POLYPTYQUE DES BLÉS *
DOSSIER DE PROJET FESTIVAL INTERNATIONAL DES JARDINS DE CHAUMONT-SUR-LOIRE 2015
JARDINS EXTRAORDINAIRES «JARDINS DE COLLECTIONS»
* Le sens donné au mot polyptyque dans le projet correspond à un jardin composé de plusieurs volets dont les significations s’articulent entre elles.
POLYPTYQUE DES BLÉS « Mais n’est-ce pas l’homme aussi qui crée le blé ? Les productions que l’on appelle naturelles ne sont pas pour la plupart - celles du moins qui servent aux besoins de l’homme - l’œuvre spontanée de la nature. Ni le blé ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des génies inconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque graminée ou quelque cep sauvage. C’est l’homme qui a deviné dans je ne sais quelle pauvre graine tremblant au vent des prairies, le trésor futur du froment. C’est l’homme qui a obligé la sève de la terre à condenser sa plus fine et savoureuse substance dans le grain de blé, ou à gonfler le grain de raison. Les hommes oublieux opposent aujourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel au vin artificiel, les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n’y a pas de vin naturel ; il n’y a pas de froment naturel. Le pain et le vin sont un produit du génie de l’homme. La nature elle-même est un merveilleux artifice humain. Sully Prudhomme a surfait l’œuvre du soleil dans son vers magnifique : « Soleil, père des blés, qui sont pères des races !» L’union de la terre et du soleil n’eut pas suffi à engendrer le blé. Il y a fallu l’intervention de l’homme, de sa pensée inquiète et de sa volonté patiente. Les anciens le savaient lorsqu’ils attribuaient à des dieux, image glorieuse de l’homme, l’invention de la vigne et du blé. Mais depuis si longtemps, les paysans voient les moissons succéder aux moissons, et les blés sortir de la semence que donnèrent les blés, la création de l’homme s’est si bien incorporée à la terre, elle déborde si largement sur les coteaux et les plaines, que les paysans, tombés à la routine, prennent pour un don des forces naturelles l’antique chef-d’œuvre du génie humain. Et comment, en effet, sans un effort de l’esprit, s’imaginer de façon vivante que cette grande mer des blés qui depuis des milliers d’années roule ses vagues, se couchant dorée et chaude en juin, pour redresser en mars son flot verdissant et frais, gonflé encore peu à peu en une magnifique crue d’or, comment s’imaginer que cette grande mer dont les saisons règlent le flux et le reflux, a sa source lointaine dans l’esprit de l’homme ? » Extrait de La houille et le blé, par Jean Jaurès (1859-1914), article publié dans La petite République, 31 juillet 1901.
L’HISTOIRE
J. Jaurès, fervent humaniste, nous rappelle dans ce poème que la force de l’Homme réside dans sa grande inventivité et sa «volonté patiente». Par son ardeur à comprendre le monde, l’Homme développe sa survie par l’analyse la plus fine des éléments qui l’entourent et notamment les plantes. Une graminée sauvage (égipode) a intéressé un collectionneur du néolithique dans la région du Proche-Orient, peut-être les trouvait-il belles et voulait-il les rapprocher de son habitation pour les admirer ou bien devinait-il déjà les potentialités nutritives de ces poacées...dans tous les cas, il voulait les posséder...les développer..les cultiver. Cette histoire se déroule au VIIIe millénaire av. J.-C., en Mésopotamie et dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, et fut à l’origine de bouleversements majeurs pour les sociétés humaines. L’Homme sut produire à force d’observation, de patience, de tris et de collection, sa propre nourriture. Sa survie est devenue moins dépendante de son environnement. L’agriculture naquit et marqua le début du commerce et de la sédentarisation. Dans un premier temps, le blé semble avoir été consommé cru puis grillé ou cuit sous forme de bouillie puis de galettes sèches élaborées à partir des grains simplement broyés entre deux pierres. Le blé s’impose par la suite comme l’aliment essentiel de la civilisation occidentale sous forme d’aliments variés : pain, semoule, pâtes, biscuits... Le blé fait partie des trois grandes céréales avec le maïs et le riz. Aujourd’hui, c’est, avec environ 600 millions de tonnes annuelles, la troisième céréale par l’importance de la récolte mondiale et, avec le riz, la plus consommée par l’homme.
LE POLYPTYQUE DES BLES
Le jardin Polyptyque des blés veut retracer cette épopée de l’Homme qui a su étudier, comprendre et développer une plante qui lui a permis de construire son propre essor et bâtir le monde que l’on connaît aujourd’hui. Ce collectionneur, qui représente en réalité un ensemble de collectionneurs de la Haute-Antiquité qui se sont intéressés aux qualités du blé, nous lui devons beaucoup. Le sens donné au mot polyptyque dans le projet correspond à un jardin crée par ce collectionneur passionné, composé de plusieurs volets dont les significations s’articulent entre elles... 1
COMMENCER PAR LE SAUVAGE
Le jardin s’ouvre donc, à l’entrée, sur un champ de fleurs et de plantes sauvages, anciennes, mélangées, sans tri et sans sélection, comme la nature sait le produire. Le visiteur hume ces senteurs de prairies sauvages, de mélanges naturels de petites fleurs perdues au milieu de dizaines d’espèces de plantes brutes, coriaces, hirsutes, luttant les unes contre les autres pour leurs survies. A l’époque, c’est la loi de la nature...et non le jardin d’Eden. L’Homme évolue dans un univers difficile où il cherche sa nourriture sans relâche et avec effort. Au sein de cette diversité pousse quelques épis de blé sauvage....
L’ATELIER DU COLLECTIONNEUR
En fond de ce tableau, se dresse une cloison qui a marqué le visiteur lors de son entrée dans le jardin. Ce mur symbolise le changement, la prise en main par l’homme de son destin. Une fois cette séparation franchie, le visiteur découvre une pièce immaculée : un atelier d’expérimentations, de recherches et de mises en cultures diverses. La lumière inonde la pièce de rayons de soleil, éclairant une paillasse de scientifique méticuleusement ordonnancée. Sur un mur se dresse une collection vertigineuse de blés et de ses dérivés. De haut en bas, la collection est savamment organisée. Au dernier étage on retrouve tous les pains, produit essentiel dérivé du blé, en dessous, le produit qui permet sa fabrication : toutes sortes de farines, aux textures et couleurs variées. Associées à chaque farine, l’étage en dessous, on découvre un trésor de graines toutes plus extraordinaires les unes que les autres, protégées et alignées dans des tubes et des bocaux en verre. Elles possèdent la propriété magique de renfermer une énergie insoupçonable, ultra-condensée. Activées par seulement quelques gouttes de pluie, elles explosent de vie, se déploient, grandissent pour donner la vie à leur tour et nourrir de nombreuses espèces animales, dont l’homme qui a su les apprivoiser. Le collectionneur, exigeant et ordonné, a tout étiqueté, rangé, pour que rien de sa fantastique collection ne lui échappe. Il va même jusqu’à adorer le sol où va pousser sa plante chérie. Il observe sa collection, il l’admire depuis son tabouret devant sa paillasse. Il compte ce qui lui manque, il cherche toujours de nouvelles plantes, des espèces oubliées,
Représentation du blé dans un manuel du XIVe siècle
qu’on pense perdues et qui feront de sa collection, la collection la plus rare, la plus belle et la plus enviée. Au centre de la table, une cloche de verre protège la pièce unique tant recherchée, c’est la pièce maîtresse de sa collection.
LE JARDIN DES VAGUES DE BLES
Mais, le collectionneur aime aussi partager ses découvertes et ses dernières trouvailles : il préférera donc que le visiteur quitte cet endroit rien qu’à lui, qui recèle les secrets de ses voyages, de ses enquêtes et de son réseau de collectionneurs. Pour les passionnés comme lui, il a créé un jardin féerique qui en enthousiasmera plus d’un. Le curieux aura déjà entrevu ce qui se prépare dehors par quelques fenêtres entrouvertes vers le troisième tableau du jardin. En effet, à l’extérieur, l’espace du jardin a entièrement été modelé par le collectionneur. Le blé sous toutes ses formes, luxuriant, occupe entièrement l’espace, partant des cheminements paillés au niveau du sol jusqu’aux murs du jardin recouvert de ballot de paille, et au niveau des yeux, une marée de blés ondulés fascine le promeneur. Le collectionneur met, en effet, tout en oeuvre pour mettre en valeur ses graines magiques : on en découvre de toutes couleurs, du brun jusqu’au blanc, en passant par le bleu et le noir. La couleur du blé n’est plus un mystère pour notre collectionneur : en France au début du XVIIe siècle, Olivier de Serres témoignait que «les anciens ont fait plus état du rougeâtre que nul autre», et parle également de blé roux. Au XIXe siècle, les blés Red Russian, Red Winter, Turkey Red sont des variantes par simple sélection massale de blés dits russes à l’époque des grandes émigrations. En France on peut citer d’autres anciennes variétés et en ne reprenant que celles qui sont décrites par leurs couleurs, on trouve des traces de blé blanc de Flandres (dit aussi de Bergues), blé rouge d’Alsace (dit aussi d’Altkirch), blé rouge de Saint Laud, etc…. Un grand groupe meunier néerlandais a eu l’idée dans les années 1990 de lancer, afin de diversifier l’offre, du blé pourpre cultivé en Australie et intégré dans un « mélange mixe » appelé à faire du pain « koala ». Il existe encore dans les formes anciennes de blés (l’amidonnier et l’engrain) des variétés qui ont une pigmentation de l’écorce noire. Et parfois certaines variétés donneront
Quelques ballots pour ses moutons. Convoi exceptionnel... < http://isabelle1972.canalblog.com/archives/2009/07/18/14444218.html >
des mélanges de couleurs telles, qu’on ne les mangerait pas, on les garderait comme ornement... On retrouve toutes ces teintes dorées, brunes jusqu’à noires dans le jardin de notre collectionneur, mais il faut le temps bien sûr de laisser mûrir les grains. Le collectionneur aime son jardin particulièrement au printemps, lorsque les jeunes pousses viennent de sortir, qu’elles sont encore vertes, mais selon les espèces présentent un éclat différent. Sous la brise fraîche du mois de mai, les jeunes pousses s’agitent et brillent de mille éclats bleutés et argentés. Les ondulations du terrain entraînent le promeneur à serpenter entre les collines de blé, surmontées de totems à la gloire de cette prestigieuse collection. Le collectionneur aime tellement cette plante jusqu’au bout de ses feuilles qu’il propose à ses invités de se coucher dans les champs de blé, et d’observer le tableau formé par les nuages dans le ciel bleu profond encadré de ses pousses émeraudes préférées. Là, tout près, les formes des graines et des épis se dessinent parfaitement et la recherche de leurs diversités du collectionneur se révèle aux yeux de celui qui sait prendre le temps de regarder.
TERMINER PAR LE REGULIER
Le visiteur ressort du jardin des vagues de blés comblé de ce rêve éveillé, surpris de s’être laissé emporter par cette collection surprenante, stupéfiante et poétique. Il traverse sans trop le voir le champ de blé uniforme, d’un jaune d’or trop vif. Il ressent encore la vive émotion de ce jardin d’excellence qui retrace les découvertes de ce collectionneur passionné. Soudain, il s’arrête, ébahi par ce qu’il a sous les yeux : un monde plat, uniforme et décoloré. Ce dernier petit espace lui rappelle la dure réalité, ces souvenirs de voyage à la campagne où tous les champs de blé semblent pareils, identiques, mornes : une seule graine, une seule semence partout, uniformité dictée par quelques règles de magistrat. Où est parti l’esprit collectionneur de l’homme, celui qu’il vient de rencontrer il y a quelques instants, et à travers qui il s’est tellement reconnu ? Pourquoi ce monde choisi t-il d’être plat alors que l’homme a mis des milliers d’années à créer une telle richesse ? Pourquoi développer autant de capacités et de diversités pour les délaisser au nom de la modernité ? Pourquoi ?...
Plan masse au 1/100e VÉGÉTAUX
Totems des épis
Buttes des épis singuliers Butte des épis en chair Butte des épis filiformes Mélange de blés et son cortège rustique Blé en culture intensive Butte des contreforts
REVÊTEMENTS DU SOL Sol en paille tressée Sol en paille Platelage bois 20 x 400 cm, en pin
ARCHITECTURE Mur de paille de 30 cm de large
LE CYCLE DU BLÉ : ÉVOLUTION ET GESTION DU BLÉ AU COURS DE L’ANNÉE 1. AUTOMNE : LA PRÉPARATION
2. HIVER : LA LEVÉE
3. PRINTEMPS : LA MONTÉE
4. ÉTÉ : LA FAUCHE ET LA RÉCOLTE
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Élévation
SOLIVES DE BOIS QUI COMPRESSENT DES BALLOTS DE PAILLE
LE JARDIN DES VAGUES DE BLES
L’ATELIER DU COLLECTIONNEUR
TOTEMS SYMBOLISANT LA DIVERSITE DES VARIETES DE BLES
BALLOTS DE PAILLE TENUS PAR UN PIEU D’ACACIA
DETAIL DU JARDIN DES VAGUES DE BLES 3
BUTTE DE TERRE ET DE PAILLE FORMANT LES VAGUES PLANTÉES ET COLORÉES DE DIVERSES VARIETES DE BLES
L’ANTICHAMBRE DU SAUVAGE AU REGULIER
Page libre : perspective et axonométrie AXONOMETRIE DU JARDIN «POLYPTIQUE DES BLES»
VUE DEPUIS L’ATELIER DU COLLECTIONNEUR VERS LE JARDIN DES VAGUES DE BLES
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Plan de plantation
POLYPTYQUE DE BLÉS
Les blés utilisés dans la composition du jardin atteignent une hauteur à maturité entre 50 cm et 1.5m. L’implantation de ceux-ci prendra en compte leurs emplacements dans le jardin (sur les hauteurs des buttes ou non) ainsi que la composition des trames par espèces.
L’ANTICHAMBRE DU SAUVAGE AU REGULIER
Triticum durum
Triticum aethiopicum
Triticum ispahanicum
Triticum araraticum
Triticum macha
Triticum boeoticum
Triticum militinae
Triticum carthlicum
Triticum monococcum
Triticum compactum
Triticum polonicum
Triticum dicoccoides
Triticum sinskajae
Triticum dicoccon
Triticum spelta
Triticum turanicum
Triticum sphaerococcum
Triticum turgidum
Triticum urartu
Le régulier
Le sauvage Mélange grainier de plantes rustiques et du cortège floristique accompagnant les champs de blé, blé sauvage de type égipode 5
Triticum aestivum L. 1753
Blé commun planté en alignement, dénonçant l’homogénéisation génétique des variétés cultivées en France et en Europe
Estimation sommaire des dépenses
Descriptif des matériaux utilisés Bocaux en verre
Bottes de paille
Etagères bois blanc
Grains et son
Paille jaune
Platelage bois
Stabilisé
Bois
Epis de blé
Fer à béton
Grains
Paille blanche
Cortège floral du blé (coquelicot)
Tubes à essai
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