De la même autrice au Rouergue Phalaina - 2020, roman épik.
Illustration de couverture : Clémence Paldacci © Éditions du Rouergue, 2024 www.lerouergue.com
Alice Brière-Haquet
SOIE
LES ORPHELINS D’ARGENTAN Illustrations de Clémence Paldacci
Message à la centrale L’enfant est là. Aucun doute sur son identité. Attendons ordres.
1. Installation L’araignée l’observait dans son coin. Lise en était sûre, ou en tout cas, voulait le croire. Elle avait toujours aimé ces bestioles à huit pattes, et cette minuscule présence la rassurait. L’immense dortoir de pierre grise paraissait encore plus grand sans ses pensionnaires. Elles étaient probablement toutes en cours à cette heure-là. Plus tard, ce soir, les petites filles reviendraient, et alors les murs froids se rempliraient de rires et de cris. Mais pour l’instant, Lise ne put réprimer un frisson devant 6
l’alignement de petits lits tous identiques, sans un pli. Ici venaient se déposer les jeunes orphelines d’Argentan, avec leur courte vie déjà pleine de vides. Lise porta son regard sur l’araignée, lui sourit, puis elle respira un grand coup et ouvrit son sac de voyage. Elle avait apporté toutes ses affaires, mais il n’y avait presque rien. Quelques dessous, deux robes en toile solide et épaisse, et une autre un peu plus jolie, pour aller à l’église. C’est sa maman qui les avait cousues, toutes les trois, mais la dernière avait été faite dans un air de fête. Elles avaient choisi ensemble, longuement, le modèle, puis le tissu moucheté de fleurs bleues et enfin les deux boutons lavande. Lise les caressa du bout des doigts et son cœur se serra. Maman. Ne pas y penser.
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Mais son visage la regardait depuis le fond du sac. Un dessin qu’Alexandre avait fait l’été dernier. Alexandre n’avait que treize ans, mais il était déjà fort dans tant de domaines ! Plus fort même que bien des adultes. Le dessin au fusain était vraiment superbe. On reconnaissait bien le sourire de sa maman. Papa aussi était là. C’était peu de temps avant qu’il ne parte pour son dernier voyage et ses yeux brillant de confiance en l’avenir blessèrent Lise. Suivait l’autoportrait de son frère, avec ses traits fermes. Et puis le sien… Elle s’adressait un sourire posé, un peu coincé peut-être. Sur le papier, elle semblait beaucoup plus jeune. Ces quelques mois l’avaient vieillie. Il manquait Tom, évidemment. Lise aurait aimé qu’Alexandre fasse aussi un portrait de Tom, mais tout s’était enchaîné si vite.