Graphisme Cédric Cailhol © Éditions du Rouergue, 2022 www.lerouergue.com
YVES DARRICAUDES ARBRES POUR LE FUTUR
MÉMENTO DU PLANTEUR POUR 2050
sommaire
EH BIEN, PLANTONS
MAINTENANT ! 6
SCÈNE 1
LES ARBRES PREMIERS 12
Les pionniers
14
L’entrée en scène 17 Les premiers champions 22
Pour le planteur 26
• Le chêne vert et le chêne-liège 27
• Le pin pignon ou pin parasol 34
• Le sorbier 36
• L’alisier torminal 40
• Le néflier 41
• Les noisetiers 42
SCÈNE 2
LES UTILES DES CHAMPS
Une longue domestication 89
Une grande diversité, sans cesse enrichie 92 Un cas à part : le châtaignier 94
La mise en place des fruitiers dans les paysages 97 Question fruits, c’était mieux avant ! 102
Pour le planteur ........................... 104
• Le pommier 105
• Le cerisier 107
• Les pruniers à pruneaux 109
• Le pêcher de vigne 112
• Le cognassier 113
• Le mûrier noir 114
• Le noyer 115
• Le kaki 116
• Le néflier du Japon 119
• Le genévrier et le poivrier du Sichuan 120
46
L’ordre d’arrivée 47 La mise en place des arbres utiles 51 Des paysages utiles et beaux 55 La fin des arbres utiles 61 Reconsidérer, sans figer, la palette des utiles 65
Pour le planteur 70
• Les ormes 71
• Les frênes
L’érable opale
L’acacia 78
SCÈNE 3
LES UTILES DES VERGERS 82
Un paysage nouveau : couleurs et saveurs 83
SCÈNE 4
PLANTER LA VILLE 124
Le paysage de trois quarts des Français 125
L’arrivée des arbres urbains 126
Des arbres choisis pour la ville 130 Une domestication urbaine 132
Le bonheur des arbres (et des abeilles) est dans les villes 135
Pour le planteur 138
• Les tilleuls 139
• Le platane 143
• L’ailante 145
• Le sophora 149
• Le févier 151
• Le buddleia de Weyer 152
SCÈNE 5
PLANTER LES FORÊTS 154
Une histoire trop contrainte 155 Forêt de production ou « réserve artistique » 158
D’autres forêts ailleurs 161 Reprendre le chemin des introductions 162 Un avenir multifonctionnel 165
Pour le planteur 170
• Nos chênes forestiers 171 • Le chêne chevelu 174
• Le cèdre 176
SCÈNE 6
PLANTER POUR RÊVER 178
La beauté du monde 179
Trois grands découvreurs 185
Et d’ailleurs, encore ..................... 186 Des inutiles marqueurs de paysages 188
Pour le planteur 192
• Deux cyprès 193
• Le palmier à chanvre .................. 195
• Le pin Napoléon 197
• L’arbre de Judée 198
Le cabrillet ................................ 199
• La pivoine arbustive 200
• Le sapin pinsapo, sapin d’Andalousie 203
SCÈNE 7
PLANTER POUR RÉPARER
LA NATURE 206
Enrichir les sols 209 Nettoyer les sols pollués 211
Planter l’enfer 212 Réparer la biodiversité 215
« It’s the pollen, stupid ! » 218 Ce que l’on sait du réchauffement sur les floraisons 221 Le pollen comme fil conducteur 224
Pour le planteur 226
• Les saules et osiers 227
• Les savonniers 232
L’arbre à miel 235
• Le châtaignier de Seguin .......... 236
• Le lilas d’Inde 241
• La viorne-tin et autres viornes 246
Le figuier de Barbarie 248
Les eucalyptus 249
L’abricotier du Japon ................. 251
Les mahonias 252
Le lierre 254
L’arbousier 258
Le cornouiller mâle 260
L’heptacodion de Chine 262
SCÈNE 8
PLANTER LE DÉCOR 264
Des paysages en question 265 Re-naturaliser les espaces résidentiels 267
Un renouveau champêtre 269 Des îlots de biodiversité 271
Maîtriser le foncier et promouvoir de nouveaux acteurs 272 Tenter les fermes ornées 273 Imaginer en vert 279
ÉPILOGUE 282 Planter naïf 283
eh bien, plantons maintenant !
Regarder nos paysages c’est quasiment partout ressentir la présence des arbres : ils rassurent sur la possibilité d’une vie douce pour nous et pour toute la cohorte des organismes vivants qui y coha bitent, des petits jardins aux avenues des villes, des espaces forestiers aux bocages et aux grandes échappées des vastes paysages agricoles, ils sont partout source de beauté… Nos espaces protégés concernent de nombreux milieux naturels, nos forêts n’ont jamais été aussi vastes, nos communes sèment des jachères fleuries et « paysagent » les ronds-points routiers… Tout semble avancer en bon ordre, en bon « mesnage » comme diraient nos premiers agronomes jardinistes. Et pourtant, le promeneur y perçoit des craquelures : les vieux arbres champêtres finissent seuls, sans relève, les champs cultivés grandissent au détriment des haies et des délaissés, notre agriculture se spécialise en simplifiant exagérément les cultures et les paysages, la monoculture a gagné de nombreuses forêts et trahi la balade curieuse du naturaliste, notre bâti consomme des espaces en les dénu dant…Partout, nous appauvrissons les habitats et les floraisons offerts à la biodiversité.
Les chercheurs, plus attentifs, empilent les données qui démontrent de profonds déséquilibres : plus de 30 % des populations d’abeilles, sau vages et domestiques, de papillons, de batraciens et d’oiseaux, sont déjà en déclin, tandis que 10 % de ces espèces sont purement et simplement menacées d’extinction1. On sait aussi que ces vingt-sept dernières années, plus de 75 % des insectes européens ont disparu2, quant aux oiseaux, le Muséum national d’histoire naturelle parle de déclin « catastrophique », avec une chute de la population d’un tiers en quinze ans3.
Un ennemi plus insidieux encore, le dioxyde de carbone, s’est large ment imposé dans ce panorama : nos activités ont en effet envoyé dans l’atmosphère des quantités de plus en plus grandes de CO2, en misant sur
1 Voir le rapport du groupe d’experts internationaux spécialisés sur la biodiversité (IPBES) publié en février 2016.
2 Hallmann C. A. et al., « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas », in Plos one, octobre 2018.
3 Centre d’écologie et des sciences de la conservation Cesco-laboratoire conjoint : MNHN/ CNRS/SU, communiqué de mars 2018.
DES ARBRES POUR LE FUTUR
l’exploitation des gisements de charbon dès la fin du xviiie siècle, puis sur le recours exponentiel au pétrole. Ce gaz, dont la concentration atmosphé rique continue à augmenter, absorbe les rayons infrarouges et retient la chaleur dans l’atmosphère terrestre. Les changements climatiques anté rieurs à la dernière glaciation dus à des facteurs naturels comme la dérive des continents, le rayonnement solaire et ses fluctuations, les change ments dans la rotation de la Terre ou encore les éruptions volcaniques capables d’assombrir l’atmosphère, sont largement dépassés par l’ampleur et la vitesse de celui que nous avons suscité. Les scientifiques nous affir ment que « l’influence humaine est désormais suffisamment forte pour perturber l’équilibre énergétique terrestre de manière manifeste »4.
Ce changement climatique en cours agit de façon évidente sur notre végétation environnante et va modifier nos paysages de façon impor tante : au degré Celsius déjà ajouté à la moyenne historique des tempéra tures mesurées sur notre territoire depuis les années 1950, on est parti a minima pour en rajouter un et demi ou deux d’ici 2050, voire cinq de plus d’ici la fin du siècle dans le pire des scénarios climatiques ! Les simula tions semblent noircir à mesure que l’on empile les années les plus chaudes jamais enregistrées.
Toute notre végétation est concernée : depuis les années 1950, les flo raisons ont avancé en moyenne de trois semaines à un mois, ce qui influe sur les ressources en nectar et en pollen, et sur les nombreux insectes qui en dépendent. Les zones de confort thermique des plantes sont considé rablement réduites et de fait certaines espèces végétales commencent à migrer vers le nord5 (un degré de plus équivaut à une remontée de 200 km vers le nord !). Logiquement, les espèces à cycle de vie court s’adaptent plus vite que les espèces pérennes. D’évidence, les arbres ont une mobilité trop lente pour s’adapter à la vitesse du réchauffement actuel, bien plus
4 K. von Schuckmann et al., « An imperative to monitor Earth’s Energy imbalance », Nature Climate Change, 2016.
5 Voir une étude menée, entre autres chercheurs, par Gabrielle Martin du Muséum d’histoire naturelle : « Short term climate-induced change in French plant communities », 2019, Biology Letter, royalsocietypublishing.org.
rapide que lors des changements climatiques antérieurs à la dernière gla ciation, et, sauf à les aider, la recomposition paysagère en cours pourrait s’avérer très coûteuse pour notre biodiversité végétale. Vont se joindre aussi à ce réchauffement des aléas plus marqués et fréquents (périodes longues de sécheresse, épisodes pluvieux et orageux musclés, gels hors saison ou arrivant sur une végétation prématurément relancée…) qui vont solliciter davantage la nature. Pour se faire une idée de ce qui va arriver à nos paysages dans un avenir proche, il faut lire une synthèse des divers travaux de très nombreux chercheurs internationaux « Past and future glo bal transformation of terrestrial ecosystems under climate change » parue dans la revue Science en août 2018. Cette étude conclut que « si les émissions de gaz à effet de serre sont plafonnées aux objectifs fixés par l’accord de Paris de 2015, la probabilité d’une modification à grande échelle de la végétation terrestre est inférieure à 45 %. Mais que si rien n’est fait, cette probabilité est supérieure à 60 %. »
À ce panorama climatique est venu s’ajouter un épisode pandémique (Covid 19). Il concerne la quasi-totalité des terres émergées et trouve son origine dans le passage d’un virus animal vers l’homme, passage facilité très vraisemblablement par les gigantesques déboisements menés en milieu tropical, déconfinant ainsi des virus et autres parcelles de vie, si l’on peut décrire ainsi un cheminement encore inconnu, et finissent par confiner les nôtres, en nous imposant, entre autres impératifs, un regard nouveau sur le monde végétal qui nous entoure.
À ce jour, et à l’exception de l’Antarctique, plus de 80 % des terres et des mers ont déjà été modifiées par l’activité humaine et l’exploitation des ressources naturelles, et ce en moins d’un siècle ! C’est si spectaculaire que les géologues y voient un changement d’ère. Nous ne vivrions non plus l’Holocène, cette ère géologique qui a débuté après la dernière glaciation il y a 14 000 ans, mais l’Anthropocène dont nous serions, nous, Humains, les seuls acteurs. Les géologues en discutent le début, le situant lors de la mise au point de la machine à vapeur brûlant du charbon, ou lors de l’invention du plastique, ou encore de celle de l’énergie atomique… Mais il se pourrait finalement que son marqueur de départ soit justement le retrait
des glaces et la montée concomitante de l’espèce humaine dans les espaces ouverts et tempérés. Cette Holocène, finalement mal nommée, serait tout simplement l’Anthropocène, ou plutôt, pour faire un jeu de mots facile mais éclairant, l’Anthropo-scène ! C’est durant cette histoire récente que nous sommes passés du statut de chasseurs-cueilleurs nomades à celui d’agriculteurs puis d’urbains, que nous avons commencé à changer les paysages naturels pour en faire les décors de nos vies. Cette histoire, nous allons la suivre dans ses étapes majeures, comme autant de scènes mêlant économie, écologie, culture, et bien sûr, rôle et présence de divers arbres emblématiques, compagnons de notre passé et de notre avenir.
Les craquelures actuelles ne sont que les prémices d’un nouveau changement de décor si implacable et si irrémédiable qu’il nous est bien diffi cile de l’admettre. L’envie de tout minimiser, voire nier et ne rien changer, ou celle de baisser les bras en attendant un hypothétique écroulement, sont des tentations qui font leur chemin. Pour ceux qui ne les suivent pas, le moment est venu de reprendre la main pour éviter une dérive incon trôlable vers des conditions de vie bien difficiles et un appauvrissement végétal. On retiendra que des leçons doivent être tirées dans de nombreux domaines6 et que des changements doivent être vite engagés en remet tant de la nature partout pour lutter contre les pertes de biodiversité et pour stopper l’accroissement du CO2 dans l’atmosphère tout en en fixant un maximum, grâce à la photosynthèse, dans les biomasses végétales aériennes et souterraines. Les arbres sont en première ligne pour nous accompagner. En clair, il nous faut planter des millions d’arbres partout où l’on peut. Volonté et innovations doivent être au rendez-vous pour planter vite et mieux avec une palette végétale adaptée et renforcée par de nouveaux alliés pour faire face au double défi du réchauffement clima tique et de l’arasement de notre biodiversité.
6 On lira Bruno Latour, Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres, Éditions La Découverte, 2021.
Pour l’oiseau et pour nous, retrouvons les vingt nuances de vert des tableaux du Douanier Rousseau.
Ce livre porte sur notre long compagnonnage avec les arbres et son avenir, en visant le milieu de ce siècle, 2050, un horizon calé sur la sta bilisation souhaitable du réchauffement climatique en cours. Un temps certes long pour le planteur, mais si court dans la vie des arbres. Le lec teur y trouvera la description détaillée d’une cinquantaine d’arbres vu par les yeux du planteur naïf, curieux et ouvert, celui qui a depuis toujours recherché de l’utile et du beau pour planter le décor de sa vie et qui écoute volontiers les arbres raconter leurs histoires.
scène 1 premiers les arbres
Notre espace de vie et sa flore ont subi de grandes évolutions. À l’échelle géologique, l’ultime, s’il en est, date de la dernière phase de glaciation durant laquelle les glaces couvrirent le nord de notre pays et transformèrent le reste de notre territoire en une toundra gelée, vidée de la végétation antérieure très arborée, riche en diversité et en familles végétales. Dans ce paysage froid et très ouvert vivaient de grands herbivores, derniers représentants de la mégafaune qui dominaient alors les espaces naturels du tertiaire : des mammouths, des aurochs… que nos ancêtres chassaient. Puis, à partir de -15 000 ans, la température remonta pour cause de réchauffement climatique naturel – un léger changement de l’orbite terrestre autorisa un meilleur ensoleillement de notre terri toire actuel –, ce qui permit le retour progressif de la rare végétation relictuelle des bords de la Méditerranée. Une toute petite partie, seule ment celle qui avait pu migrer au sud, poussée par le froid, et y survivre, protégée dans des recoins cléments des rivages de Méditerranée, des Balkans et du Caucase. En Europe de l’Ouest, peu de plantes résistèrent, bloquées dans leur fuite vers le sud par la Méditerranée, les Pyrénées ou les Alpes, autant de barrières géographiques infranchissables. Alors que dans les grands blocs continus d’Amérique et de Chine les déplace ments vers le sud furent toujours possibles, de même que les remontées ultérieures. Les flores tempérées de ces espaces-continents restèrent de fait très riches et diversifiées. On estime ainsi que la flore des zones tem pérées du monde est constituée de près de trois mille espèces d’arbres, dont plus de mille en Amérique du Nord, plus de mille cinq cents en Asie, Chine en tête, et de seulement trois cents en Europe ! Un appauvrisse ment énorme que tout voyageur peut aisément constater par simple com paraison paysagère.
Sur notre petit territoire de l’ouest européen ne remontent naturel lement que quelques survivants. D’abord des « pionniers », aptes à vivre sur des sols maigres et surtout peu frileux : des conifères, pins sylvestres et épicéas, des genévriers… Et quelques feuillus peu exigeants quant à la longueur de la période de croissance qui leur était offerte : bouleaux, saules et aulnes… Puis viennent ceux qui seront les dominants de nos forêts : les
noisetiers, et enfin les chênes, les hêtres, les tilleuls, les charmes avec leur cortège d’accompagnateurs, prunelliers, ajoncs, genêts, sorbiers et meri siers, houx, buis et ronces… Et de rares lianes, dont la vigne sauvage et le lierre. Les premiers revenus sont ceux qui avaient pu survivre dans des zones proches, en Espagne ou en Italie, et les suivants vinrent de plus loin, notamment du Caucase.
Cette scène qui fut longue, de -15 000 ans à -1 000 ans lorsque le couvert végétal se stabilise enfin dans le nord de notre pays (ce fut plus rapide dans le sud comme on le verra plus loin), mérite d’être détaillée, les observations des archéologues, historiens et botanistes le permettent.
LES PIONNIERS
Les premiers arbres à remonter sont les saules dont diverses variétés peuplent les berges des cours d’eau et les terres ouvertes et humides. Une bien grande famille dont certains supportent de grands froids hivernaux. Ils sont des pionniers peu exigeants quant à la richesse des sols qu’ils colo nisent, du moment que l’eau y est largement accessible. Ils poussent vite, ont un système racinaire dense et très étendu, apte à profiter de nutri ments en faible concentration. Ils se reproduisent aisément, jouant sur tous les tableaux avec les insectes qui recherchent avidement leur pollen et leur nectar si précoces, et des graines disséminées par le vent, celles-ci étant très douées pour voler et germer presque immédiatement. Les Salix réoccupent l’espace européen sans coup férir, de la Méditerranée avec des saules de grande taille (Salix alba, le saule blanc très commun dans les zones humides), au cercle polaire et aux sommets montagneux avec des formes naines (comme Salix pyrenaica, un petit saule prostré de 10 à 40 cm de hau teur, endémique des Pyrénées).
Les conifères aussi avaient de solides atouts pour jouer aux aventuriers sur les terres libérées et pour y dominer : ils sont dotés de feuilles coriaces remarquablement efficaces pour pratiquer la photosynthèse en dépit des gels et des sécheresses, et prêtes à fonctionner rapidement dès le retour
Les forêts de conifères restent peu diversifiées.