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Savoir ancien et science nouvelle, et surtout : une plongée dans le monde varié du maraîchage

Les consommateurs sont de plus en plus avertis, ils veulent savoir d’où viennent leurs produits alimentaires, comment ils sont produits et dans quelles conditions. C’est pourquoi le maraîchage, ou agriculture maraîchère, n’est plus une simple « niche ». Semaine après semaine, des cageots de légumes multicolores parviennent aux consommateurs via les circuits courts notamment. Des concombres un peu tordus, des carottes pas toujours droites, mais une diversité illimitée, qui se reflète à différents niveaux dans une petite cagette : la quantité, l’aspect et la saveur. Rien ne surpasse le poivron orange vif en douceur et la roquette n’a jamais été aussi succulente.

Par ailleurs, le sujet de l’agroforesterie n’a également jamais été aussi présent. En particulier dans le contexte de l’agriculture régénérative. Pourtant les informations destinées à combiner l’agroforesterie et la culture maraîchère sont malheureusement encore très parcellaires. C’est ce que nous voulons changer. Car, sans les services rendus par les arbres, notre écosystème global ne survivra pas. Les arbres produisent de l’azote et, avec les océans et les sols, ils constituent la forme la plus importante de séquestration du carbone. Bref, ils sont bénéfiques pour la protection de l’environnement et ils ralentissent la crise climatique. Comment combiner efficacement la culture maraîchère et l’agroforesterie pour en tirer le meilleur parti ? C’est ce que vous allez découvrir dans ce livre. Êtes-vous prêts à vous plonger dans l’univers insoupçonné des légumes et des arbres ? Allons-y !

Le début du voyage

Ce que vous tenez entre vos mains est le résultat d’un voyage, un voyage de recherche. Mais c’est aussi, en même temps, une étape de mon propre périple. Les thèmes de l’écologie et de la protection de l’environnement m’ont accompagné dès le début de mes études et ont toujours été importants pour moi. À l’époque de mon baccalauréat, j’étais convaincu que ce double intérêt me conduirait en politique ou dans une ONG. Mais comme souvent, rien ne se passe comme prévu. Après avoir réussi mes examens, j’ai passé mon temps libre à entreprendre de grands voyages. Avec un ami, nous sommes partis très loin. Nous avons parcouru l’Amérique du Nord et nous avons compris qu’il nous fallait gérer judicieusement notre budget. Nous avions entendu parler du concept du wwoofing et nous y avons vu l’occasion de passer notre temps de manière efficace dans un lieu donné, sans dépenser beaucoup d’argent. Wwoof signifie Worldwide Opportunities on Organic Farms. Il s’agit d’un réseau mondial dans lequel des contributeurs volontaires peuvent s’investir dans des fermes biologiques ou autosuffisantes : du travail manuel contre le gîte et le couvert. C’est ainsi que nous avons conçu notre voyage : entrer en contact avec les gens, découvrir comment ils vivent, se loger et manger gratuitement. Et c’est ainsi que nous avons fait rapidement connaissance avec les propriétaires d’une petite exploitation de légumes.

Nous n’avions aucune expérience ni l’un ni l’autre dans la culture des légumes et nous avons été enthousiasmés par tout ce que les semaines suivantes ont pu nous offrir. Nous mangions tous les jours des légumes plus croquants, plus frais et plus savoureux que ceux que nous avions pu déguster jusqu’alors. L’endroit accueillait plein de jeunes gens. Les propriétaires de la ferme avaient une petite trentaine d’années. Il régnait une ambiance géniale dans cette ferme et nous avions l’impression d’être parfaitement intégrés. Semer, planter, récolter : c’était une occupation simple et fantastique. Après plusieurs autres voyages, nous sommes revenus dans cette ferme et nous y avons passé encore deux mois. Au cours de cette période d’intense activité, l’idée m’est venue que ma vie, à l’avenir, pourrait se dérouler ainsi. Le contraste entre la représentation idéale d’une vie de maraîcher et la pure réalité, souvent dure, c’était cela qui m’enthousiasmait. Car même si je viens de la campagne, je ne m’imaginais pas du tout passer ma vie dans un environnement rural.

Après ce voyage, j’ai entrepris des études en sciences humaines à Hambourg. Une grande ville bruyante. Et même si j’aimais cette spécialité, je me plongeais avec délice dans mes souvenirs du temps passé dans la ferme canadienne. Jusqu’à ce que je prenne une décision. J’ai emballé mes affaires au bout d’un an et je suis passé de la seconde plus grande ville universitaire d’Allemagne à la plus petite : Witzenhausen. Une jolie petite ville dans le nord de la Hesse. Adieu les sciences humaines, bonjour l’agriculture biologique ! Le contraste était fort, mais c’était le bon choix au bon moment.

Au cours du deuxième semestre, je suis tombé sur le livre de Jean-Martin Fortier, Le Jardinier-maraîcher, et je l’ai lu d’une traite. J’ai compris aussitôt que la ferme maraîchère dans laquelle j’avais travaillé pendant mon voyage appliquait bon nombre de ces pratiques. Au cours des mois et années qui ont suivi, j’ai lu tout ce que je trouvais sur ce sujet. J’ai pris conscience que le thème du maraîchage rencontrait de plus en plus d’échos et qu’il s’inscrivait durablement dans les centres d’intérêt de l’opinion publique. J’étais de plus en plus fasciné.

À cette époque, quelques camarades d’études avaient fondé une communauté de travail et de discussion qui s’intéressait à l’agriculture régénérative. J’ai rejoint ce groupe et nous avons discuté de pratiques culturales en détail, mais surtout de l’avenir de l’agriculture en général. C’est là que j’ai été confronté pour la première fois à l’agroforesterie. Nous étions tous d’accord : ce mode d’agriculture devait correspondre à un changement radical de paradigme. Le maraîchage et l’agroforesterie me séduisaient autant l’un que l’autre. Cela m’a conduit à consacrer mon travail de fin d’études à une synthèse de ces deux thèmes. Mon chargé de cours à l’université m’a alors proposé d’écrire un livre. Comme j’étais déjà engagé dans la mise en œuvre de notre propre exploitation de légumes, l’île aux légumes (j’en dis plus à ce propos à partir de la page 12), j’ai d’abord décliné ce projet. Comment faire pour mettre une exploitation sur les rails et en même temps écrire un livre ? Et je me suis demandé : est-il légitime d’écrire un livre sur ce sujet alors que je suis moi-même en train de faire mes propres expériences ? Mais je me suis souvenu du livre d’Andrew Mefferd, The Organic No till Farming Revolution. L’auteur racontait son propre voyage de recherche qui l’avait conduit dans différentes fermes qui pratiquaient un système de culture sans charrue ni motoculteur. Il commençait par indiquer le schéma théorique, puis il laissait parler ceux et celles qui avaient déjà mis en pratique ce que lui-même découvrait. Ce concept m’a rappelé ma propre situation. Au cours des derniers mois, je m’étais plongé dans toutes sortes de livres, d’études et de rapports et j’avais mené des recherches scientifiques sur ce sujet. Par ailleurs, je me connaissais bien et je savais dans quelle direction chercher. Et grâce aux témoignages de ceux qui exerçaient en pratique sur le terrain, je pouvais réunir toute une gamme d’idées, de savoirs et de concepts qui dépasseraient de loin ce que je pourrais réunir d’après mes propres expériences, quand bien même j’aurais derrière moi dix ans d’agroforesterie. C’était décidé : je pouvais écrire ce livre. Je me suis mis en quête d’exploitations progressistes et de maraîchers inspirés.

Je me suis rendu en Angleterre, au pays de Galles, en France et en Italie. Les jardiniers-maraîchers d’Amérique du Nord sont les seuls que je n’ai pas pu rencontrer personnellement et j’ai réalisé les interviews par vidéoconférence. Au cours de mes recherches et grâce à ces jardiniers incroyablement inspirants, j’ai tellement appris que je n’en reviens toujours pas. Je suis tombé sous le charme de chacune de ces fermes. Désormais, au terme de ce long voyage d’apprentissage, nous pouvions planifier et mettre en pratique nos propres systèmes d’agroforesterie dans notre île aux légumes.

Ce serait pour moi la plus belle récompense si quelquesunes des expériences ou des connaissances réunies dans ce livre pouvaient vous aider à planifier et à mettre en pratique un système d’agroforesterie pour votre propre jardin maraîcher.

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