Entretien Sylvie Gracia / Olivier Douzou double Anniversaire au Rouergue dans Page avant Page

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Entretien Sylvie Gracia Olivier Douzou double Anniversaire au Rouergue —

— Propos recueillis par Emmanuelle George et Isabelle Réty Librairie Gwalarn (Lannion)

En 2013, Le Rouergue Jeunesse et « La Brune » fêtent chacun un anniversaire. Sylvie Gracia, l’éditrice de « La Brune », mais aussi en littérature jeunesse, et Olivier Douzou, éditeur et auteur d’albums, ont accepté de jeter un œil dans le rétroviseur... tout en gardant le cap sur l’avenir.


Comment sont nés « La Brune » et le Rouergue jeunesse, il y a 15 et 20 ans ? Sylvie Gracia — J’ai rencontré Danielle Das-

Sylvie Gracia : éditrice de « La Brune » Olivier Douzou : éditeur et auteur au Rouergue

tugue, fondatrice des éditions du Rouergue, au printemps 1997 dans la librairie qu’elle dirigeait alors à Rodez, La Maison du livre. Je venais de publier mon premier roman, L’Été du chien (L’Arpenteur/Gallimard), et elle m’avait invitée pour une rencontre. La maison était en plein développement, côté jeunesse avec l’arrivée d’Olivier Douzou en 1993. La reconnaissance était venue tout de suite. Elle avait envie d’un nouveau défi du côté du roman, tout en sachant que c’était très risqué pour une petite maison installée en province. Il fallait se lancer à partir de rien, sans auteur et même sans manuscrits ! Le lendemain de notre rencontre, elle m’a proposé de travailler avec elle sur la création d’une collection. C’était complètement inattendu. Je ne travaillais pas dans l’édition, je n’y avais même jamais pensé. Mes seules compétences, c’était celle de grande lectrice de romans contemporains et cette première expérience comme romancière. On a travaillé pendant un an et demi sur la collection, la recherche de manuscrits, d’un nom, d’un design, de contacts, etc. Les premiers romans sont sortis en août 1998. Avec un premier succès critique et de librairie : Petites morts d’Isabelle Rossignol. Une très belle histoire de rencontre, donc. Mais aussi de ténacité. Olivier Douzou — En septembre 1992, j’ai proposé au Rouergue la maquette de mon premier livre, Jojo la Mache, espérant que Danielle Dastugue, alors directrice, puisse me diriger vers des maisons d’édition jeunesse. En mars 1993, cet album était finalement publié par le Rouergue. À la fin de cette même année, je quittais Paris et partais poursuivre mon activité professionnelle à Rodez. Devant l’accumulation de propositions jeunesse qui parvenaient désormais au Rouergue, on m’a proposé de créer et diriger un département jeunesse.


— Sylvie Gracia

En quinze ans, en vingt ans, quels ont été les changements ? S. G. — En fait, je vois les changements, mais aussi et surtout la continuité. Pour la continuité, rester sur un rythme de publication très raisonnable, entre six et dix romans par an, jouer la découverte de jeunes auteurs français et travailler avec eux sur le long terme en leur donnant envie de rester avec nous. C’est comme cela qu’on constitue un catalogue qui a une identité. Pour les changements, on a beaucoup évolué côté logo, couverture et format, depuis les débuts avec des illustrations de Gianpaolo Pagni, jusqu’à aujourd’hui avec fond blanc, papier mat, petites vignettes photo et mise en avant du logo « La Brune au Rouergue ». C’est d’ailleurs Olivier Douzou qui a conçu la première maquette et vient de redessiner la dernière. Belle continuité ! Il y a aussi les changements de « structure », le départ de Danielle Dastugue en retraite, la plus grande intégration à Actes Sud, mon travail en collaboration avec Bertrand Py, directeur littéraire d’Actes Sud. Mais La Brune conserve sa place originale au sein d’un paysage plus vaste. Toujours ce même travail artisanal : l’ouverture des manuscrits arrivés par la poste, la proximité avec les auteurs… Et puis, surtout, en quinze ans, je crois qu’on a prouvé qu’on pouvait « vendre » des livres, publier des auteurs de qualité et leur donner une vraie notoriété, en presse et en librairie. Depuis l’anniversaire des dix ans en 1998, fêté avec le grand succès des Déferlantes de Claudie Gallay, on a acquis une vraie reconnaissance. Je l’espère en tout cas ! O. D. — En vingt ans, ce sont la géographie, les moyens, les distances qui ont changé. En 1993, l’ordinateur était un cube qui ne permettait de travailler ni le texte, ni l’image. On pouvait croiser dans la rue son imprimeur et le travail sur l’album avec les auteurs se faisait à la main sur des coins de table. Physiquement, Le Rouergue était loin de tout et le fax n’était pas suffisant pour

communiquer avec les auteurs. L’évolution au Rouergue, ce sont aussi les collections nouvelles de romans qui se sont installées petit à petit aux côtés des albums, collections que dirige Sylvie Gracia. Le Rouergue a multiplié les territoires pour les auteurs et les illustrateurs. Absent du Rouergue entre 2001 et 2011, je n’ai pu que constater à mon retour une grande évolution dans la manière de travailler, grâce notamment au développement d’Internet, grâce aussi aux progrès de l’outil informatique. Le changement a aussi été le passage d’une maison indépendante à la grande maison Actes Sud. Je ne l’ai pas vécu personnellement, mais constate heureusement que la liberté éditoriale est préservée.

Comment avez-vous prévu de f êter cet anniversaire ? S. G. — D’abord en travaillant. On a revisité les couvertures, redessiné un logo et affirmé encore plus l’identité spécifique de la collection avec la mention « La Brune au Rouergue ». On a aussi renforcé les publications (dix cette année, dont trois premiers romans). Sinon, nous n’avons pas prévu de grande fête, mais de nombreuses rencontres d’auteurs en librairies durant l’année. O. D. — Le blog Forêt-wood sert de support à une forêt virtuelle où chacun peut librement planter son arbre imaginaire. Le point de départ en est un livre fait à quatre mains avec José Parrondo. Et Forêt-words, un ouvrage collectif au feuillage plus écrit devrait paraître à l’automne. Ce ne sont pas de véritables célébrations ou photos de famille, mais plutôt des mouvements, des invitations à ceux qui se sentent une proximité avec la maison et qui ont envie de nous accompagner dans cet espace de liberté qu’est le livre. Les libraires « branchés » Rouergue peuvent aussi nous rejoindre. Plusieurs opérations ont été mises en place pour remettre à la surface notre fonds d’albums et romans, tous ces livres qui racontent la belle histoire du ▶▷▷

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« je vois les changements, mais aussi et surtout la continuité. […] rester sur un rythme de publication très raisonnable, […] jouer la découverte de jeunes auteurs français et travailler avec eux sur le long terme en leur donnant envie de rester avec nous. »


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« Le blog Forêt-wood sert de support à une forêt virtuelle où chacun peut librement planter son arbre imaginaire […] Et Forêt-words, un ouvrage collectif au feuillage plus écrit devrait paraître à l’automne. » — Olivier Douzou

▶▷▷ Rouergue et qui sont toujours vivants. À l’automne paraîtra aussi Lola, la petite fille de Jojo la Mache, clin d’œil à ce livre qui « dure » et qui est désormais entre les mains des enfants de nos premiers lecteurs.

cément simple. Je pense à mes projets personnels quand je suis sûr que les autres dorment.

Imaginez : je suis auteure et je tiens absolument à être publiée au Rouergue. Quels doivent être mes atouts ? S. G. — Il y a quelque chose de la vérité d’un texte qui

est en train de vivre de grands bouleversements du côté du livre, de sa commercialisation et du rapport à la lecture. On n’en est sûrement qu’au début. Ça nous oblige à beaucoup d’intelligence, de pertinence, de réactivité. Et ça, c’est plutôt excitant. Tout est ouvert. Même le meilleur ! O. D. — Être en mouvement. ◼

ne trompe pas. Quelqu’un ayant quelque chose à dire et sachant le dire avec sa propre voix. Après, tout est ouvert. Les publications sont assez éclectiques, il n’y a pas de ligne « Brune ». O. D. — Éviter de dire que ce projet correspond à ce qui se fait au Rouergue. Éviter d’afficher dans le mail la liste de toutes les autres maisons destinataires. Éviter de préciser l’âge du public concerné. Éviter de dire que vous l’avez testé auprès de vos enfants et que c’est déjà un succès. Être convaincante avec le minimum : une idée, des moyens, une direction.

Vous avez tous les deux plusieurs cordes à votre arc (auteur, éditeur, illustrateur, directeur artistique). Comment menez-vous de front ces différents métiers ? S. G. — … Et je suis en plus éditrice de romans jeunesse au Rouergue ! En fait, depuis quelque temps, je travaille au Rouergue quatre jours par semaine. Les trois restants, j’essaie de me mettre à l’écart pour écrire. Ce n’est pas facile. Et puis on me considère d’abord comme éditrice. Alors que mon travail d’auteur est pas mal du tout ! (rires) O. D. — Je suis illustrateur depuis toujours, je suis devenu auteur quand j’ai dû trouver des mots pour faire un livre, je suis devenu directeur artistique par défaut et éditeur parce que c’était le seul moyen de mettre en place le secteur jeunesse des éditions du Rouergue. Mener tout cela de front revient à la fois à s’oublier et à s’investir ; cela consiste à encourager des choix ou à faire des choix, ce qui n’est pas for-

Quels sont vos projets pour les quinze et vingt ans à venir ? S. G. — Conserver le plaisir du métier. On sait qu’on

http://foretwood.tumblr.com/

p. 147

Lire aussi p.147 de ce numéro.


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