la rentrĂŠe brune
rouergue 2014
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Marie-Sabine Roger
© John Foley / OPALE
Née en 1957 près de Bordeaux, Marie-Sabine Roger vit désormais en Charente. Depuis quinze ans, elle se consacre entièrement à l’écriture. Auteur jeunesse important, avec plus d’une centaine de livres à son actif, elle accède à la notoriété en littérature générale avec La Tête en friche, publié en 2008 dans la brune, adapté au cinéma par Jean Becker, avec Gérard Depardieu dans le rôle principal. Son deuxième titre publié au Rouergue, Vivement l’avenir (2010), a obtenu le prix des Hebdos en région et le prix Handi-livres, son troisième, Bon rétablissement, a reçu le prix des lecteurs de l’Express.
L’EXPRESS
« Marie-Sabine Roger a un talent fou pour raconter des histoires simples de gens simples. Pas si facile… Ce petit bout de femme sait regarder le monde, le retranscrire avec doigté et humour tout en pointant, cerise sur le gâteau, la meilleure part de l’homme. »
trente-six chandelles Allongé dans son lit en costume noir, ce matin du 15 février, Mortimer Decime attend son anniversaire : il aura 36 ans à 11 heures du matin. Il attend plutôt sa mort, car depuis son arrière-grand-père, tous les hommes de sa famille sont décédés le jour de leur 36e anniversaire. Malédiction familiale ? La poisse serait-elle héréditaire, comme les oreilles décollées ? Quand ce destin funeste pèse sur vous depuis la naissance, cela n’incite pas à faire des projets, comme se marier, engendrer, s’engager avec énergie dans la vie professionnelle ou même simplement tomber amoureux. À quoi bon ? Mortimer s’est donc laissé vivre, modestement et sans ambition, jusqu’à ce dernier anniversaire. En prévision, il a même démissionné de son travail, mis fin au bail de son appartement et vendu sa voiture… Mais le sort lui joue un drôle de tour. Car ce 15 février à 11 heures, Mortimer ne meurt pas. Pour son malheur, le voici en pleine santé, sans travail et sans appart… et il va lui falloir désormais vivre vraiment, sans connaître l’heure de sa mort, comme tout un chacun, en somme ! Dans ce nouveau roman, Marie-Sabine Roger fait preuve, comme toujours, de fantaisie et d’humour et nous donne une belle leçon d’humanité. Que fait-on chacun, de notre vie, la seule que nous ayons ? On tourne les pages pour découvrir la saga hilarante des Decime, tout en accompagnant Mortimer dans son propre destin de « condamné à vivre ». On se sera aussi attaché à quelques personnages attendrissants, comme Paquita et Nassardine, vendeurs de crêpes amoureux fous l’un de l’autre depuis trente ans. Quant à Jasmine, pleureuse de banc et coiffeuse pour chien, qui sait prendre chaque jour comme il vient, on patientera jusqu’aux dernières pages du roman pour savoir si, enfin, Mortimer prendra le risque vital et amoureux de la rejoindre... jusqu’en Amérique ! Parallèlement à la sortie de Trente-six chandelles, le précédent roman de Marie-Sabine Roger, Bon rétablissement adapté au cinéma par Jean Becker, sera en salles mi-septembre. (MarieSabine Roger est scénariste associée, avec Jean-Loup Dabadie).
20 août 2014 14 x 20,5 - 288 pages - 18 e ISBN : 978-2-8126-0681-6
extrait
trente-six chandelles
On a beau essayer de prévoir l’imprévisible, l’intempestif survient au plus mauvais moment : je m’apprêtais à mourir. Décéder fait partie de ces moments intimes qui supportent assez mal les témoins importuns. Je m’étais préparé de longue date, en vue de ce dernier instant. J’avais résilié mon bail pour la fin du mois. Le ménage était fait, poubelles sorties, placards et réfrigérateur vidés, vitres et sol à peu près impeccables. Je venais de couper le gaz et l’électricité, après mon café du matin. Mes papiers étaient tous en ordre. Je pouvais m’en aller serein. Pour fêter l’événement, je m’étais même acheté un costume de deuil, avec chemise et chaussures assorties. Je n’avais pas lésiné sur le sombre et le noir. Pour les chaussettes, j’avais eu plus de mal à me déterminer. Imprimées de motifs, discrètement rayées ? Finalement, j’avais opté pour une fantaisie : des oursons rouges et jaunes, clonés façon Andy Warhol, sur fond de neiges éternelles. Mourir, d’accord, mais du bon pied. J’adorais ces chaussettes.
Je m’étais levé plus tôt que d’habitude. Six heures du matin. La journée était importante, et je savais déjà que je n’irais pas jusqu’au bout. Je suis allé chercher des croissants à la boulangerie, je me suis fait un café. J’ai regardé mes albums de photos. J’ai repassé un petit coup de chiffon inutile sur ma cuisinière impeccable, j’ai essayé de regarder un film, de lire, sans succès. J’ai consulté deux cents fois la pendule. C’est curieux comme le temps semble se ralentir, à l’approche d’un rendez-vous. Les heures deviennent visqueuses, s’étirent en minutes élastiques et gluantes comme un long fil de bave sous la gueule d’un chien. J’attendais ce moment final depuis tellement longtemps. Je n’irai pas jusqu’à dire que je m’en faisais une fête, mais j’étais
curieux de savoir ce qui allait se passer. J’étais simplement contrarié que ça se passe ici. Au cours des dernières années, j’avais échafaudé mille projets insolites ou grandioses : tirer ma révérence au fin fond de la Chine, dans une fumerie d’opium ; chez les Aborigènes, au son mélancolique d’un vieux didgeridoo. Sur les pentes d’un volcan. Dans les bras de Jasmine, en plein cœur de Manhattan. Je n’avais rien fait de tout ça, évidemment. En bon procrastinateur que je suis, j’avais perdu mon temps à remettre au lendemain le choix de ma destination finale. Résultat, je n’avais pris aucune décision, et je mourrais chez moi, comme n’importe qui. Cette ultime matinée était très décevante, il me tardait d’en voir la fin. Cinquante minutes avant l’heure prévue, comme je tournais en rond et que je commençais à m’enquiquiner ferme, je me suis allongé sur mon canapé-lit pour me détendre un peu, dans cette fameuse posture dite « du cadavre », bien connue des défunts et de ceux qui pratiquent plus ou moins le yoga, ce qui était mon cas depuis trois semaines. Paumes de mains tournées vers le ciel, jambes légèrement écartées, pointes de pieds tombant négligemment vers l’extérieur, diaphragme détendu, le souffle lent et calme, les yeux rivés sur cette saloperie de pendule accrochée sur la hotte, juste en face de mon lit, qui n’en finissait pas de grignoter mes secondes restantes avec la discrétion d’une vieille dame dont le dentier résiste à un quignon de pain. Il était déjà 10 h 12.
À 10 h 13, on a toqué fermement à la porte, qui s’est ouverte dans la foulée, puis refermée aussitôt en claquant. Voilà, je me disais bien que j’avais oublié quelque chose : je n’avais pas pensé à mettre le verrou. – Encore au pieu, gros paresseux ?! a jeté Paquita en traversant le studio d’un pas vif, telle une antilope dodue qui trottinerait vers le point d’eau sur des talons de douze centimètres. Elle a jeté au vol sa fourrure synthétique sur le coin de mon lit, puis est allée derrière le bar qui sépare le coin cuisine du coin séjour-chambre-bureau. Paquita est partout chez elle, encore plus lorsqu’elle est chez moi. Elle fait partie de ces gens à géométrie variable qui occupent aussitôt tout l’espace d’une pièce, quelle qu’en soit la superficie. Elle a dit : – Tu sais qu’elle ne marche pas, ta sonnette ? Normal, j’ai coupé l’électricité. Elle m’a jeté un coup d’œil machinal et, là, elle a marqué une légère surprise : – Tu dors en costume, toi, maintenant ? Puis : – Mais c’est quoi, ces chaussettes ? T’as fait les soldes au Secours populaire ? Elle a ri de sa blague. En matière d’humour, elle n’est pas exigeante. Elle a pris une tasse dans le placard du haut, elle a dit : – Il te reste du café, j’espère ? Oui, ouf !
Puis : – C’est drôlement bien rangé, dis donc ! Toi, tu as invité une copine pour la Saint-Valentin, hein, canaille ? Non. Puis : – Ta cuisinière non plus, elle marche pas ! T’aurais pas disjoncté, par hasard ? Je suppose que si. Je suis même certain que c’est de longue date. Et ensuite : – C’est pas grave, c’est encore chaud. Et tout de suite après : – Pffiou ! C’est le désert du Colorado, ton frigo, mon loulou ! Si le vent se lève, ça fera rouler des boules d’herbe, comme dans les westerns ! Probablement pas, non, car les « boules d’herbe » en question, appelées tumbleweeds, ou encore virevoltants – de leur vrai nom Salsola tragus – se trouvent essentiellement dans les déserts du nord des États-Unis, et non dans le Colorado. Par ailleurs, il n’y a jamais de vent dans un réfrigérateur. C’est absurde. Inutile d’argumenter, Paquita écoute rarement ce qu’on lui dit. Je n’ai pas rectifié, ni sur la botanique, ni à propos de mon choix en matière d’habillement. J’adorais ces chaussettes. Point. Et ce n’était sûrement pas elle qui allait me donner des conseils sur mon look : Paquita s’habille comme une pute.
C’est dit sans mépris de ma part, c’était sa première vocation, et je respecte ceux qui ont un projet de vie. Mais on ne fait pas toujours ce qu’on aurait voulu faire. Nassardine l’a tirée du trottoir avant même qu’elle s’y pose. Enfin, ça, c’est une autre histoire. Je l’aurais racontée, si j’avais eu le temps.
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Anne Percin
Née en 1970 à Epinal, Anne Percin vit en Saône-et-Loire où elle partage sa vie entre l’enseignement et l’écriture.
© John Foley / OPALE
Découverte en 2009 avec Bonheur fantôme, son premier roman en littérature générale, elle publie Le Premier été, en 2011, qui paraît en collection Babel en août prochain, et a été adapté en téléfilm par Marion Sarraut pour France 3, sur un scénario de Sylvie Granotier, avec Romane Bohringer dans le rôle de la narratrice. En parallèle, elle s’est imposée comme un écrivain pour la jeunesse, avec une dizaine de livres déjà publiés. Elle est notamment l’auteur d’une trilogie culte pour les adolescents, Comment (bien) rater ses vacances, dans la collection doado du Rouergue jeunesse.
les singuliers Durant l’été 1888, Hugo Boch, jeune peintre d’origine belge, prend pension chez Marie Gloanec, à Pont-Aven. Ce village pittoresque du Finistère attire l’avant-garde qui, rejetant l’académisme ou même la mode impressionniste, cherche à peindre d’après nature. Le chef de la bande est un certain Gauguin, autodidacte à la grande gueule qui croit en son génie, ainsi que dans celui d’un autre peintre en marge, un Hollandais au nom de Vincent Van Gogh, réfugié dans le Sud. Hugo, lui, n’est plus si assuré de vouloir continuer à peindre, après avoir raté l’entrée aux Beaux-Arts. Ce qui l’intéresse vraiment, c’est la photographie, seulement elle n’est pas encore considérée comme un art, au mieux comme une aide technique pour les peintres… Bientôt ses parents, de riches industriels de la faïencerie Villeroy et Boch, lui coupent les vivres. Durant les deux années qui suivent, refusant de réintégrer les ateliers ou de participer à des salons, Hugo vit reclus sur les terres bretonnes, à la recherche de sa singularité, notamment en explorant son rapport énigmatique à la mort, au travers des portraits mortuaires de paysans qu’il réalise… Mêlant des figures historiques et des personnages fictifs comme ce Hugo Boch, Les Singuliers dessine la diversité des destins d’artistes, entre réussite académique, liberté créatrice et suicide, puisque le roman se ferme sur celui de Van Gogh, en 1890. Par une foule d’anecdotes, issues d’une recherche documentaire importante, Anne Percin capte l’esprit du temps, non seulement ce basculement créatif qu’inaugurèrent ces explorateurs solitaires que furent Gauguin et Van Gogh, mais aussi l’évolution des techniques et celle des mœurs. Écrit sous la forme épistolaire (principalement les échanges entre Hugo, sa cousine Hazel vivant à Paris et son ami Tobias, à Bruxelles), Les Singuliers est un roman bouillonnant, d’une très fine intelligence sur le processus de création, ainsi d’une grande maîtrise romanesque, dans ce mélange parfaitement réussi entre personnages fictifs et figures historiques.
20 août 2014 14 x 20,5 - 400 pages - 19 e ISBN : 978-2-8126-0678-6
extrait
les singuliers
Pont-Aven, dimanche 12 août 1888 Tobias, Premier jour ici. C’est à toi que j’écris. Tu vois, ce que je t’avais promis de faire, je l’ai fait. J’ai eu, pour une fois, un peu de courage et d’esprit d’aventure, tu seras content de moi peut-être ? J’ai quitté Paris et laissé ma cousine Hazel là-bas, elle se débrouille très bien sans moi. Certes, la famille Boch m’en voudra jusqu’à la fin des temps, mais je préfère sa rancune à la tienne et au remord de n’avoir jamais rien tenté dans ma vie. Je suis arrivé en Bretagne hier : par le train d’abord, de Paris à Quimperlé, puis en malle-poste. J’étais assez disposé à accomplir le reste du trajet à pied, en souvenir de nos pérégrinations dans les Flandres, mais une malle, un chevalet et un appareil photographique, ça vous plombe les semelles ! Finalement, j’ai fait comme tout le monde : pour rejoindre Pont-Aven, on s’entasse dans une voiture à cheval et on endure les cahots du chemin en causant de peinture avec
les autres… Comme les rêves qu’on a chéris nous semblent pauvres, quand ils traînent sur les routes et sont ceux de tout le monde ! La malle-poste nous a lâchés au centre du village, sur une place avec des hôtels. Le premier était trop cher pour moi, les autres complets. En prenant un verre dans un café, j’ai rencontré Laval, un peintre parisien : il m’a conseillé la pension Gloanec. Le déjeuner pour un franc, la pension complète pour soixante ! Il restait une chambre, je l’ai louée pour le mois : me voilà installé. De la mansarde où je suis logé, me parviennent en ce moment même des cris de mouettes qui me rappellent la mer du Nord et nos échappées dans le Westhoek, et j’en deviens bêtement nostalgique. Mais il suffit que je me penche par la fenêtre pour que tout change : j’aperçois l’Aven toute verte qui roule son eau à lessive, le pont où en ce moment même, sur le parapet, sont assis des peintres qui causent entre eux et dont j’entends les voix fortes, et puis à droite, la place avec ses tilleuls, les chaises et les tables de l’hôtel Julia où boivent les Anglais et les Américains. Les pipes fument dans l’air du soir, ça sent le tabac, la marée basse, l’huile de restaurant et l’essence de thérébentine. Je me sens incapable de prendre un crayon pour dessiner tout cela, je ne suis plus très sûr d’être venu pour apprendre à peindre. Peut-être apprendre à sentir, à voir, à vivre. Ce serait déjà beaucoup. J’espère que ta cure t’a fait du bien ? Je poste cette lettre à l’adresse de ta mère à Ostende, espérant que tu l’auras bientôt et qu’elle te trouvera en meilleure santé. N’oublie pas de m’écrire à la : Pension Gloanec, Pont-Aven, Finistère. France. Fidèlement ton ami, Hugo
Télégramme – Pont-Aven, poste centrale – jeudi 16 août 1888 – à : Paris, bureau de poste Courcelles-Ternes À mademoiselle Hazel Boch – Bien arrivé au pays des sauvages — Envoyez renfort moral le plus vite possible — Merci d’écrire à Hugo Boch, Pension Gloanec, Finistère. Amicalement, ton cousin.
Paris, 17 août 1888 Mon petit bonhomme, Ne crois pas que tu puisses t’en tirer comme ça. Miss K et moi, on ne t’a pas regardé partir, la larme à l’oeil, agitant des mouchoirs en gare du Montparnasse, pour se contenter d’un vulgaire télégramme, fût-il amusant. Je veux une photographie de toi en pied devant un paysage breton, et une longue lettre avec des dessins, sans quoi je ne réponds de rien. Bien à toi, Ta fulminante Hazel
(...)