAGE HISTORIQUE 1. Avant 1960 : la question de l’habitat indigène à Léopoldville, capitale du Congo belge

Dans ce chapitre, nous reviendrons sur un certain nombre de points qui sont à l’origine de la création des Cités planifiées, telle que la Cité Pierre Wigny (actuelle commune de Matete) . Cette partie, à caractère introductif, va nous permettre de comprendre quelles sont les problématiques ainsi que les enjeux de l’administration coloniale au début du XXème siècle. Nous nous intéresserons ainsi, dans un premier temps, à l’arrivée des premiers projets urbains de Cités réservées à la population dite “indigène” (terme utilisé dans le lexique colonial) ; dont la disposition opère une distinction physique avec la population européenne dite “blanche”. Nous verrons ensuite, dans un contexte d’après-guerre (1950) alors que la population “indigène” et européenne ne cesse de croître, quelles sont les nouvelles mesures mises en place par l’administration coloniale. Nous en viendrons donc à parler de la mise en place du Plan décennal (1949) et de la création de l’Office des Cités Africaines “O.C.A” (1952), dont la mission est de résoudre le problème du logement, à travers l’élaboration de Nouvelles Cités maintenant “planifiées”. Des Nouvelles Cités dont celle de P.Wigny (actuelle Matete), qui nous le verrons, incluent maintenant la construction de logements “standardisés”, dans un style architectural moderne dit “tropical”, destinés aux populations indigènes. Ce qui nous intéressera notamment en parallèle, tout au long de ce chapitre, c’est de connaître l’évolution des mentalités des membres de l’Administration coloniale et des architectes de l’Office des Cités africaines (O.C.A). Puisque c’est en effet, de l’importance accordée aux conditions de vie des indigènes dans les Cités, que naissent les premières Cités planifiées , telles que celle de P.Wigny (actuelle commune de Matete)

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René Schoentjes, « Schéma d’une agglomération urbaine dans le site de Kinshasa». Extrait de : Bulletin de L’institut royal coloniale belge, IV, 1933, n°1, p.555 In : Toulier, Bernard., et al. Kinshasa : architecture et paysage urbains. Somogy Éditions d’Art, 2010, p.15

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1.1. 1923 : Léopoldville, capitale du Congo Belge

Dès le début du XXème siècle, Léopoldville (actuelle Kinshasa) est décrite par le commandant George Moulaert, comme le “carrefour de l’Afrique équatoriale” .50 En 1923, la ville est consacrée Capitale Administrative du Congo Belge, dès lors l’urbanisation de la ville progresse et s’intensifie. Le Nord de la ville, (l’ancienne zone bâtie par Stanley) en majeure partie, est composée d’expatriés européens, à la recherche de l’environnement le plus favorable possible. Sa position attenante au fleuve, lui permet par exemple, de profiter des vents frais. A cette période, une série de constructions destinées aux fonctionnaires européens de l’administration coloniale est entamée. De nombreuses villas ou maisons mitoyennes plus modestes, sont construites.51 Cette zone est notamment dotée d’espaces verts, d’un réseau de voiries, de divers d’équipements collectifs, ainsi que d’autres bâtiments administratifs.52 Tout est pensé afin d’améliorer le cadre de vie des nouveaux arrivants, en allant de l’aménagement paysager, au revêtement des chaussées, jusqu’à l’amélioration de l’éclairage public.53 Ce quartier constitue aujourd’hui l’actuelle Gombe, le siège des institutions nationales et internationales.54 En parallèle, dès les années 20, en contrebas et à l’opposé de la ville européenne, s’érigent des Cités réservées aux indigènes. Ces cités dirigées par l’autorité coloniale, Léo I et Léo II, sont ce que l’on nomme les “Anciennes Cités indigènes”. 55 La ligne de chemin de fer (actuel Boulevard du 30 juin), sert de ligne de démarcation entre les populations indigènes et européennes.56 On peut dès lors parler d’un urbanisme racial, qui s’organise en fonction des considérations socioculturelles 57. Dans le cas de Léopoldville, la distinction entre les indigènes et européens est très forte.58 Dans son syllabus, Yves Robert liste trois éléments qui permettent d’identifier cet urbanisme 50  Toulier, Bernard., et al. Kinshasa : architecture et paysage urbains. Somogy Éditions d’Art, 2010, p.51. 51  Toulier, Bernard., et al. 2010, opcit,. p.58 52  Lusumba Kibayu, Michel. La typologie des quartiers dans l’histoire du développement de Léopoldville-Kinshasa en République démocratique du Congo. Territoires et Développements durables - Notes de Recherche 2008-1, Institut d’études du Développement (UCL). 2008. p.29 53  Ibid p.29 54  Disponible à cette adresse : Gombe (Kinshasa) — Wikipédia Consultée le 23 juillet 2020 55  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. Monographie de la ville de Kinshasa. CRDI, Montréal, 2015, p.56 56  Toulier, Bernard., et al. 2010, opcit,. p.66 57  Robert, Yves. Nouveaux Patrimoine et Enjeux de développement. Éditions des Presses Universitaires. 2011-2012. p.79-80 58  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit,. p.34 33


ségrégationniste, qui repose sur le contrôle de la cité, ainsi que sur une mise en scène du pouvoir colonial : • - “Recherche d’ordre (délimitation claire de l’espace, chaque activité est zonée, chaque « type » social est soumis à un zonage du territoire), • - la volonté́ de hiérarchies (composition architecturale symbolique de la maison du gouverneur, de l’église, ...), - la mise en place de scénographie visuelle symbolique (symétrie spatiale, perspective)”. 59 “Selon le propos d’un architecte et commentateur de l’époque coloniale, R. Le Caisne (1952), on assiste à l’émergence d’une volonté de règle : les règles d’une architecture sensée, régissant la structure des bâtiments, leur disposition au sol, leur économie, les méthodes d’étude, et jusqu’au programme”.60

1.1.1.

Les Anciennes Cités Indigènes

Ces Cités sont érigées comme des petites agglomérations et permettent aux travailleurs “noirs”, après vérification de leurs papiers, ainsi que de leur bonne santé, d’acquérir une parcelle d’habitation. Afin de limiter la surdensification de ces Cités, ces parcelles dont les dimensions avoisinent les 20 x 25m, ne peuvent être bâties que sur les 1/5 de leur surface61. Les logements sont construits par les habitants eux-mêmes et doivent être achevés dans de très courts délais (trois mois), à l’aide des matériaux que les nouveaux acquéreurs se procurent eux-mêmes. Ainsi, de l’effervescence de ces logements auto-construits, naît une très forte hétérogénéité en terme de durabilité au sein des Cités. Par ailleurs, l’hygiène générale ainsi que les réseaux d’égouttages sont inexistants. Les latrines ne constituent qu’un trou creusé en fond de parcelle62. En ce qui concerne le réseau d’électricité, seules les maisons jugées les plus ”pérennes” y sont raccordées63. Aux alentours des années 1920, le besoin en logements croît à nouveau et la ligne de chemin de fer ne suffit plus à séparer les populations.64 Cette perspective effraie la ville européenne. Il devient donc nécessaire de penser l’extension de ces Cités, perçues comme “insalubres” et “malades”. En 1930, face à cette situation, une zone tampon est créée sous forme 59  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,.. p.80 60  Extrait de : R. Le Caisne. Les conditions de l’architecture en Afrique tropicale. In : Techniques & Architecture (numéro spécial intitulé L’architecture intertropicale). Paris. n° 5-6, IIe série. 1952. p. 45. Cité dans : Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.79 61  Wemby Lofudu, Jules. L’évolution des modes d’habitat et des politiques d’urbanisation en République Démocratique du Congo. CEDI, Kinshasa, 2002, p.80. Cité dans : Lusumba Kibayu, Michel. La typologie des quartiers dans l’histoire du développement de LéopoldvilleKinshasa en République démocratique du Congo. Territoires et Développements durables - Notes de Recherche 2008-1. Institut d’études du Développement (UCL), 2008, p.31. 62  Lusumba Kibayu, Michel. 2008,. opcit. p.32 63  Ibid p.32 64  Toulier, Bernard., et al. 2010, opcit,. p.14 34


d’un parc, du nom de son concepteur De bock. Sa largeur de 500m permet la stricte séparation entre les deux entités.65 Cette zone “neutre”, est assez représentative du système colonial de ségrégation et opère une rupture, à la fois physique et sociale dans l’espace urbain.66 Malgré tout, à la suite de cet évènement et face à l’augmentation toujours croissante de la population, il reste tout de même nécessaire de créer de nouvelles Cités et d’en repenser leurs mesures d’hygiènes.

1.2. 1929 : Mise en place du Fonds d’Avance Dès 1929, à l’initiative de l’église catholique, un système de prêt est mis en place par l’administration coloniale67. Ce Fonds permet aux congolais d’effectuer des prêts bancaires à des taux avantageux de moins de 5%, ce qui leur permet de financer la construction de leur maison. Ils ne sont d’ailleurs mis “...qu’à disposition des gens “méritants” et parmi leurs “mérites”, leur foi chrétienne est considérée comme l’un des premiers. Il faut en outre justifier un emploi stable lié à un revenu régulier” 68. Ainsi, chaque mois une certaine somme est prélevée de leur salaire. Une fois le prêt remboursé, l’ ”indigène” devient propriétaire de son logement.69 On précise ici, qu’il s’agit uniquement du logement et non de la parcelle ou du sol. En effet, “jusqu’au milieu des années cinquante, ces derniers ne bénéficiaient que d’un accès limité à la propriété dans les centres extracoutumiers. Ils n’étaient pas autorisés à devenir propriétaires du sol. L’achat de terrain leur étant juridiquement interdit, seule l’acquisition de bâtiments édifiés sur les parcelles leur était permise”.70 D’autres fonds issus d’autres organismes de prêts, existeront au Congo. Le Fonds du Bien-être Indigène (FBI), créé en 1947, est destiné aux agriculteurs et encourage la production agricole. La “Formule Grévisse” quant à elle, est créée en 1948 par le commissaire du District du Katanga. Elle sera appliquée dans d’autres villes, comme celle d’Elisabethville. Dans cette formule, la municipalité exécute les travaux de voiries et d’infrastructures. Elle distribue les parcelles et les matériaux de construction aux congolais. Les travailleurs édifient leur maison soit de leurs propres mains, soit en recourant à la main d’œuvre qualifiée71. Elle permet ainsi la construction d’un grand nombre de logements, la construction de nouvelles infrastructures, ainsi que l’assainissement de nombreux quartiers. Ainsi, ayant fait ses preuves à Élisabethville, à Léopoldville dans les années 1950, cette formule aussi appelée “Méthode Katanga”, est prise en exemple par l’O.C.A., lors de la création des Cités Planifiées, dont nous parlerons un peu plus tard. 65  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit. p.35-36 66  Toulier, Bernard., et al. 2010, opcit. p.66 67  Lejeune de Schiervel, Xavier. Les Nouvelles Cités Congolaises. I, L’Architecture et le logement. In : Mémoires de L’Académie royale des Sciences Sociales, (Classe des Sciences et Techniques) . Tome IV., Fasc 3 et dernier, 1, 1956, p.140 68  Maximy, René de. Kinshasa, ville en suspens-- : dynamique de la croissance et problèmes d’urbanisme : étude socio-politique . Editions de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer. 1984. p.110 69  Lejeune de Schiervel, Xavier. 1956, opcit,. p.200 70  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.105 71  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit,. p.44. 35


1.3. 1940 : Les Nouvelles Cités indigènes Pour René de Maximy (1984), dans son ouvrage intitulé “Kinshasa, Ville en suspens - Dynamiques de la croissance et problèmes d’urbanisme approche socio-politique”, c’est durant cette période, que les urbanistes commencent à attacher plus d’importance, aux dimensions sociales, qu’aux dimensions spatiales de la ville. Il semblerait malgré tout, que bien que “dimension sociale” il puisse y avoir ; elle ne s’appuie en aucun cas sur “... une analyse des besoins exprimés par les populations autochtones, mais (bien) sur l’hypothèse des besoins qu’on leur supposait ou qu’on aurait aimé qu’ils eussent ”.72 En réaction aux problèmes rencontrés dans les Anciennes Cités Indigènes, de “Nouvelles Cités indigènes” sont pensées et mises en place, aux alentours des années 40. Ces Cités sont issues d’une politique de l’habitat plus volontariste, qui contrairement aux Cités “indigènes” qui les précèdent, sont mieux conçues et sont plus viables.73 Elles possèdent désormais un réseau de voiries revêtues, un réseau d’assainissement, des réseaux de distribution d’eau, ainsi que d’électricité qui distribue désormais l’ensemble des logements.74 Dans ces Nouvelles Cités, les logements auto-construits sont maintenant réglementés et régulièrement contrôlés par les autorités coloniales. De plus, grâce au système de prêt du Fonds d’avance mis en place dès les années 30, les conditions de vie dans les Cités s’améliorent.75 Les habitants disposent des fonds nécessaires à l’édification de leur maison, avec des matériaux durables. La période de guerre qui s’ensuit en 1939, ralentit cependant légèrement les échanges économiques. La ville connaît nouveau un nouvel essor économique très important seulement au sortir de la guerre, entre 1945 et 1960. Une période durant laquelle de nombreux congolais arrivent dans la capitale pour travailler dans les secteurs, du transport, de l‘industrie légère ou des services gouvernementaux. Ainsi, Kinshasa compte 26.000 habitants en 1935, 46.000 en 1940 ; à la fin de la guerre, elle a plus que doublé. En 1948, elle compte quelque 120.000 individus.76 L’essor industriel engendre donc un exode important des populations vers les villes, et principalement la capitale. Cet afflux de travailleurs provoque cependant rapidement le surpeuplement des quartiers indigènes, peu préparés à recevoir un tel surcroît d’habitants. Le rythme de la construction répondant faiblement à cet accroissement, on voit se multiplier les logis surpeuplés et insalubre.. Au détour des années 1950, l’administration coloniale prend conscience que l’augmentation de la population est trop importante, presque incontrôlable, mais qu’ils en sont en partie aussi responsables (présence d’activité économiques, de grandes industries..). 72  73  74  75  76  36

De Maximy, René. 1984, opcit,. p.103 Ibid, p.112 Ibid Ibid Le Jeune de Schiervel, Xavier.1956, opcit,. p.7


Pour René de Maximy, c’est à cette période que les mentalités commencent à changer et que l’État prend conscience qu’un “... effort sérieux doit être accompli pour le logement” 77 des indigènes. Il précise d’ailleurs, que “l’habitat tel que le conçoivent les urbanistes, comprend le logement et son environnement proche”, et que donc penser le logement, c’est aussi penser l’espace public et les équipements urbains.78

77  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.108 78  Ibid 37


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Vue aérienne d’une cité planifiée de l’O.C.A Disponible à cette adresse : https://kosubaawate.blogspot.com/2011/09/leopoldville-1952-office-des-cites.html Consultée le 12 aout 2020


1.4. 1949-1959 : Le Plan décennal et la création de l’Office des Cités africaines (1952)

En 1949, est publié le “Plan décennal”, par le ministre de l’époque Pierre Wigny. Ce plan entend définir les enjeux et objectifs de développement économique et social, sur lesquels le Congo Belge va devoir se concentrer durant les années 1949 - 1959.79 “Il marque un tournant dans le domaine de la construction et de l’aménagement urbain (...) car, suite à l’exode rural et l’émergence des bidonvilles (dans les Anciennes Cités indigènes) le gouvernement se voit aussi dans l’obligation d’entreprendre une vaste campagne de construction de logements pour la population africaine”.80 Trois ans plus tard et en vertu du décret du 30 mars 1952, sera créé l’Office des Cités Africaines, un organisme de planification parastatale spécialisé dans l’urbanisme, l’architecture et l’infrastructure.81 Leur mission, est de concevoir une série de nouvelles Cités, que seront les Cités Planifiées, afin de répondre au problème de la pénurie de logements survenu après la seconde guerre mondiale.82 À la tête du département, se trouve l’architecte Henri Henvaux, ainsi que d’autres anciens étudiants de La Cambre comme Francis Kemps (1929- ?), Roger Damien (1917-1980), Ernest Scaillon (1921-1971), Pierre Humblet (1918-1987) et Jan Maes (1928- ?).83 Pour René de Maximy, tous ces décrets, notes, textes, ainsi que la création de cet organisme, traduisent à nouveau la “lente évolution des mentalités dans le sens d’une acceptation de la personnalité congolaise” 84, ainsi que la prise en compte des conditions de vie déplorables dans les Cités indigènes. “La construction en masse d’habitation pour indigènes pose avant tout un important problème d’urbanisme. Il s’agit (...) d’organiser des superficies considérables en partie affectées aux Cités indigènes actuelles, en vue d’y installer les nouvelles maisons. Il s’agit de constituer des ensembles urbains cohérents, à la fois fonctionnels et attrayants, de les pourvoir de tout l’équipement indispensable et d’établir des relations aisées entre ces ensembles et l’agglomération dont ils font partie”. 85 En parallèle, dans les années 1950, le système de Fonds d’Avance continue de fonctionner et met, d’importantes sommes d’argent à disposition de l’Office des Cités Africaines, dans le cadre du Plan décennal (1949).86 C’est ainsi qu’une véritable industrie immobilière voit le jour et 79  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.118 80  Toulier, Bernard., et al. 2010, opcit,. p.74 81  Ibid, p.160 82  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.119 83  Ibid, p.99 84  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.109 85  Annexe 2 de la “note relative à la construction des cité indigènes du Congo-belge” In : De Maximy, René. 1984, opcit,. p.109 86  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit,. p.43 39


permet la création de ces “Cités planifiées” , qui induisent désormais la construction de logements pour les populations indigènes. Ces prêts ne restent cependant octroyés qu’aux plus “méritants”, à ceux capables de garantir une certaine stabilité financière ; car pour l’autorité coloniale, la stabilité de l’emploi de l’acquéreur garantit aussi sa stabilité sociale.87

1.4.1.

Les Cités Planifiées : Propos sur la conception de la Cité idéale, Y.J Le Normand : Technique et Architecture (1952) Dans la Revue Techniques et Architecture numéro spécial intitulé “Architecture Tropicale” de 1952, l’architecte-urbaniste Y. J. NORMAND nous définit en trois points les principes, vers lesquels il faut tendre, lors de la création de nouvelles Cités dites « idéales ». 1. “Décentraliser les villes 2. Rechercher une Structure Organique et Cellulaire 3. Distinguer les voies à circulation rapide, des voies à circulation lente et assurer à chaque unité d’habitation une autonomie, physique mentale et spirituelle”.88 Dans cet ouvrage, les anciennes Cités indigènes sont définies comme n’étant, qu ’ “... entassement où l’être humain s’étiole physiquement et mentalement” .89 Pour Normand, repenser ces entités, c’est d’abord les simplifier, les dédensifier et les réorganiser. En supprimant par exemple, un grand nombre de voiries et en ne conservant qu’une seule grande artère principale, à laquelle sont rattachées des voiries secondaires. Elles doivent notamment, désormais tendre vers une certaine autonomie en possédant leur propre centre commercial, administratif, sportif et culturel. L’ensemble des activités économiques, doivent se concentrer en priorité le long des axes principaux. Par ailleurs, l’intégration de zones vertes est nécessaire, afin permettre à l’ensemble de la cité de respirer, en limitant leur sur-densification (problème que rencontrent les Anciennes Cités indigènes). Ces quelques règles d’urbanisme relatent des débuts d’une nouvelle approche ainsi d’une véritable prise de conscience des conditions de vie.90

“Respirer et se recréer, tel est l’idéal vers lequel doit tendre la cité idéale de demain”.91

87  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.110 88  Y. J. Normand. L’architecture et le nouvel habitat africain. In : Techniques & Architecture (numéro spécial intitulé L’architecture intertropicale). Paris.n° 5-6. IIe série. 1952. p.49 89  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. Kinshasa . Bruxelles Edition CIVA, 2013, p. 161 90  Y. J. Normand. 1952. opcit,. p. 50 91  Ibid 40


Ainsi, ces nouveaux quartiers se situent en périphérie et sont conçues sur le modèle d’unité de voisinage”92. Elles ne fonctionnent d’ailleurs plus comme de simples quartiers, mais bien comme véritables petites “villes satellites”93. Elles comprennent un centre d’activités avec des installations commerciales, éducatives, de loisirs, religieuses et résidentielles et sont liées aux zones d’emplois grâce aux transports en commun (bus, train..).

1.4.2.

L’habitat dans la Cité Planifiée : Une réflexion sur “l’habitat africain” menée par les architectes coloniaux Dans le cadre de l’élaboration de logements, il est intéressant de constater que les Architectes ont dans un premier temps questionné l’existence de “l’Habitat africain”. Selon Y.J Normand, après plusieurs recherches et réflexions, il semblerait que les seuls exemples répertoriés de logements construits par des Africains (avec un souci de confort), ne soient le résultat, que d’une “imitation” des maisons dites “évoluées” construites par les colons, durant les premières décennies de la colonisation. De plus, ce phénomène serait extrêmement localisé, en faire une généralité ne serait donc pas pertinent. “En conséquence, il est, en face d’une telle situation, indispensable et urgent que la Métropole vienne au secours de l’Afrique en lui soumettant des techniques et des méthodes qui favorisent cette évolution” .94 De ce fait, pour les Architectes de l’O.C.A, “... tout reste à faire”.95 L’habitat construit dans les Anciennes Cités africaines ne présente aucun intérêt, étant donné qu’il ne se “conserve pas”. Malgré tout, le souci de créer un habitat confortable, en harmonie avec les modes de vie, reste primordial. Cela ne peut cependant résulter que d’une approche délicate, psychologique et sociale de la population. Une approche qui prend en compte les croyances, les agissements et les habitudes. Il ne semblerait donc pas, dans un premier temps, que l’approche faite par les architectes coloniaux soit le résultat de la volonté d’élaborer une réflexion ethnocentrée, imposant un mode de vie, mais bien une approche consciente qu’un travail de recherche préalable est nécessaire. En ce sens, qu’une forme d’hybridation et de coopération culturelle, est à opérer afin d’être à même de répondre aux besoins de “l’habitat africain”.96 C’est d’ailleurs, la première fois qu’une institution étatique, pratique une politique en ce qui concerne l’habitat.97 Cependant, ce que l’on peut relever de l’analyse de l’ “Habitat africain” par Y.J Le Normand, c’est sûrement un manque d’approfondissement ou de collaboration entre les deux entités, notamment en ce qui concerne les réels besoins, conformes aux pratiques habitantes. 92  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier.. Kinshasa . 2013, opcit,. p.160 93  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.113 94  Y. J. Normand. 1952, opcit,. p. 51 95  Ibid 96  Ibid 97  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.111 41


A ce propos, René de Maximy déclare d’ailleurs qu’à cette période, “... les enquêteurs approchèrent les questions avec des idées préconçues probablement peu favorables au dialogue. Ils firent des constats intéressants sur le rôle de l’abri, et presque uniquement de cela, des maisons des “Cités”. Mais les Congolais n’étaient pas plus habitués à être consultés que les belges à les consulter. Or, on sait maintenant que de telles questions demandent une série d’entretiens non directifs, très ouverts, car nul n’est à même de formuler de prime abord ses besoins et de définir un cadre de vie souhaité”. 98 De ce fait, bien que ces logements offrent un cadre de vie sain et agréable aux congolais, ils marquent, en plus du passage de la ruralité vers le statut nouvel d’urbain, le passage vers une autre culture. À ce propos, Yves Robert affirme que ces espaces de vie, “... ne correspondaient pas nécessairement aux réalités culturelles locales”. 99 Par exemple, “... à l’époque, pour maints autochtones, cuisiner est une tâche extérieure, qui s’effectue en dehors du volume principal du logement dans un petit édicule annexe. La position de la cuisine européenne à l’intérieur de l’habitation, en relation directe avec la salle à manger traduit donc une conception de l’espace et de ses fonctions anthropologiquement très différente”.100

1.4.3

L’habitat indigène dans la Cité Planifiée, sous l’angle de la technique moderne Le but, lors de la conception de l’habitat dans les Cités planifiées, est de créer des modules d’habitats standardisés qui incluent une certaine flexibilité. L’autre paramètre qui entre en jeu, est la prise en compte du facteur climatique et l’introduction de nouveaux types de constructions, qui sont caractéristiques du mouvement appelé “modernisme tropical”. L’orientation du bâtiment, l’aération naturelle, l’isolation ou le recours au brise-soleil, permettent aux logements d’affronter les contraintes occasionnées par le climat101. L’une des grandes caractéristiques de l’architecture coloniale, est qu’elle correspond à une quête de principes hygiénistes qui se traduit par l’élaboration de procédés visant à élaborer une architecture climatique, essentielle pour résoudre le problème de l’habitat dans les Cités.102

1.4.4.

Des modules d’habitat standardisés

“ L’impérieuse loi du nombre se fait sans cesse plus pressante ; à cette loi, s’ajoutent les contraintes de la durée et de l’économie la plus stricte. Il n’y a pas d’alternative possible : il faut rationaliser, uniformiser, s’accommoder 98  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.112 99  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.105 100  Ibid 101  Lejeune de Schiervel. 1956, opcit,. p 15-24 102  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.69 42


des types universels. De la répétition de modules bien choisis et de l’emploi parfaitement adéquat des matériaux industriels se dégagera une harmonie nouvelle, adaptée aux dimensions énormes des agglomérations qui naissent actuellement sous nos yeux”.103 Dans le cadre des études sur la réorganisation de ces Cités, les architectes de l’O.C.A, doivent faire face au problème du budget dont nécessite la création des Cités Planifiées, qui inclut désormais la construction des logements. Conscients que les pouvoirs publics ne prennent pas toutes les constructions à leur charge, ils repensent l’architecture à différentes échelles depuis la provenance de leur matériaux, jusqu’à l’élaboration des plans et la construction des maisons.104 Ces problématiques poussent les architectes de l’O.C.A à penser “la préfabrication” comme mode de construction. Bien que celle-ci soit limitée, étant donné qu’elle ne prend en compte que les “... éléments pondéraux pouvant être mis en œuvre à l’aide matériaux locaux et ne réclamant pas une main d’œuvre très spécialisée”. 105 “ Ce sera le cas pour la fabrication : des menuiseries (portes, fenêtres, etc.), des éléments de remplissage (parpaings, briques, etc.) et des éléments de plancher ou de plafonds (poutres, dalles, creux) La préfabrication importée concerne principalement les éléments réclamant: une matière première qui ne peut être trouvée sur place: un outillage compliqué : ce sera le cas pour la quincaillerie, des appareils sanitaires, de l’appareillage émétique de certaines ossatures électriques.” 106 Les architectes de l’O.C.A encouragent donc l’utilisation des matériaux locaux et des méthodes de constructions traditionnelles, uniquement lorsque cellesci permettent de répondre aux “... exigences de la technique moderne”.107 L’idée est notamment de créer des Centre Artisanaux du Bâtiment, qui permettent de former une véritable main-d’œuvre qualifiée et spécialisée, pour des constructions de qualité. Les agents ainsi formés, rendent possible l’important travail de construction des Cités Planifiées108. Ajoutée à ceci, la création d’une industrie des matériaux permet de fournir, des matériaux de qualité, étant donné qu’il est très compliqué et cher de s’en procurer au sein de la ville.

1.4.5.

Des modules d’habitat flexibles

Dans ouvrage intitulé “Les Nouvelles Cités Congolaise, I, L’architecture et le logement”, datant de 1956, Pierre-Louis Flouquet traite de la nécessité de concevoir des logements flexibles, pour la population. Bien que, dans le cas où la famille s’agrandit, l’adjonction d’annexes ne soit pas envisageable, Flouquet traite de l’importance de l’élaboration de types de logements dont “... la disposition du plan permette, sans changement de volume et sans transformation importante, une occupation 103  Lejeune de Schiervel. 1956, opcit,. p.21 104  Y. J. Normand. 1952, opcit,. 105  Ibid, p.52 106  Ibid, p.52 107  Ibid 108  Ibid, p.51 43


44

Le Jeune de Schiervel, xavier. Les Nouvelles Cités Congolaises, I, L’Architecture et le logement. In : Mémoire de l’Académie royae des sciences coloniales, (Classe, des Sciences et Techniques), Tome IV, fasc.3 et dernier, 1,1956, p.110-111-112


diversifiée”.109 En ce sens, les logements sont conçus par les architectes coloniaux, de telle sorte à ce que par exemple, “... un jeune ménage ou une famille avec un enfant pourrait (..) acquérir la propriété de la maison qu’il occupe en louant les locaux en surnombre à des logeurs ou à des couples sans enfant”.110 En effet, à cette période la plupart des nouveaux arrivants sont célibataires111 ou des familles de type nucléaires. Ainsi, sous le “... vocable de maison à occupation extensible, l’O.C.A. s’ingénia à des exercices de modulation des plans pour permettre à une famille sans enfant de pouvoir facilement compartimenter les parties de l’habitation inoccupées par elle et de les louer ensuite à des célibataires, tout en ayant la possibilité́ de récupérer ces pièces au fur et à mesure de leurs nouveaux besoins (naissances des enfants)”.112 Bien que ce concept soit assez révolutionnaire, il reste assez contraignant face à l’agrandissement des familles. En effet, lorsque la famille s’agrandit et ne dispose ainsi plus du nombre de chambres suffisants, l’O.C.A. préfère proposer la solution de leur déménagement vers une maison plus vaste et refuse le principe de l’extension de l’habitation, au cas par cas, à partir de la façade arrière113.

1.4.6.

Modernisme tropical et stratégies climatiques

“Le “Modernisme tropical” est un mouvement architectural qui apparaît dès les années 40, et qui peut être vu comme une synthèse entre l’architecture moderne internationale et une architecture contextuelle, propre aux régions tropicales (...) il apparaît comme un sous ensemble de la modernité, à laquelle il reprend un certain nombre de codes, qu’il vient mettre en résonance avec le territoire sur lequel il s’implante.” 114 Comme nous l’avons énoncé précédemment, l’une des grandes caractéristiques Moderniste tropical de l’architecture coloniale, est qu’elle correspond à une quête de principes hygiénistes ainsi qu’à l’élaboration de procédés visant à élaborer une architecture climatique115. À nouveau, l’article de Y.J Normand, dans la Revue Technique et Architecture de 1952, consacrée à l’architecture en milieu tropical, nous interpelle sur l’importance de repenser le problème, en partant de données propres au contexte (données climatologiques, sociales et techniques..)116. Cette thématique va d’ailleurs, très rapidement dépasser la simple considération technique en s’exprimant dans l’architecture de manière esthétique et caractéristique du mouvement moderne.117 109  Lejeune de Schiervel, Xavier.1956, opcit,. p. 110. 110  Ibid 111  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.61 112  Ibid, p.103 113  Ibid, p.103 114  De Boisseson, Jean Baptiste, et Robert Yves. Le “modernisme tropical” : essai de définition : regard croisé entre Congo Belge et Brésil. Université libre de Bruxelles. 2016. p. 108 115  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.69 116  Cresswell, R. L’habitat indigène. In : Techniques & Architecture (numéro spécial intitulé L’architecture intertropicale). Paris. n° 5-6, IIe série, 1952, p. 40. 117  De Boisseson, Jean Baptiste, et ROBERT Yves. 2016, opcit,. p.23 45


En ce qui concerne l’urbanisme, par exemple, l’implantation des habitations est pensée de telle sorte à obtenir une orientation favorable par rapport au soleil, ainsi qu’aux vents dominants. En ce qui concerne la question de l’habitat, la recherche d’une aération optimale, se fera à travers la mise en place de vides situés au niveau des combles. Le “claustra” est, quant à lui, très présent sur les façades des maisons et permet de favoriser l’aération naturelle des pièces. La conception du “brise-soleil” , permet comme son nom l’indique, de créer de l’ombre dans les habitations. Il est d’ailleurs, un élément technique devenu manifeste de l’architecture tropicale. Dans son syllabus118, Yves Robert liste neuf éléments qui permettent de résumer et d’identifier l’architecture coloniale, bien que leur utilisation puisse varier d’une situation à une autre, ainsi que d’une époque à une autre : - - -

- - - -

Urbanisme climatique et positionnement en hauteur : Il résulte d’une réflexion topographique afin de bénéficier d’une ventilation naturelle. L’orientation favorable par rapport au soleil La conception du brise-soleil : “Il s’agit d’éléments très identitaires à l’architecture sous les tropiques. A leur fonction technique de « faiseur d’ombre » s’ajoute aussi un rôle parfois esthétique dans la composition de la façade”.119 La recherche d’une ventilation optimale : Avec la mise en place de claustras, par exemple La mise en place de double toits ou de combles ventilés : Il s’agit de concevoir des vides techniques d’air aménagés sous la couverture (atténuation des effets thermiques du rayonnement solaire)120 La conception de plan intériorisant les pièces d’habitations L’ aménagement de vérandas et pose d’écrans : Dans le cas de l’habitat dans la cité planifiée, le terme “barza” est utilisé. Il indique la présence d’un espace extérieur attenant à la maison coloniale et couvert par une toiture débordante.121

Ces éléments en font aussi partie, mais ne sont pas observés dans le cadre de l’élaboration de l’habitat pour les “indigènes” , dans les Cités planifiées. -

- -

Le surhaussement sur pilotis : La mise en place d’un vide ventilé entre le sol et l’habitation permet de protéger des insectes.122 Cet élément ne s’observe que dans l’élaboration des maisons, plus confortables pour les européens . L’utilisation de matériaux isolants Air conditionné et évolution des techniques

118  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.70-76 119  Ibid, p.74 120  Ibid 121  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. 2013, opcit,. p.202. 122  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.74 46


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Toulier, Bernard., et al. Kinshasa : architecture et paysage urbains. Somogy Éditions d’Art, 2010, p.125


2. Dès l’Indépendance en 1960 : la question de l’accès à la propriété

La ville de Kinshasa, possède une histoire à la fois très riche et complexe. De nombreux évènements parfois brutaux, sont depuis l’indépendance, le vecteur d’importantes transformations. Dans ce chapitre, nous étudierons le contexte politique et économique dans lequel se trouve le pays dès son Indépendance en 1960, ainsi qu’au tournant de la crise économique, survenue dans années 90. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux différents décrets et lois, qui donneront petit à petit, l’accès à la propriété au peuple congolais. Enfin, nous traiterons de la manière dont les pouvoirs publics gèrent aujourd’hui l’urbanisation qui ne cesse de croître, au moyen de textes, de lois et d’un code d’urbanisme datant de 1957. En ce sens, ce chapitre nous permettra de prendre connaissance de la première et de la plus importante forme d’appropriation, qui est celle du “sol”. Cette appropriation s’exprime à travers la conquête de l’espace rendu disponible et confère désormais aux habitants le statut “d’acteur” et non plus de “spectateur” de la ville.

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2.1. Contexte politique et économique : 1960 En juin 1960, le Congo plein d’espoir, obtient son indépendance, à la suite de laquelle survient une succession d’événements violents. L’assassinat du Premier ministre Patrice Lumumba, est suivi d’une période de troubles123. En parallèle, en 1965 Mobutu Sese Seko prend le contrôle du pays, qu’il dirigera d’une main de fer pendant près de 32 ans. Cet événement entraîne le déclin de l’économie du pays, l’apparition de la corruption à grande échelle, ainsi que l’appauvrissement de la population. Ces évènements font fuir une bonne partie de la colonie, ainsi que la plupart des Architectes de l’Office des Cités Africaines. L’initiative d’urbanisation et de création de logements s’effondre après l’indépendance, victime du départ du personnel technique et du budget. Aucun nouveau logement n’est construit. Le personnel de L’O.C.A se met en grève et de nouveaux organismes fusionnés naissent, mais n’aboutissent qu’à la construction de 800 logements dans la Cité Salongo (Lemba). A la demande de Mobutu, dès 1965, lorsque la situation se stabilise, on assiste à la reprise de l’activité de certains architectes belges. L’architecture est désormais, “... le reflet de l’indépendance nationale et la quête d’une identité proprement nationale.124 Léopoldville est rebaptisée Kinshasa et tous les monuments issus du colonialisme belge sont retirés. En 1973, le président entame une politique d’étatisation des entreprises privées, qui conduit en 1974, à la Zaïrianisation du pays. Cet évènement marque la volonté d’un retour à l’authenticité, symbole du nouveau régime.125 Dans un premier temps, la ville connaît dès lors un essor économique important, grâce notamment aux activités industrielles, (alimentaire, métallurgique et le chaînes de montage). Ces produits, sont destinés aussi bien à la consommation locale qu’à l’exportation126. Lors de cette période de faste, Kinshasa est connue sous le nom de Kin-la-belle, car il y fait beau vivre;127 Malgré tout, en l’espace de 20 ans la population ne cesse de croître. Entre 1960 et 1980, elle passe de 726 534 habitants à plus de 2 600 000.128 Les années 90 marquent quant à elles, l’une des pires périodes économiques pour la capitale. En effet, lors de la nationalisation du pays, Mobutu s’accapare des commerces qui appartiennent aux mains étrangères. Cette opération est un véritable désastre et entraîne rapidement la faillite du pays. C’est ainsi, que dès les années 90, un pays vanté pour l’abondance de ses richesses naturelles, se retrouve dans le rang des pays pauvres les plus endettés.129 Dès lors, beaucoup d’entreprises tournent au ralenti, de 123  Disponible à cette adresse : https://www.justicepaix.be/IMG/pdf/cjp_outil_peda_les_ ressources_minieres.pdf Consultée le 24 juillet 2020 124  De Boisseson, Jean Baptiste, et Robert Yves. 2016, opcit,. p.105 125  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.387 126  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. opcit,. p.51 127  Ibid 128  Disponible à l’adresse suivante : LES RESSOURCES MINIÈRES : Consultée le 20 mai 2020. Voir fiche 3 129  Jacquemot, Pierre. L’économie politique des conflits en République démocratique du Congo. Afrique contemporaine. vol. 230. no. 2. 2009. p. 191 50


nombreux habitants sont au chômage et le secteur informel s’érige petit à petit en véritable système. En parallèle, “...l’augmentation de la population urbaine débouche sur des effets socioéconomiques tels que la pression sur l’emploi,(...), l’augmentation des populations pauvres et la prolifération de certaines déviances comme la délinquance, la prostitution, la criminalité”.130

2.2. L’appropriation du “sol” Au tournant des années 60, l’état prend conscience qu’une crise urbaine se développe. Afin d’endiguer ce phénomène il décide, comme nous l’explique Marc Pain (1985), dans son ouvrage consacré à la capitale ; de porter son attention sur deux grands domaines : les lois foncières et les schémas d’urbanisme.131 Il est ici important de préciser à nouveau, que jusqu’au milieu des années 50, “l’indigène” n’a aucun droit civil, politique, ni aucun droit à la ville, ni à la propriété. Leurs droits immobiliers, sont en effet très restreints et seule l’acquisition de bâtiments édifiés leur est permise.132 En 1966, au lancement de la politique de Mobutu, une loi, la loi Bakajika, est votée à la chambre des députés et promulguée sous-forme d’ordonnance par le président Mobutu.,Cette loi stipule que “... le sol et le sous-sol appartiennent à l’état Congolais”.133 En ce sens, elle permet à l’état “... la pleine et libre disposition de tous les droit fonciers.. concédés ou cédés avec le 30 juin 1960”.134 Ainsi, toutes les entreprises, maisons, parcelles, détenues par des étrangers deviennent la propriété de l’état.

2.2.1.

La loi foncière

En 1973 une loi foncière renforce le pouvoir de l’État et fait de ces terres des propriétés exclusives, inaliénables et imprescriptibles135. Bien que des particuliers puissent “... cependant obtenir des droits de jouissance sur les terres du domaine privé de l’État”.136 Ainsi, les livrets de logeurs octroyés par l’administration lors de la période coloniale, sont supprimés pour les étrangers mais sont conservés pour les “Nationaux” , qui obtiennent alors un titre de concession perpétuelle. Tous les titres de propriétés entrés en vigueur avant cette loi, se transforment alors en concession. À la suite de cela, sont délivrés des certificats d’enregistrements, qui permettent de confirmer le titre de propriété. 130  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit,.p.32 131  Pain Marc. Kinshasa, symbole d’une Afrique urbaine. In: Cahiers d’outre-mer. N° 149 38e année, Janvier-mars 1985. p.30 132  R. Le Caisne. Les conditions de l’architecture en Afrique tropicale. In : Techniques & Architecture (numéro spécial intitulé L’architecture intertropicale), Paris, 1952, n° 5-6, IIe série, p. 45. In : Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.10 133  Disponible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Bakajika Consultée le 3 août 134  De Maximy, René. 1984, opcit,. p.160 135  Pain Marc.1985, opcit. p.32 136  Disponible à cette adresse :Garantir les droits fonciers coutumiers en République démocratique du Congo: p.22. Consultée le 12 juillet 51


Article 369, relatif l’entrée en vigueur de la loi foncière : “Tout droit de propriété foncière qui a été acquis régulièrement par les Zaïrois, personnes physiques, avant l’entrée en vigueur de la présente loi, est converti, pour autant qu’il ait été matérialisé par une mise en valeur conforme aux lois et règlements, en un droit de concession perpétuelle, telle que réglée par les articles 80 à 108 ci-dessus (…)”.137 Article 371 “Les certificats d’enregistrement établissant la propriété privée du sol et délivrés antérieurement à la présente Loi seront remplacés par des certificats conformes aux dispositions de la présente Loi au fur et à mesure des mutations opérées.”138

2.3. Les modalités administratives actuelles des

transformations sur les terrains : Cas de la commune de Matete La loi foncière de 1973, permet comme le stipule l’article 80, de “... jouir d’une terre, sans terme”. Elle permet notamment de conférer à son titulaire, “... le droit de jouir du terrain et de la propriété de tout ce qui s’y joint, notamment les constructions et plantations”. “Ce droit de concession perpétuelle est cessible et transmissible ; le concessionnaire peut le vendre, l’échanger, le partager, le transmettre à ces héritiers et légataire ou le grever des charges telles que l’hypothèque, la servitude foncière et le bail (même de longue durée de temps). Dans ce cas, le nouvel acquéreur reprend tous les droits et obligations qui étaient conférés au concessionnaire originaire”.139 Ce droit de transmission de concession ne reste cependant autorisé que dans le cas, où le nouvel acquéreur est Congolais. Cependant comme énoncé précédemment, l’Indépendance du pays entraîne une importante augmentation de la population, permise par la baisse de la régulation de l’état. J’ai de ce fait, lors de cette étude de terrain cherché à rencontrer le personnel du service de l’urbanisme du quartier, afin de comprendre quels sont les pouvoirs de l’état, mais aussi quels sont les moyens d’actions (s’il y en a), qui permettent d’endiguer, de surveiller et de limiter ce phénomène d’ urbanisation. Car en effet, pour un propriétaire, construire sur une parcelle d’habitation est autorisé, mais cet acte nécessite tout de même d’une démarche administrative. Elle consiste à effectuer une demande auprès du service d’urbanisme, en introduisant une demande de permis. Une fois la demande acceptée, il faut se munir d’une attestation de paiement des frais de construction, afin de pouvoir débuter ses travaux légalement.  Malgré tout, si les règles qui régissent l’urbanisation du quartier datent de 1957, un arrêté ministériel, relatif au coefficient d’urbanisation autorisé 137  Ibid, p.23. 138  Ibid 139  Ibid, p.32. 52


sur les parcelles, est parvenu au service de l’urbanisme. Toujours estil, que la plupart des constructions du quartier n’ont pas été soumises à une autorisation. Le pouvoir d’action de l’état est faible et le personnel du service de l’urbanisme se retrouve généralement face à des situations de constructions illégales, qu’il n’est pas en mesure de réprimer. Cet aspect-ci, est principalement à l’origine du surpeuplement des parcelles d’habitations. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2019, que conscient de l’obsolescence du code de l’urbanisme actuel, le ministre d’état Pius Muabilu en charge de l’Urbanisme et de l’Habitat dans le pays, annonce sa “modernisation”, lors d’une allocution.

Exemple d’une demande de permis de construire, délivré par le service d’urbanisme de la commune de Matete

“Pendant mon mandat, je me suis engagé à doter mon secteur d’un nouveau Code de l’urbanisme et de la construction. L’actuelle date de 1957 est devenu obsolète. Il faut l’adapter à l’évolution démographique, technologique et à l’impératif social. Sa réforme s’impose”140 - Pius Muabilu (2019).

140  Disponible à cette adresse : Pius Muabilu annonce un nouveau Code de l’urbanisme et de construction en RDC Consultée le 13 juillet 2020. 53


Jour de pluie Ă Matete, De Bonhomme

54


2.4 Kinshasa : Une urbanisation hors de tout contrôle ou l’expression urbaine du “droit à la ville”

Ainsi, le patrimoine moderniste qui témoigne “.... autrefois d’une anticipation du progrès, est, aujourd’hui considérablement délabré, (...) et souvent évoqué pour dénoncer la faillite de l’État”.141 En raison de l’incapacité de l’état à fournir des services sociaux et techniques élémentaires aux quartiers populaires de la ville comme celui Matete, les populations ont cherché à pallier l’insuffisance de l’état par leurs propres moyens. Ainsi, “... l’urbanisation spontanée est le modèle dominant de la période post-coloniale (...) l’autorité administrative congolaise s’effondre et assiste impuissante à l’accélération de la croissance spatiale spontanée de la ville”.142 L’extension de la ville augmente rapidement et progresse jusqu’aux limites des collines situées au Sud. Ces quartiers, après s’être heurtés aux barrières naturelles au Sud et à l’Ouest, s’étendent principalement vers l’Est, au-delà des limites établies par la ville coloniale. Les conséquences directes de l’occupation de terres disponibles parfois non-urbanisables, peuvent s’avérer être catastrophiques. “ Ces facteurs ont des impacts sur les populations urbaines et sur leur milieu ou cadre de vie. Parmi ces impacts, on peut citer la dégradation des conditions d’habitat, le non-accès aux services et équipements urbains, l’exclusion sociale et spatiale, la destruction de l’agriculture périurbaine, l’occupation des zones à risque”.143 Par exemple, dans le cas de Matete, la zone marécageuse autrefois réservée aux cultures maraîchères, ainsi qu’à l’élevage de porc, est à ce jour envahie par des constructions anarchiques, ce qui la rend sujette aux inondations. Les pluies diluviennes très fréquentes causent généralement des dégâts physiques et matériels importants. La zone Est du quartier quant à elle, est moins sujette aux inondations. Malgré tout, l’insalubrité causée par un réseau d’égouttage caduque et complètement obstrué, est très présente. La stagnation de ces eaux de pluies, sont notamment responsables de certaines maladies respiratoires et paludéennes.

141  Lagae, Johan, et al. Pour les écoles : tant mieux qu’elles sont là. Politique africaine, vol. 135, no. 3. Dec. 2014. p.1 142  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. 2015, opcit,. p.57 143  Lusumba Kibayu, Michel. 2008, opcit ,.. p.58 55


56

RealitĂŠs africaines : Le Congo Belge et le Ruanda - Urundi, Fontana-Maroc, Casablanca, 1957, p.176


PARTIE II : LE CAS D’ÉTUDE 1.La Cité Planifiée Pierre Wigny (1952)

1.1 Description du projet La Cité planifiée P. Wigny se situe au Sud de la capitale. Elle est conçue pour les ouvriers kinois, à proximité de la zone industrielle de Limete. La superficie générale est de 4.88 km2, ce qui fait d’elle la plus petite des Cités planifiées.144 Elle compte environ 8 000 logements et peut accueillir près de 30 000 habitants. Elle se divise notamment en cinq unités de voisinage145, cinq quartiers, dont la population avoisine les 6000 habitants.146 (soit une moyenne de 120 hab/ha). A l’ouest, ainsi qu’au Nord-Ouest, la commune est délimitée par la rivière de Matete, ainsi qu’à l’Est par la rivière N’djili. La partie bâtie Est de la commune, de l’autre côté du chemin de fer, est mise à profit dans les années 50 par un Belge, dans le but d’y faire des cultures maraîchères, ainsi que de l’élevage de porcs.147

144  Michel, Camille, et Robert Yves. Analyse de la cité Matete (anciennement cité Pierre Wigny). Université libre de Bruxelles. 2013. p.42. 145  Toulier, Bernard., et al. Kinshasa : architecture et paysage urbains. Somogy Éditions d’Art, 2010, p.88 146  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. Kinshasa .Bruxelles, Edition CIVA, 2013, p.161 147  Source orale 57


Plan de la CitĂŠ P.Wigny : 1959

Description du projet

58


Archives africaines Bruxelles Dossier O.C.A Boite 332

59


Le but lors de la conception de ces Cités planifiées est donc de les rendre “autonomes”. Elles sont conçues sur le modèle d’unités de voisinage148, se situent en périphérie et s’éloignent de l’idée du “camp de travailleurs” et fonctionnent comme de véritables petites villes autosuffisantes.149 Ainsi la Cité P.Wigny, comprend en son centre différentes infrastructures communautaires, comme une salle des fêtes, un commissariat de police, un tribunal, un centre de recensement, ainsi qu’un marché couvert. On retrouve également dans cette zone, l’église St Auguste, une salle des œuvres paroissiales, ainsi que la résidence des RR.Pères. Toujours, sur ce même îlot central, existent une école pour les filles, une autre pour les garçons, ainsi qu’un couvent pour les RR. Soeurs.

Centre d’activités

1.1.1

Le réseau viaire

Dans le but de favoriser les connexions avec le reste de la capitale, un réseau de bus et de trains, sont mis à disposition de la population. La ligne de train délimite d’ailleurs, la bordure Est de la cité. Des axes de voiries principaux permettent ainsi, de relier les différentes zones du quartier, au reste de la ville. Elles sont au nombre de cinq150 : 1) A l’est, deux voies relient la cité, à l’axe routier Léo-Matadi 2) Au sud, deux voies permettent de rejoindre la cité Kisenso 3) Une dernière voie, permet de rejoindre la cité voisine de Lemba Ces axes de voiries principaux, desservent ensuite des axes de voiries secondaires, dont la disposition permet une multiplicité d’îlots qui se subdivisent ensuite en parcelles.151 La dimension de ces des axes de voiries, varie notamment en fonction de leur statut152 : 148  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. 2013, opcit,. p. 161 149  Robert, Yves. Nouveaux Patrimoine et Enjeux de développement. Éditions des Presses Universitaires. 2011-2012, p.119-120 150  Michel, Camille, and Yves Robert. 2013, opcit,. p.44 151  Lejeune de Schiervel, Xavier. Les Nouvelles Cités Congolaises. I, L’Architecture et le logement. In : Mémoires de L’Académie royale des Sciences Sociales, (Classe des Sciences et Techniques. Tome IV, Fasc 3 et dernier, 1.1956, p.7 152  Michel, Camille, and Yves Robert. 2013, opcit,. p.44 60


1) 2) 3) 4)

Axes de voiries principaux : 24m dont 9 m de chaussée Axes de voiries secondaires : 15 m dont 6 m de chaussée Allées d’habitations : 6m (sans revêtement) Venelles : petites allées sanitaires situées en fond de parcelles : 2m

Gare et chemin de fer

Axes viaires principaux

Axes viaires secondaires 61


1.1.2

L’administration

Le quartier en tant que circonscription administrative possède une structure administrative simplifiée. Il comprend 153 : 1) 2) 3) 4) 5)

Le Chef de la cité Le Chef du quartier adjoint Le secrétaire du quartier Le chargé de la population Deux ou trois agents recenseurs.

Afin de veiller au maintien de l’ordre au sein de ces Cités, la population est limitée. Des “chefs de quartiers” sont alors assignés et résident dans les différentes unités de voisinage. Aujourd’hui, bien que le quartier soit divisé en localités, ce dispositif reste d’actualité. En octobre 1958, la cité de Matete devient la 12e Commune de Léopoldville.

vue aérienne de Matete, Disponible à cette adresse : https://kosubaawate.blogspot. com/2011/09/leopoldville-1952-office-des-cites.html, Consultée le 16 août 2020

Le tableau ci-contre montre les différents quartiers actuels de Matete et leurs localités.

153  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. 2015, opcit,. p.50 62


Quartier

Localités

01

Général Basuki

Bateke I, Singa I, Vitamine I

02

Dondo

Bahumbu I, Mpudi, Lokele I

03

Loeka

Bahumbu II, Kinsimbo, Lokele II

04

Lubefu

Anunga (notre zone d’étude) , Mongo

05

Lukunga

Mandina, Mboloko, Viaza

06

Lunionzo

Kunda I et II, Ngilima I et II, Bateke II

07

Lumumba

Banunu I et II, Kwenge I et II

08

Malemba

Boboto, Mabanza, Kiboko, Tosalisana, Toyokana

09

Mbom’ipoko

Malandi I et II, Mutoto, De la Gare, Makanza

10

Maziba

Epulu, Mansansay, Mozindo, Kwete, Munzibila, Niangi

11

Sankuru

Bantandu I et II, Lokoro, Mai-Ndombe

12

Sumbuka

Kinzazi, tomba, Bamboma, Pululu I et II

13

Totaka

Kinda I et II, Ngufu, Singa II, Vitamine II

14

Vivi

Batende I et II, Kinsako

Source tableau : Eric Kibala, Administration municipale de la Commune de Matete (2001)

63


1.2 L’habitat dans la Cité Comme énoncé précédemment, la création des Cités planifiées inclut maintenant la construction des logements, ainsi que des équipements communautaires (publics). Cette caractéristique va permettre le passage de la ruralité à l’urbain pour les habitants et favoriser un nouveau mode de vie, qui se différencie de la culture africaine. 154 “ Le plan général de la cité est marqué par une trame structurée de façon rationnelle en voies, places publiques et îlots accueillants des maisons types.” 155 Les logements sont généralement regroupés par groupe de quatre. Les maisons familiales situées autour du centre d’activités comprennent un étage, réservé aux chambres et parfois un rez-de-chaussée de type commercial.156 En périphérie se trouvent les maisons familiales de type “basse”, qui ne comportent qu’un seul étage.157 L’une des caractéristiques notoires de ces Cités est notamment la présence de jardins privatifs, autour de chaque lot d’habitations. Cette caractéristique confère d’ailleurs à la Cité P.Wigny, tout comme aux autres Cités planifiées, l’aspect de véritables “Cités-jardins”158.

1.2.1

(T.18)

Typologies de l’habitat : Focus sur la typologie numéro 18

Différentes typologies ont été conçues par les architectes de l’époque coloniale, dans les différentes Cités planifiées159. Dans le cadre de mes recherches, je m’intéresserai tout particulièrement à la typologie numéro 18, celle sur laquelle j’ai obtenu le plus d’informations160 (plans, coupes, ...), lors de mes visites aux Archives Africaines à Bruxelles. Lors de mon étude de terrain, j’ai travaillé sur un îlot qui comprenait cette même typologie de logements. Dimensions de la typologie : Largeur de parcelle : 4,2 ou 7,2m Surface bâtie : 24,5m2 Surface habitable : 43 m2 154  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.105 155  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. 2015, opcit,. p.161-162 156  Lejeune de Schiervel, Xavier. 1956, opcit,. p 105 157  Gemoets, Marc, Johan Lagae, Francis Metzger, Yves Robert, Jacob Sabakinu Kivilu, Bernard Tourlier. 2015, opcit,.p.161 158  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.101 159  Lejeune de Schiervel, Xavier. 1956, opcit,. p 81-85 160  Boite n° 994, Dossier n° 4841, Archives Africaines, Bruxelles 64


Dans ce logement, le séjour donne côté rue, tandis que la cuisine, donne sur une barza (espace extérieur couvert non enclos161) sur laquelle un débordement de toiture, permet d’apporter de l’ombre. À l’étage, l’espace de nuit est composé d’une chambre parentale et de trois chambres pour les enfants. Les toilettes et la douche sont réunis en un espace, intégré à la maison côté cuisine. Les parcelles d’habitations possèdent toutes un jardin aux dimensions généreuses. Enfin, une simple haie délimite les espaces privés.

Pente envion 6%

0.9

2.2 1.2

0.2 5.1

2.7

Coupe AA’ 161  Lejeune de Schiervel, Xavier.1956, opcit,. p 15 65


Description du plan-type t.18 par, Lejeune de Schiervel (1956)

“Il serait difficile, semble-t-il, de concevoir un plan de maison entre murs mitoyens qui soit à la fois plus simple que le plan-type T. 18 et mieux adapté aux données élémentaires d’une organisation domestique exactement déterminée. Le volume de la maison est délimité, entre sol et toiture, par les deux murs mitoyens, dans le sens de la longueur, et par les deux murs de façade, dans le sens de la largeur. A l’intérieur de ce volume, deux niveaux d’habitation, représentés l’un et l’autre par un rectangle de 4 m X 5,50 m . Au rez-de-chaussée, la vie diurne ; à l’étage, le repos. La relation entre les deux niveaux s’établit par un escalier appuyé au refend parallèle aux murs de façade. La pièce de séjour, ouvrant vers la voie publique, occupe toute la largeur de la maison ; sa superficie est de 12,40 m2. C’est un minimum, puisque cette superficie comprend le dégagement d’entrée, l’escalier et son départ, l’espace occupé par la table familiale et les sièges qui l’entourent. Cet espace est directement éclairé par la double fenêtre donnant sur la voie publique. Une porte sépare la pièce de séjour de la cuisine, par où l’on atteint les sanitaires et l’arrière de la parcelle. La cuisine est conçue, au moins théoriquement, pour les seuls travaux ménagers. Son équipement comprend une resserre et un évier d’une part, le foyer, la réserve à com- bustible et une table fixe, d’autre part. Le mur extérieur de la cuisine est percé d’orifices d’éclairement et de ventilation, ouvrant sur une barza, laquelle est limitée latéralement par le corps de cheminée et par le prolongement du mur mitoyen. Cette barza, qui prolonge l’espace utile de la cuisine, donne accès aux sanitaires (W.C.-douche) dont les canalisations se combinent avec celles de l’évier. La juxtaposition symétrique des maisons T. 18 permet de coupler, d’une part, les corps de cheminée et, de l’autre, les points d’eau et installations sanitaires. Ajoutons que la construction des corps de cheminée en dehors du volume de la maison offre un avantage appréciable : le passage du conduit de cheminée se situe non au travers de la toiture, mais en bordure de celle-ci. Les dispositions du plan de l’étage sont relativement souples. Les dimensions des locaux, la position de l’escalier, l’emplacement des baies sont tels qu’il est possible de subdiviser la superficie de diverses manières. On peut donc avoir à volonté deux grandes chambres, une grande et deux petites, ou encore quatre petites chambres, celle des parents étant de préférence disposée vers l’avant. Les deux petites façades de la maison T. 18 apparaissent d’une correcte simplicité. Elles sont manifestement conçues comme parties d’un ensemble d’au moins quatre unités (...). La juxtaposition de 6 à 8 maisons T. 18 offre un volume plaisant, bien proportionné. Pour la plupart des maisons de ce type construites jusqu’à ce jour, on a utilisé le bloc de béton et la plaque d’asbeste-ciment. Le hourdis de l’étage est généralement constitué d’une dalle de béton armé. Linteaux en béton armé préfabriqués. Châssis métalliques, portes en bois ou en tôle profilée. L’escalier en bois s’est révélé préférable à l›usage.” 162  De Boisseson, Jean Baptiste, and Robert Yves. Le “modernisme tropical” : essai de définition : regard croisé entre Congo Belge et Brésil, Université libre de Bruxelles, 2016, p.88

66

Extrait de : LEJEUNE DE SCHIERVEL Xavier. Les Nouvelles Cités Congolaises. I, L’Architecture et le logement. In : Mémoires de L’Académie royale des Sciences Sociales, (Classe des Sciences et Techniques. Tome IV. Fasc 3 et dernier, 1. 1956. p. 95-96-97

Cet extrait témoigne de la rationalisation ainsi que la standardisation poussée des logements, qui admettent une certaine flexibilité.162


Elévation façade principale A’ Barza

WC/Douche

Cuisine

Salle de Séjour

Rez-de-chaussée A

A’

Chambre 1

Chambre 2

Chambre Parentale Chambre 3

R+1 A

Elévation façade arrière

Plan, coupes, façades redessinée sur base des documents du Rapport O.C.A 1954, annexes p.11-12

67


68


Documents originaux du Rapport Rapport O.C.A 1954, annexes p.11-12, Archives Africaines de Bruxelles

69


Densité bâtie - Cité Pierre Wigny, 1957 :

Densité bâtie - Commune de Matete 2020 :

70


2. Etude de terrain au coeur de la Cité Planifiée P.Wigny, actuelle commune de Matete

70 ans plus tard.. Dans ce chapitre, après nous être intéressés à la Matetoise, ainsi qu’à l’îlot étudié dans son ensemble. Nous étudierons le cas des vingt parcelles d’habitations observées durant le voyage d’étude.

71


2.1 Terrain : Choix et délimitation de la zone de travail Dans le cadre de mes recherches sur terrain, j’ai fait le choix, de porter mon attention sur un îlot préalablement sélectionné, grâce aux vues aériennes qu’offrent Qgis ou Google Maps. La particularité de la commune de Matete est qu’il possède le troisième plus grand marché de la ville, ce qui lui confère une certaine force de caractère, de par l’importance des flux de population qui y transitent chaque jour. Le marché est dense, on y vend de tout et à des endroits bien précis ; des tissus aux vêtements de seconde main, des bijoux, aux produits frais (poissons, viandes, fruits et légumes), jusqu’aux plats déjà cuisinés, etc… Un autre marché, dédié à la quincaillerie s’est installé non loin, à la place de ce qui, à l’époque coloniale, était un parking programmé, maintenant obsolète, reconverti par la population au fil des années. A l’époque coloniale, la cité fut divisée en plusieurs localités dont les noms ont été conservés. L’îlot sélectionné se trouve dans la localité du nom d’Anunga. Il se situe au croisement de deux rues animées à tendance commerciale, mais aussi de deux autres rues, à caractère plus calme et plus résidentiel. Comme énoncé précédemment, j’ai choisi cet endroit pour sa diversité programmatique. La proximité qu’a cet îlot avec l’axe viaire principal du quartier ainsi qu’avec le marché de quincaillerie, a eu un impact important sur les transformations faites dans les parcelles d’habitations. On remarque que le long de l’axe viaire secondaire (18m de large, dont 8 m carrossables), les habitants des maisons attenantes ont pratiquement tous construit une annexe à rue faisant partie intégrante de leur parcelle. Cette voirie commerçante est très animée ; on y vend de tout. Des coiffeurs, électriciens, petites restaurations, vendeuses de tissus, s’y sont installés. Tantôt, les locaux sont loués par les propriétaires des parcelles, tantôt, les propriétaires en font leur business. La maison numéro 20, par exemple, est une parcelle reconvertie en véritable usine de Chikwangue163par Papa André et alimente d’ailleurs, d’après ses dires, « une bonne partie du quartier ». De grands arbres datant de l’époque coloniale, abritent diverses petites terrasses et vendeurs. L’axe de voirie parallèle, moins large (6m), est plus calme. Quelques aubettes et kiosques sont installés directement dans la rue et vendent des produits tels que des mouchoirs, bonbons, poissons frits ou bien quelques services, comme la couture (ex: Maison 01 - Ginette). Seules quelques motos-taxi, slaloment avec adresse entre les passants. L’îlot est traversé en son milieu par une venelle qui permettait autrefois d’accéder au réseau d’égouts souterrains, maintenant complètement bouché. La baisse notoire du niveau de sécurité dans le quartier, l’augmentation de sa densité de population et de la pauvreté ont poussé les habitants à se calfeutrer en construisant de hauts murs (2,5 m en moyenne), afin de se protéger de menaces extérieures. Cette situation a permis aux kulunas, autres petits malfaiteurs et fumeurs de cannabis d’y trouver refuge, loin des regards. 163  Barre en pâte de manioc, emballé dans des feuilles. 72


TUDE

ZONE D’É

AXE VIAIRE COMMERCIAL PRINCIPAL DE MATETE

AXES DE

ONDAIRE

VOIRIE SEC

SSABLES

NON-CARRO

CAILLERIE

L DE MATETE

L PRINCIPA

COMMERCIA

MARCHÉ QUIN

AXE VIAIRE

VENELLE

ROSSABLE

AIRE CAR

RIE SECOND

AXE DE VOI

2.2 La population L’îlot sur lequel j’effectue mes recherches est une zone que l’on peut définir comme résidentielle, à tendance commerciale. La plupart des propriétaires que je rencontre, sont arrivés quelques dizaines d’années auparavant, avec leurs parents. Les locataires sont, quant à eux, dans leur grande majorité, issus des milieux ruraux ou bien d’autres communes de la ville. Si la majeure partie des habitants se trouve dans des situations économiques précaires, les conditions de vie varient parfois fortement d’une parcelle à l’autre. En effet, certains habitants louent des annexes ou travaillent (ex: aide ménagère, gardien), ce qui leur confère et une certaine “stabilité” en terme de revenus économiques et leur permet d’épargner. D’autres, et en particulier pour certains commerçants, les revenus sont plus instables et varient en fonction des jours. 73


74


2.3 RĂŠcits des espaces habitĂŠs 75


Rue

Espace de vente

76

SĂŠjour

Annexe & espace de cuisine

Sanitaires

Venelle


Ginette

1

Lors de ma première descente sur terrain, je fais la connaissance de Ginette la Couturière, elle vit ici avec sa maman. Sa famille y vit depuis 1954. Les deux femmes sont très accueillantes et heureuses de faire notre connaissance. À l’avant de la maison, une petite table sur laquelle se trouve une ancienne machine à coudre Singer, constitue l’atelier de Ginette et donne directement sur la rue. Un petit étalage de friandises, s’y trouve aussi. Une taule a aussi été ajoutée pour la protéger du soleil durant ses longues journées de travail. C’est sa Maman qui nous fera visiter l’intérieur, Ginette a du travail. L’intérieur est sombre, les murs ont été noircis par le temps, il n’y a pas d’électricité pour le moment. Je remarque que le mur qui séparait anciennement la cuisine du salon a été supprimé, de même que l’ancienne douche/toilette. L’espace de vie, devenu presque spacieux, reste cependant assez encombré, étant donné qu’il n’y a aucun rangement. Dans la cuisine, une petite taque de cuisson peine à se faire de la place. A l’arrière de la parcelle, une annexe a été construite, je comprends qu’il s’agit d’une pièce à vivre pour un autre membre de la famille, mais nous ne pourrons pas entrer. Enfin, tout au fond de la parcelle, se trouvent les toilettes et la douche. Deux espaces distincts, reliés à une fosse septique. Autour, des seaux, casseroles et détritus jonchent le sol. Sur les hauts murs qui entourent la maison, des tessons de verre protègent les deux femmes des voleurs qui sévissent la nuit dans le quartier.

77


Venelle

Annexe

78

Cour

Maison principale

Espace de vente

Rue


Famille ONEMA

2

Accompagnée de mon acolyte et traductrice, Joëlle, je continue ma route. Nous tombons rapidement sur deux jeunes garçons, qui après avoir écouté la raison de notre venue, nous autorisent l’accès à la parcelle, qu’ils semblent presque protéger. Nous entrons, une jeune fille est occupée à nettoyer le linge familial dans la cour, elle part chercher son père. Il nous informe qu’il est locataire ici et que sa maison se trouve dans l’annexe. Il y vit avec sa femme et ses cinq enfants. Les propriétaires eux, vivent dans la maison principale, mais sont absents. L’entrée de l’annexe donne sur un espace couvert assez spacieux dans lequel la mère se prélasse, en attendant que le repas soit prêt. En entrant nous découvrons un grand salon, avec des grands canapés et une grande télé. Une petite cuisine, dans laquelle s’amasse un tas d’affaires y est accolée et donne sur le porche d’entrée. Là aussi, une petite taque électrique se bat encore pour sa place. Enfin, derrière un lourd rideau, un petit couloir dessert les chambres et la salle de bain. Cependant, je ne compte que deux chambres, le père m’explique alors que les cinq enfants ( dont deux adolescentes ) dorment ensemble dans un même lit de 1m40.

79


80


Famille WOTUADI

3

Nous nous trouvons maintenant du côté commercial de l’îlot, à l’entrée du quartier. Il m’est difficile de visualiser l’emplacement de l’ancienne maison coloniale, tant la transformation a été radicale. Une jeune fille tient un étal de boissons sucrées à l’avant de la maison, nous lui expliquons notre travail. Malheureusement l’entrée nous sera interdite, puisqu’il semblerait que nous serions très mal accueillies par la grand-mère qui y vit. Malgré tout, très vite au cours de la discussion, son frère, Pierre, arrive et nous explique que c’est lui qui a effectué les modifications en 2012 et qu’il a pu faire cela lui-même étant donné qu’il est contremaître. Aujourd’hui, la maison permet de loger en plus de dix membres de sa famille, deux autres familles qui comptent chacune respectivement, quatre et cinq personnes. Ces locations, lui assurent une bonne rentrée d’argent, en plus du petit commerce de boissons. Les barreaux aux fenêtres des maisons, sont utilisés de manière très récurrente dans les habitations et deviennent même une caractéristique notoire de l’architecture post-coloniale. On constate dans ce cas-ci, que Pierre a choisi, en plus d’une couleur spécifique de façade, des barreaux plus travaillés ( certainement plus chers ), qui permettent d’une certaine manière d’embellir sa maison et de la

81


Sanitaires

Venelle

82

Cour

Maison principale

Espace de vente

Rue


Famille MUZINGA

4

Non loin de la maison n°3, une parcelle dont l’ancienne maison est à nouveau complètement méconnaissable. Une dame à l’entrée, nous conduit à l’arrière de la parcelle par le biais d’un minuscule couloir extérieur, enclavé entre de hauts murs. Une fois arrivées à l’arrière de la maison, deux grands-mères, nous cèdent leur siège et nous informent que la propriétaire va arriver. La maison a connu une multitude de transformations, mais malgré tout, la cour arrière a été conservée ; je suis même étonnée d’y voir deux arbres. La parcelle est habitée par la famille Muzinga depuis 1954, date à laquelle ses parents sont arrivés. Très vite après l’indépendance, la famille s’est agrandie et la maison a dû être modifiée en conséquence, étant donné qu’ils étaient bientôt dix enfants. Plus tard en 2012, l’une des filles de cette même dame décide de rajouter une extension à l’étage de la maison, pour que la famille puisse louer le rezde-chaussée. Une maison de commerce sera aussi construite à l’avant de la maison et permettra une rentrée d’argent ( 60 $ ). Les sanitaires collectifs sont, comme toujours, situés au fond de la parcelle et servent à l’ensemble des habitants de la maison. L’essentiel de la cuisine, ainsi que le linge se font dans la cour. D’ailleurs, au fur et à mesure que j’avance dans ces visites, je remarque que l’espace extérieur est certainement le plus important et utilisé de la maison. L’entièreté de la maison, semble être une pièce dans laquelle on ne s’attarde que la nuit, pour y dormir.

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Rue 84

Porche d’entrÊe Couvert

Maison principale

Annexe

Sanitaires

Venelle


Frères MUKANDILWA

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Une dame est assise sous le porche de l’entrée principale. Elle vit ici avec sa famille, et nous informe que deux jeunes hommes vivent à l’arrière de la parcelle. Elle nous permet d’entrer et me prête ses claquettes, pour que je ne salisse pas son intérieur. En traversant la maison, je découvre un endroit sombre, il semblerait qu’une extension ait été faite. Le rez-de-chaussée compte alors deux salons, avec un minuscule espace réservé à la cuisine. Les claustras ont été enlevés, ce qui en plus de rendre la pièce sombre, ne permet pas sa bonne aération. A l’arrière donc, une petite porte donne sur l’arrière de la parcelle. Un jeune homme est en train de faire du feu pour son poisson. Bientôt, un autre entre par la porte arrière de la parcelle, accompagné d’un petit garçon. Les deux jeunes hommes sont frères, ils sont venus vivre ici pour étudier. L’un en droit, l’autre en informatique. Le petit, c’est Didier, le fils de Stéphane (gauche). Ils louent cette annexe de 12m2 pour 50 $ par mois. À l’intérieur, un petit espace est prévu pour le salon, et la playstation. Un autre espace est prévu pour déplier le lit qu’ils partagent, « difficile d’avoir une vie privée et intime», me font-ils remarquer. Je m’intéresse alors de savoir comment se passe la «collocation», avec la famille. Puisqu’en effet, une cohabitation de ce type suggère qu’il faille toujours traverser la maison principale pour accéder à leur annexe. Ici, les frères ont fait le choix de prendre la porte arrière comme entrée, en dépit du fait que les venelles soit difficiles et dangereuses d’accès, une fois la nuit tombée. Ainsi, la relation avec leurs voisins reste cordiale et chacun conserve son « espace privé ».

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Rue & Espace de vente 86

Patio

Maison principale

Cuisine

Annexe

Sanitaires

Venelle


Famille NTAONGO

6 Nous poussons une porte déjà entrouverte et je découvre un petit espace extérieur, confortable, dans lequel une jeune fille est occupée à coiffer une maman, tandis qu’une autre est affairée à nettoyer le linge. L’une d’entre elles nous invite à nous asseoir, et je laisse le soin, à mon acolyte, d’expliquer la raison de notre venue. Comme je l’ai déjà énoncé précédemment, pour la plupart des personnes que nous avons rencontrées, il était souvent mieux de nous exprimer en Lingala. Mon français trop rapidement parlé, n’était souvent pas/mal compris par les habitants, et donc mal interprété, ce qui pouvait entraîner une certaine méfiance envers ma personne. Une fois les présentations faites, la maman nous permet d’entrer. Elle loue la maison, et vit ici avec sa fille et ses deux jeunes garçons. Les modifications opérées sur l’ancienne maison, ont encore une fois été celles de la destruction du mur qui séparait la cuisine du salon, ainsi que celle de l’ancienne douche/toilettes. Cependant, dans le cas présent, la cuisine a été entièrement déplacée à l’extérieur de la maison, l’espace ainsi dégagé a permis d’y mettre une salle à manger. De même que la peinture a été refaite, ce qui éclaircit, rajeunit et égaye la pièce. La Mama nous explique que le propriétaire a initialement voulu ajouter un étage, mais qu’il s’est effondré. La dalle restante, a permis d’abriter la cuisine en extérieur. Je constate notamment la présence d’une petite annexe, suffisamment grande pour y mettre un lit superposé où dorment ses deux fils. L’espace restant, en fond de parcelle dans lequel il faut se frayer un chemin pour passer entre les vêtements, est à nouveau réservé aux sanitaires. À l’avant de la maison, un petit kiosque lui permet notamment de vendre du poisson séché, « Ce n’est pas grand chose, mais cela me permet de payer nos trajets de bus », nous explique-t-elle. 87


Rue

88

Maison principale

Annexe

Annexe

Sanitaires

Venelle


Famille KIMWANGA

7

Nous nous immisçons à nouveau à travers un portail, dont la porte entrouverte nous invite à entrer. Nous découvrons la présence d’une multitude de personnes sur cette parcelle. D’un côté, des femmes sont occupées à la cuisine. De l’autre côté, des hommes sont assis et discutent de choses et d’autres. Après avoir obtenu l’accord des mamans, je suis entraînée à l’intérieur de la maison principale. Sur le canapé, deux grands-parents sont assis et discutent. Une jeune fille descend les escaliers, elle doit avoir 15 ans. Elle m’emmène à l’étage et me présente sa fille âgée de 2 ans. Deux autres jeunes filles allaitent dans les chambres au 1er étage. Je redescends. Les claustras, ainsi que les accès au fond de la maison ont été condamnés, pour permettre l’ajout des trois annexes, rattachées à la maison principale. Trois familles habitent la parcelle. Je retourne dans la cour principale, et je fais la rencontre d’une dame qui me fait visiter son intérieur. Elle occupe l’une des trois annexes avec ses deux soeurs, et leurs enfants. L’espace intérieur est assez humble, trois pièces de 2, 3 et 6 m2 le constitue. Difficile de s’imaginer sept personnes vivre à l’intérieur. A l’extérieur, il règne malgré tout une bonne ambiance, les familles semblent bien s’entendre. Et c’est peu dire, puisqu’étant donné que les cours, jardins, interstices sont de véritables pièces à vivre, il faut parfois savoir partager avec d’autres personnes, que l’on a pas forcément choisies.

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Annexe

Annexe

Annexe

Annexe

Annexe

Rue

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Maison principale

Sanitaires

Venelle


Papa MATONGA MAWETE

8 C’est une dame sur le point de partir qui nous ouvre la porte. Elle nous conduit tout de même directement au propriétaire des lieux. Papa MATONGA MAWETE, un gentil monsieur, très accueillant qui est arrivé à Matete à l’âge de 1 an. Pour ce faire, son père a dû prendre un crédit en 1963, qu’il a eu fini de rembourser en 1989 en travaillant dans une entreprise de construction. Lorsqu’ils sont arrivés, ils étaient 6 dont 4 enfants. L’Office des Cités africaines leur a donc permis de prendre une grande parcelle. (Les logements situés en bout de bloc d’habitation, ont des parcelles de 7,2 m de large contre 4,2 pour les autres, elles étaient réservées aux familles nombreuses) En 1967, ils démarrent les premiers travaux de la parcelle, afin de pouvoir louer certaines parties de leur maison. Aujourd’hui, la parcelle est très densément peuplée et compte 6 familles différentes, avec une moyenne de 21 personnes. Je suis étonnée de voir que le propriétaire lui-même, est contraint de vivre dans l’une des minuscules annexes, qu’il peine d’ailleurs à m’ouvrir pour me montrer. L’espace extérieur est très encombré et un amoncellement d’objets, de détritus non identifiés grappille beaucoup d’espace libre dans la parcelle. Il faut savoir qu’à Matete, comme à Kinshasa, la gestion des déchets est quasi inexistante. Ils sont très présents dans la ville et se retrouvent aussi souvent dans les parcelles. J’aperçois quelques fois dans le quartier, des hommes vêtus de la tête aux pieds, se baladant avec des chariots remplis de déchets, qu’ils viennent récupérer chez les habitants. Mais cela à un coût, et tout le monde ne peut pas se le permettre, alors on stocke.

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Rue 92

Porche d’entrÊe Couvert

Maison principale

Cuisine

Annexe

Sanitaires

Venelle


Papa KABONGO

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Peut-être la rencontre la plus incongrue, depuis le début de mes recherches. Papa KABONGO, le propriétaire, nous accueille à bras ouverts dans sa maison. Je constate que la maison a été quelque peu transformée. Il m’explique alors que son fils est architecte et qu’il a construit ces annexes, il y a de ça dix ans déjà. A l’avant de la maison, l’espace est clôturé, mais donne tout de même sur la rue, une simple tôle le recouvre. La pièce principale est composée d’un vaste salon et d’une salle à manger, la cuisine a été déplacée dans une annexe attenante à la salle à manger. À l’extérieur, se trouve aussi sa chambre qu’il s’empresse de fermer. Au fond de la parcelle, les sanitaires et une cage dans laquelle un chien hargneux tente rageusement et par tous les moyens de s’ échapper. Je me permets ici de préciser, qu’il a réussi et que j’ai eu très peur. Il faut savoir qu’ici, les chiens sont souvent utilisés comme gardiens des parcelles, attachés pendant la journée, ils y sont lâchés la nuit. Une fois revenue à l’intérieur je demande au Papa, si je peux visiter l’étage. Son regard se fige, je comprends qu’il ne préfère pas. Je demande alors combien d’enfants se trouvent à l’étage, il ne sait pas. Mais moi, je tablerais sur une dizaine, minimum. Pour ceux qui se trouvent en bas, certains sont de lui, d’autres non..

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Rue & Espace de vente 94

Stockage Charbon

Maison principale

Cuisine

Annexe

Sanitaires Venelle


Famille NSINGI

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A l’avant de la maison, une maman est occupée à remplir des sacs de charbon. Elle nous dévisage quelque peu, lorsque nous nous approchons d’elle. Heureusement non loin, se trouve la maman de Ginette la Couturière, qui nous voyant arriver, décide de nous rejoindre, afin de rassurer sa voisine et amie en expliquant elle-même la raison de notre venue. (Ginette la couturière et sa Maman font partie des habitants que nous passons saluer à chaque descente sur le terrain.) Le visage de la dame se décrispe et laisse place à un sourire, elle nous fait entrer. L’espace à l’avant de la maison est clos et permet de stocker le charbon, qui sera ensuite revendu aux habitants du quartier, sur un petit étalage en bois disposé à l’extérieur. Son fils arrive à son tour, et nous fait entrer à l’intérieur de la maison. La pièce est défraîchie, tout est d’origine mais, à nouveau, le mur a été supprimé et les douches/toilettes, déplacés au fond de la parcelle. La cuisine a notamment été mise dans une annexe, à l’arrière de la maison. Annexe, dans laquelle se trouve notamment un logement, pour une mère et ses deux filles. La dame qui s’y trouve, restera très méfiante envers nous. Nous ne discuterons pas. La famille des propriétaires elle, est arrivée en 1957, avec cinq enfants. Aujourd’hui, le père est décédé et le propriétaire (son fils) vit ici, avec sa sœur et sa mère.

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Venelle

Sanitaires

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Annexe

Annexe

Maison principale

Cuisine Bureau ONG

Rue


Famille DIANA

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Nous nous glissons à travers un couloir étroit, et retrouvons deux mamans assises dans la cour intérieure. Il semblerait que nous venons égayer leur après-midi. Elles nous font asseoir et nous leur expliquons la raison de notre venue. Très vite, l’une d’entre elle nous fait visiter leur intérieur. Elles sont fières de cette maison, c’est un ingénieur, ami de la famille qui s’est occupé des modifications. En effet, la maison a été intelligemment transformée. Le système d’entrée modifié, permet aux habitants de l’annexe de ne pas traverser la maison des propriétaires pour rentrer chez eux. L’espace perdu, est récupéré à l’arrière, avec le déplacement de l’escalier qui permet notamment, de mieux diviser l’espace des chambres et d’obtenir trois espaces intimes suffisamment grands pour y mettre un lit. Malgré tout, je remarque que la maman a beaucoup de difficultés à se déplacer, ainsi qu’à monter les escaliers qui ne sont pas adaptés à sa condition physique. À l’avant de la maison, une annexe dont une partie sert à la cuisine, permet de libérer de l’espace rez-de-chaussée de la maison principale et donne sur la cour intérieure dans laquelle nous discutons. L’autre donne sur la rue et abrite le bureau de l’ONG que préside l’un des enfants de la propriétaire. A l’arrière, une femme est occupée à cuisiner dans l’interstice, espace extérieur restant. Une autre nettoie son linge, près des sanitaires. La cohabitation semble se faire dans la bonne humeur, elles m’expliquent qu’il y a beaucoup d’entraide au sein de leur parcelle, mais que les conditions de vie y sont dures.

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Venelle

Sanitaires 98

Annexe

Maison principale

Rangement Magasin

Rue & Espace de vente


Famille TINYO

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Lorsque nous sortons de la parcelle de la famille DIANA, sur le trottoir, nous faisons la rencontre de l’O.D.I, qui n’est autre que «l’ordre des discussions inutiles» : une poignée d’hommes, qui discutent assis toute la journée autour d’un arbre. Certains d’entres eux sont habitants des maisons avoisinantes, et n’ont pas de travail. D’autres tiennent le commerce et vivent dans les maisons d’à côté. Chaleureusement accueillies par cet ordre prestigieux, nous resterons près de deux heures, assises à discuter avec eux de divers sujets comme celui la situation des “sauts de moutons du président”, ou celui du pouvoir d’achat des Kinois. Sous cet arbre, se tient aussi la Maman de l’un de ces hommes, qui y tient sa boutique de tissus. Elle, ainsi que son fils, éminent membre actif de l’O.D.I, nous permettent d’entrer dans leur parcelle. Une jeune fille nous accueille, elle ne semble pas très intéressée par notre travail, restée assise dans son canapé, elle nous laisse nous balader à l’intérieur . Les modifications apportées sont assez rudimentaires. La famille n’a pas les moyens nécessaires pour y ajouter une annexe, afin d’y loger une autre famille. Malgré tout, une petite annexe a été construite et permet de stocker des affaires, ce qui libère de la place dans le salon, le rendant plus spacieux. Une véranda, faite de tôle permet notamment d’avoir un espace de cuisine protégé, en cas de pluie, ou de repos lors des fortes chaleurs.

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Maison principale

Cuisine

Sanitaires

Venelle

Annexe

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Annexe

Annexe


Familles LOLA - SOLANGE - NZITA 13 La parcelle de ces trois familles se trouve au coin de l’îlot ; elle est immense. En effet, il semblerait qu’après l’indépendance, certains propriétaires aient pris la liberté d’agrandir leur parcelle, en s’appropriant un bout de l’espace public, lorsqu’ils le pouvaient. Comme par exemple, les parcelles situées du côté commercial, ont toutes 3m en plus de ce qui était défini à l’origine. Dans ce cas-ci, j’apprendrai, plus tard, que si l’implantation de l’annexe a été faite de telle sorte, c’est pour que si les autorités viennent lui reprendre l’espace, qu’il s’est approprié ; elles ne rasent pas tout ce qu’il a construit. Lorsque nous entrons dans la parcelle, au niveau de l’annexe, nous tombons sur une maman assise sur les marches de sa porte d’entrée. Le regard méfiant, elle nous demande la raison de notre venue. D’autres femmes, dans les deux derniers logements pointent le bout de leur nez, elles aussi, le regard méfiant. Joëlle m’explique alors, que les mamans ne me font pas confiance parce que je suis blanche, et que je suis sûrement venue ici pour racheter une parcelle de terrain. Je décide alors de les convaincre et cela me prendra près de trente éprouvantes minutes. Malgré tout, je trouve leur réaction légitime, et suis même étonnée de ne pas avoir rencontré ce problème plus tôt. Une fois que les mamans me font enfin confiance, je découvre le premier logement, au fond de la parcelle, celui de la famille NZITA. Une famille de cinq personnes, dont un enfant. Il y a une pièce principale qui comprend un petit canapé, puis deux chambres séparées. Je remarque cependant pour la première fois, que la maman fait cuire sa nourriture à l’intérieur de la maison. Elle m’explique, que son logement est placé trop près des sanitaires, et qu’il n’est pas possible pour eux de rester dehors. Pour la première fois aussi je constate, que les claustras généralement utilisés et empruntés aux anciennes maisons coloniales, n’ont pas été mis lors de la construction des annexes. Il fait extrêmement chaud et l’air ne passe pas. Je ferai le même constat, dans les deux autres logements. Les familles sont contraintes de dormir, les portes ouvertes, ce qui malgré les dispositifs de protection mis en place (hauts murs, barbelés), ne garantit pas la sécurité des familles à 100%. Il faut notamment savoir que dans la ville et tout particulièrement à Matete, le banditisme est important, lorsque la nuit tombe. Pour finir, je ne visiterai pas la maison principale dans laquelle vivent les propriétaires, absents pour le moment. 101


Venelle Sanitaires 102

Annexe

Maison principale

Annexe Annexe

Rue


Famille NANGA

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Arrivée devant un portail fermé, deux jeunes hommes installés à l’entrée, nous informent que le propriétaire est à l’intérieur, et nous laissent entrer. C’est un monsieur au regard dur, froid et désapprobateur qui s’alourdit au fur et à mesure nous nous approchons de lui. J’ai un peu peur. Très vite ma collaboratrice pleine d’assurance, engage la discussion, et très vite aussi son visage se détend pour laisser place à un énorme sourire. Sa femme arrive, accompagnée de sa petite-fille. Malheureusement pour moi à nouveau, je ne pourrai suivre la discussion qui se tiendra en Lingala. Je m’attaque donc à mes relevés tandis que Joëlle, discute avec papa Théophile. Cette parcelle, il y vit depuis 1987. Il est arrivé avec ses 6 enfants. A ce moment, il n’existait que la maison principale, le souci étant qu’il n’y avait pas assez de place pour tous ses enfants et que son salaire ne lui permettait pas de payer la construction d’une annexe. Trois ans plus tard, après avoir suffisamment épargné, il construit l’annexe pour ses fils, en gardant à l’esprit qu’il pourra un jour les louer, lorsqu’ils partiront. Ce qui est chose faite, aujourd’hui papa Théophile, loue deux de ses annexes, ainsi que la maison principale à deux familles. Nostalgique des temps passés, il souligne qu’avant «c’était mieux», car l’électricité fonctionnait, et qu’il n’y avait pas autant d’insécurité dans le quartier et dans la ville.

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Venelle

Sanitaires 104

Annexe

Maison principale

Magasin

Rue


Famille LEDI

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Arrivées face à un étal, nous faisons la rencontre d’une jeune homme, qui nous autorise à pénétrer dans la parcelle.Il nous explique que son oncle, en est le propriétaire. Il l’appelle. Un petit monsieur apparait et se met à sourire lorsque, je lui demande s’il accepte de me raconter son enfance à Matete. Je laisse le soin à Joëlle de s’occuper de cela, tandis que je m’attaque à la visite de l’intérieur de la maison. La maison principale, est à nouveau pratiquement inchangée. A l’avant, comme toutes les autres qui longent l’axe commercial, une petite maison de commerce a été construite, en s’octroyant 3 m de terrain en plus que ce qui était établi à l’origine. Une appropriation illégale de l’espace, qui permet aux familles propriétaires, un revenu essentiel. Dans ce cas ci, la location est faite à des membres de la famille, le loyer est donc moins élevé (40$/ mois), comparé à d’autres maisons qui peuvent valoir jusqu’à 70$. La maison principale n’a, quant à elle, pas connu de transformation spécifique. Je note cependant que les claustras ont été bouchés, sans raison apparente . Je n’ obtiendrai pas d’explications. A l’arrière de la maison, à nouveau, une annexe permet de loger une famille de cinq personnes. Quelques chiots se baladent, leur peau est rongée par une maladie, on me prévient/signale que leur mère est « partie se promener »; je suis rassurée. L’interstice laissé par les annexes devient l’espace de cuisine, dans lequel je tente de ne pas renverser de casserole. Au fond, là où se trouvent les sanitaires, une maman est occupée à nettoyer le linge familial. Je remarque à nouveau que les claustras de son annexe sont bouchés. Quand je lui demande quelle en est la raison, elle m’explique que c’est à cet endroit, qu’elle range ses sachets. Étonnée, je tente de lui expliquer que cela est dommage, puisque c’est grâce à eux que l’air peut rentrer dans sa maison et l’aider à la rafraîchir durant la nuit. Mais je ne pense pas avoir été très persuasive. 105


Rue

Espace de vente

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Maison principale

Cuisine

Annexe Annexe Annexe

Sanitaires

Venelle


Famille LUNGA 16 Peut-être la visite la plus éprouvante, qu’il me sera donné de faire durant cette étude de terrain. Une maman devant la porte d’entrée de la maison, nous accueille. Très vite exaspérée par notre discours, elle décide de chercher la propriétaire de la maison. Une maman âgée arrive alors, et donne l’accès à sa propriété. Il semble qu’ il y a avoir beaucoup de monde dans cette maison ; les gens vont et viennent; les enfants courent dans les sens. Joelle tente de me traduire, au fur et à mesure que nous avançons. Le mari de cette dame est mort en 2011, mais elle n’a pas réussi à obtenir son « dernier salaire », qui lui aurait permi de rénover une partie de sa maison, actuellement en mauvais état. L’intérieur est triste, noirci par le temps et la saleté. A l’extérieur, l’espace résiduel sert de cuisine, et comme toujours, de la nourriture est en train de cuire sur le feu. L’ annexe extérieure permet de loger ses trois fils, ainsi que leurs enfants. J’aperçois une énorme fissure dans le mur porteur du fond, une partie semble sur le point de s’éffrondrer. La fosse septique est à ciel ouvert, une planche de bois permet de la traverser pour atteindre les toilettes et l’espace de douche. Il faut savoir qu’à l’arrière des parcelles, se trouve toujours une porte fermée. Souvent fermée à double tour, étant donné qu’elle donne sur les venelles qui sont le terrain de jeu des kulunas et des bandits du quartier. Comme je l’ai énoncé dans l’introduction, les récentes transformations, leur permettent d’être à la fois cachés de la rue et connectés avec les maisons dont les portes restent ouvertes Dans ce cas-ci, la porte est ouverte et trois jeunes gens, se trouvent dans la venelle occupés à fumer. Ils me dévisagent quelque peu, mais je reste cool. La maman m’explique ensuite qu’ils sont en réalité, vingt-sept à vivre dans cette maison. Les calculs faits, je comprends donc que 22 personnes dorment à l’étage, dans 18m2. Cette visite n’est pas évidente, puisque cette maman souhaitait que je l’aide à rénover sa maison. Il est donc toujours très important pour moi, de bien spécifier que je suis encore étudiante et d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un travail de fin d’étude lorsque je me présente.

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Rue

Patio 108

Maison principale

Cuisine

Cour

Sanitaires

Venelle


Famille KISUKITO

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La famille KISUKITO, est la famille voisine de la précédente. « KO KO KO», nous toquons à la porte d’entrée, un adolescent nous ouvre et part chercher sa maman. Une femme souriante nous ouvre et nous fait nous asseoir. L’entrée de la maison , donne sur un petit espace confortable coupé de la rue. L’intérieur de la maison est commode. L’escalier a été déplacé ce qui transforme l’espace intérieur en le rendant plus spacieux. La famille vit ici avec ses quatre enfants, depuis maintenant treize ans. Les deux parents subviennent à leurs besoins en faisant du « commerce », la mère étudie encore en parallèle. La maison était en très mauvais état lorsqu’ils sont arrivés. Contraints de faire quelques travaux d’aménagements, la cuisine, initialement prévue à l’intérieur a été déplacée à l’extérieur. Une petite annexe, faite par leurs soins de lattes en bois couvert par de la tôle, a permis l’obtention d’un espace couvert et aéré pour la cuisine. Cependant, cette modification leur permettant d’augmenter la qualité de leur cadre de vie, leur a aussi valu une augmentation du prix de leur loyer ; bien que les travaux aient été à leurs frais. Voilà un propriétaire qui ne rate pas une occasion. A l’arrière de la parcelle, un chien à l’œil torve me guette, je n’avancerai pas ; même si on m’assure à nouveau qu’il est très bien attaché, je ne me ferai pas avoir une deuxième fois! Cette parcelle est assez spécifique, puisque les propriétaires possèdent en réalité deux. Le mur de séparation, est inexistant la cour est donc collective. Cependant, la maman nous informe, que les voisins sont sur le point d’être mis à la porte, pour des raisons qui m’échappent. Je ne toquerai donc pas à leur porte. 109


Annexe

Venelle

Sanitaires 110

Annexe

Stockage

Annexe

Maison principale

Magasin

Magasin

Rue


Famille NSUKISALUKAYA

18 La parcelle de la famille de la Famille NSUKISALUKAYA, est la deuxième plus grande parcelle, située au coin de l’îlot, elle déroge elle aussi, fortement aux limites initialement établies. Il y a beaucoup d’agitation devant cette maison. Une maman âgée, est assise et garde, d’une main de fer, l’entrée de son domaine. Joëlle et moi nous accroupissons à ses côtés. Joëlle prend la parole doucement, et très calmement. Après quelque échanges en Lingala, elle me fait signe de commencer mes relevés. Je m’exécute. Sur mon chemin, je croise une dame à laquelle je souhaite également expliquer la raison de ma venue. Elle m’explique qu’elle me connaît, et que je peux travailler tranquillement. Chouette. Une autre dame présente s’en va chercher un «papa qui saura mieux répondre à mes questions». Questions, que je n’ai pas encore posées. Chouette. L’homme est le propriétaire de la maison, depuis le décès de son père. Il se souvient lorsqu’il était petit et que les barrières n’ existaient pas, qu’il courait de jardin en jardin pour aller jouer au foot près du marché avec ses copains. Maintenant « tout est différent, il faut être prudent, les temps sont durs », me dit-il. Il m’explique que l’annexe, ainsi que la maison de commerce, ont été construites par son père, pour subvenir aux besoins de la famille. L’ espace résiduel, pour le moins important, est un espace réservé à son garage, puisqu’il est mécanicien. Intriguée, je demande enfin au Papa pourquoi une aussi grande parcelle, ne possède pas d’arbres. Il m’explique, que les arbres ont existé à cet endroit, mais que certaines croyances affirment que les arbres sont des objets de culte, pour les sorciers une fois la nuit venue. Des croyances qui ont poussé son père, ainsi que d’autres habitants du quartier, à couper leur arbres, par peur de la sorcellerie. Je remarque qu’à l’avant de la façade, des claustras ont été ajoutés. La raison est qu’il trouvait que la hauteur des claustras existants ne rafraîchissent pas suffisamment les chambres. Il a donc décidé d’en rajouter. C’est la première intervention de ce type que je constate depuis le début de mes recherches.

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Venelle Sanitaires

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Annexe

Annexe

Maison principale

Espace de Stockage

Rue


Famille LUSANGA

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La famille LUSANGA, occupe une maison le long de l’axe commercial de l’îlot. L’un des enfants de la famille tient une boutique aux allures de supermarché à l’avant de celle-ci. Nous sommes entraînées à l’intérieur de la parcelle. Un espace couvert extérieur sert d’espace de stockage, pour le magasin. Une autre petite annexe couverte a été construite et est aussi prévue à cet effet. La maison principale n’a pas été plus modifiée que les précédentes maisons visitées, simplement là encore, les claustras se retrouvent bouchés, et la peinture des murs est défraîchie. Je n’aurai à nouveau pas de raison évidente à ce détail. A l’arrière de la maison, une annexe permet de loger deux familles, l’une de quatre personnes, et l’autre de trois personnes. Au fond de la parcelle, je constate que la dalle de la fosse septique est relevée, les résidents m’expliquent, qu’ils n’ont pas les moyens de la faire réparer. La vie sur la parcelle devient donc difficile en cas de forte chaleur, où l’air est difficilement respirable.

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Espace de Stockage

Venelle Sanitaires

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Espace de production

Maison principale

Magasin

Rue & Espace de vente


Papa ANDRÉ

20 La parcelle de Papa André se situe sur l’axe commercial de l’îlot. Cette parcelle est assez spécifique, puisqu’elle a en réalité été transformée en fabrique de Chikwangue. Le Chikwangue est une pâte à base de manioc, un aliment fortement ancré dans les habitudes alimentaires de la population africaine. Ici, tout, sauf la maison principale, a été réquisitionné pour sa petite entreprise, et cela fait bientôt 20 ans qu’il la tient. A l’intérieur, beaucoup de femmes sont occupées à remplir d’immenses sacs de manioc. D’autres le tamisent, tandis que certaines s’empressent d’emballer les pâtes, dans des feuilles prévues à cet effet. Ma présence affecte quelque peu la productivité ; toutes les personnes présentes sont amusées de me voir les filmer et interroger leur patron. A l’avant de la maison, gérée par des mamans, une petite installation permet de vendre les Chikwangues, lorsqu’ils ne sont pas transportés par des jeunes hommes, et distribués dans le quartier. Sous la véranda, à l’avant de la maison, des jeunes enfants font la sieste, tandis qu’à leur coté les mamans emballent la Chikwangue, avec dextérité. A l’arrière de la parcelle, une annexe est prévue pour le stockage et le séchage. D’ailleurs, en plus de la Chikwangue, une fois par mois, d’immenses camions (dont la largeur bloque la moitié de la rue) rapportent du Bas-Congo de l’huile de Palme dans de grands bidons jaunes, ainsi que du charbon qui seront aussi vendus au quartier, un spectacle pour le moins impressionnant.

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3. L’articulation des espaces et des pratiques domestiques

La résilience de l’écosystème face aux brusques évènements qu’a connu le pays, n’a été possible que par la transformation, et totale l’appropriation de ces espaces de vie. Ainsi, savoir de quelle manière, “... les espaces sont redessinés et habités est la question cruciale ; elle déplace l’analyse par le simple fait d’y inclure également - à côté du moment de la conception, du projet - l’ensemble de la vie d’un bâtiment, de son appropriation dans le temps.”164 Dans ce chapitre, sur base des relevés habités, nous nous intéresserons aux transformations physiques effectuées par les habitants, à travers l’analyse des différentes fonctions et des différents usages de l’espace domestique. Nous étudierons notamment, les relations que ces espaces entretiennent désormais avec l’espace public, avec la rue. Enfin, nous nous intéresserons aux modes de construction utilisés par les habitants, semblables à ceux de l’époque coloniale. On notera, la récurrence de ces faits, pour la totalité des parcelles visitées.

164  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. Quand la vie prend le dessus : les interactions entre l’utopie bâtie et l’habiter. CLARA, vol. 4, no. 1, Éditions de la Faculté d’Architecture La Cambre Horta de l’Université libre de Bruxelles, 2017, p.13 doi:10.3917/clara.004.0009 117


Coupe type dans îlot

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3.1 Des limites : L’introversion Comme énoncé dans la première partie de cette étude, dans les années 50, chaque logement dispose d’un jardin privatif délimité par de petites haies. Certains anciens, racontent d’ailleurs, qu’enfants ils s’amusaient à courir de parcelles en parcelles, pour rejoindre leurs amis. Cela reste cependant difficile à imaginer étant donné qu’aujourd’hui, “...les populations (...) habitent des parcelles closes de murs, de grilles ou de haies, qui à grands prix , préservent des voisins leur espace vital ; (...) Il semblerait dès lors, que par l’usage de barrières protectrices érigées autour de leur propriété (les habitants) ont détruit les relations simples de voisinage”.165 En effet, l’augmentation de la densité de population, la hausse du banditisme, ainsi que la baisse de la régulation de l’état au sein du quartier, ont au fil des années, poussé les habitants à se protéger des diverses menaces extérieures, en se refermant petit à petit complètement sur l’intérieur. Ainsi, les haies qui délimitaient autrefois les espaces privés, se sont aujourd’hui transformées en murs de 2,5 m de hauteur, dont les faces supérieures sont recouvertes de tessons de verres ou de fils barbelés. Ce fait entraîne d’ailleurs, le rétrécissement de la largeur de certaines parcelles, qui peuvent parfois perdre jusqu’à 60 cm. Les fenêtres des maisons sont, quant à elles, pour la totalité des cas observés, pourvues d’un épais grillage. Il semblerait que la “cité idéale”, telle que conçue par les architectes et urbanistes lors de la période coloniale, c’est-à-dire, porteuse d’une certaine unité sociale, soit désormais en proie au phénomène de “fragmentation socio-spatiale” 166 et ce, à l’échelle même du quartier. La pauvreté et l’augmentation de l’insécurité amènent en effet, les habitants à se replier sur eux-mêmes, afin de mettre leurs richesses à l’abri. Filip de Boeck (2006), nous parle d’un phénomène de “bunkerisation” de la ville, dans laquelle les parcelles habitées deviennent petit à petit, des forteresses, toutes ceinturées de murs, qui s’élèvent toujours un peu plus haut après chaque période de trouble. 167 165  Maximy, René de. Kinshasa, ville en suspens-- : dynamique de la croissance et problèmes d’urbanisme : étude socio-politique . Editions de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer. 1984, p.311 166  Défini par Françoise Navez Bouvhanine comme un “... processus de désagrégation ou dés-affiliation collective qui conduirait au regroupement, par assignation ou par action volontaire, d’individus formant de collectivités, de type variable, mais porteuses d’une identité commune reconnue, quelle que soit par ailleurs l’origine de cette dernière – sociale, culturelle, ethnique, religieuse… - dans ces espaces appropriés de manière exclusive, espaces où s’exprimerait dès lors l’absence de référence à la société urbaine comme globalité” Disponible à cette adresse http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-8297.html Consultée le 30 juillet 2020. 167  De Boeck, Filip. La ville de Kinshasa, une architecture du verbe. Esprit. vol. décembre. no. 12, 2006. pp. 79-105. § 19 Disponible à cette adresse : cibleplus.ulb.ac.be/primo-explore/ search?vid=32ULB_VU1&sortby=rank&lang=fr_FR Consultée le 1 août 2020. 121


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3.2 Entre continuité et discontinuité, l’espace public et l’espace privé

Si les limites matérielles qui définissent les espaces privés sont fortes, la relation qu’entretiennent l’espace public et l’espace privé est quant à elle assez ambiguë. En effet, ce que je remarque lors de mes recherches, c’est cette relation d’interdépendance qu’entretiennent la rue et l’espace domestique. L’espace public, la rue, est au centre des dynamiques urbaines.  “L’activité commerciale est l’occupation dominante dans les quartiers populaires. Ces lieux de commerce deviennent de fait des espaces de partage de socialité́ , de convivialité́ et de vie (Leimdorfer, 1999), ainsi la structuration commerciale va des marchés métropolitains, aux étals installés par des habitants devant leur maison, en passant par les marchés de quartier et les commerces de rues. La rue et tous les espaces bénéficiant d’une forte fréquentation deviennent des endroits ciblés par le commerce informel qui prend des proportions démesurées et débordent les prévisions officielles mêmes les plus élastiques.”168 Comme nous l’avons énoncé précédemment, certains propriétaires ont eu, de par la situation de leur parcelle, l’opportunité d’y ajouter une annexe de type commercial à l’avant. Des étals, dont la proximité avec l’habitat, tendent à créer une continuité entre l’espace public et l’espace privé ; les allées et venues y sont très fréquentes. Généralement, mon autorisation de pénétrer dans l’espace privé m’était octroyé par des commerçants, relayés ensuite par d’autres habitants. Si la porte d’entrée d’une parcelle est ouverte, c’est qu’il y a forcément quelqu’un pour surveiller à côté. Il suffit simplement de s’approcher suffisamment près pour savoir de qui il s’agit. Par exemple, L’O.D.I ou « ordre des discussions inutiles », est un groupe d’hommes, que je retrouve chaque jour assis autour du même arbre, occupés à débattre sur divers sujets politiques. Ils habitent tous les maisons voisines et cet espace, c’est le leur. Les rencontrer, me permet d’obtenir l’accès à trois parcelles d’habitations. Je comprends que ce schéma, ce concept est finalement assez caractéristique de la vie de quartier et que l’espace public possède un aspect social très important. Travailler, durant trois semaines sur le même terrain, me permet d’affirmer ce fait. Chaque jour, je croiserai les mêmes groupes de personnes, assis au même coin de rue, non loin de leur logement. Du côté de l’axe à caractère plus résidentiel et moins commercial, le schéma est pratiquement le même. Il y a toujours du mouvement à l’entrée des parcelles, beaucoup d’allées et venues de personnes qui s’en vont vendre ou acheter au marché. Des groupes de jeunes garçons sont souvent adossés à l’avant de leur habitations respectives, c’est eux qui nous autorisent à pénétrer dans l’espace privé. 168  Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.), Quelques rues d’Afrique. Observation et gestion de l’espace public à Abidjan, Dakar et Nouakchott. Association des amis de la Revue de géographie de Lyon, 2 Oct, 2012, p.50 123


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Enfin, comme nous l’avons précisé précédemment, certains habitants ont fait de leur espace avant, un espace plus intimiste, un patio fermé sur l’extérieur ; tandis que d’autres ont simplement conservé des espaces couverts et ouverts à rue. Il existe de ce fait une certaine ambiguïté lorsque l’on pose la question de l’existence d’une continuité entre l’espace public et l’espace privé. En dépit des imposantes limites matérielles imposées il existe au-delà de cet aspect, une forme de continuité immatérielle, qui relie les deux entités. De ce fait, l’espace public possède un intérêt à la fois social, économique et culturel important, nécessaire et pratiquement vital à la population. Il reste cependant, “... un espace à haut risque sur le plan sanitaire, avec la présence d’une multitude d’acteurs qui cohabitent, se côtoient et entretiennent des relations parfois très conflictuelles, en adoptant des attitudes contradictoires et paradoxales”169, d’où l’importance de pouvoir s’en détacher physiquement.

3.3 L’espace extérieur : Le cœur de la parcelle d’habitation

Le plan-type défini lors de la période coloniale, introduit un plan intériorisant les pièces d’habitation. Cependant, ce que l’on remarque c’est que les pratiques habitantes, ainsi que les manières de vivre, sont en contradiction avec ce mode de fonctionnement européanisé. Cela s’est de ce fait exprimé à travers l’extériorisation de certains de ces espaces.

La cuisine : “La position de la cuisine européenne à l’intérieur de l’habitation, en relation directe avec la salle à manger traduit (...) une conception de l’espace et de ses fonctions anthropologiquement très différente”.170 Initialement, un espace prévu pour la cuisine est compris dans le volume principal, séparé d’un mur avec le séjour. Cette séparation a maintenant disparu et laisse place à une plus large pièce, généralement pourvue de canapés. Malgré tout, étant donné l’absence de rangements, cette pièce se transforme dans certains cas, en un véritable espace de stockage. La cuisine, quant à elle, se fait généralement à l’extérieur dans les cours, sur des petits braseros, plus efficaces que les petites taques électriques dont ils disposent à l’intérieur. La cuisine africaine ayant souvent recours à la marinade, la cuisine débute généralement très tôt dans la journée. J’ai donc, à chaque heure de la journée, ainsi que dans chaque maison, toujours retrouvé un plat sur le feu.

169  Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.). 2012, opcit,. p.92 170  Robert, Yves. 2011-2012, opcit,.p.106 125


Cet aspect de la culture, rend les cours toujours très animées et parfumées. Dans certains cas, dans le but de protéger le feu des intempéries, l’ajout de simples petits auvents permet de créer des espaces couverts.

Les sanitaires A l’origine, les sanitaires (douche et wc) sont également intégrés au volume de la cuisine et ne constituent qu’une seule et même pièce de 1m sur 2, accessible depuis l’extérieur. Aujourd’hui, par manque d’espace et pour plus d’hygiène, les sanitaires ont tous été déplacés à l’arrière des parcelles, séparés des autres activités considérées comme “propres”. Deux espaces distincts, servent ainsi à l’ensemble des habitants de la parcelle. L’espace extérieur devient notamment l’espace privilégié, de séchage de linge. Une zone est réservée à la lessive. L’emplacement du robinet de puisage, disposé de manière assez aléatoire sur les parcelles, ne définit cependant pas toujours l’espace qui lui sera réservé. Lorsque les parcelles d’habitations sont trop étroites, la lessive est généralement faite au plus près des sanitaires. L’espace extérieur privé apparaît dès lors, comme l’espace le plus animé, partagé et utilisé ; devenu l’endroit privilégié pour le repos et l’échange. Malgré tout, il est nécessaire de préciser que ce fait est aussi accentué par la précarité de certains logements, l’absence de la climatisation, ainsi que la récurrence du délestage. On remarque dès lors, que l’ensemble des espaces intérieurs deviennent des espaces de nuit, tandis que l’espace l’extérieur, la cour, devient une véritable « pièce » nécessaire à la vie domestique.

Les chambres L’espace dédié aux chambres est l’une des seules fonctions dont l’usage n’a pas été transformé au fil des années. Le premier étage des anciennes maisons coloniales, conserve sa fonction en tant qu’espace de nuit, bien qu’il connaît parfois le dépassement de sa capacité d’accueil.

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3.4 Le mode de production de l’habitat urbain Contrairement à ce qu’il m’a été donné de constater au vu des images satellites avant ma descente sur terrain, le schéma organisationnel parcellaire général des transformations, peut être défini comme homogène et cohérent. En effet, l’analyse de ces vingt maisons, m’a permis de mettre en évidence l’aspect répétitif des transformations, opérées sur les parcelles d’habitations. Par ailleurs, j’ai pu constater que les techniques de construction utilisées pour les annexes, sont assez similaires à celles de l’époque coloniale. Comme nous avons pu l’étudier dans la première partie de ce travail, l’une des grandes caractéristiques du modernisme tropical, est qu’il correspond à l’arrivée de principes hygiénistes, se traduisant par l’élaboration de procédés, visant à élaborer une architecture climatique.171 Ces grands principes, ainsi pensés et conçus par les architectes belges, ont été pris pour modèle, comme réappropriés par les kinois. On relève dès lors l’utilisation systématique du claustra, qui favorise l’aération naturelle des pièces de la maison, de même que la présence de toitures en pentes douces, avec la mise en place d’une ventilation naturelle au niveau des combles.172 Certaines constructions, ont d’ailleurs pris la liberté de les faire évoluer (déplacement des claustras, augmentation de la performance d’aération naturelle de la toiture). Les annexes sont de ce fait, assez similaires aux constructions coloniales, ce qui apporte à mon sens une certaine forme d’esthétisme, de par l’homogénéité générale des constructions.

3.4.1

Le parpaing : une valeur d’usage et d’échange

“Le bloc de ciment est sans nul doute le “Roi des composants” dans les villes africaines”.173 Le système de construction de ces annexes « auto-construites », repose sur l’utilisation du parpaing. Ses propriétés structurelles ne permettent cependant pas de supporter un étage supplémentaire, les constructions ne se font généralement que sur un seul niveau. Dans de plus rares cas, les propriétaires avec des ressources financières suffisantes ont pu construire sur deux niveaux et ont parfois pu transformer la structure initiale de la maison principale, la rendant méconnaissable. Les cas de transformations, qui incluent la modification de la structure initiale ou l’ajout d’annexes à étages, sont rares. Elles sont généralement faites par 171  Crespi, S. Les climats en Afrique Noire Française . In : Techniques & Architecture (numéro spécial intitulé L’architecture intertropicale . n° 5-6. IIe série. Paris. 1952. p. 34. Cité par : Robert, Yves. 2011-2012, opcit,. p.69 172  Ministère des relations extérieures, coopération et développement. Manuel d’urbanisme en pays tropical. : L’Habitat. Coopération et aménagement. Agence Française pour L’aménagement et le développement à l’étranger, Paris,1974, p.326 173  Canel, Patrick. La production de l’habitat populaire en ville africaine : étude de cas à Douala et Kinshasa, essai d’interprétation et conséquences théorique et pratique . Université de Paris I, Panthéon - Sorbonne,1987, p.232 129


des propriétaires dont les moyens financiers permettent d’employer un ingénieur qualifié. Dans sa thèse, Patrick Canel insiste notamment sur l’idée que le parpaing possède de multiples usages. La première étant que celui-ci serait doté d’une valeur d’usage mais aussi d’une valeur d’échange. En ce sens, le bloc de ciment, permet dans un premier temps, de construire des habitations dans de très courts délais. À Kinshasa, construire dans de très courts délais et aussi un moyen de s’approprier un espace. En effet, par crainte de se voir refuser certains permis de construire ou simplement par manque de moyens, certains habitants décident tout de même d’entamer leurs travaux de construction sans autorisation, le plus rapidement possible. De ce fait, lorsque le personnel de l’Urbanisme prend connaissance de l’existence de la construction, ils ne sont plus en mesure de détruire ce qui a été construit. Toutefois, l’accumulation et le stockage de ces blocs seraient aussi pertinents dans la mesure où à tous moments, ils peuvent être revendus ou échangés. Ils constituent ainsi un type d’épargne non-liquide, dont le stockage peut être fait sur une durée plus moins importante (contrairement au bois).174

174  Canel, Patrick. 1987, opcit,. p.235 130


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4. Les stratégies de survie, récits d’une altermodernité

En nous intéressant, aux diverses raisons qui poussent les habitants à transformer leurs espaces de vie. Nous en viendrons à étudier les stratégies de survies  mises en place par les habitants, afin de pallier les insuffisances de l’État175. Ainsi, nous verrons, que c’est de la rencontre entre cet “idéal”, cette “utopie” moderniste et ses usagers que naît, dès les années 1960, la lente et progressive mutation de la structure et des rapports au sein de la famille.

175  Shomba Kinyamba, S, et Mukoka Nsenda F, Olela Nonga D, Kaminar T.M, Mbalanda W. Monographie de la ville de Kinshasa. CRDI, Montréal, 2015, p.53 133


4.1 L’économie urbaine et le commerce informel La première stratégie de survie relevée est celle de la création d’annexes de type commercial à l’avant des parcelles. En effet, le poids de l’économie informelle à Kinshasa est prépondérant. “La décennie 80 marque le début de la crise économique et la mise du continent africain (en proie à des difficultés sans équivalent) sous administration du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Implicite dans les années 70, le secteur informel a pris de l’ampleur au point de concurrencer, à son avantage, le secteur formel”.176 Malgré tout, les revenus des emplois du secteur informel, restent généralement extrêmement faibles. Selon l’un des rapports de la Banque Mondiale paru en février 2018, la population de la capitale vit en moyenne avec 2$ par jour177 (soit 3800 Francs Congolais). Le paysage urbain de Kinshasa, comme celui des rues de Matete est aujourd’hui envahi par ces constructions de type commercial. Les vendeurs de rue occupent désormais la majeure partie de l’espace public. Malgré tout, “... la reconnaissance du secteur informel comme mode de vie légitime est assez récente. Jusqu’à présent, le secteur informel était considéré comme le témoignage de l’échec des politiques de développement des gouvernements, qui avaient déclenché́ une migration excessive des zones rurales vers les zones urbaines”.178 En ce qui concerne ma zone d’étude, du côté de l’axe viaire secondaire, nous pouvons observer que la totalité des parcelles ont ajouté un petit commerce à rue. En se référant au plan d’implantation des urbanistes de l’O.C.A datant de 1952 et en le comparant à la situation existante, on constate que l’ensemble des parcelles se sont en moyenne octroyé 3 à 4 m de longueur supplémentaire. Cette appropriation de l’espace public permet alors la construction d’annexes “en dur”, à l’avant des maisons. Des commerces, qui peuvent être gérés par les propriétaires eux-mêmes, ou bien être sousloués à de tierces personnes, pour une moyenne de 60 $ par mois. Malgré tout comme l’explique Leimdorfer dans son ouvrage, la formalisation de ces espaces permet de s’approprier une partie de l’espace public. Elle fixe ce statut, grâce la construction d’annexes en matériaux durables. Ces limites sont dès lors acquises, puis “... intériorisées par les citadins et marquées spatialement par un réel construit”.179 Pour l’auteur, nous nous retrouvons de ce fait “... face au problème de la stabilité de la ville, de sa permanence : stabilité des délimitations d’espaces, des attributions, des fonctions ; stabilité symbolisée par la construction «en dur », que l’on «ne casse pas”.180 176  Shomba, Lomami. L’économie informelle. Université de Kinshasa. 2005. (Disponible à cette adresse : https://www.memoireonline.com/12/05/23/m_l-economie-informelle0.html#fn3 Dernière consultation le 9 juillet) 177  Disponible à cette adresse : http://documents1.worldbank.org/curated/ en/984711517510605615/pdf/WPS8328.pdf Dernière consultation le 9 juillet 178  Adepoju, Aderanti. La famille africaine. Politiques démographiques et développement. Editions Karthala. 1999. p.50 179  F, Leimdorfer. Enjeux et imaginaires de l’espace public à Abidjan: Discours d’acteurs. Politique africaine. 74(2). 1999. §2 (Disponible à cette adresse : https://www-cairn-info.ezproxy. ulb.ac.be/revue-politique-africaine-1999-2-page-51.htm Dernière consultation le 9 juillet) 180  Ibid 134


4.2

La propriété et le phénomène locatif

Comme nous l’avons vu précédemment, le système de Fonds d’avance mis en place par l’autorité coloniale dans les années 50, permet à la population de faire l’acquisition de logements. Après avoir effectué le remboursement intégral de ce prêt, l’indigène devient propriétaire du bien. Ainsi, à la mort du parent, les enfants deviennent propriétaires du bien par héritage. L’accès au logement ainsi qu’à la propriété foncière est de ce fait, extrêmement complexe et très limité. L’enquête sur le terrain, nous révèle qu’il existe cependant, différents types de propriétaires : - - -

Ceux dont les capacités financières, ont permis d’extraire leur famille dans des quartiers plus riches, tout en conservant leur droit de propriété ( ex: à la Gombe : ancien quartier européen ). Ceux dont les capacités financières leur permettent de loger leur propre famille sur l’ensemble de la parcelle. Et enfin, ceux dont les capacités financières sont insuffisantes et se voient ainsi contraints de sous-louer des annexes à d’autres familles. (émergence du phénomène de colocation entre différentes familles)

On remarque en effet, qu’il est plus avantageux financièrement, pour les propriétaires des parcelles de louer leurs annexes à d’autres familles. Posséder sa propre parcelle et pouvoir y loger uniquement la sienne, est un luxe. Dans la majorité des cas, les habitants sont contraints de loger l’ensemble de leur propre famille, tout en louant certaines annexes à d’autres. On observe même, dans certains cas, que les propriétaires font le choix de vivre dans les annexes, afin de louer les maisons principales à de tierces familles. 135


Défini comme un opportunisme stratégique ou comme une stratégie de survie significative par Viviana d’Auria et Hannah Le Roux, (2015), la colocation entre plusieurs familles (multihabitation)181 autogérée, engendre cependant généralement des espaces de vie surpeuplés. L’enquête menée dans les vingt parcelles d’habitations, nous a permis de confirmer la prédominance de ce phénomène. En effet, les parcelles d’habitations initialement prévues pour accueillir un seul ménage, peuvent aujourd’hui en contenir trois ou quatre dans des espaces très restreints. Le problème reste malgré tout, que cette situation entraîne l’apparition d’habitations insalubres et précaires, ainsi qu’une forte promiscuité pour les familles, qui occupent des quartiers sans équipements adéquats et sans systèmes efficients d’assainissement182.

181  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux.2017, opcit,. p.14 182  Lusumba Kibayu, Michel. La typologie des quartiers dans l’histoire du développement de Léopoldville-Kinshasa en République démocratique du Congo. Territoires et Développements durables - Notes de Recherche 2008-1. Institut d’études du Développement (UCL). 2008. p.64 136


4.3 La famille entre tradition et modernité : la mutation des modèles familiaux “ Dans le contexte de fluctuation économique forte et de volatilité intense caractéristique du dernier quart du XXe siècle, la fragmentation sociale a touché, en particulier, les structures familiales”.183 L’agrandissement de la famille est l’une des premières limites qu’ont connu les espaces modernistes. Dans ce contexte-ci, il est nécessaire de préciser que le concept de famille est assez différent de celui que nous définissons généralement en Europe.  Traditionnellement, la famille africaine est élargie, elle “... comprend les parents, les oncles et tantes, frère sœurs, tous pouvant avoir leurs propres enfants et d’autres personnes à charges”.184 “ Habiter avec sa famille ”, peut donc signifier vivre avec plusieurs générations. Le fait qu’une parcelle d’habitation compte trois à quatre générations, a été observé à maintes reprises. En effet, la famille africaine traditionnelle fonctionne sur le principe de la vie “en communauté”. En ce sens, elle se distingue de la famille nucléaire européenne, par les liens de solidarité qui peuvent exister entre les différents membres des différentes générations et divers degrés qui la composent. Pour les docteurs en psychopathologie et psychologie clinique, Léonard Nguimfack, Rosa Caron and al, dans leur ouvrage, consacré à l’évolution et à la déconstruction de la famille africaine, “Traditionnalité et modernité dans les familles contemporaines : un exemple africain” (2010), “... la famille a une signification culturellement importante (...) elle est le centre, sinon le noyau de la communauté et le « jalon » des pratiques traditionnelles”.185 Aujourd’hui comme le souligne, Mbassa (2003), “... la tradition s’est modifiée sous la pression de la modernisation. Les nouvelles normes éthiques, politiques et religieuses ont largement contribué à sa transformation.”186. Il semblerait en effet, que la famille soit à cheval entre deux modèles de culture contradictoires, l’une traditionnelle africaine et l’autre résolument européenne et moderne.187 183  Mbembe, Achille. 6. Circulation des mondes : l’expérience africaine, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, sous la direction de Mbembe Achille. La Découverte, 2013, pp. 203-237, §17. Disponible à cette adresse : https://www.cairn.info/sortir-de-la-grandenuit--9782707176646.htm Consultée le 20 juillet 2020. 184  Ocholla-Ayayo, A. B. C. 4. La famille africaine entre tradition et modernité. Aderanti Adepoju éd., La famille africaine. Politiques démographiques et développement. Éditions Karthala, 1999, pp. 85-108, § 1. Disponible à cette adresse : https://www.cairn.info/la-famille-africaine--9782865379422page-85.htm Consultée le 21 mai 2020 185  Nguimfack, Léonard, et al. Traditionnalité et modernité dans les familles contemporaines : un exemple africain. Psychothérapies, vol. vol. 30. no. 1. 2010, §4. Disponible à cette adresse : https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2010-1-page-25. htm?contenu=article Consultée le 14 juillet 2020 186  Disponible à cette adresse : https://www.jle.com/en/ MedSanteTrop/2003/63.6/601-607%20Adolescence%20et%20violence%20%28MbassaMenick%29.pdf Consultée le 14 juillet 2020 187  Nguimfack, Léonard, et al. 2010, opcit,. §9 137


En ce sens, par exemple Pinson (1992) affirme que “... la permanence de familles de grande taille appelle des espaces domestiques suffisants  et que ce besoin est d’autant plus vivement ressenti que se développent en même temps, dans la descendance, des aspirations à des espaces individualisés”.188 Il semblerait en effet, que lors du passage du rural à l’urbain, de nouvelles formes aient été générées par les mutations socioculturelles, qui de “... générations en générations, tendraient à s’opposer au concept de la famille africaine (élargie) dite traditionnelle, reconnue comme solidaire et fonctionnant sur le modèle communautaire”.189 Ce fait est sans aucun doute accentué par la crise économique que connaît le pays. La famille africaine connaît aujourd’hui, de nombreuses transformations qui tendent à la distinguer du modèle traditionnel. Ce que l’on remarque dans un premier temps, c’est que la famille traditionnellement élargie, en proie à la déconstruction, tendrait à se nucléariser. La famille dite nucléaire est composée d’un “... ensemble de deux personnes liées par une volonté de former une communauté matérielle et affective, potentiellement concrétisée par une relation sexuelle conforme à la loi”.190 La nucléarisation signifie, quant à elle, l’éclatement de la structure traditionnelle, c’est-à-dire la réduction de la famille au cercle de deux parents. Ce phénomène est à l’origine d’une de l’augmentation de l’individualisme, ainsi que de la baisse de la solidarité intergénérationnelle. Cette nucléarisation est perçue comme une crise par Talcott Parsons (1955), l’un des grands théoriciens de la sociologie moderne. Il affirme que cette tendance “... découle de changements structurels, comme l’industrialisation et l’urbanisation, qui distendent les réseaux familiaux fondés sur les systèmes de parenté traditionnels et segmentent la famille en autant d’unités que de couples”.191 Au courant des années 1970, cette théorie est repensée et inversée dans le cas des pays en développement. Pour certains spécialistes, c’est de cette nucléarisation, qui en résulte donc de l’affaiblissement des formes familiales traditionnelles, que serait rendue possible la modernisation d’un pays.192 Le second modèle qui semble s’être développé, est celui du modèle de la famille monoparentale matricentrée, au sein duquel la mère devient le chef de la famille. Dans ces cas ci, les pères de famille sont soit morts, aux abonnés absents ou simplement incapables de subvenir aux besoins de la famille.193 “Durant les trente dernières années, la pro­portion de ménages dirigés par des femmes n’a cessé d’augmenter, (...) la composition de ces ménages s’est inversée, avec un pourcentage croissant de ménages dirigés par des 188  Pinson, Daniel. Modèle d’habitat et contre-type domestiques au Maroc. (fascicule de recherche 23). Urbana. Urba, Tours,1992, p.156 189  Nguimfack, Léonard, et al. 2010, opcit,. §38 190  B. de Boysson. Mariage et conjugalité. LGDJ. 2012. n 404. Disponible à cette adresse : Famille nucléaire — Wikipédia Consultée le 14 juillet 2020 191  Vimard, P. Modernisation, crise et transformation familiale en Afrique subsaharienne. Autrepart (2), 1997. p.144. Disponible à cette adresse : https://horizon.documentation.ird.fr/ exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/autrepart/010012692.pdf, Consultée le 14 juillet 2020. 192  Vimard, P. 1997, opcit,. p.145 193  Vimard P. 1997, opcit,. p.148 138


femmes divorcées, veuves ou, de plus en plus, célibataires”.194 Ce fait est observé de nombreuses fois dans le cadre des études menées sur les parcelles d’habitations. Un fait qui semble malgré tout, ne pas exister dans le sens inverse, c’est-à-dire dans le cas le père doit subvenir seul aux besoins de ses enfants. Ce phénomène est sans nul doute dû, à la présence encore très marquée du traditionnel patriarcat dans la culture africaine. Il semblerait en effet, que passé un certain âge (20-25 ans) 195, il devient difficile pour une jeune fille de trouver un conjoint, de se marier et ce tout particulièrement dans le cas où celles-ci ont déjà des enfants à charge. De ce fait, certaines femmes en situation monoparentale se retrouvent dans des situations de grande précarité 196 et sont généralement contraintes de survivre seules. Dans le cadre de ces recherches, le cas de cohabitation entre sœurs a d’ailleurs été observé (Récit n°7). A la mort de leur mari, chacune d’entre elles s’est retrouvée seule avec deux ou trois enfants à leur charge. L’entraide, la cohabitation dans une même annexe, ainsi que la mise en commun de leurs revenus, est une stratégie qui leur permet de survivre. Si certaines politiques, ainsi que la crise survenue dès les années 90, sont à l’origine d’importantes disparités économiques, elle transforme aussi sensiblement le modèle de famille africaine traditionnel. Les familles des parcelles, telles que celles étudiées dans la commune de Matete, semble en effet, s’être lentement recomposées, reconstruites pour se réinventer. Elles transgressent désormais même certaines normes sociales et valeurs traditionnelles. Ces mutations peuvent perçues comme une “crise” au sens péjoratif du terme, par certains spécialistes et comme un véritable opportunisme stratégique qui témoignent de cette alter-modernité pour d’autres. Pour Filip de Boeck, “La ville est certainement devenue aussi plus individualiste et les points d’ancrage social autrefois transmis par la famille élargie, le lignage, le clan, le quartier, l’identité ethnique ou l’appartenance régionale ont beaucoup perdu de leur capacité de forger des liens communautaires”.197

194  Adepoju, Aderanti.1999, opcit,. p.45 195  C’est un sujet autour duquel nous avons beaucoup discuté avec Joëlle mon accompagnatrice, elle aussi âgée d’une vingtaine d’années. Comparer nos deux cultures à ce sujet, fut extrêmement intéressant 196  Neyrand, Gérard. Monoparentalité et précarité. Empan. vol. no 60, no. 4. 2005, §10. Disponible à l’adresse suivante : https://www.cairn.info/revue-empan-2005-4-page-51.htm Consultée le 14 juillet 2020 197  De Boeck, Filip. La ville de Kinshasa, une architecture du verbe. Esprit. vol. décembre. no. 12, 2006. pp. 79-105. § 20. Disponible à cette adresse : https://www.cairn.info/revue-esprit2006-12-page-79.htm?contenu=resume. Consultée le 1 août 2020. 139


4.4 Espace et genres : l’assignation genrée des espaces publics et privés

“ La femme africaine assume plusieurs rôles : épouse, mère, maî­tresse de maison, ouvrière, parente et citoyenne (Oppong 1988)”. 198 En partant à nouveau de mes observations faites sur le terrain, je remarque que c’est la femme qui prédomine au sein de l’espace privé (les parcelles d’habitations). Elle est au centre des activités et participe activement à la vie en communauté. Dans la société traditionnelle africaine, ce sont les mères et les jeunes filles qui contrairement aux hommes, sont chargées de faire la cuisine, de s’occuper des enfants et de faire la lessive. Ce sont elles qui gèrent le foyer familial et l’entretiennent. Dans son ouvrage sur le sujet, le démographe Adejupo (1999), affirme cependant que “... la traditionnelle suprématie des hom­mes qui existait jusqu’à présent, fondée sur leur capacité à finan­cer les besoins familiaux, est menacée ou, du moins, ne pourra longtemps encore être considérée comme l’unique subvention, dans la mesure où la gent féminine contribue de façon plus éga­litaire aux besoins financiers”.199 Ce fait tend à favoriser la présence plus affirmée de la femme en dehors de l’espace domestique. Bien que, dans l’ouvrage “Quelques Rues d’Afrique. Observation et Gestion de l’espace Public à Abidjan” (2009), les experts (Jérôme Chenal, Pedrazzini, Y...) développent l’idée selon laquelle, lorsque “... les femmes sont dans la rue, leur présence reste malgé tout, liée à l’emplacement d’un marché ou plus largement au lieu de la vente de produits, elles sont vendeuses ou acheteuses, mais « justifient » leur présence par ce biais, ce qui renvoie également à la position de la femme dans la société et aux tâches qui lui sont assignées”.200 En dépit du fait, que cette idée soit traitée dans le cas de Nouakchott (capitale de la Mauritanie), elle est également valable dans le cas de Matete. Ce que je remarque en effet, c’est que les magasins attenants aux parcelles sont généralement aussi tenus par les femmes qui y vivent. Celles-ci se retrouvent dès lors continuellement à cheval entre le privé, l’espace domestique et l’extérieur, l’espace de vente. Le statut de la femme dans la société africaine évolue. Les structures familiales en milieu urbain se transforment et confèrent désormais à la femme, un rôle résolument plus moderne, équivalent à celui de l’homme.

198  Adepoju, Aderanti, et Wariara Mbugua. « 3. Les mutations de la famille africaine », Aderanti Adepoju éd., La famille africaine. Politiques démographiques et développement. Éditions Karthala, 1999, pp. 59-84. §36 199  Adepoju, Aderanti. 1999, opcit,. p.50 200  Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.), Quelques rues d’Afrique. Observation et gestion de l’espace public à Abidjan, Dakar et Nouakchott. Association des amis de la Revue de géographie de Lyon, 2 Oct, 2012, p.179 140


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5. Conclusion : Un ensemble hybride et résolument moderne “Les cultures sont toujours faites de discours mêlés, hétérogènes et même contradictoires, et dans n’importe quel groupe, l’affirmation de l’autorité culturelle pose le clivage entre tradition et innovation, entre identité et altérité, entre références stables érigées en système et nouvelles significations”.201 Les infrastructures modernistes constituent une partie d’un bien commun culturel. Elles composent “... le cadre de vie de près de 65 millions de congolais et (...) participent (…) implicitement à la formation de leur identité́ d’africains contemporains”.202 Multifonctionnelles, elles sont des lieux de vie, de rencontres, riches de couleurs et de sons. Elles font désormais partie intégrante de la toile de fond urbaine. Malgré l’insalubrité et l’inconfort dans lesquels se trouvent un bon nombre de ces parcelles d’habitations, la plupart des habitants (propriétaires), restent très attachés à leur lieu de résidence. Elles appartiennent en général à leur famille depuis plusieurs générations et sont le fruit d’un travail long et acharné d’adaptations successives. Les annexes construites, de type commercial à l’avant et de type résidentiel à l’arrière des parcelles, les densifient fortement. L’espace extérieur restant devient alors un espace commun, dans lequel les habitants cuisinent, mangent, discutent, lavent leur linge ou se reposent… Cet espace extérieur est une véritable “poche sociale”, dans laquelle subsiste la vie en communauté. À l’abri de regards indiscrets, il est protégé par de hauts murs et crée un espace de transition, entre l’espace privé et l’espace public. De toute évidence, cet espace commun est un haut lieu de sociabilité, dans lequel cohabitent parfois plusieurs familles différentes. Les recherches que j’ai menées dans le cadre de ce travail permettent de mettre en lumière l’idée que les transformations, bien que d’une certaine manière “destructrices d’un ordre antérieur”203, sont porteuses de resignifications à la fois d’ordre culturel, social et économique. Les stratégies observées révèlent l’importante capacité d’adaptation et d’optimisation de l’espace par le peuple kinois, d’où l’importance de leur prise en considération. Elles permettent d’affirmer la nécessité , aujourd’hui, de reconfigurer ces espaces, afin de fournir aux habitants une alternative, en proposant des formes de logements appropriées au contexte culturel et socioéconomique.204 201  Mbembe, Achille, et al. Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française. La Découverte. 2010. p.14 202  Robert, Yves. Nouveaux Patrimoine et Enjeux de développement. Éditions des Presses Universitaires, 2011-2012, p.89 203  Fanon, F .The Wretched of the earth. Harmondsworth, Penguin. (1961), 1967. In : Viviane d’Auria, Hannah LE Roux, Bruno de Meulder. CLARA Architecture/Recherche.N°4: Modernisme(s) Approprié(s)?. Madarga, 2017. p.26 204  Le Roux, H. Lived Modernism, When architecture transform. Thèse de doctorat. Leuven. Ku Leuven. 2014. p.59 142


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Si certaines politiques, ainsi que la crise survenue dès les années ‘90, créent d’importantes disparités économiques, elles transforment aussi sensiblement la structure de la famille traditionnelle et modifient son rapport à la société. On remarque ainsi que pour survivre sous la pression des différentes crises survenues, certaines familles des parcelles habitées se sont lentement recomposées, réinventées et reconstruites. En effet, à travers l’étude de l’appropriation de ces anciennes “utopie bâties”, nous avons fait état de transformations plus ou moins importantes, qui varient en fonction de l’évolution de la situation socioéconomique des familles. De ce fait, bien que la structure initiale n’ait pas été pas en mesure de satisfaire les besoins des habitants, elle a permis l’émergence d’une multitude de pratiques spatiales et sociales alternatives. Tous ces vides, interstices et ces espaces vacants, autrefois symboles d’ordre et de propreté, peuvent désormais être “... jaugés à l’aune de leur potentiel à offrir la matière première de l’art de la réappropriation et du recyclage”.205 L’émergence du phénomène de nucléarisation, ainsi que du modèle de la famille monoparentale matricentrée, tendent aujourd’hui à concurrencer le modèle traditionnel de la famille africaine (élargie). Ainsi, pour Filip de Boeck, “... les points d’ancrage social autrefois transmis par la famille élargie, le lignage, le clan, le quartier, l’identité ethnique ou l’appartenance régionale, ont beaucoup perdu de leur capacité de forger des liens communautaires”.206 L’étude de ces espaces habités, nous permet de constater que les structures sociales et spatiales interagissent et qu’elles sont indissociables. Ainsi, lorsque l’ “équilibre” se rompt, naissent de nouvelles situations, de nouveaux modes de vie et de nouvelles pratiques. Pour Hannah Le Roux et Viviana d’Auria (2015), l’existence de “colocations” entre plusieurs familles (nucléaires) différentes, ou bien la présence d’activités économiques au sein de l’espace domestique, sont perçues comme des stratégies de survie significatives 207, qui témoignent de ce rééquilibrage et de cette alter-modernité. Pour pouvoir échapper à la dureté de la vie kinoise, le citadin est contraint de développer de nouvelles techniques de manière continuelle.208 Ces faits transforment ainsi la commune de Matete et le reste de la ville, en un perpétuel chantier. Dès lors, “... l’interaction entre les utopies bâties et l’acte d’habiter méritent d’être interprétées comme des modèles spatiaux significatifs, pouvant être considérés comme un genre créatif en soi”.209

205  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. Quand la vie prend le dessus : les interactions entre l’utopie bâtie et l’habiter. CLARA, vol. 4, no. 1, Éditions de la Faculté d’Architecture La Cambre Horta de l’Université libre de Bruxelles, 2017, p.17 206  De Boeck, Filip. La ville de Kinshasa, une architecture du verbe. Esprit. vol. décembre. no. 12, 2006. pp. 79-105. § 20. Disponible à cette adresse : https://www.cairn.info/revue-esprit2006-12-page-79.htm?contenu=resume. Consultée le 1 août 2020. 207  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. 2017, opcit,. p.14 208  De Boeck, Filip. La ville de Kinshasa, une architecture du verbe. Esprit. vol. décembre. no. 12, 2006. pp. 79-105. § 20. Disponible à cette adresse : https://www.cairn.info/revue-esprit2006-12-page-79.htm?contenu=resume. Consultée le 1 août 2020. 209  D’Auria, Viviana, and Hannah le Roux. 2017, opcit,. p.15 144


Des solutions réalistes ? Afin de restaurer la capacité d’action des pouvoirs publics, il est pressant de développer des méthodes de planification incitatrices, qui prennent en compte les logiques d’actions des habitants, ainsi que les conséquences qu’elles peuvent avoir sur l’ensemble de la société. En ce sens, il est plus que primordial, d’aborder la production architecturale et l’urbanisation comme des productions sociales.210 “Concrètement, ceci implique d’identifier des leviers d’action, puis de mettre des outils à disposition de l’architecte et de l’urbaniste pour qu’ils puissent continuer à développer un territoire en le rendant capable d’accueillir et de faire coexister en bonne intelligence les aspirations des habitants et les projets des pouvoirs publics”.211 La ville est si grande et si complexe, qu’il est, à mon sens, pertinent de se pencher, sur la petite échelle, celle de la parcelle, afin de pouvoir penser la grande. L’approche doit être contextualisée et doit permettre d’identifier des besoins qui peuvent varier d’une parcelle habitée à une autre. Néanmoins, cette étude de terrain m’a permis de faire le même constat que l’ensemble de la population kinoise : on ne peut attendre de l’aide de la part gouvernement. Il faut se débrouiller avec les moyens du bord en trouvant des solutions adaptées aux circonstances actuelles. L’Architecte, doit travailler en relation directe avec les habitants. Son rôle premier, doit avant tout être celui de l’informateur. En ce sens, il pourrait 210  Houssay-Holzschuch, Myriam. Jérôme Chenal, Yves Pedrazzini, Guéladio Cissé et Vincent Kaufmann (dir.), Quelques rues d’Afrique. Observation et gestion de l’espace public à Abidjan, Dakar et Nouakchott. Association des amis de la Revue de géographie de Lyon, 2 Oct, 2012, p.247 211  Ibid 145


être intéressant de développer le projet de rénovation d’une dizaine de maisons, qui serviraient d’exemples à la population et plus particulièrement aux propriétaires des parcelles. Dans le but d’éviter de créer un phénomène de gentrification, l’idée serait dans un premier temps, d’exécuter des interventions de petite échelle, qui viseraient l’amélioration du confort des annexes et des maisons principales. Par exemple, dans certains cas, il suffirait de simplement repenser certaines ouvertures, ce qui permettrait une meilleure ventilation naturelle des espaces intérieurs. Par ailleurs, à Kinshasa, les pluies peuvent être intenses et dévastatrices. Mettre à disposition des moyens de la récolter pour l’utiliser serait une solution à la fois économique et écologique (lutte contre l’érosion des sols). Dans d’autres cas, il serait aussi intéressant de discuter des propriétés bénéfiques de la présence de végétation au sein de l’espace domestique (ombre, pollution atmosphérique, etc..). En ce qui concerne de possibles modifications quant à la taille de ces logements, je remarque que dans la majorité des cas, la rénovation des maisons principales reste envisageable et serait certainement moins coûteuse qu’une démolition (ceci au-delà de l’intérêt de la conservation en termes de patrimoine). En contrepartie, on pourrait imaginer, qu’en dissociant les parties plus pérennes des éléments moins durables, il serait possible de déconstruire certaines de ces annexes et de réemployer certains matériaux. Comme le souligne Rotor Organization (2018) cette solution peut, “... outre ses qualités environnementales, être une potentielle source de création d’emplois. Les activités liées au réemploi des éléments de construction, et tout particulièrement la déconstruction sont souvent considérées comme étant fort intensives en main-d’œuvre”.212 Le problème d’une rénovation “lourde” étant que beaucoup de propriétaires pourraient décider d’augmenter leur loyer et certains habitants se retrouveraient alors contraints d’abandonner leur logement. “Il s’agit ici également de prendre en compte l’ensemble du contexte spécifique pour éviter les échecs de l’architecture internationale et son cortège de modèles parachutés (...). L’architecture est la troisième enveloppe de nos gestes, après la peau et les vêtements. Ces gestes dépendent fortement de la culture dans laquelle ils sont générés. Les rapports public/ privé, entre les générations, à l’alimentation et à l’hygiène se traduisent dans la conception spatiale des bâtiments, il importe donc d’en connaître les spécificités afin de créer un environnement favorable à leur épanouissement.”213

212  GHYOOT, Michaël, DEVLIEGER, Lionel , BILLIET, Lionel, WARNIER, André, Rotor (Organization). Déconstruction et réemploi : comment faire circuler les éléments de construction. Presses polytechniques et universitaires romandes. Lausanne. 2018. p.74 213  Prignot, Isabelle, and Géry Leloutre. Aménager la parcelle durable : outil d’aide à la conception . Faculté d’Architecture La Cambre Horta, 2018, p.60 146


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Annexe Les difficultés d’agir dans ce type de contexte particulièrement sensible impliquent de bien peser les actions à entreprendre. L’élaboration du projet de fin d’étude m’a de ce fait pousser à délaisser une intervention directe au sein des parcelles d’habitations, qui nécessite une connaissance de la complexité du contexte que je n’avais matériellement pas eu la capacité de développer lors de mon séjour sur terrain. Ainsi, le projet développé dans le cadre du projet-off, portait sur la réhabilitation de l’école primaire d’Anunga (située au cœur de Matete). Ce projet s’est présenté comme une belle opportunité́, dans le sens où il m’a permis d’expérimenter le logement en l’inscrivant dans le programme avec pertinence.

Projet de réabilitation de l’école primaire d’Anunga pour la 32ème communauté presbythèrienne, située dans la commune de Matete

école

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îlot d’étude


Le programme :

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1. Logements pour les professeurs 2.WC filles/garçons 3. Salles de classe 4. Local stockage, réservoir d’eau de pluie 5. Chapelle (*Seul élément conservé) 6. Internat filles/garçons 7. Chambre Gardien de Nuit 8. Cuisine 9. Entrée / Bureau Directrice 10. Grande salle commune (cantine, location mariage, enterrement) 11. Poulallier 200 poules 12. Magasin (vente - légumes, oeufs) 13. Espace potager 14. Cour 15. Préau

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Potager, cantine gérés par les résidents des logements prévus pour les professeurs..

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Logements pour professeurs Matériaux Murs porteurs, brique de terre ep : 20cm Toiture : Tôle et barres d’acier Utilisation de matériaux uniquement disponibles sur le marché local.

Composition L’ étude préalable des parcelles d’habitations actuelles relève l’importance de la mise en place d’une pièce centrale extérieure tantôt couverte, tantôt pas. Un espace autour duquel viennent se rattacher les autres pièces de la maison. Le plan-type défini lors de la période coloniale introduisait un plan qui intériorisait les pièces d’habitation. Les pratiques habitantes, ainsi que les manières de vivre en contraction avec ce mode de fonctionnement européanisé, se sont exprimées à travers l’extériorisation de certains de ces espaces, comme la cuisine L’espace extérieur privé apparait dès lors, comme l’espace le plus animé, partagé et utilisé ; devenu l’endroit privilégié pour le repos et l’échange. Le rapport qu’entretient cet espace avec la rue, est quant à lui plus timide. Le recul du bâti par rapport à celle ci, permet la création de petits perrons, des espaces de rencontres, de repos ou de contemplation, à l’entrée des parcelles d’habitations..

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3m

4,5 m


m

3m

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