Image de couverture : © Gabriela Tulian/GettyImages Graphisme : Cédric Cailhol © Éditions du Rouergue, 2020 www.lerouergue.com – info@lerouergue.com
JEAN-MARIE LESPINASSE ET DANIELLE DEPIERRE-MARTIN
Des arbres fruitiers dans mon jardin
Sommaire
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Introduction
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avant de se lancer
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Fleurs et pollinisation Porte-greffe et surgreffage Plantation, choix des plants et réalisation Mode de fructification et conduite de l’arbre
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Quatorze fruitiers
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L’abricotier (Prunus
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L’amandier
48
Le cerisier
15 25
armeniaca)
(Prunus amygdalus)
(Prunus avium et Prunus cerasus)
56
Le châtaigner
62
Le figuier
(Castanea sativa)
(Ficus carica L.)
70
Le kiwi
76
Le noisetier
84
Le noyer
(Juglans regia L.)
96
L’olivier
(Olea europaea L.)
(Actinidia deliciosa)
(Corylus avellana)
106
Le pĂŞcher
(Prunus persica L.)
118
Le poirier
(Pyrus communis L.)
128
Le pommier
138
Le prunier
(Malus domestica Borkh)
(Prunus insititia et Prunus domestica)
148
Le raisin de table
158
Glossaire Bibliographie
160
(Vitis vinifera)
Des arbres fruitiers dans mon jardin
introduction
Comment imaginer un jardin nourricier uniquement composé d’un potager, sans la présence de fruitiers ?
Manger des fruits sains, goûteux, savoureux même, est une chance à ne pas laisser passer si on cultive son jardin et que l’on dispose d’une surface suffisante. Le jus d’une pêche, dégoulinant à la commissure des lèvres, est d’un régal incomparable, si le fruit a été ramassé à maturité sur l’arbre du jardin, à la fraîche en plein été, au terme d’une attente souvent fébrile. Car faire venir soi-même ses propres fruits relève plus de l’histoire d’amour que du simple jardinage : une passion tranquille qui s’inscrit au fil des saisons. Le jardinier attentif se promène souvent au verger, il repère au cours de l’hiver les bourgeons, qui démarrent de façon insensible, puis gonflent délicatement sur les branches. Bourgeons qui s’épanouiront au début du printemps, quand les jours rallongent et que l’air devient plus léger… C’est un apprentissage de la patience. On surveillera l’arrivée des fleurs avec émotion : sont-elles nombreuses ? Les nuits ne sont-elles pas trop fraîches ? Du gel est-il prévu ? Va-t-il y avoir du vent ? Ces ravissantes petites fleurs qui semblent si fragiles vont-elles tenir le coup ? Le bulletin météo devient le meilleur ami du jardinier ! L’apparition des premiers pollinisateurs l’enthousiasme, l’excitation 6
augmente au moment de la nouaison, quand le fruit se forme… Les menaces de grêle peuvent même occasionner des insomnies… Et puis les fruits grossissent ; une observation et une surveillance attentives permettent de remédier aux soucis nombreux, insectes ravageurs, maladies… Quand arrive la maturité et que vient le temps des récoltes, les paniers remplis, les compotes, les tartes, les confitures, le plaisir est à son comble ! Grimper dans le cerisier pour ramasser toute une aprèsmidi des fruits gorgés de soleil est un bonheur que partagent enfants et adultes… Le jardinier qui plante ses fruitiers consomme évidemment « local » et « de saison » ; il mange des fruits mûris sur l’arbre, exempts d’insecticides ou de pesticides, souvent d’un goût inimitable, pour certains absolument succulents ! Au plaisir gustatif s’ajoute la satisfaction d’avoir œuvré pour la préservation de l’environnement, sans compter les économies réalisées ! Et c’est prouvé, les fruits du jardin conservent toutes leurs richesses nutritionnelles. À l’heure où, avec le changement climatique, la végétalisation des espaces minéralisés dans les villes devient un impératif évident, il serait tout à fait judicieux de planter des arbres fruitiers partout, dans la cour des écoles, sur les places publiques, au pied des immeubles, sur les trottoirs : le citoyen se réapproprierait la ville, chacun pourrait, en toute convivialité et en « libre-service », déguster à la belle saison des fruits délicieux. Utopique ? Non, le message commence à
introduction
passer et certaines communes du territoire sont dans cette démarche volontariste et valorisante, qui ne peut que tisser sinon renforcer le lien social… Pour faire de jolies récoltes de fruits au jardin assez rapidement, au bout de deux à trois ans, il faut bien soigner l’étape plantation de l’arbre fruitier : • Préparer le sol avec soin et suivre quelques règles de base pour implanter l’arbre. • Respecter le développement naturel de la variété* choisie en évitant de l’enfermer dans une forme qui ne correspond pas à son mode de croissance et de fructification : ce n’est pas une question esthétique ou de commodité qu’il faut privilégier, en taillant tant et plus ; la subtilité est d’accompagner, de conforter le comportement spontané de l’arbre, pour obtenir une mise à fruit rapide et de bonne qualité. Les variétés de chaque espèce* sont toutes différentes, chacune possède une façon de ramifier puis de fructifier particulière. Ce développement sans contrainte est à la fois le plus harmonieux et le plus efficace pour édifier l’arbre et induire une fructification précoce et pérenne. Cette démarche nous permet de découvrir le végétal dans sa grande diversité en l’accompagnant comme des éducateurs. Le jardinier doit se libérer de certains concepts anciens qui consistaient à domestiquer l’arbre fruitier, le maintenir sous contrôle, sans aucun respect pour le
comportement propre de la variété cultivée. L’utilisation excessive du sécateur, instrument de domination de l’homme sur le végétal, en était souvent la cause. Aujourd’hui, il est largement démontré que les formes et les tailles contraignantes réduisaient à la fois la quantité de fruits produite ainsi que leur qualité. Ces pratiques ne sont d’ailleurs plus utilisées dans les milieux professionnels, depuis plus de quarante ans. Contrairement au travail conséquent que suppose la pratique potagère au quotidien, obtenir des fruits intéressants est relativement facile si le jardinier prend les choses avec décontraction et suit les résultats d’expériences remarquables réalisées par des professionnels dans bon nombre de zones de production. À la manière des chercheurs qui ont découvert, avec patience et ténacité, l’intérêt de particularités et caractéristiques jusque-là considérées comme insignifiantes, le jardinier, en changeant son rapport au monde végétal, en observant l’arbre avec humilité et respect, en se débarrassant de vieux réflexes interventionnistes, sera à même de comprendre comment cet arbre fruitier-là, de cette variété-là, est capable, avec des gestes humains prodigués a minima, de contrôler lui-même sa production : il est indéniable que la qualité première pour réussir, c’est la délicatesse ! Un sécateur, c’est comme un fusil, moins on s’en sert mieux on se porte… 7
Des Des arbres arbres fruitiers fruitiers dans dans mon mon jardin jardin
avant de se lancer
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avant de se lancer
Fleurs et pollinisation
Au commencement était la fleur… Pour toutes les espèces* d’arbres fruitiers, pas de fruits sans fleurs, fleurs qui doivent, de plus, être fécondées… Les fleurs naissent à partir de bourgeons mais tous les bourgeons ne donnent pas des fleurs. En effet, certains bourgeons minces et pointus, dits « à bois », ont une destination végétative*, c’est-à-dire qu’ils participent à l’élaboration de la structure de l’arbre. La seconde sorte de bourgeons est dite « à fleur ». Ils donnent progressivement naissance à des ébauches florales l’été précédant la floraison. Ces fleurs, constituées définitivement dans le courant de l’hiver à l’intérieur du bourgeon seront à l’origine du fruit et de sa graine. Ces fleurs seront fécondées puis transformées, et donneront une ou plusieurs graines. Pour certaines espèces, le fruit qui en résulte est comestible, sa chair est bonne à manger. Elle peut être sèche (la noisette) ou charnue (l’abricot). Comment les plantes se « marient-elles » ?
Carl von Linné, l’inventeur de la botanique, parlait de « mariage des plantes » pour décrire le processus naturel de la recherche de la descendance, de la poursuite du cycle de la vie. Les végétaux à fleurs, dans la majorité des cas, survivent et perdurent grâce à leurs graines obtenues par reproduction sexuée, les fleurs étant les organes sexuels des plantes. Une multitude d’appariements (femelle et mâle) existe selon les espèces et entre les variétés* d’une même espèce. Apprendre à les connaître permet de comprendre comment s’occuper des fruitiers du jardin : il est bon de savoir par exemple qu’un cerisier d’une variété ancienne, isolé tout seul dans un jardin, sans congénère alentour, produira certes 9
Des arbres fruitiers dans mon jardin
Fruits simples secs
Noisette, amande, châtaigne
Akènes
Pêche, abricot, prune, cerise, olive, noix
Drupes
Kiwi, raisin
Baies
Fruits multiples
Mûre, framboise
Polydrupes
Fruits complexes
Pomme, poire
Le fruit se développe à partir de la base de la fleur contenant les ovaires
Fruits charnus
Sur un prunier, en janvier, avant le débourrement on ne distingue pas facilement le bourgeon à bois (ici celui qui est en haut du dessin, le terminal) des bourgeons à fleur.
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Proche de la floraison, il devient très facile de les distinguer : les fleurs s’épanouissent tandis que les deux futures pousses végétatives restent « fermées ».
avant de se lancer
FLEUR DE PÊCHER HERMAPHRODITE Stigmate Style Anthère
Filet de l’étamine Zone nectarifère Ovaire
Ovules
Sépale
L’étamine = l’anthère + le filet de l’étamine Le pistil = le stigmate + le style
La fleur de pêcher est hermaphrodite, elle porte à la fois des organes mâles, les étamines constituées des anthères qui sont de petits sacs contenant le pollen portés par des tiges (le filet), et des organes femelles, l’ovaire contenant les ovules, situé au cœur charnu de la fleur et surmonté du pistil composé du style et de son stigmate qui accueillera et fera germer le grain de pollen.
des fleurs, mais peu de fruits. En effet, il est nécessaire d’avoir deux cerisiers proches dans l’espace, pour que les insectes pollinisateurs transportent de l’un à l’autre le pollen de l’autre arbre. La reproduction sexuée chez les végétaux est complexe. Voyons les associations particulières observées chez les arbres fruitiers de nos jardins. Les espèces hermaphrodites : leurs fleurs sont munies à la fois d’un sexe femelle et d’un sexe mâle. C’est le cas des pommiers, poiriers, cerisiers, pêchers… Les espèces monoïques : sur le même arbre, ce sont des fleurs distinctes qui portent les unes les organes reproducteurs mâles et les autres les organes reproducteurs femelles. C’est le cas par exemple du noyer et du noisetier. Les espèces dioïques : leurs organes reproducteurs mâles et leurs organes reproducteurs femelles sont portés par des arbres différents, c’est le cas par exemple du kiwi et du figuier. 11
avant de se lancer
Quatorze fruitiers Les quatorze fruitiers ont été choisis parmi ceux le plus souvent rencontrés dans les vergers familiaux en France. Pour chacun d’eux, sont proposés une description de l’arbre et ses différents porte-greffes possibles, le mode de fécondation des fleurs (et donc de pollinisation), la façon de fructifier, la manière dont il faudra le conduire idéalement. L’accent sera aussi mis sur certaines particularités selon les arbres, allant des variétés disponibles à l’achat chez le pépiniériste, à la possibilité de les multiplier pour le jardinier amateur, ou encore le sol le plus adapté pour les planter, l’éclaircissage éventuel des fruits, l’espace dont ils ont besoin pour pousser… Certains de ces fruitiers sont très faciles à cultiver, ils se « débrouillent » quasiment tout seuls, pour d’autres, l’amateur doit davantage « s’appliquer ». Mais l’important, en la matière, c’est de passer du temps au jardin avec chaque arbre fruitier pour l’observer, le comprendre et le « conduire » avec bonheur !
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Des arbres fruitiers dans mon jardin
1 l’abricotier Prunus armeniaca
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l’abricotier
Pleine floraison chez l’abricotier.
Chaque région possède de façon quasiment exclusive sa ou ses variétés* adaptées à ses sols et à son climat, par exemple le Bassin rhodanien avec le bergeron et le polonais. C’est le cas de la variété nicole en Lot-et-Garonne soumise au climat atlantique. D’autres sont mieux adaptées aux régions méditerranéennes dont elles sont originaires, comme le rouge du Roussillon. Inutile d’espérer cueillir des bergeron à Perpignan ou des rouges du Roussillon dans les coteaux du Lyonnais… Pollinisation et fécondation
Il existe trois catégories de variétés. Les variétés autofertiles : capables de se polliniser et de se féconder elles-mêmes, elles sont souvent très productives. Les variétés autostériles : incapables de se polliniser ou de se féconder elles-mêmes. Elles ont besoin d’un pollen provenant d’une autre variété dont la floraison coïncide. 37
Des arbres fruitiers dans mon jardin
Et des variétés dont l’autopollinisation n’est que partielle, c’est-à-dire insuffisante pour assurer une production de fruits satisfaisante. Ainsi, dans cette espèce, la fertilité étant très variable d’une variété à l’autre, la plantation de plusieurs variétés sur un même site est fortement conseillée. Modes de fructification
Comme nous l’avons vu précédemment, c’est une espèce très sensible aux conditions du milieu dans lequel elle pousse. L’abricotier n’aime pas l’humidité surtout au pied, le grand vent, et les températures hivernales inférieures à moins dix. Ses rameaux* pousseront différemment selon leur position dans la canopée*, la vigueur de l’arbre et les caractéristiques variétales. Ainsi, vont se développer des rameaux* de longueurs différentes : des rameaux courts de type bouquets de mai* et d’autres plus longs pouvant s’empiler si l’éclairement est satisfaisant. Les rameaux courts : on distingue parmi eux des bouquets de mai* et des chiffonnes*. D’une longueur de 2 cm à 7 cm, ils sont peu ou pas ramifiés et portent essentiellement des bourgeons floraux. Le bourgeon terminal peut être, lui, végétatif* et assurer ainsi la croissance d’un bouquet l’année suivante. Ces rameaux courts assurent une production régulière de fruits de qualité homogène et de bon calibre, dans la mesure où le nombre de fruits conservés par bouquet est raisonnable (1 à 2) et si leur éclairement reste correct. Les rameaux longs : formés de plusieurs phases de croissance annuelles, ils ont peu de bourgeons floraux à leur base. Ils se développent soit en extrémité d’un rameau vigoureux de l’année précédente (bois d’un an) ce sont des « prolongements », soit sur 38
l’abricotier
Bouquet de mai âgé de trois ans : il s’allonge chaque année d’une petite pousse portant des fleurs.
Bouquets de mai
des structures plus âgées de l’arbre (charpentières*), ce sont des « repercements » (voir photo p. 40). L’arcure* des branches ainsi que celles sévèrement taillées favorisent la naissance puis le développement de ces repercements. Les plus puissants appelés « gourmands* », développent une ramification* anticipée (petites brindilles* végétatives se formant latéralement la même année autour de ces gourmands). Ces pousses végétatives latérales deviendront peut-être des chiffonnes* ou des bouquets de mai* l’année suivante. Conduite
Les différences de comportement entre variétés sont importantes (l’arbre peut présenter un port* dressé ou alors un port ouvert) mais naturellement l’abricotier est le plus souvent buissonnant et la croissance du tronc n’est pas dominante. Le type de ramification (développement de rameaux courts ou longs), la souplesse du bois, la rapidité de l’entrée en production ont une nette incidence sur le port de l’arbre et son mode de ramification. L’arbre étant laissé libre, les premières années le jardinier 39
Des arbres fruitiers dans mon jardin
Des repercements vigoureux sur arcures renouvelleront les premières branches qui avaient plié sous le poids de leurs fruits.
Les prolongements de branches s’affaissent sous le poids des fruits.
n’interviendra pas ou, cas particulier, pour enlever des branches trop proches les unes des autres. Cependant l’arcure*, favorisant la fructification, permet de réduire la croissance de l’arbre et de contrôler son gabarit. Cette intervention est généralement plus efficiente que la taille. Elle doit être réalisée en sève*, au printemps. Plus tard, la taille annuelle consistera à éliminer les branches trop affaissées par le poids des fruits et à sélectionner les renouvellements sur arcures. La taille ne doit pas être réalisée en hiver mais plutôt après la récolte et avant le 15 septembre. Durant le repos végétatif de l’abricotier, les plaies de taille cicatrisent mal et deviennent des portes d’entrée à différents pathogènes (bactéries). L’éclaircissage des fruits consiste à supprimer les fruits en surnombre avant le durcissement des noyaux. Ce tri permet d’assurer un bon équilibre entre le potentiel végétatif de l’arbre et son potentiel fructifère. Il peut être défini en ne laissant qu’un fruit par bourgeon, en éliminant les fruits les plus abîmés et en ne laissant, dans les zones très chargées, qu’un fruit tous les 10 cm. Cette opération plus ou moins importante selon la charge en fruits doit être réalisée chaque année. 40
l’abricotier
Chaque branche a sa place : dans un arbre bien élagué le rayonnement solaire entre dans l’arbre et éclaire les productions fruitières.
Un abricotier en pleine production chez un arboriculteur.
Porte-greffes et distances de plantation
L’obtention d’un arbre équilibré et bien éclairé n’est possible que si le porte-greffe est choisi judicieusement. Préférer des porte-greffes de l’espèce prunier pour les sols retenant l’humidité : Myrobolan, Torinel®. Pour sols drainants caillouteux et sans excès d’eau on optera pour un porte-greffe Franc de pêcher ou d’abricotier. En sol profond et un peu lourd on choisira un porte-greffe Franc d’abricotier. Le choix du porte-greffe aura également une incidence sur le gabarit de l’arbre. Greffé sur Myrobolan, l’abricotier en sol limoneux peut développer une couronne* dépassant sept mètres de diamètre, la même variété sur Franc de pêcher ou d’abricotier en sol « maigre » de coteaux ne dépassera pas cinq mètres. Prévoir un espace suffisant pour l’abricotier que l’on plante, compte tenu de ce que, comme pour tous les fruitiers, le volume et la surface occupés par la partie souterraine de l’arbre – les racines – correspondent toujours au développement de sa partie visible, aérienne – les branches. 41