"Une drôle de famille" de Piret Raud - Extrait

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Du même auteur au Rouergue Le thé des poissons – roman jeunesse coll. tic tac, 2013 Sa majesté Ver-de-terre et autres folles princesses – roman jeunesse coll. tic tac, 2013 Princesse Lulu et Monsieur Nonosse – roman jeunesse coll. tic tac, 2014 Emily et tout un tas de choses – album jeunesse, 2015 Voisins zinzins et autres histoires de mon immeuble – roman jeunesse coll. tic tac, 2015 Trooommmpfff ou la voix d’Elie – album jeunesse, 2016 Au secours ! Maman rétrécit – roman dacodac, 2017 L’histoire de la petite maison qui recherchait des habitants – album jeunesse, 2017

illustration de couverture : Piret Raud Graphisme de couverture : Olivier Douzou © Éditions du Rouergue, 2018 www.lerouergue.com


Piret Raud

une drôle de famille Traduit de l’estonien par Martin Carayol



1. une drôle de famille

Bonjour ! Je m’appelle Adam et je vais déjà à l’école. Dans ma famille, à part moi il y a papa, maman, ma sœur, ma chienne et mes deux frères. Ma famille proche est assez nombreuse, mais ma famille éloignée est encore plus grande. Une fois, à l’école, j’ai dû dessiner un arbre généalogique. J’étais censé être la racine de l’arbre et chaque membre de ma famille une branche. Mais il y a tellement de gens dans ma famille qu’ils ne tenaient pas tous dans l’arbre, du coup j’ai décidé de dessiner un mille-pattes à la place. Chaque patte représentait quelqu’un de ma famille, et comme ils sont 5


tous très différents les uns des autres, ça a été la même chose pour les pattes. Certaines étaient grosses et poilues comme papa, d’autres toutes petites et sans poils, comme mon petit frère Paul. Certaines pattes étaient musclées et tapaient dans un ballon de foot comme mon grand frère Anthony, d’autres étaient vieilles et fatiguées comme ma grand-tante Céleste, et elles n’arrivaient pas trop à marcher au même rythme que les autres. Telle patte cherchait la bagarre et marchait sur les orteils de ses voisines, telle autre était si calme et réservée qu’elle allait sur la pointe des pieds. Et puis il y avait des pattes très anciennes – c’étaient celles de mes ancêtres. Il y en a une à qui j’ai même dessiné une épée entre les orteils, pour qu’on comprenne mieux le genre de personne que c’était.

Au bout du compte, ça m’a fait toute une ribambelle de pattes, et même si elles avançaient à des rythmes différents, au moins elles allaient dans la même direction, et portaient ensemble le grand corps épais du mille-pattes. Ce corps était 6


un peu comme quelque chose qui reliait tous les membres de la famille. L’esprit du clan, comme dit mamie. La maîtresse a trouvé que mon dessin était vraiment bizarre et saugrenu, mais quand je lui ai raconté plus en détail comment les gens de ma famille étaient dans la vraie vie, elle a été d’accord pour dire que notre famille ressemblait plus à un mille-pattes qu’à un arbre, et elle m’a mis dix sur dix.


2. mon grand frère Anthony

Mon frère Anthony est déjà grand. Il a quatorze ans et mesure un mètre soixante-quinze. Aussi loin que je me souvienne, on a toujours dit chez nous qu’Anthony a la tête dure. Je ne sais pas pourquoi mais ils trouvent que c’est un défaut, alors que pour moi une tête toute molle comme un oreiller poserait plus de problèmes. Ou pire, une tête liquide, qu’on serait forcé de garder dans une bouteille. Papa et maman ne sont pas de mon avis. « Non mais quelle tête dure tu as, disent-ils tout le temps. Elle ne retient rien de ce qu’on te dit ! C’est pour ça que tu ne dépasses pas la 8


moyenne. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi ? » Mais ils ont arrêté de le gronder le jour où le professeur d’EPS leur a annoncé qu’Anthony était fort en foot, du coup ils l’ont inscrit dans un club. Il s’est avéré qu’une tête dure est précisément ce qu’on recherche dans le foot : une tête comme celle d’Anthony, qui envoie facilement le ballon dans les buts. Paf ! But. Paf ! Encore un but. Paf ! Troisième but. Anthony était vraiment doué, et la rumeur de son talent s’est répandue dans tout le pays. On l’emmenait d’une compétition à l’autre, et tant pis si ses notes ne donnaient pas grand-chose, de toute façon il n’avait plus le temps d’aller à l’école.

Une fois, lors d’une compétition, Anthony a réalisé un geste technique très difficile : il a tapé dans sa propre tête au lieu de taper dans le ballon. Personne n’a compris pourquoi on se 9


retrouvait tout d’un coup avec deux ballons sur le terrain, tant la tête d’Anthony ressemblait à la balle ! L’une et l’autre étaient aussi dures et rondes ! En tout cas, comme il y avait deux ballons, il y a eu un nombre de buts record pendant la partie. Le mauvais côté des choses, c’est que pendant le match Anthony a perdu sa tête des yeux, puisque ses yeux étaient justement dans sa tête et pas ailleurs. Quand le soir, après la compétition, il est rentré à la maison sans sa tête, au début nous ne l’avons pas du tout reconnu. Puis, quand nous avons fini par comprendre que c’était bien notre Anthony, maman s’est franchement énervée. Elle a tout de suite téléphoné à l’entraîneur, mais elle a vite compris qu’il n’avait pas du tout remarqué la disparition de la tête d’Anthony. « Bon, ce n’est peut-être pas la peine de se faire autant de souci juste pour une tête, lui a-t-il répondu pour la consoler. On peut bien faire sans. Le principal, c’est qu’il ait toujours ses jambes. » Mais maman ne l’entendait pas de cette oreille. Elle a même passé une annonce dans le journal : « Perdu tête. Récompense à qui la rapportera au 5 avenue du Nombril ! » 10


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Et là, on en a vu défiler des gens à notre porte ! Des petits enfants, des vieux messieurs et des vieilles dames, et même un géant avec des tatouages partout. Ils apportaient tous une tête avec eux, mais aucune n’était celle d’Anthony. Heureusement, ma grand-tante Céleste a eu une bonne idée : « Pas d’inquiétude ! dit-elle. On va lui en faire pousser une nouvelle ! » Elle a fait asseoir Anthony devant la fenêtre, au soleil. « Reste ici », a-t-elle dit sévèrement, avant de prendre l’arrosoir pour arroser le cou d’Anthony. Sur le moment, il ne s’est rien passé, mais le surlendemain matin, nous avons constaté qu’un petit bourgeon de tête était apparu sur le cou d’Anthony. Chaque jour nous l’avons soigneusement arrosé et bientôt une nouvelle tête est apparue. Certes, elle était un peu verte, et pas aussi dure que la précédente, mais elle lui ressemblait tout à fait. Mon père et ma mère n’ont plus laissé Anthony aller aux entraînements de foot : ça ne servait plus à grand-chose car avec sa nouvelle tête, Anthony réussissait beaucoup mieux tout le reste. À l’école, 12


par exemple, il s’est mis à n’avoir que des bonnes notes, au point que la photo de son visage verdâtre s’est même retrouvée sur le tableau d’honneur. Quant à savoir exactement où son ancienne tête avait disparu, ça n’a jamais été éclairci.


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