Carnet de route du caporal aux grenadiers

Page 1

Carnet de route du Caporal aux Grenadiers (III/2,I/3,I/4 et IV/4)

C’est l’ennui qui m’a tellement attaché à cet hôpital que le malade ou le blessé que l’on rencontre dans la rue et que l’on questionne, répond toujours invariablement « là on s’ennuie ». C’est encore cet ennui qui était arrivé m’a fait récapituler ce qui m’est arrivé et fait revivre cette part que j’ai pris dans la guerre 14-15-16. Le 20 avril 1916, Désiré Malet Hôpital Anglo-belge, St Aubin Gou…, Seine inférieure ….


Le mercredi 29 août 1914, je rentrais le matin comme d’habitude et après le déjeuner, je me livrais au repos. Vers deux heures, je me levais et j’allais voir quel temps il faisait. J’entendis alors la première réflexion sur la possibilité de la guerre. Mais l’insouciance me fit vite oublier cela et je partis travailler comme à l’ordinaire. Vers sept heures et demie, je vis arriver le patron de la maison où je logeais et il me remit un télégramme qui portait ces mots : « Reviens vite, as ordre rejoindre régiment. » (signé) Maman. Du coup, je ne fis plus rien de bon et le lendemain matin, je pris le premier train à Aubange. Je ne remarquais pas grand-chose d’anormal et en arrivant à Jemelle, je résolus de filer à pied pour tâcher de gagner quelques minutes. En passant à Corbois, je fis mes adieux de loin aux tantes et à la famille Walhain qui me cria que Joseph était rentré le jour avant. Tout le long du chemin, j’entendis des chuchotements concernant ma rentrée. Je rentrais à la maison et après avoir avalé un morceau et m’être vivement habillé, je partis en recevant les encouragements de ma chère mère qui aura pleuré mais après mon départ. D’ailleurs qui croyait une guerre pareille possible ! Je repris le train et j’arrivais à Bruxelles sans encombre. Je me rendis le plus vite possible à la caserne où je reconnus le brouhaha des grandes occasions. Je rencontrais, sous le porche, le sergent major Descy qui me prit mon ordre de rejoindre et me demandai pourquoi je n’étais pas rentré avec les autres. Je lui contais une blague et il m’envoyait m’habiller et diner. Je manquais ce dernier d’assez bon cœur car les événements ne m’avaient pas laissé beaucoup d’appétit et m’avais extrêmement fatigué. Je reçus comme fourniture un sac à paille que je me hâtais d’échanger contre un matelas et une couverture. Le soir, je voulus aller dire bonsoir à Mathilde, mais il n’y avait plus personne. Nous avons défilé dans Bruxelles tous les jours suivants car les officiers étaient heureux de nous retenir un peu pour nous remémorer les inutilités du service. Le lundi matin, nous devions encore aller à l’exercice annoncé le samedi déjà, et en bonnet à poil pour bien nous faire avoir chaud. Je m’apprêtais tristement quand je m’entendis appeler. Sans voir qui, je compris que mon père était à la garde de police. Je courus voir, mais rien. Je revins en pestant contre le farceur, croyais-je, mais de nouveau mon nom retentit dans le couloir et le chef, cette fois, m’avertit que mon cher papa m’attendait au parloir. J’y courus vivement et j’eus le bonheur d’avoir une dernière entrevue. Il me donnait un paquet contenant des chaussettes et du linge, me rassurait et m’encourageait. Il avait des larmes aux yeux en me disant le mot célèbre : « Fais ton devoir, advienne que pourra ».


Je le quittais en pleurant mais j’avais le moral très haut. Je courus me mettre en tenue et sur la cour, on nous dit que nous quittions la caserne pour longtemps. Nous avions changé de coiffure et lorsque le drapeau nous fut présenté, le colonel nous empoigna dans un cri unanime : « Vive le Roi, Vive la Belgique ». Tous les fusils se soulevèrent. Ce fut un moment d’enthousiasme patriotique. Je sentis mon cœur battre à grands coups précipités et les cheveux se dresser sur la tête. Après une attente qui me ravit l’espoir de revoir une dernière fois mon pauvre vieux père, nous partîmes par la rue Buderades, la place du Trône, la rue du Trône et l’avenue de la Couronne. En passant sur la plaine des manœuvres, nous vîmes le deuxième régiment qui nous emboîtait le pas. Nous nous arrêtâmes dans la forêt de Soignes et là, notre commandant nous annonça que l’Allemagne, en dépit des traités et de sa loyauté ? nous avait déclaré la guerre. Il nous fit faire la promesse de l’obéir en tous points en échange de quoi, il s’engageait à nous ramener tous dans nos foyers. Je ne crois pas avoir failli à mon serment, lui, on ne peut pas en dire autant. J’écrivis une carte chez moi leur disant ma volonté et rassurant mes parents des éventualités qui pourraient se produire. Nous arrivions à Overyse. On récolte plus de regards curieux que de soins. Nous sommes couchés une escouade toute entière dans une chambre. J’ai assez bien dormi. Départ pour l’inconnu. Nous avons traversé Wavre. Je ne sais comment décrire l’accueil si empressé, si cordialement empreint de bonté et de compassion que nous firent les habitants de cette charmante ville. Ne sachant comment remercier ces bonnes gens, nous criâmes du plus profond de notre cœur « Vive Wavre ». J’y ai appris que les classes 99 et 100 sont rappelées. Je crains pour l’oncle Joseph. Un incident comique. Une jeune fille nous canardait à coup de paquets de cigarettes. Je regardais d’où venait les projectiles et au même instant j’en écrase un. J’ai reçu une engueulade de Longrée : « Tu en aura faim » me dit-il ! (Il ne croyait pas dire si vrai !) Nous allons à Dion le Val. Nous sommes logés dans une grange. Les gens sont meilleurs que la veille. Nous y passons quelques jours. On commence à se défier des aéros. Nous nous cachons dans les bois.


Des bruits de départ circulent. Nous quittons les cantonnements pour aller nous établir dans un champ où nous passons la nuit au bivouac. Heureusement, les céréales ne sont pas encore rentrées, mais malgré la paille et grâce à la pluie fine qui tombe, j’ai froid. Je suis tout heureux de pouvoir me dégourdir et me réchauffer le matin. Il pleut toujours. Nous passons la journée dans le bois de Bossart et aussitôt qu’on nous le permet, nous édifions des abris en paille que soutiennent de jeunes sapins coupés hâtivement avec nos pelles Lineman. Nous partons le soir pour la ferme de Heze où nous devons monter de grande garde. Nous sommes invités, Lefèvre et moi, par un bon vieux qui nous conduit chez lui. Il nous fait manger pendant que nos capotes et nos vêtements sèchent au bon feu que sa femme a fait pour nous réchauffer. Nous passons là quelques jours heureux puis, nous allons, par une chaude journée, cantonner à Grez-Doiceau. Je reçois une lettre de la maison m’annonçant l’arrivée des Français chez nous. J’y réponds. Il fait bon et nous allons passer la journée dans un champ d’avoine. Nous arrangeons les bottes pour nous garantir des rayons brûlants du soleil. Nous commençons à déplorer la guerre qui nous tient inactifs par ce temps enfiévré de moissons. Nous abandonnons ce champ pour aller aux environs de Longueville. Un beau jour, on nous dit que les Boches ne sont pas loin, et, en effet, on nous fait prendre les dispositions de l’infanterie sous le feu de l’artillerie. Ce qui aurait pu être utile car nous entendons les premiers coups de canon et les premiers sifflements de shrapnels. Le soir, on nous raconte que les grenadiers ont déjà quelques morts et blessés. Le 1 er

chasseur à cheval a voulu charger dans les environs de la ferme de Heze et il a subit des pertes assez sévères. Il paraît que son drapeau y est resté. J’appris les jours suivants que Guillaume était blessé. Nous passons la nuit dans une plantation de sapins. J’ai perdu mes amis de vue et j’ai froid de nouveau. Nous partons de Longueville pour aller fournir des petits postes plus loin encore dans les environs de Pietrebois. Puis nous filons sur Hamme-Mill où nous ne faisons que loger. Nous passons la nuit suivante à Nethem. Puis, le jour venu, nous filons sur Steenokerzele où nous passons la nuit dans une salle de danse et sur la planche. Il y a des malades que les brancardiers fuient et laissent sans soins sur leurs civières. J’apprends que la batterie de la 6ème division a réussi à faire reculer les Boches à Longueville. Nous partons de là et nous marchons sur Bloesveld où nous arrivons à 11h, la nuit. Après quelques soins de propreté, nous allons nous coucher 2h après lesquelles, en route pour Niel. Nous traversons Willebroeck et le grand pont de Boom. Nous sommes horriblement fatigués et sans l’entraînement mutuel qui nous adoptons avec Longrée, nous n’arriverions pas.


Arrivés à Niel, nous tombons endormis de fatigue et de faim. Nous sommes logés dans une salle de danse. Nous partons de là pour Wilrijk où j’ai été voir le champ d’aviation et que nous quittons le soir pour nous arrêter dans Walhem. Après avoir stationné quelques heures sur la route, on nous fait bivouaquer sur les bords de celle-ci. Je n’ai pas encore eu chaud mais la journée s’annonce torride. Nous partons pour Malines et de très loin, nous voyons les obus éclater sur la cathédrale. Je parviens à me ravitailler en cigarettes dans la ville. Quelques maisons situées en face de la gare ont souffert du bombardement. Nous passons celle-ci et nous arrivons sur le champ de bataille. Quelques carabiniers sont morts et un aumônier s’assure de leur décès. Une vieille femme nous montre une baïonnette dégoûtante de sang boche, dit-elle. Une femme est mêlée aux cadavres de soldats belges. Hofstade est en feu. Trois cadavres boches forment des taches sombres dans les champs. Bien que la curiosité ne m’y pousse pas, je vais voir l’un d’eux. La face est méconnaissable à moitié recouverte de terre. Le bras gauche est blessé et la main crispée dit la souffrance endurée par cet homme tué à coup de baïonnette. Nous passons dans le village la tête basse, et après quelques pérégrinations ou l’on remarque l’hésitation du commandement, nous nous couchons près d’un bois et quelques balles commencent à siffler au dessus de nous. Le feu cesse et nous avançons un peu. Nous nous rassemblons dans un petit bois de sapins où, après avoir recommandé le plus grand silence, les officiers vont reconnaître l’emplacement des petits postes. Nous passons la nuit à râler car il fait horriblement froid. Je pense avec anxiété à la journée du lendemain que je pressens fatale pour plusieurs d’entre nous. L’insouciance revient avec le jour et c’est avec cœur que je vais au combat. Nous nous déployons en tirailleurs vers 7heures et nous avançons. J’étais plus brave que je ne le croyais. Un shrapnel belge non éclaté passe devant le peloton en

susurrant. Nous courrons dans les balles qui commencent à bruisser comme des abeilles de mort. L’artillerie belge nous canonne. Le commandant crie qu’il est blessé. Le lieutenant de St Hubert pâlit, il a reçu un petit éclat au côté. Une balle de fusil troue ma capote. L’artillerie allemande nous repère et de concert avec la nôtre, nous couvre de mitraille. Depuis quelques instants, je remarque que les boches précisent leur tir et que chaque salve de shrapnels se rapproche insensiblement. Je fais part de mon observation au lieutenant qui fait converger la ligne et nous fait mettre à l’abri. Une de ces salves a donné en plein dans la compagnie de Walhain et a fait de nombreuses victimes. On parle de 60 blessés et de 20 tués. J’utilise mon sachet de pansement à soigner un malheureux qui a une blessure au ventre. Nous reculons pour tâcher de trouver un abri dans les bois mais les obus à balles hachent et font voler les sapins en morceaux. Nous avançons de nouveau pour échouer de la même manière. Une troisième fois, l’élan est donné mais il s’arrête


devant le château d’Elewijt où la seule chose comique que j’ai vue alors me fait, malgré le feu et le fer qui font rage : un anversois, voyant le signal de retraite, lève les mains comme un prédicateur et un morceau de fer lui entaille les 2 doigts qui semblaient nous bénir. Nous demander plus eut été de la folie, on le comprend et l’ordre de retraite est donné. Nous allons prendre position derrière un chemin de fer entre Hofstade et Elewijt. Le Roi est là, discutant paisiblement malgré les éclatements de shrapnels boches qui voudraient défendre du passa…, le pont en haut duquel il se trouve. Nous avons su nous procurer un peu d’eau avec lequel nous avons avalé quelques sardines et un bout de pain. Nous n’étions plus reconnaissables. La sueur avait collé la poussière et le sable sur la figure. En partant de là, j’ai vu Joseph W. arrangé comme nous. Il me raconte son épouvante. Nous nous rassemblons dans un champ de navets qui nous goûtèrent assez bien. Nous partons pour Muyzin et nous avons encore une alerte. Nous sommes désignés pour être soutien d’artillerie. Nous restons là 1heure ou 2. Puis nous retrouverons Malines. Nous allons à Walhem nous reposer. Les jours suivants, nous allons travailler aux tranchées qu’on édifie devant le fort de Wavre Ste Catherine. Une fois ça fait, demi-tour, on se met en tenue de route et on part pour une destination inconnue. Nous traversons Contich, j’aperçois Guillaume qui me parait avoir souffert. Il reconnaît Walhain mais ne me voit pas. Nous arrivons enfin à Eeckeren. Nous sommes logés dans une école et reprenons la vie de garnison. Exercices promenades, mauvaise nourriture, rien n’y manque, même les punitions. Nous avons toujours notre exécrable 1er sergent Fastré qui passe son temps à chercher des motifs pour publier son dépit de batailleur. Enfin nous démarrons pour Aartselaar où nous couchons dans une salle de danse. Nous sommes un peu plus tranquilles. Mais un jour au soir, on nous rassemble pour nous faire prendre nos vivres et ce dont nous avons besoin pour une longue absence dans nos besaces et nous abandonnons nos sacs en inscrivant nos noms et matricules dessus. Cela se fait la nuit et nous partons pour Duffel. Mais en route, je ne sais pas ce qu’on a fourré dans le manger mais tout le monde attrape une diarrhée qui nous esquinte. Nous nous reposons la matinée dans une prairie bordée par un bois dans lequel je m’étends et fais un somme. On parle d’un Zeppelin qui serait venu jeter des bombes sur les environs. Nous prenons le train l’après-midi (en seconde s’il vous plait) pour Heist-op-den-berg. Puis nous allons bivouaquer dans une terre nue. Tr ès peu de paille. Mais Bastogne, qui se couche sur moi, me fait avoir chaud. Assez bien reposé, en route pour Tremelo qui est toute incendiée et Wechter. Le canon tonne. Nous sommes encore une fois dans la danse. Nous avançons sur la route d’Haecht et nous creusons une tranchée où nous passons toute la bataille. Nous allons monter la garde dans un petit bois voisin et nous


avons faim. Les maisons sont abandonnées sauf une où on nous prépare une soupe aux pommes de terre et au lait. Cela nous ranime et nous fait prendre patience. Bientôt des carabiniers apparaissent. Ils ont l’air d’avoir beaucoup souffert. Il y a des blessés. On nous rappelle. Nous partons en arrière doucement et sans bruits par bonds. L’adjudant me dit que les boches ne sont pas loin. Nous passons la Dyle et nous revenons nous mettre en tirailleurs le long de la berge. Je rencontre Lamette qui me donne une bouteille de Geuze et quelques pommes. Nous avalons la bouteille en courant. Le soir venu, nous allons dans un couvent abandonné passer la nuit. Nous n’avons même pas de place suffisante pour nous coucher, mais les malheureux qui sont dehors sont trempés jusqu’aux os. On nous ravitaille et nous filons. Nous arrivons près de Bélaer-Eeckant et nous laissons repasser toute les troupes pour les couvrir et faire le service de grande garde. Nous en sommes relevés et nous allons coucher à Konings-Hoeyht. Nous remontons tous les jours dans les environs de Bélaer. Mais une fois nous passons par Putte et nous avançons. Il paraît que nous refoulons les boches. Cela m’étonne sans un coup de feu. Enfin on se déploie en tirailleurs et j’entends des coups de feu. C’est la Cie de Walhain qui a voulu entrer dans un village occupé par les Teutons. Nous reculons sur Putte et nous montons de grande garde. Nous sommes relevés mais ma compagnie doit faire une reconnaissance offensive parfaitement inutile. J’assiste à un feu de mitrailleuse dirigée par des chasseurs à cheval contre leurs camarades. Quelques coups de canon et nous entrons à l’église de Konigs. Nous nous ennuyons. Enfin en route. Nous allons, parait-il, renforce la 5ième division. Nous arrivons au-delà de Op Puurs et nous construisons une tranchée. Le lendemain, nous sommes assaillis et sans résistance, nous abandonnons le terrain. Puis nous montons de grande garde à Op Puurs. Nous sommes relevés le lendemain après avoir essuyé quelques obus et des coups de fusil. Le sergent Bultôt préférant suivre les conseils de Mégard plutôt que les nôtres, file comme un zèbre au fort. Un officier des carabiniers le ramène à la compagnie et il apprend qu’il sera proposé pour la dégradation. Nous allons loger à Bornheim où mon pauvre ami D’Heur est enterré. Il a été abandonné, blessé, et il a expiré le long du chemin faute de soins. Nous travaillons aux tranchées. Un jour, le réveil sonne à 3 h et nous devons reprendre le village de St Amand. Nous partons, mais écœurés déjà. Nous avançons 2 fois et les 2 fois, la 3/3 plie et nous abandonnons la lutte. Envoyé en patrouille, je me suis glissé jusqu’au chemin de fer. Là, une surprise m’attendait. Je vois tout à coup à 40 mètres, les boches qui traversaient le chemin de fer pour venir renforcer la ligne de combattants. J’arme mon fusil et je commence à les descendre un à un comme des lapins. La fièvre me montait, je devenais fou de poudre quand je les vis changer de chemin et venir de l’autre


côté pour me prendre. Je filais vivement et j’entendis quelques balles mais je ne fus pas atteint et je rejoignis la compagnie où je fus grondé pour m’être écarté. On approfondit un fossé et je suis près des mitrailleuses qui raflent des lignes de fantassins. J’apprends que le 1er chef n’est pas revenu. Je ne le regrette pas beaucoup. Nous retournons à Bornheim et le lendemain après-midi, nous partons pour Anvers. Nous traversons l’Escaut sur un pont de bateaux. Nous passons par Deurne, Hamme où nous passons les nuits. Nous arrivons à Zele après avoir monté grande garde à Berlaer. Nous y avons eu quelques gros shrapnels et nous avons été prêts à faire l’assaut. Je n’ai pas beaucoup senti le froid de la nuit car il y avait énormément de paille, nous avions démoli une meule pour nous coucher. Nous partons pour rejoindre le régiment et nous nous arrêtons après bien des pérégrinations car le commandant avait pris sur la carte un chemin pour une rivière. Nous retrouvons enfin les grenadiers en train de se battre. Nous essuyons quelques coups de fusil en route pour ?. Nous arrivons éreintés à Lochristi, pas de cantonnement prêt. Tout de même, après une attente de 2h pendant lesquelles je suis tombé de lassitude, nous allons loger dans une remise. Le matin, pas de vivres, rien, nous déjeunons chez une brave femme qui nous fait payer bougrement cher la tasse de café qu’elle nous a donné. La bande dont je fais partie, se nourrit de pain et nous allons commencer à faire des tranchées. O surprise ! On s’était trompé, nous changeons de place quand la besogne est presque finie. Nous recommençons donc et j’apprends que notre commandant en a assez. Il a dit-on une entérite. Le lieutenant Mihoux prend le commandement de la compagnie. Il nous fait faire quelques « portez-armes » et nous explique que nous sommes ses chiens car nous devons obéir à son coup de sifflet. Là dessus, nous sommes soutien d’artillerie et nous allons prendre position dans un fossé pendant que le canon se fait entendre. Nous partons de là au crépuscule et nous avons la joie de voir des soldats anglais qui prennent notre place derrière l’armée belge car, décidément, c’est une retraite que nous faisons. Nous passons à Gand puis nous arrivons à Hansbeke complètement fourbus. Nous devons prendre le train dit-on, mais en attendant, le pain que j’ai attrapé au vol à Gand vient à point. Il pleut, il fait très froid. Je fais la demi-heure qui espace le village de la gare sur la pointe des pieds, car, si je n’ai pas de cloques, je souffre assez bien. Je prends place avec l’adjudant et le chef avec qui, en passant à Brugge, je partage ce qui me reste à manger. Je vois passer Courout, Cortemark et enfin nous arrivons à Dixmude. La


première personne que j’y remarque, c’est notre commandant qui nous a quitté les larmes aux yeux en disant que nous étions des braves, et, ici, il rit aux éclats dans une bonne auto. Nous sommes enfin ravitaillés et retapés un peu. Nous avons monté de garde près d’un moulin où nous sommes assez bien. La nuit, il passe plus de 2h durant des caissons et voitures de toutes sortes. Le lendemain, je parle avec un bourgeois qui s’inquiète d’entendre le canon gronder au loin. Je le rassure de mon mieux. Nous partons de Dixmude mais pas moyen d’avoir le plus petit renseignement. La Grand’ rue est encombrée de troupes et de charrois. Enfin partis avec des biscuits au lieu de pain, nous allons dans les environs de Merchen. Ce qui m’étonne, c’est que le docteur évacue tout homme qui sait se plaindre un peu. J’ai envie de me reposer aussi mais je n’ai pas le courage de déserter de cette façon. Peut-être le regretterais-je comme disent ceux qui d’en vont, mais tant pis. Nous allons nous coucher dans une ferme et le lendemain nous avons des biscuits et du café à ne pas boire. Je crois que c’est l’eau, d’autres disent que c’est la fumée. Nous partons pour Steenstraate où nous devons fortifier le canal de l’Yperlée. Nous abattons des maisons, nous faisons des tranchées pendant que les dragons et les cuirassiers français défilent sans interruption. Le soir, je serre la main d’un officier que je n’avais pas reconnu comme tel en lui disant « Vive la France », « Vive la Belgique et ses héros » mes répond-t-il. C’est un de ses suivants qui me dit que c’était le capiston. Nous achevons les tranchées et le jour du départ, je perds mon porte-monnaie dans la grange où je dormais. Ce n’était pas pour l’argent, je n’en ai presque plus, mais c’est un souvenir pour les miens si en cas ?.Le patron à qui je conte l’affaire, vient avec une lampe et après une demi-heure de recherches, il m’amène joyeusement mon porte-monnaie. Je l’embrasse de bonheur. Il me fait boire une tasse de café et, après avoir rempli mes poches de petits ronds biscuits qu’un chien n’avalerait pas, je pars à la recherche de ma compagnie qui est partie pour Lampernisre. On repart après quelques heures de repos et nous allons bivouaquer dans les environs d’Oostkerke dans la pluie et presque sans paille. Je dois faire une demi-heure de chemin pour en trouver et encore, c’est du fumier. Nous partons le matin vers Pervijze et nous nous installons dans ce village et celui de Hamscapelle. Nous faisons des abris contre le vent et nous attendons les évènements. Devant nous, le chemin de fer où une machine blindée fait faire un cumulet en règle à une vache, nous cache une bonne partie du paysage. Cependant, nous savons voir les colonnes de fumées que provoque le bombardement intense que les boches dirigent sur nos positions. Nous en percevons un tonnerre ininterrompu et effroyable auquel s’ajoute


le roulement des caissons de munitions et des batteries qui, repérées, sont forcées de changer de position. La soif me fait boire l’eau d’un canal. Pas moyen de trouver de l’eau potable dans ce pays. Nous démarrons pour une alerte un jour au soir et nous allons coucher à Hamscapelle. A peine couché, après avoir mangé la rata d’une compagnie qui avait dû partir précipitamment, j’entends un sifflement et un shrapnel éclate à mes oreilles. Zut on bombarde ! Les plus froussards renoncent à rester dans le grenier. Un instant, je songe à descendre mais il me semble que les projectiles éclatent un peu plus loin, et bravement, j’envoie au diable et les boches et leurs obus. Je me couche et m’endors tranquillement. Le matin, de bonne heure, nous allons faire des tranchées puis nous les abandonnons pour revenir à nos abris. Le bruit court de remplacer la division qui est au feu. En effet, le soir, nous montons vers Ooststuiverskerke et nous passons la nuit dans un fossé que nous transformons en tranchée le matin. Nous avons, à 50m devant nous, des carabiniers qui eux aussi sont enterrés. Quelques balles sifflent, puis le calme renait. Mais bientôt, un sifflement pour nous avertir de l’arrivée d’une marmite puis violemment nous sommes arrosés de projectiles de grosse artillerie. Les carabiniers sont obligés de partir et de se réfugier dans notre tranchée. Nous avons déjà quelques pertes et la bataille s’engage seulement. Le bombardement cesse et nous allons chercher les havresacs abandonnés par les carabiniers. Nous passons la journée sans trop nous émouvoir mais après une nuit froide et désespérante de pluie et de longueur, nous avons à subir un bombardement en règle cette fois. Les carabiniers qui étaient restés fichent le camp et nous commençons à voir les boches s’avancer. Un feu de mousqueterie terrible part de nos tranchées et les allemands commencent à plier. Mais les cartouches s’épuisent et nous vidons les cartouchières des morts et des blessés, puis découragés, nous battons en retraite sous les ordres de l’adjudant car le lieutenant qui était si homme de guerre en temps de paix et au début de la guerre, parait avoir un de ces tracs épouvantables qui le fait coucher dans sa tranchée. J’observe, tout en tirant, que le fameux Michaux se fait le plus petit qu’il peut. Il a les yeux égarés cependant sa cartouchière est pleine encore. Je lui demande de charger mon fusil s’il ne peut pas viser comme il le dit, et, tout de même, sous mon regard méprisant, il se décide à m’aider. Tout à coup, un court sifflement me fait baisser un obus emporte le parapet qui était devant moi. Je me couche dans le trou et noir de poudre et de fumée, je me défends avec la dernière énergie. Je suis tout à fait seul avec mon clopeur qui me passe les fusils chargés. Tout à coup, je m’aperçois que mon sergent est parti avec le reste de la compagnie. Après un moment de stupeur, je charge mon fusil et j’envoie mes dernières


balles aux boches qui avancent par bonds. Puis je songe à rallier la compagnie, ou plutôt ce qu’il en reste car la tranchée est jonchée de cadavres. Sur mon passage, je vois deux types qui font comme moi. Je ne les ai pas reconnus et cependant, j’ai parlé avec eux. Nous arrivons au bout de la tranchée contre le canal et je vois les balles qu’une mitrailleuse boche envoie sur le pont ricocher sur le pavé. Je sais que je dois passer par là et le temps presse. Le premier des deux hommes qui étaient avec moi lève la tête pour s’élancer et retombe mort, la gorge trouée. Le suivant le fouille et dit, « je vais prendre ce qu’il a sur lui pour ses parents ». Il essaye alors de passer et s’élance, arrivé au milieu du pont, il tombe à son tour en criant : « je suis touché ». J’en reste comme deux ronds de frites car il est très possible qu’il m’en arrive autant. Mais une idée me vient. J’écoute le tir de la mitrailleuse et lorsque j’entends qu’elle cesse son tir, sans doute pour remplacer la bande de cartouches, je bondis et j’arrive, je ne sais comment à l’autre côté du pont. Sauvé me dis-je. Après avoir repris ma respiration, je cours en arrière mais le cœur me fend en voyant un blessé en train de mourir faute de soins. Je le pousse dans un fossé, puis, abandonnant mon sac, je le charge sur mon dos et en route pour le poste de secours. Tout à coup, je lui sens un frisson et je le décharge pour me reposer et malheur, je m’aperçois qu’il est mort. Ah, si mes yeux avaient été des canons, ce que les boches auraient pris en ce moment ! Je prends le sac de ce malheureux et en route, sans hâte, et je vois un groupe. C’était le major

Bozet du 3ème bataillon, dont mon chef qui était assez mal arrangé. J’aide à le transporter une cinquantaine de mètres puis on m’engueule et je file de côté, je trouve un autre malheureux, mais abandonné celui-là. Il avait une jambe fracturée. Avec le plus de douceur que je pu, je l’emportais au poste. Il me remercia d’un cœur qui disait si bien « où est mon sauveur » que je partis comme un fou. Je sors du poste de secours et je me trouve environné de chasseurs qui murmurent. La rage au cœur, je m’éloigne quand un plus franc que les autres me dit à brûle pour point : « c’ons des lâches, les grenadiers ». Il reçut un coup de poing en pleine figure qui l’envoya rouler dans le fossé. Lâches vous-même tas de braillards, pourquoi ne nous apportiez-vous pas des cartouches ? Un officier voulut me répondre mais le lieutenant Pirot s’interposa et me montra ma compagnie. Je compris l’ordre muet et je rejoignis celle-ci. Nous faisons l’inventaire de ce qui nous reste comme munitions, j’avais encore 2 cartouches sur mon fusil et c’est tout. Je n’ai pas encore revu notre lieutenant, c’est l’adjudant qui me gronde amicalement. Nous retournons dans Pervijze pour nous ravitailler puis l’adjudant me charge du rôle de délégué. Je m’en vais chez le comandant Binje, un brave celui-là, et la compagnie prend position au bout d’un canal d’irrigation. Mais je me souviens d’avoir faim et rien à manger. J’attrape une cigarette à Desmet, denrée tellement rare que j’en ai les larmes aux yeux en le remerciant. Je suis en bonne compagnie car le commandant nous demande de parler


femmes ! Je passe une nuit assez bonne sur du foin, et bien reposé, je reprends mon service à la compagnie, le délégué est revenu. D’ailleurs je n’ai pas de regrets car les autres délégués sont des sans cœur. Ils ont fait cuire une poule ou deux et j’ai pris son bras ou le

ventre. Je me fais un trou dans la tranchée et nous sommes assez tranquilles. On nous ravitaille la nuit, il est temps car depuis 12 jours, nous sommes avec nos pouces à sucer. La bataille recommence dès le matin et à côté de moi, un bleu écrit sa dernière lettre. Nous brûlons toutes nos cartouches encore une fois, puis on va demander au lieutenant ce qu’il faut faire, pas de réponse, j’y vais moi-même. Je l’aperçois couché au fond de son trou et il me répond, de la folie et une frousse épouvantable dans les yeux : « vous avez brulé tout déjà ! tirez votre plan ». « Mais mon lieutenant, dis-je, notre plan ne tuera pas les boches qui s’avancent en rang serrés ». Je le quittais et en retournant à la tranchée, j’apprends qu’il y a des milliers de cartouches au chemin de fer. J’y cours y déposer mon sac et mon fusil, puis, empoignant quatre trousses, je filais, baissé, les porter aux tireurs. Puis je retourne de nouveau. La troisième fois, j’étais prêt à sauter le fossé quand un homme me tombe sur le dos. Il était blessé et je commençais à hésiter entre le devoir de combattant et celui de bon camarade quand ceux qui restaient dans la tranchée se levèrent et filèrent comme des flèches en arrière. J’emportais mon blessé et j’allais le faire soigner près d’un docteur puis en route pour l’ambulance. En y arrivant, une auto où il manquait 2 hommes se sauve et le chauffeur accepte mon ami. Puis il me dit « monte », « pourquoi » répondis-je sans comprendre. Pour tirer ta carotte. Je courus me cacher et avaler un morceau de pain que j’ai eu à un ami rencontré par hasard. En attendant la nuit, je me cache dans un fossé et je vois de vieux territoriaux français qui s’avancent à la file indienne. Je les suis et je reste avec eux : ils avaient du tabac. Un peu après, je retrouve la compagnie ou les restes de ce qui fut une compagnie car nous ne sommes plus qu’une trentaine et nous n’avons plus d’officier. Nous prenons néanmoins notre courage à deux mains et un caporal me raconte la fuite de notre lieutenant. Il a battu en retraite puis, rassemblant quelques hommes qui ne l’avaient pas quitté, il leur dit qu’il était malade, le pauvre, il se fit faire des tartines par son ordonnance et avala un demi-pain. Je veux bien croire qu’il était dangereusement clopeur car, quand il eut bouffé tout, il donna cinq francs à un soldat pour aider son ordonnance à le conduire à l’ambulance. Ce récit m’est confirmé par les hommes qui étaient avec lui. Je ne cache pas mon dégoût. Comment ceux qui doivent nous montrer le chemin sont les premiers à nous abandonner et ce qui est pire, ils nous découragent avant de partir par leur imbécillité. Ils nous prennent pour des fous, pour des sans cervelle et ce sont là des officiers belges, qui, en temps de paix, nous montraient le service dans toutes ses rigueurs, ne manquant aucune occasion pour nous coller et nous apprendre à obéir à leurs ordres. Heureusement que nous avons du courage à leur revendre, du patriotisme et du cœur pour notre pauvre pays. Nous avons compris ce


qu’attend la patrie de nous. Honte à ces officiers de salon et de rue qui sont lâches devant l’ennemi ! Misérables sans cœur ! Le matin, nous voyons des boches qui avancent et nous commençons à les descendre, la mitrailleuse les achève. Aussitôt une fusée rouge s’élève dans leurs rangs et ils foutent le camp. Ils commencent à tirer comme des enragés et nous tuent pas mal de malheureux. On établit une garde et j’achève ma fonction en priant mon voisin de me remplacer. Il se lève et montre sa tête qui est trouée par une balle, il tombe sur moi sans que j’aie vu ce qu’il a tellement tout s’est passé vite. Je crois que j’ai été visé et que lui, en me succédant à la

m…….. a été touché à ma place. Un peu après, le bleu qui écrivait sa dernière lettre est tué d’une balle au front aussi. Il le sentait sans doute, car, dans sa lettre, il disait adieux à ses parents. Mais les teutons commencent à bombarder la ligne de chemin de fer. Que c’est terrible ! Il nous arrive un obus toutes les secondes. C’en est trop, je m’endors. Je suis réveillé par une fusillade. Vite, je me lève, les nôtres repoussent un assaut. En prenant le temps de viser mon homme, je tire huit coups de fusil et sans la présence d’esprit d’un français qui est à côté de moi, je suis embroché par un allemand qui est parvenu jusque sur la butte. Un coup de fusil l’étend raide mort sur le parapet. Le soir, nous allons en 2ème

ligne et nous allons, Lefèvre et moi, essayer de traire quelques vaches. Il en traîne tant que nous revenons avec 3 gamelles pleines de lait. Si nous avions du pain ! Nous parvenons à nous endormir, tout est assez calme et le matin, vers 9heure, Wins arrive avec du tabac anglais. Ce cher Georges, je l’ai embrassé. Enfin nous pouvons passer et Wins nous demande d’aller chercher des vivres avec lui. Il y a du café, du sucre, du pain et du pl….. à 1h de là. Nous partons, Devillers, Lefévre et moi et nous rentrons saufs, mais les sacs de pain ont été percés de balles. Vivement la distribution et sans attendre les remerciements, je mange presque tout. J’étais assis au fond du fossé quand une balle, traversant l’arbre contre lequel j’appuyais ma tête, vient se piquer dans mon majeur gauche. On en rit et le soir nous retournons en 1ère ligne. Tout est tranquille et on parle de nous remplacer. Nous partons à travers champs, nous traversons Avecapelle et nous arrivons à Ahuingbean. Vivement la grange et on roupille jusqu’au lendemain matin. Il paraît que nous avons une prise d’arme et nous sommes le jour de la Toussaint. Tout à coup, j’apprends que je suis proposé à être caporal. Cela ne me sourit pas fort, mais plus rien à faire. Nous allons dans le camp et je dois prendre mon escouade. Une fois le bataillon rassemblé, le commandant Binje nous lit les récompenses accordées pour bravoure et courage. J’entends mon nom. J’en reste baba.Je remercie l’adjudant qui part malade aussi. Lui au moins a été courageux, nous étions réellement ses enfants, il nous a soutenu par sa fermeté et nous a sauvés par son habilité de chef.


Après un jour de repos, nous retournons à la ligne. Le s boches sont tranquilles, nous creusons des tranchées et nous restons dedans. Nous avons du pain et du mauvais tabac mouille, mais qu’importe, tout va bien sauf un froid épouvantable. Nous nous rassemblons dans Oostkerke et il parait que les 2 régiments vont être fusionnés en 1 seul. On parle de 800 survivants en tout. En effet, il n’en reste pas beaucoup. Je passe à la 1/3 et nous partons nous reposer à Wuberingen. Là, je dois quitter les 2 amis qui me restent pour retrouver Walhain. Nous nous procurons des galons avec Wins et nous nous muons en gradés. Le séjour est bête et le jour où je monte de garde avec le drapeau est le dernier de notre repos. Nous retournons aux tranchées. Les volontaires arrivant, on forme ¼ où je passe avec le lieutenant Leclerq. Nous allons à Dixmude puis encore en repos à Wuberingen. Je me plais très bien avec Walhain. (Cependant mes meilleurs amis sont Wims et le sergent de la section…-barré-). J’ai quitté Wims et Devillers, je n’ai plus que lui comme ami. Nous retournons à Dixmude et enfin on nous remplace, nous allons à La Panne en repos pour 1 mois. On doit former un quatrième bataillon et je passe à 4/4 avec le commandant qui me place à la cuisine comme caporal. Je dois, d’après ses ordres, choisir mes cuisiniers et naturellement, Joseph est le premier choisi. J’ai retrouvé Lefèvre et Bastogne. Le commandant est malade et c’est le lieutenant David qui le remplace. Un drôle de corps qui ne me plait pas beaucoup. Un sergent fait les fonctions de fourrier et il ne l’a pas facile avec le lieutenant. Il nous arrive un fourrier qui ne fout rien, il me laisse tout sur le dos. Je

m…………. quand même. Un jour au soir, nous nous retrouvons à 6 Rochefortois dans la cave qui sert de chambre à coucher au personnel de la cuisine et nous attrapons une demi-cuite. J’ai vu François Saffer, Louis Englebert, Louis et Paul Verdin de Jemelle, Nihotte, Baty, Gaston Lambert est devenu un de mes meilleurs camarades. Nous partons pour Oostvleteren dans le secteur de Steenstraate. Entretemps, le fourrier Pavaert est arrivé à la Cie. Nous sommes installés chez d’assez bonnes gens à qui je confie ma montre car elle est détraquée et pas moyen de la faire réparer (ma montre est chez Aimé Perrin, cultivateur à Oostvleteren). La vie est assez joyeuse. Pas de tranchées. Nous avons un capitaine très sévère et un nouveau lieutenant très bon. Les boches, pendant que j’étais aux rênes sur la place du village, commencent à bombarder. Fuite éperdue des autos et des officiers payeurs accompagnés de leur suite.


Nous sommes très bien à la cuisine, les malheureux se plaignent horriblement du travail surhumain qu’on leur fait faire. Un jour après-midi, une canonnade épouvantable se fait entendre et l’ordre arrive que la Cie doit filer aussitôt, on craint une attaque. Les hommes sont partis et nous discutons, moi et le fourrier car nous ne nous entendons guère. Nous les ravitaillons comme d’habitude le matin et vers 8h, un homme vint nous annoncer que la moitié de la Cie est faite prisonnière. Ils sont dans les gaz asphyxiant. C’est horrible de voir les cadavres de boches qui sont sur le terrain. Beaucoup des nôtres y sont restés aussi. Le capitaine et le lieutenant sont faits prisonniers. Nous restons avec cet imbécile comme commandant. Il me soutient contre le fourrier cependant. Mais je ne les aime pas plus l’un que l’autre. Enfin on parle d’un repos et effectivement nous partons pour Braydunes. Nous avons un commandant, le lieutenant Dagois qui a été malade aussi sur l’Yser. Je le connais du temps de paix. C’est un voyou et il le prouve en me faisant refaire mon

v….. à l’ordonnance parce que le sous lieutenant David avait un protégé à mettre à ma place. Le prétexte est qu’il manquait quelques pains. Tas de vauriens. Je ne leur en veux pas trop, on tire tous son plan comme on peut. Seulement l’exercice est dur et une fois je tombe évanoui. Je reviens et je tire ma carotte en allant au rapport des malades. Nous partons enfin pour Dixmude où le secteur n’est pas de nature à nous rassurer. Je me plais très mal à la Cie, tout m’en veux. Mais zut, je m’en fiche. Je suis blessé et en traitement à Cabour Addinkerke. Nous sommes partis pour aller aux tranchées le 10 septembre et j’étais chef de section. Après avoir placé mes hommes, et m’être assuré que les sentinelles étaient bien à l’abri, je suis allé satisfaire un besoin. Malheureusement, le tonneau était occupé et je dus aller derrière la tranchée. Je finissais de reboutonner mon pantalon quand je sentis un choc dans ma jambe droite et sans savoir comment, je suis tombé. Je me suis relevé et j’ai essayé de m’en aller, mais alors j’ai vu que ma jambe était cassée. Je suis tombé de nouveau et je suis couru à quatre pattes dans la tranchée de combat. Mes hommes sont vite couru chercher docteur et chefs et je suis parti porté par 2 des hommes que j’avais soigné à Pervijze en 14. Ma blessure est assez douloureuse. On m’a radiographié et le docteur répond de ma jambe. Le major en passant la visite le 22 septembre me dit que j’étais décoré de la médaille militaire.


J’ai la jambe dans le plâtre. Le Roi arrive et vient me décorer. Il est très gentil, très bon. Je le remercie en bafouillant car je suis très ému. Joseph Assenmaker vient me voir de temps en temps. Nous sommes soignés aux petits oiseaux. Je regretterais vraiment Cabour. Me voici parti pour Rouen. Je passe une journée T…bris et j’en profite pour aller dire bonjour au docteur Pierard. Nous partons pour Rouen où nous arrivons le lendemain après diner. J’ai été péniblement surpris en voyant cet hôpital. J’y suis avant de partir pour Elboeuf St Aubin ou nous sommes logés dans une salle froide et nue en dessous d’une chapelle. J’ai attrapé un rhume épouvantable. Je regrette beaucoup Cabourg. Je suis changé de salle et il y a plus de 3 mois que je suis ici et sans doute j’ai déplu au commandant car, malgré que je boite assez fort, je ne peux pas partir pour Vernon. Je crois que je ne boiterai pas toute ma vie. Telle est mon odyssée jusqu’au jour de Pâques, 23 avril 1916. Je continuerai maintenant jour par jour, sincèrement, car s’est pour me justifier que je vais ceci, certain que je suis qu’après la guerre, je courrai des risques d’être calomnié. 24 avril – J’ai été me promener le long de la Seine. Je ne parviens à dissiper mon ennui. Le manger est quelque peu changé. Il est temps. Dire que nous avons été longuement nourris avec des haricots mal préparés. C’est honteux. A présent la nourriture, tout en étant mauvaise, est mangeable quand on a faim. Je n’ai pas assez de ma ration de pain pour déjeuner et je dois passer toute la journée sans. Aussi, je vais tenter de filer d’ici. Cela ne me sourit pas trop de retourner au front mais à la grâce de Dieu. 25 –Visite pour le Maire selon l’habitude. Le singe ne me regarde même pas. Il reçoit un cigare du général du service des routes pour la malpropreté du réfectoire et des latrines. 26 – Assisté a une revue donnée par quelques soldats belges. Très amusant. Je me passionne de plus en plus pour la musique. 27 – On m’a retiré un éclat du projectile qui m’a blessé. 28 – Visite pour le front. Après quelques hésitations, je suis ajourné. 29 – Je reçois des billets pour écrire à la maison. J’y écris. On parle de me payer ma décoration. J’écris au Colonel à cet effet. 30 – Quel beau temps et dire que pour toute distraction, j’ai le cinéma. A quand donc la paix ? J’apprends la sténo pour tuer le temps.


1er mai – Visite du colonel médecin de Vivrin principal pour les hôpitaux Anglo-belges. Le singe part en congé, que le diable l’emporte. 2 mai – Il parait que le singe ne peut pas partir. C’est surement la première fois que je lui souhaite quelque chose de bon. 3/4 - Toujours l’ennui le plus profond qui parvient à me donner un fort mal de tête. 5/6 – J’ai appris le prénom du singe. Il s’appelle Auguste, ses gestes et son maintien ne m’étonne plus, il est plus clown que le clownprinz lui-même. 7 – Visite pour Vernon. Le singe m’a visité à moitié puis il est passé sans rien dire, c’est enrageant. 8 – Enfin le clown est remplacé. Je suis curieux de voir l’autre. Il ne m’a pas trop mauvaise mine. Je reçois une pièce concernant ma décoration venant de mon régiment. 11 – Bien des bruits circulent. Pour et contre le nouveau commandant. Il a du remettre sa visite hier, mais aujourd’hui il l’a faite. Les blessés sont en général bien vus, mais il fait la chasse aux carottiers et malheur aux rhumatisants et autres. Il est assez gentil avec moi. Le colonel principal est revenu de nouveau. J’apprends que Melle Bovy est mariée, je la félicite par écrit. 12/13 – Rien de bien spécial. Je m’ennuie. 14 - La nurse et le cinéma sont mes distractions favorites. Un petit incident me rappelle Vernon : c’est un charmant « Comment allez-vous ? » qui m’est adressé par le docteur nos

at….. . 15 – Je reçois une palme pour ma médaille, mais le lieutenant gestionnaire me dit qu’il ne peut pas me payer la rémunération et il me rend la copie de la citation. 16/17 – Promenades sentimentales puis la journée se termine par une partie de piquet. Gris monotone. Je souhaite vivement le départ d’ici et j’ai bon espoir pour Vernon ou Le Havre. 18 – Mon espoir se réalise. Mrs Pierard a écrit à Melle de Nataipont qui me fait part de sa lettre me promettant de m’envoyer à Vernon au prochain départ. 19 – Si cette bonne nouvelle ne m’égayait pas, l’ennui reviendrait. 20- Nouvelle excellente. Je suis désigné officiellement pour le premier départ. Il est vrai que 6 seulement peuvent partir. Mais j’ai la promesse des docteurs.


21 – C’est dimanche, messe et cinéma où je m’ennuie moins que les autres fois. Il est vrai que s’est la dernière sans doute. 22 – Le départ n’est pas encore fixé, je l’attends avec grande impatience. 23 – Le docteur Petit me dit en passant la visite le matin : « vous partez jeudi ». Je pars jeudi, folles paroles. Tout à la joie, je chante. On parle d’une contre-visite par le commandant de Marneffe mais je n’ai pas de crainte. 24 – J’étais inscrit dans les 6 premiers, je pars demain matin. 25 – Que le temps me semble long, on sonne rassemblement pour la solde et je filais déjà en tenue. Enfin nous partons. Le train démarre de St Martin à 9h10. Nous changeons à Oissel où nous attendrons une demi-heure. Vernon. Grace à mon manque d’argent, j’abandonne le groupe ce qui me vaut un cigare en arrivant. Nous sommes ramassés en route par un camion auto qui nous escalade en haut de la montagne. Réception cordiale. On nous habille en kaki toile et on nous règlemente déjà. 26 – Je passe dans un bureau où l’on veut savoir ce que j’ai fait comme étude et l’on me désigne une classe. On m’invite à visiter l’école après la visite du médecin. Je le fais et je me ressens à essayer le métier de tourneur si je le peux. Si je ne peux pas, le prendrai la machine à écrire en attendant d’aller à Mortain. Je suis déclaré inapte par le docteur qui m’ordonne de la mécano et de la gymnastique. Je dois aller mardi au bureau pour mes décorations. 27 – Nous allons à la visite pédagogique. Le directeur, le major et un médecin discutent et je suis admis pour l’ajustage. 28 – Nous allons chez le directeur qui nous envoie faire signer un billet chez le chef d’atelier et chez les professeurs. Je suis les cours les plus hauts, la classe 5/III. Je commence à travailler mais je ne fiche pas grand-chose. 29 – Je dois fileter de grandes pointebiles de Paris pour friser dans les cannes. 30 – Le chef s’était trompé et au lieu de dégrossir, je dois laisser les pointes telle que. Je vais me renseigner à l’autre atelier. 31 – Je finis cette besogne et la lince. Je me plais très bien. Quelle différence avec l’hôpital d’Elboeuf. Ici la nourriture est saine et abondante. Rien ne nous manque que nos chers parents pour être heureux. Nous gagnons quelque argent. Tout nous plait. J’ai été


agréablement surpris car je ne croyais pas retrouver un institut me rappelant si bien les chères habitudes de la vie civile. 1er juin – Ascension. Nous avons une belle fête. « Les noces de Jeannette » sont très bien rendues. Très réussi. 2 – A l’ouvrage. Je fais des règles pour l’école de Mortain. 3 – Je continue à faire des règles. Je vais au cours de dessin. Je change de chambre et j’occupe à présent une chambrette où je suis seul. 4 – Je m’occupe à arranger ma chambrette. Cinéma le soir. 5 – J’achève mes règles et je vais au bain. 6 – Je travaille pour le front, je fais des fermetures de boites à mitrailles. Je touche 31 francs pour la m… . 7 – Je continue et j’achève la journée par un cours de dessin. 8/9/10 – Je m’amuse très bien à la besogne car elle me plait. 11 - Pentecôte. Je suis plancton à la boucherie. Je vais à messe et après-midi je vais m’acheter des pantoufles à Bonnières. 12 – Je vais à Vernon mais je rentre vite, je suis éreinté. 13- A l’ouvrage de tout cœur. 14/15/16/17 – Je me plais énormément. 19 – Belle petite fête où Ménard, le violoniste, se distingue. J’y apprends que les femmes ont toujours raison. Je commence à travailler pour l’institut : je fais des clefs. 20/21/22 – Je fais ou j’achève des boites à cartouches pour mitrailleuses. 23 – Je me décide à apprendre à tourner et après le départ du tourneur, je serais affecté au grand tour. 24 – Je m’amuse beaucoup ici. Tout me plait. Il est probable que lundi je commencerais à tourner car l’autre est parti. 25 – C’est dimanche. Je fais la grasse matinée. Après 6h du soir, belle petite fête réussie (Hamlet).


26 – Nous sommes en train de faire des boites à mitraille et je reste à l’ajustage pour aider à les finir. 27 – Après la journée ordinaire de travail, je vais au cinéma où je prends une décision : je dois faire une règle en acier pour Victor Fautré. 28 – Je commence cette règle, mais je n’ai pas le temps de la finir. Je dois aller au cours de dessin où je suis félicité par le directeur pédagogique. Décidément, il y a longtemps que je ne me suis amusé comme ici. La journée se commence et se finit en riant. 29/30 – Je termine cette règle et nous l’envoyons à Victor. 1er juillet – Je reçois l’ordre d’aller travailler ou apprendre à travailler au tour. 2 – Nous allons, mon et Gontran, un ajusteur, à Bonnières. Le soir, fête. 3 – Je m’installe au tour et je finis une règle plate pour Jules Lecouturier. 4 –Je m’initie aux rouages du tour. 5 – Je dégrossis une pièce. Le métier me plait. 6 – Je fais une pièce pour la plomberie, un engrenage réussi assez bien. 7 – Je cherche à bien comprendre. 8 – Vernon 9 – Je vais à la pèche et le soir, fête habituelle. 10/11/12 – Je travaille surtout de l’esprit comme un enragé. Je finis un arbre pour monter la machine scie. 13 – J’en fais un pour une meule émeri à la main, pas facile du tout mais j’arrive à le finir convenablement. 14 – Fête nationale française. Nous travaillons la matinée puis fête et cinéma. 15 – Travail et dessin. 16 – Ballades à Bonnières. 17/18/19 – Travail. Je suis au tour et je m’y plais. 20 – Veille de notre fête nationale. On commence à pavoiser avec entrain. Moi, je pense surtout à mes pauvres vieux parents.


21 – Remise des décorations aux mutilés. Diner à la salle des fêtes. Le soir demi-cuite mais sans pouvoir m’amuser. 22 – Je m’ennuie et je travaille pour me distraire. 23 – Ballade Bonnières, Bemecourt, Limetz, je passe la seine en cannot. 24/25/26/27 – La besogne me distrait et je suis heureux. 28/29 – Douce monotonie fiévreuse de travail. 30 – Ballade et fête. Il serait inutile de continuer à inscrire l’emploi de mon temps jour par jour car il peut se résumer en ceci : je me plais très bien et j’apprends le métier de tourneur de toutes les forces de mon intelligence. Je préfère faire de ce carnet un résumé de soi-disant secrets du métier que je surprends et que le chef d’atelier François Verbrugge me livre avec plaisir. Dates inoubliables : 29/07/1914 : Appel sous les armes. 3-4/08/1914 : Déclaration de guerre. 01/11/1914 : Nomination grade de caporal. 10/09/1914 : 1ère blessure. 12/09/1915 : décoration (citation à l’ordre du jour de l’armée et obtention de la médaille militaire de 2ème classe et croix de guerre). 16/01/1916 : Départ de l’hôpital de Cabour. 19/01/1916 : Entrée à l’hôpital Anglo-belges à St Aubain. 25/05/1916 : Départ de cet hôpital pour Port-Villez par Vernon (Eure) et MP 03/07/2016 : Apprentissage du tour. 16/12/1916 – ordre de mission à Rouen


9/02/1917 : Ordre de sortie



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.