"Rainbow apocalypse" de Tristan Valroff - Extrait

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Illustration de couverture : © Patrick Connan © Éditions du Rouergue, 2022 www.lerouergue.com


Tristan Valroff

rainbow apocalypse



prologue

Personne ne s’y était attendu : nous avons d’abord cru à une gigantesque farce, puis nos sourires incrédules se sont figés sur nos visages. Les fées sont arrivées, sorties d’on ne sait où, et ont transformé le monde et ses habitants. Elles nous ont offert une apocalypse couleur arc-en-ciel.


1. la station-service

J’ai trouvé ce chariot en plein milieu de la forêt. Le propriétaire était mort. Nous nous sommes permis d’en prendre possession. Avant, nous n’avions qu’une remorque minable. L’échange était avantageux. Ça fait un an que nous voyageons avec. Il tient bien le coup, et il y a largement assez de place pour notre cargaison. J’ai écrit dessus, en grosses lettres roses : Bibliothèque Itinérante. Puisque c’est de ça qu’il s’agit : nous ne transportons que des livres. Et puis ça décourage les bandits. Ils voient tout de suite que nous sommes pauvres. Maylis est une licorne forte et robuste comme un cheval de trait ; c’est elle qui tire le véhicule. Pour l’instant, nous avançons sous une drache torrentielle : une pluie niagaresque qui lui dégouline le long de la corne, et qui détrempe sa crinière. – Fait chier, dit-elle. – Quoi ? je lui demande. – Comme si c’était pas évident. La pluie. La pluie et la boue. J’ai de la boue plein les sabots. Fait chier. – Je te brosserai quand on sera au sec.

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– Pourquoi il a fallu que les fées me fassent toute blanche ? Y a pas plus salissant que le blanc, merde. J’ai sans arrêt l’air de m’être roulée dans un caniveau. – On est bientôt arrivées, de toute façon. Je suis installée à l’avant du chariot, un parapluie déplié à la main. Léa se tient à côté de moi ; je l’abrite elle aussi. Une petite dragonne aux écailles roses, immobile, silencieuse, les yeux plongés dans son livre : un roman de Fred Vargas. Une acquisition récente. – C’est intéressant ? je lui demande. Il faut croire que oui, car elle ne répond pas. Elle tourne une autre page. Je doute même qu’elle m’ait entendue. – Eh ! Léa ! lui crie Maylis. Pose ton bouquin et sois un peu avec nous, s’il te plaît. – Hein ? demande l’intéressée, comme si on venait de la réveiller. – T’es notre garde du corps officielle, je te rappelle. Il faut que tu réagisses au quart de tour. On compte sur toi. Il faut que tu restes attentive à ce qui se passe autour de nous. À tout moment il peut y avoir un truc. Tu peux pas te permettre de déconnecter, comme ça. – Désolée. – C’est bon, dis-je. Elle a quand même le droit de lire. Même sans attirer l’attention des bandits, voyager avec une protection s’avère nécessaire. La nature, telle que reconstruite par les fées, regorge de prédateurs en tout genre. À ce titre, la machette que je porte à la ceinture ne me sert pas qu’à couper les fougères, et l’arbalète que j’ai dans le dos ne trahit pas un intérêt spécifique

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pour le tir sportif. Mais avoir un dragon avec soi présente l’avantage de décourager les attaques. La plupart des bêtes sauvages perçoivent son odeur de loin, et préfèrent ne pas s’exposer à une incinération potentielle. Léa n’est pas un spécimen de très grande taille, mais il lui suffit d’ouvrir la gueule pour calciner sa cible jusqu’aux os. Cela dit, cette pluie pourrait suffire à réduire l’efficacité de ses flammes. Dans le doute, autant que je me prépare à sortir mon arbalète. De toute façon, si une bête quelconque surgit des arbres, Maylis ne manquera pas de nous le signaler : son ouïe et son odorat sont tous deux extrêmement fiables. Cependant, cette fois-ci, c’est Léa qui nous avertit, sortant de son mutisme : – Il y a quelque chose de bizarre. – Quoi ? demande Maylis. J’entends rien et je sens rien. – Dis… Sarah… ? On ne s’est pas trompées de chemin, par hasard ? – Non, je réponds. Aucun risque. On suit le même itinéraire. T’as bien vu qu’on est passées devant la vieille grange rouillée ? – Oui mais… alors, c’est quoi, ce qu’on a devant nous ? – Quoi ? demande Maylis. Je vois rien avec toute cette flotte. – Vous allez bientôt voir. Là, regardez. Et, parmi les troncs d’arbres gris et bleus, derrière les fourrés, commence effectivement à se découper quelque chose d’étrange.

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Je ne comprends pas tout de suite de quoi il s’agit. C’est blanc. Anormalement blanc, anormalement propre. Une structure difficilement identifiable qui, Léa a raison, ne devrait pas se trouver sur notre route. – C’est quoi ce bordel ? demande Maylis, traduisant le fond de ma pensée. Et puis nous y arrivons. Notre trouble ne fait que grandir. Une fois devant l’anomalie, je ne sais plus quoi dire. Les autres non plus. C’est une station-service. Un bâtiment bas et carré, entouré d’un rectangle de bitume. Portes vitrées. Enseigne colorée. Devant, des pompes à essence. Une voiture – une vraie voiture – est garée en face. Tout est intact. Aucun lierre, aucune plante grimpante le long des murs. Les vitres sont toujours en place, transparentes et immaculées. La voiture n’a pas été désossée, n’a pris ni la rouille ni la mousse. Aucune racine n’a percé le bitume. C’est comme si cet endroit n’avait pas bougé depuis l’Invasion. La pluie tombe dessus comme si de rien n’était. – Vous voyez toutes les deux la même chose que moi ? je demande. – Une station-service. Ouais, dit Maylis. Je le sens mal. C’est sans doute une illusion. Mais s’il y avait un prédateur derrière tout ça, j’aurais déjà dû le détecter. Sans jamais avoir eu la malchance d’en rencontrer, nous avons toutes entendu parler de monstres qui piègent leurs victimes avec des illusions. Si c’est bien ce à quoi nous avons affaire, il suffirait que nous fassions quelques pas pour qu’une gueule immense, toute

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