Bob Dylan - 1959 -
Mémoire présenté par Julien Ortega en vue de l’obtention du grade de Master en Arts plastiques, visuels et de l’espace, option Publicité et Communication visuelle. École Supérieure des Arts de la Ville de Liège. Année académique 2007-2008 Promoteur : Michel Vandam Lecteurs : Orlane Daniels & Thomas Bolmain Conception, textes & mise en page : Julien Ortega Illustrations : Quentin Ortega & Caroline Goffinet (pages 3 & 101)
Julien Ortega
Illustrations de Quentin Ortega
Mes plus sincères remerciements à :
Mon frère Quentin, pour sa colossale contribution à cet ouvrage ; Thomas Bolmain, pour m’avoir présenté Bob Dylan ; Amandine Schiffers, Caroline Goffinet, ma famille et mes amis ; Michel Vandam, Orlane Daniels; Bob Dylan, ainsi que tous les artistes qui jouent une musique vivante et authentique.
Ce n’est pas moi qui ai créé Bob Dylan. Bob Dylan a toujours été là… Toujours. Lorsque j’étais gosse, il y avait Bob Dylan. Et avant ma naissance, il y avait Bob Dylan.
Bob Dylan
AVANT-PROPOS Ce livre a seulement pour but de résumer sommairement les trente premières années de la vie Bob Dylan. Sans jamais tenter de grandes théories expliquant son génie ou la signification de ses textes. D’autres auteurs l’ont fait et je ne prétends pas m’illuster dans leur catégorie. Il s’adresse à ceux qui découvrent la musique de Dylan et voudraient connaître un peu le personnage. Pour le reste, voyez la bibliographie. Une première mise au point s’impose : Bob Dylan n’est pas mort… Je l’ai vu. Au cours de la réalisation de mon travail, j’ai, bien sûr, été amené à en discuter autour de moi. Et bien, le nombre de personnes croyant que le pauvre homme a déjà trépassé est inquiétant. Il est bien vivant. Et continue à sortir de nouveaux albums presque tous les cinq ans et à donner une moyenne de cent concerts chaque année sur les cinq continents. Pas mal pour un décédé. C’est peut-être ce qui en fait une exception dans le Panthéon des artistes mythiques du XXe siècle. Les plus grandes légendes du rock sont mortes d’overdoses, dans des accidents ou suicidés. Le reste d’entre eux n’a eu que trop de temps pour perdre son aura. Les productions médiocres, les frasques de tous ordres, les lubies spirituelles. Dylan est aussi passé par tout ça. Mais il en est revenu. Certains me disent que sa musique n’est pas celle de ma génération, que je vis dans le passé. Ils ont tort. D’abord, Dylan est simplement toujours d’actualité. Ensuite, ses chansons ne sont pas figées. Ni dans le milieu, ni dans le moment, ni dans l’état d’esprit dans lequel il les a écrites. Enfin, les choses fondamentales n’ont pas profondément changé. Bien sûr, le système et les médias de masse nous poussent à penser, à percevoir le contraire. Mais ça reste désespérément superficiel. Le langage, les réflexes, le cheminement des idées dans notre cerveau, les émotions, les couleurs, l’odeur du vent… Rien de tout cela n’a changé depuis 1965.
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J’ai eu des visions étonnantes étant enfant, mais pas depuis. Elles ont pourtant été assez fortes pour me soutenir jusqu’à aujourd’hui. Il y avait un sentiment d’émerveillement. Je me projetais vers ce que je pouvais faire, sur le plan humain et personnel, en termes de création de n’importe quel type de réalité. Je suis né dans un endroit si lointain qu’il fallait y être pour se le représenter.
Bob Dylan 1978
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Robert Allen Zimmerman 1941-1961
La veste de mouton ou la chaleur du Minnesota
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e 24 mai 1941, à Duluth, Beatrice Stone donne naissance à son premier enfant. C’est un garçon. Il a une grosse
tête et on le prénomme Robert. Son père s’appelle Abraham Zimmerman et comme la femme qu’il a épousée en 1934, il est juif et sa famille est venue d’Europe de l’Est. Débarqués à New York, ses aïeux sont partis vers le nord hostile attirés par le développement effréné de l’industrie minière de l’Iron Range. La petite famille s’installe à Duluth, la ville natale d’Abe. Mais, ce dernier est victime de l’épidémie de polio
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Page de gauche : une rue d’Hibbing
de 1946 et il ne peut pas conserver son poste à la Standard Oil of Indiana. Il déménage alors avec sa femme, Bob et son jeune frère David pour Hibbing où les parents de Beatty sont installés depuis 1906. Avec l’aide de deux de ses frères, Abe y ouvre un magasin de meubles et d’appareils électroménagers : Micka Electrics. Hibbing est une ville du bout du monde. Fondée en 1893 par Frank Hibbing, un immigrant allemand un peu illuminé qui avait découvert, quelque temps auparavant, un gisement de fer géant dans le sous-sol au nord-ouest de Duluth, dans la plaine du Mesabi. Toute la région entourant Hibbing est une immense mine à ciel ouvert. Une gigantesque plaie dans la Terre. Dans les années 20, la ville sera même entièrement déplacée pour laisser place à l’exploitation d’un gisement nouvellement découvert.
La Maison des Zimmerman 2425 7th Avenue, Hibbing, MN
Les Zimmerman s’intègrent bien dans la communauté d’Hibbing essentiellement composée d’immigrants européens catholiques. Abe et Beatty donnent de leur personne pour s’assurer leur place dans la Middle-Class Society. Elle entretient des relations étroites avec le voisinage, sans jamais d’écart au protocole. Il est un membre actif et loyal du Rotary Club de Hibbing et pousse Bob à rejoindre les scouts. Expérience peu concluante. Dès 1951, ils achètent leur propre maison sur la Septième Avenue, tout près du lycée que Bob fréquente. La maison est grande avec deux étages et un jardin. À partir de ce moment, il reste de plus en plus seul dans sa cham-
Abe Zimmerman (1911-1968) Le père de Bob
bre. Il y lit énormément de bandes dessinées mais passe aussi beaucoup de temps à la bibliothèque. Les enfants Zimmerman ont une excellente réputation dans le quartier. Leur éducation se passe quasiment sans accroc et est basée sur la confiance et l’amitié entre les deux frères et leurs parents. Pour ses treize ans, on célèbre la Bar-Mitzvah de Bob lors d’une fête à laquelle sa mère est fière d’avoir fait venir quatre-cents convives. Les Zimmerman sont les premiers à posséder un poste de télévision dans toute la ville. C’est le vaste monde, si éloigné d’Hibbing, qui débarque dans le salon. Bobby s’y abreuve surtout d’histoires de cow-boys. Il se rend aussi très souvent au cinéma qui appartient à son arrière grandmère. À quatorze ans, il découvre James Dean dans ses derniers films. Il imite ses attitudes et recouvre les murs de sa chambre de posters.
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Beatty Stone (1915-2000) La mère de Bob
La guitare ou l’éveil musical
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n 1952, Les Zimmerman achètent un piano et l’installent dans le salon de leur maison neuve. Si Abe et Beatty
ne sont pas des mélomanes, ils aiment néanmoins la musique. Abe rapporte souvent des disques à la maison et emmène sa femme au bal, quand l’occasion se présente. Harriet Rutstein, une jeune cousine, donne des cours de piano. Bob ne suivra qu’une leçon, décidé à apprendre à jouer comme il l’entend. La musique débarque vraiment dans sa vie à ses quatorze ans. Il y a, à Hibbing, un magasin d’instruments qui
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Page de gauche : Bob en jeune rockeur rebelle, posant pour son frère devant les rideaux de sa chambre.
lui permet de s’essayer à la trompette et au saxophone, non sans dommage, puis de s’acheter sa première guitare. Une petite guitare bon marché accompagnée du Manuel élémentaire de la guitare espagnole. Pendant des jours, il apprend dans son coin à maîtriser un à un les accords de la méthode. Rapidement, il comprend le truc. Sa guitare va l’accompagner partout. Il la porte sur son dos, accrochée avec une lanière de cuir. Elle Hank Williams (1923—1953)
lui offre une identité dans la ville où il a du mal à trouver sa place. W.F.M.G., la radio d’Hibbing, dirigée à partir de 1958 par un cousin, Les Rutstein, ne passe que les standards populaires sensés plaire aux ménagères. Alors, Bob cale son poste de radio sur une bande étroite qui amène, depuis le Sud, de la country et du rythm’n’blues le long du Mississippi. Il rencontre le premier chanteur qui va le passionner : Hank Williams, un troubadour et poète country. Il fait la
Johnnie Ray (1927—1990)
collection de ses 78 tours grâce à son argent de poche. Il entend aussi d’autres chanteurs comme l’écorché Johnnie Ray, qui chante comme on pleure et le grand bluesman Muddy Waters. Bob découvre que, dans les grandes villes, les noirs, très peu nombreux dans la région des mines, sont exploités pour les travaux pénibles et que le rythm’n’blues, c’est leur musique à eux. Le son, leur plainte, le séduit. En 1955, c’est la déferlante du rock’n’roll avec Elvis Presley et Bill Haley sur les radios et à la télévision. Bob va alors s’acheter une première guitare électrique en ca-
Muddy Waters (1913—1983)
chette de son père. Turquoise.
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Bob Dylan ou la naissance d’un personnage
L
’adolescent est partagé entre la timidité, l’envie de faire son truc caché dans son coin et le désir d’être remar-
qué. Quand il avait environ quatre ans, on le faisait chanter dans des fêtes de famille. Avec beaucoup d’aplomb, il demandait le silence, poussait la chansonnette et forçait l’admiration de ses oncles et tantes. Il a toujours aimé être la vedette. La musique qui secoue vraiment les tripes de Bob pendant son adolescence, c’est le rock’n’roll de Little Richard. Maquillé et affublé de costumes aux couleurs
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flamboyantes, il hurle ses chansons tout en martelant les touches de son piano. Contrairement à la quasi-totalité de ses connaissances à Hibbing, Bob adore ça. Sous sa photo dans l’album de l’école, il déclare même avoir pour ambition de rejoindre le groupe de Little Richard. Abe, lui, espère qu’un jour il intègrera l’entreprise familiale. Pour l’y inciter, il le fait travailler sur les chantiers avec ses oncles ainsi qu’à la boutique. Bob se montre vite réticent à cette stratégie qui vise à lui faire suivre les pas de son père. Il va plutôt commencer à former des groupes de rock avec lesquels il se produit dans les fêtes du Little Richard (né en 1932)
lycée et dans les environs de Hibbing puis de Duluth. Ces formations sont aussi nombreuses qu’éphémères. On peut citer les Shadow Blasters, les Golden Chords, les Rock Boppers, les Satin Tones. Bob chante alors sous le nom d’Elston Gunn. Dès seize ans, il commence à s’intéresser aux filles. Sa première vraie petite amie est une certaine Echo Helstrom issue d’une famille finlandaise, vivant au milieu des bois et portant le nom d’une nymphe. Les parents Zimmerman sont plutôt opposés à cette relation et les amoureux doivent se voir en cachette. Il chante pour elle. Echo est persuadée qu’ils finiront par se marier. Un jour de 1958, il déclare à Echo et à son ami John Bucklen s’être trouvé un nom extra : Bob Dillon. Ce nom serait celui d’un oncle, quelque peu modifié pour sonner mieux. Il changera l’orthographe par la suite, l’empruntant
Echo Helstrom Shivers, sa première petite amie
au prénom du poète gallois Dylan Thomas. Après avoir laborieusement obtenu son diplôme se-
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condaire, il part dans sa famille à Fargo, dans le Dakota du Nord pour travailler pendant l’été. Il est serveur dans un restaurant. Là-bas, il saisit l’opportunité de jouer comme pianiste dans le groupe de Bobby Vee, un jeune chanteur de la région rendu célèbre pour avoir remplacé Buddy Holly sur une tournée quand ce dernier trouva la mort avec d’autres musiciens dans un accident d’avion en 1959. Cette tragédie va profondément marquer le jeune Bob et le poussera à ne pas perdre de temps. Bobby reçoit à l’occasion de sa remise de diplôme, quelques 78 tours de Leadbelly. À leur écoute, il est tout retourné et fasciné par ce personnage, héros du folk-blues, repris de justice, condamné pour meurtre. Pour lui, c’est ça le nouveau truc.
Bob frimant sur la moto d’un copain, la sienne est plus petite
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La casquette d’immigrant ou le début du voyage
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ob s’inscrit à l’université du Minnesota à l’automne 1959. Elle est située dans un méandre du Mississippi à
Minneapolis. Il s’installe d’abord dans une résidence universitaire, parrainé par un cousin. Mais il ne « fraternise » pas avec les autres habitants et est sommé de libérer sa chambre. Il s’installe alors en ville dans le quartier de Dinkytown, à la stimulante ambiance bohème. Il est sensé suivre les cours de la faculté des BeauxArts, mais ne s’investit pas beaucoup. Les gens qui l’entourent sont de jeunes intellectuels gauchistes, talentueux et
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Page de Gauche : Woody Guthrie (1912-1967), sa dernière idole
extravagants. Ils se réunissent dans des cabarets où Bob commence à se produire pour quelques dollars, ou pour rien du tout. S’il s’est initié au folk avec Leadbelly, là, il baigne vraiment dedans. Il est loin d’être perçu comme un prodige par les autres acteurs de la dynamique scène folk, mais il se fait remarquer par sa rage d’apprendre et le personnage de vagabond solitaire qu’il joue. En réalité, il reçoit régulièrement de l’argent et des cartes postales de ses parents Un jour, vers la fin de sa première année à l’université, un camarade lui met dans les mains En route pour la gloire, l’autobiographie de Woody Guthrie, un ménestrel folk et prophète du peuple. Cette lecture est un choc. Woody était né en 1912 dans l’Oklahoma. Orphelin, il partit à dix-sept ans, chassé vers l’Ouest par la misère, comme beaucoup de Okies. Commença alors sa longue périgrination d’un bout à l’autre des États-Unis. Il se mit à chanter sa vie et celle de ses compagnons de galère dans des morceaux folk et country. Il prôna le communisme comme remède aux difficultés du peuple américain. Bob trouve en Woody un modèle d’homme. Celui qu’il veut devenir. Et il ne fait pas dans la dentelle. Se promenant partout avec ce livre dans la poche, il se met à imiter la façon de chanter de Guthrie, son accent de l’Oklahoma. Il s’invente un personnage et ne s’en cache pas. Il apprend que Woody est hospitalisé dans le New Jersey, agonisant de la chorée de Huntington. En décembre 1960, il abandonne l’université et part le rejoindre en autoUne boutique de Dinkytown
stop, bravant le blizzard qui souffle sur Minneapolis.
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Song to Woody (1961) sur l’album « Bob Dylan »
I’m out here a thousand miles from my home,
Je suis perdu ici à un millier de bornes de chez moi,
Walking a road other men have gone down.
Je marche sur une route que d’autres hommes ont foulée.
I’m seeing your world of people and things,
Je vois ton monde de gens et de choses,
Your paupers and peasants and princes and kings.
Tes pauvres, tes paysans, tes princes, tes rois.
Hey, hey Woody Guthrie, I wrote you a song,
Hé, Woody Guthrie, je t’ai écrit une chanson,
About a funny old world that’s a coming along,
Sur un drôle de vieux monde qui suit son chemin.
Seems sick and it’s hungry, it’s tired and it’s torn
Il a l’air malade, il est affamé, fatigué, déchiré
It looks like it’s a dying and it’s hardly been born.
On dirait qu’il se meurt, mais il vient à peine de naître.
Hey, Woody Guthrie, but I know that you know,
Hé, Woody, mais je sais que tu connais,
All the things that I’m saying, and many times more,
Toutes les choses que je dis, et cent fois mieux que moi,
I’m a singing you the song, but I can’t sing enough,
Je te chante cette chanson, mais je ne chanterai jamais assez,
Cause there’s not many men
Car ils sont peu nombreux les hommes
That done the things that you’ve done.
À savoir faire ce que tu as fait.
Here is to Cisco and Sonny and Leadbelly too,
C’est pour Cisco et Sonny et aussi Leadbelly,
And to all the good people that traveled with you,
Et pour tous ces braves gens qui voyagèrent avec toi,
Here is to the hearts and the hands of the men,
C’est pour le cœur et les mains des hommes
That come with the dust and are gone with the wind.
Venus avec la poussière, et partis avec le vent.
I’m leaving tomorrow, but I could leave today,
Je partirai demain, mais je pourrais partir aujourd’hui,
Somewhere down the road someday.
Quelque part sur la route, peu importe quand.
The very last thing that I’d want to do
La toute dernière chose que je voudrais faire,
Is to say I’ve been hitting some hard traveling too.
C’est te dire : « J’ai, moi aussi, fait un dur voyage ».
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Je n’ai pas suivi cette direction pour gagner de l’argent, mais parce que c’était facile. On pouvait être soi-même, on n’avait besoin de personne. Il suffisait d’une guitare. On avait besoin d’absolument personne d’autre. Cela marchait bien, vous savez, lorsque je chantais et que je jouais de la guitare. C’était sur des rails, vous comprenez. C’était sur des rails. Et cela m’ennuyait beaucoup.
Bob Dylan. 1965
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La voix de la jeunesse 1961-1964
Greenwich Village ou la bohème
A
près des étapes à Chicago et à Madison dans le Wisconsin, Bob débarque à New York. Il ne tarde pas à
trouver sa place dans l’îlot de la culture alternative, peuplé d’artistes, de chanteurs, d’activistes de gauche, de poètes et autres originaux de toutes sortes : Greenwich Village. Situé dans le sud-ouest de l’île de Manhattan, ce quartier a la particularité de ne pas s’être plié au plan en forme de grille de la ville et constitue donc une enclave pittoresque qui attire tous les gens aux idées progressistes, tentés par la vie bohème.
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Page de gauche : Bob squattant l’appartement d’un ami à Greenwich village
Bob commence par dormir chez quelques connaissances ou dans des chambres d’hôtels louées à la semaine. Il peut aussi compter sur l’hospitalité de l’entourage des Guthrie à qui il rend visite régulièrement. Il a une incroyable faculté à attendrir les gens et s’attirer leurs faveurs. Ainsi, il se fait parfois héberger par des couples, heureux de l’acceuillir comme un fils. Il ne prendra un appartement bien à lui que six mois après son arrivée. En 1961, le Village est envahi par le folk. La jeunesse délaissant pour un temps le rock’n’roll jugé trop lisse et uniforme, les clubs qui programment des groupes folk se multiplient. Dylan tombe là vraiment au bon moment : son répertoire de chansons se compose essentiellement de reprises de Guthrie et de morceaux de blues traditionnels. Dès son arrivée, il tente sa chance dans les plus obs-
Le Café Wha?
curs cafés qui ouvrent leurs scènes à qui veut. Dans la plupart d’entre eux, le seul moyen de gagner quelque chose est de passer dans le public avec un panier à la fin de sa prestation. Il y a du monde dans ce circuit et ce n’est pas facile de se faire sa place. Il faut se faire remarquer. Alors Bob joue fort, s’époumone sur son harmonica et s’arrache la voix devant des assistances pas toujours très enthousiastes. Cet apprentissage est une rude expérience. Il arrive après quelques semaines à s’incruster dans un club un peu moins minable : The Wha?, situé sur MacDougal Street, l’artère principale du Village. Le patron, Fred Neil, chanteur lui-même, refuse de le laisser chanter directement mais le laisse l’accompagner à l’harmonica. Il a un pied dans la place et la collaboration durera plusieurs
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semaines. Bob gagne là les quelques dollars qui lui permettent de subsister et profite des repas gratuits. Mais il en veut tellement plus. Un jour où il ère dans les rue du Village, peu après son arrivée, il tombe par hasard sur l’American Folklore Center. Son fondateur, Izzy Young, a mis sur pied une sorte de bureau central du folk. Il y vend quelques disques, des instruments d’occasions et des accessoires musicaux, mais c’est avant tout un lieu d’échange et d’information. Bob se met à y passer beaucoup de temps à trainer avec Izzy. Ce dernier va l’aider à prendre confiance.
Bob chantant avec deux membres des Greenbriar Boys au Gaslight
Bob Dylan ou le début d’une carrière
L
e centre de Young offre à Dylan un lieu pour répéter et une oreille qui l’écoute et l’aide à s’améliorer. Aucun
autre prétendant chanteur du Village n’a la même chance. Il raconte son histoire à Izzy. Un abominable tissu de mensonges où il est orphelin depuis tout jeune et a vécu dans tous les coins du pays, de Gallup au Nouveau-Mexique à Sioux Falls dans le Dakota du Sud. Ces affabulations composeront la biographie officielle de Bob dans les premières années de sa carrière. Un jour de fin février, Dave Van Ronk, un imposant
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Page de gauche : enregistrement de l’album «Bob Dylan», novembre 1961
chanteur folk dont la réputation n’est plus à faire, entre au Folklore Center pour essayer une guitare. Bob tente sa chance et lui joue une chanson. Van Ronk lui propose alors de se produire le soir même, avant son passage, au Gaslight, un des clubs les plus fréquentés. Si personne ne se souviendra de son nom ce soir là, après trois chansons, il gagne tout de même ses entrées au Gaslight, qui va devenir son école de scène. Il commence à jouer tous les soirs, partageant la scène avec trois autres chanteurs qui, contrairement à lui, ont un nom dans le miDave Van Ronk (1936—2002)
lieu et des disques sur le marché. Dave Van Ronk est l’un d’eux. Grand, costaud et moustachu, il captive par l’histoire de sa chanson et l’émotion qu’il y met plus que par sa technique à la guitare. Dylan va ouvrir les vannes. Il va prendre tout ce qu’il peut des gens qu’il voit se produire et évoluer autour de lui. De ceux qui ont dans les yeux l’air de savoir quelque chose que les autres ignorent. Il va se servir sans vergogne, imitant leur façon de jouer, de parler au public et même de se comporter en privé. Hormis Van Ronk, plusieurs figures du Village vont être ses modèles, comme Peter LaFarge, l’hypnotisant chanteur cow-boy aux origines indiennes ou Ramblin’ Jack Elliott, comme lui « imitateur » de Woody
Peter La Farge (1931—1965)
Guthrie. Progressivement, il se fait des amis et est accepté dans le milieu folk. Même si les autres musiciens trouvent assez douteuses les histoires qu’il raconte sur ses aventures passées et les célébrités qu’il a soi-disant rencontrés, ils se prennent d’affection pour lui.
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Dylan devient notamment très proche de Van Ronk et de son épouse Terri. Dave prend plaisir à répéter en sa compagnie et l’initie aux échecs. Souvent, il lui permet aussi de dormir dans son petit appartement. Terry devient l’agent de Bob. Elle va multiplier les démarches pour l’imposer encore un peu plus dans le mouvement folk du Village et les cafés. La mecque du folk, à l’époque, c’est le Gerde’s Folk City, un café italien tenu par Mike Porco. Un homme peu sensible à la musique, mais qui sait gérer une affaire. Pete Seeger, grand connaisseur de la chanson traditionnelle et activiste politique de longue date, y chapeaute chaque semaine des hootenannyies, après-midis chantantes où tout le monde peut se produire. Il a chanté avec Woody Guthrie au sein des Almanac Singers et, au printemps 1961, il fait figure d’aîné dans la nouvelle mouvance folk. Dylan a une grande admiration pour lui et, suite à un passage dans une hootenanny, Seeger l’aide à obtenir un contrat pour une première partie à Folk City. Au mois d’avril, il y jouera pendant deux semaines avant le bluesman John Lee Hooker. Il passe l’été suivant à trainer sa guitare dans tous les coins et retourne chanter au Gaslight. Toujours sans domicile, il passe beaucoup de nuits à Brooklyn chez deux amis, Ray et Chloe dont il explore la bibliothèque. Avant, il n’avait pour ainsi dire rien lu. Il dévore Balzac, Tolstoï, des historiens romains… Dylan écrit aussi sa première chanson à lui : Song to Woody, une ode à Guthrie, qui conclut ses prestations.
Pete Seeger (né en 1919)
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Au mois de septembre, il obtient un nouvel engagement à Folk City. Un soir, le chroniqueur musical du New York Times, Robert Shelton, est tellement épaté par la prestation de Dylan qu’il en fera un compte rendu des plus élogieux. Cet article va être un élément décisif dans la carrière de Bob. Peu après, il participe avec son harmonica à l’enregistrement d’un album de Carolyn Hester, une chanteuse texanne qu’il a rencontrée pendant l’été, lors d’une escapade à Boston. La session a lieu au grand John H. Hammond (1910—1987)
studio de Columbia. Sur place, John Hammond dirige les enregistrements. C’est un grand producteur de jazz, une référence dans le milieu musical, le découvreur de Billie Holiday. Il a un sens hors du commun pour dénicher les talents. Et Dylan en est un. Hammond, qui a lu l’article de Shelton, lui propose tout simplement d’enregistrer un disque et, fin octobre, il lui fait signer un contrat qui le lie pour cinq ans à Columbia Records. L’enregistrement se déroule sur deux jours à la fin de novembre. Bob joue une quinzaine de chansons de son répertoire. On en sélectionne huit À peu près au même moment, Dylan se lie avec un nouveau manager : Albert Grossman, surnommé l’Ours. C’est un homme d’argent qui vient de Chicago. Il a mauvaise réputation dans le mouvement folk, mais va prendre en main la carrière de Bob tout en entretenant avec lui une relation étroite. Dylan va faire un autre pas important et hautement symbolique. Un jour, il se rend au tribunal et fait changer
Albert Grossman (1926—1986)
son nom en Robert Dylan.
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Suze Rotolo ou les muses de Dylan
A
u mois de juillet 1961, Bob rencontre une jeune fille d’à peine dix-sept ans, d’origine italienne et encore à l’éco-
le secondaire. Elle s’appelle Suze Rotolo. Malgré son jeune âge, elle est déjà étonnamment engagée dans l’activisme politique, notamment au sein du Congrès pour l’Égalité des Races. À cette époque, un tel investissement de la part d’une si jeune fille témoigne d’un caractère fort et d’une bonne dose de courage. Suze est aussi très créative. Elle devient la muse de Bob et l’initie à l’art contemporain, au théâtre et à la peinture. La famille de Suze est très impli-
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quée dans les syndicats et dans la lutte pour l’égalité et la liberté. À son contact, Bob va tout apprendre sur ce plan. Ils emménagent rapidement ensemble dans un petit deux pièces. Cette situation ne plait pas beaucoup à la mère de Suze, qui ne déborde pas d’estime pour Dylan. Elle voit clair dans son jeu : c’est une éponge qui se sert de tout ceux qui passent à sa portée pour avancer. Soit, les deux gamins vivent ensemble et Suze est plus proche de Bob et Suze en 1963
Bob que personne ne l’a jamais été. Il va composer beaucoup de chansons à cette époque. Il les soumet à l’approbation de Suze qui en connait beaucoup plus sur les thèmes que Dylan veut aborder : la lutte, la protestation, la politique, les problèmes de la société et du monde. Au début de 1962, le premier album de Bob est en vente. Il s’intitule simplement Bob Dylan. Malgré de bonnes critiques dans la presse folk, le disque est un flop commercial. Il s’en écoule à peine cinq mille exemplaires. Au début de l’été 1962, Suze part pour un voyage en Italie censé durer trois mois. Elle y restera jusqu’en janvier. Bob est terriblement affecté par cet éloignement. Il se met alors à écrire énormément. D’après les gens qui le côtoient à l’époque, il écrit partout et tout le temps. Il va produire tout un répertoire de chansons originales. On y décèle l’influence de Suze dans des ballades sensibles comme Don’t Think Twice It’s Alright, écrite pour elle, ainsi que dans des chansons engagées sur des thèmes qu’elle l’a aidé à cerner. L’une de ces chansons va avoir un succès retentissant :
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Blowin’ in the Wind. Grossman, qui est aussi le manager de Peter, Paul & Mary, va leur proposer le morceau. Ils en feront un immense succès. Si ce n’est pas encore la gloire pour Dylan, c’est au moins la fin des galères. En janvier 1963, après un bref séjour en Europe, où il s’achète enfin des vêtements neufs, Dylan rentre à New York riche d’une trentaine de chansons à lui et prêt à enregistrer un nouvel album. Les sessions donnent lieu à quelques tensions entre John Hammond et Albert Grossman, qui s’apprécient peu. L’album, intitulé The Freewheelin’, sort en juillet et se vend bien, malgré des débuts un peu poussifs. Il est composé à la fois de chansons de protestation et de blues plus personnels. Sur la pochette, Bob et Suze, qui se sont rabibochés, marchent côte à côte dans une rue de Greenwich Village. Lors d’un concert en Californie, commence une collaboration qui aura de grandes conséquences sur la carrière et la vie de Bob Dylan. Joan Baez, née en 1941, est la fille d’un scientifique réputé, d’origine mexicaine ayant travaillé au MIT. Son travail obligea la famille Baez à habiter plusieurs pays. Elle s’est mise à chanter toute jeune et depuis son passage très remarqué au festival folk de Newport de 1959, elle passe pour la reine du nouveau mouvement folk. Elle est dotée d’une voix de soprano cristalline qui contribue à son image angélique. Ses disques se vendent par milliers. Elle a déjà rencontré Bob, mais ils ne jouent pas encore dans la même catégorie. Au cours de l’année 1963, elle va le présenter au public en partageant la scène avec lui.
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Joan Baez (née en 1941)
Les autos de 1963 ou une année d’action
L
a collaboration entre Baez et Dylan culmine lors du Newport Folk Festival à la fin juillet 1963. Bob va beau-
coup impressionner le public. Ceux qui ne le connaissent que par The Freewheelin’ vont à présent le découvrir sur scène. Ils ne seront pas déçus. Des rumeurs sur une possible relation entre Baez et lui commencent à circuler. Bob et Suze vont tenter de les ignorer, mais leur couple bat déjà de l’aile. L’époque est marquée par des réalités moins futiles. En ce début des années soixante, l’attention est plutôt
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Page de gauche : Marche pour les droits civiques à Washington le 28 août 1963
tournée vers la lutte pour les droits civiques des noirs Américains et la figure du pasteur Martin Luther King. À cette époque, les faits divers tragiques sur fond de racisme sont, hélas, encore très fréquents. Il participe en août 1963 à la première marche sur Washington qui rassemble plus de deux cent mille personnes et qui rentrera dans l’Histoire grâce au fameux discours de Luther King. Bob s’y produit avec Joan Baez, Peter, Paul & Mary, Odetta et de nombreux autres chanteurs engagés. Au début de l’été, il avait déjà rejoint Pete Seeger pour une campagne invitant les populations noires du Mississippi à aller s’inscrire sur les listes électorales. Sa présence à ces événements et les magnifiques chansons de protestation qu’il écrit à cette époque finissent d’en faire la voix de la jeunesse contestataire. Martin Luther King (1929-1968)
Voyant cette popularité exceptionnelle se dessiner, Grossman et les gens de Columbia le poussent à faire un nouveau disque. Et à la fin du mois d’octobre, Dylan clôture l’enregistrement de son troisième album au titre évocateur : The Time They Are a Changin’. Il est presque entièrement composé de chansons engagées. Mais pas question ici d’hymnes chaleureux à l’idée du changement à venir. Dylan dresse plutôt un tableau noir et pessimiste de l’Amérique de l’époque, faisant la chronique macabre de faits divers révoltants. Pourtant, l’impact de ses textes est puissant sur les jeunes. Ils l’imaginent posséder toutes les réponses à leurs interrogations. Bob commence à avoir du mal à supporter l’adulation de ses fans et n’assume pas le statut de porte-parole qu’
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ils lui confèrent. De plus, il est déstabilisé par la divulgation de ses véritables origines dans la presse. Sa famille vient le voir lors d’un concert et un journaliste saute sur l’occasion pour faire un scoop sur le soi-disant vagabond orphelin. Mais l’actualité occulte ces préoccupations. Le 22 novembre, le Président John Fitzgerald Kennedy est assassiné à Dallas. Cet événement tragique marque profondément le peuple américain. Quelques semaines plus tard, Dylan est invité par l’Emergency Civil Liberties Committee à recevoir le prix Thomas Paine pour son implication
John Fitzgerald Kennedy (1917-1963)
dans la lutte pour le changement. Ivre, il fait un discours des plus obscurs qu’il conclut en se comparant à Lee Harvey Oswald, l’assassin de Kennedy. Cet incident, qui fait un tollé dans la presse, stigmatise le problème qu’a Bob avec son rôle médiatique. Il doit s’en éloigner. Albert Grossman lui organise une tournée un peu partout dans le pays avec Joan Baez. Bob vit comme un nomade. Sa rupture avec Suze est entérinée par une grave dispute avec les Rotolo. Il part ensuite pour des concerts en Europe et rentre à New-York au début de l’été, décidé à enregistrer les chansons qu’il a écrites pendant la tournée. L’album entier est enregistré d’une traite, le 9 juin 1964. C’est un disque de transition. La fin des chansons engagées qui laissent place à l’expression de ses sentiments et à des poèmes surréalistes. Dylan tente de perdre son statut de guide et de montrer qui il est vraiment. Le titre, trouvé par le producteur du disque Tom Wilson, exprime bien cette volonté : Another Side of Bob Dylan.
49
Remise à Dylan du Thomas Paine Award.
My Back Pages (1964) sur l’album « Another Side of Bob Dylan »
Crimson flames tied through my ears
Des flammes brillantes pendaient à mes oreilles
Rollin’ high and mighty traps
De mes hauteurs et de mes pièges puissants
Pounced with fire on flaming roads
Poussé avec feu sur des routes flamboyantes
Using ideas as my maps
J’utilisais mes idées comme des cartes
« We’ll meet on edges, soon » said I
«Nous nous verrons bientôt sur la rive», disais-je
Proud ‘neath heated brow.
Fier d’être près de la chaleur du sommet.
Ah, but I was so much older then,
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
I‘m younger than that now.
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Half-wracked prejudice leaped forth
Des préjugés à demi ruinés me poussaient vers l’avant
« Rip down all hate » I screamed
« Renversez toute haine », criais-je
Lies that life is black and white
Des mensonges disant que la vie est noire et blanche
Spoke from my skull. I dreamed
Sortaient de mon cerveau. Je rêvais que
Romantic facts of musketeers
Les actions romantiques des mousquetaires
Foundationed deep, somehow.
Reposaient sur des idées profondes.
Ah, but I was so much older then,
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
I’m younger than that now.
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Girls’ faces formed the forward path
Les visages des filles montraient le chemin
From phony jealousy
De la jalousie factice
To memorizing politics
Vers les politiques à apprendre
Of ancient history
De l’histoire ancienne
Flung down by corpse evangelists
Jetées par des évangélistes cadavres
Unthought of, though, somehow.
Mais irréfléchies, pourtant.
Ah, but I was so much older then,
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
I’m younger than that now.
Je suis plus jeune que ça maintenant.
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A self-ordained professor’s tongue
La bouche d’un professeur autoproclamé
Too serious to fool
Trop sérieux pour rire
Spouted out that liberty
Déclamait que la liberté
Is just equality in school
N’était que l’égalité à l’école
« Equality » I spoke the word
« Égalité », je prononçais ce mot
As if a wedding vow.
Comme une promesse de mariage.
Ah, but I was so much older then,
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
I’m younger than that now.
Je suis plus jeune que ça maintenant.
In a soldier’s stance, I aimed my hand
Dans la position du soldat, je pointais du doigt
At the mongrel dogs who teach
Les chiens bâtards qui enseignent
Fearing not that I’d become my enemy
Ne craignant pas de devenir mon propre ennemi
In the instant that I preach
À l’instant même où je prêchais
My pathway led by confusion boats
Guidé par des navires de confusion
Mutiny from stern to bow.
Mutinerie de la poupe à la proue.
Ah, but I was so much older then,
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
I’m younger than that now.
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Yes, my guard stood hard when abstract threats
Ma garde ne s’abaissait pas quand des menaces abstraites
Too noble to neglect
Trop nobles pour les négliger
Deceived me into thinking
M’amenaient à penser
I had something to protect
Que j’avais quelque chose à protéger
Good and bad, I define these terms
Bon et Mauvais, je définissais ces termes
Quite clear, no doubt, somehow.
Très clairement, sans doute, pour une bonne raison.
Ah, but I was so much older then,
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
I’m younger than that now.
Je suis plus jeune que ça maintenant.
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Je ne pouvais plus continuer à faire le zozo folk tout seul, vous savez, à grattez « Blowin’ in the Wind » pendant trois heures tous les soirs. J’entends mes chansons dans le courant de la musique. … Il s’agit de cette mince sonorité de mercure sauvage. C’est métallique, cela brille comme de l’or, avec toutes les images que ça évoque. C’est mon son particulier. Je n’ai pas pu réussir à le capter à chaque fois.
Bob Dylan 1978
3
Le Prophète du Rock 1964-1966
Bob Dylan ou un nouveau masque
A
nother Side of Bob Dylan sort au mois d’août 1964. Si Dylan le considère seulement comme un disque de
transition, les gens de Columbia le présentent à la presse comme le meilleur disque qu’il ai jamais sorti. L’album est celui d’une rupture avec le milieu folk. Même s’il ne retire pas son soutien à la lutte pour les changements de la société. Dans sa chanson My Back Pages, il
tire un trait sur le passé. Il renie toutes ses chansons qui se rattachent à ces idéaux désuets et proclame sa totale liberté individuelle. Le jeune chanteur folk n’est plus. Il laisse
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Page de gauche : en Studio pour Bringing it All Back Home, janvier 1965
la place à un poète moderne, encore plus jeune. Certains membres du mouvement folk se sentent abandonnés dans ce revirement. Ils n’ont encore rien vu. L’album parait pendant la frénésie qui entoure l’arrivée des Beatles aux U.S.A. Il est donc un peu moins exposé dans les médias que les deux précédents. Les critiques folk le présentent comme un album raté et Dylan comme un vulgaire produit commercial. Il paye sa popularité. Bob passe l’été à Bearsville, près de Woodstock dans la maison de Albert Grossman, où il a sa propre chambre. Dans la quiétude de la campagne, il peut laisser remonter ses émotions et en tirer des chansons personnelles. Au Festival de Newport, il n’a plus besoin cette année de l’appui de Joan Baez. Sa présence est légitime. Néanmoins, sa prestation est décevante. Il semble avoir un verre dans le nez. Certains lui reprochent d’avoir perdu le contact avec son public, d’être changé par le succès. Une tournée l’emmène partout aux États-Unis. Il donne notamment un concert exceptionnel au Philharmonic Hall de New York. Pendant ces six mois sur la route, Dylan va mettre au point la suite des événements. Il a fait la connaissance quelques mois auparavant d’un des poètes beat les plus reconnus : Allen Ginsberg. Son écriture va être influencée par cette personnalité. Comme lui, il va truffer ses textes d’images succinctes et de surréalisme. En janvier 1965, il rentre en studio pour enregistrer son cinquième album en à peine quatre ans. On met à sa disposition toute une ribambelle de musiciens de studio, Allen Ginsberg (1926-1997)
dont Bruce Langhorne, un jeune guitariste qui branche sa
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guitare sèche sur un ampli Fender. Le rock arrive discrètement. Le producteur Tom Wilson est aux commandes. Il met tout le monde en place pour atteindre ce son clinquant que Bob désire. Le plan est de faire une face A électrique et une face B acoustique. L’album, intitulé Bringing it All Back Home, sort au mois de mars 1965. Le 26 avril, Dylan part en tournée en Grande-Bretagne. L’accueil qu’on lui réserve est triomphal. Pour l’occasion, un cinéaste est chargé d’immortaliser les concerts et le quotidien de la tournée. Le réalisateur D.A. Pennebaker filme en permanence et on peut observer un Dylan qui joue constamment un rôle. Bien qu’il chante encore seul en scène, il a emmené toute une bande d’amis qui le divertissent et qui vivent sur son compte. Joan Baez est aussi du voyage. Elle tente d’attirer l’attention de celui qu’elle a contribué à rendre si célèbre. Mais Dylan l’ignore, elle n’est plus dans le coup. Le travail de Pennebaker constituera un des documentaires les plus marquants de l’histoire de la musique : Don’t Look Back. Il contribuera à faire de Dylan une figure encore plus mythique ce qu’il regrettera peu de temps après. Il y a un décalage critique pour Bob entre les U.S.A., où Bringing it All Back Home commence à monter dans les classements, et l’Angleterre où l’album numéro 1 est toujours The Freewheelin’. Pour Dylan, c’est comme se retrouver prisonnier de son ancien personnage. Il revient de tournée au mois de juin 1965 et, comme les fois précédentes, il ne rentre pas les mains vides.
Dylan dans son costume de rock
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La chemise bariolée ou l’énergie électrique
À
peine arrivé, il demande un studio pour enregistrer les chansons qu’il a composées en Angleterre. Il convoque
un jeune guitariste de Chicago : Mike Bloomfield. Il n’a
que vingt-deux ans et est déjà très prometteur. Bloomfield joue du blues à la sauce électrique. C’est ce que Dylan recherche pour ce nouvel album. Une guitare qui allume. Le 16 juin, l’équipe est réunie au studio de la Columbia. Un autre guitariste, Al Kooper, est aussi à disposition, mais n’a pas grand-chose à faire. Il s’installe à l’orgue, pensant qu’il a un bon riff qui collera à la chanson qu’on
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Page de gauche : Dylan, lors du concert au Newport Folk Festival, le 25 Juillet 1965
joue. C’est à ce moment que va être enregistré un des plus grands morceaux de la musique populaire du XXe siècle : Like a Rolling Stone. La chanson parle de la décheance d’une jeune fille pour laquelle Dylan fait preuve de peu de compassion. Certain reconnaitront dans ce personnage Edie Sedgwick, une jeune actrice, égérie de Andy Warhol. Bob et elle auraient eu une relation qui aurait tourné court. Kooper n’a jamais touché un orgue, mais la ligne simple qu’il va ajouter conduira à l’alchimie sonore que Dylan recherche. Le simple de Like a Rolling Stone tourne en boucle à la radio, alors que le morceau dure trois fois plus longtemps Edie Sedgwick (1943-1971)
que les tubes habituels. Il est si long que sur le 45 tours, la chanson s’étale sur les deux faces À ce moment, Dylan est devenu un chanteur de rock, comme il le rêvait dans son adolescence. Le reste de l’album Highway 61 est enregistré un peu plus tard et ne sortira qu’au mois de septembre 1965. Les 24 et 25 juillet, Bob est présent au festival de Newport. Ce dernier commence sur quelques notes de tension, essentiellement dues à l’arrivée des groupes électrifiés dans sa programmation. Dylan doit jouer le soir du 25 entre le Butterfield Blues Band de Bloomfield et Johnny Cash. Plusieurs éléments logistiques vont pousser Dylan à prendre une grave décision : ce soir il jouera amplifié, avec une formation rock. La prestation est devenue mythique. Dans un fracas assourdissant, Bob et ses musiciens déballent trois chan-
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sons, dont Like a Rolling Stone. Il s’attirent les foudres du public, venu voir leur chanteur folk favori. La réaction des organisateurs du festival, héros du mouvement folk, est encore plus violente. Pete Seeger s’étant emparé d’une hache menace de trancher les câbles d’alimentation. Le festival de Newport est passablement secoué par la première tentative de Dylan pour imposer son nouveau style. Il va au bout de ses trois morceaux puis quitte la scène, sonné, sous les huées. Arrivé en coulisse, Cash, qui doit lui succéder sur scène, lui prête sa guitare et l’incite à retourner chanter en solo. Il s’exécute et est acclamé. Mais Mike Bloomfield (1943-1981)
l’incident va le marquer. Dans les jours qui suivent, Dylan et ses musiciens retournent en studio, achever l’enregistrement de Highway 61 avec la même énergie rock que celle qui s’est déchainée à Newport. Il est ensuite question d’une tournée. Cette fois, Bob est bien décidé à emmener un groupe pour l’accompagner sur scène. Après quelques tergiversations et états d’âme de la part de certains musiciens, dont Kooper et Bloomfield, il est décidé que c’est un groupe de Toronto qui se produira avec Dylan. Ils jouent des reprises des Beatles et des Rolling Stones dans un bar et ne demandent qu’à partir en tournée. Il se font appeler The Hawks. Après à peine quelques semaines de repos où on répète un peu, Dylan désormais accompagné de son groupe reprend la route. C’est parti pour six mois. Albert Grossman a d’abord programmé des concerts à l’intérieur des États-Unis. Il a l’idée de proposer un show en deux par-
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ties. Une première avec Bob seul en scène, à l’ancienne, et une seconde avec la formation rock. L’équipe se rend vite compte que ça ne va pas être une partie de plaisir. Chaque soir se joue une bataille entre Dylan et le public. Les spectateurs se mettent à huer dès l’arrivée du groupe et Bob refuse de leur donner ce qu’ils veulent. Il tient à faire la musique qu’il veut faire et ce n’est pas au public de décider de ce qu’il doit créer. Bob et Albert Grossman Dans une voiture lors de la tournée anglaise de 1965
Les villes américaines s’enchainent jour après jour, les sifflets usant chaque soir un peu plus les nerfs du groupe.
Le photographe ou le feu des projecteurs
E
n février, Bob part pour Nashville dans le but d’enregistrer un nouveau disque. Au mois de novembre, des
tentatives dans les conditions habituelles furent un échec. Il se retrouve donc dans la capitale de la musique country à enregistrer avec des musiciens à gage, mercenaires des studios de Nashville. La journée, Bob peaufine ses textes et la nuit, on enregistre. Dylan finit par se mettre dans la poche les joueurs de country engagés. Ils se rendent compte que ce n’est pas quelqu’un d’ordinaire. Et puis, ils sont grassement payés.
65
Dylan va avoir une grande liberté pendant l’enregistrement de Blonde on Blonde qui s’étend du 14 février au 10 mars 1966, entrecoupé par une autre enfilade de concerts en Amérique. Pendant les sessions, le chaos, que Dylan chérit, arrive à son comble lors de l’enregistrement de la plage d’ouverture de l’album : Rainy Day Woman # 12 & 35. Bob a commencé à inciter le groupe à se saouler franchement. Mais voyant que ça ne suffira pas à atteindre le désordre espéré, il fait échanger entre eux leurs instruments respectifs aux musiciens. Cela donnera cette incitation à la débauche Bob, épuisé par les tournées interminables
joyeuse et délurée. La totalité des chansons que Bob veut faire figurer dans Blonde on Blonde dépasse le format d’un 33 tours. Tout simplement, il décide d’en faire l’un des premiers doubles albums. Début avril, c’est reparti pour la tournée infernale. Dylan et les Hawks (qu’on se limite déjà à appeler le Band de Bob Dylan) recommencent à balancer les décibels, comme personne ne l’a jamais fait avant eux, et à se faire insulter par une assistance qui, manifestement, est venu pour ça.
Dylan et Johnny Cash Au piano, dans les loges lors de la tournée anglaise de 1966
Le t-shirt Triumph ou la sortie de route
L
a tournée se poursuit en Australie puis rejoint l’Europe. D’abord la Scandinavie, suivie d’un gros morceau : la-
Grande-Bretagne. Le rythme est très soutenu. Ils jouent trois soirs d’affilée, puis un soir de repos et le cycle se répète. Ils sont épuisés. Pour tenir, Dylan se gave d’amphétamines et autres cochonneries. Puis de somnifères quand il est temps de dormir. Pendant ce temps, Blonde on Blonde sort aux ÉtatsUnis et reçoit d’excellentes critiques. Pennebaker, qui avait filmé Don’t Look Back, est à nouveau convié.
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« JUDAS ! »
« I don’t believe you … You’re a LIAR ! »
Dylan aimerait montrer d’autres facettes de sa personne dans un nouveau projet destiné à la télévision. Et il y a de quoi faire un film. Les concerts donnent lieu à quelques incidents comme ce garçon d’hôtel qui, venant servir à boire dans la chambre de Dylan, en profite pour lui signifier sa désapprobation sur le déroulement de sa carrière. Le type sort un couteau et est dégagé par un garde du corps. L’évènement le plus mémorable de la tournée anglaise reste cette confrontation d’une intense violence entre Bob et un jeune homme du nom de Keith Butler. Lors du concert de Manchester, entre deux chansons, il hurle à l’intention de Dylan un terrible « Judas ! » accusateur. Le mot résonne dans le silence de la salle. Et Dylan de répondre, las de cette guerre : « Je ne te crois pas. Tu es un menteur ! » Honteux, Butler n’avouera son geste que trente ans plus tard Dylan est fatigué. L’épuisement dû aux concerts et aux drogues, additionné à la frustration d’être à la fois incom-
pris et, pire, adulé par son public lui plombe le moral et la santé. Ça devient extrême et dangereux. Il a enfin un peu de répits quand au début de l’été, il rentre à Woodstock. Il va enfin pouvoir souffler et faire le point sur sa vie. Un matin, Bob décide d’emmener une moto en réparation à Byrdcliff, une bourgade éloignée d’une dizaine de kilomètres de chez Grossman. On ne saura jamais ce qui s’est passé sur ce chemin. Dylan dit qu’il n’avait plus dormi depuis trois jours et qu’il a simplement dérapé sur une flaque d’huile. En l’absence d’un quelconque communiqué d’Albert Grossman, la presse se met à fantasmer sur cet accident et spécule déjà sur la mort de la super star du rock. En réalité, Bob n’est pas gravement blessé. Grossman annule, la mort dans l’âme, tous les concerts prévus pour les mois à venir. Quoiqu’il se soit réellement passé ce matin-là, Dylan commence une retraite qui lui était devenue vitale. Il va saisir l’occasion de reprendre le contrôle de sa vie.
Like a Rolling Stone (1965) sur l’album « Highway 61 Revisited » Once upon a time you dressed so fine
Il était une époque où tu étais si bien habillée,
You threw the bums a dime in your prime, didn’t you?
Tu jetais tes frusques aux mendiants, n’est-ce pas ?
People’d call, say, «Beware doll, you’re bound to fall»
Les gens prévenaient « Gaffe poupée, tu vas tomber »
You thought they were all kiddin’ you
Tu pensais qu’ils te faisaient tous marcher
You used to laugh about
Tu avais l’habitude de te moquer
Everybody that was hangin’ out
De tous ceux qui traînaient alentour
Now you don’t talk so loud
Maintenant tu ne parles plus si fort
Now you don’t seem so proud
Maintenant tu ne sembles plus si fière
About having to be scrounging for your next meal.
D’avoir à quémander ton prochain repas.
How does it feel
Comment se sent-on ?
How does it feel
Comment se sent-on ?
To be without a home
Quand on est sans maison
Like a complete unknown
Comme une parfaite inconnue
Like a rolling stone?
Comme une pierre qui roule ?
You’ve gone to the finest school all right, Miss Lonely
Tu viens de la meilleure école, très bien, Miss Solitaire
But you know you only used to get juiced in it
Mais tu sais, tu as seulement appris, à t’y soûler
And nobody has ever taught you how to live on the street
Et personne ne t’a jamais enseigné comment vivre dans la rue
And now you find out you’re gonna have to get used to it
Et maintenant tu découvres que tu vas devoir t’y habituer
You said you’d never compromise
Tu disais que tu ne te compromettrais jamais
With the mystery tramp, but now you realize
Avec le vagabond mystérieux, mais maintenant, tu réalises
He’s not selling any alibis
Qu’il ne vend pas d’excuses
As you stare into the vacuum of his eyes
Quand tu plonges dans le vide de ses yeux
And ask him do you want to make a deal?
Et tu lui demandes s’il veut bien faire un marché.
How does it feel
Comment se sent-on ?
How does it feel
Comment se sent-on ?
To be without a home
Quand on est sans maison
Like a complete unknown
Comme une parfaite inconnue
Like a rolling stone?
Comme une pierre qui roule ?
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You never turned around to see the frowns on the jug-
Jamais tu ne tournais la tête sur les jongleurs et les clowns
glers and the clowns
désapprouvés
When they all come down and did tricks for you
Car ils venaient tous faire leurs tours rien que pour toi
You never understood that it ain’t no good
Tu ne voulais pas voir que ce n’était pas bien
You shouldn’t let other people get your kicks for you
De laisser d’autres gens prendre leur pied pour toi
You used to ride on the chrome horse with your diplomat
Toi qui montais ce cheval d’acier avec ton diplomate
Who carried on his shoulder a Siamese cat
Qui portait sur son épaule un chat siamois
Ain’t it hard when you discover that
Ce fut très dur, non, lorsque tu découvris
He really wasn’t where it’s at
Qu’il n’était pas si branché que ça
After he took from you everything he could steal.
Une fois qu’il t’eut pris tout ce qu’il pouvait voler.
How does it feel
Comment se sent-on ?
How does it feel
Comment se sent-on ?
To be without a home
Quand on est sans maison
Like a complete unknown
Comme une parfaite inconnue
Like a rolling stone?
Comme une pierre qui roule ?
Princess on the steeple and all the pretty people
Princesse sur ton clocher et tout ce joli monde
They’re drinkin’, thinkin’ that they got it made
Qui boit et pense son avenir assuré
Exchanging all kinds of precious gifts and things
Échangeant toutes sortes de choses et dons précieux
But you’d better lift your diamond ring, you’d better pawn
Mais tu ferais mieux d’enlever ton diamant, tu ferais mieux de
it babe
le gager, chou
You used to be so amused
Tu avais l’habitude de rire
At Napoleon in rags and the language that he used
De Napoléon en haillons et du langage qu’il parlait
Go to him now, he calls you, you can’t refuse
Va le voir maintenant, il t’appelle, tu ne peux plus refuser
When you got nothing, you got nothing to lose
Quand on n’a rien, on n’a rien à perdre
You’re invisible now, you got no secrets to conceal.
Tu es invisible maintenant, tu n’as plus de secrets à dissimuler.
How does it feel
Comment se sent-on ?
How does it feel
Comment se sent-on ?
To be without a home
Quand on est sans maison
Like a complete unknown
Comme une parfaite inconnue
Like a rolling stone?
Comme une pierre qui roule ?
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Qu’est-ce que je faisais ? Je ne sais pas. C’est venu en son temps. Était-ce alors que j’ai eu l’accident de moto ? Bon, je me fatiguais beaucoup, et je n’aurai pu tenir longtemps en vivant comme ça. Il est miraculeux que j’aie pu faire tout ça. Mais vous savez, quelques fois on s’approche trop près de quelque chose et il faut prendre de la distance pour le voir. Et c’est un peu ce qui m’est arrivé à l’époque.
Bob Dylan 1978
4
L’ermite de Woodstock, 1966-1970
La cave ou un refuge nécessaire
Q
uand Dylan reprend ses esprits après l’accident, il réalise qu’il travaille pour des sangsues. Il ouvre les yeux
sur les activités de Grossman et leur relation va s’en ressentir. À partir de ce moment, il va vivre dans sa maison, loin de l’agitation. Pendant les dernières années, tout un pan de sa vie a échappé à la presse. Même à certains de ses proches. Au début de 1965, il fit la rencontre à Woodstock de la meilleure amie de Sally, la femme d’Albert Grossman. Elle s’appelle Sara. Sa famille vient de Bulgarie. Elle est juive, comme
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Dylan jouant avec ses enfants sur un trampoline
Dylan. Elle a eu une enfance difficile et s’est retrouvée très jeune livrée à elle-même. Elle entreprit des études dans son Delaware natal puis partit à New York, où elle fit du mannequinat et travailla comme bunny chez Playboy. Elle rencontra alors un riche photographe de mode et l’épousa. Elle avait enfin une situation confortable mais, lorsqu’elle tomba enceinte, son mari demanda le divorce. Elle se retrouva donc seule avec sa petite fille, à travailler comme secrétaire dans une société de production de films. Dylan trouve en Sara un apaisement. Elle n’a rien à voir avec le chaos de sa carrière. Aucun lien avec ce monde-là. Après son retour de la tournée en Grande-Bretagne de 1965, ils décident de s’installer dans les environs de Woodstock. Au début, la maison, un grand chalet en bois appelé Hi Lo Ha, parait inoccupée. Dylan n’étant jamais là à cause des tournées incessantes, ils parviennent facilement à garder leur relation secrète. Le 22 novembre, ils se marient toujours secrètement, à Long Island, seulement accompagnés de leurs témoins : Albert et Sally Grossman. À peine un mois plus tard, Sara donne naissance à leur premier enfant : Jesse. La maison des Dylan se trouve à Byrdcliff, une petite bourgade peuplée d’artistes dans les alentours de Woodstock et à une dizaine de kilomètres de Bearsville, là où vivent les Grossman. La région abrite des communautés d’artistes depuis le début du siècle. Plusieurs d’entre elles se sont développées et opposées aux cours des premièSara Dylan, lors d’un voyage avec Bob en 1970
res années. Byrdcliff était l’une d’elles. C’est dans ce cadre propice à la création que Bob fonde son foyer.
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The Band ou le cercle de la famille
D
ylan compte bien rester à l’abri des indésirables. À Byrdcliff, seuls ses amis proches sont admis. Allen Gins-
berg y passe régulièrement. Il s’adjoint aussi les services d’une secrétaire, chargée de filtrer les tentatives de contact venues de l’extérieur. Il ne veut pas être dérangé. Dylan invite le Band à le rejoindre pour travailler sur la bande-son du film qu’il est en train de monter : Eat the Document, issu des prises de vue de Pennebaker pendant la dernière tournée anglaise. Après six mois d’inactivité musicale, ils redécouvrent le plaisir de jouer ensemble.
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Plus d’une année de concert sous les huées a renforcé leurs liens. Le Band trouve plus commode de louer une grosse maison pas très loin de chez Dylan plutôt que de dormir à l’hôtel. Elle est grande, en bois et peinte d’un rose très voyant. On l’appelle Big Pink. Il y a un vaste sous-sol particulièrement pratique pour jouer de la musique. Au début, ils se contentent de reprendre de vieilles ballades dont Bob se met à modifier les paroles. On finit par Big Pink, la maison du Band près de Woodstock
brancher le vieux magnétophone quatre pistes quand on estime le résultat convaincant. La qualité des bandes est mauvaise, mais les morceaux dégagent une chaleur et une sensation de communauté très agréable. Pour Dylan, c’est comme ça qu’un enregistrement doit se dérouler. Tous les jours pendant sept mois, ce cérémonial va se reproduire à Big Pink. Les chansons parlent de recherche du salut, de tentatives de se soustraire au désespoir et à la mort très présents, par contre, sur Blonde on Blonde. D’autres parlent simplement de joie, de délivrance. L’album tiré de ces sessions dans la cave ne sortira officiellement qu’en 1975 sous le titre des Basement Tapes, mais les bandes circulent déjà depuis 1967. Albert Grossman tient à prouver à tout le monde que sa poule aux oeufs d’or reste prolifique et sera bientôt de retour. Le contrat de Dylan avec Columbia arrive à son terme et les négociations pour son renouvellement deviennent un bras de fer complexe entre Bob, sa maison de disque et Albert Grossman. Ce dernier s’est assuré de continuer à toucher sa part du magot que Dylan génère. Pendant la dernière tournée en Angleterre, profitant qu’il était à peine
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conscient, il lui a fait signer des documents qui lui accordent des pourcentages sur ses droits d’auteur et les lient pour une longue période encore. Les discussions avec Columbia aboutissent à un nouveau contrat pour quatre disques sur une durée de cinq ans. Une fois de plus, Dylan va prendre tout le monde à contrepied. La Columbia, Grossman et le public attendent avec avidité le retour de la star internationale du rock. C’est un autre personnage qui va faire son apparition.
The Band, de gauche à droite : Richard Manuel, Robbie Robertson, Levon Helm, Garth Hudson et Rick Danko
Bob Dylan ou un père au foyer
E
n parallèle aux chansons joyeuses enregistrées avec le Band à Big Pink, Dylan s’est mis à écrire de nouvelles
chansons sobres et dépouillées. Pour la première fois, il aurait écrit les textes sans la musique. Une des grandes inspirations pour Bob est cette grande bible posée sur un pupitre dans la bibliothèque de Hi Lo Ha. Il part le 17 octobre à Nashville et réunit des musiciens qu’il a déjà rencontrés lors de sa première venue. Le groupe qui l’accompagne se réduit à une basse, une batterie et une steel guitar. John Wesley Harding est un album
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Page de Gauche : La pochette de Nashville Skyline
calme, presque austère. On y découvre le nouveau Dylan, plus serein, et des textes plus sobres. La période de frénésie rock est derrière lui. Le 3 octobre 1967, Woody Guthrie meurt dans son hôpital du New Jersey. Deux concerts d’hommages sont organisés en son honneur et Bob s’empresse d’assurer les organisateurs de sa participation. Il retrouve à cette occasion ses anciens camarades de la scène folk. Sa présence au concert de New York, le 20 janvier 1968, ramène beaucoup de monde. Certains se réjouissent de tous ces jeunes venus rendre hommage à Guthrie, d’autres trouvent le show un peu trop hollywoodien. Quelques mois plus tard, Bob doit affronter un nouveau deuil. Son père, Abe, meurt d’une crise cardiaque Bob dans le jardin à Hi Lo Ha
alors qu’il est seulement âgé de cinquante-six ans. Il rentre à Hibbing pour assister aux obsèques. Son frère le trouvera étonnamment mûr et serein pour un homme de seulement vingt-sept ans. Rentré à Byrdcliff, Bob se met à la peinture sous la direction de son voisin. Mais du côté de la musique, c’est le calme plat. Les enfants de Dylan sont maintenant quatre (y compris la fille de Sara, qu’il vient d’adopter officiellement) et Sara est à nouveau enceinte. Pourtant, quelque chose ne tourne pas rond chez lui. Il ne parvient plus du tout à écrire. L’impression d’être obligé d’apprendre à faire quelque chose qui se faisait inconsciemment. Le projet Eat the Document passe aussi à la trappe. Il décide de reprendre le chemin de Nashville au mois de février 1969. Toujours entouré des mêmes musiciens, il
entame un nouvel album en espérant que l’ambiance du studio ramène l’inspiration et lui apporte des chansons. Mais le miracle met du temps à se produire. Il parvient tout de même à enregistrer un disque d’à peine une demiheure. Nashville Skyline va à nouveau étonner le public et la critique. Premièrement, c’est la voix qui frappe. Elle est très différente de celle qu’on lui connaissait. Elle est lisse, plus ronde, moins nasillarde. Il prétend que c’est parce qu’il a arrêté de fumer un peu plus tôt. Dylan semble s’être tourné vers le monde de la country et Johnny Cash, celui qui règne à ce moment-là sur ce style, le prend sous son aile. Il faut dire qu’il a l’air bien fragile. Bob et lui enregistrent quelques chansons ensemble et l’une d’elles ouvrira Nashville Skyline. Dans la foulée, Cash l’invite dans son show télévisé, pour un duo. Même si l’album semble un peu mièvre et pauvre au niveau de la créativité, le public l’accueille plutôt bien et il amène même de nouveaux auditeurs à Dylan. Dylan en duo avec Johnny Cash Dans le Johnny Cash show
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De retour à Woodstock, il doit faire face à une partie de sa vie qu’il croyait oubliée. Toute la génération pop se réclame de Dylan alors que lui n’aspire qu’à être père de famille, à vivre tranquille. Woodstock va être envahi par toute sorte de gens qui viennent chercher, au hasard d‘une promenade, une rencontre avec le poète. D’autres vont être beaucoup plus intrusifs. Ils escaladent les arbres autour de la propriété des Dylan et s’introduisent parfois même dans la maison. On doit régulièrement appeler la police pour déloger les intrus. Ils décident alors de déménager dans une autre partie de Woodstock où ils achètent une grande maison isolée et plus facile à protéger. Dylan ne s’habitue pas à ce nouvel endroit dans lequel on l’a contraint à vivre. L’été 1969 est surtout celui des festivals rock qui charrient des milliers de jeunes chevelus. L’un d’eux est organisé à Woodstock et sera le symbole de toute cette période. Woodstock est l’archétype de la ville pour artistes et c’est surtout pour cela que le festival s’y déroule. Mais la présence de Dylan joue aussi un rôle important. D’une certaine façon, les gens ont l’impression de rendre visite à Dylan et de lui faire honneur. Lui, voit plutôt ça comme une intrusion de plus dans son intimité. Il ne participera pas à la fête. En réalité, il fuit ce festival en décidant de se produire à celui de l’Ile de Wight en Angleterre. Il a exigé un cachet de cinquante-mille dollars pensant qu’on lui refuserait et Affiche du festival de Woodstock de 1969
qu’il pourrait rester cloîtré chez lui, mais on lui accorde la somme…
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Le chien ou la meute aux trousses
L
e 31 août 1969, il se retrouve donc sur scène pour la première fois depuis deux ans. Il va remplir le contrat :
jouer une heure, ni plus, ni moins. Le concert est un peu plat d’après les quatres Beatles présents. La presse britannique est beaucoup moins tendre. Il faut dire qu’ils avaient annoncé avant le concert que ce dernier allait constituer le grand retour de Dylan, qu’il allait durer trois heures… On le dit fini. Dylan, très déçu, quitte l’Angleterre en déclarant qu’il n’y jouerait plus jamais. Après cette mésaventure, Bob traverse une panne
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d’inspiration. Il a bien vu que les jeunes chanteurs pop et rock ont continué à avancer sans lui. Il se convainc que la ville pourrait lui rendre sa créativité et retourne donc avec sa famille à New York, dans Mac Dougal Street, en plein centre de Greenwich Village. Il se rend rapidement compte que c’était une idée exécrable. On l’attendait au tournant là-bas et la « Nation de Woodstock » avait aussi envahi le Village. Il y retrouve tout de même certains amis de longue date. Mais un personnage malsain, qui cristallise tout que A.J. Webermann (né en 1945)
Bob tente de combattre depuis la fin de sa période folk, fait son apparition. Alan Jules Weberman est un jeune activiste de gauche, arriviste et déglingué. Il compte se constituer une notoriété sur le dos de Dylan et fonde l’Université de Dylanologie. Il tente, avec ses disciples, de décortiquer et interpréter les textes du chanteur. Il en ressort les théories les plus farfelues. La spécialité de Werberman sera de voler et de fouiller les ordures de la famille Dylan. Il cherche des papiers, des lettres, des bribes de la vie de Bob. On le surnomme l’Éboueur. Il en veut beaucoup à Dylan d’avoir abandonné le militantisme politique et les chansons engagées. Lui reproche d’être devenu un porc, uniquement intéressé par l’argent. Il va alors créer le Front de Libération de Dylan pour tenter de le ramener dans le droit chemin. Weberman mène une véritable campagne de diffamation contre Bob, affirmant qu’il aide financièrement une association juive raciste. Dylan est fatigué de tout ce cirque. Un des seuls avantages d’habiter New York, c’est la
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proximité des studios de la Columbia. Désespéré, il va tenter une nouvelle fois de déstabiliser son public en leur donnant à écouter un album qu’ils ne voudront pas entendre. Il espère qu’ils comprendront alors que Bob Dylan ne fait plus ce qu’ils attendent et qu’ils peuvent aller voir ailleurs. En février et mars 1970, il enregistre un nouveau double album. Il y inclut beaucoup de chansons qui ne sont pas de lui. Des morceaux du répertoire populaire de la musique américaine, des classiques. Au passage, il réduit un peu la marge qu’Albert Grossman se fait grâce aux droits d’auteur de ses textes. Le disque est une sorte de fourretout musical comprenant des bandes tirées des précédentes sessions à Nashville, des enregistrements de vieux morceaux folk… Dylan a le culot de l’appeler Self Portrait (autoportrait) et de coller une peinture qu’il a faite sur la pochette. Self Portrait est très mal accueilli. Les critiques ne l’épargnent pas et même des journalistes qui ont toujours été fidèles à Bob, comme Greil Marcus ou Robert Shelton, ne peuvent le ménager. C’est le premier vrai échec artistique de Dylan. Mais il semble qu’il ait été volontaire. Il confiera des années plus tard, justifiant sa démarche d’enregistrer un double album et non un simple, que : « Quitte à mettre tout un tas de saletés, il vaut mieux bourrer un peu. » C’est peut-être tous les retours négatifs qu’il reçoit suite à la sortie de ce disque, qui vont piquer son orgueil et le pousser à prouver à tous ces gens que s’il n’est pas celui qu’ils attendent, il reste un artiste exceptionnel.
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Pochette de l’album Self Portrait (1970)
Tears of Rage (1967) sur l’album « The Basement Tapes »
We carried you in our arms
Nous t’avons portée dans nos bras
On Independence Day,
Le jour de la fête nationale,
And now you’d throw us all aside
Et maintenant tu nous écarterais
And put us on our way.
Et nous montrerais la porte.
Oh what dear daughter ‘neath the sun
Oh quelle fille chérie sous le soleil
Would treat a father so,
Traiterait son père ainsi,
To wait upon him hand and foot
Avoir été aux petits soins pour lui
And always tell him, « No » ?
Pour toujours lui dire « Non » ?
Tears of rage, tears of grief,
Larmes de rage, larmes de chagrin,
Why must I always be the thief?
Pourquoi dois-je toujours être le voleur ?
Come to me now, you know
Viens me voir maintenant, tu sais
We’re so alone
Nous sommes si seuls
And life is brief.
Et la vie est courte.
We pointed out the way to go
Nous t’avons indiqué le chemin à prendre
And scratched your name in sand,
Et avons écrit ton nom sur le sable,
Though you just thought it was nothing more
Bien que tu aies cru que ce n’était rien de plus
Than a place for you to stand.
Qu’un endroit où rester.
Now, I want you to know that while we watched,
Maintenant, tu dois savoir que pendant que nous
You discover there was no one true.
Te regardions découvrir que personne n’était sincère,
Most ev’rybody really thought
La plupart des gens pensait en fait
It was a childish thing to do.
Que c’était puéril de faire ça.
Tears of rage, tears of grief,
Larmes de rage, larmes de chagrin,
Must I always be the thief?
Pourquoi dois-je toujours être le voleur ?
Come to me now, you know
Viens me voir maintenant, tu sais
We’re so low
Nous allons si mal
And life is brief.
Et la vie est courte.
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It was all very painless
Ce fut si indolore
When you went out to receive
Lorsque tu es partie recevoir
All that false instruction
Toutes ces fausses instructions
Which we never could believe.
Auxquels nous n’avions jamais crues?
And now the heart is filled with gold
Et maintenant le cœur est rempli d’or
As if it was a purse.
Comme si c’était un porte-monnaie.
But, oh, what kind of love is this
Mais, oh, quel genre d’amour
Which goes from bad to worse?
Peut aller ainsi de mal en pis ?
Tears of rage, tears of grief,
Larmes de rage, larmes de chagrin,
Must I always be the thief?
Pourquoi dois-je toujours être le voleur ?
Come to me now, you know
Viens me voir maintenant, tu sais
We’re so low
Nous allons si mal
And life is brief.
Et la vie est courte.
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DOCUMENTATION Bibliographie Robert Shelton (trad. Jacques Vassal), No Direction Home : The Life And Music Of Bob Dylan [« Bob Dylan sa vie et sa musique : Like a Rolling Stone »], Albin Michel, Paris, 1987. Bob Dylan (trad. Jean-Luc Piningre), Chronicles Volume One [« Chroniques : Volume 1 »], Fayard, Paris, 2005. Sam Shepard (trad. Bernard Cohen), Rolling Thunder, Logbook [«Rolling Thunder : sur la route avec Bob Dylan»], Naïve, Paris, 2005. Robert Santelli (trad. Laurence Romance), The Bob Dylan Scrapbook : 1956-1966 [«Bob Dylan 1956-1966 : L’Album»], Fayard, Paris, 2005. Jonathan Cott (trad. Denis Griesmar), Bob Dylan, The Essentiel Interviews, [« Dylan par Dylan, Interviews 1962-2004 »], Bartillat, Paris, 2006. François Bon, Bob Dylan, une biographie, Albin Michel, Paris, 2007. « Bob Dylan. Folk, rock et politique. Le mythe vivant. », Les Inrocks 2, numéro spécial, p. 1-98.
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Filmographie No Direction Home : Bob Dylan, Martin Scorsese, 2005 Dont Look Back, D.A. Pennebaker, 1967. Eat the Document, Bob Dylan, 1972. Bob Dylan at the Newport Folk Festival, Murray Lerner, 2007. I’m Not There, Todd Haynes, 2007. The Johnny Cash Show, épisode nº 1, 1969.
Webographie François Guillez, Traduction des textes de Bob Dylan en français. Consulté le 16 août 2008 http://www.bobdylan-fr.com/ Dave & Tina Thomas, Bob Dylan Pics 2008. Consulté le 12 août 2008 http://www.angelfire.com/de/dylanite/ The Bob Dylan Picture Archive. Consulté le 8 août 2008. http://home.no.net/guron/ Wikimedia Foundation, article de Wikipedia anglophone : Bob Dylan. Consulté le 17 août 2008. http://en.wikipedia.org/wiki/Bob_Dylan
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DISCOGRAPHIE DE BOB DYLAN POUR LA PÉRIODE 1941-1970 Bob Dylan (1962) The Freewheelin’ Bob Dylan (1963) The Times They Are a-Changin’ (1964) Another Side of Bob Dylan (1964) Bringing It All Back Home (1965) Highway 61 Revisited (1965) Blonde on Blonde (1966) John Wesley Harding (1967) Bob Dylan’s Greatest Hits (1967) Nashville Skyline (1969) Self Portrait (1970)
Chacun chez Columbia Records.
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TABLE Avant-propos
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1. Robert Allen Zimmerman, 1941-1961
15
La veste de mouton ou la chaleur du Minnesota
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La guitare ou l’éveil musical
21
Bob Dylan ou la naissance d’un personnage
23
La casquette d’immigrant ou le début du voyage
27
2. La voix de la jeunesse, 1961-1964
33
Greenwich Village ou la bohème
35
Bob Dylan ou le début d’une carrière
39
Suze Rotolo ou les muses de Dylan
43
Les autos de 1963 ou une année d’action
47
3. Le Prophète du Rock, 1964-1966
55
Bob Dylan ou un nouveau masque
57
La chemise bariolée ou l’énergie électrique
61
Le photographe ou le feu des projecteurs
65
Le t-shirt Triumph ou la sortie de route
67
4. L’ermite de Woodstock, 1966-1970
77
La cave ou un refuge nécessaire
75
The Band ou le cercle de la famille
81
Bob Dylan ou un père au foyer
85
Le chien ou la meute aux trousses
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Documentation & discographie de Bob Dylan pour la période 1941-1970
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Bob Dylan - 2004 -