"Les trois enterrements de mon chien" de Guillaume guéraud - extrait

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Du même auteur au Rouergue Cité Nique-le-Ciel - 1998, roman doado. Chassé-croisé - 1999, roman doado. Coup de sabre - 2000, roman doado. Dernier western - 2001, roman la brune. Apache - 2002, roman doado. Arrête ton cinéma - 2003, Zig Zag (ill. Henri Meunier). Arc-en-fiel - 2004, album (ill. Goele Dewanckel). Couscous clan - 2004, roman doado. Ma rue - 2004, album (ill. Anne Von Karstedt). Manga - 2005, roman doado. Je mourrai pas gibier - 2006, roman doado Noir. La brigade de l’œil - 2007, roman doado Noir. Raspoutine - 2008, album (ill. Marc Daniau). Le Contour de toutes les peurs - 2008, roman doado Noir. Déroute sauvage - 2009, roman doado Noir. Sans la télé – 2010, roman doado. Anka – 2012, roman doado. Je sauve le monde dès que je m’ennuie – 2012, roman zig zag (ill. Martin Romero). Safari dans le lavabo – 2013, album (ill. Hélène Georges). Baignade surveillée – 2014, roman la brune. Plus de morts que de vivants – 2015, roman doado Noir. Shots – 2016, roman la brune. Les chiens écrasés - 2017, roman dacodac (nouvelle édition). Ma grand-mère est une terreur – 2017, roman dacodac (ill. Gaspard Sumeire). Les héroïnes de cinéma sont plus courageuses que moi – 2018, roman la brune. Captain Mexico – 2018, roman dacodac (ill. Renaud Farace). La face cachée du prince charmant – 2019, album (ill. Henri Meunier). Vorace – 2019, roman épik.

Illustration de couverture : Max de Radiguès Graphisme de couverture : Olivier Douzou © Éditions du Rouergue, 2020 www.lerouergue.com

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Guillaume GuĂŠraud

Les trois enterrements de mon chien

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Merci Ă Tommy Lee Jones, Babino et Brio.

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chapitre 1

Je pensais pas qu’il allait mourir. Je pensais même pas qu’il pouvait mourir. Je suis grand pourtant, vu que je suis en CM2, alors je sais bien que la mort existe. Mais j’avais pas imaginé que ça pouvait lui arriver. Surtout comme ça, d’un seul coup, sans prévenir. Pas comme les gens qui meurent d’une longue maladie en traînant des mois à l’hôpital. C’est pas pareil quand ça vous prend par surprise. « Babino est mort… » m’a brusquement annoncé ma mère alors que je revenais de l’école. J’ai dû lui faire répéter plusieurs fois pour que ça rentre dans ma tête et être sûr qu’elle disait bien ce que j’avais 5

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entendu. « Il s’est fait renverser par une voiture, juste devant le supermarché, pendant que je rangeais les courses dans le coffre… » Ça faisait comme si elle parlait d’autre chose à quelqu’un d’autre. « Je l’ai aussitôt conduit chez le vétérinaire, mais il n’a rien pu faire… » Et quand j’ai bien compris, je me suis mis à chialer comme un perdu, même si j’arrivais pas à y croire. « Je suis désolée, Némo… » Je m’attendais pas à ça. Il était jeune, le pauvre, il avait juste quatre ans. Et il était toujours en pleine forme. Même quand il s’était déchiré l’oreille, en s’accrochant à une clôture de fil de fer barbelé, il avait continué à gambader comme si tout allait bien. On avait dû le faire recoudre alors qu’il ne pensait qu’à s’amuser. Faut dire que c’était un vrai casse-cou, il m’accompagnait partout, sauf en classe et au cinéma. Je le promenais dans la campagne, derrière le lotissement, on se rendait jusque chez Morgane à travers les champs et les bois. Il avait sa gamelle d’eau fraîche, là-bas, et une boîte de gâteaux secs que les parents de Morgane lui gardaient exprès. Je me prenais pour Indiana Jones dès que je m’aventurais dans les bois avec lui. On affrontait des monstres, on découvrait des trésors, on 6

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massacrait tous les nazis. Dans les films, Indiana Jones n’a pas de chien, mais Babino aurait pu décrocher le rôle. Il fourrageait dans les fougères et bondissait dans les buissons comme un héros. C’est grâce à lui que je suis sorti vivant des dangers les plus dingues que j’imaginais. On arrivait à bout de souffle dans le champ de fleurs sauvages qui est juste devant la grande maison de Morgane. Il jappait et se roulait sur le dos pour réclamer des caresses. Mes mains effleuraient parfois celles de Morgane sous la gorge de Babino. Il nous léchait les doigts et repartait comme un dératé chasser les sauterelles. Il avait une façon bien à lui de trottiner, on aurait dit que ses pattes ne touchaient pas le sol. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Alors je me disais qu’il allait vivre au moins mille ans. Bien plus longtemps que mes parents et moi et ma sœur. Et qu’il serait encore là quand l’humanité entière aurait disparu. Je me disais même que, quand la Terre ne ressemblerait plus à rien, il enfoncerait son mufle dedans pour déterrer nos os et s’amuser avec. « Ce chien est impayable ! disait souvent mon père. Il est parfois plus majestueux que dix mille 7

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dieux. » Il ne croit pourtant en aucun dieu, mon père, mais il a le sens de la formule impeccable pour dire les choses. Sauf que là, en me voyant pleurnicher dans les bras de maman avec ma sœur Mila sur le divan, il s’est mordu les lèvres sans décrocher un mot. Des fois, quand quelque chose me préoccupait, j’en parlais tout seul avec Babino. C’est bizarre de parler à son chien, on peut pas appeler ça une conversation, mais ça fait du bien. Je lui confiais des trucs pas faciles à dire. Que Morgane me plaît, par exemple, parce qu’elle est belle comme la fiancée de Spiderman dans le film où il affronte le Bouffon vert. Babino m’écoutait sans se moquer ni être jaloux. Il aboyait rarement. Il poussait juste de vifs jappements de satisfaction. Ou des plaintes rauques quand il réclamait quelque chose. J’ai observé sa paillasse, dans l’entrée, une vieille serviette de plage avec le monstre Totoro imprimé dessus. C’est moi qui la secouais et la brossais, chaque soir, avant qu’il se couche. Rien que de la regarder, maintenant, ça me déclenchait des larmes. Mila a tenté de me réconforter en murmurant :

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– Babino est peut-être au paradis des chiens… – Le paradis n’est qu’une ânerie pour les abrutis ! a rétorqué papa. Ça l’aurait fait marrer, Babino, d’entendre ça. Parce qu’il passait son temps à rigoler, ouais, avec ses babines qui remontaient vers le haut, vous voyez, ça lui faisait comme un vrai rire. On n’arrivait pas trop à savoir pourquoi il était tout le temps de bonne humeur, mais ça nous rendait vachement joyeux nous aussi. Même s’il lui arrivait de foutre mes parents en rogne. Quand il rentrait tout mouillé dans la baraque et qu’il collait des traces de pattes partout. Ou qu’il bavait sur nos habits propres pendant qu’on était à table. Je m’amusais parfois à retrousser ses grosses babines, avec les doigts, pour le forcer à montrer les crocs. C’était la seule façon de lui donner un air vaguement féroce. Mais ça le faisait éternuer. – Némo ! m’a appelé une voix dehors. J’ai jeté un œil par la fenêtre. C’était mes potes Najib et Gaspard, ils passaient me chercher pour aller faire un petit foot, comme on en avait l’habitude le vendredi en fin d’après-midi. Gaspard avec 9

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son survêtement de l’OM déchiré aux coudes et aux genoux. Najib avec son ballon de la Ligue des champions. Babino leur faisait la fête, d’ordinaire, il bondissait autour d’eux et leur lapait les mains. Puis il nous regardait avec ses yeux suppliants pour qu’on l’amène jouer avec nous. Sauf qu’on le laissait dans le jardin, évidemment, parce qu’il nous déchiquetait trop de ballons. Mais il n’était plus là et, quand ils m’ont vu sortir avec les larmes aux yeux, ils ont tout de suite compris qu’un truc clochait. Il y avait un gros soleil qui annonçait l’été dans le ciel et il faisait une chaleur étouffante, mais je reniflais comme un enrhumé à force de pleurnicher. J’avais de la morve qui dégoulinait alors je me suis mouché pour leur annoncer : – Babino est mort… – Merde alors ! a fait Gaspard. T’es sérieux ? Il voyait pourtant bien que je rigolais pas. – Qu’est-ce qui s’est passé ? a demandé Najib. – Un sale type lui a roulé dessus sur le parking du supermarché, tout à l’heure, pendant qu’on était en classe… Ma mère l’a lâché deux minutes et boum… 10

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Et là j’ai éclaté en sanglots, tant pis, même si je risquais de passer pour un bébé. On se connaissait bien, tous les trois, alors je m’en foutais. Je me moquais de Gaspard, des fois, parce qu’il lui arrivait de pleurer pour un rien. Comme le jour où il avait perdu sa casquette, par exemple, tu parles d’un drame. Mais là, au lieu de me traiter de fillette ou quoi, Gaspard a passé un bras autour de mes épaules : – Pauvre Babino… – Il était si gentil ! s’est exclamé Najib. On se marrait tellement avec lui ! Et tout le monde l’aimait… Sa voix a trembloté et ses yeux se sont mouillés. Ça m’a vachement surpris, parce que j’avais encore jamais vu Najib pleurer. Même quand son père le punissait à cause de ses mauvaises notes. Je croyais que c’était un dur. Mais le voilà qui sanglotait autant que moi. – Merde alors… a répété Gaspard. On peut rien y faire… C’est le destin… – N’importe quoi ! j’ai braillé. C’est le destin de personne de mourir comme il est mort ! Mon père a traversé le jardin en faisant semblant de pas nous voir. Il a ouvert la voiture et en 11

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a tiré un gros paquet qu’il a tenté de porter ni vu ni connu dans ses bras. Un gros paquet entouré d’une bâche en plastique opaque. Il s’est dirigé vers la porte du garage, en nous tournant le dos pour pas montrer ce qu’il transportait. Sauf qu’il prenait tant de précautions pour passer inaperçu qu’on ne voyait que lui. Et j’ai compris : c’était le corps de Babino, sous cette bâche. Je me suis précipité vers lui alors que mes jambes pesaient des tonnes et que le sol se transformait en sables mouvants. – Fiche le camp ! il m’a écarté. Je t’interdis de l’approcher ! – Pourquoi ? – Parce qu’il est mort et que c’est pas joli à voir. Il vaut mieux que tu te souviennes de lui vivant. Il m’a semblé apercevoir une trace de sang sur la bâche. Ça m’a encore plus démoli que le reste. J’ai failli tendre les mains vers le ciel en hurlant mais, comme j’avais déjà vu ça dans un tas de films ridicules, j’ai laissé tomber. – Qu’est-ce que tu vas en faire ? – Je vais le déposer dans le garage en attendant… – En attendant quoi ? 12

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Il a refermé la porte derrière lui sans me répondre. – On devrait l’enterrer… a dit Gaspard. Moi, quand j’ai perdu mon hamster l’année dernière, je lui ai fait un petit enterrement. – Ah ouais ? – Faudrait en parler à Morgane… a conseillé Najib. Elle saura ce qui faut faire… Morgane est dans la même classe que nous et elle adore Babino. Ou plutôt elle adorait, c’est terrible, il faut employer le passé maintenant. Elle ne fait jamais de fautes de conjugaison, Morgane, c’est la meilleure élève de l’école. Et c’est toujours elle qui prend les bonnes décisions à notre place. Même si ça énerve Gaspard. – Morgane, elle y connaît rien, en animal mort ! il a reproché. Mon père est ressorti du garage et il s’est allumé une clope : – On l’enterrera demain matin. Un enterrement, c’est pas la joie, mais c’est utile. Pour commencer à accepter l’idée qu’on ne le reverra plus. Maman nous a rejoints avec Mila dans le jardin. 13

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– Vous pourrez venir… elle a proposé à Gaspard et Najib. Si vous souhaitez lui rendre un dernier hommage… – Et pour aider Némo à creuser le trou ! a ajouté mon père. Mes deux potes m’ont serré chacun dans leurs bras avant de me quitter. Comme des cow-boys abandonnant un camarade devant les portes d’une prison. Ils ne sont pas repartis en direction du terrain de foot comme prévu. Trop alourdis par le chagrin. J’ai presque rien avalé pour le dîner. La truffe chaude de Babino contre ma cuisse me manquait trop. J’ai laissé ma part de dessert à Mila. Le téléphone de la maison a sonné pendant que je débarrassais la table. – Najib m’a appris que Babino était mort… a fait la voix de Morgane à l’autre bout du fil. Ma gorge était nouée mais j’ai réussi à articuler : – Ouais. On va l’enterrer demain matin. – Dans votre jardin ? J’avais pas réfléchi à l’endroit. Le jardin était une bonne idée. Babino aimait y faire des trous dans la pelouse. Mais il n’en avait jamais creusé un de sa taille. 14

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– Ouais. Peut-être près du pommier. C’était son coin préféré. – Je serai là, Némo, on lui fera une belle cérémonie ! m’a assuré Morgane. Sa voix était douce et fraîche. Comme un glaçon sur ma nuque. J’ai retenu mes larmes en serrant les dents. – Je suis dégoûté… C’était mon ami… – C’était notre ami à tous… elle a précisé. J’ai raccroché précipitamment pour pas qu’elle m’entende pleurnicher. Mes parents regardaient le journal télévisé. Un attentat à Paris, une tornade aux États-Unis, des secousses sismiques en Italie, la défaite des joueurs français à Roland-Garros. Aucune information ne m’a semblé plus grave que la disparition de Babino.

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