Paul-André Coumes est photographe naturaliste. Il est l’auteur d’une remarquable série d’ouvrages sur les hommes au travail dans les espaces sauvages : Pêcheur d’estuaire (2011), Le Volcan aux abeilles (2012) et La Montagne habitée (2013) au Rouergue. Il collabore également avec la presse magazine. Vivant dans le Massif central, c’est skis aux pieds qu’il quitte parfois sa maison en hiver. Un privilège qui lui a inspiré ce livre… www.photocoumes.com
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Paul-André coumes
L’Auvergne à ski
L’aventure, comme dans le Grand Nord, mais au cœur de la France, dans ces massifs montagneux d’Auvergne qui se font blancs durant l’hiver et où l’on peut s’évader, équipé d’une paire de skis de randonnée nordique, d’une pulka et du matériel nécessaire au bivouac hivernal. Paul-André Coumes nous initie au raid à ski dans des paysages étourdissants où viennent s’éclater randonneurs nordiques et snowkiters. Skis aux pieds, le Livradois-Forez, le Mézenc ou les volcans d’Auvergne se parent d’un exotisme boréal. Et dresser sa tente à l’abri d’une congère laissera des souvenirs ! Le photographe nous entraîne dans son sillage et nous signale au passage les animaux qui discrètement peuplent les montagnes enneigées : chamois, renards, beaux oiseaux en livrées colorées… En fin d’ouvrage, un carnet pratique réunit tous les conseils techniques et les informations de parcours…
Paul-André Coumes
L’Auvergne à ski
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Du même auteur, chez le même éditeur : Pêcheur d’estuaire, 2010 Le Volcan aux abeilles, 2011 La Montagne habitée, 2012
Conception graphique : Rachida Zerroudi © Éditions du Rouergue 2013 www.lerouergue.com
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Sommaire 07 Randonnées nordiques en plein cœur de l’hiver
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Les crêtes du Forez
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La leçon de la burle
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Dans les forêts du Livradois
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Échappée volcanique
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Les balcons du Sancy
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La grande traversée du Cézallier
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Carnet pratique
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La lumière du soir caresse une jasserie en ruine et des sorbiers encore givrés sur les crêtes du Forez. introduction * 6
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Randonnées nordiques en plein cœur de l’hiver La plupart des aventures commencent sur une carte. Les tracés sinueux imprimés sur le papier sont autant de promesses d’évasion vers des horizons lointains. Mais, pour une fois, si l’on partait à l’aventure sur le pas de notre porte ? L’Auvergne offre le luxe de nous faire côtoyer une nature authentique et accueillante. Aux portes des villes et des villages s’étagent des massifs montagneux aux reliefs peu accidentés. À la belle saison, les crêtes, les plateaux et les forêts sont propices à de belles randonnées. La neige, en revanche, a cette capacité presque magique de transformer ces paysages quotidiens en déserts arctiques ou en taïgas scandinaves. Skis aux pieds, le Livradois-Forez, le Mézenc et les volcans d’Auvergne se parent soudain d’un exotisme boréal. Partir une journée, ou trois ou quatre jours, dans ces espaces familiers, dormir sous la tente et skier sous les étoiles, suivre la piste d’un lièvre et observer les renards : rien de tel pour revenir épuré de tout, serein et émerveillé. Le ski de randonnée nordique est le sésame idéal de ces voyages insolites. Jadis pratiqué par les Scandinaves dans leurs déplacements quotidiens, il leur permettait d’évoluer sur des terrains variés. Aujourd’hui, le matériel a tellement progressé que cette pratique fait de plus en plus d’adeptes. Elle permet même à des débutants de partir hors-piste sur des parcours peu vallonnés. La largeur de certains skis apporte la stabilité nécessaire aux randonneurs peu assurés. La présence d’écailles antirecul facilite la progression dans les côtes.
Les carres métalliques de chaque côté des skis permettent une bonne accroche sur toutes les neiges. Les chaussures montantes et chaudes isolent parfaitement dans la poudreuse profonde. La pulka, une grande luge reliée au skieur par un brancard rigide ou des cordes, repousse quant à elle les limites de l’aventure. Par la possibilité qu’elle offre de transporter des réserves de vivres et tout le nécessaire pour le bivouac, elle ouvre les portes du raid à ski en totale autonomie. En Auvergne, les massifs montagneux se situent à des altitudes comprises entre 900 et 1 700 mètres. Excepté les crêtes du Sancy au profil alpin, l’ensemble des massifs se prêtent idéalement à la randonnée nordique. L’enneigement peut cependant y connaître tous les extrêmes. Le projet initial comprenant une grande traversée depuis la chaîne des Puys jusqu’au Cantal a ainsi été découpé en six randonnées. Plus courtes et donc plus accessibles, elles peuvent être parcourues lors de ces hivers capricieux où la neige apparaît aussi vite qu’elle fond. Ce livre est une invitation à faire sa trace dans ces paysages d’Auvergne, si proches et si beaux. Ces six randonnées à skis sont un visa pour l’émerveillement et pour la découverte de la vie sauvage en plein cœur de l’hiver. Les traces que vous laisserez s’effaceront au premier coup de vent mais les sensations que vous rapporterez dans un coin de votre mémoire vous inciteront à renouveler à l’infini cette glisse presque sauvage. auvergne à ski * 7
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La leçon de la burle Le massif du Mézenc se situe aux confins d’une suite de plateaux étagés d’ouest en est depuis la vallée de la Loire. Ce pays abrite le plus haut village d’Auvergne, Les Estables, qui culmine à 1 387 m. Le paysage, marqué par un volcanisme daté de 6 à 8 millions d’années, est dominé par des reliefs saillants. Ces sucs, comme on les appelle ici, évoquent fort justement des pains de sucre. Le mont Mézenc est encadré par les plateaux volcaniques à l’ouest et les monts d’Ardèche au sud-est. Cet ancien volcan à la silhouette singulière possède deux sommets. Le plus au nord à 1 744 m se situe en Haute-Loire tandis que l’autre plus élevé (1 753 m) se trouve en Ardèche. Aujourd’hui, tous les reliefs sont bouchés et l’ambiance générale se réduit à toutes les nuances de gris. Même la neige semble avoir perdu de son éclat. Le départ convivial, au cœur du domaine de ski de fond, tempère un peu la morosité ambiante. Comme souvent, je me retrouve à contresens sur la piste rouge qui monte le long des pentes du mont d’Alambre. Les fondeurs sont encore rares à cette heure matinale. Sur cette neige damée et aujourd’hui glacée, l’accroche aléatoire me fait très vite entrer dans le vif du sujet. L’ascension atteint rapidement le plafond brumeux. Un skieur alpin apparaît soudain sur l’écran gris avant de disparaître en un éclair. Après ce premier kilomètre,
La neige saupoudre d’une fine couche le cirque des Boutières et les monts du Vivarais. Les reliefs chaotiques sont autant d’indices de leur nature volcanique. auvergne à ski * 35
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l’échauffement est suffisant pour aborder la suite beaucoup plus ludique dans les virages tracés par la dameuse. Tel un fugitif, je quitte le large chemin de ronde pour un sentier rendu chaotique par le passage de raquettes. Les brumes restent accrochées au mont d’Alambre. Tandis que je traverse un pré, la burle, vive et froide, me brûle la joue gauche. Petite pause à l’abri d’une parcelle de résineux bien dense puis revoici des pistes de ski de fond au Bois de Chaudeyrac. Trois attelages de chiens de traîneau me doublent. Avec leurs yeux vairons, certains semblent loucher, ce qui amuse des enfants aux mines réjouies. Histoire de m’épargner les bords de route, je coupe une nouvelle fois à travers les prés pour rejoindre la rive du lac de Saint-Front. Impossible cette fois-ci de se soustraire au bitume. Des promeneurs en raquettes ont, par chance, tassé les bas-côtés, ce qui facilite ma progression. Une portion de route dégagée m’oblige un peu plus loin à traverser le hameau du Lac à pied. Le chasse-neige s’étant arrêté au niveau de la dernière maison, les skis retrouvent bien vite un sol plus propice à la glisse. D’imposantes congères ont comblé le chemin creux. Qu’à cela ne tienne, je poursuis par les prés. Il est midi passé, un renard trottine sur les bords du lac gelé à blanc. Les nuages filtrent les rayons solaires pour en faire des taches de lumière qui patinent sur le disque immaculé sans laisser de traces. Sa forme parfaitement circulaire trahit son origine. À l’instar des maars de la chaîne des Puys, ce lac s’est niché dans le creux d’un volcan. Devant moi, la burle semble jouer avec la neige en soulevant des volutes de fine poudre blanche. Cette randonnée ressemble de plus en plus à une série de sauts de puce. Fouetté par la burle, je force l’allure sur les espaces découverts et récupère dès qu’un abri se présente. Me voici d’ailleurs sous le couvert d’une belle hêtraie. La lisière exposée plein sud et abritée du vent m’invite au pique-nique. À chaque apparition et disparition du soleil, la température change aussitôt. Mes vêtements noirs captent idéalement la chaleur. Je m’accroupis pour en réduire la déperdition. La dernière tasse de thé sonne l’heure du départ. L’itinéraire m’indique un chemin vers le sud-ouest puis une bifurcation plein est. Je décide de couper encore par les prés exempts de
courants d’air. Je savoure sans mélange cette sensation de liberté que procure la randonnée nordique. À proximité d’une maison, des aboiements m’accompagnent et déclenchent l’envol de deux geais des chênes. Leurs ailes bien arrondies favorisent le vol en sous-bois qui exige de tourner rapidement. Leurs plumes d’un bleu électrique semblent s’allumer à chaque vol plané ponctué de cris éraillés. Ce petit corvidé participe sans le savoir à la dispersion des arbres. Il enterre régulièrement des glands et faînes pour s’en servir de gardemanger. Il est fortement probable qu’il en oublie certains, ce qui permet aux graines de germer. Le chemin creux que je suis porte les traces d’un attelage de chiens. L’épaisse couche de neige durcie est littéralement labourée et la glisse rendue délicate. Je slalome à la recherche de portions plus agréables à skier. La neige, tassée et froide, ne colle pas aux spatules. À droite, la vue se dégage sur la vallée du Lignon dominée par le mont Signon qu’il me faudra contourner par le sud. Le Mézenc, quant à lui, reste coiffé d’un bonnet nuageux. La burle a disparu sur cette lisière exposée plein sud et protégée par la colline des Roches. Je traverse le Lignon par un beau pont romain qui l’enjambe au hameau de Maury et poursuis sur un chemin totalement vierge de traces. Comme la plupart des clôtures ont été enlevées, je file à travers prés avec les maisons d’Arsac en point de mire. Toujours pas de burle à l’horizon. Ici, elle me pousserait dans le dos, ce qui serait bienvenu dans cette longue côte. La pente s’accentue progressivement mais pas suffisamment pour que j’entame des conversions. Les écailles en relief moulées sous les skis me permettent de monter de front. Certains prés sont constellés de mottes de terre soulevée par les rats taupiers. Dans ce pays ponctué de sucs et de monts basaltiques, ces mottes évoquent de minuscules volcans. Si cet animal est une plaie pour les agriculteurs, il représente l’essentiel du régime alimentaire de ses principaux prédateurs, le renard et l’hermine. Ceux-ci, grâce à leur ouïe très fine, sont capables de le repérer sous une bonne épaisseur de neige. Dans ce cas, le campagnol terrestre devient une proie facile à capturer car les galeries qu’il emprunte ne sont plus souterraines mais
Randonneurs à raquettes en partance pour une évasion nordique dans le massif du Mézenc. La leçon de la burle * 36
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Avec la durée du jour rendue très courte, pinsons, geais, corneilles et buses consacrent tout leur temps à chercher de la nourriture, chacun à sa façon : affût ou billebaude. La leçon de la burle* 40
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Un déluge sibérien s’est abattu sur le versant nord du Mézenc si bien que les conifères paraissent momifiés. La leçon de la burle * 42
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La Dent du diable jaillit de la forêt domaniale du Mézenc. Son origine volcanique aurait-elle inspiré cette toponymie ? La leçon de la burle * 44
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creusées en surface. Au printemps, il est d’ailleurs amusant d’observer ces labyrinthes à ciel ouvert que laisse apercevoir la neige une fois fondue. Sur ce versant exposé au nord, la neige soufflée est réduite à une faible épaisseur qui me contraint à longer les haies où elle s’est amassée. Ce serait tellement plus court de skier en ligne droite. J’aperçois un lièvre en course qui ne demande pas son reste et disparaît derrière un pli du relief. Au niveau d’Arsac, une pancarte m’invite à « la balade de la douce ». Au-dessus de la maison d’Autinac, je cherche un passage à gué pour franchir un ruisseau. Surtout, ne pas mouiller les skis sous peine de ruiner la glisse. La neige est capricieuse parfois ! Elle se colle et s’amasse sous les spatules mouillées pour atteindre jusqu’à dix centimètres. La glisse est réduite à néant et le poids de cette neige accroît la fatigue. Pour éviter ce désagrément, un détour est préférable pour trouver « le » bon passage. L’entrée en sous-bois s’accompagne de cette sensation récurrente de tourner le dos au monde des hommes. D’où vient donc cette association systématique ? Des lectures de Thoreau ? Des traces de raquettes reconduisent bien vite mes pensées vers notre société de loisirs. À l’intersection suivante, l’itinéraire s’infléchit dans la pente. Le boisement assez dense et la poudreuse épaisse ne me laisseront pas un souvenir impérissable. En filant tout droit, le sommet du mont Signon n’est qu’à 500 mètres mais, dans la clairière, j’oblique à gauche au niveau d’un beau massif de framboisiers dénudés. L’image des fruits roses et odorants évoque l’été, ses cueillettes et ses confitures. Il doit bien m’en rester un bocal oublié tout au fond d’un placard. Les deux derniers carrés de chocolat font aussitôt les frais de ces pensées gourmandes. Je longe ensuite un pré parsemé de pins. Des chevaux de trait à l’encolure et aux pattes massives s’abritent derrière les troncs. S’ils veulent jouer à cache-cache, je suis sûr de gagner la partie, à moins que je me cache derrière un ski. Au bout de la côte, avec le mont Signon à ma droite, le paysage s’ouvre à nouveau. Le village de Chaudeyrolles en contrebas à droite domine ses narces, des tourbières aujourd’hui cachées sous la couette neigeuse. À gauche, les protubérances volcaniques de la Grosse Roche, de la Dent du diable et de la Roche pointue jalonnent le piémont du Mézenc. Ce dernier apparaît furtivement dans les trouées nuageuses. Une petite rafale bien fraîche interrompt ma pause contemplative. Au secours ! La burle
est de retour. Descente en douceur vers la route reconvertie en piste de ski de fond au hameau de Chantemerle. L’efficacité des skis de randonnée nordique est incomparable. Leur largeur et leurs carres métalliques offrent une stabilité et un contrôle parfaits. Je me souviens de certaines descentes rendues épiques par l’étroitesse de mes skis de fond sans carres. La fatigue commence à se faire sentir à l’entrée dans la forêt domaniale du Mézenc. Moins de 5 km me séparent de l’arrivée. Sachant que je m’arrête régulièrement pour boire, le poids que je porte sur le dos s’amenuise lui aussi. Une portion en lisière de bois m’invite à la pause. Les monts du Vivarais offrent un paysage aux reliefs chaotiques. C’est dans ce paysage, au pied du Gerbier de Jonc, que la Loire prend ses sources (elles sont au moins trois). À l’instar de ses voisins, cet ancien volcan en forme de pain de sucre semble avoir déjà quitté l’hiver. Même le versant ardéchois du Mézenc est presque déneigé. Après un raidillon éprouvant, le sentier me replonge au milieu des résineux plantés en rangs serrés. Le sous-bois s’aère peu à peu avec l’âge croissant des arbres. En lisière nord, l’ambiance est juste polaire. Les pins à découvert sont figés sous une épaisse calotte de neige durcie. La burle s’en donne à cœur joie. Je sors aussitôt la veste en Gore-Tex et enfile les gros gants de ski. Le ciel chargé de nuages gris sombre cache encore le sommet vellave du Mézenc. Je longe la Grosse Roche aussi vite que possible pour rejoindre le couvert de la forêt plantée. Malgré mes vêtements techniques, la burle parvient à s’insinuer et me voilà transi. Pas une âme sur la piste de ski de fond que j’emprunte maintenant. L’impression que j’ai de skier en pilote automatique me fait soupçonner une petite hypoglycémie. Heureusement, le plus dur est derrière moi mais le temps semble s’étirer et la piste ne pas avoir de fin. Chaque petite côte à gravir me paraît une montagne et je ne rêve que d’une chose : un grand bol chaud rempli de céréales sucrées au miel. À la croix de Peccata, j’entrevois la fin de mon supplice. Je termine la descente au ralenti, juste à la force des bras et en grelottant. Quelques minutes plus tard, je retrouve mon véhicule resté sur le parking. J’allume le réchaud qui diffuse rapidement une douce chaleur et les vitres s’embuent.
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Gore-Tex de rigueur pour traverser les glacis fouettés par la burle. Au cœur de la tourmente, les espaces boisés deviennent des refuges convoités. La leçon de la burle * 46
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La neige en suspension voile les pentes septentrionales du Mézenc et la durée du jour est réduite à peau de chagrin. La croix de Peccata annonce la fin du périple. auvergne à ski * 47
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Dans les forêts du Livradois Le Haut-Livradois est un pays méconnu. Ces hautes terres boisées à une heure de route de la capitale auvergnate sont un peu les Tamanrasset ou Tombouctou du département. Seuls quelques amateurs de champignons viennent y rôder à l’automne. Mon village se situe en deçà des grandes forêts, dans la pente du versant occidental du massif. Rien n’arrête le regard qui cascade au gré des reliefs pour descendre dans le val d’Allier. L’horizon s’étire sur les monts Dore et la chaîne des Puys. Échandelys culmine à près de 900 m et l’enneigement y est fréquent. Dès la sortie du bourg, de nombreux chemins conduisent dans la campagne. Partir skis aux pieds de chez moi, voilà un de mes plaisirs favoris dès que la neige tombe. Ce vendredi de janvier, je décide donc de randonner pour la journée. Pour avoir arpenté le secteur depuis que je me suis installé ici voilà six ans, j’ai une idée précise du parcours. L’impératif est de partir suffisamment léger pour préserver le plaisir. Au pied, des chaussures souples mais chaudes et des skis équipés de fixations NNN BC. Le portage est assuré par un sac à dos de 30 litres contenant des vêtements chauds pour les pauses et le pique-nique. L’eau étant toujours associée à du surpoids, je ne prends qu’une Thermos d’un litre d’eau chaude plus une bouteille d’un demi-litre d’eau froide. Si la soif est vraiment trop forte, un réchaud léger me
Pays de forêts, le Haut-Livradois se retrouve quelquefois dans les nuages. La neige passe alors du blanc au gris. auvergne à ski * 51
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Cette corneille noire brave la tempête de neige qui s’abat sur Échandelys. Les gros flocons auront vite fait de former une épaisse couche propice à la glisse. Dans les forêts du Livradois * 52
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permettra de faire fondre de la neige. Le menu se compose d’une boîte de thon, d’une baguette de pain, de clémentines et de gâteaux à la pâte de figue. J’ai complété le tout par une couverture de survie. Le bulletin météo annonce un ciel gris toute la journée. Comme je serai en forêt la plupart du temps, ça n’est pas un problème. Il est 8 h 30, je rejoins en marchant le chemin qui mène à la croix. Les rues du village, gravillonnées par Marcel, le cantonnier, m’interdisent de chausser les skis sur le pas de la porte. En longeant la croix et le jardin d’une amie, la vue s’ouvre de suite sur le Cézallier que le soleil voilé colore quand même de tons chauds. Au bout de cinq cents mètres, je décide de retirer une épaisseur et de n’en garder que deux. Le juste compromis est d’avoir suffisamment chaud mais de limiter la transpiration. À la sortie du bourg, je longe la route. En la déneigeant, le cantonnier a créé d’épais tapis sur les bas-côtés, qui facilitent la progression. Merci Marcel de nous préparer la route chaque matin avant le lever du jour ! Par endroits, la couche peu épaisse m’incite à la prudence. Bien que mes skis ne soient pas neufs, j’ai envie de les faire durer et de conserver une bonne glisse. Première descente vers le ruisseau du Moulin-Neuf. La neige, poudreuse à souhait, procure une glisse parfaite. Je grimpe ensuite jusqu’au hameau du Mas, traverse la route en marchant à ski entre les gravillons de pouzzolane et poursuis le long de la petite route. Un coup d’œil en arrière me gratifie d’une belle vue sur Échandelys et ses toits enneigés. Après Fiosson, la balade prend une allure plus sauvage. Je quitte enfin le monde des humains pour celui des bois… illusion puisque tous ces arbres furent plantés par l’homme dans les années 1950. Dans le café du bourg, une ancienne carte postale montre des reliefs pelés dans la direction que je vais emprunter. Le bois de Mauchet que je m’apprête à traverser n’existait donc pas il y a un siècle. Avant de disparaître dans le chemin forestier, je pose ma veste coupe-vent. Je sais que les arbres me protégeront des courants d’air et, après cette première heure de randonnée, je suis suffisamment réchauffé. Depuis la lisière, le panorama m’émerveille une fois de plus. Le massif du Sancy est tout jaune. Les trois sommets cantaliens émergent au sud-ouest. Le Plomb, le Peyre-Arse et le puy Mary. Une nappe de brume voile la plaine d’Issoire d’un bleu translucide. Les teintes générales de ce début de matinée naviguent sur une palette de
tons froids. Dans un champ à deux cents mètres de moi, trois chevreuils sont occupés à brouter. Leurs silhouettes graciles se repèrent de loin sur ce fond blanc. Une fois passé le dernier raidillon, mes skis rejoignent les traces étroites de skieurs de fond. Sur cette ancienne voie romaine reconvertie en piste forestière, la couche atteint désormais quinze bons centimètres. Avec les sapins pectinés bien espacés, le sous-bois respire et se fait accueillant. Il me donnerait presque envie de quitter le chemin et de partir à la billebaude entre les massifs de myrtilliers. Mais les journées sont courtes, mieux vaut ne pas s’éterniser. Skier sur ce plateau est d’une facilité qui m’incite au skating. La neige n’est pas damée mais suffisamment dure pour cette technique très sportive. Par moments, surprises, des mésanges boréales lancent leur cri d’alarme susurré. Des mésanges bleues et charbonnières prennent le relais. Ces passereaux se regroupent en hiver et évoluent par bandes comprenant plusieurs espèces. Une stratégie qui leur facilite la recherche de nourriture. De surcroît, comme dix paires d’yeux valent mieux qu’une, les prédateurs comme l’épervier sont rapidement repérés. Au hameau des Deux-Frères, je retrouve le vent mais aussi le panorama exceptionnel. La couverture nuageuse, suffisamment haute, épargne les sommets auvergnats. Les volcans se suivent en rangs serrés sur l’horizon occidental. Lorsque je suis là-haut, au col de la Croix-Saint-Robert, j’aime bien chercher mon village à l’aide des jumelles. Il semble perdu dans les hauteurs boisées, tel un Machu Picchu auvergnat. Onze heures sonnent au carillon de l’église. Je rebrousse chemin puis bifurque à droite. Consternation, un engin forestier a littéralement labouré le large chemin totalement déneigé. Me voilà contraint de déchausser et de marcher sur trois cents mètres. Le choix de chaussures souples et légères pour cette randonnée nordique s’avère judicieux. En bas d’une longue descente encombrée par des troncs coupés, le manteau neigeux s’épaissit. Ce sont vingt centimètres de fine poudreuse qui recouvrent le chemin pénétrant dans la forêt de Boisgrand. Cette ancienne forêt royale, propriété de l’État, est gérée par l’Office national des forêts. Les parcelles de résineux plantés en rangs serrés y sont plutôt rares et les techniciens leur préfèrent la futaie jardinée. Des arbres d’essences et d’âges variables y poussent sur un lit épais de auvergne à ski * 53
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Le massif du Sancy trône au-dessus des sapins bien alignés et de la brume qui noie le val d’Allier (double page précédente). Dans les forêts du Livradois * 56
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L’eau multiforme se dépose en fins cristaux hérissés telles des plumes ou se mue en glace translucide et sculptée par la forme du courant. auvergne à ski * 57
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Pic épeiche, pie bavarde et chevreuil sortent du bois baigné par une lumière féerique. Dans les forêts du Livradois * 58
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mousse bien verte. Sauf qu’aujourd’hui, c’est le blanc qui domine. Je retrouve la route, contourne la maison forestière et poursuis sur le chemin sous la frondaison de sapins plusieurs fois centenaires. Le regard se promène lui aussi dans ce sous-bois ouvert et vallonné à la perspective changeante. La bouteille Thermos, les mandarines et les biscuits font une apparition éphémère, le temps d’une courte pause. Il ne fait pas très froid en plein cœur de ce massif forestier. Comme j’ai prévu de pique-niquer aux étangs de la Colombière, les skis repartent à nouveau dans la poudreuse avec cette griserie que procure la sensation d’évasion. Quelle belle échappée dans ce Haut-Livradois, mon pays d’adoption, secret mais si attachant ! Au hameau de Puy-Sautier, me revoici à fuir la pouzzolane, lâchée abondamment sur la route. Je me hâte de disparaître dans le bois des Pères où je ne tarde pas à pester une fois de plus contre le forestier qui a littéralement défoncé le chemin, creusant des ornières profondes et irrégulières. La descente en est rendue difficile et toute mon attention est requise pour anticiper les irrégularités du terrain, bien cachées sous la neige. Au sortir du bois, la fenêtre s’ouvre largement sur les prés et maisons du hameau de la Colombière. De ce point haut qui s’élève à 1 082 mètres, la canopée des massifs forestiers prend l’air d’un vaste océan à la surface grise et figée en douces ondulations. Le cri d’un pic épeiche aimante mon attention. Le voilà, perché bien en évidence sur une branche verticale d’un pin cassé. « Pouic pouic », l’onomatopée n’est sans doute pas très heureuse mais fidèle. Son plumage bigarré de noir et de blanc contraste sur fond de ciel gris clair. À son envol, la tache rouge de son bas-ventre rehausse l’ensemble et l’oiseau poursuit son vol ondulant vers un arbre plus éloigné. Aucune cheminée ne fume à la Colombière. Je passe mon chemin pour plonger à nouveau en sous-bois. Des deux étangs, ma préférence va au plus petit. En retrait du premier, il paraît plus sauvage avec son île minuscule plantée de pins. Sa partie émergée évoque l’astéroïde du Petit Prince qui prend pourtant bien soin de couper les baobabs. Cette île est donc abandonnée. Sous la neige, la couche de glace bien épaisse doit permettre d’y accéder mais le pique-nique aura lieu bien
sagement sur la rive, entre pins et bruyères. Non loin du bord, un héron cendré arpente la surface enneigée. Surprenante rencontre interrompue dès que l’oiseau me repère. Le ruisseau de la Grive qui passe en contrebas est sans doute son coin de pêche favori quand tout est gelé alentour. Retrouvant ma solitude, je prends le temps de savourer du chocolat noir fourré au praliné. C’est sûr, je n’échangerais pas ma place contre celle du héron. Le bois de l’Oiseau est sillonné de nombreux sentiers et chemins. Une belle occasion de s’offrir quelques détours au lieu de filer tout droit vers le hameau de Ladoux. En pleine forêt, les rencontres humaines et animales se font rares. L’itinéraire en montagne russe est ludique. À l’approche de la route qui mène à Ladoux, afin d’épargner à mes skis la pouzzolane, je bifurque dans un étroit chemin creux qui monte à gauche et se poursuit en lisière. Le champ visuel s’élargit une nouvelle fois. Au loin, vers le nord-est, la forteresse médiévale de Mauzun se découpe au sommet de son volcan éteint. De grandes coupes à blanc aèrent le bois de Guérine que je quitte pour contourner l’étang du Fangonnet à la surface lisse et immaculée. La route secondaire que j’emprunte, peu fréquentée, m’offre une qualité de glisse digne des pistes de ski de fond. Le chasse-neige y a laissé une couche lisse et dure. Les gravillons de pouzzolane, très rares, m’invitent à une nouvelle session de skating, histoire de changer de rythme. De chaque côté de la route, tous les arbres sont figés dans une gangue de givre blanc qui leur donne un air de sculptures en sucre. À un kilomètre m’attend un nouveau panorama. Cette route peu fréquentée exige quand même un peu de vigilance car la neige assourdit le bruit des voitures. La factrice qui me croise se fend d’un sourire surpris ou envieux peut-être. Au détour d’un bois, les monts du Cantal et du Cézallier apparaissent enfin. Demitour pour rejoindre un chemin à gauche. Nouvelle immersion forestière le temps d’une longue descente vers la Bessière. Y reverrai-je la martre observée l’été dernier ? Les skis en chasse-neige évitent de prendre trop de vitesse pour traverser le hameau sur la route enneigée. En face, de l’autre côté de la vallée, Aix-la-Fayette et ses maisons rassemblées autour de
Le pin est de loin mon conifère préféré. Ses branches aérées, ses courbes délicates et son écorce colorée lui confèrent un charme boréal volontiers envoûtant. Dans les forêts du Livradois * 60
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En vue du village d’Aix-la-Fayette, le paysage devient polychrome. Les plumages aux tons chauds de la sittelle et du bouvreuil répondent à ceux des maisons et de la neige du soir. auvergne à ski * 63
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l’église. Qu’elles sont belles ces maisonnettes avec leurs toits de tuile et leurs murs de granit aux tons chauds ! La bonne couche de poudreuse m’évite de prendre trop de vitesse dans l’étroit chemin qui plonge en fond de vallée. Après le ruisseau des Bordes, deux solutions s’offrent à moi pour finir la boucle : remonter derrière le village vers le bois du Marquis ou rester à découvert dans la vallée. Je privilégie la seconde route pour éviter les chemins forestiers souvent défoncés et rendus traîtres. Dans le pré que je longe chasse souvent un renard, en pleine journée. Aux abords d’une ferme, un groupe de pinsons du nord décolle du chemin pour se percher dans une rangée d’aulnes. Juste après mon passage, les voilà qui redescendent pour picorer du tournesol déposé sans doute à leur attention. Après Lospeux, je poursuis dans le pré de droite pour éviter la route puis la rejoins avant de pénétrer plus loin dans le bois du Marquis. Le chemin en balcon surplombe la vallée de la Maillerie et le village d’Échandelys. Le froid se fait de nouveau sentir. Des traces d’écureuil m’accompagnent sous les grands sapins pour terminer cette randonnée forestière.
Avant de chausser les skis, un coup d’œil par la fenêtre pour contempler cette aurore délicate et rosée sur les sommets du Sancy. Dans les forêts du Livradois * 64
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