"Terre silencieuse" de Dave Goulson - Extrait

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TERRE SILENCIEUSE

DU MÊME AUTEUR

L’Appel de la prairie, carnets d’un naturaliste en France, Rouergue, 2022

Le Jardin Jungle, arche de biodiversité, Rouergue, 2019

Ma Fabuleuse Aventure avec les bourdons, Gaïa, 2019

Graphisme de couverture : Cédric Cailhol Illustration de couverture : © Sergio Aquindo

© Dave Goulson, 2021

© Éditions du Rouergue, 2023, pour la traduction française www.lerouergue.com

DAVE GOULSON

TERRE SILENCIEUSE Empêcher l’extinction des insectes

Traduit de l’anglais par Ariane Bataille

À mon extravagante, agaçante, merveilleuse famille et surtout à Lara, mon adorable épouse.

SOMMAIRE

Introduction

Une vie avec les insectes 11

PREMIÈRE PARTIE : DE L’IMPORTANCE DES INSECTES 19 1 Une brève histoire des insectes 21 2 Le rôle majeur des insectes 33 3 Le monde merveilleux des insectes 51

DEUXIÈME PARTIE : LE DÉCLIN DES INSECTES 63 4 Les preuves de la baisse du nombre d’insectes 63 5 Les références changeantes 88

TROISIÈME PARTIE : LES CAUSES DU DÉCLIN DES INSECTES 95 6 La perte de leur habitat 97 7 L’empoisonnement des terres 109 8 Le désherbage 154 9 Le désert vert 174 10 La boîte de Pandore 186

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11 La tempête qui s’annonce 200 12 La Terre, véritable boule de Noël 221 13 Les invasions 228 14 Les inconnues connues et inconnues 240 15 La mort à petit feu 255

QUATRIÈME PARTIE : OÙ VA-T-ON ? 265 16 Un tableau du futur 267

CINQUIÈME PARTIE : QUE POUVONS-NOUS FAIRE ? 289 19 Sensibiliser les citoyens 291 18 Végétaliser nos villes 311 19 L’avenir de l’agriculture 327 20 La nature partout ............................... 356 21 Tout le monde peut agir 369

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Remerciements 388 Bibliographie 389 Index
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Introduction

Une vie avec les insectes

Les insectes me fascinent depuis toujours. Un de mes premiers souvenirs est la découverte, à l’âge de cinq ou six ans, de plusieurs chenilles à rayures jaunes et noires en train de grignoter les mauvaises herbes qui poussaient dans les fissures du macadam, autour de la cour de récréa tion de l’école. Je les ai ramassées, posées dans ma boîte à déjeuner vide, au milieu des miettes de pain, et rappor tées à la maison. Avec l’aide de mes parents, j’ai cueilli les feuilles qui leur convenaient ; mes chenilles ont fini par se changer en superbes papillons de nuit noir et magenta (connus sous le nom d’écaille du séneçon, goutte de sang , ou carmin). Ça m’a paru magique aujourd’hui encore. J’étais mordu. Depuis, j’ai réussi à faire de cette passion d’enfance mon gagne-pain. À l’adolescence, tous mes week-ends et mes vacances étaient occupés à chasser les papillons diurnes avec un filet, attirer les papillons nocturnes avec du sucre, attraper les scarabées dans des pièges-fosses. J’achetais des œufs de papillons exotiques par correspondance à des four nisseurs spécialisés ; je les regardais se transformer en de bizarres chenilles multicolores puis devenir de gigantesques papillons magnifiques : papillon lune à longue queue en provenance de l’Inde, grand paon de nuit de Madagascar, atlas géant brun chocolat d’Asie du Sud-Est (le plus grand

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Terre silencieuse

de tous les papillons nocturnes). Évidemment, j’ai choisi la biologie comme discipline lorsque j’ai pu entrer à l’univer sité d’Oxford et, plus tard, l’écologie des papillons comme sujet de doctorat soutenu à Oxford Brookes, la moins chic des deux universités, perchée à l’est sur une colline. Ensuite, j’ai obtenu différents postes de chercheur : d’abord à l’université d’Oxford, pour observer les extraordinaires habitudes d’accouplement de la grosse vrillette, ensuite dans un laboratoire gouvernemental de la ville d’Oxford pour étudier les moyens de lutter contre les parasites en pulvé risant des virus sur les cultures. Moi qui n’aime pas tuer les insectes, j’ai détesté ce boulot et je me suis senti infiniment soulagé quand on m’a proposé un poste de professeur permanent au département de biologie de l’université de Southampton.

C’est là que j’ai commencé à me spécialiser dans l’étude des bourdons, qui sont pour moi les insectes les plus attachants (et la concurrence est rude). Fasciné par la manière dont ils choisissaient les fleurs qu’ils visitaient, j’ai mis cinq ans à comprendre comment ils évitaient les fleurs vides en les reniflant pour y déceler des traces d’odeurs lais sées par les pattes d’un autre bourdon. J’ai ainsi appris que, sous leur allure de nounours empotés, les bourdons sont des créatures intelligentes, les géants intellectuels du monde des insectes, capables de s’orienter, de mémoriser des points de repère, des emplacements de parcelles de fleurs, d’extraire avec efficacité les récompenses cachées dans les fleurs plus complexes, enfin de vivre en colonies sociales élaborées où se trament des complots et où les régicides sont courants. À côté d’eux, les papillons que je chassais dans ma jeunesse me paraissaient désormais des créatures splendides mais écervelées.

Ma quête des insectes m’a offert la chance de par courir le monde, des déserts de Patagonie jusqu’aux cimes

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glacées du Fiordland de Nouvelle-Zélande en passant par les pentes humides et boisées des montagnes du Bhoutan. À Bornéo, j’ai observé des nuages de papillons à ailes d’oi seaux en train d’aspirer des minéraux sur les rives boueuses d’une rivière, et en Thaïlande des milliers de lucioles lancer la nuit leurs flashs synchronisés. Chez moi, dans mon jardin du Sussex, j’ai passé des heures et des heures à plat ventre, à regarder des sauterelles en quête de partenaire repousser leurs rivales, des perce-oreilles s’occuper de leurs petits, des fourmis pomper le miellat des pucerons, des abeilles mégachiles découper les feuilles dont elles garnissent leurs nids.

Je me suis énormément amusé. Aujourd’hui, le fait de savoir ces créatures sur le déclin m’obsède. Depuis que j’ai ramassé mes premières chenilles dans la cour de l’école, il y a cinquante ans, le nombre de papillons, de bourdons, de presque toutes les myriades de petites bêtes qui font tourner le monde, décroît un peu plus chaque année. Ces belles créatures fascinantes sont en train de disparaître, fourmi après fourmi, abeille après abeille, jour après jour. Les estimations varient et demeurent imprécises, mais il est fort probable que les insectes aient diminué de 75 % ou davantage depuis mes cinq ans. La preuve scientifique de ce phénomène se renforce d’année en année tandis que de plus en plus de publications décrivent l’effondrement des populations de monarques en Amérique du Nord, la dis parition des insectes des bois et des prairies en Allemagne, ou le recul apparemment inexorable des variétés de bour dons et de syrphes au Royaume-Uni.

En 1962, trois ans avant ma naissance, dans son livre Printemps silencieux , R achel Carson nous alertait déjà sur les terribles dommages que nous infligions à notre planète. Elle pleurerait de voir à quel point la situa tion a empiré. Des habitats sauvages riches en insectes,

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tels que les prairies de fauche, les marais, les landes et les forêts tropicales humides, ont été détruits à grande échelle par les bulldozers, les brûlis, le labourage. Les problèmes sur lesquels elle mettait l’accent en parlant des pesticides et des engrais n’ont cessé de s’aggraver, avec les trois millions de tonnes estimées de ces substances déversées chaque année dans l’environnement planétaire. Certains d’entre eux sont des milliers de fois plus toxiques pour les insectes que ceux de 1962. Les sols sont dégradés, les rivières obstruées par la vase ou pol luées par des produits chimiques. Le changement clima tique , phénomène ignoré des contemporains de Rachel Carson, menace à présent de ravager encore davantage notre planète en danger. Ces modifications sont toutes survenues de notre vivant, sous nos yeux, et elles conti nuent à s’accélérer.

Si le déclin des insectes est terriblement triste pour ceux d’entre nous qui affectionnent ces petites créatures et leur accordent une grande importance, il menace également le bien-être de tous les humains puisque nous avons besoin d’eux pour polliniser nos cultures, recy cler nos déchets, assainir le sol , contrôler les nuisibles, et bien d’autres choses encore. Beaucoup d’animaux de plus grande taille, comme les oiseaux, les poissons , les grenouilles , comptent sur les insectes pour se nourrir. Les fleurs sauvages comptent sur eux pour la pollinisation . La raréfaction des insectes entraînera la paralysie progres sive de notre monde car celui-ci ne peut pas fonctionner sans eux. Comme le disait R achel Carson : L’homme fait partie de la nature et sa guerre contre la nature est fatalement une guerre contre lui-même .

Je passe désormais beaucoup de temps à essayer de persuader les autres qu’il faut aimer les insectes et veiller sur eux, ou tout au moins les respecter pour toutes les

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choses essentielles qu’ils accomplissent. C ’est bien sûr la raison pour laquelle j’écris ce livre. Je veux que vous voyiez les insectes à travers mes yeux : beaux, surpre nants, parfois terriblement étranges, voire malfaisants et inquiétants, mais toujours merveilleux et dignes de notre estime. Vous serez stupéfaits, je crois, par certaines de leurs habitudes spéciales, certains de leurs comportements ou styles de vie auprès desquels les fantasmes des auteurs de science-fiction paraissent plutôt banals. Cette expédition à la découverte du monde des insectes, de l’histoire de leur évolution, de leur importance et des nombreuses menaces qui pèsent sur eux, est entrecoupée de courts interludes de brèves explorations dans la vie de quelques-uns de mes préférés.

Le temps a beau nous être compté, il n’est pas encore trop tard pour sauver la situation. Nos insectes ont besoin de notre aide. La plupart n’ont pas encore disparu et si nous leur accordons juste un peu d’espace ils pourront se régénérer rapidement car ils se reproduisent vite. Ils sont partout autour de nous : dans nos jardins, nos parcs, nos fermes, dans le sol sous nos pieds et même dans les fissures des trottoirs des villes ; nous pouvons tous veiller sur eux en faisant le maximum pour empêcher que ces créatures essen tielles disparaissent. On peut se sentir impuissant face à de nombreux problèmes environnementaux qui se profilent à l’horizon, mais on peut prendre des mesures simples pour protéger les insectes.

J’affirme que nous avons besoin d’un changement profond. Nous devrions inviter plus d’insectes dans nos jardins et nos parcs, transformer les zones urbaines, les accotements des routes, les tranchées ferroviaires et les ronds-points en un réseau d’habitats remplis de fleurs et vierges de pesticides. Nous avons besoin de modifier radi calement notre système d’approvisionnement alimentaire

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défaillant, de réduire le gaspillage de nourriture et la consommation de viande afin de pouvoir laisser à la nature de larges portions des terres les moins productives. Nous avons besoin de développer des systèmes d’agriculture réellement durables, axés sur le travail en coopération avec la nature afin de produire une nourriture bonne pour nous au lieu de mettre en place ces immenses monocultures de produits de base, stériles, imbibées de pesticides et d’en grais. Nous pouvons tous participer à ces changements de plusieurs manières : en achetant et en mangeant des fruits et légumes locaux, saisonniers, bio ; en cultivant nos propres aliments ; en votant pour des politiciens qui prennent vraiment l’environnement au sérieux ; en sensibilisant nos enfants à l’urgence qu’il y a à mieux prendre soin de la planète.

Imaginez un avenir où nos villes sont vertes, chaque espace rempli de fleurs sauvages, d’arbres fruitiers, d’arbres à fleurs, les toits et les murs végétalisés, les enfants habitués au gazouillis des oiseaux, à la stridulation des criquets, au vrombissement des bourdons, à l’éclat coloré des ailes de papillons. Autour des villes, des petites fermes pro duisent de bons fruits et légumes pollinisés par une grande variété d’insectes sauvages, privilégient la biodiversité , tiennent en échec les parasites avec une armée d’ennemis naturels, conservent un sol sain et des stocks de carbone grâce aux innombrables micro-organismes présents dans la terre. Loin des villes, les nouveaux projets de réensau vagement offrent le loisir de découvrir des zones humides ponctuées de barrages construits par des castors, regor geant de libellules et de syrphes , des prairies couvertes de fleurs, des patchworks de forêts grouillant de vie. Cela peut ressembler à un fantasme, pourtant il y a assez de place sur notre Terre pour y mener une existence épanouie, manger sainement, avoir une planète verte dynamique,

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intensément vivante. Nous devons juste apprendre à vivre dans la nature et non en dehors. Et le premier pas consiste à veiller sur les insectes, ces petites créatures qui font tour ner ce monde que nous partageons avec elles.

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