tu parles, Charles !
Illustration de couverture : Charles Dutertre
Graphisme de couverture : Olivier Douzou © Éditions du Rouergue, 2004, 2024 www.lerouergue.com
Vincent Cuvellier tu parles, Charles !
chapitre 1
Charles a un prénom de vieux, une tête de vieux, des habits de vieux. Mais c’est pas un vieux. C’est un type de ma classe. Il est toujours assis devant moi. Je connais ses oreilles par cœur, ses grandes oreilles décollées, et son gros dos voûté et ses cheveux coupés tellement court qu’on le croirait chauve.
Ici, personne ne lui adresse la parole. Sauf pour lui demander une gomme, un crayon, une feuille, des bonbecs, un résultat de division, 2 euros, l’heure, n’importe quoi.
Alors, il soulève son visage, replace ses lunettes sur son nez et, sans regarder dans les yeux, souffle :
Tu parles, Charles, j’ai encore dans ma trousse des dizaines de stylos avec la petite étiquette « Charles Philippe ».
Même la maîtresse, on sent bien qu’elle se force pour lui parler : « Charles Philippe, 10 sur 20… moyen. »
Avec moi, c’est tout le contraire, j’ai jamais moyen. Soit j’ai la meilleure note de la classe, en rédaction ou en histoire, soit la plus mauvaise, en maths.
Je déteste les maths.
En gym, c’est la même chose : je suis super bon à la course et au saut en hauteur, par contre je
déteste tous les sports à plusieurs, le hand, le basket, le volley, le foot. Surtout le foot.
Voilà les deux trucs que je déteste dans la vie : les maths et le foot. Et les pulls qui grattent.
Charles est dispensé de gym. Je crois que c’est parce qu’on s’est moqués de lui la première fois qu’on l’a vu en short. Il avait les jambes toutes blanches comme si c’était la première fois qu’elles sortaient dehors. Depuis, il a de l’asthme.
Au début de l’année, toute la classe est partie en voyage scolaire en Espagne. On l’a oublié à Figueras, devant le musée SalvadorDali. On a dû faire demi-tour à Perpignan pour aller le chercher.
Il nous attendait sagement assis sur un banc. La maîtresse lui a demandé, très énervée, ce qui s’était passé, pourquoi il n’était pas monté dans le car avec tout le monde. Il a simplement répondu : – J’ai été faire pipi.
On s’est moqués mais pas trop. On est remontés dans le car et on a sorti nos sandwichs parce que c’était l’heure de sortir nos sandwichs.
Quand on a de nouveau dépassé le panneau « Perpignan », tout le monde dormait. J’avais laissé ma petite loupiote allumée. Il y avait Cindy et Candice, toujours ensemble,
qui roupillaient joue contre joue, Ahmed, qui pour une fois ne disait rien, Kevin, Gaspard et tous les autres. Mon regard s’est posé sur Charles. Il ronflait doucement, yeux fermés, bouche ouverte, les lunettes tombées sur son nez trop petit.
C’est alors que j’ai eu une drôle de pensée dans ma tête. Je me suis dit : « S’il n’existait pas, ce serait pareil. »