Carnets de guerre 1914 1918 Jc bouteiller

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Victor RENSONNET

Est-ce vrai que je retourne ?

Carnets de guerre (01 août 1914 – 15 décembre 1918) 1


Avant-propos

Victor RENSONNET est né à ANDRIMONT le 13 octobre 1892. Il était le fils de Victor RENSONNET et d’Emerence DONEUX et avait 5 frères et 2 sœurs (Noël-Gustave, Edmond, Armand, Fernand, Raymond, Eva et Mariette). En 1925, il épousa Anna KREIT qui décéda en 1979. Marthe, Guy, Gustave, Mimie et Emmy sont leurs cinq enfants. Jean-Claude, Danielle, Yves - Dominique, Christine, Benoît - Victor, Georges - Bernard, Vincent, Luc, Renaud, Marie-Noëlle, Baudouin - Marie-Claire, Henri, Fabienne sont leurs dix-sept petits enfants qui n’auront jamais connu leur grand-père qui mourut à Alleur le 7 décembre 1940 meurtri par 4 années d’un épouvantable conflit mondial et anéanti face au retour de la barbarie allemande. Guy, l’un de ses enfants, a patiemment retranscrit les 3 carnets de guerre de son papa, carnets écrits de cette fine écriture toujours « élégante », parfois « acerbe » mais toujours « authentique » !1 En voici une nouvelle retranscription à laquelle sont ajoutés les dessins, documents et photos à l’endroit où Victor les avait lui-même « collés ». Merci à Benoît d’avoir bien voulu m’apporter ces carnets que son papa gardait précieusement ! Merci à Mimie, Emmy et Gustave de m’avoir encouragé à faire ce travail de mémoire. Moi, « l’aîné des 17 », espère de tout cœur la collaboration des 15 autres (car Yves nous a déjà quittés) pour nourrir, compléter, corriger, agrémenter de quelque manière que ce soit cette longue litanie des jours de guerre2 de notre grand-père Victor. Jean-Claude BOUTEILLER, 06 janvier 2014 1

La fragilité de ces trois reliques demande un soin particulier dans leur(s) manipulation(s). Des documents photographiques sont déjà devenus inutilisables. Les autres sont numérisés et retravaillés avant d’être intégrés à ce récit. Les textes non retranscrits par Guy sont numérisés et reproduits en l’état. Certains noms ou mots n’ont pu être déchiffrés avec exactitude et peuvent donc ne pas être recopiés ou l’être avec approximation. 2 Points communs évidents et propres à tous les écrits de ce type : descriptions répétitives de bombardements, de travaux, de marches, de repas plus ou moins frugaux, de repos, de permissions. S’agissant des appréciations portées à l’égard de la hiérarchie, elles correspondent à la norme qui veut que l’officier soit le plus souvent critiqué pour son incompétence, sa lâcheté, son sens déplacé de la fête ou son manque d’humanité. Présence d’évocations du recours à la religion, d’avis sur la situation politico-militaire générale et descriptions de tensions entre Flamands et Wallons (rôle joué par les aumôniers et les brancardiers). HEUSCHEN P., Les carnets et lettres de combattants de la Première Guerre mondiale : « Carnets de piottes » cité dans CONRAADS D. – NAHOE D., Sur les traces de 14-18 en Wallonie, IPW 2013, p.202

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« 29 juillet. J’arrive à 1 h. du matin à la caserne3. Le voyage s’est effectué très agréablement en compagnie de G. Géron, Jos Schumacher et quelques anciens. Un correspondant allemand nous accompagne jusque dans la gare et nous exprime l’espoir que la guerre n’éclatera pas. Je rencontre Marcel Dubois. Le Bn de Verviers rejoint le régiment à Liège. Je suis le 1er arrivé à la caserne. Je couche dans le lit d’un bleu qui est de garde. Je dors très bien et ne suis pas peu étonné d’être réveillé par le clairon. La mère a eu la bonne idée de me mettre dans mes poches deux […] tartines avec […]. Je les mange pour déjeuner. Vers 11 heures les anciens s’amènent. Quelle joie de revoir ses vieux copains. Les interrogations n’attendent même pas les réponses. Hé, voilà l’ […]. Es-tu marié, Que fais-tu. Le soir, nous couchons dans les lits des bleus. 30 juillet. Les classes des années paires forment le 26. Déménagement. Le 26 va cantonner dans des écoles et cinémas de Berchem. Dans notre école, des artistes font des caricatures au tableau. Je reçois deux lettres de la maison. On est consigné mais l’après-midi le commandant nous permet de rester sur le trottoir. De belles demoiselles nous font de doux yeux. Du moins nous le croyons. 31 juillet. Théories. On s’embête déjà. Vive le retour. Il paraît que la situation est grave ».

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Service militaire effectué à partir du 01 octobre 1912. Le carnet de mobilisation ne précise pas la durée de ce service. Victor Rensonnet rejoint l’armée le 29 juillet 1914 à la caserne Saint Laurent à Liège. Le 04 août, il est à Anvers.

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Août 1914 01 La situation est grave. Pourtant, on ne croit pas encore à la guerre. Je rencontre le lieutenant Monfront qui me dit : « L’Autriche, en attaquant la Serbie, a joué le rôle de l’homme frappant un enfant. Nous devons attendre un acte aussi lâche de l’Allemagne ». 02 Ultimatum 03 Déclaration de guerre. Cantonnement à Berchem. 1ère lettre de chez nous. 04 Entrée en campagne. Nous quittons Anvers, musique en tête, acclamés par la foule. Bien des mères, pères, femmes, frères, sœurs, amies essuient furtivement une larme tout en souriant car ils veulent tous être courageux. Les soldats ont confiance et c’est le sourire aux lèvres que nous nous dirigeons vers Putte. 35 km pour notre 1ère marche, c’est beaucoup. 05 Marche sur Pellenberg. La population en enthousiasme. On nous distribue de tout. Très fatigué. 06 Au soir, nous allons cantonner à Wilsele. 07 Départ pour Kessel-Lo. 08 J’ai la visite de Monsieur Forêt et son fils. Quelle joie j’éprouve à revoir le père et le frère de mon meilleur ami. Sans nouvelles de chez nous, je ne savais que penser des miens sous les allemands qui commettaient des atrocités. Cet homme me parla si affectueusement que j’oubliai mes soucis. Jamais je n’oublierai cette visite ; je n’avais pas pleuré en quittant ma famille mais lorsqu’au moment de partir ce brave ami m’embrassa, malgré moi, je « pleurai pour la 1ère fois ». 10 Départ pour le N. de Louvain. Nous gardons les passages du canal (Louvain-Malines) 11 A 18 H nous partons à Tildonk. Faut-il encore dire que nous sommes fatigués. Nous profitons du repos pour nous laver les pieds dans l’eau du canal. Arrivés le soir à Tildonk. 12 Nous cantonnons au couvent de Tildonk. Les sœurs nous réservent un accueil des plus chaleureux. On nous distribue des médailles. 13 Marche sur Aarschot. Nous couchons à la belle étoile. De garde dans un bois, les paysans nous apportent à souper. 14 La division organise une position défensive en avant d’Aarschot. 15-16-17 Occupation des tranchées. Le 17 au soir nos positions ayant été découvertes, nous partons pour Winghe-Saint-Georges. 18 On signale 1500 cavaliers ennemis en marche sur Aarschot. Le III BN du 26ème est envoyé sur Aarschot pour y renforcer le 6ème Rt. La Cie fournit une escouade à […] pour garder le N 5


et NE de Rhode-Saint-Pierre. A 14 H la 2ème D.A. reçoit l’ordre de se porter en avant pour renforcer la 1ère D.A. Arrivés à Binkom à 19 H 1/2 on installe le bivouac. A 23 H 1/2 retraite générale stratégique de la 2ème D.A. Itinéraire Binkom-Lubbeek-Kessel Lo-RotselaarWerchter. Arrivée à 8 H ½. La fatigue est grande. Plusieurs ont déjà dû abandonner leur sac. 19 Repos jusqu’à 11 H. A 11 H ½ placement des postes avancés et occupation des positions défensives en avant de Werchter. A 12 H ½ ouverture du feu par un duel d’artillerie. A 13 H ½ retraite stratégique générale à l’ouest de la Dyle vers Haacht-Keerbergen-Rijmenam Bonheiden et arrivée à 20 H ½ - Bivouac. Nous voyons les premiers blessés. 20 A 4 heures reprise de la marche par Wavre N-D, Koningshooikt puis Lierre. Nous sommes brisés par la fatigue. Arrivés à Lierre à 9 H ½. Les gens nous distribuent de tout. 21 A 7 H ½ départ pour Lispe et […] 23 La Cie continue les travaux de défense du secteur III. On ne cesse de nous dire que la ville d’Anvers est imprenable.

24 Départ pour Lierre 25 A 3 H ½ départ de 2 DA pour Wespelaar Tildonk, le flanc droit de l’adversaire. A 17 H ½ ouverture du feu à l’Est de Wezemaal. Il fait déjà noir. Les Allemands ont suivant leur coutume allumé des incendies. Ma section est en avant et s’arrête sur la lisière du village face à l’ennemi. Heureux d’avoir enfin quelques minutes de repos, je prends vite une tartine mais je l’ai à peine mise en bouche que des prunes nous arrivent de derrière. On se jette dans le fossé surpris d’une attaque venant de notre côté. « A la maison » nous crie le sergent qui devine que les boches ont mis en état de défense la maison en construction qui se trouve de l’autre côté de la route. Pour détruire ces oiseaux nuisibles, nous brûlons le nid. Pas un de nous n’est blessé. Les Allemands avaient la frousse dans la maison ou sont de mauvais tireurs. Capture de chevaux. L’arme au pied nous passons la nuit dans les champs.

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26 3 heures. A peine avons-nous fini de prendre notre café qu’une mitrailleuse nous rappelle la présence des Boches. Nous nous déployons prudemment dans un fossé. On fume un cigare pour 7 hommes. Toute l’avant-midi sous le feu des canons mitrailleurs, fusils, nous maintenons notre position. Deux fois nous faisons l’assaut de deux mitrailleuses. Nous avons des morts et des blessés. A 11 H ½ nous recevons l’ordre de battre en retraite protégés par un Bn du 7ème de ligne. J’aide au transport d’un blessé. A 17 H nous arrivons à Keerbergen. Pour la 1ère fois nous avons vu couler le sang. Deberg est tué.4 27 A 7 H, départ pour Lierre. 30 Nous cantonnons à Broechem et participons au service dans l’intervalle n° 2 31 De piquet. Le tabac a surtout manqué aux hommes ces jours-ci. Certains ont fumé à 7 la même cigarette et encore, une cigarette faite avec des bouts trouvés. Pour ma part, j’ai toujours eu du tabac. Il est vrai que je ne fume qu’une pipe ou deux par jour.

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DEBERG, Simon Jean Nicolas, né à Thimister le 24/11/1893, décédé à Haacht le 26/08/1914. Son nom figure sur le monument aux morts de Jalhay, route de la Fagne (d’après BEL-MEMORIAL).

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Septembre 1914 01 De garde aux tranchées. On travaille fiévreusement. 02 Repos. On va à la boum. 03 Départ pour Melsele en passant par Anvers. Cantonnement à Wilrijk. Contrordre, cantonnement d’école. 06 Départ pour Emblehem. Je vais toucher arg. 09 Départ pour Lierre où nous prenons le train à 8 H pour Heist-Op-Den-Berg. De là, nous nous dirigeons sur Rotselaar. Le canon tonne. En route on nous dit qu’Aarschot est repris par le 7 de L. Nous logerons à Rotselaar dans un bivouac allemand. Partout où nous passons les Boches ont marqué leur passage par des incendies. 10 5 heures. Notre régiment reçoit l’ordre de reprendre le village de Wijgmaal. La Cie forme la réserve protégeant l’artillerie. 12 H, nous sommes aux premières maisons du village et nous avançons toujours. Nous avons pris position dans un château quand ordre nous est donné de se replier sur le gros. Nous n’y comprenons rien et c’est à regret que section par section nous revenons en arrière. Nous devons repasser la Dyle mais le pont par où nous sommes passés est battu par l’artillerie ennemie. Trois hommes sont envoyés en avant pour trouver un passage mais reviennent bredouille. Nous essayons de jeter une passerelle mais le courant emporte nos matériaux. Les hommes s’énervent. La situation est critique. Des off. qui se trouvent sur la rive opposée et qui veulent éviter une débandade nous crient que les Allemands sont en retraite serrés par le 5ème. Il faut remarcher en avant. Notre Commandant est pâle mais d’une voix ferme, il réunit la Cie en ligne de peloton. A peine sommes-nous en place que les Allemands qui ont eu le temps de contourner le village nous assaillent de la gauche. La position est intenable. Il faut battre en retraite et passer la rivière à la nage. Pendant que quelques hommes tirent encore, nous rampons vers la Dyle et sous les balles ennemies nous passons l’eau. Plusieurs d’entre nous blessés sur la rive se noient sous nos yeux. Je perds mon meilleur ami Joseph Schumacher. Protégés par les mitrailleuses, nous nous retirons sur Baal. Brisé de fatigue, je monte dans un fenil et bien que tout trempé, je m’endors immédiatement. Ce nouvel insuccès décourage les hommes. 11 Le foin a séché mes habits. Notre […] position d’expectative. Le soir, elle forme soutien d’artillerie. 12 En réserve. Nous nous dirigeons de nouveau sur Wezemaal. Nous devons reprendre les canons abandonnés la veille nous a dit le Général. 11 heures, nous approchons de la ligne. Les blessés sont nombreux. L’ennemi nous serre et le P ne peut soutenir le choc. Le Colonel donne ordre de renforcer à gauche. Nous nous déployons. Plein de courage, baïonnette au canon, nous nous élançons dans la plaine. Les balles et shrapnells sifflent. Avec Emile, 8


j’arrive à quelques centaines de mètres des Allemands. Nous sommes encore une vingtaine à la 1ère ligne. Il faut partir. Nous rampons vers une petite maison. Un brave officier qui, avec nous, conduit la petite colonne. Les Allemands ayant reçu de grands renforts, notre division doit se replier sur Anvers. Sous une pluie battante nous marchons sur Heist-Op-Den-Berg où nous arrivons vers 23 H. Pas de logement. Nous réveillons des bourgeois qui, bien à contre cœur, nous hébergent. En chemin, nous avions trouvé un sac de café. La femme nous en prépare une bonne tasse. Nous nous endormons sur les chaises. 13 Marche sur Bikschote et retour sur Bevel. Les hommes murmurent. 15-16-17-18 Cantonnement à Bevel. 19 Cantonnement à Broechem 24 au 2 Nous occupons toujours des tranchées abri. Jours et nuits, nous y restons terrés car les obus tombent partout. Aalors que le canon ne cesse de tonner, que les obus se succèdent, nous pouvons croire au siège d’Anvers qu’on nous a tant de fois dit imprenable. Quelques hommes sont comme fous. Les autres sont résignés et attendent courageusement la mort. On ne pense pas à la retraite. Notre commandant Ogg ne cesse de nous encourager. Nous l’aimons car c’est un soldat qui a déjà prouvé son courage et son attachement. Anvers qu’on disait imprenable voit, après 8 jours de siège, sa 1ère ligne de défense tomber. Est-ce manque d’hommes ou trahison ? Churchill a bien dit : « Les alliés ont Anvers et ne le lâcheront pas ». Mais restent les Anglais. L’armée belge a vu ses meilleurs soldats tombés à Liège, Haecht, Louvain. Confiance dans la venue de renforts étrangers mais rien.

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Octobre 1914 02 9 H le Commandant nous dit que nous allons renforcer le 6 Rgt. La vérité est que nous quittons la 1ère ligne de défense. Nous allons en repos à Hove. Notre Cie n’a qu’un homme légèrement blessé à la 1ère ligne. 03 Des renforts anglais nous arrivent ainsi que des canons de gros calibre. 04 Nous nous avançons sur Lierre-Berlaar. 05 Deux, trois shrapnells. On nous annonce que les Anglais ont repris Lierre. Partout des trous d’obus, des caissons brisés, des maisons en ruine. Nous nous apprêtons à passer la nuit dans une rigole quand les Anglais nous relèvent et nous partons pour Vremde. 06 Départ pour Wijnegem, 2ème ligne de défense. Nous occupons les tranchées entre les forts I et II. Je mange une poule arrosée d’un bon verre de vin. 07 Du vin à volonté. Les bruits les plus pessimistes circulent. 08 Nos off. sont malades. On dit qu’Anvers va tomber, qu’il faudra se sauver en Hollande. A 18 H conduit par un officier [artill. de fort.] (notre commandant Antoine est parti sans nous, le lâche). Nous nous dirigeons sur Anvers ; nous passons l’Escaut puis à marche forcée sur Zelzate. 09 On n’est pas fatigués mais morts. On avance comme mus par un ressort. Exténués, n’en pouvant plus, nous arrivons à 23 H à Zelzate. En chemin, les Allemands ont essayé de couper notre retraite en bombardant Moerbeke. Je couche dans une grange. 10 Départ pour Eeklo où nous arrivons à 18 H. Nous y faisons des provisions. 11 Nous prenons le train pour Furnes. Nous devrions aller sur Ostende et de là, en France ou en Angleterre mais un contrordre est arrivé. 12 Cantonnement à Bulskamp. 15 Nous nous dirigeons sur Nieuport. A Wulpen, on réunit le 6 et le 26 BN. Beaucoup de monde et des gardes civiques arrivent de Gand et d’Ostende et se dirigent sur Dunkerque. De garde.

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Bataille de l’Yser 16 octobre Jusque 16 H nous couchons dans un bois. Nous n’avons pas reçu de vivres. Heureusement nous découvrons un wagon plein de pains et confiture anglais. Le soir, de garde à la mer. On boit du vin à volonté. 19 Nous fusillons deux qui ont abandonné leurs postes. Quelle journée !.... 20 Arrivée de l’artillerie française. Le soir départ pour Wulpen. Nous logeons dans l’église. 21 Nous formons tête de pont. Nous passons la nuit dans les tranchées. Heureusement nous avons reçu des couvertures. 22 Notre régiment doit s’avancer jusqu’à la ligne de ch. de f. Ramskapelle. 16 H nous devons renforcer un Bn du 5ème. Le village est bombardé. Nous assistons à l’agonie de l’église. 23 Retraite non motivée du 5ème G. Geron est blessé. A 14 H nous reprenons position au ch. de fer. On prépare l’inondation. 24 A 18 H nous venons défendre une barricade en avant de Ramskapelle. La nuit, fausse alerte. 25 Abrités dans une écurie, nous sommes obligés de fuir derrière des meules de foin. Les Allemands bombardent. Le soir, les Boches attaquent (Populaire. Il faut mourir pour la patrie 12


– retournez à votre travail). Nous sommes relevés par le 7ème. Repos à Wulpen. Nous emportons un cochon tué par un éclat d’obus. Nous avons trois blessés et un tué. 29 Bataille de Ramskapelle. A 6H le 5ème bat. en retraite et les Allemands parviennent à occuper le village. Nous devons renforcer, le village devant être repris coûte que coûte. Sous une pluie de fer, nous avançons. A 12 H arrivée des troupes françaises et sénégalaises. Après 3 assauts, le village est repris. 30 L’inondation force les Boches à reculer. En réserve la nuit à Wulpen. 31 repos

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Novembre 1914 01 Départ pour La Panne. Cantonnement dans l’école des Sœurs. Nous manquons de tout. Les boutiques sont prises d’assaut (Communier). 04 Départ pour Nieuport-bains où nous occupons les tranchées le long du canal. Nous recevons du cognac. 06 Relevés par le 7 nous nous dirigeons sur Oostduinkerke. Nous logeons à l’église. 07 Départ pour La Panne. 11 Réveil à 3 h ½ pour […]. A 18 h départ pour Wulveringem. 14 Nous allons faire des tranchées à Alveringem. 16 Nous présentons les armes pour le Roi qui passe à pied avec son aide de camp. A 15 H départ pour Adinkerke. Route boueuse. 17 Notre Bn part pour La Panne. 18 Tombée de la 1ère neige. Tranchées à Furnes. Il fait très froid. Lettre de la maison. 23 De garde à la mer. Le soir concert. 24 Départ pour Ramskapelle. 25 En 1ère ligne 26 Capture de vaches. Emile touche une prime de 5 frs. 30 Reçu 25 frs de M D.D. Ancion rue de l’Hospice 97 à Calais.

Décembre 1914 01 Aux tranchées à Ramskapelle. Les Boches bombardent le village. Le soir, retour à Wulpen en automobile. 02 Cantonnement à Wulpen. Aujourd’hui […] 03 Distribution de beurre. 06 St Nicolas. Le prince russe Lu[…] nous rend visite aux tranchées. Il distribue du tabac.

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08 Retour à La Panne. Le soir délégué auprès du Commandant. Je couche dans un lit. La 1ère fois depuis que je suis en campagne. 09 Nous logeons dans une villa meublée. Il y a même un piano. Le soir concert. Incident à propos de morceaux de mauvais goût. 10 De garde à Coxijde. Nous passons devant la villa allemande découverte par le Commandant Fastré. Elle était construite en béton armé et pouvait recevoir des canons de gros calibre pour bombarder Dunkerque. Je couche dans un lit. 11 Retour à La Panne. 15 Départ à 7 H pour Nieuport. Notre Cie doit former réserve des troupes françaises qui attaquent Lombardsijde. Nous attendons le soir pour aller occuper nos tranchées en avant des ponts de l’Yser. A 18 H un par un, obligés de nous cacher à chaque instant pour les fusées lumineuses, nous arrivons à nos tranchées couvrantes mais dont le fond est humide. Toute la nuit, fusillade et crépitement des mitrailleuses. 16 Malgré le peu de confortable des tranchées, j’ai bien dormi. Depuis le matin, les Allemands dirigent leur feu sur nos batteries qui se trouvent derrière nous. 10 H obus et shrapnells qui se succèdent plus rapidement puis tombent en véritable rafale. Tapis contre le parapet, nous nous attendons à voir tomber un obus dans la tranchée. Les Boches balaient le terrain. Nous nous serrons l’un contre l’autre. Emile et moi, nous prions ; les trois autres qui sont dans la tranchée ne soufflent mot. Un craquement, des cris, des gémissements : un obus est tombé dans la tranchée d’à côté. Notre sergent affolé arrive et nous crie : « Sauvez-vous, la moitié des hommes sont tués ». « Le Commandant ?» demandons-nous. « Tué » répond-il et il se sauve. La pluie de fer continue. Faut-il partir ? Devons-nous rester dans la tranchée ? Restons, dit Hougardy. « Notre chemin de retraite est bombardé. Sortir maintenant est courir à la mort. Attendons la nuit ». Emile veut partir. Moi, je ne sais que faire. Nous restons à 6 dans la tranchée. La journée paraît plus longue que les autres. Nous entendons gémir les blessés mais il nous est tout-à-fait impossible de leur porter secours. 16 H la nuit tombe et le bombardement cesse. Nous sortons de la tranchée. A 10 m de nous les tranchées ont été retournées. Nous en retirons notre lieutenant à moitié enseveli. Le Commandant et l’adjudant sont tués. Nous transportons notre blessé à l’ambulance. Pour la nuit, nous nous installons dans une petite maison de Nieuport où, couchés sur des ressorts, nous oublions bientôt la guerre. 17 Nous passons la journée dans la même maison, magnifiquement installés. Nous nous préparons un bon petit diner pour nous refaire des émotions de la veille. Nous voyons défiler une quarantaine de prisonniers allemands. 18 Retour à La Panne. 19 Vaccination et repos. 20 Dimanche. Communion. Promenade à la plage. Il fait un temps admirable. On se croirait au printemps. 15


21 Vigie à l’hôtel Terling à Coxijde. Je couche dans un lit. 22 J’écris la lettre de nouvel an chez nous. Départ pour Wulveringem. Nos jambes se font vieilles, aussi les 14 km nous tombent-ils plus durs qu’à l’ordinaire. Hector rejoint la Cie. 23 Nous logeons chez le bourgmestre du village. 24 Distribution de chocolat. Je retrouve quatre amis du collège. 25 Noël. Communion – messe en musique. Nous recevons chocolat, fromage et confiture. 26 On nous donne du tabac et du linge. J’ai l’occasion de lire Les lettres de mon Moulin par Alphonse Daudet. 30 Reçois nouvelles de Joseph Scheen et j’écris chez nous. Nous passons nos soirées dans une étable à vaches à quatre amis. Il y fait meilleur qu’au fenil. Là- haut, nous avons construit un véritable village sénégalais. Pour nous préserver du vent et de la neige qui passe à travers les joints des tuiles, nous avons fait de petites cabanes au moyen de branches et de paille. Le soir quand les bougies sont allumées on croirait se trouver devant des crèches où les soldats remplacent le Petit jésus et St Joseph. 31 Confession. Assiste au salut. Les soldats sont joyeux. On chante dans le fenil. A 23 H ½ on rapporte l’ami Louis qui souffre terriblement de coliques – Minuit. Quelques coups de canon et fusils et la terrible année 1914 est passée.

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Janvier 1915 01 Bonne année à tous. Service de dimanche. Messe en musique à 11 heures. Pas de sermon. Il est triste de voir que pas un aumônier n’est là pour souhaiter la bonne année aux chrétiens. Pénible aussi de constater que beaucoup d’officiers supérieurs viennent à la messe militaire pour la musique et non pour prier. Que ces Mrs. demandent des concerts sur les places publiques mais non dans les églises. Vive Pie X qui n’en voulait plus. On nous distribue une bouteille de vin et deux boules de savon. Le soir, réunion des Wallons. Le vin aidant, nous passons une heure très agréablement. Chacun se pose la même question : que font nos parents ? 02 Distribution de cigarettes et beurre. 03 Dimanche : messe en musique. Sermon par un aumônier qui n’est, certes, pas un élève de Bossuet. 08 Depuis le 11 novembre, je fais la guerre en pantoufles (pas de souliers). Elles sont usées et parce que je ne veux pas marcher pieds nus, le lieutenant est de mauvaise humeur. 17


L’armée !...Il vaut mieux se taire. Devant passer au IV Bn, on m’annonce que je suis délégué au major. Que ne m’avait-on annoncé la fin de la guerre. 09 Je passe à IV/I. Après 15 mois de service, 5 mois de guerre, quitter sa compagnie, les amis, un camarade qui fut pour moi un frère… On est soldat, c’est la guerre. Quand on réclame… « Taisez-vous, soldat… » 10 Toute la journée, j’ai couru de droite à gauche. Toute la matinée, les canons tirent sur des avions ennemis. Le soir, la ferme que j’ai quittée hier brûle. 11 Enfin, je reçois une paire de bottes. Je trouve une lettre de Laplanche adressée à S. Deberg. 12 7H55 départ pour Lo. Le village a reçu quelques obus il y a trois semaines. Quoique les gens s’attendent à en recevoir chaque jour, ils restent à leur poste. J’achète un chapelet dans un magasin dont les vitres sont brisées. Une demoiselle de 18 ans y reste seule. C’est une courageuse. Nous logeons chez l’échevin. Nous y sommes reçus on ne peut plus mal. La Cie travaille aux tranchées toute la nuit. Heureusement, comme délégué, je reste au village. 13 De piquet. Les carreaux tremblent tant la canonnade est intense. Notre Joffre a défendu aux soldats de penser encore aux crapaudes mais dans ce patelin, chaque chaumière abrite une fille ou deux. Elles sont très aimables mais pas belles. De trop grands yeux dans une trop grosse tête et puis un corps. Nous passons la journée dans une cuisine. Dans l’autre place, une jeune fille, jupe bleue, tablier ligné, ruban noir dans les cheveux suit attentivement l’aiguille qui pique la chemisette à confectionner. Un bruit, elle relève la tête, jette un regard par la fenêtre puis aussitôt, voulant regagner le temps perdu, elle pédale plus vite, toujours plus vite. J’ai voulu entrer. Je croyais la voir mais ne ce n’était pas Bois-Cornu. 14 17H30 départ pour Lo. Nous logeons à l’hôtel du Pélican. 16 Le Roi, accompagné de notre colonel, passe dans les cantonnements à Lo. On s’attend si peu à sa présence que beaucoup ne le reconnaissent pas et ne le saluent pas. 17 Nous allons occuper des tranchées à l’Yser. Il y fait très sale. Les allemands tirent 2 shrapnells sur un homme. Notre artillerie craignant d’être repérée n’ose tirer sur 60 ennemis occupés à faire des tranchées. Soldats, ne jugeons pas. 20 Retour à Lo. Nous nous préparons une omelette en règle, coût 0,75. Trois jours de tranchées, 3 jours de repos, 3 jours de piquet, 3 jours de repos. Pendant le piquet, les hommes travaillent toute la nuit. L’égoïsme des chefs et des paysans aisés de ce pays découragent les hommes. Chez l’échevin Hendrick à Kousseboom, on nous vend du petit lait pour du lait frais. 26 On parle de grandes victoires russes et anglaises.

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Février 1915 01 Repos à Lo 07 Dimanche. Pour la 1ère fois, j’assiste à une messe dans une ferme à Kousseboom. Ste Ap. fricassée et petit concert. 15 Les bleus de 14 arrivent à Lo. On parle beaucoup de l’arrivée des anglais. 17 Mercredi des Cendres. En discussion avec les autres parce que je ne mange pas de viande. Le soir, délégué au poste de combat du colonel à Nieuwkapelle. 18 Jeudi. Jour du blocus des eaux par les allemands. 19 Retour à Lo. Les bleus sont à la Cie. Ils sont très courageux. La guerre va seulement commencer, nous disent les journaux. Pourtant nous sommes bien fatigués. 7 mois de guerre dont 4 en hiver brisent un homme. Il est regrettable de constater l’état de malpropreté des cantonnements. La paille est vieille de plusieurs mois. Il y pue et les hommes sont pleins de vermine. Les hommes sont-ils moins disciplinés ou la consigne est-elle plus sévère mais on est presque porté à croire que tout le monde doit passer c. de guerre tant le nombre de prévenus est grand. Après 7 mois de guerre, notre général trouve que ce n’est pas extraordinaire de travailler pendant 72 heures. J’entends dire. Il faut tomber à l’ennemi, crever de froid et de fatigue ou aller en prison. Quant à moi, je les comprends mais je suis belge. Je dois et veux faire mon devoir jusqu’au bout, quelles que soient les difficultés, les conditions dans lesquelles je me trouverai. Je resterai Belge et l’on peut compter sur moi. Pourtant, je suis pour le ménagement de notre armée qui a déjà tant fait. 20 J’écris au ministre pour de l’argent. 21 Vocabulaire de notre major : « Tas de chameaux. Foutez-lui le fusil sur la g… Couchezvous sur votre panse comme des vaches que vous êtes. Etes-vous encore dans votre bac à merde, à puces ? Voyous, si vous ne voulez pas marcher, crevez » (Inutile d’insister…) 22 Revue des bleus par le général. C’est fête à Lo. Départ pour les tranchées. Lorsque notre division vint prendre la défense de l’Yser, les troupes de relève devaient, pour arriver à leur emplacement, traverser les champs sur un parcours de plusieurs km. Par ces pluies, les prairies et les terres labourées formaient un véritable marécage où les hommes s’enfonçaient jusqu’à la cheville. Tout d’abord le génie fit un chemin de fascines, fagots de 3m de long. Ce système ne réussit pas. L’entretien était trop difficile, les hommes devant sauter de fagot en fagot se fatiguaient trop et tombaient souvent. Aujourd’hui on peut venir aux tranchées les pieds propres par un chemin de colonne de 1m de large en planches. Grandes claies dont les lattes sont de grosses planches reliées par des gites reposant sur les fascines.

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23 L’ennemi bombarde assez violemment les tranchées sur notre gauche. Notre major s’étonne que la France nous fournisse du charbon. Il ignorait qu’il y eut des charbonnages dans le Pas de Calais. Il est fort en géographie ! 24 Des amis reviennent de Calais. Inouï le nombre de carottiers qui sont dans cette ville. Le soir, nous écoutons siffler un merle. 25 Quand nous nous éveillons, le sol est couvert de neige. Fin février, commencement de l’hiver. On attend avec impatience les nouvelles du front russe. On se demande anxieusement si la retraite sera encore suivie d’une victoire et si Varsovie résistera. Je vais voir avec un ami un obus 21 tombé à 800m de nos tranchées et qui n’a pas éclaté. Retour à Lo en voiture (toujours les riches). 26 Journée magnifique. Des avions ennemis survolent Lo. 28 Le 7ème mois est passé et rien n’annonce la fin des hostilités. De meilleures nouvelles nous arrivent de Russie. Je suis à sec. Il est plus que temps que le citoyen Segers m’envoie du plomb. Même mon encrier, lui qui a servi à écrire ce petit carnet, est vide. Chez moi, c’est un peu l’Allemagne. Le blocus que la guerre a fait à ma bourse a parfaitement réussit.

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Mars 1915

01 « Comme môs trouve ses potê il l’est lê ». Nous jouissons d’une journée magnifique. Assez bien de vent mais pas de pluie. Espérons que le printemps nous sera aussi propice que l’hiver. 02 Les recrues nous accompagnent au piquet. Cette nuit, les Boches ont bombardé le terrain en arrière de la digue. Nos bleus ont donc reçu le baptême du feu et du sang. La vermine devient une véritable plaie. Tous les hommes en souffrent. On a installé des voitures où on peut prendre un bain mais ce sont surtout les cantonnements qui laissent à désirer. Emile vient me voir et m’apporte une lettre de Gustave du 30.1.15. Les trois jours de piquet se passent agréablement. Le soir nous allons à la ferme I à quelque mille mètres de l’Yser. Nous passons une heure à causer avec ses paysans qui restent dans leur maison malgré les obus qui ont déjà démoli une partie de la grange. La nuit, nous couchons dans la cuisine sur une bonne couche de paille. Le matin, vers 41/2 on retourne à Kousseboom. Promenade qui donne de l’appétit pour le déjeuner. En chemin, toujours dans le même petit café on allait prendre un cognac à 15 cts. De temps en temps, on attrapait bien quelques shrapnells mais on y est habitué. 03 Retour à Lo. Le fils du successeur de Marquet à Ostende me donne une idée des jeux ; comment des voleurs internationaux ruinent les malheureux joueurs. 04 On dit que les Boches ont bombardé les tranchées d’avant-poste. Il y a un mort et des blessés. 06 Léopold Léonard m’écrit. Il faut châtier les crimes commis en Belgique mais sans haine. 07 Signe distinctif des femmes de ce patelin : un doigt dans le nez, une main dans les cheveux. Le rôle des tranchées a changé. 4 jours de tranchées, 4 jours de piquet. 08 Je reçois 40 frs de la maison. 11 Je vais à la gare d’Adinkerke pour y toucher 30 frs. En chemin, je rencontre Charles. Il n’a pas l’aire de souffrir beaucoup de la guerre. La vermine devient un véritable fléau. Le soir de piquet. Les anglais ayant pris avec succès l’offensive, nos troupes doivent faire un simulacre d’attaque. 300m devant nos 1ères tranchées, on en a construit des nouvelles. Le piquet devant les occuper, nous remplaçons celles-ci pour la nuit. Notre Bn a 3 morts et plusieurs blessés. 12 Le matin, je vais à la messe. L’aumônier me demande de servir la messe, ce que j’accepte avec empressement. Je me revois à Andrimont à la messe de 7 heures. On distribue des cigares à la Cie. 13 Hier, les Allemands ont lancé 37 obus de 42 sur Nieuport-ville. Ils ont blessé un homme. Cette blessure coûte donc 1.000.000 de frs. Nieucapelle a été arrosé plusieurs fois d’obus et de shrapnells. L’église et presque toutes les maisons ont été atteintes. Malgré cela, plusieurs 21


bourgeois y habitent encore. Même, on peut prendre un verre de bière dans un café du village et cela servi par deux charmantes demoiselles. Délégué au colonel. Au major, les délégués sont des plus pessimistes. Au colonel, on est optimiste. Tout va bien. Conclusion, les hommes sont plus fatigués que découragés. 14 Je reçois une lettre d’une inconnue de Bruxelles exilée à Tunstall. 15 Du côté d’Ypres et de Nieuport, on entend une formidable canonnade. Du côté de Lo nous arrivent les notes joyeuses de la musique. 16 Délégué au colonel pour 6 jours. Nous passons la journée dans une maison de bons bourgeois. Nous avons à notre disposition une petite chambre qui nous sert de bureau et une cuisine où nous faisons une bonne popote. Le soir, je lave la vaisselle. C’est bien Andrimont. On boit une bonne tasse de café puis petite causette. Propos du lieutenant Lammens, qui est presque toujours plein, à ses hommes : « Il faut me suivre. Ceux qui ne me suivent pas seront touchés car moi, je connais la zone dangereuse des balles. […] ne m’ont pas suivi et vous le voyez, ils sont tués, morts ». Un instituteur brancardier me raconte ce qu’il a vu de plus triste. Un homme assis, le pantalon ouvert, la chemise levée tenant dans ses mains son pansement qu’il ne peut mettre sur son ventre troué par 6 balles de mitrailleuse. Figure de désespoir. Il était seul. Wavre-Ste-Catherine. Un blessé bande sa blessure. Un obus lui coupe la main. Ramskapelle. Un tronc sans tête, sans jambes, sans bras, projeté à 150m de la tranchée. Un homme, un côté de la mâchoire inférieure tout à fait enlevé, la langue pendait toute dégoulinante de sang. Un blessé allemand couché sur un brancard. On amène un Belge se plaignant. Le Boche lui tend la main. 17 Je fais la soupe. Le soir, frites et carbonnades flamandes. Le soir Willy chante quelques morceaux. Comme boisson, une bonne tasse de café. 18 Je lave « lù manèche ». On se croirait à Andrimont. Midi, un bon petit dîner. A 2H1/2 départ pour le poste de combat du colonel. Nous y allons en voiture. On est délégué du colonel pour quelque chose. 19 A 800m de l’Yser, le paysan laboure sans se soucier des shrapnells. Avarice, disent les uns, attachement à la terre, disent les autres. A Nieucapelle un obus traverse le mur d’une maison occupée par 2 vieux et vient se figer sans éclater dans le sol. J’ai eu de la chance, nous dit le vieux. Ma maison n’a pas été démolie. 20 Dévouement. Un jeune abbé brancardier ramène un blessé. Les balles sifflent. En chemin, il s’aperçoit que le soldat meurt. Le brave de la Croix-Rouge dépose le moribond et récite les prières des agonisants. Des patrouilles vont reconnaître le terrain jusqu’à Woumen. 21 Dimanche. Printemps. Je suis au poste de combat du colonel. Je vais porter les communications en vélo jusqu’aux tranchées. Je roule même le long des abris accrochés à la digue. Le chemin fait au moyen de fascines sur lesquelles repose un plancher ressemble à la piste d’un vélodrome. A l’Yser, de nouveaux abris ont été construits. Ce sont de véritables blockhaus entouré de sacs de terre. Ils sont tous numérotés et peuvent recevoir 15 à 20 hommes. Les soldats les appellent villas. On rencontre Villa Leman, Villa Revanche, etc. 22


22 Je finis la lecture d’un livre de V. Hugo, dans lequel je trouve une description des abords de la Vesdre et de Verviers en 1838. Cela me rappelle Lucine Christophe du collège qui se servait de ce livre pour décrire Verviers vu de l’escalier de la Paix. Je trouve dans ce livre cette phrase : le Rhin, ce fleuve est beaucoup plus français que ne le pensent les allemands. Les Allemands sont beaucoup moins hostiles à la France que ne le pensent les Français – Je reçois de Joseph S. la lettre de 12 pages de François. Elle est magnifique. Simple, naïve, spontanée, cette lettre vous fait revivre les heures d’affolement, d’angoisse qu’ont passées nos parents. Cette lettre fait bouillonner le sang des soldats. A 3 h. retour à Lo en vélo. Toute la journée, tir sur des avions ennemis. 23 On annonce que […] est tombé. Un ami revient d’Angleterre. Il nous dit que les attentions des Anglais pour les belges réfugiés diminuent, leur curiosité est satisfaite. Là-bas, on parle du mois de septembre comme fin des hostilités. Hier le colonel parlait du mois de mai. La prise de Constantinople peut influencer beaucoup. Les délégués du major sont pleins. 24 J’ai mal à la gorge. Un ami m’a apporté des pastilles. La 1ère condition pour une guérison rapide est de ne plus fumer. Or, cela est trop terrible pour Victor. Je ne puis me passer de ma pipe. C’est triste. 25 On nous communique que le parcours sur les trains anglais n’est pas gratuit pour les soldats belges. Attention en congé ! Nous avons affaires avec des Cies mais ce geste d’anglais n’est pas joli. Il pleut sans discontinuer. 26 Beau temps. Le vent est très froid. 27 Au poste de combat du colonel. Nous nous trouvons dans la cuisine. Deux amis regardent par la porte entr’ouverte. Tout à coup les Boches tirent une salve de shrapnels de 105. Un éclat entre dans la cuisine par la porte effleurant ceux qui étaient près de la porte. Notre colonel prétend que la guerre sera finie pour fin mai. Les anglais disent sept. 28 Jour des Rameaux. De service la nuit au poste de combat du colonel. Je reviens le matin de Nieucapelle en vélo. Il fait un temps admirable. Une petite gelée blanche et un joli soleil à l’horizon. Je vais faire mes Pâques avec Emile à la messe de 7 ½. Après, fricassée. Parole de French : des obus encore des obus. Mrs les Allemands, cherchez des munitions si vous voulez abattre sir French. 29 Au poste de combat inspection par le 1er Sergt. On rigole. Il se croit sans doute au camp. Les Allemands bombardent Lo. Des mesures très sévères sont prises pour dissimuler les mouvements dans l’agglomération. 30 Retour à Lo. Les Allemands ont lancé 19 obus sur Lo. Un mort et quelques blessés. Croyant que les Boches ne bombarderaient plus, les habitants étaient revenus. Les magasins regorgeaient de marchandises. Cette nuit, nouveau déménagement. Les gens sauvent à la hâte ce qu’ils peuvent. La gendarmerie a déjà pris six pillards. Il est malheureux que notre armée possède tant de voyous. Wattelet étant revenu de congé, je veux quitter la délégation du colonel pour rentrer au major. On m’annonce que celui-ci dans un mouvement de mauvaise

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humeur, a renvoyé 4 délégués. Etant parti, il doit avoir dit que je reste parti. J’étais le plus ancien délégué, je devais rester mais ici on n’a pas à discuter. L’armée !... 31 Je rentre à la Cie. Je loge dans une véranda où il y fait très agréable. Propreté. Beaucoup de lumière. Soldats très convenables. Charles vient me voir en bicyclette.

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Avril 1915 01 Je suis de nouveau soldat. Le matin, exercice dans une prairie. C’est le printemps. Dans le ciel bleu, ouaté par les shrapnells éclatant près des avions ennemis, s’élève le soleil célèbre de 1915. Tout veut fêter sa bienvenue. Arbres et bosquets bourgeonnent et ont les teintes si agréables d’avril. La chorale des prés est réunies et ses notes semblent plus mélodieuses aujourd’hui que nous sommes plus malheureux. Dans la prairie, des milliers de pâquerettes sortent de l’herbe. Tout l’avant-midi, nos canons tirent sur les avions ennemis sans les atteindre mais vers 16 h., un avion ennemi voulant reconnaître nos postions est attaqué par deux avions alliés munis de mitrailleuses. Le duel durera un ¼ H puis le Boche voulut s’enfuir vers les lignes allemandes. Malheureusement pour lui, touché par la mitrailleuse de l’avion anglais, le Boche pris feu à 500m de hauteur et s’abattit près de Nieucapelle. Au même moment, un cri d’admiration, d’enthousiasme s’éleva de la foule qui suivait anxieusement ce combat dans les airs puis un calme rempli de tristesse. Les Belges ne sont pas cruels et chacun sentait en lui un sentiment de pitié pour ces deux hommes qui moururent si courageusement. L’aumônier distribue des invitations pour Pâques. Le soir, je suis allé à l’église. Aujourd’hui point de pourpre, de guirlandes, de fleurs. Quelques cierges ornent le petit autel où est exposé le St Sacrement. Cette simplicité me plaît et s’harmonise mieux avec notre situation. Plusieurs soldats sont là. Puisse le ciel les écouter, les protéger et leur donner bientôt la joie du retour. 02 Vendredi Saint. En ce jour de tristesse, je me suis rappelé et j’ai médité les paroles du cardinal Mercier : « Faut-il que le serviteur soit mieux traité que le maître ? ». Le soir, chemin de croix. En suivant le Christ sur son chemin de douleur, quel réconfort et quelle grande consolation on acquiert : que sont nos souffrances à côté de celles-là ? 03 Communion. Beaucoup de soldats font leurs Pâques. C’est la preuve qu’en ces temps, plusieurs consciences ont travaillé. Que de jeunes gens du monde enivrés de plaisir avaient oublié leurs devoirs religieux ? Ces jours de guerre les ont obligés à réfléchir, à se rappeler les paroles de leur mère. On distribue des boites de confiture offertes par le Pape. 04 Pâques. Lever à 6 heures. Je suis au poste de combat du colonel comme délégué. Nous allons à la messe à Nieucapelle. Pour déjeuner, œufs de Pâques. Promenade jusqu’au tranchées. Pour dîner, potage aux tomates. On y goûtait un peu de printemps. Deux plats de bœuf et pâté de veau. Légumes, petits pois et épinards ; comme dessert : fromage et bonbons. Le tout arrosé de vin. Une bouteille par homme. Ce n’est pas tous les jours Pâques. Après le dîner, promenade en vélo jusqu’aux tranchées. Je suis triste. L’après-midi, un cigare et une bonne tasse de café. Aujourd’hui les cloches de Lo ont sonné. Ne voulaient-elles pas annoncer la victoire, le commencement de la fin ? 05 Pour dîner, nous avons les restes de Pâques. Pour porter les ordres au Bn, je dois passer une grande campagne, terrain entièrement découvert et que les Boches peuvent voir. Chaque

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fois que j’y suis passé, les allemands m’ont salué de deux shrapnells. C’est beaucoup d’honneur. Je ne vaux pas cela. Pourtant les Boches feraient mieux de me laisser tranquille. 06 Les allemands tirent beaucoup. A 6 H ½ un obus boche incendie une ferme sur la route Nieucapelle-Oudecapelle. Dans celle-ci, se trouvaient un obusier et des munitions. A côté, des chevaux et un caisson. En même temps que des flammes sortaient des toits, des détonations se font entendre. Les munitions ont sauté détériorant le canon, tuant 29 chevaux et malheureusement des artilleurs. Je passe la soirée à faire du dessin. 07 Le Roi vient aux tranchées. Ses ennemis doivent reconnaître que notre chef est courageux. J. Posar rentré à la Cie. 08 Obsèques des 8 tués de Nieucapelle. Le général et off. sup. y assistent. Devant ces tombes, bien des soldats pleurent. Aujourd’hui ou demain, nous autres. Combien de ces jeunes ont pensé à la mort comme ils le font aujourd’hui ? Pourtant elle pouvait venir déjà avant la guerre. Réfléchissez et comprenez enfin la valeur des choses de ce monde. Après-midi promenade à Kousseboom. Hubert, le joyeux est de la partie. On va rigoler dans une petite cambuse où il y a une vieille et trois grandes jeunes filles. Le soir nous allons dans un petit café où l’on danse à l’accordéon. La population est à peine remise du dernier bombardement. Chaque jour, il peut venir des obus, chaque minute, il peut y avoir des catastrophe et malgré cela, on danse, on chante, on rit à Lo. Dans ces moments, qu’il est triste de penser à ses parents. Que font-ils ? Ne souffrent-ils pas pendant que je m’amuse ? Ont-ils assez pour se nourrir ? A la guerre, nous nous plaignons et pourtant. 09 Déménagement à Lo. Les gens sauvent leurs beaux meubles de crainte d’un troisième bombardement. Je suis de nouveau à la Cie. Je profite de ma place au colonel pour m’exempter de l’exercice. Celui-ci est très agréable mais aujourd’hui il fait un peu frisquet. Nous avons mars en avril. Kruigens revient au Bn. Après-midi, promenade. Nous allons voir les canons pour tirs contre avions. Deux avions alliés survolent très bas la localité. La vermine est insupportable. On attend avec impatience des machines pour nous désinfecter. 10 L’après-midi et le soir au lieu de sortir, nous faisons la causette au cantonnement. Sujet principal : marchandage avec Joseph de ses deux sœurs. Hubert aura Félicie, moi, Marie. Cette dernière est belle et chante bien. Entrée en matière : demander à Mr […] s’il n’y a pas de gorets à vendre. Les soldats racontent qu’à […] 200 gendarmes faisaient cordon derrière les troupes. S’il y en avait eu 400, les fuyards seraient encore passés. Nos officiers tiennent même un langage des plus décourageants. Il vaut mieux se taire mais de tout ce qu’on raconte, je conclus que mes premières idées étaient justes. Les belges sauvent l’honneur mais la Belgique parce qu’elle est petite sera comme toujours le dindon. Une lettre d’un interné à la prison pour avoir refusé de travailler au piquet me dit que 400 de nous sont dans les fers. Pauvre armée belge après des actes héroïques, tu vois tes membres envoyés à biribi, non pas parce qu’ils ne sont pas braves mais parce qu’ils sont fatigués. Garibaldi disait : après 6 mois de guerre, le soldat ne vaut plus rien. Il avait raison. 11 Dimanche. Pas d’exercice. Nous faisons une petite promenade le matin en causant du football. L’après-midi, nous assistons à 2 matches entre Cies. Beaucoup d’animation à Lo. 27


On croirait que les bourgeois ont fait plus de toilette. Les demoiselles ont mis leur belle robe et leur chapeau de paille. Je retire mon accusation, il y a pourtant de belles filles à Lo. Le soir, de piquet. Je suis délégué chez le colonel. Nous avons un malade. Un brancardier apporte un médicament qu’il faudrait donner toutes les heures. Le capitaine Renard s’offre à venir soigner le malade. Nous pouvons nous coucher. Ah, si tous les officiers étaient comme Renard ! 12 Matin et soir, pour me rendre au poste de combat du colonel, je dois faire une promenade d’une demi-heure à travers prairies. Après-midi les Boches bombardent de nouveau Lo. Résultats : une vieille maison détruite, 2 chevaux tués, un homme légèrement blessé à la main. Vers 4 h, nous allons pêcher. Vrai, à la guerre on souffre mais on a aussi des beaux jours. 13 Guillaume Randaxhe part à l’hôpital. 14 Le repos de la division est encore oublié. On reste dans le secteur. L’après-midi nous faisons de la boxe et lutte. 15 Nous passons notre temps à arroser des chats qui veulent venir prendre des morceaux de viande que nous avons placés près de la porte. Soldat-enfant. 16 A Lo. Je rentre à la Cie. L’avant-midi, je m’ennuie. L’après-midi, avec l’ami Rosas, nous allons voir Emile et les amis de la 1ère. Je suis de nouveau à Andrimont. Nous courons dans les prairies nous jetant des mottes de terre et des cailloux. Nous luttons, nous faisons l’enfant. On discute campagne et culture. Il fait un temps admirable et on a chaud. Avant de nous quitter, nous allons boire un verre de bière dans un petit café au milieu des champs. A notre retour à Lo, nous entrons dans un café où un soldat joue magnifiquement de l’accordéon. Un amateur chante très bien en flamand. Un autre siffle et imite les oiseaux. C’est un véritable artiste. A 6 H1/2, j’assiste au salut. Le soir, je change de domicile. Je vais coucher au-dessus d’un porche. On y est très bien. Les murs blanchis à la chaux, le toit tout neuf me fait penser à la nouvelle maison. Quand pourrai-je donc aller la voir. Des lettres que j’ai reçues, il semble que la vie à Andrimont n’est pas encore si triste. Ici, on a aussi de beaux moments. Donc, ne nous plaignons pas. 17 Le matin, je vais à Alveringem pour voir Léopold, malheureusement il est aux tranchées. A 8 H, les Boches commencent à bombarder Lo. 30 obus. 5 morts, 17 blessés. C’est me 3ème bombardement et malgré cela on continue à cantonner le régiment à Lo. A 1 H, deux shrapnells. Alerte, tout le monde se sauve. Toute l’après-midi, on se tient prêts à filer pour les obus. A 16 H enterrement des 3 tués au cimetière de Lo. Le major et les officiers de la Cie sont là. Beaucoup de soldats. Le commandant de la Cie. Capitaine Fromont, prononce un discours : « Au nom de la Cie, je tiens à rendre hommage à ces braves. Ils furent de courageux soldats. Thiry est tombé en portant secours à un ami. Que ces trois tombent ouvertes ne nous émeuvent pas trop, surtout qu’elles ne nous enlèvent pas notre courage. Au contraire qu’elles nous donnent la haine exécrée de l’ennemi ; le désir de rendre à l’ennemi le centuple de que qu’il nous a fait. Avant de quitter ces braves camarades, jurons de les venger. J’ai dit ». On va dormir sans enlever ses bottines pour être prêts en cas d’alerte. 28


18 Dimanche. Nous quittons Lo à 8 H pour aller cantonner dans des fermes à l’arrière du village. Ce n’est pas trop tôt. Mourir dans la tranchée ce n’est rien. Il le faut. Mais se faire bêtement tuer dans un grenier où on est en repos, c’est triste. 19 Temps magnifique. Plusieurs prennent un bain dans un fossé. Le soir, départ pour les tranchées. Ce n’est plus le temps où les chemins éraient impraticables, qu’on enfonçait dans la boue jusqu’à la cheville, qu’on s’abritait derrière des tranchées de fortune, qu’on couchait dans l’eau. Nous allons aux avant-postes. Magnifiques tranchées en sacs de terre auxquelles on arrive par un chemin de colonne. Le fond est en planches et des sacs vous protègent du vent en auvent. Je suis sentinelle derrière les tranchées. Je vois très bien Dixmude. En avant de nous, il y a bien 50 vaches et chevaux crevés. Spectacle des plus tristes qui devrait faire réfléchir les Boches nichés à Dixmude. 20 Je dors presque toute la journée. Défense de se laisser voir à l’extérieur. Pour cela, le meilleur moyen est de rester couché. Le vent est fort et froid. De la tranchée, nous pouvons admirer les alouettes monter en chantant dans les airs. Que ne sommes-nous à Andrimont ? Voilà 4 jours que du côté d’Ypres, le canon ne cesse de sonner. On se demande avec anxiété ce qui se passe là-bas. I

21 Belle journée. Temps froid. Je travaille un peu. Cela donne de l’appétit. Vers 8 H ½, un avion boche survole constamment nos tranchées. On tire avec fusil et mitrailleuse quand arrive un avion ami. Il se dirige sur le Boche et à toute vitesse fonce dessus en mitraillant. Le Boche pique, le nôtre se relève. Nous croyons le boche touché mais c’est une ruse. Il se relève bientôt et part vers ses lignes. Les 2 avions restent encore quelques minutes dans les airs puis disparaissent. Le major et le lieutenant tirent au fusil sur l’avion. Un soldat veut aussi tirer. Il reçoit 8 jours de plomb du major. Il n’avait pas d’aussi bons yeux que le vieux. J’habite Villa Marguerite. Cela me rappelle Georges et l’inconnue de Tunstall. Le soir, nous allons en avant-poste. L’avion ennemi a lancé plusieurs fusées. On se demande anxieusement ce qu’elles signifient et ce qui va se passer demain. Travail jusqu’à 24 heures. Nous devons élargir le parapet de notre tranchée. Il y a de l’entrain. Il fait bon et on travaille consciencieusement. On rigole. On imite le sifflement des balles pour effrayer l’adjudant qui 29


a un peu peur. A 23 h. on nous dit qu’il faut travailler jusqu’à 24 h. Cette dernière heure, on ne fait plus rien. Les hommes ne veulent plus travailler. 22 Beau temps. A 3 H ½ la chorale des prés interprète déjà ses plus beaux morceaux. Les alouettes sont bien nombreuses. C’est un plaisir de les voir monter et descendre en chantant à plein gosier. Dans la tranchée, 1ère ligne de défense, séparé par les sentinelles du terrain occupé par l’ennemi, pouvant recevoir à chaque instant des obus meurtriers, les soldats dorment, jasent, rigolent, chantent ou fument tranquillement leur pipe. Quelle heureuse qualité pour l’homme, l’oubli. 23 Temps sec, vent très froid. Toute la nuit, canonnade intermittente du côté d’Ypres. Le matin, on entend distinctement fusils et mitrailleuses. On a la chair de poule. De garde à l’Yser. Je puis contempler à mon aise ce fleuve où le flot allemand fut arrêté. Quelle méditation. Grandeur humaine, faiblesse de l’homme, néant des choses de ce monde. Toute la journée, les Boches canardent nos positions sans résultats. Vers 5 h. deux soldats par ordre du général viennent vendre le XXème Siècle aux tranchées ; 5 cts le n°. Dans un abri, on joue de l’accordéon. Que voudrait-on encore ici. Le soir, retour au cantonnement près de Lo. Les boches ont encore lancé 40 obus sur la ville. La canonnade d’Ypres continue. La Cie est joyeuse. Un soldat joue de l’accordéon. A l’entrée de Lo, la joie disparaît. Les obus ont encore fait des ruines. Il est 11 h ; pas une âme dans la ville. Je me crois dans un village d’où nous avions chassé les allemands en retraite près de Louvain. Toit branlant, façades écroulées ou fendues, portes brisées, fenêtres décrochées. A l’intérieur des bâtiments, meubles, vaisselles, tableaux réduits en miettes éparpillées sur le parquet. Les rues sales. Il ne manque plus que du sang. Au sortir de Lo, le spectacle est encore plus sinistre. L’horizon sombre est éclairé dans plusieurs places par des incendies. Des éclairs jaillissent au loin des canons. Un roulement de tonnerre nous fait croire à un des orages que l’on essaie d’éviter en pressant le pas. 24 De nombreuses troupes passent se dirigeant vers Ypres. On parle d’un recul français. Je vais voir Léopold à Alveringem. Impossible d’exprimer la joie que l’éprouve à revoir ce brave ami. On avait tant de choses à se dire que j’en ai oublié la moitié. Il m’offre un bon dîner. Le soir, nous sommes consignés. Les Allemands montrent une grande activité sur tout le front. Reçois une lettre de Gustave du 5 octobre. 25 Dimanche. Consignés. Des troupes passent encore en tram. On parle beaucoup d’Ypres mais on ne se sait rien d’exact. Les Boches lancent encore des obus sur Lo. Nous apprenons aussi que les Allemands emploient de la poudre asphyxiante. Le soir, près de la ferme des brancardiers chantent admirablement. Ce sont toutes chansons entendues à Andrimont. Que c’est triste de penser aux siens alors qu’à quelques km le canon fait rage. La nuit, nous nous relevons. Des craquements sinistres nous ont réveillés. 26 A 8 h inspection par le colonel. Les troupes forment un carré. Sur son cheval, au centre, le colonel nous adresse ces paroles : « Vous entendez le canon. Il nous dit que la lutte âpre, terrible recommence. Les Allemands font leurs derniers efforts. Très probablement, la guerre touche à sa fin. Les mois prochains peut-être serons-nous chez nous. Le Roi m’a demandé s’il pouvait compter sur la 6ème. Je lui ai promis que vous feriez votre devoir. J’espère que vous 30


ne faillirez pas à votre devoir ». Les Allemands emploient un moyen de sauvages. Ils jettent des bombes asphyxiantes. Un mouchoir mouillé appliqué sur la bouche et les yeux suffit à se préserver. Notre régiment a actuellement en 1ère ligne 160.000 cartouches de réserve. Avec cela, nous pouvons attendre. Le soir, un avion boche jette 3 bombes qui ne causent aucun dégât. La canonnade continue du côté d’Ypres. 27 Visite du général Drubbel. Ses 1ères paroles ont trait au conseil de guerre, aux exécutions. Quand donc nos officiers nous diront-ils qu’il faut se battre parce que c’est son devoir et non parce que le conseil de guerre est là ? Le Belge est brave s’il est bien conduit. On doit le prendre par le cœur. Beaucoup de nos officiers l’ignorent. Pour finir, le général demande à notre colonel si le 6ème a encore peur. Je voudrais répondre à cette question mais je suis soldat, il est général. Le soir, délégué au colonel. Vers 10 h. fusillade terrible dans notre secteur. 28 Mot d’ordre. Emile. Le Matin, je vais à Kousseboom. Promenade très agréable. Le soir, retour à Nieucapelle. Vers 10 h fusillade aux avant-postes. 29 Il fait un temps magnifique. On travaille dans les champs. Je vais voir semer les betteraves. Pas de vaches dans les prairies mais de belles génisses. Le soir, nouvelle fusillade. 30 Je vais en vélo à Lo. Quelle tristesse dans cette ville. Les habitants, à part quelques enracinés, sont partis. Deux trois magasins sont encore ouverts. Le matin, les Boches ont lancé des shrapnells sur les troupes de piquet retournant au repos. Il s’agit certainement encore d’espionnage. Il y a trois jours, on en a encore pris 2 à Nieucapelle. Notre major, l’adjoint et un autre lieutenant sont atteints par des éclats d’un obus qui tue une femme à Nieucapelle. Un soldat est tué et plusieurs blessés. Est-ce l’effet de sa blessure mais le major n’a jamais été aussi aimable à mon égard. Quand je lui porte une communication, il me fait asseoir et me raconte son accident et se plaint comme une vielle matante. Il remet son commandement au Ct Pacheau. G. Géron m’écrit de Sheffield et m’offre de m’envoyer des cigarettes.

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Mai 1915 Mois de Marie. Mois des fleurs. Les citoyens socialistes fêteront-ils cette année le 1er mai ? O Marianne, où sont tes adeptes ? Où est ta doctrine ? J’avais confiance en toi quand tu disais : si quelqu’un veut la guerre, mes enfants, par une manifestation monstre, la rendront impossible. La guerre est là. Les Allemands se sont tus et Vandervelde prêche la continuation des hostilités. Arbore ta loque rouge, vieille chipie ; cette fois, elle a bien la couleur du sang. Tu n’as jamais fait que des malheureux. Tu étais plus forte pour combattre les curés en France que pour anéantir les barbares qui martyrisent des partisans. Mon encrier est vide. Nous sommes en mai ; Changement de couleur.

01 Je fais la lessive. Voilà 15 jours que j’attends le linge. Je suis obligé de laver mon pantalon et ma chemise. Si je prends une femme elle sera heureuse. Elle pourra porter le pantalon, je serai la ménagère. 02 L’après-midi je vais voir Emile à Kousseboom. Le vent est froid, c’est la lune rousse. Quel plaisir pourtant de se promener dans ces belles prairies où paissent de magnifiques 32


troupeaux de génisses, d’écouter les petits chanteurs dans les arbres et bosquets qui ont mis leurs habits de fête. 03 Je vais à […] chercher mon linge envoyé par Jeanne de Poperinghe. Mon paquet est resté 15 jours en route. Tout est rapide chez les alliés. Transports et offensive. Je reviens sur la voiture de l’ami Gerulus et vais voir Emile. Le frère de Gerulus, classe 14 qui est en France est exempt du service. Il doit cela à Mr Schollaert. Tant mieux pour lui mais ces grosses têtes prêchent la guerre, disent que nos frères ont le devoir de s’engager et eux ils exemptent leurs fils et protégés. Ce qu’on appelle devoir est parfois bien dur à remplir quand on réfléchit à tout. On parle que la guerre va durer deux ans. Notre espoir de la voir cette année diminue de plus en plus. 04 Le matin, il pleut mais l’après-midi le temps se remet au beau. On entend une forte canonnade du côté d’Ypres. On dit que les alliés avancent. Je ne suis pas dans mon assiette. J’ai un bon rhume. Jeanne m’annonce qu’elle quitte Poperinghe. Jean est inquiet. Je vais voir Léopold. Une canne à la main, je vais par la grand ’route à Alveringem. Il fait très chaud et si je pouvais porter ma veste sur le bras, je me croirais en promenade à la Gileppe. Un jeune homme est gravement blessé. Il dit au brancardier : « Si on me coupe le bras vite assez, je serai sauvé. Autrement, c’en est fini ». Le brancardier fait demander une auto qui arrive trop tard. Le soldat meure et le médecin de dire : « Pourquoi avoir demandé une auto ? Si ce soldat avait peur de mourir, il ne devait pas venir à la guerre ». Ces fainéants de docteurs sont les êtres que je déteste le plus à l’armée. Ils ne valent souvent pas la balle qui les enverrait au diable. Je reviens avec Joseph R et un autre par les prairies. Les Boches ont encore bombardé Lo. 05 Quatre terribles détonations nous réveillent. Les Boches ont lancé quatre obus sur la grange de Lo à 800m de notre ferme. Il fait très chaud. L’avant-midi, la Cie est en promenade. Le poulailler de la ferme est près de notre grange. Les soldats ont enlevé un petit […] et avec une bourse attachée à une baguette, ils prennent les œufs. Je ne voudrais pas le faire mais je ne puis le défendre. Les gens de ce pays nous ont si souvent méprisés et volés. Après-midi, avec quelques amis, nous allons prendre un bain dans le canal de Lo. Tout le monde veut apprendre à nager car la situation de Louvain peut se représenter. Ceux qui veulent apprendre sont attachés à une corde. J’entre dans l’eau mais je suis tellement saisi par le froid que je dois sortir aussitôt. Le soir, nous allons aux tranchées. Un terrible orage passe au-dessus de nous sans nous arroser. C’est la 1ère fois cette année que nous entendons le tonnerre. 06 J’habite la Villa Rose. Il fait une chaleur accablante. Le soir, je vais aux avant-postes. Les vaches tuées il y a 6 mois ne sont recouvertes que d’une petite couche de terre. Une odeur renversante en sort. 07 Je suis dans la Villa Rose. Pour un S en moins la signification change. Pour toute ma journée, je mange trois tartines et encore, sans appétit tellement il fait chaud. De nouveau, j’ai dû appliquer le principe qui nous a sauvés Emile et moi les premiers mois de la guerre. Quelques soient les circonstances, il faut manger. Si on n’a pas faim, mangeons peu mais souvent. A 9 H retour à la digue. 33


08 La chaleur continue. Sitôt levé je vais me laver dans un fossé derrière la ferme. Les Allemands tirent beaucoup sur les tranchées. On entend une terrible canonnade du côté d’Ypres. On nous distribue de nouveaux masques anglais placés dans des bourses en caoutchouc. Je me sers de cette housse imperméable pour y mettre la photo de P. que la transpiration pourrait abîmer. C’est le seul souvenir que j’aie d’Andrimont. Il me rappelle toute ma jeunesse passée dans mon cher village. Il me parle des êtres chers qui sont restés. Il me dit de me battre pour eux et de les venger. Il m’oblige à rester dans le droit chemin du devoir et de l’honneur. Enfin, il réjouit mon cœur. J’estime, je respecte et j’aime cette jeune fille. Puisse-t-elle m’être restée attachée fidèlement. 09 Vent plus froid. On dort plus facilement. Sentinelle en 1ère ligne. Je m’y trouve très bien. Le soir, départ pour Pollinkhove. Les 3 et I divisions prenant l’offensive, nos canons canardent les positions allemandes. Vers 10 H nous revenons par le chemin du 5ème. Toute la nuit, forte fusillade dans le secteur. Le bruit court que l’Italie est […]. Les Boches ont encore bombardé Lo. Le Capl D. est blessé. 10 Repos, nettoyage. Nos troupes ont pris l’offensive et ont avancé presque partout. Une partie de Dixmude est reprise. 11 Le matin, les délégués du major sont mis à la porte. Le soir, ils restent. L’après-midi, fête à 4/IV. Nous y allons avec Hubert. Des amateurs chantent magnifiquement. On annonce que les français ont avancé de 4 km du côté d’Arras. Le commandant me propose pour le C.I.S.L.A.5 La proposition doit encore aller au major et au colonel. J’attends avec impatience la suite. La chaleur diminue. Très chaud. Le soir, fête à 4/IV. Course aux sacs. On s’amuse bien. 12 Après-midi, tir pour les recrues et volontaires de guerre. Pendant le tir, je joue au bouchon. J’ai une chance de pendu. Je ne touche pas le bouchon et malgré cela, j’empoche presque chaque fois. 13 Il pleut. Le matin, messe à 6 h à 9 h à 4/IV. Je vais à la messe de 6 h et je communie. Ascension. Les paysans ont mis leurs habits de dimanche. Il fait un peu plus gai. Le soir de piquet. Pour nous rendre à Nieucapelle, nous devons traverser les champs et prendre des chemins de terre. Le bombardement de Lo toujours possible nous oblige à faire ce détour. Aujourd’hui, la pluie a détrempé les chemins. Ce sont de véritables bourbiers. On en sue une de chemise pour arriver à Kousseboom. C’est le moment de répéter. Ils avaient la graisse mais pas la peau. 14 Délégué au P.C. du colonel. Je vais chez Brouillard qui me dit que ma proposition avec notes favorables est partie au colonel. Espérons. A partir de 6 H jusqu’à 15 et à 6 h le mot d’ordre est Edmond. Le temps se remet au beau. J’achète 10 œufs chez […] 15 Beau temps, je vais à Kousseboom chez le major […]. Les troupes ne logent plus dans cette ferme. Les gens ont trop de marchandise. Ils sont des plus aimables. Quand je vais encore acheter 10 œufs. La femme me donne deux petits comme commission. Avares. 5

Centre d’Instruction Sous-Lieutenant Auxiliaire (d’après BEL-MEMORIAL)

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J’attends avec impatience les suites de ma proposition. Nous faisons grand nettoyage. Gros obus et shrapnells sur Nieucapelle. 16 Le matin, je vais à la messe à Nieucapelle. Obus et shrapnells ont respecté notre chapelle. Les carreaux sont remplacés par des stores. Les trous au plafond ont été rebouchés. Du crucifix des voiles blancs et rouges formaient dôme à la vierge placée sur une console au milieu de lilas, giroflées et iris. L’autel aussi est orné de fleurs. Dans le fond de la chapelle. Un aumônier joue de l’harmonium. L’assistance chante des cantiques. Je me crois à la chapelle des sœurs à Andrimont. Je communie. Journée magnifique. C’est aujourd’hui dimanche. Que font nos parents ? A 6 H mot d’ordre Emile. Dîner. Pommes de terre avec sauce au beurre avec côtelettes de porc, rôti, épinard. Une tasse de café bon goût. On apprend la chute du cabinet Salandre. Promenade à Vélo jusqu’à Kousseboom. Chez la vieille qui prise, la demoiselle me présente une tasse de café, une autre une branche de lilas. Hier encore, j’étais mal vu par ces gens. Pourquoi, je n’en sais rien. La fille me parlait toujours avec aigreur Aujourd’hui, on m’appelle Monsieur Victor. Qui a produit ce changement ? Deux hirondelles viennent construire leur nid dans le lieu d’aisance. Le soir, je porte un ordre à Nieucapelle. Des obus ont encore démoli deux maisons qui étaient encore debout. Soirée des plus agréables. On demande au colonel de nouveaux renseignements. On apprend que les français ont occupé […]. 17 La nuit à 3 ½ un Zeppelin est passé près de Dixmude. Je me lève à 9 heures. On parle de remplacer la 7ème par les Français pour reprendre Dixmude. Il pleut. Pluie fine mais continue. Je suis brisé. Je crois que l’impatience de connaître les suites de la proposition y est pour beaucoup. Le roi d’Italie n’accepte pas la démission de Salandre. Les journaux disent que dans huit jours, on verra plus clair dans la situation. Retour à Pollinkhove. Dans la grange, on discute pigeons. 18 Le matin, je vais chercher mon café et pain puis je dors jusque 11 heures. Il pleut toujours. Un caporal qui a autant d’oreille qu’une casserole veut apprendre de l’harmonica à bouche. Il embête son monde. Le paysan qui s’est aperçu qu’on lui volait ses œufs vient reclouer les planches mais l’imbécile laisse juste le trou par où les soldats prennent les œufs. On rigole et on s’en moque en wallon. Triste journée. On ne peut sortir de la grange. On joue 21. 19 Il pleut toujours. Inspection. Le paquet d’allumettes qu’on payait avant 8 et 10 cts coûte aujourd’hui 90 cts. Le soir, le temps se remet au beau. Avec Hubert, Joseph et quelques amis, nous allons boire une bouteille de vin dans une baraque où on est encaqués comme des harengs. Là, les soldats boivent le vin et demain ils mangeront leur pain sec. 20 Beau temps. Le matin, exercice. Après-midi, inspection des fusils. A 11 H confession. L’aumônier est venu coller des papiers rappelant aux soldats leur devoir pascal. C’est la dernière semaine. Demain messe à 4/IV. Le local n’étant pas encore libre, l’aumônier tête nue confesse les 1ers sur la route. C’est plus humiliant ce me semble. Je vois un petit volontaire qui au feu est des plus braves et ici, à côté d’un simple prêtre, il avoue ses fautes. Aux tranchées, ce jeune lieutenant que je croyais franc-maçon, pourri par les femmes, est agenouillé devant l’aumônier main dans la main. Il va partir en patrouille, il va courir un grand danger et il se confesse. […] est repris par les russes. A 7 H entraînement d’un coureur 35


et d’un champion marcheur de Belgique. Sur une distance de 400 m le coureur doit faire 13 tours et le marcheur 10. Le coureur fait 11 ¼ tours et la marcheur 10. A huit heures on dit que l’Italie est déclenchée. Nous jouons aux ‘stro dis mouches’. Je rentre très fatigué. 21 Le matin, communion, exercices, jeux. On nous annonce officiellement que l’Italie a déclaré la guerre à l’Autriche et à la Turquie ; que la Roumanie demande par ultimatum à l’Autriche de retirer ses troupes de la Bucovine. Je me rappelle une phrase de Louis le 1 er dans le Trésor de Chateaurenard : « Les Alexandre, les César et les Napoléon sont pour moi de faux comme Attila et de même que le fleuve qui fut tombeau submergea la gloire sanglante de ce dernier par la juste sentence de la Providence, de même je reconnais qu’il fut juste que Dieu se vengeât en réservant la ruine à Alexandre, le poignard de Brutus à César, le vautour de Prométhée à Napoléon, le désastre pour tous. La gloire cimentée par la guerre et le sang doit être horrible et maudite devant Dieu. Dieu est le Dieu des armées à cause des soldats qui sont des martyrs mais non à cause des conquérants qui sont quelque fois des bandits. Nous prenons les premiers hannetons. Le soir, nous allons aux tranchées de l’Yser. La nuit aux avant-ports au poste d’écoute. 22 Vers 3 H ½, je sors de mon abri et je vois arriver un homme de l’Yser. Je crois que c’est l’ordonnance du commandant. C’est un habitué car il marche d’un pas rapide et assuré. Je le perds derrière la tranchée. Quelques instants après je le vois en avant de nos tranchées. Il escalade les défenses en fil de fer et se dirige vers les lignes allemandes. Je préviens la sentinelle qui ne l’a pas remarqué. On appelle l’adjudant qui commande « Tirez dessus ». « Tirez à côté dis-je ». On tire. L’homme se penche puis revient. C’était un appelé Thiers du III/2. On le questionne. C’est un fou ou un espion ou ce que je crois un déserteur. Temps magnifique. Le soir, retour à l’Yser. Orage terrible. Nous couchons sur des planches. Je les trouve bien dures. 23 Pentecôte. Au lieu de faire une promenade comme on a coutume chez nous, je travaille aux abris. Temps magnifique. On nous dit que l’Italie n’a pas encore déclaré la guerre. Abattement. Le soir, aux avant-postes. 24 A 3 H terrible bombardement de nos tranchées. Un obus est tombé à 20 m de nous. Victor dormait comme une pierre et n’a rien entendu. C’est la 3ème fois que cela m’arrive. On nous annonce que l’Italie a déclaré la guerre. Les hostilités commencent aujourd’hui. Toute la nuit, terrible canonnade du côté d’Ypres. Que se passe-t-il là ? La situation en Russie est grave. On espère que les Russes de nouveau briseront les efforts désespérés des Allemands et Autrichiens. 25 A la Villa Marie. Retour à Pollinkhove. Voulant jouer le malin avec Jos. Nous quittons la Cie pour couper au court. Nous voulons comme chez nous traverser tout pour arriver directement à notre ferme. Nous devons sauter des fossés, escalader des fils de fer. Bref nous arrivons esquintés à la ferme. La Cie y est déjà. Notre tête. 26 Très chaud. Je vais à Alveringem pour y trouver Jos S. et Léopold. Je reviens bredouille.

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27 Je vais de nouveau à Alveringem. Je vois Léopold. Il a échappé bel aux tranchées. Jean est venu le voir. 28 Matin, tir pour les V.D.G. Je vais voir Golaire et Nicolay à Lende. Marcel Lef. est à Paris. Le soir, délégué au major. De nouvelles figures. Les délégués me paraissent être de bons garçons et de bonne éducation. Le cuisinier du major. Un coco qui se croyait tout est mis à la porte. Il avait oublié les distances. Un seul ancien reste. C’est le plus saloppe, le frotte-bottes du major. 29 Ma proposition pour le CI n’est pas acceptée. Le soir, de piquet. Nous allons à la ferme P. Je porte un ordre au secteur du 7ème. Ordre du colonel. Les cuisiniers doivent être présents au travail de nuit. Deux hommes peuvent rester à la cuisine. Révolution. Aujourd’hui pas de patates à la Cie. C’est triste. On critique quelques hommes qui restent au cantonnement pour faire la popote des soldats. Alors qu’à la maison même du colonel, toute une bande de musiciens font les carottiers. Ils ne servent même pas de brancardier et on ne les entend jamais jouer. C’est du propre. 30 Je sers la messe à 5 H et à 11 h à Kousseboom. Beau temps. Le soir, à la ferme P. Léon passe aux mitr. 31 Retour à Kousseboom à 2 heures. Beau temps. J’ai déjà une dispute avec le frotte-bottes du major. Il refuse de me laisser cuire mes pommes de terre sur le feu qui était libre. Cela me révolte et je lui promets un gnon. On attend avec impatience des nouvelles de Russie. On se demande s’ils garderont la Galicie. Le soir, je vais jusqu’aux tranchées puis retour à la ferme 6. Un zeppelin passe nos lignes du côté de Nieuport. Il paraît que le capitaine-commandant change de chemise après chaque promenade. On se demande si ces gens ont une véritable idée de ce qu’est la guerre.

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JUIN 1915 01 Départ de la ferme 6 à 2 H. A 2 H 20 ouverture du concert des bosquets. Quelle joie on éprouve le matin au milieu des champs. Je reçois une lettre de Gustave du 13 mai. Les petits ont fait leur 1ère communion solennelle. Notre grand a pleuré. Quel cœur ce grand frère. Il fut mon soutien. Mon éducateur, aujourd’hui mon consolateur. A 6 H mot d’ordre Armand. Que fait-il à la maison ? Le soir, à notre arrivée à Nieucapelle, les Boches nous saluent avec quelques shrapnells. 02 Retour à Pollinkhove. Je loge à la ferme du major dans un petit fenil. Je ne dors pas de toute la nuit. A 1 H ½ nous allumons une pipe. Les autres ne dorment pas non plus. Il fait étouffant. Notre fenil est plein de rats qui souvent ont la dimension d’un chat. Les souris viennent dans notre sac manger notre pain. Les puces sont aussi en grand nombre. Je reçois à la Cie une nouvelle pipe.

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03 Je suis cuisinier. Toute la journée je fais du café sur un petit feu installé dans la prairie. Nous prenons déjeuner, dîner, goûter et souper sur l’herbe. Notre table est une auge retournée. La nappe, deux gazettes. Le matin, messe à 8 h. Fête Dieu. 04 Pour dîner, pommes de terre, salade, bifteck. Après-midi, C. Golaire et Joseph Nicolay arrivent. Nous allons à Alveringem voir Léopold et Jos Scheen. Quelle joie nous éprouvons à nous retrouver quelques-uns d’Andrimont. On parle du village, des chers, etc. Camille avait apporté une bouteille de vin. Jeanne est venue voir Léopold. 05 Il fait étouffant. De plus, je dois courir avec ma capote. Le fond de ma culotte présente des trous énormes. Mon pantalon ne vaut pas le raccommodage. De plus, je n’en n’ai pas le courage. J’attends un pantalon de toile. Vers 6 h nous prenons le souper sur l’herbe. Nous avons construit au moyen des troncs d’arbres une table et des chaises. Nous entendons les cloches de Hoogstade de l’autre côté, le vent nous apporte les notes mélodieuses du Crédo du paysan puis de la Veuve Joyeuse que joue la musique du 2ème chasseur à Alveringem. Couché dans l’herbe, je rêve au pays. Que de fois, couché dans la prairie de chez Guillaume ou de chez Scheen, nous écoutâmes les harmonies qui jouaient dans les villages des environs où il y avait kermesse. Notre major est plein comme une andouille et gueule comme un putois. C’est encore une perle. Blessé au talon les 1ers jours de la guerre, ayant eu les deux jambes cassées par suite d’une chute de cheval (étant plein), il ne tient plus sur ses pattes. Przemysl est repris par les allemands. Les français avancent. Mot d’ordre Edmond. 06 Chaleur terrible Nous faisons du café toute la journée. On transpire comme des malheureux. Le soir, départ pour les tranchées. Nous sommes chargés comme des mulets. Mot d’ordre Lilas. Les fleurs du printemps sont fanées et nous sommes encore à l’Yser. Rien ne bouge. 07 Quelle chaleur. Le piquet ne va plus à Kousseboom. Les Cies viennent aux tranchées. Craint-on une attaque ? Je n’en sais rien. Les moins découragés commencent à dire quel que soit le résultat la fin est l’idéal. Mon commandant commence à en avoir assez. Les autres officiers aussi. Je rencontre mon ancien sergent Smet du service actif. Une grosse bête comme ses pieds et à la guerre plus inconscient que courageux. Eh bien, ne le vois-je pas avec les galons de 1er sergent major ? Après la guerre, nous aurons une drôle d’armée. 08 Il fait chaud. On sue comme des malheureux. A 2/IV un homme par imprudence tue son ami dans un abri. Une balle dans la bouche. 4 h. un orage éclate. Lorsqu’il y avait un Bn les cuisiniers ne trouvaient déjà pas assez d’eau. Aujourd’hui il y a deux Bn. Plus d’eau à trouver. On fait la cuisine avec de l’eau sale qu’on trouve dans n’importe quel fossé. J’ai soupé de l’armée. On a beau être patriote, la façon d’agir de nos chefs nous révolte. Les hommes ont passé la nuit aux avant-postes. Ils ne peuvent se déshabiller. Toute la journée ils ont grillé au soleil ayant dans leur gourde deux louches de mauvais café. Ce soir, ils reviendront et avant de recevoir un peu de café, ils doivent aller à Nieucapelle chercher des vivres. Et on s’étonne que notre armée est découragée. Notre major boit du vin aux tranchées et les hommes n’ont même pas d’eau. On parle beaucoup d’une attaque. Que va faire notre division ? 39


09 On grille. L’attaque qui devait avoir lieu aujourd’hui est remise à demain. Nous restons cinq jours aux tranchées. On se retrouve quelques anciens dans la Villa du Prince de Galle. Nous constatons que les miliciens ne sont pas bien vus des supérieurs. Ils préfèrent les volontaires de guerre. Pourtant nous avons fait plus qu’eux. De plus, si nous n’avions pas été obligés de rentrer qui pourrait dire que nous ne nous serions pas engagés comme V. de G. Je vais à Oudecapelle. Ce village est tout démoli. Dans les ruines, deux trois familles y habitent encore. Dans les pairies de belles vaches broutent l’herbe. Nous allons dans une ferme. Elle a reçu plusieurs obus. Malgré cela deux forts gaillards y restent. Dans une ferme plus loin nous entendons un rire de femme. C’est l’heure du ravitaillement. Sur la grand route, chariots, camions, tombereaux, voitures automobiles se suivent. La nuit arrive. Une pluie fine tombe. Je me crois sur la route de Battice un jour de marché. Retour aux tranchées à 9 H. Ma Cie va aux avant-postes. Demain aura lieu la fameuse attaque du blockhaus allemand. La Cie devra peut-être être renforcée. Les amis viennent nous dire au revoir. Ils ne disent que ces 2 mots là. Ils ne pleurent pas mais dans leurs yeux vous lisez le regret de quitter cette vie si jeune, de laisser seul un père, une mère, sœur, frère, fiancée. On sent que ce sont des amis. A 6 h on annonce que la fameuse attaque française est remise. Nous n’attaquerons pas aujourd’hui. 10 Il fait meilleur aux tranchées. Le soleil n’est plus aussi chaud. Il pleut, le soir retour à […] par Lo. Les troupes ne passent plus par la ville. Elle est tout à fait déserte. Nos gros souliers résonnent sur le pavé. Nos voix trouvent écho dans les maisons vides. Que c’est triste. Notre major qui est boiteux est obligé de revenir à pied. La voiture qui devait venir le chercher à Nieucapelle s’est cassée en chemin. A son arrivée, il gueule comme un putois. On l’apaise, on le console même en lui portant une bouteille de vin rouge. C’est encore un disciple de Bacchus. Notre cycliste veut absolument que je parle de lui dans mon carnet. C’est un garçon extraordinaire, très aimable, excentrique. Napoléon Van Der Meersch surnommé le bison. Il est connu comme Barabas à la passion, au régiment. Sa spécialité est la bouffe. Une idée de ce que coûte la guerre. Notre chemin de colonne qui mesure plus de 3000 m a coûté 8500 francs. Chemin et chemin de ronde coûtent 12000 francs environ. Chaque abri coûte entre 250 et 300 frs. Le 6ème possède 85 abris et 4 blockhaus de la borne 20 à 22 – 2 km de front. Nieucapelle bombardé. 11 J’ai travaillé toute la nuit à arracher une dent. Les ordres journaliers nous disent que la révolution en Belgique est un bruit lancé par les Allemands pour décourager nos troupes. Les Russes amènent du renfort. Briand ministre des affaires étrangères… Wilson interventionniste triomphe du neutralisme. On nous reprend nos couvertures. 12 De mauvaise humeur. Vers 2 h. nos canons montrent plus d’activité. La fameuse attaque doit avoir lieu aujourd’hui. A 7 heures canonnade. On entend les mitrailleuses. Quatre captifs et beaucoup d’aéroplanes alliés. Je suis désigné pour suivre l’instruction des projecteurs. Le cuisinier du colonel passe à cheval. Il est caporal. Il n’a jamais vu une tranchée. A la guerre, pour gagner des galons il suffit de bien préparer le rata du colo. L’attaque doit commencer à 9,45 h. 13 Passe à la Cie des projecteurs. A 7 1/ H nous allons au colonel. Nous espérons aller à Calais et 10 ½ nous arrivons à Hoogstade. On nous conduit à la Cie dans une ferme très sale. 40


A 12 H un sergent nous annonce que nous devons aller ce soir aux tranchées. Ce n’est guère à Calais. Nous sommes hors ménage. Nous touchons 1 frs 97. L’attaque d’hier a parfaitement réussi. 2400 obus ont été lancés. 2 morts et 7 blessés. Le blockhaus allemand anéanti. On y a planté un drapeau. Jour de la procession à Andrimont. Quel dommage de ne pas être au village. Le soir, les canons recommencent la danse d’hier. C’est de la musique mais ce n’est pas aussi harmonieux que la symphonie du cercle. Ici je fais les figures du lancier à quatre pattes derrière le parapet. Du café froid remplace le bon verre. […] la rose dans la boutonnière. Que font les amis et amies du village ? Notre général se plaint que les soldats fondent leur gourde pour en faire des bagues. Nos officiers même en portent. 14 Journée très calme. Le temps est brumeux. Il fait triste aux tranchées. Je vais voir Emile et les amis du 1er bn. On parle que Joffre va être remplacé par le général P. Les bruits les plus extraordinaires circulent. Je me demande s’ils ne sont pas encore lancés par les Boches. Le soir, aux avant-postes. Des deux côtés on entend une canonnade intense. Vers 10 h les nôtres commencent aussi. Nous comptons 700 obus qui passent au-dessus de nous. Le ciel est éclairé devant et derrière. C’est effroyable et nous plaignons les ennemis qui sont dans les tranchées. Notre artillerie met une tranchée ennemie en feu. La pétarade n’est pas encore finie que deux mitrailleuses boches travaillent. On se demande où sont ces démons. 15 Le 7ème de ligne s’est avancé jusqu’aux tranchées allemandes. Une était remplie de cadavres. Dans l’abri en feu, 7 hommes carbonisés. Nous apprenons que le 3ème chasseur est remplacé par le 3ème de ligne. Les hommes n’en voulaient plus. Ils ont perdu 700 hommes en un mois. On est impatient de savoir ce qui se passe du côté […] mais l’autorité militaire défend de donner des renseignements. Serait-ce enfin la fameuse offensive. De bonnes nouvelles nous arrivent de Russie et d’Italie. Le soir, nouvelle canonnade. Un ciel pur. Un calme qui vous rappelle les soirées au village. A 8 h assis devant nos abris nous regardons passer les Cies de relève. On retrouve des amis. On fait la causette. On se lance des rigolades. On se croirait sur la rue au sortir d’une usine. 16 Hubert m’apprend que la vieille à la prise de Kousseboom s’est vue obligée par l’autorité militaire de quitter le village avec ses filles. Ne voulant pas s’exiler, elle a voulu venir chez sa fille à Nieucapelle. Hier, un obus l’a tuée ainsi que l’enfant de sa fille mariée. La seconde des filles a été blessée à la tête. C’est révoltant de voir comment agit l’autorité militaire. Les malheureux ne peuvent plus habiter Kousseboom mais peuvent venir se faire massacrer à Nieucapelle. Si ces gens gênent, qu’on les expédie de force s’il le faut mais qu’on ne les chasse pas dans un village bombardé. Pourquoi les gens d’ici ne s’en vont-ils pas ?1) attachement au sol de leurs pères. 2) Sentiment religieux. Ils ont trop confiance dans la Providence. Ils tentent presque le ciel. 3) l’argent que l’on peut gagner avec les soldats. Ex : à Lo, lorsque les troupes y cantonnaient, si on compte que chaque soldat dépense par semaine sa solde 4 frs, les gens de Lo recevaient minimum 30000 frs par semaine. Ici nombreux sont les commerçants qui s’enrichissent. 17 A 1 h 40 retour des avant-postes. Les Boches tirent au fusil. Les balles sifflent de tous côtés. Nous devons retourner à l’Yser par un boyau de communication en serpentin. Avec 15

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kg dans une main, le fusil dans l’autre, je dois courir baissé 6 à 700 m. Je perds une livre de graisse. Retour à Hoogstade. Emile et Hector viennent me voir. 18 Théorie sur les projecteurs. Nous nous préparons un bon dîner. Je ne sais pourquoi mais je suis plus triste. 19 Déménagement. Nous venons cantonner 10 minutes plus loin que le Rabbelare. La zone est dangereuse. Nous ne pouvons nous laisser voir sur l’arrière de la ferme. Nous sommes à 1 h de tout village mais rapprochés des tranchées. Victoire française à Arras. 20 Dimanche. Boots d’Eeklo l’ami du collège est aussi arrivé aux projecteurs. Dimanche triste. Nous sommes au milieu des campagnes. Les obus ont fait fuir les habitants. Le temps est sombre et augmente encore la tristesse. Pour dîner, nous avons une bouteille de vin. C’est dimanche. 21 A 1 h du matin, départ pour les tranchées. On parle de nouveau d’attaque. Le matin, les Allemands bombardent à gros obus de 7ème de ligne. Les hommes foutent le camp. Un ami (Loiseau) revenant d’Angleterre nous raconte ce qu’il a vu à Londres et Calais. Brachman commandant de la Cie des […] fut blessé à la tête au combat de Louvain. Supporté par 2 hommes, ils demandaient que nous le vengions. Je le croyais mort. Eh bien, il est à Londres souffrant de rhumatismes. De plus, il emmerde son monde. Le capitaine Van Melard tomba dans la Dyle et se porta malade. En février, un de ses soldats le rencontre à Calais. « Vous allez revenir bientôt ? » demande le soldat. « Non, j’ai encore deux mois de convalescence, je souffre de rhumatisme » fut sa réponse. Capitaine Evrard du 10ème de ligne, blessé au doigt est encore en Angleterre. C’était un officier aimé de ses hommes. Nous n’aurons bientôt plus que des auxiliaires dans notre armée. 22 Eté. Journée magnifique. Le malheur est que nous sommes encore à l’Yser. Vers 11 h un aéroplane boche survole nos avant-postes à 200 m de hauteur. On ne fait même pas de feu de salves. Le 7ème est bombardé. On entend tirer la grosse pièce qui bombarda Dunkerque. Terrible canonnade de ce côté. En allant aux avant-postes, je tombe à l’eau. 23 Le bruit court que Lemberg est repris par les Allemands. On dit que les Français font de sérieux progrès à Arras et en Alsace. Notre cantonnement près de Rabbelare a été bombardé. Les Allemands bombardent la digue. Nous avons deux blessés. 24 Nouveau bombardement des tranchées. 25 Retour au cantonnement qui est de nouveau à Hoogstade. Dans une magnifique ferme. L’après-midi, il pleut à torrent. 26 Beau temps. Repos. Je vais à la messe à Hoogstade. Lemberg est évacué par les Russes. 27 Dimanche. Le matin, je vais à la messe de 7 h et de 11 h. Temps orageux. Après-midi, fête à Hoogstade. 2 courses de 1000 m, lutte, combats de coqs puis concours hippique. La musique du 5 joue. La séance fut des plus agréables. Le soir, on cause dans le fenil. Il paraît que certains jours, on élève le ballon captif alors qu’il ne se trouve aucun officier dans la 42


nacelle. C’est du propre. Aux tranchées. Le 5ème remplace le 7ème de ligne. Quand le 7ème va aux avant-postes, il manque jusqu’à 100 hommes par Cie. On se demande si notre Roi a bien agi en laissant toutes ces divisions au front. Voilà 7 mois que nous y sommes. On est fatigué et personne pour remplacer. Si les Allemands attaquent, nous n’avons pas de réserve. Il faudrait appeler les Français pour nous seconder et ainsi notre armée ne plus avoir de gloire. 28 Beau temps. Adoration perpétuelle à Hoogstade. Les bourgeois sont endimanchés. Le soir, départ pour les tranchées. 29 Vers 10 h bombardement de la digue. Panique produite par les hommes du 5ème. Deux morts et plusieurs blessés. Je vais voir Emile. Les journaux disent que les Allemands se préparent pour une seconde campagne d’hiver. 30 Mot d’ordre. Gustave. Les Boches bombardent à shrapnells 15. Charles m’écrit que mes lettres arrivent régulièrement. Les têtes de shrapnells allemands sont de nouveau en cuivre. On représente le soldat français dans les Vosges caressant un marcassin. On pourrait représenter le soldat belge caressant un jeune chat. Des chattes des fermes démolies sont venues dans les abris y déposer de nombreux petits minous. Enfin on apporte deux tonneaux aux tranchées de deux cents litres d’eau venant de l’arrière. Malheureusement, cette eau suffit pour le repas du matin.

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JUILLET 1915 Juillet, le 12ème mois de guerre et nous sommes toujours à l’Yser, les Français à Arras et Verdun, les Russes à Varsovie et à la frontière de Galicie. Au commencement des hostilités, on nous prêchait de la patience, de la ténacité. Nous en avons eu mais nous devons encore en avoir car rien ne fait prévoir la fin. Notre armée est fatiguée mais les Boches doivent l’être aussi. Espérons. Ayons confiance. 01 Quelques shrapnells boches. Toute l’après-midi, un cuisinier joue de l’accordéon dans l’abri d’à côté. 8 h déjà, l’étoile du berger brille au ciel sans nuages défiant la nuit qui lentement jette son voile sur la terre. Pas de bruit mais le murmure de la prière du soir récitée par toute la création. Caressés par la brise, les épis agitent leur tête dorée interprétant la chanson des blés. Les feuilles des grands hêtres frissonnent, berçant les petits oiseaux qui de temps en temps disent leur bonsoir en un joyeux trillement. Voulant sans doute respecter ce calme majestueux, le canon s’est tu des deux côtés. Assis sur le bord d’un abri. Charmé par une petite flûte jouée par un véritable artiste, je ferme les yeux et je pars pour le village aimé.

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02 Un projecteur de 30 est installé aux tranchées. Le soir, je vais au poste d’écoute n° 6 à 400 m des avant-postes, près du canal de […] 03 A 2 h retour à l’Yser puis départ pour Hoogstade. Les Boches tirent des shrapnells et nous devons plusieurs fois nous coucher à plat ventre. Les congés sont rétablis à la division. Ce n’est pas une preuve qu’on va prendre une sérieuse offensive. Les lettres fermées sont interdites entre la Hollande et la Belgique. Je mange les 1ères groseilles. 04 Dimanche. Pour aller communier, j’ai frotté mes bottines. C’était du nouveau pour moi. Il y avait certainement 9 mois que je ne les avais plus cirées. Ste Berthe. Cette nuit, des hommes sont déjà partis en congé. Après-midi, je vais aux vêpres. Un groupe de demoiselles chantent des cantiques. C’est Andrimont. Je crois même en reconnaître une habillée en bleu. Que Dieu me pardonne mais je n’ai pu m’empêcher de penser à elle. 05 Il fait terriblement chaud. Le beurre se paie 4,40 le kg. 06 Départ pour les tranchées. 07 Aux tranchées. Les Allemands bombardent la digue. Quelques blessés. Temps orageux. 08 Temps brumeux. Il fait triste aux tranchées. 09 Nous installons dans notre abri des lits de camp. Si les Boches ne bombardaient plus, on serait mieux à l’Yser qu’au cantonnement. Le 3ème chasseur est au front. 10 On parle que les Russes se ressaisissent. C’est heureux. 11 A 2 h du matin, retour à Hoogstade. Messe à 6 h. je vais à la I/I. Les hommes ont reçu leur tenue kaki. Les hommes en sont fiers et sont tous debout prêts à sortir. Les autres jours, ils dorment encore à 9 h. Emile est très bien. La casquette seule ne me plaît pas. On est un peu anglais et j’aurais voulu une tenue plus différente des autres pays. Je vais faire une partie de whist dans un café puis vais à la messe chantée de 11 h. Un moine nous fait une allocution en flamand. Il développe cette pensée : les véritables courageux sont les patients. Je dîne avec Emile. Après-midi, fête à la division. Séance très agréable qui se termine par une apothéose 24 ss off de la cavalerie. La musique du 7 prêtait son concours. Les dames de la Croix-Rouge anglaise y assistaient. Avant de se quitter, nous écoutons la main au képi la Brabançonne. Les cœurs vibrent mais le God save the King les calme. Ces notes graves, cette musique imposante semble nous dire : du courage mais surtout de la patience. 12 En repos. Les 1ers heureux reviennent de congé. Dix autres partent. Le beurre se paie 2,20 la livre. Les œufs 0,35. Tout est excessivement cher. Les officiers peuvent acheter leurs marchandises dans les magasins de l’armée la moitié meilleur marché. Il n’y a pas de tels magasins pour les soldats. Ils sont sensés ne pas avoir d’argent nous dit un officier. Quel malheur que d’être petit. Emile va aux tranchées. 13 Chaud. La I/I reçoit ses tenues kaki. 14 Fête nationale française. J’ai huit jours de repos. Après-midi, il pleut. 45


15 Après la pluie d’hier, les champs sont magnifiques. Nous avons ici de belles cultures de lin et de houblon. Le G.G. de la 2 DA occupe une salle appartenant à un Boche. La femme belge reste dans cette maison avec 3 autres femmes et fait l’amour aux officiers. On les appelle les femmes qui fument. On devrait les appeler les femmes fumier. Et on s’étonne que des secrets concernant des opérations sont dévoilés. Nos officiers d’état-major se donnent à ces femmes. Or qui dit qu’elles ne sont pas au service de la patrie du mari qui est interné. 16 Il pleut. Après-midi, je vais au concert donné sur le terrain du génie à Hoogstade. Fête patriotique organisée par la IV/I du 7ème de ligne. Programme 1) Ouverture par la musique du régiment 2) Les enfants de Paris, monologue par Mr Capart 3) La revue des Zouaves 4) Intermède par Mr J. L’Hermitte a)Les gars d’Irlande - Holmes b) Mijn moederspraak – C. Benoît au piano : R. Claes6

Malgré la pluie, la séance fut des plus agréables. Les acteurs firent preuve de talent. L’Hermitte, une basse, chante très bien. Le Commandant de la Cie déclame d’une façon impeccable Le casque à pointe de […]. 17 Il pleut. Les chemins sont détrempés et forment de véritables bourbiers. L’ami Loiseau vient de recevoir des nouvelles de son ami prisonnier en Allemagne. Ce jeune homme poursuivi par les Boches s’était jeté à l’eau dans une rivière près de Tirlemont. On le croyait noyé. Il écrit au mois de juin chez lui. Le corps revenant trois fois à la surface de l’eau, il eut la chance d’être repêché par les Boches. C’est Abrassart d’Elouges. 18 Le soir, départ pour les tranchées. Au Housevriend, le patron d’une auberge est encore debout. Il est 23 heures. Nous y prenons un verre en écoutant les zwanzeurs qui racontent leurs exploits. Assis sur ma couverture dans le coin près du comptoir, je fume ma pipe et pense aux drames de la guerre d’Autriche de Napoléon. Ne sommes-nous pas aussi des grognards qui prenons une chope dans une auberge tenue par une bonne vieille ? 19 St Vincent de Paul. Aux tranchées. Les moustiques sont encore plus terribles que les puces. On dit que la casquette russe va être remplacée. 20 Ste Marguerite. Au 5ème, un obus tombe dans un abri. Onze morts. Spectacle horrible. Une tête là, une jambe ici. Un bras dans un coin, des mains dans l’autre. 21 Fête nationale. Pas de travail aux tranchées. On distribue du tabac et des boîtes de cigarettes. St Victor, merci à tous pour vos bons souhaits. 6

Voir aussi « Het Zouavenfeest » sur www.westhoekverbeeld.be et www.klaproos.be/bachten.htm

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22 Je vais au 7ème de ligne dans une ferme située à 25 m de l’Yser. On y vend de tout. On se demande comment les Allemands laissent en bon état cette habitation. Le secteur du 7ème est le boulevard de l’Yser. L’inondation s’étend encore devant cette partie de l’Yser. Point de tranchées en avant de la rivière. Les Boches tirent très rarement de ce côté. Les abris sont spacieux et armés. On y trouve de petits pavillons dans les bosquets entourés de jardin fait avec art. Il y a même une petite grotte où l’on a placé une statue de la Vierge venant de l’église de St Jacques-Capelle. 23 A 3 h retour à Hoogstade. Les hommes de la classe 15 et ceux âgés de moins de 25 ans partent pour l’armée. Je me demande pourquoi on fait rentrer ces hommes au moment de la moisson. 24 Un soldat touche 10 frs de solde. Il vient au village avec un ami pour faire quelques achats. Arrivé, il constate qu’il a perdu la galette. On cherche et on ne trouve pas. A la 6ème, tous les hommes mettent ensemble et rendent au malheureux ses 10 frs. Nous voyons travailler un projecteur de 60. On coupe le grain. 25 Dimanche. Messe à 7 heures. Fête pour les membres de St Vincent de Paul. Communion. Il pleut, il fait triste. Il y a un an, quelle belle journée et quel triste soir. 26 Emile part en congé à La Rivière St Sauveur. Le soir, départ pour les tranchées. La moisson bat son plein. Les campagnes sont déjà couvertes de lignes de tirailleurs formées par les gerbes assemblées. 27 A l’Yser. Secteur Sud au 7 de ligne. Je suis près de la fameuse villa Marietta. Cette villa à 20 m de l’Yser est encore intacte. Pas une vitre de la façade qui donne sur la rivière n’est brisée. Une bonne vieille y habite encore. C’est cette mère des soldats dont on a tant parlé dans les journaux. A côté de la villa est l’habitation du fermier qui a reçu un shrapnell. On y trouve toutes sortes […] du vin, du café, tabac, cigare, etc. Ici aux tranchées, la sentinelle rend les honneurs. La garde de police sort pour le major. C’est renversant de la parade à l’Yser. A quelques mètres de notre abri, il y a un verger. Nous pouvons nous procurer des pommes à volonté. 28 Journée très calme. Les moustiques sont terribles. Je vais voir Rosas. Il est préposé au tir à pigeons. Situation à Varsovie est des plus graves. On espère encore que les Russes résisteront. 29 Beau temps. Le 7ème a aux tranchées, un magnifique bassin de natation dont l’eau se renouvelle naturellement.

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30 Les Allemands incendient une ferme à l’arrière de l’Yser. La dame de la villa Marietta, veuve d’un commandant, va à la ville à dos d’âne. Elle parle parfaitement le français et est des plus aimables. 31 Au cantonnement. Nous sommes au ménage. Beau temps. Nous calculons que la propriétaire de la ferme où nous habitons touche au minimum 100 frs. par jour sans préjudice puisque ses étables et granges sont vides. Et ces gens exploitent encore le soldat. De nouveau les autorités françaises et anglaises refusent la gratuité des parcours sur les trains pour les soldats belges. Nous n’avons pas encore assez soufferts pour ces gros.

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Aout 1915

01 Dimanche. A Hoogstade, les cafés sont pleins. Les soldats veulent noyer les tristes pensées que suggère cet anniversaire. Canonnade intense du côté d’Ypres. On annonce l’évacuation très probable de Varsovie. Je parie 2 litres de vin que la guerre sera finie cette année. 02 Manifeste du Pape aux belligérants daté du 21juillet. L’évacuation de Varsovie est presque certaine. Promenade très agréable avec Louis et Hector. Emile revient de congé. 03 Départ pour les tranchées à 12 h. Fort de Knokke-Brug. 04 Aux tranchées. Dans ce secteur, il semble que l’on ne soit pas à la guerre. On peut boire un verre de bière aux tranchées… 05 Beau temps. Les Anglais viennent occuper les avant-postes du 7 au fort de Knokke. On parle de prolonger le front anglais. 06 Le ministre de la guerre du Canada vient aux tranchées. Il était accompagné d’in officier d’Etat-major. Un poste de télégraphie sans fils est établi aux tranchées. 07 Les journaux nous apprennent la chute de Varsovie. Décidemment, le rouleau compresseur est retourné. 08 Retour au cantonnement. Temps magnifique. Quel dommage de ne pas être à la kermesse à Andrimont. 09 Bain au canal de Lo. La 5ème division est au repos. Nous allons voir deux bateaux français armés de canons à longue portée. La faux fait de terribles ravages dans les champs. On rentre déjà les gerbes. Une machine à battre fonctionne déjà dans les environs. 10 – 11 Beau temps. Départ pour les tranchées. 12 Aux tranchées. Fort de Knokke-Brug. Une demoiselle conduite par le garde-champêtre de Lo arrive aux tranchées. Un lieutenant des mitr. lui fait voir les tranchées de combat. Elle entre dans notre abri et refuse de partager la fricassée que nous venons de préparer. Je me demande de quel droit cette personne peut venir à la 1ère ligne de feu. Le soir de garde. 13 Nous allons nager au bassin du 7ème. Après-midi, pluie. On dit que les Anglais vont allonger leur secteur. Vers 8 ½ une voix bien connue vient crier mon nom à la fenêtre de notre abri. C’était Jean Léonard. Il doit travailler jusqu’1 h à 600 m d’ici. A 1 h 10, il est dans mon abri et jusque 7 h du matin, nous causons du pays, des aimés. Il est encore bleu. 14 Beau temps. Nous allons ai bain. On raconte que 2 […] allemands sont signalés entre Dixmude et Ypres. On s’attend à une attaque. 15 La nuit du bal à Andrimont, je suis de garde à une chambre de mitrailleuse. 50


16 Retour au cantonnement. 17 Déménagement. Notre nouveau cantonnement est situé à Abele à 1 h de Hoogstade. Notre logement n’est pas mal. Cette partie du village compte une vingtaine de maisons dont dix-neuf cafés. Les habitants parlent un flamand que je n’arrive pas à comprendre. Nos cuisiniers se distinguent. De la soupe au poivre, pommes de terre séchées. C’est plus mauvais qu’à l’infanterie. 18 Nous allons prendre un bain à La Panne. Départ et retour en tram. Il fait très agréable à La Panne. C’est la tirelire du soldat. Les bains sont magnifiquement installés. Douches ou baignoires. Les habits sont désinfectés et chacun reçoit du propre linge. 19 Au cantonnement. On s’ennuie en attendant avec impatience la solution du problème des Balkans. Le soir, départ aux tranchées. On conduit nos sacs en auto. 20 On annonce la prise de Kovno. Décidément, le rouleau compresseur est dévié. 21 Cambier m’embête à me soutenir que la guerre durera encore un an. Je prétends le contraire. De plus, il me scie les côtes à me demander depuis le matin que je lui laisse voir choseque. 22 L’Italie déclare la guerre à la Turquie. Le soir, de garde. Un mitrailleur revenant de congé en Angleterre raconte son voyage. Il est tordant. Vers minuit, nous faisons fonctionner l’appareil, des sentinelles ayant cru voir des Allemands s’avançant. Nous ne découvrons que deux piquets. 23 On parle dans les journaux d’un rebondissage prochain de l’armée russe. […] est tombée. Nous regrettons la chute de ces places pourtant elle prouve qu’Anvers n’a pas été abandonnée sans bonnes raisons. On attend les résultats d’une bataille navale dans le golfe de Riga. 24 De grand matin, retour au cantonnement. Nous devons de nouveau déménager. Toute la journée, nous travaillons au nettoyage de l’écurie. 25 A 4 h départ pour La Panne. Il fait un temps admirable. Sur le tram, nous jouons au piquet. Vers 8 h, je prends mon 1er bain de mer – douche et à 11 h 2ème bain de mer. Cette fois, je dois être propre. L’avant-midi, la musique du 1er de ligne donne concert. Les journaux nous annoncent la défaite navale allemande dans le golfe de Riga. L’aviateur Gilbert s’évade de Suisse. On discute beaucoup de cette évasion. C’est un français. S’il était belge, nous lui dirions : vous aviez donné votre parole. Il fallait rester. 26 Depuis plusieurs jours, on entend une canonnade assez intense du côté de Steenstraat. Au cantonnement, un caporal joue du violon. 27 Le soir, départ pour les tranchées. Les sacs sont conduits en auto. 28 Aux tranchées. Je vais prendre un bain au 7ème de ligne.

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29 Le matin, je vais à la messe à Nieucapelle. On est étonné de voir le nombre de gens qui habitent près du front dans des maisons souvent à moitié démolies. Après-midi, il pleut. Les routes sont déjà de véritables bourbiers. Les Allemands bombardent les avant-postes de la cavalerie. Quatre morts et deux blessés. 30 Il fait triste aux tranchées. La marche des opérations nous désespère de voir la fin cette année. On construit déjà à l’Yser des tranchées en béton armé. Gilbert est renvoyé en Suisse par le ministre de la guerre français. C’est bien. 31 Je vais au 6. Un chemin de fer est installé aux tranchées et facilite beaucoup le transport de vivres et matériaux. Des équipes spéciales sont formées pour les travaux en béton armé.

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Septembre 1915 Neuvième mois de l’année 15 et quatorzième mois de la guerre et rien n’annonce la fin. 01 Retour au cantonnement. Les journaux nous disent que les Allemands enlèvent les voies de chemin de fer pour les envoyer en Russie. 02 Il pleut toute la journée. Le caporal F. met un petit mouchoir en guise de serviette. On se demande si ces gens sont à la guerre. 03 Il continue à pleuvoir. Nous jouons toute la journée aux cartes. 04 Pluie. Le soir, départ pour les tranchées. 05 Au secteur du 6. L’artillerie est très active. On construit des blockhaus en béton armé. Le pape fait une démarche aux Etats-Unis pour la paix. J’ai […] de repos. 06 Réveillé par le canon. Temps sombre et triste. 07 Je suis cuisinier. Nous faisons des boulettes et de la confiture. Le soir, bombardement intense à notre gauche. 08 Vers 9 h les Boches bombardent le pont près de notre abri. Deux morts et des blessés. Pendant une demi-heure, nous ne nous sentons pas trop rassurés dans notre abri. Heureusement, nos canons font taire les Boches en leur envoyant le double de projectiles.

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09 Retour au cantonnement. Nous avons passé la nuit dans l’abri où le matin, deux hommes ont été tués. Aussi, on n’est pas fâchés de quitter les tranchées. Le Tzar prend le commandement des armées russes. 10 Je vais à Alveringem voir Charles. Il a reçu 20 frs. Sur tout le front, canonnade, tir intense. On parle de victoires russes. 11 Les congés sont suspendus. 12 Je vais à Alveringem et à l’autre côté du canal voir J. Scheen. Alveringem est vide et triste. Des où allez-vous à chaque rue. Les oiseaux sont encore là et volent dans les rues à la recherche. 13 Les congés sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. Voyage à Londres remis à quinze jours disent certains. Beau temps. Vers 6 h, on me commande pour les tranchées. Villa Marietta. 14 Aux tranchées. Les Boches bombardent le fort de Knoke. Ils ont probablement remarqué que les Anglais y font des travaux en béton. Le soir, de garde. Des espions ayant été signalés, on arrête tout le monde sur les passerelles. Même les officiers subissent des interrogatoires. 15 Je vais dîner au fort de Knocke. Une bonne femme nous prépare pour 25 centimes des pommes de terre et des fèves. La femme est des plus comiques aussi on rigole plus qu’on ne mange. 16 Aux tranchées chaque projecteur a reçu un imperméable. Ceux-ci n’ayant pas de poches, un soldat a trouvé bon de d’en couper une sur le côté. Les soldats sont parfois des enfants terribles. 17 Retour au cantonnement. Une partie de la Cie va pour 7 jours à La Panne. On reste donc 7 jours aux tranchées. Je reçois un pantalon kaki. 18 Bain à La Panne. Nous voyons manœuvrer un croiseur. De la plage, nous voyons les hommes qui travaillent sur le pont. On a construit de grands hangars pour abriter les troupes. On apprête pour l’hiver. A Furnes, nous voyons une maison avec étage construite sur essieu. 19 Dimanche. Je vais à la messe au village. La messe du dimanche est à 7 h. A 6 ½ h le sacristain commence à sonner jusqu’au commencement de l’office. Les chaises sont très bien rangées dans l’église mais dans ce pays, les gens ont la manie de les déranger. Grand-mères et petits-enfants prennent la chaise qui leur plaît et la transportent là où ils veulent. Certaines personnes changent de trois ou quatre chaises avant d’être là où ils veulent. Je vais à Pollinkhove pour y rencontrer à 2 h Jeanne et Louise. A 2 ¼, elles arrivent avec Léopold qui a obtenu un sauf-conduit pour venir de Bray-Dunes jean et Bovy J. Elles sont venues en auto et retournent à 4 ½. Avant de se quitter, la comtesse nous photographie. Quelle joie on éprouve de rencontrer deux amies dévouées qui vous parlent du village et des aînés qui y sont restés. L’entrevue fut courte mais suffit à me faire oublier des mois de souffrances. Elle me donne une idée de ce que sera le jour du grand retour. Léopold est maigri. 54


20 Je vais à Alveringem. Je revois léopold Hick. Charles me paraît plus réfléchi. On peut causer avec lui. J. Nicolay semble fatigué. Les bruits les plus extraordinaires circulent. La cavalerie est consignée. Elle part en France, dit-on. On parle d’offensive secrète. 21 Les nuits deviennent terriblement froides. Pendant la journée, il fait chaud mais le vent pique déjà. Les mauvais jours arrivent et rien ne change dans la situation. Je vais voir J. Scheen. J’assiste à la descente du ballon captif ainsi qu’à sa rentrée dans le hangar. Il y est magnifiquement installé. Comparé aux piotes, c’est un prince en guerre. Nous avons une nouvelle adresse A92. On discute beaucoup à la Cie. On défend d’écrire des lettres de plus d’une page. Certes, c’est une bonne mesure pour les censeurs. Le travail sera de beaucoup facilité mais on arrache aux soldats la joie d’écrire, de recevoir de longues lettres sans pour cela supprimer des embusqués. Quel courage il faut avoir pour continuer à faire son devoir. 22 Notre cavalerie part pour la France, destination inconnue. On croit à la possibilité d’une offensive française sur Verdun. Charles vient me voir. Nous allons au concert donné par le 2ème de ligne à l’hôpital anglais. Séance très intéressante. Pour finir, lorsqu’une gentille voix entonne la Brabançonne, une locomotive lance des coups de sifflet stridents. Alors que la chanteuse faisait battre nos cœurs, cette locomotive n’a-t-elle pas voulu représenter le cri de détresse de la patrie. Un grand nombre de lits avec leurs blessés étaient placés dans la cour pour permettre aux braves d’assister au spectacle. Cet hôpital ne reçoit que les gravements atteints. Aussi en voyons-nous de véritables malheureux, un aveugle même. Oh que cette vue est triste. Combien cruelle nous paraît la guerre. Les soldats disent quelque fois, je voudrais une petite blessure pour aller à l’hôpital. Moi, j’ai une peur terrible de l’hôpital et je ne sais si je pourrais vivre dans ce milieu. Je préfère encore les difficultés et les dangers de la vie au front. 23 Beau temps. Les nuits sont meilleures. Je vais voir Emile et Louis. Ils me racontent la visite de la reine aux tranchées le 21 crt. Elle suivait l’Yser depuis le fort de Knocke. Arrivée au blockhaus nord du secteur, deux shrapnells sont tombés à quelques […] de sa majesté. Toute émotionnée, elle se réfugie dans un abri. Elle est allée aux avant-postes du 5ème de ligne. Elle distribua des cigarettes et du chocolat. Cette visite fait bonne impression sur les hommes. On discute beaucoup le départ de notre cavalerie. Pourquoi doit-elle travailler en France ? 24 Il pleut. En repos pour 7 jours. […] les Allemands ont jeté des bombes à La Panne. Il y a 46 victimes. Les navires alliés bombardent la côte. Le soir, on entend une canonnade terrible du côté d’Ypres. On parle de grande offensive. 25 Décidément, les souris sont boches. Nous pouvons mettre notre pain où nous voulons, le matin il est mangé. Je vais trouver Emile. Le régiment est consigné. La canonnade continue. Tout va bien, paraît-il. Vilna est pris par les Boches mais les russes ont échappé au piège. La Bulgarie est sur le point de s’allier aux Allemands. Hier soir, un bataillon du 2e de ligne a fait l’assaut des boîtes à femmes de Pollinkhove. Les soldats devaient sortir des cafés à 7 h. Alors MM les officiers entrent et s’y conduisent en pourceaux. Quelques taudis ont été détruits. On regrette malheureusement la mort d’un gendarme. La population devient de plus en plus antipathique aux soldats. 55


26 La canonnade du côté d’Ypres a cessé. Serait-ce déjà la fin de l’offensive ? Après-midi, je vais voir Emile. Il part aux tranchées. Ils sont terriblement chargés et je me demande en cas d’avance comment ils poursuivraient l’ennemi. On dit que les Français ont fait 15000 prisonniers. 27 Il pleut de nouveau. Je vais le soir à Leisele avec quelques amis. Un radiotélégramme allemand intercepté dit que l’offensive allemande est arrêtée. 28 Le temps s’est remis au beau. Les nouvelles de France continuent à être bonnes. Vingt mille prisonniers et une trentaine de canons. Une retraite allemande est possible. 29 Il pleut dans discontinuer. Les nouvelles du front français continuent à être bonnes. La ligne allemande doit être percée. On prépare ses paquets. On espère bientôt avancer. 30 Pluie. Les nouvelles continuent à être bonnes. Nous finissons le 14ème mois avec l’espoir d’avancer bientôt. Octobre 14 vit le flot allemand arrêté, puisse octobre 15 voir le flot repoussé. A 9 h on me commande pour les tranchées secteur nord.

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Octobre 1915

Il y a un an la première ligne de défense d’Anvers allait tomber. Le désespoir dans l’âme, nous voyions notre dernière espérance s’évanouir sous les coups de 42 allemands. Accablés, nous attendions la mort dans les tranchées de notre dernière place forte. Aujourd’hui dans les tranchées de l’Yser, nous n’attendons plus la mort mais la délivrance. L’espérance de reprendre à l’ennemi notre Belgique emplit nos cœurs. Il y a un an, j’ai pleuré. Aujourd’hui, malgré les bombes et les obus qui sèment la mort à quelques centaines de mètres d’ici, je chante et je crie Vive la Belgique, Vivent les Alliés. 01 Au 5ème de ligne. Duel d’artillerie et jet de bombes aux carabiniers. 02 Je lis sur mon calendrier : Sts Anges Gardiens. Puisse mon protecteur me préserver dans les jours qui vont suivre comme Il m’a préservé pendant ces quatorze mois de guerre. Puisset-Il obtenir du Ciel que je voie ma patrie et les chers qui y sont restés libérés du joug allemand. On parle d’offensive du côté d’Ypres et Nieuport pour demain. Les soldats sont pleins d’entrain et ont confiance dans la réussite de la G.O.G. qui montrera que l’armée allemande n’est pas invincible. Violent bombardement aux grenadiers. 03 Je vais avec Teunis à la messe à Nieucapelle. En temps de paix, le village comptait 700 habitants. Aujourd’hui que pas une seule maison ne soit restée intacte, plus de 600 encore. Le village est mis en état de défense. Fils de fer barbelés, créneaux dans les murs des maisons, petit blockhaus au centre. Une véritable forteresse que ce village démoli. En revenant, nous assistons à la messe dite aux tranchées. A ce propos Teunis me parle de l’aumônier du 1 er bn du 5ème de ligne qui à Ramskapelle debout donna l’absolution aux soldats. Il eut la main coupée au moment où il fit le signe de la croix. En revenant du village, nous allons prendre une tasse de café dans plusieurs maisons. Partout, nous parlons de la guerre, du recul des Allemands et partout même sourire ironique. Les gens sont résignés et ne semblent plus rien attendre des alliés. Au moment où chaque soldat ne voudrait mettre en doute la victoire des alliés, la réussite même de l’offensive franco-anglaise, qu’il est triste de constater le découragement de ces populations. Ne leur faisons pas grief car leur accablement est grand, les souffrances qu’ils endurent de la part des Allemands et des alliés sont terribles et justifient leur état d’esprit. Nos autorités se montrent parfois trop dures pour ces Belges malheureusement bien à plaindre. Le soir, de réserve. Je vais avec le caporal au 6ème de ligne. Il y fait noir comme dans un four. Lorsque nous avons perdu la passerelle, nous devons éclairer le terrain avec nos cigarettes. A plusieurs endroits, on construit des blockhaus en ciment. Des équipes spéciales d’Anglais et Belges y travaillent. On se croirait en plein chantier de construction. Ca me rappelle Beverloo dont les magnifiques constructions servent aux recrues boches. Aux projecteurs du 6ème un éclat d’obus est entré dans l’abri renversant la marmite contenant la graisse à frites. C’est la seconde fois que ça arrive. Décidément, les Boches en veulent à nos frites. Papa nous parlait souvent des rats de Paris en 1870. Au

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retour, je pourrai lui parler des rats et souris de l’Yser 14 et 15. Si on pouvait les changer en grives, on aurait du fricot. 04 Plusieurs hommes sont blessés par des balles perdues. 05 On dit que la Russie a envoyé un ultimatum à la Bulgarie. Le général vient aux tranchées. Nous faisons une partie de whist des plus agréables. Si nous avions un demi à boire, nous nous croirions au restaurant. 06 Retour au cantonnement. Les troupes ne vont plus à La Panne. Nous ferons de nouveau quatre jours. Nous logeons à nouveau à Hoogstade. Les soldats de l’armée anglaise sont des princes à côté de nous. On comprend qu’on trouve des volontaires en Angleterre. Pauvre armée belge, tu es deux fois à plaindre.

07 Quand nous sommes arrivés hier à cette ferme occupée par les Anglais, nous trouvâmes des lits de camp faits par ces derniers. Les hommes étaient heureux. On allait être bien pour coucher. Malheureusement, le capitaine a fait démolir les lits. Les hommes peuvent coucher sur le sol. Lui, il a besoin de planches pour son chalet. Le chalet construit il y a quelques temps pour nos officiers était magnifique. Aujourd’hui, il faut doubler les murs extérieurs faits en planches superposées. C’est encore une perle notre capitaine. Aussi maigre qu’un hareng, le vent menace de le renverser à chaque instant. C’est encore un fils de Bacchus. Beau temps, je vais voir Emile. 08 La G.O.G. est reprise. On annonce 1000 prisonniers boches. […] présente sa démission. Quelle va être l’attitude de la Grèce ? Les Anglais ont débarqué à Salonique. 59


09 Le soir, départ pour les tranchées, secteur nord.

10 Au 5ème de ligne. Je n’ai plus de chaussettes. Rien d’autre à faire que de mettre ses souliers sur les bas du père Adam. C’est la guerre, on s’en fout. Les austro-all. ont passé le Danube. 11 Calme aux tranchées mais canonnade très intense du côté de l’Ypres et de Nieuport. Vers midi, un de nos avions évolue au-dessus des lignes boches. Il est accueilli par une vive fusillade boche mais il semble s’en moquer. 12 Quelques obus allemands sur les tranchées. Une patrouille à nous qui s’est avancée jusqu’aux petits postes allemands a rapporté des journaux. Ils disent juste la même chose que les nôtres tout en étant tout à l’opposé. A les croire, c’est l’Allemagne qui va nous affamer. C’est un peu fort. Belgrade est pris par les Austro-Allemands. 23 ans, que je suis vieux. 13 Nos avions montrent une grande activité. Un d’entre eux vole au-dessus de Dixmude à quelque cent mètres. Nos soldats l’acclament. Terrible canonnade du côté d’Ypres. On est anxieux. Que se passe-t-il sur le front ? Va-t-on enfin avancer ? On suppose que les troupes qui sont devant nous appartiennent à l’armée autrichienne. On offre des primes aux soldats qui ramèneraient des prisonniers. Plusieurs vont encore essayer cette nuit. 14 Retour au cantonnement. La Bulgarie a attaqué les Serbes, peuple de héros bien à plaindre. Espérons que les alliés les vengeront et pourront payer largement ces braves. 15 Juste le même temps que l’année dernière : brouillard. Nous voyons passer deux mortiers de 220. Delcassé démissionne. 16 Anniversaire de la bataille de l’Yser. Nous y sommes toujours mais beaucoup mieux installés que l’année dernière. Brouillard. Enfin, je reçois mon costume kaki d’hiver. Ce n’est

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pas trop tôt […] je saute sur la tenue d’été. Le costume est joli et les hommes en sont fiers. On distribue aussi des lainages. L’hiver arrive. Je vais voir Charles et Joseph Scheen. 17 Dimanche. Messe militaire. Je suis plus triste aujourd’hui. C’est probablement l’effet de la musique qui m’a trop parlé du pays. On discute vivement le départ de Delcassé. Je crois que la folie des grandeurs entraîne nos aumôniers. Aujourd’hui, j’en ai vu un avec des bottes jaunes. Il avait l’air d’un seigneur. Ce sont de véritables officiers. Les hommes éprouvent une véritable crainte à leur parler. Pourquoi ne gardent-ils pas le costume religieux qui les ferait considérer comme des conseillers, des amis et non des supérieurs ? Je rencontre l’abbé Renier. Ces religieux brancardiers sont de véritables piotes7 et je me demande si un soldat qui ne les connaîtrait pas personnellement oserait se confesser à ces prêtres qu’on a travestis. Ces jeunes vicaires qui se sont tant de fois distingués au front se plaignent du peu de considération que les autorités militaires ont pour eux. Notre vicaire Nizet est aumônier en France. Mon ami Delvaux lui a causé de moi mais je n’ai encore rien reçu de mon pasteur. Il me semble qu’il aurait pu s’intéresser un peu plus à ses paroissiens. Au retour, nous en recauserons de ces gens qui, lorsqu’ils sont bien, oublient leurs amis qui se battent pour eux. J’ai encore 4 jours de repos. 18 Canonnade assez importante sur notre front. Un ami me passe un journal allemand de Cologne. Il ne dit rien de bien intéressant. 19 Je vois le commandant O. qui me dit d’aller le trouver chaque fois que j’ai besoin de lui. Mon ancien commandant n’est guère changé. Le beurre se vend à 5,60 frs le kg, les œufs 0,20. La margarine, 2,80 le kg. Les congés sont rétablis. Les 1ers partiront probablement demain. Je suis inscrit pour le 2ème tour. Nos cuisiniers vont être décorés. Ils préparent admirablement le rata. De plus, par délicatesse, ils nous font attendre une demi-heure au bidon. Aujourd’hui, les hommes s’énervaient. Heureusement, le souper des veaux détourna leur courroux. La grande horloge des cieux a dit aux veaux que l’heure du souper est passée. Plusieurs fois déjà ils ont jeté un regard du côté de la barrière derrière laquelle devraient déjà s’aligner les seaux de lait. Lentement, en cueillant un dernier brin, ils se rapprochent de la ferme. Enfin, la fermière arrive avec le petit lait. Brusquement, elle ouvre la barrière puis, frappant de sa baguette de fer blanc, jette l’appel du bouzou… En trombe, la jeunesse des prés arrive. Leur gourmandise les affole. Ils vont de droite et de gauche ne sachant à quelle place s’arrêter. Ils se bousculent, se donnent des coups de tête menaçant à la fin de renverser les récipients. Heureusement, la baguette de la fille a tôt fait de calmer les plus turbulents. Elle frappe à grands coups sans pourtant faire mal. Les étourdis sont chacun à leur place. Cette séance amuse les soldats. Les quolibets n’épargnent ni les veaux ni la fermière. Moi, je rêve. Combien de fois j’ai assisté à ce repas. Pourquoi ne suis-je pas là avec le fouet taquinant les animaux et me faisant gronder d’elle. Oh le bon temps qui s’écoulait dans la ferme du Bois Cornu.

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Piote (ou piotte), « mot d’avant-guerre » qui désigne le soldat de l’infanterie. Dans le contexte d’une armée de pauvres qui pratique encore le remplacement, le terme est péjoratique, quelque part entre la pitié affectueuse et le dédain. CONRAADS D. – NAHOE D., Sur les traces de 14-18 en Wallonie, IPW 2013, p. 197

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20 Défense sous peine de conseil de guerre de demander du linge à une personne étrangère à l’armée. 21 Commandement de notre sergent. En place, repos, présentez armes. Deux hommes sont renseignés pour ne pas avoir salué le général. Le sergent C. leur reproche d’ignorer les grades. Le général, dit-il, porte au collet trois étoiles de général et une branche de je ne sais quoi. Notez que ce sont tous des ingénieurs. Départ à 9 h pour les tranchées. 22 Promenade au fort de Knocke. Les travaux en béton sont presque achevés. Au 5 ème redoute Elisabeth. Au 6ème redoute Marie-Josée. 24 L’exécution de Miss Edith Cavell à Bruxelles est sévèrement commentée. L’indignation en Angleterre est grande. Von Bissing se distingue. 25 Pluie. Triste aux tranchées. 26 Retour au cantonnement. Louis a reçu des nouvelles de sa famille. 27 Les Boches tirent sur Lo. La tour doit avoir attrapé son biscuit. 28 Les dégâts à Lo sont importants. L’église était un bâtiment de grande valeur. Il avait déjà échappé à plusieurs bombardements aussi espérait-on le sauver.

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29 Le matin, je vais prendre un bain pour les puces. L’eau est dégoutante. Bien à propos, je reçois une paire de souliers pour mon voyage. Après-midi, je fais mon sac. Je vais aller en congé. Pendant huit jours, je vais oublier la guerre. Je vais revivre la vie normale. On est impatient de partir. Le soir, une équipe part aux tranchées. Quelques hommes ivres en viennent aux mains. 30 A 4 ½ réveil. On est beau pour partir en Angleterre. Frais rasé, les cheveux coupés, les habits bien brossés, les souliers frottés, nous partons heureux de quitter la ferme pour quelques temps. J’ai 80 frs en poche. Cambier qui vient avec moi en a un peu plus. Nous prenons le tram à Nieuwherberg pour Furnes. Là, nous allons prendre une tasse de café. A 8 h 10, nous prenons le train pour Calais. Prendre le train, mon Dieu, mon Dieu quelle affaire. Comme cette odeur de gare est agréable. Dîner à Calais puis un Verviétois un peu bavard veut nous conduire chez les femmes qui fument. Il paraît qu’ici, elles sont extraordinaires. Dans la 1ère maison, au 290, j’entre dans le corridor mais il y fait si sombre, l’odeur de cette boîte est si repoussante que je m’enfouis. On rigole de Victor. Au n° 286, il y fait plus propre. 0,50 le verre. J’entre. Les petites à moitié habillées, la gueule peinte, vous caressent pour un verre. Elles me dégoûtent et je les envoie paître. Nous buvons des bistouilles, boisson de calaisiens. A 4 ½, nous prenons le bateau. Me voilà sur la mer. Mon premier travail est d’emmerder la gueuse. Je ne puis regarder par le tuyau la figure de la chipie ni de mes déchets. Notre bateau n’est pas très grand mais confortable. Nous sommes environ 400. Le soir approche et déjà le brouillard nous empêche de très bien distinguer les bateaux et navires de guerre qui gardent le port. A gauche, nous avons les côtes de France qui nous apparaissent comme une ligne de forts dont les murs extérieurs seraient faits en minerai d’argent. Il fait noir. Nous ne voyons plus que l’écume qui entoure le bateau. Seuls, l’hélice et le bruit des machines troublent le silence. Assis à l’arrière, nous pensons aux chers restés au pays. S’ils pouvaient savoir que nous partons en congé. Que font-ils, que disent-ils ? Cambier est joyeux et chante des airs de son pays. Au loin, des lumières puis bientôt une sonnerie et un coup de sifflet nous disent que nous entrons dans le port de Folkestone. On débarque pour monter dans le train de Londres. Des miss nous apportent un sachet avec quatre tartines fourrées et une tasse de café. Dans un compartiment de 1ère classe, nous rencontrons un liégeois. Nous allons jusque Londres en compagnie d’un Nègre et d’un Anglais qui a bu un verre. Le blanc taquine le noir. Nous arrivons à Londres à 9 ½. A la gare, nous trouvons un buffet installé pour les soldats qui est à notre disposition. On y distribue thé, café, chocolat et tartines fourrées. On nous conduit dans un logement. Pour 3,50 frs, nous avons une magnifique chambre avec deux grands lits. Depuis 15 mois, c’est la première fois que je me déshabille pour dormir. Quel bien-être on éprouve dans ces draps bien blancs. Quelle satisfaction de danser dans notre lit. Si nos parents pouvaient nous voir. J’ai attrapé une petite concorde d’une anglaise. 31 Lever neuf heures. Cette fois, on est reposé. Et dire que pendant huit jours, nous allons avoir un lit. Déjeuner à 9 ½. A 10 h, arrivée de notre Wallon. Pluie continuelle. Nous visitons la ville. C’est dimanche. Peu d’animation. Les magasins et cafés sont fermés. La ville de Londres est magnifique. Les rues en ciment sont larges et droites. Les maisons d’un style imposant respirant le sérieux extérieur de l’Anglais. Nous nous servons des autobus du 63


métropolitain, du tube. Tout cela est nouveau pour moi. Ces installations souterraines sont admirables. On y descend en ascenseur. On en revient par des escaliers marchants. Nous allons voir les derniers dégâts des Zeppelins. Nous dinons pour 5 pence au club installé pour les Belges. La cuisine n’y est pas fameuse. Le soir au Monico, café français puis dans deux grands cafés où se tient la foire des cocottes. Je rassemble toutes mes connaissances en anglais puis je commence mes boniments. Une poule m’offre du plaisir à 14 shillings. Je l’envoie paître. Ici une femme ne peut, sous peine d’une amende de 150 L vous accoster. Elles vous regardent, sourient mais ne peuvent venir à vous. Ici, pas de boites à femmes. Tous les feux sacrés s’éteignent dans les parcs. On ne peut sous peine d’amende très forte tenir une maison clandestine. Pas non plus de surveillance des femmes comme chez nous, pas de femmes cartées. De retour à la pension, nous causons avec le patron. Les Anglais ont fait des bois, dit-il, pour cacher leurs vices. C’est un pays de cocagne pour le millionnaire. On condamne directement. Prison avec travaux forcés ou payement d’une somme assez forte. L’agent de police est une personne sacrée. On ne peut y toucher. Il représente la reine.

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Novembre 1915

01 Dans ce pays protestant, rien de particulier. Nous rencontrons le père d’un de nos caporaux. Il nous offre une tasse de chocolat. On paie à la caisse. Pas de pourboire ici. Nous visitons la fameuse tour de Londres avec sa tour de sang. Là se sont déroulés des drames terribles. Nous pouvons voir les bijoux de la Cour. Dans la même salle, il y a pour des milliards de diamants et d’objets précieux. Après-midi, au musée Tussaud. Personnages en cire. On croirait voir des gens en vie. Miss Cavell y est. Le soir à la gare Victoria. C’est le lieu des rendez-vous. Que de belles petites là. Nous rencontrons même des Belges. 02 Nous visitons des musées. Il y a trop à voir. C’est malheureux de ne pas avoir quatre yeux. La collection des momies est remarquable. Nous traversons le parc qui est immense. L’entente entre les gens et les animaux est épatante. Les écureuils mêmes viennent prendre des morceaux de pain dans la main. Chats et chiens sont de bons amis. Plus d’animation dans la ville. Beaucoup de toilettes. Quelle différence entre ces coquettes et nos paysannes d’Hoogstade. On ne se croit plus soldats. Les cafés sont ouverts. Pas de tables. Il faut boire au comptoir puis filer. Deux places dans le café. Le public bar pour les ouvriers, le saloon bar pour les autres. Le même verre servi par la même fille y coûte 5 centimes en plus. Chacun doit payer son verre. Le mari ne peut pas payer un verre à sa femme. Les femmes ici boivent beaucoup. Les gosses ne peuvent entrer. On les laisse sur le seuil. Le policier peut y regarder. 03 Les conducteurs de bus sont d’une adresse merveilleuse. Nous nous faisons charrier par toute la ville. Il y a trop de choses à voir. Nous assistons à un recrutement. Cela ne marche guère. Trois orateurs passent, gueulent pendant trois heures pour décider cinq, six hommes. Les soldats anglais sont des volontaires forcés. On les tire par le bout du nez ou on les prend par la faim. 65


04 A Brixton. Le quartier des magasins. Que de belles poupoules. La cathédrale St Paul est merveilleuse. Le soir, théâtre. Autre musique que celle des canons. Je ne puis me faire à la cuisine anglaise. Trop sèche et pas assaisonnée. 05 La cathédrale catholique est belle mais non finie. C’est nouveau. Le soir, promenade au parc des amoureux. Partout deux chaises occupées par les amants. Sur les pelouses, tous les dix mètres, drame d’amour. A 9 h cinéma. 06 Réveil à 7 heures. Retour. Les huit jours ont passé comme le vent. Nous nous sommes trop bien amusés à Londres et c’est avec regret que nous quittons cette belle ville. La tristesse du retour est en raison directe de la joue du départ. Nous tachons de nous consoler en pensant que bientôt, nous pourrons jouir d’un nouveau congé. 07 Je suis vaseux. Si je pouvais seulement aller passer quelques heures à Londres. Je tombe du ciel en enfer. Au lieu de me promener dans le beau monde de Londres, je patauge dans la boue des Flandres. Quelle tristesse. Heureusement que je reçois une lettre de Gustave. Aujourd’hui, appel à 8 ½ du soir. La situation des Serbes est très grave. 08 On nous lit des ordres. Nos supérieurs y disent qu’on remarque du laisser aller dans notre armée, laisser aller qu’on ne rencontre pas chez les autres alliés. Pour dire cela, ils n’ont pas vu comme nous des régiments défiler à Londres. Des ordres sévères sont donnés. Comme l’année dernière, on veut jouer à l’Allemand. On n’a plus besoin des hommes, on les enverra à Biribi. On ordonne des exercices en rangs serrés. Apprendre à manier une mitrailleuse, jeter une grenade, ce n’est pas aussi important que l’à gauche par quatre. Que ne suis-je à Londres. 09 A Hoogstade, un adjudant arrête les hommes, les fait mettre en position et les oblige à saluer. Allons-nous voir des mesures draconiennes ? Pluie continuelle. 10 Pluie. La relève se fait à 6 heures. Départ pour le Nord. 11 Il paraît d’après les dires d’un agent que les Boches vont attaquer cette nuit. On prend des mesures extraordinaires. 12 Il continue à pleuvoir. Les boyaux sont obstrués par des éboulements. Certains abris sont inhabitables. On discute de nouveau de la fin de la guerre. Quelques-uns disent deux mois, d’autres six tout au plus. Que faut-il en penser ? 13 Notre abri menace les projecteurs. Les canaux faits par les rats produisent des éboulements dans les murs. Le soir, le temps s’éclaircit. Il fait plus froid. 14 On discute beaucoup le départ de […] pour les Balkans. Le matin, gelée blanche. J’ai terriblement froid aux pieds. On craint pour l’hiver. Je vais voir Emile. On doit, sous peine de punitions exemplaires, saluer tous les officiers. Les punitions ne portant pas des effets comme en temps de paix, une CM permet de retenir sur la solde 0,15 pour un jour d’arrêt, 0,30 pour un jour de salle de police, 0,45 pour un jour de cachot. Notre solde est de 0,43 dont on laisse 0,13 pour le ménage. On touche donc 0,30 par jour. Si j’ai bon souvenir, on ne pouvait 66


toucher sous aucun prétexte à la table. Il est vrai, il n’y a plus de loi, il n’y a même plus de constitution. Les soldats disent que notre ministre est un voleur ou la caisse est à sec. 15 Fête du Roi. Nous recevons 250 gr de chocolat. Je vais à Lo. On fait sauter le clocher. Nous prenons avec Brandt des photographies.

Churchill démissionne. Que signifient à la fin tous ces changements dans les cabinets ? La flotte alliée est sous pression près de Malte. Que va-t-il arriver en Grèce ? Si ces gens deviennent même nos alliés, ils ne seront jamais nos amis. Ils sont fous ces Grecs. Les Wallons appellent les Flamands des Grecs. Il gèle. Très froid dans nos cantonnements. A partir de ce jour, toute l’armée belge doit porter l’uniforme kaki. La cocarde tricolore seule nous distingue des Anglais. Le soir, je vais à Hoogstade. On discute de nouveau des retenues sur les soldes. Il paraît qu’on ne peut retenir que 0,15 par jour. Donc la solde, comme dit la loi, reste au soldat. Pourtant un mauvais serviteur pourra faire des dettes à la Cie. Les relations avec l’Angleterre interrompues un moment sont, paraît-il, rétablies. 16 Froid. Pour la troisième fois, on nous lit les honneurs à rendre. Ils commencent à agacer leur monde. 17 Pluie continuelle. On n’ose plus sortir de la ferme. On récolte des betteraves. L’hiver est bien là. 18 A 16 h nous partons pour les tranchées. La nuit, de garde au secteur du centre. Les boyaux sont plein d’eau. Dans les abris, le plancher est inondé. Le passe à travers le toit. Un véritable délice que d’habiter ici. 19 Pleine lune. Le temps s’est mis au clair. Il gèle. Il ne fait pas à marcher sur la passerelle. Les hommes ont reçu des casques pour les tranchées. Le port en est obligatoire. Un peu lourd mais pratique quand il pleut.

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20 St Edmond. De mauvaises nouvelles nous parviennent de Grèce. Quelle que soit la solution, on voudrait voir la Grèce se ranger catégoriquement d’un côté ou de l’autre. Canonnade du côté d’Ypres. Hector m’écrit de Gravelines. Quand je vois toutes ces jeunes figures dont pas un ne laisse supposer un défaut physique, moi aussi je résisterais bien à une année de service sédentaire. Ne faudrait-il pas en Belgique en Gallieni ? 21 Dimanche. Messe à Nieucapelle. Cambier prétend que je n’ai pas le courage d’écrire dans ce carnet que je suis allé voir les filles à Nieucapelle. Il est vrai, elles ne sont pas très belles ni très sympathiques. Ce sont des découragées. 22 Il gèle. Très froid. Heureusement, nous avons notre fameux chauffeur. Hermant […] de Bouffioulx. Il fait un feu d’enfer. On parle d’un ultimatum envoyé par les Alliés à la Grèce. A 20 h, nous sommes relevés. 23 Il fait meilleur mais de nouveau sale. Emile vient me voir. 24 Je vais à la 1ère. Il fait triste au cantonnement. Ste Flora. Louis a perdu le médaillon avec la photo de sa chère. 25 Ste Catherine. Je crois que la guerre va donner des filles à la bonne sainte. Le soir, deux hommes rentrent un peu gris. Incident. Le sergent doit intervenir. On en rigole. 26 Vent très froid. Grêle et première neige. On plaint vivement les pauvres Serbes. Comme nous à la retraite d’Anvers, ils voient leur pays envahi. Trouveront-ils un Yser ? A 4 h, départ pour les tranchées.

27 La nuit, un de nos avions vient par trois fois jeter des bombes sur Dixmude. Les pauvres pieds souffrent du froid. De garde, je lis les confessions de Musset. Pris par la tristesse de ce poète, je commence à ne plus croire à l’amour. Le murmure d’un petit ruisseau qui se jette dans l’Yser et le pas cadencé de la sentinelle me font entrer dans une douce rêverie. Je me sens heureux et pourtant, j’aurais voulu pleurer. 28 Dimanche. Léopold m’écrit qu’il est très fatigué. Les officiers qui ont fait toute la campagne peuvent demander du repos à l’arrière. Nous nous devons travailleur dur et à la première défaillance, le C.d.G. est là. Un avion allié jette des feuilles […] et disait ainsi qu’il allait jeter en pays envahi. 68


29 Il pleut de nouveau. Impossible d’avoir huit jours de sec dans ce pays. Toujours la pluie rendant le pays sale et dégoutant. La température est plus douce mais le soldat se protège plus facilement du froid que de l’humidité. La Grèce semble enfin fondre. 30 Me voilà au dernier jour du 11ème mois de l’année et nous sommes toujours à l’Yser. L’hiver est là et pour la seconde fois, nous sommes condamnés à passer ces tristes jours dans les tranchées. Pendant deux heures de faction, j’ai causé avec un liégeois qui a été témoin de la bataille de Liège. Quand on entend parler de l’organisation boche, de leur force, on se demande comment ils n’ont pas été victorieux. Certes, on peut être fier d’être allemand quand on parle d’armée, de préparation minutieuse mais on doit être plus fier d’appartenir à un petit pays qui, par son courage seul, son héroïsme, a su les arrêter. L’armée française ne resplendissait pas mais aujourd’hui, il faut reconnaître que les soldats français sont des braves. Plusieurs fois déjà, je m’étais demandé comment il se faisait que jamais je n’avais vu beaucoup de blessés boches. Cet ami m’en donne la raison. C’est merveilleux de voir comment les Boches ramassent leurs morts et leurs blessés durant la bataille. Ainsi, la vue d’un désastre ne décourage jamais les troupes de l’arrière puisque les soldats ne se rendent jamais compte du nombre de leurs blessés et de leurs morts. Ce Liégeois me raconte aussi la mort du prince de […] et de son fils tués par un chasseur belge blessé dans un bois. Ce belge est prisonnier en Allemagne. J’ai commencé avec Léopold une correspondance en Flamand. J’avais aussi essayé d’entrer en correspondance avec une anglaise mais je crois que je n’y réussirai pas. Un grand nombre d’amis ont des marraines. J’avais écrit aussi pour en avoir une mais je n’ai pas encore reçu de réponse… Je m’intéresse à deux, trois marraines. Quelques fois j’écris les lettres pour les amis. Ces relations sont souvent des plus intéressantes. Cambier me passe le livre de Zola « Le Rêve » en me disant que Zola était sans doute devenu moine quand il a écrit ce livre. Je n’ai jamais lu que des extraits de cet auteur et ce livre m’a vraiment étonné. Extrêmement bien écrit et peut être lu par tous. Pluie. Nous sommes relevés à 8 ¼ h. Il fait noir comme dans un four.

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Décembre 1915

La bise a fini d’arracher les dernières feuilles des grands arbres qui bordent l’allée. La terre étouffe sous un épais brouillard qui ne nous permet plus de distinguer les petites maisons blanches semées dans les prés. Les champs sont dénudés et attendent déjà la charrue qui fera disparaître les derniers vestiges de leurs riches moissons. Seuls gazouillent des moineaux venant prendre le maïs de la basse-cour ou le croassement attardé d’un corbeau cherchant un reste de charogne troublent encore le silence qui pèse à la création. Les habitants des bosquets ont disparu et la nature ne pouvant vivre sans leur chant mélodieux s’endort déjà sans avoir même reçu son manteau d’hermine. L’hiver avec ses tristes journées trop longues quoique bien courtes est là. Décembre qui nous ramène les plus grandes fêtes de famille nous trouve pour la seconde fois à l’Yser. Cette année encore nous n’aurons pas la joie de placer nos souliers dans la cheminée pour la visite du grand saint. Nous ne pourrons décrocher les oranges de l’arbre de Noël. Nous ne trouverons pas sous notre oreiller notre cadeau de Nouvel An. Oh que la séparation est longue et pénible. Que l’exil est dur et cruel. Allemands qui nous faites tant souffrir, soyez maudits. 01 Au cantonnement. Pluie. Nous ne recevons plus que trois morceaux de sucre. La ration habituelle est remplacée par de la graisse mais je n’en n’ai pas encore vu. Nous […] les Boches et nous recevons le matin ½ gourde de café et 3 morceaux de sucre3. Les Boches bombardent Adinkerke et La Panne. Les demoiselles Legrand ne m’écrivent plus que très rarement. Elles n’en n’ont plus le temps. Elles doivent jouer aux cartes avec les blessés. C’est 70


peut-être de l’égoïsme mais j’en suis furieux et si ça continue, je vais rompre. Je ne suis pas une […], moi. O, ces femmes de la croix rouge. 02 Pluie. On croirait que la ferme s’enfonce dans la boue. Il faut des bottes pour sortir. 03 La situation aux Balkans est grave. Une séance rageuse en France. 1er vendredi du mois, un des rares où j’ai pu communier. Camille m’apprend la mort de L. Thirion. Il ne faut donc pas être à la guerre pour mourir jeune. Mon message est arrivé, pas de réponse. 04 Pluie. Le pays devient de plus en plus boueux. Impossible de sortir les autos de la ferme. Le général Joffre est nommé général en chef des armées françaises. Nos journaux parlent d’émeutes en Allemagne. Huit jours de repos. Je ne vais pas aux tranchées et c’est heureux. Il vente, il pleut. 05 Dimanche. Messe à 7 ½ h, communion. Les femmes du village ne veulent plus accepter notre linge sale. Plus de charbon et pas de soleil pour sécher. Nous allons à l’hôpital de Hoogstade. Triste impression quand on en revient. 06 Grand vent et pluie. Nous lavons notre linge nous-mêmes. On y est bien obligé. Les alliés font une nouvelle pression sur la Grèce. 07 On me communique le n° de l’Indépendance. Un article parle de la paix. Les Anglais sont moins exigeants. Les Allemands doivent dire le but de leur guerre devant le Reichstag. Il continue à pleuvoir. Il fait triste à la campagne. Toute une bande de bleus arrivent à Hoogstade. Ces jeunes sont presque tous destinés aux armes spéciales. Les anciens, eux, sont trop bêtes. Ils peuvent continuer à se faire crever chez les simples piottes. 08 Un ami nous parle de ses voyages d’étude en Italie. Malgré un bégaiement des plus désagréables, il est très intéressant. Le temps semble vouloir se remettre au beau. Départ à 4 h pour les tranchées. Les boyaux sont pleins d’eau.

09 A la villa Marietta. La plupart des abris sont inondés. Un lieutenant du génie demande le pourquoi : parce que le sol est plus bas qu’ici, répond un s/off occupé à faire creuser une petite rigole de 10 cm de profondeur. Ces MM ne sont pas très forts. Quand nous sommes 71


arrivés ici, un petit ruisseau coulait le long de la route. En été, le ruisseau était presqu’à sec et nos ingénieurs ont trouvé bon de le supprimer. Aujourd’hui, il faut en creuser un. On se demande si certains officiers ont conscience de leurs responsabilités ou s’ils travaillent par obligation ou par devoir. Des ingénieurs et des architectes ont fait construire des blockhaus sans s’occuper de la base. Je doute très fort de la solidité de ces constructions sur un sol mou. Si un obus frappait le blockhaus juste en-dessous du toit, il ne faudrait pas s’étonner de voir la construction se renverser. Les nuits sont longues. Nous devons commencer les factions à 16 ½ jusqu’au lendemain à 6 h. Il pleut. 10 Au fort de Knocke, les avant-postes sont occupés par les hommes d’une compagnie de réhabilitation. Si pendant 6 mois, ils font du bon service, ces hommes condamnés à 15 ou 20 ans de travaux forcés rentreront à leur compagnie. On les conduit à la baguette. C’est de la discipline boche. L’ami […] prend des anguilles dans l’Yser au moyen d’un grand filet. Nous en préparons pour dîner. Elles sont excellentes. On distribue de l’eau de vie. Margaille dans les appareils. La pluie et le feu les détraquent. 11 Pluie. Les Boches tirent beaucoup. Il paraît que la maison de la vieille du fort de Knocke a reçu deux obus. Heureusement, personne n’était à l’intérieur. Une autre ferme est aussi amochée. On nous relève à 8 heures. 13 Plus sec. Le soir, au salut. Une demoiselle habillée et ayant tout-à-fait la physionomie de Gabrielle Bovy me rappelle Andrimont. Emile vient me voir. 14 Communion. Très froid. Les journaux parlent beaucoup de pourparlers de paix au Reichstag allemand. Va-t-on enfin parler du commencement de la fin. Le soir, au salut, cinq soldats communient. Ils vont peut-être partir en patrouille. Emile part demain en congé. 15 Le XXème s. annonce que les Allemands ont pris 400 […]. L’ami Loiseau est au front depuis le 1er jour. Parlant de son droit au capitaine, celui-ci lui répond : cela ne vous regarde pas. 16 Le temps est de nouveau à la pluie. Je suis désigné pour le centre aux tranchées. Aux mitrailleurs, les hommes ont formé un syndicat pour le paiement en commun des punitions. On rigole des officiers. Départ à 3 h. pour les tranchées. 17 Au centre. Terrible canonnade du côté d’Ypres. L’ami Loiseau part enfin en congé. Des amis revenant du Havre nous disent que la population siffle la brabançonne et l’hymne anglais dans les théâtres et cinémas. C’est du propre. Plus de congés pour l’Angleterre. Plusieurs permissionnaires n’ont pu revenir. Ils sont casernés à Folkestone. Le transport de troupes occupe tous les bateaux voyageurs. 18 Quinze de nos hommes travaillent à la construction d’un abri en béton armé. Nous les appelons vieux paletots8. La canonnade intense continue du côté d’Ypres. Les Allemands 8

L’on traitait familièrement de « vi paletots » (vieux manteaux en wallon liégeois) les camarades des anciennes classes qui n’allaient plus au front et qui portaient encore la tenue de 1914. CONRAADS D. – NAHOE D., Sur les traces de 14-18 en Wallonie, IPW 2013, p. 197

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doivent avoir fait des offres de paix plus ou moins officielles. Les alliés refusent les conditions. Je me demande si les Allemands n’offrent pas la paix à des conditions inacceptables pour avoir une raison de continuer la guerre et ainsi […] le peuple. Le soir, nous allons voler quelques planches qui nous permettent de faire un bon feu dans l’abri toute la nuit. 19 Dimanche. Messe à Nieucapelle. Les Allemands bombardent assez bien. Canonnade du côté d’Ypres. Les Anglais doivent avoir 700 prisonniers. Le corps expéditionnaire est en retraite. La campagne des Balkans est finie à l’avantage des Boches. Vont-ils aller en Egypte ? 20 On me refuse une gourde de café à I/IV mon ancienne Cie. L’égoïsme du soldat est parfois terrible. Relève à 7 h. 21 Hier soir, l’ami Grégoire casse sa glace et parle de malheurs à venir. Ils viennent en effet. Ce matin, je reçois trois paquets. Un de J. et 2 d’une anglaise. Papa Grégoire peut casser sa glace tous les jours. Léopold m’écrit de Paris. 22 Pluie. Le soir, au salut. Hiver. Nous n’avons pas encore eu des froids terribles. Espérons que la saison se passera ainsi. 23 Emile revient de congé de France. Il s’y est amusé on ne peut mieux. Il me rapporte quelques cadeaux. 24 Il pleut. Triste au cantonnement. Rien ne trahit la veille de Noël sinon les paquets qui arrivent aux soldats. Les marraines se sont mises en frais. A 3 H départ pour les tranchées, secteur centre. A Lo, nous entrons tout’ une bande dans une boulangerie. La femme est toute perdue. On lui vole du pain. Elle peut bien nous donner cela à l’occasion de la Noël. Elle a assez gagné sur nous. Aux tranchées, une tartine avec un morceau de fromage remplace les bouquettes. Emile est aux tranchées. Ils sont restés 24 heures sous une pluie battante. 25 De garde de 11 H à 2 H la nuit de Noël. Le vent humide du sud souffle charriant de gros nuages qui obscurcissent à chaque instant la lueur de quelques étoiles jetées en certains endroits du ciel. Rien, pas même le battant d’une vieille abbaye pour nous annoncer le grand anniversaire. Pas un coup de canon, pas un coup de fusil, les canards mêmes se taisent. Seule, la musique imposante et mystérieuse des eaux des inondations se déversant avec un bruit d’océan dans le fleuve ; du vent hurlant dans les grands peupliers ; des jeunes saules gémissant sous les rafales qui les courbent. Loin de nos familles, grelottant dans la boue des tranchées, quelle pauvre et triste nuit. Le matin, terrible canonnade du côté des Anglais. Je vais à la messe à Nieucapelle. La chapelle est des mieux décorée. Le Saint Sacrement est exposé. Pas de pluie, la journée. 26 Messe à Nieucapelle. Quelques noëls exécutés par des amateurs. Beaucoup de monde à la communion. 27 Mot d’ordre Edmond. Pluie. Vent terrible. Les inondations montent à vue d’œil. En arrière de Nieucapelle, les champs sont inondés. 73


28 Beau temps. On se croirait au printemps. Nous revenons en voiture jusqu’au cantonnement. Mot d’ordre : forêt. 29 J’ai un catarrhe de tous les diables. Je tousse comme un malheureux. Emile vient me voir. On distribue des cigarettes et du chocolat. 30 Je vais voir Emile. Nous allons à Lo. La ville est triste. On nous apprend que le lieutenant M. est à la disposition de notre général. On fait la chasse aux embusqués. 31 Triste au cantonnement. On distribue écharpe, tabac et cigarettes. La division doit aller le 15 janvier en repos. Le soir, pluie. Il fait plus gai, on chante. J’ai une petite chique. On rigole. A minuit, un grand Flamand nous réveille… Passe donc 1915 comme 14. Nous avions mis en toi notre espoir et tu nous as déçus. Le canon gronde encore et l’envahisseur est toujours dans nos foyers. Tu as vu tout le pays ensanglanté. L’hécatombe créée pendant tes mois est immense. Les pleurs et les cris de détresse sont déchirants. Sois maudite 1915. Passe, je veux que tu ne sois pour moi qu’un cauchemar. Salut 1916. Nous seras-tu plus favorable que 1915 ? Pouvons-nous espérer que tu marqueras la fin de notre martyr ? Que tu seras le témoin du grand retour au pays. L’espérance fait vivre. Ayons confiance. Année nouvelle, vois des soldats plus courageux et plus déterminés à finir la guerre le plus tôt mais avec honneur.

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FIN DU PREMIER CARNET 75


Janvier 1916

01 Je commence donc mon deuxième carnet. J’espère bien pouvoir y inscrire la fin de la guerre. « J’ai toujours dit que la guerre durerait trois ans. Deux ans de préparation et un an de victoire, parole de French ». Donc attendons-nous à la grande bataille cette année et la paix pendant l’hiver prochain. Véritable tempête toute la journée. Le caporal VdK rentre un peu piquet. Hier on a rigolé de Victor qui, un peu gris, essayait de déclamer les cloches mais aujourd’hui, le petit ancien est incapable d’en faire même autant… A 3 H départ pour les tranchées. Nous partons en charrette.

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02 Aux tranchées. Pluie. Terrible canonnade du côté de Nieuport. On parle d’un repos pour la division le 20 courant. 03 Je vais à la 1ère qui est aux tranchées. On discute beaucoup du lieutenant M. Ses plus grands ennemis en temps de paix désirent le voir revenir à la Cie. C’était un homme juste. Beau temps. 04 Les congés pour l’Angleterre sont rétablis. Un homme par régt. Pluie. Nous avons un nouveau commandant. Il vient aux tranchées. Bonne impression. Grande activité d’artillerie boche. 61 obus de 21 sur Nieucapelle. Deux pièces 75 détruites. Un mort et trois blessés. 05 Notre nouveau commandant a déjà distribué des jours de cachot à des hommes rentrés en retard le soir. Il commence bien. Relève. Je reviens sur l’auto du génie télég. C’est plus pratique d’à pied. 06 Ouf. Le père Grégoire a prononcé une grande parole : Chacun a ses petits défauts. Le soir, nous essayons des grenades des alliés nouveau système pour réchauffer son café. Pluie. 07 On lit de nouveau le règlement sur la correspondance. La censure a trop de travail. Les malheureux ! Notre lieutenant distribue des punitions en veux-tu en voilà. 08 J’accompagne le lieutenant aux tranchées. Nous faisons le voyage en auto. Très agréable. Les Boches bombardent les tranchées, Nieucapelle et Lo. Je l’échappe belle au secteur du 7. Notre lieutenant est courageux, même téméraire. Il photog. les shrapnells sous les bombardements. La division sera relevée entre le 15 et le 19 courant. Un ami nous lit la Victoire nouveau titre de la Guerre Sociale. Gustave Hervé critique les offensives partielles et sanglantes, les off. d’Etat Maj. qui ne viennent jamais aux tranchées, les commandants qui oublient qu’ils sont conducteurs d’hommes, qu’ils doivent prêcher l’exemple. Les off. dit-il, devraient recevoir leur nourriture de la troupe, manger comme les soldats. Il faut veiller à garder le bon moral des poilus. Les Russes feront encore parler d’eux. La Grèce fond mais coule de notre côté. 09 Dimanche. Messe, communion. Il y a longtemps que je n’étais plus allé à une grand’messe. Suivant la messe dans le livre de prières qu’Emile m’a rapporté de congé, je me crois à Andrimont. Le voisinage de civils en toilette, le ronflement de l’orgue, les voix légères de la chorale des demoiselles qui chantent la messe, le petit carillon de l’acolyte faisant baisser les têtes, l’odeur de l’encens […] l’adoration, tout me rappelle l’église du cher village. A 3 ½ départ pour les tranchées. Les hommes du génie ont un révolver mais pas de cartouches. Quelques-uns ont des casques. 10 Au secteur du centre. On a une peur bleue des gaz lacrymogènes. Les sentinelles doivent annoncer l’arrivée des nuages terribles au moyen de sirènes. On nous donne de nouveaux masques. Notre lieutenant vient aux tranchées. Je me demande s’il n’est pas un peu toqué. Il court volontairement au milieu des bombardements. Aujourd’hui, St Guillaume. Terrible bombardement du côté de Nieuport. Les Boches tirent beaucoup sur nos tranchées. Il paraît que les Français attaquent dans les dunes. Le génie a construit une couche allant jusqu’à 500 m des tranchées. Les charrettes peuvent y venir et déchargent matériaux et vivres à un point 77


dit place d’armes. Les Allemands y ayant vu du mouvement bombardent continuellement. Les troupes de piquet ont aussi élevé des haies artificielles pour masquer les mouvements. Les shrapnells boches s’acharnent sur ces branches entrelacées. 11 Le matin, le major nous eng… parce que nous rentrons trop tôt. Il est 7 heures. L’étatmajor de la 6 D A vient reconnaître le secteur. Ils paraissent heureux de venir ici mais s’ils doivent comme nous faire des têtes de pont, ils riront vert. Grand vent. Nous faisons en feu d’enfer dans notre abri. 12 La nuit, gelée. Canonnade du côté de Steenstraat. Combat d’avions sans résultats. L’Indépendance Belge qu’un soldat vient vendre tous les jours aux tranchées nous annonce l’abandon des Dardanelles. C’est triste après avoir tant dépensé en argent et en hommes. 13 Véritable tempête. Le vent est froid. Grandes difficultés pour la marche. Relève à 7 H du soir. Je suis presque mort quand j’arrive au cantonnement. Toute la lutte contre le vent a été terrible. Les inondations baissent. 14 Au cantonnement, garde chambre. Emile vient me voir. 15 Le matin, bain. A 2 H solde. Parce que nous ne saluons pas notre lieutenant, celui-ci nous fait faire ¾ H d’exercice. On rigole. Le sergent VdK à un soldat qui n’est pas sérieux : (sergt) […], sortez des rangs. Vous irez au lieutenant. (Soldat) Je ne dis rien, sergent. (Sergt) Vous ne dites rien mais vous n’en pensez pas moins. Sortez (une perle encore). Je reçois une lettre de J. Scheen dans laquelle il m’annonce la mort de son père. J’ai bravé la mort sur les champs de bataille, le l’ai vue venir et je n’en n’ai pas eu peur mais je la crains quand elle frappe ceux que j’aime, cher et regretté père Scheen. Je l’aimais ce vieillard toujours de bonne humeur. Je respectais cet homme juste. Il fut un homme de bien. Un véritable père qui s’est toujours sacrifié pour sa famille. J’aurais voulu être là pour voir mourir ce Saint. Pauvres orphelins sans soutien, sans conseiller, sans consolateur. Pour Joseph qui n’a pu fermer les yeux de son vieux père qu’il aimait tant. Que la mort est cruelle. Mon Dieu, épargnez-moi cette douleur. Protégez mes parents. 16 Dimanche. Messe. Je vais voir Joseph Scheen. Le pauvre souffre cruellement pourtant il fait preuve d’un grand courage. Je reste avec lui jusqu’au soir. Inouï le nombre de baraques que l’on construit en arrière de l’Yser. On travaille comme si la guerre allait encore durer deux ans. On parle beaucoup de la maladie du Kaiser. 17 De nouveau de la pluie. La VI DA amène du bois pour construire un mess et des lits. C’est autre chose que la II dont le capitaine faisait démolir les lits appartenant aux Anglais. A 3 H départ pour les tranchées. C’est la dernière fois que nous y allons. 18 Aux tranchées. Secteur Centre. Il y a quelque jours, le commandant H. a été tué sur les passerelles. De garde la nuit. Pluie. On attend avec impatience les décisions des alliés concernant le Monténégro. 19 De garde à la passerelle. Pendant les heures de repos, je lis Les Ames Fortes de G.St Germain. Le temps passe des plus agréablement. Beau temps. Les journaux nous annoncent 78


la reddition sans conditions du Monténégro. C’est un succès pour les Allemands mais si après 16 mois de guerre, elle abat le plus petit de ses ennemis, quand aura-t-elle abattu les grands. Helperrich fait des économies. Il a bien raison. Le Kaiser voyage de nouveau. Je ne voudrais pas être dans sa peau. Le dénonciateur de Miss Cavell a été assassiné. D’autres que celui-là encore devraient avoir le châtiment. Le 5ème de ligne est déjà relevé par le 2ème carabinier. Un jeune avocat du barreau de Liège […] me lit avec beaucoup de talent La Journée d’une Précieuse d’Edmond Rostand. Pièce magnifique où on retrouve bien des qualités de jongleur. La nuit, grand vent. 20 Les boches bombardent le chemin de […]. Grand vent. A 4 H ½ la VI DA nous relève. Nous passons la nuit dans nos abris. On Chante. 21 Nous quittons la tranchée à 5 heures. Chargés comme des mulets, nous arrivons à 7 ½ H à Nieucapelle. Nous partons en tram de Lo et arrivons à 2 H à La Panne. Ous sommes chiquement cantonnés à 6 dans la même chambre. Il y a même de beaux oiseaux dans la maison. 22 Vent et pluie. Les journaux nous annoncent que le Monténégro n’accepte pas les conditions de l’Autriche – Nous sommes encore hors ménage. Le soir, nous jouons au piquet jusque 2 H du matin. Je perds 35 cts. Rencontre R. Braibant adjudant. 23 Messe et communion. Peu de toilette à La Panne. Journée admirable. St Raymond. 24 Près de notre villa est installée une auto-canon. Tir magnifique l’après-midi sur un avion boche. Canonnade du côté de Coxijde. Nous allons prendre un bain. Promenade des plus agréables dans les dunes avec Colsoul. Il a une correspondance intéressante avec une marraine. 10 % des hommes vont en congé. 25 A 6 H du matin, nous sommes réveillés par l’explosion de plusieurs bombes que jette un avion boche sur La Panne. Deux morts. Le soir, de garde. 26 On étudie le code Morse. L’après-midi, 23 bateaux de guerre bombardent la côte. On voit très bien la manœuvre de La Panne. Un biplan Nieuport vient atterrir (avion de chasse) sur la plage en face de la villa du Roi. C’est la 1ère fois que je vois de près un avion de guerre. Le soir, nous allons prendre un verre dans un café où il y a concert symphonique. On joue : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille. On s’amuse à La Panne. 27 Pluie. Les hommes refusent d’éplucher. Les pommes de terre ressemblent à des navets. 28 Emile vient me voir. Trois hommes ayant ramassé un morceau de bombe sont blessés par l’explosion de celle-ci. On parle beaucoup de l’échec allemand à Nieuport : 2000 obus sans succès. 29 Les bombardements avaient épargné la partie du village de Lo située près du canal. Se croyant en sécurité, des magasins s’étaient rouverts. Entr’autres, un café avec deux filles qu’on nommait les deux putains. Ces gens amassaient une fortune. Les jours derniers, un avion laisse tomber une seule bombe à Lo et tue une de ces filles. L’impression est grande et 79


fait réfléchir celles qui descendent dans la fange, perdent leur honneur et brisent leur avenir pour un plaisir de quelque temps, pour un peu d’or. Dans certaines places, la débauche est terrible. Certaines femmes ont la misère, l’ignorance pour excuses mais un grand nombre de soldats qui prétendent exiger au retour un compte exact dans la fidélité et honorabilité de leurs femmes ou fiancées, sont coupables et n’auront pas le droit de reprocher quoi que ce soit aux personnes restées en pays envahi. 30 Service de dimanche. Les journaux annoncent l’arrivée du Roi du Monténégro à Lyon et en même temps la capitulation complète du pays. Que signifie ce jeu ? Suel est le secret de l’éclipse d’un royaume. Vandervelde […] armée. Je vais voir la revue des I chasseurs. Elle est magnifique et nous rigolons pour nos 0,25 cts. 31 Le 1er départ du 2ème congé doit avoir lieu cette semaine. J’espère être du nombre. On y pense continuellement. Ira-t-on, ira-t-on pas ? On est pressé car d’un moment à l’autre, les permissions peuvent être levées. Des zeppelins ont jeté des bombes sur Paris. Quelles seront les représailles des français ?

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Février 1916 01 Belle journée. Je vais à Adinkerke. Enfin , je vais avoir un congé. 02 A midi, on me donne le congé. Nous prenons le train à 4 ½ Adinkerke. A Calais, nous allons souper. J’ai un véritable plaisir à écouter les gamins de Calais, véritables machines à parler. Pour la nuit, je perche dans le filet du compartiment. Nous avons deux vieux français et un écossais qui me donne un étui à cigarettes. 03 Arrivée à Paris. La gare du Nord ne dit rien. Je vais aux renseignements. J’ai ainsi l’occasion de voir ces immenses bureaux. A ma sortie de la gare, je croyais voir plus d’animation. Je vais chez les parents de Grégoire. Gens de […] au service d’une 1ère danseuse de l’opéra. Ces personnes dont des plus aimables. Je visite l’appartement de cette mondaine. C’est merveilleux. Le frère de Grégoire, garçon de 14 ans, me conduit dans Paris. C’est un gosse des plus intelligents, des plus obligeants. Vers 8 h, la dame de chambre de la danseuse vient avec nous. Nous […] en taxi à travers les principales rues de Paris. Que Paris est beau. Nous allons sur la grande roue. Le soir, aux Folies bergères où on joue une revue. Que de poufiasses dans Paris. 04 Départ de la gare St Lazare pour La Rivière St Sauveur. La demoiselle Forêt et son cousin m’attendent à la gare. Très bien reçu. Les parents Forêt semblent être tout ce qu’il y a de bon. Je rends visite à quelques familles wallonnes. Je suis triste le soir. Je regrette Paris. Je suis très bien ici mais ce n’est pas cela. 05 Lever à 9 h. réveillé par le concert des usines Schneider. Je viens en congé et j’entends encore des fusils et des canons. Triste. Belle journée. Beau soleil. Dans le jardin, il y a déjà des violettes. L’après-midi, nous escaladons le Mont de Grâce et le Mont Joli : de là, nous avons une vue magnifique sur les boucles de la Seine, la mer, les côtes de France. Sur la colline miraculeuse existe une chapelle de 1023 reconstruite en 1602. De nombreux ex-voto pendent aux piliers, entr’autres un magnifique bateau. 06 Dimanche. Promenade des plus agréables. Je suis aux prises avec une charmante demoiselle Marie-Thérèse Fanuel. Cette petite 17 ½ malade depuis qu’elle est en exil fait peine à voir. 07 Je porte à Marie-Thérèse un bouquet de violettes. Elle est bien aujourd’hui et aime badiner. Je visite une fabrique de briquettes. A ma sortie, je suis un véritable ramoneur. 08 Beau temps. Je promène et fais de nouvelles connaissances. 09 Rentrée à Paris vers 11 h. j’obtiens un coupon service en 2ème classe pour retourner à Calais. Promenade en taxi. Le soir, au Théâtre Royal. Je ris, je ris à me tenir les côtes. 10 Retour au front. J’ai le cafard. Arrivée à 9 h au cantonnement. Quelle différence. 11 Où est Paris, la ville qui rit. Il pleut et fait encore plus triste. 82


12 On se remet quelque peu. Beau temps. Les congés pour l’Angleterre sont rétablis. Vers 7 ½ du soir, un avion vient jeter plusieurs bombes. Une écrase une maison à vingt mètres du cantonnement. Je vais dans les dunes. Les enfants revenant de leur travail voyant la maison démolie pleurent et demandent à grands cris leur mère. C’est terrible. C’est plus tranquille aux tranchées. 13 dimanche. Je vais à Bray-Dunes. Belle journée. Je pense encore à Paris. Le soir, on est inquiet pour les avions. Il paraît que les nôtres ont également bombardé les cantonnements ennemis. Il paraît que je suis passé définitivement au génie, attaché au projecteur de 60. 14 Désigné pour l’équipe de 60 au champ d’aviation de Houtem9. Grand vent et pluie. Le soir, deux avions sortent. Un se brise au retour. L’autre, amarré au milieu des champs est emporté par le vent et brisé. Pas d’accident de personnes. 15 Plus calme. Nous allons voir les appareils brisés. On nous prend 2 frs 50 pour la nourriture et ce n’est pas extra. Houtem est un trou d’embusqués qui gagnent 5 à 6 frs. Ils peuvent être larges. 16 Grand vent. Nous faisons une promenade des plus agréables. 17 Les journaux nous annoncent la prise d’Erzeroum par les Russes. Les alliés assurent à la Belgique son indépendance et l’intégrité de son territoire. Est-ce un effet de la proposition que l’Allemagne nous a faite ? L’après-midi, nous faisons des signaux. 18 Grand vent. On ne vole pas. 19 Retour en auto au cantonnement. Le soir, le ciel est clair et on se demande si on n’aura pas encore la visite des avions boches. 20 Beau temps. Je vais à Bray-Dunes par la mer. Un soleil nouveau brille à la grande voûte qui pose majestueusement son pied dans les flots. Le murmure des vagues qui viennent mourir à mes pieds, le chant des alouettes dans les dunes, le grincement de mes bottines forment une musique délicieuse. Je me sens tout-à-fait heureux. La 1ère Cie a acheté une couronne de 56 frs pour la tombe de Collin. Après-midi, chez Léopold. Il a reçu des nouvelles de Marcel mais rien de précis. Des avions boches ont bombardé en plein jour Furnes, Coxijde, Alveringem. Le clocher de Furnes est endommagé. Les téléphonistes et observateurs sont tués. A Coxijde, le phare est renversé. Sur le canal, une bombe anéanti un petit bateau et toute la famille qui s’y trouvait abritée, père, mère et cinq enfants. Grégoire revient de congé et nous apporte un bon verre

21 On boit des bistouilles. A 9 heures, un avion vient jeter 4 bombes. Violent bombardement du côté de Steen.

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ème

En février 1916, à Houtem-les-furnes, la 6 escadrille est formée et chargée d’effectuer des missions de reconnaissance de jour. « Histoire de l’Aviation Légère de la Force terrestre » - www.huiservleugels.be

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22 Très froid. Giboulées de mars. Les Allemands ont attaqué à Steenstraat. Neige. L’hiver commence. Il fait très froid. Nous n’osons nous laver. 23 Il neige et fait très froid. Pas de danger pour les aéroplanes. Les Allemands ont attaqué » près de Verdun. On nous donne la théorie sur les masques contre les gaz. Nous cloppons pour les gaz à Steenstraat. Il paraît que nous reprenons le secteur dans quelques jours. 24 Très froid, il gèle. Tout est changé dans la Belgique belge. L’hiver vient après le printemps. 25 Grand froid. Par ce temps, aller à Steenstraat, ce n’est pas gai. Surtout que notre nourriture permet de perdre des calories. Voilà bientôt deux mois que nous ne voyons plus de fromage ou autres petits extras. On se demande comment les hommes d’infanterie peuvent encore résister. 12 même 16 h de travail sans bon logement, sans bonne nourriture. Après la guerre, on parlera. Faire des fanfaronnades est leur fort mais veiller sur ceux qui les défendent, non. Les gros d’avant sont encore les gros d’aujourd’hui. Du haut de leur tribune, ils savent faire des discours, nous distribuer des éloges, de temps en temps, une décoration mais au fond, ils rigolent et empochent. Je fais mon devoir pour venger mes parents mais je me moque des mots honneur, devoir. Je leur dis, gardez vos médailles et vos compliments. Rendez-moi ma famille et laissez-moi comme je suis. Vous êtes trop égoïstes pour que je puisse vous aimer. L’ami qui me disait que faire la guerre était un droit, peut-être mais non un devoir, avait raison. Qu’après la guerre on apprenne à l’ouvrier qu’il n’a pas intérêt à faire la guerre. Que la haine des peuples ne doit pas exister. Les riches le savent eux puisqu’ils ne sont plus à l’armée. Seuls les ouvriers sont encore en première ligne. Les gros sont à l’arrière et cela ne les empêchent pas d’obtenir des dérogations. Le fils du conte de Jehay est réformé pour maladie de cœur. Il était pourtant aux automitrailleuses. Ainsi il va pouvoir faire ses trois ans d’études diplomatiques en France. Un autre seigneur, 19 ans V.V.g. défend sa patrie en conduisant le baudet mis à disposition des nurses de Cobourg. 26 Beau temps. Revue de la 2ème Division d’armée. Les dunes sont couvertes d’une petite couche de neige. Les nuages se sont amoncelés du côté des Boches semblant vouloir permettre au soleil d’éclairer les centaines de baïonnettes. Le Roi et la Reine à cheval passent en revue les troupes qui viennent défiler devant la villa royale. Spectacle magnifique. L’armée belge est belle. Les hommes en kaki et casque ont belle prestance. Plusieurs avions planent et surveille les airs. Les cyclistes et les carabiniers font merveille. Vers trois heures, des avions ennemis bombardent Furnes. Le soir, je vais au salut. Un aumônier parle de la mort. Il nous lit une page de l’écrivain […] converti par la guerre. Le sermon est bien mais l’orateur parle très mal. Le soir on prépare son sac. Je reviens du salut avec l’ami Colsoul. Depuis l’âge de 7 ans, il bégaie. Quand on lui demande la cause de ce défaut de la parole, il raconte toutes sortes d’histoires. Aujourd’hui, il me confie la cause de son accident, chose qu’il n’a dit jusqu’ici à personne même pas à ses parents. Acolyte, il avait servi la messe de 6 H à l’église St Jean à Liège. Comme toujours, il voulut aider le sacristain et se dirigea vers l’autel. Voyant la …(sic) il voulut la prendre mais à peine l’eût-il touché qu’il ressentit un choc, commotion extraordinaire qui le fit partir. Remis de sa frayeur, il souleva le petit carré blanc et vit une demi-hostie consacrée sur la patène. Depuis ce jour, il bégaie et prononce surtout 84


difficilement la lettre D. Chose extraordinaire à laquelle il pense souvent me dit-il. Après ce récit, je me demande si ce n’est pas là une preuve manifeste de la présence réelle de Dieu dans l’hostie consacrée. Cambier a reçu une photo de sa famille. 27 Dimanche. Messe et communion. A 9 heures, départ au train pour Oostvleteren. A notre arrivée dans ce village, on nous conduit à l’école qui sert de morgue. Belle réception, des croix, un cercueil, de la chaux. On interroge les soldats de la 4ème et tous nous disent que le secteur est mauvais. On est curieux d’aller aux tranchées pour voir soi-même. 28 En attendant l’évacuation de nos cantonnements, nous logeons à Oostvleteren. A 9 h je suis commandé pour les tranchées secteur Sud. On nous dit que l’offensive allemande à Verdun est finie. Les Français ont repris un fort et une partie des tranchées perdues. De plus, ils ont attaqué en Champagne. A 4 H départ pour les tranchées. Nous avons le masque contre le gaz et le casque. Nous allons donc au fameux secteur de Steenstraat que l’on dit si terrible. En reviendra-t-on ? Là, nous aurons des bombes, des torpilles, des attaques, chacun est pensif. J’ai un poids sur le cœur et pourtant je me sens courageux. Avant, j’aurais cru à un pressentiment. Aujourd’hui, j’appelle cette émotion la joie intime du combattant. On a réfléchi au moment. On est prêt au grand voyage. On s’attend à tout et pourtant on a confiance. Si on échappe, on sera d’autant plus heureux. Le pays est détruit. Tout est mort. Arrivés à […], les Boches nous saluent avec un 7.7 . Pour arriver aux tranchées nous empruntons un magnifique boyau en zigzag. Nous voilà aux tranchées. Par le trou d’un bouclier, une sentinelle me fait voir les tranchées boches. Elles sont à quelques mètres du canal. On y fait du feu. Nuit calme, nous éclairons toutes les 6 minutes. 29 Retour au cantonnement surnommé le Titanic. Notre ferme est entourée d’inondation. Nous avons 1 km ½ pour aller de la route à la ferme. Nous devons traverser des champs détrempés sur un chemin fait avec la vieille litière des chevaux. On enfonce jusqu’à la cheville dans le purin puis dans la boue. Ensuite, nous avons une passerelle sur pieux pour passer l’inondation. On a toutes les difficultés pour tenir l’équilibre. On n’oserait s’y aventurer la nuit. Comme logement, nous sommes très bien. Chacun a son lit de camp. A 4 H départ pour les tranchées. Nuit calme. Bonnes nouvelles de France. Reçois paquet de Jeanne Léonard.

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Mars 1916 01 Retour au cantonnement. Les gens de la ferme sont très aimables. Bombardement de la route d’Oostvleteren. Nous cantonnons à Reninghe. Nous allons à la pêche en barquette. On bombarde terriblement du côté des Anglais. 02 Beau temps. Terrible bombardement du côté des Anglais. Les journaux français semblent préparer leurs lecteurs à la prise de Verdun. Serait-ce possible ? Verrons-nous de nouveau les Allemands victorieux ? Pourra-t-on encore dire que seuls, ils savent et peuvent faire des offensives ?

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03 Les soldats aident les paysans. Froid. […] Laurent. Ma paroisse, que n’y suis-je ? A 4 H départ aux tranchées, secteur Centre. Je suis à quelques mètres de la maison du Passeur.

Qui n’en n’a entendu parler ?10 On se figurait facilement une petite forteresse aux murs criblés de balles, déchiquetés par les obus et les shrapnells. Hélas, rien ne rappelle les terribles combats qui s’y sont livrés sinon quelques petites croix qui demandent une prière pour les centaines de Belges, Français, Anglais et Allemands qui y ont versé leur sang. De l’eau et quelques boyaux. Le secteur est très sale. On enfonce jusqu’aux genoux dans la boue et dans l’eau. Il pleut toute la nuit. Neige et grêle, les veaux de mars. Le matin, nous allons coucher en 2ème ligne. La 1ère Division d’armée a fait des boyaux en sacs conduisant aux tranchées. Ils mesurent jusqu’à deux mètres de haut. Un chemin double de colonne pour les chariots et la troupe de 900 m de long et jusqu’à 6 m de large le tout posé sur des pieux, permet de passer les inondations en arrière du canal. Mort de la reine de Roumanie.

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Zone contrôlée par les Français située à Noordschote (Lo-Reninge), le long du canal Ieper-Ijzer (voir aussi www.inventaris.onroerenderfgoed.be/afbeeldingen) ème En 1918, « La Maison du Passeur » fait déjà l’objet d’un petit fascicule édité chez ROUFF, Paris 15 , rédigé par Henry FRICHET dans la collection « Patrie » En 1920, « La Maison du Passeur » - Episode de la guerre de 1914 - sera le titre d’un drame en un acte de Paul ARMONT et Louis VERNEUIL.

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04 Mot d’ordre Emile. Il vient aujourd’hui aux tranchées. La 2 D cavalerie fournit un Bn de tranchées. Giboulées de Mars. Les Boches attaquent de nouveau Verdun. 05 Retour au cantonnement. Je reçois de ma correspondance anglaise de la poudre pour les dents. Je vais faire le chic type. Les Russes avancent toujours en Turquie. On discute beaucoup les résultats de l’offensive allemande. Je ne puis admettre que les Français se laissent prendre Verdun. On parle de 13000 Allemands hors de combat. Le soir l’ami Vansteen raconte son mariage. On se tord. L’inondation monte et menace d’entrer dans notre étable. 06 Neige. Les Français disent que la prise de Verdun eut été un désastre pour la France. Les Allemands avouent une perte de 150000 hommes. Les relations politiques entre Allemagne et Portugal sont très tendues. 07 Mardi-Gras. Il neige toute la journée. Le soir, il y a dix cm de neige. A 4 h départ pour les tranchées, secteur Sud. Très froid la nuit. Heureusement, que nous avons un brasero pour nous réchauffer. 08 Retour au cantonnement. Mercredi des Cendres. C’est l’hiver en plein. Nous devons faire du feu pour sécher nos vêtements, surtout nos bas. Il suffit de sortir de la ferme pour avoir les pieds humides. Bonnes nouvelles de Verdun. A 4 h départ pour les tranchées. Il gèle. La nuit, très froid. 09 L’eau qui inondait les passerelles est gelée. Pour revenir au cantonnement, nous faisons autant de pas en avant qu’en arrière. 10 Dégel. Nous avons de nouveau le lieutenant B. comme commandant. Il paraît que tous les anciens vont avoir la Croix de Guerre. 11 Quelques hommes ont construit un hydro-reste-en-plan. Un des navigateurs tombe dans le fossé. Heureusement, il sait nager et peut s’en tirer à bon compte. A 4 h départ pour les tranchées, secteur Nord. Nous passons à Reninge et Noordschote, villages entièrement détruit. L’Allemagne est sur le point de déclarer la guerre au Portugal. La Turquie parle de paix. Verdun résiste. 12 Aux tranchées du 5ème. La ligne boche est à 800 m séparée de la nôtre par des inondations. Nous voyons les maisons de Drie Grachten. Après la pluie, le beau temps. Aujourd’hui, nous avons une magnifique journée. Nous sommes tous assis devant nos abris. Il ne fait pas très dangereux dans ce secteur. Les merles et les pinsons s’en donnent à cœur joie. Beaucoup d’avions. Violent bombardement du côté d’Ypres. Déclaration de guerre entre Allemagne et Portugal. 13 Retour au cantonnement. 5 obus sur Oostvleteren. Le soir, je fais une partie de canotage. Je suis très fatigué. Journée splendide. 14 Journée splendide. Je fais une partie de canot sur les inondations. Violent bombardement du côté d’Ypres. On parie que Verdun ne sera pas pris. 89


15 Beau temps. Déclaration de guerre Portugal-Autriche. 16 Notre petit feu ne marche plus. Le Titanic est dans de sales draps. Tous, nous sommes dans la dèche. Pour sauver la situation, je fais un emprunt à Cambier en attendant les 20 balles, et je puis ouvrir des crédits aux amis qui doivent acheter des vivres pour les tranchées. Quand on voit des forts gaillards de 20 ans ayant de bons métiers et ne pouvant même pas acheter un pain. On doit encore rigoler. Heureux les esprits de soldat. La petite poupée de Paris m’envoie une lettre me disant que je vais recevoir une pochette et une montre. Arrive le colis, je suis tout heureux d’avoir une montre malheureusement la boîte qui est magnifique ne contient qu’une montre en chocolat. Pauvre Victor. 17 Belle journée. Je travaille au chemin d’autos de la Cie. Je suis exempt des tranchées. Le soir, je suis seul au Titanic. Von Tirpitz démissionne et est remplacé par l’amiral Capelle. 18 Le matin, j’ai pour déjeuner un brochet que m’a donné le paysan. La femme me le prépare au beurre pour un gros sou. Les gens ne savent que faire pour nous être agréables. Belle journée. Tous les hommes de la Cie devraient étudier le code morse. Aujourd’hui, examen par le lieutenant B. (petit off. un fanfaron). Quelques hommes ne connaissent pas leur leçon. Il les punit de 50 fois le code morse à copier. Nous sommes de nouveau à l’école. A noter que le lieutenant ne connaît pas lui-même l’alphabet. Le ministre de la guerre Gallieni démissionne. Triste incident à la Chambre française. Beaucoup d’avions et violent bombardement. 19 Dimanche. Messe dans une ferme de Reninge. Très chaud. Nous avons déjà à souffrir des moustiques. A ce propos, on nous raconte l’incendie de l’église d’Oudecapelle. Des bourgeois voyant des nuages noirs sortir du clocher crient au feu. Vite, on sauve les objets précieux de l’église. Quand le travail est fini, on s’étonne de ne pas voir de flammes. On monte dans le clocher. La fumée était formée par des fournées ailées. Si donc en temps de paix, il y a tant de ces petites bestioles, qu’est donc en temps de guerre. Le général Roques est ministre de la guerre en France. De garde. 20 Aujourd’hui, les journaux émettent pour la 1ère fois l’hypothèse de paix. Verdun résiste toujours. Le lieutenant supprime jusqu’à nouvel ordre les permissions parce que les soldats ont volé 100 m2 de planches et 700 sacs. Le gouvernement ne nous donne pas de charbon. Nous sommes obligés de voler des planches pour réchauffer notre café trop froid. Printemps. 21 Pluie. Je suis plus triste. Voilà quelques jours que je ne suis pas dans mon assiette. Je pense constamment à Andrimont. Que je serais heureux de recevoir une carte de Gustave qui me dirait qu’ils sont tous en bonne santé, qu’ils sont heureux. Pour éclairer le Titanic, un copain a pratiqué des lucarnes dans la cloison. Juste en face de mon lit se trouve une de ces fenêtres et chaque fois, avant de m’endormir, j’aime à regarder la lune suivie des étoiles formant sa cour, passer en revue les gros nuages qui éclipsent. Cette lune, ces étoiles, ces nuages ne sont-ils pas ceux-là que j’aimais à regarder par la fenêtre au pied de mon grand lit ? Or, ce lit, combien il me tarde de m’y jeter encore, de m’y endormir caressé par cette mère adorée, cette grande femme aux cheveux blanchis par les veilles, au visage creusé par le travail, aux yeux enflammés de cet amour maternel dont son cœur déborde, de m’éveiller la

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nuit pour voir passer cet homme si aimant, si bon surtout pour son Victor, venant bénir ses enfants avant de partir. Oh, cette famille, combien je l’aime, qu’il me serait doux de la revoir. 22 St Emile. Mauvais temps. Froid. Commandé pour les tranchées, secteur Centre. Un mauvais vent souffle dans le Titanic. On ne fait que s’engueuler… Heureusement, quelques minutes après s’être dit les plus graves injures, on est de nouveau ami. A 6 ½, départ pour les tranchées. 23 Je reviens au cantonnement. Suis seul au Titanic. Pas de danger de querelles. On vend le beurre à 2 frs 40 la livre, les œufs 15 cts pièce. 24 Neige. Pour monter de garde, les sentinelles dont des peaux de mouton. Notre malin lieutenant a fait faire un cachot. Il ne sait même pas le 1er commandement. Pour faire rompre les rangs : pour rompre, marche (les aux.). Nouvelles d’Andrimont. 25 Je vais à la visite. La bouche de mon deuxième visage me fait mal. 26 Dimanche. Messe et communion. Grand vent et pluie. Très froid. Bonnes nouvelles de Russie. 27 Pluie. Violente canonnade du côté d’Ypres. Notre lieutenant fait des siennes. Pour des futilités, il distribue des punitions en veux-tu, en voilà. Ses paroles : ce n’est pas grave. Je vais te donner 4 jours et 12 jours de retenue. Aujourd’hui, il arrive à la cuisine et engueule les cuisiniers. Finalement, il envoie le frère du lieutenant VdG en mission spéciale à la VI DA pour aller apprendre à faire la popote. Les congés sont rétablis à la division mais B. ne veut pas en donner parce qu’il y a trop de besogne. Il est déjà bien vu à la Cie. Grand conseil des alliés. 28 La ration de pommes de terre est diminuée de 200 gr. Nous allons donc recevoir 600 gr. L’Allemagne crève de faim. La censure devient de plus en plus difficile. Les lettres ne convenant pas à ces Mrs. sont renvoyées avec du plomb à la clé. 29 Beau temps mais froid. 30 Mi-carême. Beau temps. Nous tirons un canard et une poule d’eau. 31 Je suis occupé à nettoyer des carreaux en ciment […] au mess construit pour la Cie. Ce sont des carreaux volés à Reninge par notre lieutenant en personne. Il joue le voleur mais nous punit parce que nous volons des planches et des sacs. Les journaux ne disent pas grand ’chose sur la conférence des Alliés. Le soir de garde. Incendie dans une ferme occupée par le 7ème de ligne.

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Avril 1916 01 Journée magnifique. Beaucoup d’avions. Le soir, violent bombardement des Anglais. Un soldat vient nous dire qu’ils ont avancé de 2 km. 02 Dimanche. Communion. Journée magnifique. Dans un ciel que seuls, quelques flocons de shrapnells contre-avions tachètent, monte un soleil majestueux. Ses rayons trop chauds pour avril allument des milliers d’étincelles sur la surface des eaux légèrement plissées par les caresses du vent. Les moineaux, tout en gazouillant, font de l’acrobatie dans le chaume de notre grange. Les alouettes mues comme par des ressorts, montent et redescendent sans […] leur chapelet de stries joyeuses. Dans chaque buisson, dans chaque bosquet émergeant des inondations, les choristes du printemps interprètent de leur voix mélodieuse […] presque oubliés. Tout est altéré par l’astre resplendissant. Les grenouilles comme de vieilles grand’mères, sortent leur tête de la mare. Les poissons même essayent de sortir de leur […] paisible. Témoin de cette joie universelle dans un cadre de verdure naissant, je ne puis m’empêcher de chanter avec le grand poète le crédo du paysan. Je me sens heureux. L’aprèsmidi, on nous annonce que nous allons retourner à l’infanterie. Les PP de 15 sont placés dans les Bns. 03 Beau temps. Notre retour à l’infanterie nous embête beaucoup. Je suis en train d’écrire. Il est 10 heures. Tout à coup, un avion boche laisse tomber deux bombes à 60 m du Titanic. Surprise et frousse. L’après-midi, je prends un bain. Huit de nos avions partent en reconnaissance. 04 Plus froid. De plus en plus fort. Notre B. punit un caporal qui ne l’a pas salué : 150 fois je dois saluer mes supérieurs à copier. 05 Beau temps. Froid. Sept hommes partent en congé.

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06 Beau temps. Relève des tranchées. Les hommes reviennent en chantant : Braun fait nous rire Rends le Christ que tu as volé Entends la foule en délire Rends-nous les planches et pavés Ce matin, nous ne recevons pas de pain. On nous autorise à manger nos vivres. C’est la 3 ème fois qu’on permet de manger ces mêmes vivres. L’Allemagne s’épuise. Suivant des statistiques, il y a sur le front anglais, 1 soldat pour 4 au repos. Sur le front français, 1 soldat au front pour 1 au repos et sur le front belge, 4 soldats aux tranchées pour 1 au repos. Certes, notre front n’est pas si dangereux que les autres par suite des inondations mais le danger est là et les hommes se fatiguent aux tranchées. Emile vient me voir. 07 Froid. Notre Braun punit à tour de bras. 08 Le matin au bain. Ouverture de la cantine. Elle est très bien. 09 Aux tranchées. Secteur Centre. Proj. 30 cm. Le matin, j’assiste à deux messes dites par des prêtres brancardiers derrière un abri. Je communie. 11 Pluie. La bataille de Verdun recommence. Les Allemands progressent de quelques mètres. 12 Au cantonnement. Temps de chien. Il pleut et vente terriblement. On risque de tomber à l’eau à chaque fois qu’on passe sur la passerelle. Notre cantine marche on ne peut mieux. Tous les soirs, cinéma, chants, etc. 13 Officiellement, nous sommes remis à l’infanterie. Nous restons encore à la Cie. Mais bientôt, nous filerons avec nos 15. On ne peut faire sans les anciens de l’infanterie. Nous n’en n’avons pas fait assez. Nous sommes des imbéciles qu’on charrie depuis dix mois. Les volontaires eux doivent rester au poste un peu plus facile. Ce sont des hommes à la hauteur, il y a même parmi eux des coiffeurs pour dames. Après la guerre, qu’on me parle encore de service militaire puisque ceux qui n’en n’ont pas fait, sont aujourd’hui des préférés. Le caporal Derwal part à midi au 6ème de ligne. Il est renvoyé à l’infanterie par le lieutenant Braun pour avoir dit qu’il se fichait de partir à l’infanterie. C’est un bon soldat ayant gagné ses galons à la mission spéciale, ayant été félicité et gratifié d’une somme d’argent par le général Michel pour avoir accompli une mission périlleuse sur un pont à l’Escaut. Quand il quitte ses amis, on voit des larmes perler. Le soir, il revient déjà un peu piqué. Il ne veut pas rester au 6ème de ligne. Il avait demandé le 8ème où il avait des copains. Il préfère aller à Orléans. N’est-ce pas triste de voir un soldat d’une telle valeur prêt à se faire enfermer plutôt que d’aller au 6ème où on l’envoie à tort. Nos officiers ne connaissent pas les hommes. Ils n’ont aucune notion de psychologie.

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14 Les ambulanciers gagnent 100 francs par mois. Est-ce encore du dévouement ? Les ouvrières dans les ateliers, dans les usines ne gagnent guère autant, ne sont pas aussi glorifiées et pourtant, ne se […] pas aussi pour la patrie ? 15 Aux tranchées, secteur Sud. 16 Rameaux. Quelle belle journée et quel malheur qu’on ne soit pas à la maison. 17 Pluie et très froid. Très triste aux tranchées. 18 L’ordre du jour du général Pétain aux héros de Verdun daté du 9 avril finit par ces mots : Courage… On les aura ! Retour au cantonnement. Nous avons à la Cie un nouveau F.F. de lieutenant. Je ne sais ce qu’il vaut mais il a une drôle de tête. Marche élégante de l’oie, des pince-nez sur un pif dont le poids oblige la tête avant le derrière. Il loge à la ferme du Titanic. Le chat est là et les souris soldats foutent le camp de la maison à son approche. 19 Froid. Grand vent. Inspection des armes. On rigole. 20 Jeudi-Saint. Je vais faire mes Pâques. On nous reprend 40 cartouches. On annonce la paix de Trébizonde par les Russes. 21 Vendredi-Saint. Aux tranchées secteur Sud. Pluie. Ce temps triste se prête bien au caractère du grand anniversaire. Le soir, de garde à la maison du passeur. Pendant mes gardes, il est réconfortant de méditer les souffrances et la mort du Christ. 22 Samedi-Saint. Pluie continuelle. Très froid. La toussaint approche. Mot d’ordre Fernand. 23 Pâques. Beau temps. On nous annonce l’arrivée des Russes en France. Il y a sur le front 2000000 d’Anglais. Sur le front d’Ypres, il paraît que les Boches ont rassemblé 8000000 hommes. On va faire une omelette. Beaucoup d’avions. 24 Beau temps. Au cantonnement. Que font nos aumôniers ? Que fait surtout l’aumônier du génie ? Le crois qu’il se fait plus de tracas pour trouver de belles bottes que pour ramener des âmes à Dieu. Pâques est passée et nous n’avons pas encore vu l’aumônier. Pas d’annonces, pas d’invitation pour les offices. Pas de facilités pour les hommes faire leurs Pâques. Ce ne sont pas des Mercier. 25 Très chaud. On nous fait faire une heure d’exercice. 26 Je vais à Westvleteren. Nous passons par le cimetière et sur de simples petites croix nous lisons les noms des soldats, d’officiers supérieurs, même une d’entr’elles porte le nom du conte E. du Chastel de la Houvarderie, une des plus anciennes familles du Hainaut. 27 Très chaud. On a la flemme. Il paraît que les Boches ont jeté des papiers disnat que nous serions tous morts le 26 mai. 28 Chaud. Notre Braun donne deux jours de cachot à son ordonnance pour avoir pris un vélo au magasin sans permission. Il doit aller à la boîte. C’est du Braun.

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29 On va encore une fois me proposer pour CIPSLA. Réussirai-je à partir ? J’en doute. Heureusement, je m’en fous. On rigole et les […]. 30 Dimanche. Messe, communion. Les amis en revenant des tranchées ont cueilli des lilas à Reninge. Ils me les apportent. Ces fleurs me parlent des lilas d’Andrimont. Si je pouvais en envoyer aux aimés. Le bruit court d’un combat naval en mer du Nord. On attend avec impatience les journaux.

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Mai 1916 01 Lever à 4 h du matin. Nous allons au bain. Promenade du plus agréable. Il fait un temps admirable. Le soir, dans notre baraque qui mesure cinq mètres carrés, nous organisons un concert et sauterie. 02 Temps orageux. Townshend assiégé à Kul-el-Amara capitule. 10000 hommes dont 2900 Anglais se rendent. Le soir, orgae. 03 Beau temps. 04 Très chaud. Révolte en Irlande finie. 05 Orageux. Chaleur torride. Nous allons prendre un bain dans les inondations. Le 4ème Bn du 7ème cantonné à Beveren reçoit comme punition pour désordre, une marche forcée à faire. Environ 15 km sans repos. Résultats : plusieurs malades et jusqu’à présent, trois morts. Façon admirable de punir des hommes qui se révoltent contre l’égoïsme de la population et certains chefs. 06 A 1 H ½ du matin, je pars aux tranchées. Très noir. On parle beaucoup d’attaque dans ce secteur Sud. Les Boches montrent peu d’activité. 07 Belle journée. Vent assez fort. 08 Très froid. L’hiver revient. 09 Retour au cantonnement. On attend avec impatience la réponse du […] à l’Allemagne.

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10 Des troubles très graves ont eu lieu à La Panne, parmi les soldats. La ½ du 6ème s’est aussi soulevée. Une révolte couve dans tous les régiments et un rien pourrait amener des choses très graves et très tristes. Nos officiers touchent une solde énorme, se conduisent en véritables cochons et ces spectacles de dégradation, d’orgies, écœurent les soldats. La fin et vite. La majorité des officiers, souvent des bleus qui n’ont jamais rien vu. Des C.I. qui sont des froussards sont de véritables vaches qui considèrent les soldats comme des esclaves. 11 Beau temps. Commandé pour les tranchées, secteur Sud. Nous jouons aux cartes jusqu’une heure du matin. Départ pour les tranchées. 12 Aux tranchées. Nos artilleurs font avec une pièce de 220 un tir d’essai très bien réussi. Pluie. 13 Pluie. Les journaux disent que la misère est très grande en Allemagne. Nos chers parents ont-ils de quoi manger alors que nous avons de trop. Nous payons le beurre à 2,30 la livre et les œufs à 0,15 pièce. 14 Froid. 15 Les congés sont de nouveau ouverts. Quelle comédie de les fermer pour quelques jours puis on les ouvre de nouveau. Voudrait-on, par-là, impressionner les Boches ? 16 Le temps est tout à fait remis au beau. Les aubépines sont magnifiques. Merveilleux bouquets jetés sur les haies. 17 Beau temps. Terrible canonnade à Steenkerque. Les Boches attaquent notre redan sans succès. 18 Départ à 1 h du matin pour le Nord. En entrant dans l’abri, je crois entrer dans un caveau. Un homme y est couché la tête recouverte d’une moustiquaire. C’est le mort. Dans la journée, il y fait plus clair et l’abri est tout autre. Très grand et bien aéré. Très confortable. Le soir, un avion jette des bombes dans les environs. 19 Très chaud. Dans ce secteur Nord, les hommes sont assez bien. Des abris passables. Pendant la journée, les soldats sont assis sur le seuil de leur porte. On vend des journaux, oranges et caramels. La nuit, de nombreux avions boches passent nos lignes. Plusieurs projecteurs marchent. Canonnade intense du côté de Nieucapelle, Dixmude. 20 reçois lettre de Gustave et Félix datées du 12.03.16. Je réponds. Beau temps. On vient nous raser aux tranchées. Du luxe, quoi ! Au secteur de Steenstraat. 21 Retour au cantonnement. Très chaud. Messe et communion. Les Autrichiens attaquent sur le front italien. 22 Nous apprenons que les Cies d’infanterie reçoivent cinq ou six croix de guerre qui seront allouées par le commandant. Donc, les préférés du commandant et non les courageux vont être décorés. Dans une Cie du 5ème de ligne, les chefs, le 1er sergent et le […] qui n’est jamais aux tranchées, sont décorés. Les anciens soldats, rien. Loterie injustice. Qu’ils gardent leurs 98


décorations mais au moins, qu’ils nous donnent les chevrons pour autant de mois de front. Quand, au retour, nous dirons que nous avons fait toute la guerre sans quitter le front, on nous rira au nez. En effet, nous n’avons rien qui prouve notre service. 23 Les journaux annoncent la jonction des Russes et Anglais en Asie. Il paraît que la 5 D A va venir de ce côté. 24 J’ai trois jours de repos. Je vais le soir au salut à la chapelle St Joseph que l’aumônier de génie a construite, aidé par les soldats. 25 Un deuxième groupe part en congé. Parmi ces hommes, il y a quatre gradés dont deux partent pour la 4ème fois et trois hommes. Ceux qui ont deux ans de guerre peuvent attendre. Armée=injustice, égoïsme. Le moi partout. 26 Notre Braun fait revenir des planches pour consolider le cachot. Pour nous, c’est le regain de la féodalité. Désigné pour les tranchées au Centre. 27 Aux tranchées. Grande chaleur. Le Temps raconte que nous devons préparer une nouvelle campagne d’hiver. 28 Chaud. 29 Les Bulgares entrent en Grèce. Les hommes touchent ¼ de pain en plus par jour de tranchées. Nous recevons 0,07 frs. On reprend les bottes. On prépare la campagne d’hiver. 30 Au cantonnement. Nous changeons nos lits. Très chaud. 31 On nous fait exposer nos couvertures au soleil. L’infanterie a reçu des sacs à paille en kaki.

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Revue de la 2 D ch plage de La Panne

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Juin 1916 Ascension. Toute la journée, suis en discussion avec Cambier, Grégoire et Simon. Ils étaient éveillés à 6 heures et […] que je leur eusse demandé de m’éveiller, ils m’ont laissé dormir jusqu’à 7 heures. Journée splendide. Dans la prairie, le bétail et les chevaux paissent. Signe de grand repos et dire que nous sommes à un km de la grande dévastation. Le front. 02 Aux tranchées. Secteur du 6ème. Les Boches semblent morts. Peut-être l’effet du violent bombardement du côté d’Ypres. St Emile. 03 Une pièce de 305 tire sur […]. Les hommes valides de 18 à 40 ans vont être appelés sous les armes. Pauvre Belgique. 03 Grand combat naval dans la mer du Nord. Les Anglais ont perdu 10000 hommes et pourtant cette résistance d’éclaireurs contre la flotte de haute mer allemande peut être considérée comme un succès. Les pertes boches sont sévères. 04 Les Italiens semblent se ressaisir. On se demande si les soldats grecs sont des hommes. Les Bulgares pillent leurs villages et ils restent calmes. A l’avenir, on dira peureux et lâche comme un grec. 05 Au cantonnement. Quinze nouveaux hommes d’infanterie arrivent à la Cie. La V DA occupe le secteur français à notre droite. Notre armée n’a donc plus comme réserve que les 2 divisions de cavalerie. Albert ménage ses hommes. Vite les vieux et pères de famille sous la botte pour que nous puissions occuper cinquante km de front. On nous donne une paire de sabots. Nous sommes obligés de les porter au cantonnement. Je comprendrais la chose en hiver mais en été ? Le matin, bain. C’est le jour de la kermesse. Grégoire revient plein et fait des discours. Il en a mangé neuf ou dix. Nous sommes obligés de le mettre au lit. Le Poilu, lui, est jeté sur un lit et y fait de la gymnastique en dormant. Sans ouvrir les yeux, il se lève et vide sa bouteille dans la poche de la veste de Flémal et dans ses sabots. Le cœur n’en veut plus. Je dois me sauver. 06 Les dernières nouvelles confirment la victoire navale des Anglais. 07 Pluie. Offensive heureuse des Russes. Commandé pour le secteur Sud. 08 Aux tranchées. On raconte que Kitchener a été torpillé lors de son voyage en Russie. Le 3ème chasseur occupe le secteur. 09 Pluie. Fusillade du côté de Dixmude. 10 Beau temps. Beaucoup d’avions. 11 Pentecôte. Grande victoire russe. On parle de 65000 prisonniers. Les Italiens doivent respirer. Le bruit d’une révolte dans les troupes allemandes de Verdun court depuis deux

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jours. On attend les communiqués avec impatience qui malheureusement ne confirment rien. Encore un canard. 12 Les Russes continuent leur avance. 71000 prisonniers. Pluie toute la journée. Cabinet Salandre renversé. Les alliés semblent vouloir faire fondre la Grèce. Vivent les anciens. On parle de nous donner comme insigne soit une médaille de reconnaissance belge, soit une médaille d’Albert 1er. 13 Pluie. Très froid. L’hiver revient. A 6 H départ pour les tranchées. Je vais au redan du 7ème de ligne. Nous devons passer l’eau sur un flotteur. A quatre, la passerelle menace de descendre l’Yperlée. Un doit descendre. Le redan n’est qu’une tranchée de 25 m de longueur. Nous passons la nuit sous nos tentes. 14 Toute la journée au redan. Un fusil boche est pointé juste sur l’entrée du boyau à la descente du flotteur. Chaque fois qu’on y passe le jour, on risque d’attraper une balle. Cette nuit, à 11 h, l’heure sera avancée de 60 minutes. La guerre finira donc plus tôt. 15 En repos. Le temps se remet au beau. On dit que les Anglais vont attaquer dans la Somme et à Ypres. Pendant […]h, plus aucun appareil de téléphone ne peut plus marcher. Il paraît que les Boches parviennent à intercepter nos communications. 16 Beau temps. A 6 h retour au cantonnement. Les Russes avancent toujours. 17 Les congés doivent être fermés le 21[…]. Le dernier départ aura lieu mercredi. 27 hommes partent et je suis du nombre. 18 Beau temps. Czernovitz serait pris. De plus, les Russes préparent, dit-on, une offensive encore plus forte dans le Nord. Si c’était enfin la g.o.g. sur tous les fronts. 19 Les Autrichiens attrapent une raclée en règle. On est prêt à avancer. Au magasin, on emballe et nous devons avoir nos sacs paquetés. On sent que des évènements très importants vont se passer commencement juillet. 20 Il y a trois semaines, j’étais presque seul à prétendre qu’une g.o.g. était possible cette année et que la fin de la guerre suivra. Aujourd’hui, les amis acceptent mon idée. Toute la journée, nous préparons notre voyage à paris. Départ, demain à 5,40 h. On va donc oublier encore pendant quelques jours la guerre et ce pays du diable. 21 Nous partons en congé à 4 H du matin. Beau temps. Arrivée à Calais 12 H. Partie de voyage très fatigante. Nous restons à Calais jusqu’au soir. Nous prenons des bistouilles et visitons les bassins. Nous voyons un torpilleur et un contre-torpilleur. A 7 H départ pour Paris. Jusqu’Amiens, on ne voit que ces camps anglais. A partir de cette ville, le pays devient plus accidenté. Des deux côtés de la ligne, nous découvrons de petits villages, quelques maisons au milieu des arbres. C’est chez nous, c’est mon pays avec ses villages perchés sur les hauteurs, accrochés à la colline ou enfoncés dans un entonnoir. Ces femmes sur le seuil de leur porte, ces enfants jouant dans la rue me rappellent Andrimont. Que font-ils ? Oh s’ils pouvaient savoir que je vais en congé. 103


22 Arrivée à 7 h du matin à Paris. Toute la journée, nous sommes pilotés par le père Grégoire. Paris est merveilleux. Très chaud. On sue mais au moins quelque chose à boire. 104


Les cafés sont ouverts toute la journée. Tout est cher ici mais on ne manque de rien. Le soir, au music-hall avec Père Grégoire et Noélie. Bonne petite française qui dépense beaucoup pour les poilus. Très fatigué. Quel délice que de se jeter dans un bon lit. Nous avons rencontré beaucoup de 1ers et 1ères communiantes. Il paraît que les églises de Paris sont toujours pleines depuis la guerre. 23 Lever à 7 h. Une voix bien douce me tire de mon sommeil. Comme je suis bien reposé. Quelques minutes après la même voix de Mr Arys nous demande : Etes-vous levés mes enfants ? J’ai cru entendre maman. Douce illusion. Nous visitons le Père Lachaise. Nous avons l’avantage de voir le four crématoire. On y incinère justement un Américain. Ce spectacle m’enlève mes dernières idées de matérialisme. 24 Nous visitons les jardins de Versailles. Nous y faisons la connaissance d’un Belge de Florennes qui nous conduit chez lui. On boit du rhum et la tête devient un peu lourde. Le soir au théâtre Gaumont. La plus grande salle de Paris. 6000 places assises et en plus, de splendides promenoirs. Que de belles à louer !!! 25 Messe à Notre-Dame. Après-midi au Bois de Boulogne. Partie de barque sur le lac. Au soir, au Palais Royal. 26 Visite de Paris. Nous rencontrons des petites belges très aimables. L’une d’elle me fait une langue fourrée. Toutes les femmes tirent les cartes. La superstition a fait de grand progrès à Paris. Les autorités ont même dû prendre des mesures. Le soir au cirque. Spectacle ridicule. Rien d’artistique ni comique et les Parisiens rigolent. Ils se contentent de peu. Chez nous, les artistes auraient reçu des pommes cuites. A Paris, ils ont du succès. Le seul spectacle à noter est celui de la Comédie Française vendredi soir. On y jouait l’Ami des Femmes. Régal de diction et de français pur. 27 Retour. Il pleut. Nous avons le cafard. Heureusement, on nous munit de ceux bonnes bouteilles ce qui fait passer un peu les idées noires. 28 Aux tranchées. Ce n’est plus Paris. On parle beaucoup d’une grande offensive. Les Anglais canardent joliment les Boches. 29 Nouvelles victoires russes et italiennes. Les Autrichiens pleurent. Bombardement terrible du côté des Anglais. 30 Notre artillerie détruit un blockhaus allemand. Tir merveilleux. Une reconnaissance échoue. Deux morts.

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Juillet 1916 106


01 Calme sur notre front. Mais les Anglais attaquent. 02 Au cantonnement. On annonce une avance de plusieurs Km dans la Somme. Anglais et Français ont repris plusieurs villages. Cambier prétend que je ne suis pas sincère dans mon carnet de campagne. J’ai omis : en sortant du Gaumont, une grande belle l’a raccroché. Au Palais Royal, la petite qui sautait de son lit produisait un effet bœuf (expression de Cambier). Dispute avec une ouvreuse à la Comédie Française. Il ne me plaît pas de lui donner un pourboire. J’ai conseillé à Cambier de faire de l’œil à la femme d’un pandore qui visitait le parc avec nous. J’ai […] trop de chaises ! Voilà Cambier content et j’ai dit la vérité !!! Les rues de Paris sont très sombres. On pourrait y commettre des crimes !!! 03 Très chaud. L’offensive franco-anglaise dans la Somme marche bien. 04 Violent orage. Trombe d’eau. La 2ème ligne de défense allemande est éméchée. Les Français ont pris plusieurs batteries lourdes. L’aile gauche anglaise ne bouge guère. 05 Aux tranchées. Secteur Nord. Les Russes continuent leur avance. 06 Violente canonnade du côté d’Ypres. Toute la journée, notre artillerie tire sur la tranchée boche. Les Français avancent dans la direction de Péronne. Jeanne L. m’annonce la mort de Léopoldine Sœur Etiennette. 07 Beaucoup de bombes au 6ème de ligne. Au 5ème, pendant qu’une section travaille, un soldat joue de l’accordéon pour animer les hommes. 08 Au cantonnement. On m’annonce la mort de l’adjudant Baguette Hubert11 et de l’ami Croche. Les anciens, les amis un par un s’en vont. 09 je vais voir Emile. Enfin une fleur de notre jardin est éclose. Nous avions bien peur de ne pas les voir. 10 Les offensives sur tous les fronts marchent très bien. 11 Vote confiance à la chambre française. Le soir, délégué. 12 Je reviens à 4 h du matin des tranchées. Un paquet de sacs pendu à ma canne. J’ai l’air d’un cheminot. Toute l’après-midi, je joue couturière. J’ai fait un matelas. Le soir, pluie. 13 Pluie. Loiseau et l’ami Bauer viennent donner un concert dans notre baraque. Le soir, délégué. 14 Fête nationale française. Notre Braun. Le caporal […] dégradé il y a trois mois est regradé. Congé de J.Fr.

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Hubert BAGUETTE était né le 01/08/1893 à Verviers et est mort à Steenstraete le 07/07/1916. Il étudiait la ère ème médecine à l’UCL. 1 inhumation à Reninge le 10/07/1916 – 2 inhumation à Verviers le 23/09/1920. D’après www.bel-memorial.org

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15 Beau temps. Le Don Juan caporal Gulton est allé voir sa poup. à l’hôpital d’Hoogstade. Il a une liroque comme disent les poilus et dire qu’il est fiancé à Marie !!! 16 Beau temps. Peu de balles. 17 Le cinéma du G.G.G. vient donner une séance très réussie. 18 Beaucoup d’avions. Bombes sur Polinkhove. 19 Ronde aux tranchées. 21 St Victor. Fête nationale. Service de dimanche. Nous recevons 20 cigarettes Bastos. On se réjouit vraiment pour une belle fête et on applaudit le fameux socialiste F.M. chef de l’intendance qui, pour ce jour, n’a même pas changé l’ordinaire. L’après-midi, je suis mort. 22 Je ne sens plus mes pattes. Cinq hommes de la baraque ont participé à tous les jeux et nous avons eu 5 prix. Délégué le soir. 23 Terrible canonnade du côté d’Ypres 24 Les Russes progressent. On attend les résultats de l’off. anglais. 25 On parle de l’offensive faite par l’armée belge. 26 Notre génie construit des abris qui résistent très bien au 15 boches. 0,60 de béton. Un espace libre pour 1,30 de béton. 28 Ronde aux tranchées 29 Deux ans que nous sommes rentrés et nous sommes encore à l’Yser et ne pouvons encore espérer le départ. Les journaux nous annoncent l’arrêté-loi du 21 juillet 1916. Tous les hommes de 18 à 40 ans sont rappelés. La majorité des soldats regrettent ce nouveau recrutement. Nous travaillons au jardin. 30 Très chaud. Notre jardin est magnifique. L’armée serbe attaque les Bulgares qui doivent tirer une drôle de gueule. La conduite des Boches à Lille est révoltante. 31 La sortie est en ceinturon. Les Russes remportent une brillante victoire.

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Août 1916 Pour la seconde fois, août va nous ramener les plus tristes souvenirs. Deux ans que les Boches se révèlent des barbares et en ce moment, leurs actes indignent le monde entier. Leur puissance tombe et la situation des alliés permet de former les plus belles espérances. L’heure de la vengeance est sonnée. Bientôt, l’Allemagne sera à nos pieds, victime de son orgueil et ayant un terrible compte à rendre à l’humanité. 01 Très chaud. On a la flemme. 02 Grande flemme. 03 Terrible anniversaire. Les rats deviennent terribles. Ils déchirent nos sacs en peau pour attaquer nos biscuits. Le comble est que l’intendance militaire nous fait payer les biscuits mangés. Le gouvernement devrait nous donner des boîtes pour conserver nos vivres et non nous voler sur nos trente pauvres sous. Vandervelde aura un terrible compte à rendre après la guerre. 04 Nous avons comme chauffeur à la Cie, un étudiant en médecine. Il touche les 6 francs. Ces jours-ci, on a pris un ancien essayeur de la maison Nagand, soldat projecteur à la Cie. Il est sans ressource et bien qu’il fasse les fonctions de chauffeur, le lieutenant refuse de lui donner les six balles. Il paraît qu’on va retenir 0,15 aux soldats pour la cuisine. Nous allons recevoir 0,05 pour les chevrons. Vite, on nous reprend. L’armée va !... Plus froid. Enfin, on perd sa flemme. 05 Simon revient plein comme 100 milles hommes. On rigole toute la soirée. Nous avons un chat appelé Populaire, nom du major vraiment populaire par sa grosse bedaine, ses airs de maniaque, son imbécillité mais aussi par son courage au feu. 06 Dimanche. Journée magnifique. Notre douche est trouée. Plus moyen de faire la soupe. Quelques-uns de nos ingénieurs veulent la réparer. Ces hommes de métier font le trou plus grand. Bref, notre cuisine doit aller à Calais. Un mois pour une réparation d’une demi-heure. 07 Nuageux. On respire. Les journaux disent que le Pape à l’intention d’obliger les Boches à relâcher les femmes et filles de Lille. 08 Je vais à Hoogstade voir Charles. Très chaud. Violente canonnade à notre droite. 09 Très chaud. Les Italiens semblent vouloir rendre aux Autrichiens les coups d’il y a quelques semaines. 10 Quelle chaleur. On a la flemme. On nous retient 2 centimes en plus pour le ménage. L’infanterie a déjà les chevrons. 11 Grande victoire italienne. Les Autrichiens doivent tirer une sale gueule. On assure que le Deutchland a été coulé par les Anglais mais qu’on ne le dira pas publiquement. Le B[…], 113


l’autre sous-marin marchand ne donne plus signe de vie. On se demande ce que l’Angleterre va faire pour venger le crime de F[…]. 12 L’infanterie a ses chevrons. Emile en a deux. 13 Dimanche. Gulton reçoit la photo de sa fiancée en Belgique. Il paie une bouteille. 14 1er dimanche de la fête à Andrimont n’a pas été fameux. Aujourd’hui matin, j’ai le cafard mais non la gueule de bois que j’aurais si j’étais au bal. 15 Après-midi, fête athlétique très réussie. Le soir, triste. On pense aux beaux jours passés. Gulton offre un verre pour Ste Marie. 16 Pluie. Les Russes remportent de grands succès. Tous les jours, discussion concernant les marraines et les petites crapaudes. Je n’ai pas de chance. Les miennes m’envoient au diable. Je fais la correspondance de quelques amis qui ont de charmantes marraines avec un style parfait. J’ai ainsi l’occasion de verser le trop plein de mon cœur et me donner l’illusion de celle qui fut pour moi une véritable amie. Que fait-elle ? Que pense-t-elle ? Est-elle encore à moi ? 17 3 H 10. Loiseau nous réveille en criant : on sonne pour les gaz. Comme mus par un ressort, nous sautons de nos lits et mettons vivement nos masques. Tous les hommes sont debout. Je vais frapper à la porte du paysan. La femme en costume de nuit, émotionnée par les appels, le remue-ménage, la vue des masqués, me répond à peine. Nous nous conformons aux prescriptions données et nous nous dirigeons vers le lieu de rassemblement dans la prairie. Un beau clair de lune nous permet de distinguer ce qui nous entoure. Chacun voudrait voir les lueurs, les nuages de gaz mais rien. La nature encore plongée dans son sommeil est silencieuse et ce calme mystérieux rend plus noble et plus impressionnant les notes du garde à vous du clairon, plus désespérés les appels des klaxons, plus majestueux la voix des cloches de l’église d’Oostvleteren. Nos cœurs se serrent, étreints par ces craintes de l’ennemi inconnu encore, invisible et si terrible. Nous faisons le moins de mouvements possible afin de ne pas gêner la respiration et pouvoir conserver son masque. La Cie est rassemblée. A 3 ¼, on peut rentrer. Les gaz lancés du côté des Anglais ne sont pas venus jusqu’ici. On a une frousse terrible des gaz. On ne peut plus sortir sans son étui. Les gaz doivent avoir une odeur de fruit ou souffre. Le soir, avant d’aller dormir, on se demande si on pourra dormir toute la nuit. 18 Léopold et Jean viennent me voir. Quelle joie de se retrouver avec ses vieux intimes. Léopold est toujours le même moqueur critiquant beaucoup. 19 13 heures 20. Un recommandé contenant la photo de toute la famille. C’est trop de joie à exprimer. Je dois payer une bouteille pour fêter les bonnes nouvelles de Belgique. Le soir, concert à la Baraque. 20 Dimanche. Reçois un billet de Gustave du 17.06.1916. Pluie. Nous cuisons des poires avec sucre. Très bien réussies. Loiseau est l’homme d’affaires qui se charge de trouver le bois et

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les fruits. Il achète avec malice et toujours à bon marché. Le Deutchland est arrivé en Allemagne, disent certains journaux. 21 Ronde aux tranchées. Le 7 fait deux prisonniers. L’offensive est commencée dans les Balkans. Les Russes sont à Salonique. On espère voir bientôt les Roumains marcher à nos côtés. 22 Ayant bu hier du jus de poires, j’ai attrapé le va-vite. Aujourd’hui, je suis esquinté. Une escadrille de 5 avions de type nouveau survole notre cantonnement. 23 Je vais voir Emile. Enfin, ils se sont fait des lits de camp. Ce n’est pas trop tôt après avoir couché deux ans dans les puces. Vraiment, les officiers s’occupent peu de la santé, du bien être des soldats. Egoïsme. 24 Je vais voir Petillon à l’hôpital. J’y vais avec l’auto à vivres. Belle promenade. L’hôpital est enfoncé dans les dunes. A cent mètres, on ne découvre que le drapeau de la Croix-Rouge, le toit du château et les fumées qui sortent des pavillons. Les salles sont très propres mais simples, trop simples. Ce n’est pas le chic de l’Océan à La Panne. Quand on a passé une heure dans une chambre où de beaux jeunes hommes souffrent, on est heureux de sortir. Fasse le ciel que jamais je n’aille dans un hôpital comme blessé. 25 On nous remet nos chevrons. J’en ai deux. La baraque en compte 16. Chaque homme du Kot en a deux. Nous allons toucher 0,05 depuis le 24.6 ; 0,10 depuis le 4.8. Le lieutenant Yames nous demande un bouquet de notre jardin. Pour ces fleurs, il nous donne deux francs pour la fête que nous organisons le soir, pour arroser nos chevrons, sept bouteilles de vin. Saucisson pour 1,50 frs, des pâtés, cigares. La table est arrangée très artistiquement par Grégoire, fleurs et serviettes immaculées. Nous décorons Mononcle (Flémal), l’aîné de la baraque puis nous ouvrons le concert en formant les meilleurs vœux pour nos chers parents. S’ils pouvaient nous voir. Puissent-ils être aussi heureux que nous. Nous portons un verre à la santé des femmes de Flémal et Loiseau, des fiancées, des marraines, de l’ami pétillon blessé. Nous chantons jusque minuit. Soirée très réussie. Puissions-nous fêter nos troisièmes chevrons au cher Pays. 26 Exercice matin et soir en tenue de mobilisation. On répète les singeries de la revue devant Drubel, le 28. Après deux ans de guerre, ces défilés nous font chier. 27 Dimanche. Inspection en tenue de mobilisation. Notre Braun le catholique qui a eu soin de choisir l’heure de la messe de 10 heures pour son inspection. L’après-midi, grande discussion : la guerre est-elle un droit et un devoir ? Le soir, on rigole de Mononcle. Il a des pieds de facteur. On met ses masques pendant qu’il lave ses pieds. St Armand. 28 Réveil à 5 h. Nous allons à la revue. Le général félicite un officier. Pendant son entretien avec le décoré, il ressent le besoin de se moucher. Le général souffle sa carotte juste en dessous de la figure du décoré. Vrai ces militaires perdent toute la délicatesse. Nous défilons assez bien mais notre lieutenant James oublie de garder la main gauche dans le rang et le sabre baissé pour passer devant le général. On rigole. On annonce que la Roumanie a

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déclaré la guerre à l’Autriche. Aux tranchées, les nôtres ont placé une toile sur la tranchées et y ont inscrit Vive La Roumanie. 29 Grands évènements en Grèce. Pluie. A 10 H ¾ alerte pour les gaz. Décidément, les Boches ne veulent plus nos laisser dormir en paix. 30 Pluie et grand vent. Notre toit menace de s’envoler. 31 Beau temps.

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Septembre 1916 Au commencement de ce mois, nous formons les plus belles espérances. L’ennemi semble abattu, désemparé. Attaquée de tous côtés, la bête est aux abois. Que nous réserve ce mois ? Verrons-nous enfin les petits vengés, les assassins punis ? Le général Falkenhayn est remplacé par Hindenburg mais celui-ci pourrait-il sauver les Huns du désastre ? 01 Corvée. Je suis chargé de conduire la brouette. Nous faisons la chasse aux rats autour de notre baraque. Nous prenons un nid avec la mère et cinq jeunes, un deuxième avec dix jeunes déjà forts. Les gros s’échappent. 02 La nuit, on nous réveille quatre fois pour les gaz. Alerte seulement. 03 Dimanche. Jean Léonard vient me voir. La Bulgarie déclare la guerre à la Roumanie. De nos jours, on déclare la guerre comme on paie un verre. Révolution en Grèce. Le bruit de l’assassinat de la reine de Grèce court dans les Cies. Le soir, en ronde. 04 Pluie et froid. Cette journée donne une idée de l’hiver et cela ne nous sourit guère. 05 Pluie et très froid. Les Boches lancent 300 bombes sur la DA et en partie de la nôtre. 06 Beau temps. Je vais à l’hôpital de […] voir Petillon. Il va très bien. Plus je vais à l’hôpital, plus j’en ai horreur. Le soir, on nous annonce une grande victoire française. Le beau temps est passé. Je ne suis plus délégué. Demain matin, je vais aux tranchées, secteur Sud. 07 Aux tranchées. Nous préparons notre dîner. Carottes et petits pois. On ne se croirait plus à 1500 m des Boches. 08 4 h, nous dînons à trois, Cambier, […] et moi. Arrive notre Braun à l’abri. Croyant qu’il ne nous remarque pas près de la haie, nous ne nous levons pas. Avant de partir, notre Braun dit au caporal de nous renseigner. 09 Vers 1 h de la nuit, les nôtres commencent un tir de représailles. Malheureusement, les Boches sont éveillés et le tir de représailles devient un duel. 10 Dimanche. Retour au cantonnement. On ne me fait pas appeler au bureau. J’échappe à la punition. Je rigole car les copains se réjouissaient de ma voir perdre mon pucelage militaire. Outre la punition, j’aurais dû payer un verre. 11 Je vais chez Emile. Les officiers menacent les hommes de leur retirer les chevrons quand ils attrapent huit jours. Donc, pour huit jours, on perd deux ans de guerre. Révoltant. 12 Pluie. Le soir aux tranchées. Redan du 7ème. J’attrape mes deux jours d’arrêt. Pauvre pucelage !!! 13 Je passe la journée au redan. 119


14 En seconde ligne à 1500 m des boches, on a installé des cuisines qui permettent de donner aux soldats du café, de la soupe et des patates chaudes. On a construit dans les environs des cuisines, des puits qui donnent une eau très propre. Une cantine est aussi installée aux tranchées. On peut s’y procurer du tabac, cigarettes, margarine, etc. Encore dix ans de guerre et nous serons mieux aux tranchées qu’à la maison. Nous construisons près de l’abri une cuisine magnifique qui nous permettra de nous préparer de petits extra. Très froid la nuit. 15 L’armée vend les boîtes en fer blanc à raison de 45 frs les 1000 kg. Tous les lundis, on doit ramasser ces boîtes et les porter à un endroit désigné. Economie de bouts de chandelles. Les paperasses et les intermédiaires mangeront bien le bénéfice. On parle tous les jours de l’ouverture des congés. Je me demande bien pourquoi nous ne pouvons aller en congé alors que les Français et les Anglais y vont. Pauvre Belgique. 16 A cantonnements. Jour de piquet. A huit, dans le Kotje, nous partageons toujours les colis. Trois paquets à la baraque. On mange des bonbons, ce n’est pas tous les jours fête ! 17 On nous annonce que les congés sont ouverts. 2% des hommes peuvent partir. Dérisoire. Mesure prise, je crois, pour calmer les esprits et faire cesser les polémiques de certains journaux. L’après-midi, je vais voir Emile et la fête organisée par le IV/3 du 6ème. Véritable kermesse flamande très bien réussie. 18 Pluie, vent, froid. Les nouvelles de tous les fronts sont excellentes. On annonce que les Boches ont ouvert la frontière hollandaise. Peut-être pourrons-nous avoir des nouvelles plus facilement ? 19 St Gustave. Aux tranchées. Le 1er départ des permissionnaires aura lieu le 22. Cinq hommes. 20 Nous recevons un colis de Paris contenant une bouteille de cognac, une de vin, bonbons et papier. 21 On parle beaucoup des fameuses autos blindées des Anglais. Enfin, les Boches ne nous montreront pas comment on construit des autos chenilles modernes. 22 Rentrons des tranchées. On déguste les quilis de Noélie. Le cognac est épatant, le vin et les bonbons délicieux. Grégoire part en congé. 23 Beau temps. Le matin, brouillard assez froid. L’hiver approche et la fin des hostilités s’éloigne. 24 Dimanche. Notre Braun assiste à l’enterrement d’un soldat de la Cie tué aux avant-postes. Au cimetière, Braun prend la parole mais pour raconter des bêtises. Sans doute l’émotion lui avait détraqué la bouche et sa bouche n’a pu exprimer sa pensée. Pour finir, il nous souhaite à tous de mourir comme un soldat. Merci, pour attraper une balle en revenant le matin des avant-postes. Braun peut garder pour lui ce souhait et claquer à la guerre. Les soldats préfèrent vivre. 25 Aux tranchées. Beau temps. 120


26 Le soir, au redan. 27 Je pèche toute la journée et je ne prends rien. En Grèce, la situation devient de plus en plus délicate. 28 Au cantonnement. On nous donne des sacs à paille. 29 Les soirées deviennent déjà bien longues. Heureusement, nous avons à la Cie quelques « numéros ». Le soir, répétition des chants, gymnastique, etc. J’ai une nouvelle correspondante anglaise. La 100 kg, nom que les amis lui ont donné. 30 Que va-t-il se passer en Roumanie ? L’offensive boche réussira-t-elle ? Falkenstein et Markensen font un gros effort.

Sur les inondations

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Octobre 1916 01 Aux tranchées. Le matin, des avions alliés descendent deux ballons captifs boches. 16 h, des avions ennemis survolent nos lignes. A quelques 4 km derrière nous, notre ballon captif se tient majestueux à 200 m de hauteur sous l’immense coupole que forment de gros nuages sombres rayés par des faisceaux lumineux que lance un projecteur invisible, du haut du dôme. 16 h moins ¼, un avion se dirige sur notre ballon. Nous le suivons des yeux. Irait-il attaquer notre captif ? Les batteries aériennes tirent. L’avion décrit un demi-cercle puis descend en oblique dans la direction du ballon. Quelques coups de mitrailleuse. Il a dépassé le captif. Il l’a manqué. A peine avons-nous dit ces mots qu’une petite flamme jaillit à l’arrière du ballon. Une fumée noire. Le ballon descend lentement laissant une colonne de fumée. Un adjudant et un soldat occupaient la nacelle. Ils se jettent munis de leur parachute. L’adjudant atterrit sain et sauf. Mais le parachute du soldat est rattrapé par le ballon et prend feu. Le soldat est mort quand il touche le sol. La guerre finira donc à l’heure juste ? Pas de chance, on retarde les horloges. 16,30 h, le Roi accompagné du général Drubel et d’un officier d’ordonnance passe près de l’abri. Il vient causer avec les soldats. 02 Pluie. Triste aux tranchées. 03 L’hiver approche. Nous montons déjà 11 heures de garde. Nos avions dégricolent deux saucisses boches. 04 Au cantonnement. Nous buvons le bon verre que nous a rapporté Grégoire revenu de congé à Paris. 05 Très triste. On s’ennuie. 06 Grand vent. L’hiver approche. 07 Réveil à 3 h. départ pour les tranchées. 08 Aux tranchées. On parle que des troupes congolaises vont venir sur notre front. Mauvais pour les vieux. 09 Les rats et souris deviennent terribles. On ne sait plus où cacher son pain. 10 Au cantonnement. 11 Je vais voir Scheen, Golaire et Nicolay à Hoogstade. Après-midi très agréable. 12 Grand vent. On annonce une défaite roumaine. On attend avec impatience les nouvelles. 13 Aux tranchées. 16 Retour au cantonnement. On nous vaccine. Pluie et vent. Je reçois une montre de Noélie. 18 7% des hommes peuvent aller en congé. 123


19 Aux tranchées. Pluie. La nuit, très froid. Le matin, il gèle. 20 Belle journée. La nuit, terriblement froid. Il gèle. 21 Beau temps. L’hiver est là. Nous recevons un sac de coke pour l’équipe. 22 Au cantonnement. Le soir, alerte pour les gaz. Vont-ils recommencer cette histoire ? Nous ne recevons plus que deux morceaux de sucre par jour. Des hommes obtiennent des congés pour aller faire la récolte dans le Pas de Calais. Voici les longues soirées. Heureusement, j’ai une nombreuse correspondance pour me distraire. Outre les lettres que j’écris pour plusieurs soldats de la Cie, j’entretiens deux correspondances anglaises très suivies, une correspondance flamande qui commence, enfin les échanges de lettres avec Paris, Calvados et les amis. Au cantonnement, j’occupe presque toujours la table et souvent, je scie le monde avec mes écritures. Nous recevons de Paris de nombreuses lectures, feuilles littéraires et brochures, quelques livres d’Angleterre ou même de Suisse où j’ai une vieille dame française comme correspondante. 23 Pendant le repos, il n’y aura plus d’exercice pour les hommes des tranchées. 24 Pluie. Notre Braun retarde le départ des congés par suite de travaux à exécuter. Lui qui ne sait passer huit jours à Paris croit sans doute que ses soldats ne désirent guère aller en permission. 25 Départ pour les tranchées. Froid la nuit. Nous montons 13 à 14 h de garde. 27 Les Français reprennent Douaumont. Les Roumains reculent. 28 On nous distribue au bain du magnifique linge. 29 Nos fleurs sont mortes. Pauvre jardin qui donnait un aspect souriant à notre baraque. 30 La vie en France devient terriblement chère. Ici, impossible de trouver du sucre. Le pain est augmenté de 0,15. Le soir, départ pour les tranchées. 31 Jusqu’aujourd’hui, le général avait défendu de faire des abris au redan. Maintenant on peut en faire. Je me demande bien pourquoi. Si le général avait dû passer les nuits à la belle étoile, il aurait peut-être admis les abris plus tôt.

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Novembre 1916 01 Aux tranchées. Pour la 3ème fois, nous allons donc passer cette grande fête dans les boyaux. Les cloches tant aimées ne nous parleront donc pas de la grande communion. L’après-midi, elles ne jetteront pas le glas funèbre sur la terre obligeant les hommes à réfléchir sur leur destinée, à penser aux disparus. Les Boches ont voulu nous donner l’illusion du vieux clocher en faisant un carillon sinistre de détonations de bombes. Pensez aux morts, pensez aussi à votre mort semblent dire ces engins. Heureusement, ils font beaucoup de bruit, quelques dégâts mais pas de victimes. Sans doute, les quelques tombent de braves ont épouvanté les Huns ! Leur conscience les torture et comme en un geste de désespoir, ce jour des morts, ils ont labouré les tertres qui recouvrent la gloire. Reposez en paix, Morts. Le trou d’obus près de la petite croix qui vous protège est le plus beau, le plus rare des chrysanthèmes. 02 Retour au cantonnement. Simon revenu de congé a rapporté le petit verre. 03 Les soldats punis par le c.d.g. sont, sur avis du commandant de Cie, envoyés en prison. Là, ils mènent une vie presqu’impossible. Ensuite, ils sont envoyés dans une Cie de réhabilitation. Ils jouent le travailleur, sont assez bien nourris mais ne peuvent sortir et sont astreints à une discipline boche. Après trois mois de séjour sans punition, ils rentrent à la Cie du régiment. Actuellement, tout commandant peut envoyer un homme à la Cie de réhabilitation après trois punitions de huit jours de cachot. Or, si on a un commandant grincheux et si on est mal vu, on a son chemin tout tracé. Avant la guerre, on se révoltait à la pensée de la discipline boche mais on ignore ce que c’est que la discipline belge. Pourtant, si vous êtes protégé, tout va bien. Un ancien soldat de la Cie, Médart, liégeois habitant Paris, passé à la V D.A., fut condamné pour vol. Il resta enfermé plusieurs semaines dans la prison de Furnes. C’était, je crois, un homme pour la Cie disciplinaire ? Et bien, il est actuellement rentré à la Cie des projecteurs et a plus de toupet que tous les autres. 05 Grand vent. Sur la demande du lieutenant, notre aumônier vient dire la messe à la cantine. 06 On se prépare pour le congé. Véritable comédie dans la baraque. On répète sur la façon de se présenter chez « La […] volée à Paris ». 07 Réveil à 3 ½ h. Départ pour Paris. Il pleut. Arrivée à Calais à 13 heures. L’après-midi, nous allons au cinéma à Calais. Après-midi très agréable. Nous montons sur le train de Paris à 18 ½. A 19 h, on vient nous dire que le train ne partira qu’à 23 h. Nous sommes dans le compartiment en compagnie d’une dame et d’un monsieur qui nous offre du vin, des raisins, etc. Le temps se passe assez agréablement mais vers 23 h le train s’emplit jusque dans les couloirs. Nous quittons Calais à 1 h. 08 Notre train est une véritable brouette. On s’énerve, on s’embête et nous n’arrivons à Paris que vers 13 h. Exténués, nous allons dîner près de la gare du Nord. Cela nous remet. On

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arrive chez Arys. Accueil chaleureux. Nous allons au Kursall puis accompagnés d’un […] et de son frère aîné ainsi que de Mr Grégoire, nous allons aux Folies Bergères. 09 Notre congé se passe des plus agréablement. Promenade avec Cambier ou accompagnés de Noélie, Georgette, Mr Grégoire et Arys. Paris est merveilleux. Les théâtres sont courus par la foule. Nous allons au Casino, Folies Bergères, Comédie Française, etc. Nous visitons le tombeau de Napoléon, la galerie des batailles dans le palais de Versailles. Madame Arys nous prépare toujours des petits extra délicieux. Mr Arys soigne pour le vin. Même à la rentrée du théâtre, nous trouvons du champagne glacé (25 frs la bouteille). Noélie est des plus attentives. Bref, nous passons un congé le plus joyeusement possible et vrai, nous oublions la guerre. Quand on pense à la débauche de Paris, on se révolte. 14 Chargés comme des mulets, nous quittons ces braves gens qui nous ont reçus comme des enfants. Noélie nous paie un taxi pour nous rentrer à la gare. Nous arrivons au front à 1 h du matin. Le voyage a été passable. 15 Les amis sont à la joie. On boit le bon verre de rhum de Noélie, le vin délicieux de Mr Arys. J’ai le cafard. Tout me semble vide et m’énerve. Très froid. Plus froid qu’à Paris. Soirée très triste. Où est Paris ? Où sont ces personnes aimables ? Où est Noélie avec son regard si doux et son rire si agréable ? 16 Toujours malade. Que la vie est triste ici. On s’embête. 17 Vive canonnade à […]. Très froid. Nous faisons un bon petit feu qui rend le séjour dans la baraque des plus agréables. Je reçois une nouvelle couverture. Ce n’est pas trop tôt. Le souvenir de Paris n’est plus si fort et le cafard diminue. A chaque retour des permissionnaires de Paris, nous avons des hommes atteints de maladies vénériennes. Plusieurs hommes à la Cie sont déjà à l’hôpital. Il fait bon se méfier des accrocheuses de Paris. 18 Aux tranchées. Que le temps semble long. La Comédie Française faisait pleurer mais la comédie boche est encore bien plus triste. 19 Dimanche. Ce n’est plus la vie à Paris, les randonnées en taxi. 20 St Edmond. Pourvu qu’il ne soit pas pris par les Boches. 21 Au cantonnement. Gulton reçoit une photo de sa fiancée. Il paie une bouteille. 22 Je vais voir Emile. La Cie a formé une musique de bonne fortune. Le soir, concert. 23 Il ne fait plus aussi froid. 24 Aux tranchées. L’ami Derval est tué aux avant-postes du 6ème de ligne. 25 Ste Catherine. Il y en aura bien cette année qui coifferont le bonnet. 26 On recueille 64 frs pour la couronne de Derval. Les soldats montrent ainsi leur amitié pour un ami.

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27 Retour au cantonnement. Beau temps mais froid. Heureusement, notre petit feu marche on ne peut mieux. 28 On se demande si la Roumanie va subir le même sort que la Serbie et la Belgique. On espère encore que les Boches sauveront la situation. 29 On va accorder la Croix de Guerre aux volontaires qui se sont engagés avant 18 ans. Donc une décoration à ceux qui n’étaient que des inconscients. Pour les conscients, surtout les miliciens, rien ! La Cie présente quelques soldats dont un est resté un mois et demi en Hollande après la retraite d’Anvers. 30 Aux tranchées, secteur Sud. On parle du rétablissement des brigades. Il doit nous arriver 60000 recrues. On se demande où ils les ont été chercher. L’armée va être complètement reformée. La brigade française à notre droite est remplacée par des Anglais. Nous touchons donc à l’armée anglaise à droite et à une division française à notre gauche Nieuport. Je crois qu’on réserve encore une magnifique […] pour l’armée belge dès que le beau temps sera revenu. En attendant, on fait de nouvelles places pour les seigneurs de l’armée. La Cie nous donne un seau de charbon pour deux jours. Aux tranchées, nous recevons un sac de coke.

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Décembre 1916 Nous voilà arrivés au dernier mois de 1916 et rien n’annonce encore la fin. Les pays souffrent mais ne veulent pas se soumettre. Décembre nous ramène les grandes fêtes de l’année. Pour la 3ème fois, nous allons passer es beaux jours aux tranchées. Que font nos chers parents et combien ils doivent souffrir de ne pas nous avoir près d’eux. 01 Aux tranchées. St Eloi. 02 Notre cabot nous paie une bouteille de vin à la cantine des Van Durnes. Aux tranchées, nous fêterons la St Eloi. 03 Je porte avec Cambier la couronne sur la tombe de Derval. Le cimetière est rempli. Que d’amis dorment déjà dans ce champ d’honneur. Un à un les anciens disparaissent. Ici, ils ont presque tous la décoration de Chevalier de Léopold, la Croix de Guerre mais hélas aussi la croix de bois. Le soir, nous allons chercher […] bouteille de vin et nous fêtons Ste Barbe. 129


04 Ste Barbe. Service de dimanche. 05 Les Russo-Roumains semblent se dégourdir. La Grèce se révolte. Enfin, elle fond ! Qu’on en finisse une bonne fois. A notre Cie, il n’y a plus d’avancement que pour les amis de l’aumônier. Depuis que l’on dit la messe à la cantine, presque tous les projecteurs vont à la messe. Avant, il n’y en avait que 6 ou 7 qui remplissaient leurs devoirs. Aujourd’hui, les plus mauvais sont aux pieds de l’aumônier. Les bons, eux, ne veulent plus aller à la messe. Ce singe aux belles guêtres fait plus de tort que de bien à l’Eglise. Il est la risée de la Cie. Ses protégés, ses adversaires d’hier, en rigolent. Les autres qui devraient être ses amis le méprisent presque. C’est, je crois, le 1er curé que je n’aime pas. 06 Jeanne Léonard m’envoie ma St Nicolas. Je reçois un colis de ma marraine. Tout va bien. 07 Mot d’ordre : Victor. Aux tranchées. 08 Mot d’ordre : Verviers. Mon nom et ma ville. La I DA va au camp de Mailly. On se demande ce qu’elle va faire là. Les canards sont lancés. Elle va à Verdun, dans la Somme. On dit même à Salonique. On va reformer les brigades dans notre armée. Gare au printemps. On va encore casser la pipe de plus d’un Belge. 09 Au cantonnement. Pluie. 10 Je vais à Poperinghe voir Jeanne Léonard. Après 1 ½ an, qu’il est bon de revoir une aussi bonne amie, une grande sœur. Elle me reçoit à bras ouverts. Elle est bien et porte ses sept bonnets de Ste Catherine avec une grâce surprenante. Elle n’a pas changé, ni de physionomie, ni de caractère. Naïve, spontanée, franche, ouverte et toujours de bonne humeur. Elle me raconte ses fredaines, ses amourettes, me parle avec tant de confiance que je me crois dans la chambre du Tombeux. Qu’il est bon de parler du pays, des aimés. Le soir, noisettes, noix, dattes, etc, un vrai St Nicolas. Même du champagne. 11 Journée passée agréablement en compagnie de Jeanne. Elle envoie des colis de St Nicolas à toutes les connaissances. Brave fille va ! ! Cœur généreux. Je la quitte bien à regret à 6 h du soir. Si mes parents pouvaient savoir que dans notre triste situation nous avons encore de bien beaux jours. Quel dommage que je ne puisse aller plus souvent à Poperinghe ! Malheureusement, c’est le secteur anglais et il est très difficile d’obtenir une permission. Au cantonnement à 8 ½. Grégoire a préparé des crêpes excellentes ; il ne manque que des œufs. J’ai rapporté de chez Jeanne une petite poule en carton « Jeanneton ». Notre baraque devient une véritable ménagerie. Un ours de Paris, une poule, deux chats, Embusqué et Rond de cuir. Les vaches et les cochons de la ferme qui viennent parfois nous dire bonjour. Il ne manque plus qu’un chien et des lapins. 12 Aux tranchées. Les Boches nous bombardent. Première neige. Très froid. Il pleut dans notre abri. 13 Beau temps. 15 Au cantonnement. Les Boches font des propositions de paix. Du bluff. 130


16 Les français avancent à Verdun. La Grèce accepte l’ultimatum des alliés. 17 Dimanche. 18 J’ai trois jours de congé. Je vais au dentiste qui m’écorche la gueule. 19 L’armée roumaine est sauvée, disent les journaux. Sauvée, je ne sais mais certes encourue. Très froid. Neige. 20 Je souffre des dents. 21 Je reçois du tabac et cigares excellents de Galoppe. Je suis exempt de tranchées. 22 Au dentiste qui me mastique une dent. Plus de mal. Calme parfait depuis qu’on a cimenté mon four ! 23 Grande tempête. Des arbres sont déracinés. Les critiques militaires prévoient une marche boche sur Odessa. 24 Aux tranchées. Nous allons toucher 2,50 frs à la Noël et 2,5 frs au Nouvel An comme partie des bénéfices faits à la cantine. Le soir, beau temps. La nuit, pluie. Rien n’annonce l’heureux anniversaire. Les Boches sont muets. Triste Noël pour nous, pour eux surtout làbas. S’ils nous savaient au moins en bonne santé. 25 Noël aux tranchées. Rien qui marque cette grande fête. 26 Les Boches bombardent assez bien. 27 Au cantonnement. Cambier y reçoit une carte de son père qui y dit : « Nous mangeons des rutabagas à tous les diables. On est parfois entonnés mais cela passe vite après quelques échappements détonnatoires que nous […] à ceux qui le méritent. On entend donc à tout moment : Voilà pour… ». Et dire que ce sont les Boches eux-mêmes qui nous expédient la carte en recommandé. Mononcle reçoit la photo de sa femme et de son gosse. On le blague. On prétend qu’il n’a pas fait les […] parce qu’elles ne sont pas […]. Aujourd’hui […] au lieu de viande. Un jour sans viande. Les paquets arrivent à la baraque. Les marraines et les correspondantes sont très généreuses. Gulton revient de congé. On a le petit verre. Noélie m’envoie un magnifique canif. Il paraît sue les corridors sont des plus dangereux à Paris. Gulton en est convaincu et Marie le sera encore plus. 28 Je vais au dentiste. Général Joffre nommé Maréchal de France. Le soir, en ronde avec un caporal. Pluie. Eboulement dans le boyau. Nous enfonçons jusqu’aux genoux dans la boue. Dans une place, je suis obligé de porter le caporal. On rigole malgré son malheur. 29 Pluie. Notre armée va avoir deux jours sans viande. On admet la possibilité de la violation de la Suisse. 30 Pluie. Le gamin revient de congé et rapporte du vin. On vit bien au Kotje. La preuve que chaque jour, nous soupons avec une bouteille de vin.

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31 Le matin, messe et communion à la cantine. L’après-midi, Gulton et Dubois vont chercher du vin. Mononcle donne 10 francs promis lors de la réception de la photo de sa femme. Chacun met 2 frs. A cinq, nous commençons la fête. J’ai encore un cigare à offrir. Il reste le lard et les bonbons de Noélie. On trinque, on chante, on est joyeux. Cambier trouve qu’il a la voix métallique. Pierrot chante des chœurs, l’ensemble à la reprise est très bien. Mononcle dirige. Je suis commandé pour aller en ronde. A huit, il paraît que je suis joyeux ainsi que Clovis. Nous allons demander à l’adjudant de me remplacer par Cambier Oscar. Nous donnerons au gamin 3 frs. Il est très content. Il porte une bouteille, un cigare et des bonbons ainsi que nos meilleurs vœux à Franz et Simon qui sont malheureusement aux tranchées. A minuit, nous plaçons les photos des chers et chères et nous levons notre verre à la santé des absents, des amis qui n’ont peut-être pas de quoi manger à leur faim. Gulton, qui a cloché à Paris, jure fidélité à Marie. Mononcle embrasse sa Philomène. On finit la soirée en formulant l’espoir que la guerre finira en 17 et que nous pourrons tous nous retrouver chez Gulton à Wez. Soirée magnifique et très bien réussie. Si nous n’avions pas soupé entre deux, plusieurs eussent roulé dans leur lit. (Nous avons un chien « Purio »). L’aumônier avait organisé une petite fête à la cantine. Des étrangers donnaient concert. A 8 h quand les hommes commencent à s’amuser, on ferme la boutique. Nouvelle critique sur l’aumônier. Il n’en fera jamais d’autres !!! Il est tout à fait impopulaire à la Cie. Il semble jouer au commandant et s’occuper de tout excepté de ce qui lui regarde « Ramener les soldats à Dieu ». Notre ancien 1er revient pour la soirée à la Cie nommé adjudant. Il est des plus aimables. Nous finissons 1916 en chantant la classe. L’année 1916 appartient à l’histoire. Que de malheurs, de deuil, de crimes. Oublions-là pour mettre toute notre espérance en 1917. Bonne et heureuse année à tous. Victor.

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FIN DU DEUXIEME CARNET

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Janvier 1917 Pour la 5ème fois, nous passons le 1er jour de l’an en habits de soldat. La 3ème fois à la guerre. Que nous réserve 1917 ? Nous avions espéré la fin en 1916. Aujourd’hui, nous ne l’oserions plus pour 1917. La guerre ne finira-t-elle donc jamais ? Les armées sont plus fortes que jamais, les dépôts regorgent de munitions, les usines fondent des canons par milliers, le pays dépense sans soucis et c’est à peine si on remarque la misère. On est porté à croire que la guerre sera éternelle et que doucement, on s’y habituera. Enfin, j’espère que ce carnet sera le dernier et que j’y pourrai écrire la victoire et la paix. 01 Cambier a fait du « boue-boue ». Le matin, on est vaseux. « Purio » reçoit une pelle de Mononcle pour la nouvelle année. Il fiche le camp. A 11 H, on ramène le déserteur ! Que de cadavres sur la table et plus rien à boire. Le soir, pour changer nos idées, nous jouions au piquet en attendant que le caco fut cuit quand arrivent Dubois, plein comme une andouille, Le jeune et Danhier de la 5ème Dch. Ils apportent chacun une bouteille de champagne. Nous allons chercher des bouteilles de bière double et l’histoire d’hier recommence. A 10 h, je vais en ronde quittant bien à regret la joyeuse société. 02 Fatigué. Que de cadavres !!! Nous avons reçu ¼ de vin et quelques cigarettes. 03 En corvée à l’intendance. Nous avons un bon pour 400 kg de charbon. Si nous avions eu des sacs, nous aurions pu en avoir 1000 kg. Incalculables, les vols que l’on commet à l’armée. Quand on remarque les autos qui passent, on est étonné de constater combien sont occupés des officiers. Ces messieurs qui, peut-être avant, déjeunaient d’un pâté se permettent des promenades en auto !!! 04 A midi, je pars aux tranchées. Dans un ciel se perdant à l’horizon, dans la brume, les nuages, vaisseaux précédés de légères embarcations, se rangent lentement autour de la lune qui se rit de l’astre du jour. A ma gauche, les ruines d’un village dans lesquelles le soleil jette des sourires. Quelques oiseaux dans les bosquets essaient un premier chant. Journée de printemps qui verse en moi une bien douce mélancolie. Au milieu des campagnes, je m’arrête un instant pour contempler la nature et je ne suis pas étonné de découvrir à côté des jachères, des champs où les blés d’hiver tracent déjà leurs lignes d’espérance. Cette vue éveille en moi de bien grandes réflexions. Au seuil de cette nouvelle année, ces herbes naissantes ne semblent-elles pas me dire courage, énergie, espoir. Le moment de pousser est venu, le jour de faire un dernier effort, de persévérer quelque temps encore et la victoire sera la grande moisson. Le soir, au poste d’écoute, nous devons faire 200 m sur les inondations. Nous n’avons qu’une étroite passerelle et à chaque pas, nous risquons de glisser à l’eau. Je me demande à quoi pensaient nos ingénieurs quand ils ont placé de telles passerelles. Certes, ils savaient qu’ils n’auraient pas à s’en servir. Le caporal a été tué dans le courant de la journée. Il avait engagé un duel au fusil avec la sentinelle boche. On l’a transporté en plein jour, protégé par le drapeau de la Croix-Rouge. Les tranchées belges et boches étaient pleines de curieux. 137


05 Retour au cantonnement. Léopold vient me voir. Nous avons un nouveau chat « Poilu ». « Embusqué » est jaloux. « Poilu » nous vole déjà la viande. « Purio » est de nouveau déserteur. Je n’en suis pas fâché. Les Allemands font de nouvelles propositions de paix. Seraient-ils sérieux ? Serait-ce là une lueur d’espérance ? on parle de paix partout et certains prétendent que la guerre touche à sa fin. 06 Nous recevons un […] 1,25 des Anglais. En ronde la nuit. 07 Dimanche. Communion. On parle de repos pour la division. 08 Pétillon blessé il y a 5 mois, nous revient. Pluie. On se demande si les boches vont marcher sur […]. 09 Aux tranchées, secteur Nord. Attaque du côté des Anglais. On lance des centaines de fusées. Plusieurs rouges et vertes. Emile revient de congé. Mort du général Wielemans, chef de notre G. Etat-major. Il est remplacé par le général Ruquoy. 10 Neige. Très froid aux tranchées. Aux avant-postes nous avons des peux de moutons qui sont très chaudes. 11 Offensive à l’ouest de Riga. Heureuse jusqu’à présent. Espérons qu’elle réussira. 12 Au cantonnement. La division va au repos vers le 16. On prépare déjà son fourbi. 14 Les inondations montent. Nous sommes obligés de relever toutes les passerelles. Il est grand temps que nous fichions le camp. Commandé pour les tranchées. Vivement nous préparons nos paquets. Emile vient me voir. 15 Neige. La 1ère ligne des tranchées est inondée. On relève les passerelles. Il neige toute la journée et toute la nuit. 16 Très froid. Neige. C’est l’hiver ! 17 A 5 h relevé par la I DA. Nous rentrons à La Panne en auto. Nous sommes heureux de quitter le secteur, pourtant nous regrettons la baraque des « Purs ». 18 A La Panne, nous occupons une chambre de la villa « Les Anémones ». Notre fenêtre donne sur la mer. Très bien installés. Certes, ce n’est pas le Kotje ! A 10 hommes dans la place, tous Wallons, nous formons un petit club intime. Je dois être passé au génie ainsi que Cambier. La Panne est très agréable. On y a installé plusieurs salles de lecture. Le C.R.F.B. des cantines avec salle de jeu, de lecture, de correspondance, même une salle où on peut goûter. Plusieurs cafés où il y a concert symphonique. Très froid. On s’estime heureux d’être loin des tranchées. 19 Notre petite chambre est très agréable. Nous y avons installé un petit poêle. Franz se distingue encore. Il travaille du matin au soir.

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20 L’auto partie le matin à Reninge n’est pas encore revenue le soir. Un déplacement de 10 km a dérouté la Cie. Le 4ème jour, le déménagement n’est pas encore fini. Que serait-ce si on avançait !!! 21 Je passerais toute la journée à regarder la mer de ma fenêtre. Juste devant la ville est amarré un garde-côte belge. 22 Très froid. Cambier reçoit encore une carte de son père. La paix, vivement, dit-elle. Qu’elle vienne de l’Occident ou de l’Orient. Cette phrase nous en dit long sur le moral de nos parents. L’épreuve est trop terrible. Le soir, je vais à Waasbrug comme garde matériel. 23 Magnifiquement installé. Un poêle moderne qui réjouit. Journée splendide. Pendant que j’écris devant la fenêtre, le soleil vient se jouer de mes yeux. Je me demande si c’est la guerre ?

24 Très froid. Comme exercice, les soldats qui logent près d’ici vont glisser sur un étang. Quelle chance de ne pas être aux tranchées ! 25 Malgré le froid, plusieurs avions survolent le front. Nous rentrons à La Panne.

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26 On accorde le 1er chevron après 12 mois de front. J’en ai donc trois. Notre solde est augmentée de 0,05 cent. On ne paiera plus que les 2 premiers chevrons. Heureux soldats, si on lui donnait de trop ! Les pommes de terre sont gelées. Le froid est terrible. Plusieurs soldats arrivent à l’Océan les pieds gelés. Les Boches font une attaque sur notre ancien secteur. Quelle chance de ne plus être là. Combat naval. La flotte de Zeebrugge semble avoir été mal arrangée par une flotte anglaise. On entend une vive canonnade sur tout le front.

27 Je reçois une carte de Gustave m’apportant les vœux de ma famille. J’étais inquiet, j’attendais cette carte. Enfin, je l’ai et j’en suis heureux. Tous les hommes qui sont dans la zone jusque Dunkerque pourront porter les chevrons. Donc les chevrons ne distinguent pas les hommes qui vont aux tranchées. Un ambulancier attaché à l’hôpital de Cabourg, par exemple, aura ses chevrons ; un malheureux pilote qui, dans un moment de découragement bien naturel, a eu une punition, n’en n’aura pas. Les hommes qui n’ont eu qu’un, deux, trois congés, vont en congé jusqu’à ce qu’ils aient eu autant que les plus favorisés de la Cie en cette matière. Nous, nous avons 4 congés. Certains donc vont aller 2 et 3 fois en congé en un mois. Braun est un ingénieur dans un magasin […]. Ce qu’il a en tête, il ne l’a pas dans les derrières ! L’armée, quelle marmelade !!! Celui qui lit les ordres et y réfléchit arrive à ne plus rien comprendre. Les Pommes de terre sont gelées. Le soir on danse à l’accordéon dans la chambre. 28 Nous avons un magnifique repos. Rien à faire. Un appel matin et soir. 1 h épluchement. L’infanterie fait des exercices en veux-tu en voilà. Par ces froids, ce n’est pas l’amour ! 140


29 Le froid continue. En Angleterre, il faut remonter jusqu’en 1895 pour retrouver un tel hiver. 30 Tout l’avant-midi, nous allons glisser. On redevient gosse. Après-midi de garde. 31 Nous allons encore glisser l’après-midi. Nos pauvres jambes nous font terriblement mal ! On devient vieux. Camille vient me voir.

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Février 1917 01 Six cent hommes viennent prendre tous les jours un bain à La Panne. Quand on donne du nouveau linge, chaque bain voûte 17 frs, sans compter les frais du lavage, raccommodage du linge. Une véritable usine que cette installation des bains. Cela peut donner une idée de ce que coûte la guerre ! La température s’est un peu adoucie. 02 Les Boches viennent jeter les bombes à Coxijde et à Adinkerque. Ici, près de l’Océan, nous sommes assez tranquilles. Distribution d’effets. Si Braun payait lui-même les effets, il ne ferait pas plus de difficultés pour donner une capote ou une veste. Trois triplans survolent La Panne. Ils s’élèvent à 3000 mètres en 13 minutes. 03 Quelques petites attaques sur le front belge. L’Allemagne déclare le blocus des côtes alliées. Que va faire l’Amérique ? 04 Plus froid que jamais. Nous recevons une boîte de cigarettes et une boîte de confiture. Pour se rendre à Bray-Dunes, il faut une permission cachetée et signée par le Q.G. Impossible d’aller voir un ami de la même division n’étant qu’à une heure d’ici sans remplir une foule de formalités. Les Off eux peuvent passer sans papiers. Pauvre soldat ! Les nombreuses familles donnent à l’armée plusieurs fils. Peu importe si on en tue deux ou trois. Il le faut pour la patrie mais les comtes et les barons ne parlent pas ainsi. In des fils a-t-il été tué, vite l’autre est mis à l’arrière. Il ne faut pas que le dernier héritier disparaisse. Pauvre peuple que l’on trompe avec des grands mots. Ex : le patron de G. 05 Quand nous nous levons, une couche de neige de 10 cm couvre la plage. N’allons-nous pas vivre un hiver exceptionnellement rigoureux ? Quelle chance d’être en repos. La misère à Paris est grande. Très difficile d’obtenir du charbon. La Seine est gelée entre Rouen et Paris. 06 L’Amérique se fâche. Va-t-elle déclarer la guerre ? Emile vient me voir. 07 Le froid continue. On m’annonce que je pars en congé le 9. Joseph Scheen vient me voir. 08 Je prépare mes paquets. Notre lieutenant Braun est épatant. Le matin, on lui apporte son congé pour Paris, signé du Q.G. Il remercie l’homme en disant : « Reporte au bureau, je ne pars pas ». La conduite de cet homme est extraordinaire !!! Elle me plaît pourtant. 09 On part en congé à Paris. Nous prenons le train de 6 heures à Adinkerque. Les voitures sont chauffées et éclairées. Malheureusement, pas de w.c. et pas d’arrêt prévu. Tirez donc votre plan en cas de besoin !!! 10 Nous faisons le voyage en compagnie de jeunes gens très gais. Les Boches ont jeté des bombes à Amiens, ce qui met notre train en retard. Nous arrivons à 4 H à Paris. Accueil chaleureux chez Arys. 11 Paris manque de charbon. On nous dit que les usines à munitions ont dû arrêter faute de combustibles. A 6 h les magasins ferment, à 9 les cafés et 4 jours par semaine, arrêt du métro 142


à 10 h du soir. Paris est triste le soir. Les cafés vides. Pendant la journée, on voit les bonnes femmes faisant la queue. On sent la guerre ! Dans quelques jours, on défendra la vente des liqueurs. Il ne restera à Paris que les femmes qui deviennent chaque jour plus dangereuses. Le soir au cinéma. 12 Cambier est dérangé. Nous rencontrons Loiseau. Le soir au casino. Soirée très agréable. Nous sommes obligés de retourner « à pattes ». Heureusement, Mr Grégoire nous avait préparé un délicieux petit souper avant d’aller au spectacle. 13 Nous allons à Aubervilliers. Très bien reçu chez Foret. On nous fait des galettes et nous buvons un bon verre de calvados. Le soir, partie de billard, avec petits verres !!! 14 Malgré la guerre, on mange et on boit chez Arys. Je deviens gourmand et un peu ivrogne. Parties de billard à tout casser. Noélie est charmante. Cambier est malade et va dormir très tôt. Je reste maître du terrain. Mr Arys est des plus charmants. 15 Sortie avec Noélie. Toujours la même. Espiègle. Le soir à l’Opéra. Roméo et Juliette. Soirée inoubliable. Quelle musique, quel chant. Très bien placés. 16 Temps magnifique. Clovis arrive au 19. Après-midi, sortie avec Noélie. Elle doit s’arrêter à toutes les échoppes et chipoter dans tous les casiers. Un petit diable. Le soir, elle me griffe. A l’Olympia. Le soir, Noélie nous fait des crêpes délicieuses et nous offre une bouteille de Champagne. 17 Partie de billard. Mr Arys nous prépare un diner épatant. Dessert exquis. A 6 heures, chargés d’un gros paquet, nous reprenons le train. Cafard. 18 Nous arrivons à La Panne à 2 h. Ce n’est plus Paris. Je ne suis pas dans mon assiette. 19 J’ai un catarrhe en règle. A Paris, j’ai ri de Cambier et de Noélie mais ici, je tire une piteuse binette. Je g… comme un petit roquet. 20 Mardi gras. Je suis malade. Je n’ai pas dormi de la nuit. Je suis esquinté. Cambier rigole !! 21 Cendres. On prépare le déménagement. 22 On quitte La Panne. Au pas ordinaire jusque Farthem. C’est plus entraînant mais bien fatiguant. Magnifique cantonnement à l’extérieur mais dégueulasse à l’intérieur. Une vaste grange pourrie et couverte de tuiles dans laquelle les hommes ont construit des abris système tranchées, sans goût et sans recherche du pratique. Très sale du reste les projecteurs de la 3 DA. Approche du nègre. Gulton revient de congé. Il a du liquide. 23 Nous avons une bistouille en règle le matin. Nous démolissons et nous reconstruisons les lits. Fatigué. Nous avons travaillé comme des nègres. 24 Nous continuons l’installation du Kotje. A 5 heures, départ pour les tranchées. Au poste de 30 à la ferme de Ceuninck. Nous avons 15 km à faire pour arriver au secteur. Assez bien installés. 143


25 très bien installés dans un petit abri avec du feu. Curieux le matin de jeter un coup d’œil sur les alentours. Les balles arrivent de tous les côtés. Le secteur forme fer à cheval. Nous défendons le pont de Dixmude. Les projecteurs de 15 cm sont placés dans les Compagnies d’infanterie. Où est Paris ? 26 Belle petite vie aux tranchées. Pourvu que cela dure ! Nous allons faire une promenade dans le secteur pour prendre des photos. Beaucoup de balles passent. Lambert Georges m’écrit. 27 Retour en auto au couchant. Le Kotje est à peu près fini. Les Allemands ont abandonné des positions devant les Anglais. 28 On finit le Kotje. Nous sommes assez bien installés. Avec autorisation de Braun, les « Purs » restent ensemble. Cela fait rager certain de la Cie jaloux de notre bonne entente.

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Mars 1917 01 Journée de printemps. Si mars finit comme il a commencé, nous allons avoir un beau mois. 02 Beau temps. Les Anglais avancent toujours. Désigné pour les tranchées comme faisant fonction de caporal au poste de la ferme de Ceuninck. Pour finir, l’armée me donnera un grade. Pauvre de moi ! Il leur en a fallu du temps pour juger qu’on devait me mettre f.f. sans que je leur demandasse. Les galons font quelque fois rire, éveillent notre petite vanité. Pourtant, combien ont peu de valeur ces distinctions qui ne sont que des moyens pour stimuler les imbéciles ou satisfaire les ambitions ridicules. Enfin, l’homme ne changera jamais et tous nous avons le culte du « moi ». A l’infanterie, les plus bêtes sont gradés. Des gens sans éducation, sans valeur militaire reçoivent les galons de sergent. On est porté à croire que gradé signifie idiot. Dans nos lieutenants, nous rencontrons des hommes sans honneur en temps de paix, sans connaissances scientifiques ou militaires. Ce sont les intrigants qui, par bassesse ou manœuvres dissimulées, jettent de la poudre aux yeux. Aujourd’hui, recevant l’or à poignée du gouvernement, ils vivent en seigneurs grossiers et vicieux, s’attachent tellement à la vie qu’ils perdent même la 1ère qualité d’un off. : l’abnégation, la connaissance du devoir qui les oblige à se sacrifier de bon cœur à la patrie. 03 Beau temps. Les Boches sont assez tranquilles. Braun vient chaque jour aux tranchées. Il paraît qu’il ne sait pas s’endormir s’il n’a pas fait une promenade au secteur. Il a un sangfroid, un mépris du danger épatant. Braun est parfois incompréhensible mais souvent digne d’admiration. Si tous les officiers étaient de sa trempe, la vie serait bien autre à l’armée. Franz est rentré de congé. Je me réjouis pour aller boire un bon verre ! 04 Beau temps. Je vais voir Emile qui est aux tranchées. Le service de l’infanterie est sérieux et j’en ai presque peur. Le soir, je vais prendre les ordres chez le major Ogg, mon ancien commandant de Cie. Il me demande si je suis passé au génie. Quelle joie j’éprouvai en pouvant lui répondre : « Oui ». - Pioterie, pioterie, pas encore colonel – disait le lieutenant Marx. Je te crois. Quelle bonne idée j’ai eue de ne pas rester à mon régiment. Les amis du Collège et d’autres qui me paraissent bien peu éduqués, sont adjudant ou officiers mais je leur grée leurs places. Si je pouvais enfin briser ma petite vanité qui, souvent, est mal placée et ne suivre que ce grand principe : fais ton devoir simplement, vis pour ta conscience et méprise les honneurs et distinctions qui, trop souvent, ne sont que de la poudre aux yeux des nigauds ! Certains officiers, les fanfarons à l’arrière, tirent une drôle de binette dans ce secteur. Ils avaient oublié que le pays les payait pour se dévouer à la patrie et non pour se payer les fastes qu’ils ignoraient en temps de paix. On le leur rappelle ici : c’est bien fait ! 05 Retour au cantonnement. Il neige. On se demande comment les hommes ont pu résister l’hiver dans cette grange. 06 Très froid. Grand vent. 07 L’hiver revient. Très froid dans notre kotje. 146


08 Désigné pour le poste 30 au secteur de la cavalerie. La 1ère fois que je viens dans le secteur de Pervijze. Nous passons à Lampernisse et Oostkerke qui sont entièrement détruits. Neige. 09 Abri trop petit mais heureusement avec feu. Quand je pense aux nuits passées à la belle étoile et celle-ci que je passe près du feu, je m’estime très heureux et n’oserais plus me plaindre. Un major des cyclistes vient me demander si le projecteur marche avec un moteur à la main. S’il est aussi fort dans l’art militaire, nous sommes propres !! On craint une attaque sur Dixmude. 10 Température s’adoucit. Nous brûlons des poutres magnifiques que nous avons arrachées à un abri. Ecœurant de voir le beau bois que nous brûlons. Par économie, on ne chauffe pas les soldats aux tranchées. Or, […] et leurs secrétaires, les embusqués et les officiers ont des petits feux ronflants. Pourquoi la valeur du chauffage nous arrêterait-elle, suffirait à nous laisser crever de froid. Les Chefs, les gros gaspillent pour avoir plus de commodité, nous, nous gaspillons pour avoir moins froid. Où sont les coupables ? Si tous les hommes qui se vantent pourtant d’être patriotes et qui ont le devoir de l’être par suite de leur position, serment, salaire, devoirs d’état se conduisaient en hommes soucieux du bien de la patrie, les frais de guerre seraient diminués presque de moitié. 11 Les voitures de la Croix-Rouge amènent des matériaux aux tranchées. Le ballon captif de Leide montait près de l‘hôpital de […] dans le poste de la Croix Rouge. Sur la route d’Oostkerke, il y a un poste d’observation. Et l’on s’étonne que les Allemands ne respectent pas la Croix-Rouge !!! 12 A cantonnement. La température s’est adoucie. Emile vient me voir. Le matin, nous recevons un ½ pain en moins. Le soir, nous pouvons le réclamer. On fait des essais pour diminuer les rations de pain. Rarement nous recevons des patates. On nous donne des fèves qui sont excellentes mais qui occasionnent le soir des émanations de gaz ! Les Anglais prennent Bagdad. 13 Je vais prendre un bain. Loiseau achète une tondeuse et nous lui prêtons nos têtes pour ses 1ers essais. Franz nous fait une friction. Journée de printemps. Le soir, je vais faire mes pâques à Alveringem. Le soir, dans une église presque vide d’où on a retiré les objets de valeur, on se sent plus religieux, plus humble, plus chrétien. 14 On charrie Franz sur son pays à la suite d’un article du XXème. Le samedi 22 l’artillerie française se trouvait en repos entre Denée et Ermeton au lieu-dit « Grand tilleul ». Elle y était cachée aux yeux de l’ennemi par des bois et des replis de terrain. Un avion allemand s’en vint en reconnaissance, aussitôt on entendit le crépitement des mitrailleuses et une brave femme de s’écrier : « Maria Dei, choûte one miette, les soudarts faiennent claper des planchettes po fait s’barrer li gros mouchon ». Aux tranchées secteur de la cavalerie. 15 Les congés doivent être ouverts à la division. Ils restent fermés pour le peloton à cause des travaux. Joie des soldats !

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16 La […] rompt les relations diplomatiques avec l’Allemagne. Les Boches semblent […]. Aussitôt, les gros se mettent de notre côté. Que l’Allemagne martyrisât la Belgique, que les Boches oubliassent le traité de La Haye, ce n’était pas suffisant aux neutres pour déclarer la guerre à la bocherie mais qu’un Allemand faible gène le commerce de ces neutres, aussitôt ils crient tous « Harro sur le baudet » ! Qu’on me parle de la défense des faibles, de la reconnaissance envers l’Amérique et d’autres neutres. ! 17 Le général Lyautey, ministre de la guerre en France, donne sa démission. Les français changent de ministre comme de chemise. Retour au cantonnement. 18 Enfin, les Alliés commencent à parler de paix. Pourvu que ce soit pour cette année. 19 Les Boches reculent. On se demande les motifs de cette retraite. Un zep est abattu en France. Le Tsar Nicolas II abdique. 20 Les Boches évacuent Noyon, Péronne, Bapaume. Les alliés sont à 42 km de Tournai. Quoiqu’on ne s’explique pas très bien cette retraite, qu’on craigne un piège boche la joie se lit sur toutes les figures. 21 Printemps. Neige, mars fait des siennes. Un nouveau sergent-major est arrivé à la Cie. Il vient de la base. Il est sergent et n’a peut-être jamais vu une tranchée. Embusqué, il va rester embusqué. Quel crime si on avait donné la place à un sergent qui a 30 mois au front. Au ballon captif, beaucoup de recrues sont arrivées. Pourquoi, à ces places de repos ne place-ton pas les vieux qui souffrent à l’infanterie depuis le commencement de la guerre et envoyer au front ces jeunes énergies. Non, le vieux pilote est trop bête ! 22 Giboulées. Très froid à certains moments. Les Boches continuent leur retraite. Où vont-ils s’arrêter ? Briand et son cabinet disparaissent au moment où les armées avancent. Les Français ne changeront jamais. Il faut qu’ils critiquent, qu’ils changent. 23 Retour au cantonnement. Vent très froid. 24 […] veut cultiver tout le terrain qui entoure la ferme. Bonne idée. Un homme est désigné pour s’occuper du jardin. 25 Dimanche. Journée magnifique. Léon Crosset vient me voir. Très gentil et gai compagnon. Joseph avait une cuite carabinée. Il était allé à la rencontre du facteur et il n’avait trouvé que des « pintes ». On en rigole. Lambert Georges, lui, avait une lettre le rassurant sur le sort de sa famille. 26 De nouveau froid et grêles. Le soir, aux tranchées. Notre lampe prend feu. Minute de frousse. L’accident n’a comme suite que deux bouts de doigt brûlés légèrement. 27 L’avance des Alliés est-elle donc arrêtée et notre rêve de retour pour cette année va-t-il encore s’évanouir ? Pour nous consoler, on nous parle de troubles en Allemagne mais guillaume n’est pas un Nicolas.

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28 Le printemps a bien du mal à venir. Chaque jour nous apporte d’autres nouvelles du pays. Nous nous demandons si au retour, nous ne trouverons pas les demoiselles courtisantes fiancées ou mariées. Les vieux de la vieille ne s’en font pas pour si peu pourtant. Que de cœurs de soldats en souffrent sans en rien dire. Cette jeunesse ne pouvant résister aux besoins de l’amour n’est-elle pas une preuve de l’égoïsme du monde ? Que signifie donc le mot devoir dans la bouche des hommes ? Notre devoir devrait […] pour tous et ici et donc là-bas aussi nous voyons sur tous les fronts moi pour moi. Les Anglais n’ont plus de pommes de terre. Ils apprennent enfin ce que c’est que la guerre ! 29 Nuit plus noire et froide. Notre futur chef vient avec le f.f. de 1er sergent pour une ballade aux tranchées comme il dit. […] n’aura fait la guerre qu’en […]. Retour au cantonnement. 30 Hervé renseigne trois soldats belges protégés par un protégé d’un ministre belge qui se coulent une vie […] scandaleuse au fond de la France. Ce n’est pas la 1ère fois que les amis de nos grands patriotes du Havre s’embarquent de droite ou de gauche. Et puis, ils critiqueront ceux qui sont restés au pays. Les paysans, les ouvriers, les petits doivent se […]. Nous les gros nous devons jouir et rester : la Belgique a besoin de nous après la guerre. Plus que jamais, je me sens antimilitariste. Je me bats avec courage, avec joie pour venger la patrie opprimée par les Boches, ma famille qui souffre à cause d’eux mais qu’on ne me parle plus de patrie, de devoir. La communauté existe-t-elle encore et ai-je encore des obligations envers elle quand les chefs se rient de moi, affaiblissent cette communauté par amour de leur personne, de leurs biens, de leurs protégés ? 31 L’essence se fait rare. Il paraît que l’on va avoir un nouveau cheval à la Cie pour conduire le lieutenant aux tranchées. Je me demande bien pourquoi ce jeune monsieur ne peut pas aller aux tranchées à pied ou en vélo. Giboulées. Pas fâché que mars s’en aille.

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Avril 1917 01 Journée magnifique. Messe avec musique et chants. Giboulées de nouveau. Le beau temps ne reviendra-t-il donc jamais ? Les Anglais avancent mais très lentement. On n’ose plus espérer la fin pour cette année. Pourtant la guerre devient terriblement longue. Le blocus boche doit être terrible car chaque jour nous recevons moins à la cuisine… Le soir aux tranchées. J’ai reçu un gros poisson en chocolat de Noélie. 02 Aux tranchées. Il paraît que les Boches augmentent les inondations devant Dixmude. Il neige toute la journée. Un major d’étonne qu’un projecteur puisse fonctionner avec des crayons et non une lampe. Décidément, ils sont très forts. 03 Beau temps. Le XXème siècle défend la monarchie contre les idées russes. Je ne ressens rien pour Albert mais je crois que notre monarchie est préférable à la république. 04 Le printemps est là. Nous avons eu un homme blessé pendant le bombardement au […] près de Dixmude. Retour au cantonnement. 05 On se sent revivre. Le beau temps est revenu. Il y a crise d’essence. Les chauffeurs doivent renseigner exactement leurs dépenses d’essence. Cela n’empêche pas un caporal de notre Cie passé ces jours-ci au P.J.T.A. comme sergent de nous arriver en moto side-car !!! L’armée. Des avions boches survolent nos lignes. Un d’entre eux tombe en feu dans ses lignes. 06 On attend la prise de Saint Quentin. Le Q.G. ordonne de porter les cheveux courts même à ras pour faciliter les soins à donner aux nombreuses plaies à la tête qu’occasionne la guerre des tranchées. Même mesure en 14. Les hommes n’ont pas le temps ni l’occasion de soigner leurs cheveux. En 15 pour les poux. En 16, mesure hygiénique. En 17, pour les plaies. Mesure bonne mais qui énerve le soldat surtout quand il est sur le point d’aller en congé. Pourquoi le soldat serait-il fier de sa petite personne ? Je voudrais voir tous les officiers rasés ! 07 Belle journée. Nous avons à la ferme deux belles jeunes filles très aimables mais qui savent trop bien qu’elles sont admirées. Quand elles passent devant la porte de la grange à tout bout de champs, que de « jas » ont l’eau à la bouche. Le soir, aux tranchées. Petite histoire avec un gendarme qui a pris un de nos hommes à la gorge. Braun arrive et fera enquête. 08 Pâques. La nuit a semé sur la terre une poudre blanche qui, dès le petit jour, se change en perles de cristal. Quel beau jour de Pâques et je suis aux tranchées. Mais je veux avoir des Pâques joyeuses et heureuses en goûtant la joie de tout ce qui m’entoure et en croyant que làbas, eux aussi sont heureux et joyeux. L’Amérique va déclarer officiellement la guerre à l’Allemagne. Pauvres Boches, leurs œufs de Pâques ne seront pas fameux. On vend le beurre à 5,70 le kg et les œufs 22 centimes. J’ai des œufs pour Pâques aux tranchées. 09 Quelle différence entre hier et aujourd’hui. Très froid, neige et pluie.

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10 Toujours l’hiver. Il paraît que chaque soldat aura droit à deux congés gratuits. Ce n’est pas trop tôt. Retour au cantonnement. 11 Giboulées, rafales de neige. Regrettable pour les opérations qui marchent on ne peut mieux. 12 Je vais à Leysele pour y rencontrer Léopold. Il est parti quelques jours à l’arrière. J’en suis heureux. 13 Départ aux tranchées. 14 Aux tranchées. Froid. La nouvelle lune ne semble pas devoir être plus favorable. Des amis reçoivent régulièrement des nouvelles de Verviers. Moi, rien. Triste !!! J’ai attrapé trois jours d’arrêt aux tranchées pour avoir découpé du bois. Pas de charbon avec quoi cuire notre manger. Si les gros du Havre étaient ici, ils auraient bien de quoi se chauffer. Nous ne l’avons pas. Conclusion : il faut le voler. 15 Hier soir, la II DA fit un raid dans les lignes boches. Nous avons eu quelques blessés et un mort accidentellement. Chez les Boches, la 1ère ligne avait été évacuée. 16 On devra recommencer l’opération d’hier. L’opération n’ayant rien rapporté. Retour au cantonnement. Pluie battante. 17 Le XXème Siècle communique en grands caractères l’attaque belge. Les Français attaquent avec succès entre Reims et Soissons. La grande offensive marche on ne peut mieux. On est prêt pour la marche en avant. Guillaume doit être malade. 18 A 1 H, on me porte à l’ordre du jour. 3 jours d’arrêt pour avoir débité une pièce de bois aux tranchées. Cela me coûte 45 cts. Le soir, nous recevons des frites et beefsteak. Les patates deviennent un met extraordinaire. 19 Toujours très froid et humide. On annonce des troubles à Berlin et dans toute l’Allemagne. Partout les soldats bêchent la terre pour y planter des pommes de terre. Je reçois une carte de Gustave datée du 26.3.17. 20 On raconte que l’armée belge sur un front de deux divisions va attaquer en même temps que Français et Anglais. On est impatient. Si on pouvait voir les Boches fichent le camp devant nous comme nous l’avons tant fait devant eux ! Léopold Léonard est à Calais. J’en suis heureux. Après 32 mois de front avec une santé qui laisse à désirer surtout ces derniers temps, il a droit à l’arrière qui lui est nécessaire. C’est un brave soldat oublié qui nous quitte brisé par les tranchées. 21 Beau temps. On ne cesse de parler de grandes opérations prochaines sur notre front. Les communiqués qui, en ces derniers jours exagèrent les reconnaissances faites par la II DA, sont, à nos yeux, bêtes. Pour les naïfs de l’arrière, c’est le pain qu’ils demandent. Dix-huit subsistants de l’infanterie à la Cie et qui, comme nous, n’ont pas eu la chance de passer au génie, doivent rentrer dans leur Cie. Voilà deux ans que ces soldats se dévouent à la Cie, font le service le plus dur. Cela n’empêche pas le Q.G. de les foutre à la porte au dernier moment. 152


Il faut des vieux l’infanterie. Des jeunes fils à papa viendront, eux, ici. L’armée est peut-être nécessaire mais comment pourrais-je l’aimer ? 22 On nous annonce à moi et à Cambier que nous sommes nommés caporaux à la date du 19. A 4 h, les « purs » sortent pour aller coller les galons. A 8 h, on revient la tête lourde et les jambes en papier mâché. Lequien puis Mononcle m’offrent un bras bien précieux. Cambier à cheval sur la ligne du tram vicinal vérifie si le train peut passer. Franz veut battre tout le monde et Dubois a toutes les peines à le ramasser. Au cantonnement, mes jambes n’en veulent plus. La boisson et la danse dans les deux cafés ont eu raison de moi. Attaquant un piquet les deux doigts en bouche, j’arrose. Gulton fait de même aux latrines. Lequien est mort. Grégoire gesticule et Mononcle sue une chemise pour l’avoir au lit. Cambier discute dans son tram ne s’arrêtant que pour faire des « boue-boue ». Dubois veut mettre coucher tout le monde même ceux qui dorment déjà. Les copains rigolent des « purs ». Les galons doivent bien tenir. Le matin, la sentinelle crie aux gaz. On sent une odeur très forte. Les yeux font mal et certains ont des accès de toux. Pourtant on ne veut pas croire aux gaz et certains tardent à mettre leur masque. La vague est vite passée. Quelques hommes sont indisposés. Le soir, on dit que les gaz ont été lancés à Coxijde. Il y a des victimes. Notre brancardier les guérit en leur faisant boire de l’hyposulfite. Les chevaux sont facilement atteints et chez Joseph, beaucoup sont malades. C’est la 1ère fois que nous souffrons des gaz. Un bonheur que les gaz étaient en très petites quantités sinon la Cie eut été terriblement éprouvée. 24 Gueule de bois. Belle journée. L’offensive anglaise reprend. 25 Aux tranchées du 5ème de ligne pour vérifier les PJ 15. La nuit, je passe deux rondes. Mon secteur est juste à la minoterie. Véritable forteresse que la 1ère ligne. On se perd dans les boyaux. 26 Journée magnifique. Une vingtaine de nos avions passent les lignes. La nuit, on entend nos machines lancer des bombes chez les Boches. 27 Les nouvelles venant de Russie semblent être un peu plus optimistes. 28 Belle journée. Les Boches sont assez nerveux. Retour au cantonnement. 29 Belle journée. Pour que les hommes puissent partir en congé, il faut que tout le champ soit bêché ? Chacun doit y mettre du sien. Je fais donc le jardinier. 30 Hier, après le 3ème repos, je suis allé à l’hôpital de Hoogstade voir un soldat de la Cie blessé. Deux lits plus loin que notre ami, un grenadier affreusement blessé va mourir. Le docteur vient le voir et fait prévenir l’aumônier. A son arrivée, l’infirmière s’écarte et puis le prêtre parti, elle revient à son poste. Plusieurs fois, cette belle jeune fille appelle le blessé par son prénom. Le blessé entend-il ? Elle ne le sait pas car il n’a plus la force d’ouvrir ni la bouche, ni les yeux. La respiration du malheureux devient plus rauque. Il va mourir. L’infirmière se baisse sur le moribond et d’une voix de mère appelle : Albert.

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Mai 1917 01 Journée splendide. Le soir aux tranchées. Nuit magnifique qui invite au rêve. 02 Je reçois une carte d’Edmond datée du 21.4. Le soir, alerte pour les gaz. 03 Beaucoup d’avions. Un des nôtres force un Boche à atterrir dans ses lignes. 04 Quelle chaleur. Les moustiques sont déjà très embêtants. Retour au cantonnement. 05 On perd petit à petit l’espoir de voir la fin cette année. Les offensives continuent mais ne donnent pas de résultats décisifs. Les Russes rêvent toujours de la révolution. Les Américains parlent d’une guerre de dix ans. 06 Temps orageux. Grand vent et froid. On est triste. La guerre sous-marine rend la situation sérieuse pour l’Angleterre. On rationne, on rationne ! Les Allemands mènent une telle vie depuis deux ans au moins. Ils doivent en avoir assez. Charles vient me voir. 07 Beau temps. Braun a trouvé 700 kg de patates. La pomme de terre devient un met extra. Le soir aux tranchées. La nuit, les Boches tirent beaucoup. Violent bombardement à notre droite. 08 Quand on s’éveille, la 1ère pensée est d’aller voir la direction du vent. La frousse des gaz ! Toute la journée, les Boches lancent des grenades. Les Français ont fait 6000 prisonniers en deux jours et les Anglais attaquent ferme la ligne Hindenburg. 154


09 Les Anglais perdent Fresnoy. On est impatient de voir les autres fronts s’allumer. 10 Belle journée. Rarement un avion boche survole nos lignes alors que les nôtres volent continuellement au-dessus des lignes boches. Le soir, retour au cantonnement. 11 De nouveau la maladie des espions. Le communiqué piote en renseigne continuellement. 12 On s’étonne de ne pas voir le front russe s’allumer. Un de nos avions est abattu.

13 Belle journée. Emile s’est fait renverser par deux chevaux emballés qu’il essayait d’arrêter. Il est proposé pour une décoration. 14 Joseph part en congé. Pluie rafraîchissante. 15 On m’annonce que je pars en congé à Lourdes le 16. Le soir, je suis encore aux tranchées. Un « jasse »12 tirera bien son plan. Pourquoi donc me relever un jour plus tôt ? L’armée !!!... 16 Relevé à 8 heures du matin. Je puis partir un jour en retard pour accompagner Cambier.

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Pendant la grande guerre, plusieurs dénominations désignant le soldat belge, telles « jass » (ou « jasse », « jas »), « piotte », « piou-piou » ou « poilu » sont indifféremment utilisées par les anciens combattants belges dans leurs carnets de guerre […]. Ce terme est issu du mot flamand « jass » signifiant « manteau ». Citation extraite de « Au Poilu et au Jass inconnu… Mémoires de 14-18 » dans Cahiers électroniques de l’imaginaire n°2 (www.uclouvain.be)

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17 Cambier doit payer son train. A partir d’aujourd’hui, les caporaux paient leur voyage. Ils touchent 27 centimes en plus !... Départ à 3 ½ de l’après-midi. 18 Arrivée à Paris à 10 ½. Accueil des plus chaleureux chez Noélie. Le soir au Petit Casino. 19 Les petits verres ne manquent pas. A Paris, on sent la guerre et la population est triste. On maudit presque les Russes. Après-midi à Houilles chez Forêt. Bien reçu. Le père Forêt pas encore guéri. Ils ont un appartement très chic. Le soir au théâtre. Une revue qui pour nous n’est pas bien intéressante. On amuse facilement les parigots. 20 Promenade dans Paris. Très chaud. Le soir départ pour Lourdes. 21 Arrivée à Lourdes. Au loin, les montagnes couvertes encore de neige. Les églises de Lourdes écrasées par la montagne semblent petites et nous qui attendions du grandiose sommes un peu déçus. Lourdes, petite ville très bien ne comportant que des hôtels et des magasins à objets de piété. Nous avons un hôtel à 3 frs 50 par jour. Nous visitons l’église du Rosaire, la crypte et la basilique. Magnifique. Etonnés qu’à la demande d’une petite bergère un tel édifice se soit élevé ici. L’intérieur très riche. Devant la grotte de Massabielle (en grand la grotte d’Andrimont) et dans le jardin, on se sent dans des lieux sacrés et naturellement, on y est plus réservé et pieux. Le gave est très beau. Le soir, calme. 22 Nous allons à Bétharram en passant par le lac de Lourdes. Visite des grottes de Bétharram et du calvaire ainsi que d’une église espagnole. Grottes plus petites que celles de Han, calvaires, petites chapelles accrochées à la montagne au sommet de laquelle on a une magnifique vue. Nous déjeunons très bien et pas cher !... Très chaud. Le commerce de ces gens est nul. Plus de pèlerins, d’étrangers. 23 Nous escaladons une montagne 500 m. Nous sommes crevés. Après-midi au Pic du Ger. 700 m au-dessus du niveau de la vallée. Funiculaire pour y monter. C’est plus pratique. Belle vue sur Lourdes et la vallée. Le Gave aux eaux vertes est splendide. Chaleur terrible. 24 En chemin de fer jusqu’à Pierrefitte. Nous ne pouvons prendre le train à Lourdes. A une halte un peu plus loin, on nous refuse des coupons. Logique militaire !... Nous sautons dans le train sans permission. En train électrique, nous montons jusqu’aux Cauterets. Merveilleux le Gave rapide qui descend des montagnes. Beaucoup de cascades. On nous empêche d’aller au Pont d’Espagne. Nous voyons une cascade où les eaux, dans leur chute, se changent en poussière d’eau. Déjeuner à Cauterets. Nous mangeons de la garbure, soupe aux légumes du pays. Du vin du Ger qui électrise nos pattes. A 1 h ½, nous montons à la reine Hortense (La reine de Hollande, surprise par un orage, s’y est arrêtée en 1807). De là, nous montons par des chemins muletiers jusqu’au Col du Riou (1000 m) que nous passons à 6 h. L’eau des sources de la montagne est excellente et désaltère. Au versant nord, 2,50 m de neige. Nous redescendons en ligne droite pour arriver à Lourdes à 9 h du soir, esquintés, crevés et affamés. La descente dangereuse à certains endroits et très agréable. Un brancardier qui nous accompagne, descend presque à 4 pattes. Nous rencontrons beaucoup de troupeaux de moutons et de vaches petites et blanches (jaunâtres). Des bergères filent la laine de leurs

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moutons. Les montagnards sont très aimables et les gosses nous saluent au passage. Souper copieux que nous dévorons. Lit très doux mais trop fatigué pour dormir. 25 Retour en train à Lourdes. Pour rentrer, on peut prendre le train. L’armée !... A la gare de Luz, nous sommes témoins d’un départ d’un de ces montagnards qui retourne au front. La douleur de la femme dont les yeux rougis ne pleurent plus, est poignante. Lourdes. Les femmes avec leurs cheveux noirs, leur teint frais légèrement rosé, leurs grands yeux noirs et doux, leur taille petite mais coquette, sont les plus belles que j’aie vues. 26 Messe et communion. A 11 h ½, retour pour Paris. Chaleur étouffante. On sue, on sue. Les trains sont bondés. A Pau, arrêt de 2 ½. On visite le château d’Henri IV. Vases de Sèvres magnifiques. 27 Arrivée à Paris avec 2 heures de retard. Déjeuner en ville. Après-midi à Marne la Coquette où habitent Arys et Noélie. Compagne jolie. Il fait bon vivre. 28 Retour à Paris. Déjeuner extra chez Madame Roussin. Champagne et liqueurs. On nous sert un met italien, du […]. A 6 h retour pour le front. 29 Arrivée à Fortem. Cafard. Franz part en congé. 30 Beau temps. Où sont les Pyrénées et Paris ? Les petits verres. Après la guerre, si maman a encore des sous, je la conduirai à Lourdes. […] revient de congé. 31 Le soir aux tranchées. Ce n’est plus le congé. Gulton part en congé. Dans le Midi, on enlève les rails pour les envoyer au front.

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Juin 1917 01 Aux tranchées. On ne croit plus à la fin de la guerre pour cette année. Les Russes nous ont joué un fameux pied de cochon. Devant nous sont des soldats du XXème corps bavarois. Quelques hommes causent avec eux. Certains même lancent des lettres pour leurs parents. Ils décident de ne pas tirer. Les off sont tellement souvent dans la tranchée de combat que ces choses regrettables ont lieu devant Dixmude. Avec les Boches, on ne peut avoir de conversations amicales. Bavarois ou Prussiens, ils sont nos ennemis mortels. A Lourdes, nous avons vu des rapatriés du Nord qui nous donnèrent de tristes nouvelles du pays. Manque de tout, surtout dans le Tournaisis. Les déportés sont très malheureux et beaucoup de jeunes meurent. Que retrouverons-nous au retour ? 02 J’ai le cafard. Violent bombardement du côté d’Ypres. 03 Notre solde hors ménage va être augmentée de 75 cts. Vie cher. Effet sans doute de la grève des Midinettes à Paris !... Retour au cantonnement. 04 Très chaud. Jeu de balle entre I et II DA. 05 Le gouvernement français refuse des passeports aux socialistes qui voudraient se rendre à Stockholm. Le soir, cinéma. La bataille de la Somme. Quelques musiciens de la musique du 7 qui logent dans la ferme interprètent quelques morceaux. 06 A 12 H ½ de la nuit, alerte pour les gaz. On maudit les Boches. Très chaud. On sue sans rien faire. Flemme. Le soir aux tranchées. La cuisine de la Cie est excellente. Le soir, on reçoit des pommes de terre ou ¼ de pain, viande et épinard ou salade. 07 Aux tranchées. Quelle chaleur. Violent bombardement du côté d’Ypres. Cela dure depuis 8 jours. Que va-t-il s’y passer ? Devant nous, il paraît que ce sont des prussiens. Ils sont très nerveux. Impossible de faire cent pas sans se garer pour les « mouches malfaisantes ». Les moustiques sont terribles. 08 On annonce que les Anglais ont pris trois villages, Messines et 2 autres, près d’Ypres. 09 Les Anglais ont fait 10000 prisonniers. L’attaque leur a coûté 10000 hommes et les Allemands en ont perdu 35000. Retour au cantonnement. 10 Grande chaleur. La Cie a reçu batterie et vaisselle pour réfectoire. Les tables de la cantine ont été recouvertes de tapis en linoléum et les repas se prennent au réfectoire. Réveil à 6 ½, déjeuner à 7 ½, dîner à 12 et souper à 5 h. Entre deux, on reçoit des tartines. On se croirait au pensionnat. Pas à s’occuper du manger. Mesure excellente dont on doit féliciter Braun. Inconvénients : impossible de faire une réserve de pain pour les tranchées et quand un ami vient vous voir, impossible de le restaurer. 11 Très chaud. A la Cie deux sections. Les forts qui connaissent le morse et les signaux, enfin les faibles qui n’ont pas encore passé leurs examens. Il faut sourire quand on voit certains 160


forts se donner de l’importance parce qu’ils connaissent le morse. Dans ceux-ci, certains ne sauraient écrire correctement la phrase qu’on leur dicte. A remarquer que dans les faibles, on rencontre les plus intelligents de la Cie qui se soucient peu de passer un examen pour le code morse. 12 La situation de la Russie semble un peu plus claire. La cuisine prend déjà la plupart des légumes de notre jardin. Le soir aux tranchées. 13 Aux tranchées. Il paraît que les Allemand émettent des gaz qui produisent une angoisse qui affole les hommes. Heureusement, l’effet est de courte durée. Par suite du manque de laine, on ne recevra plus peut-être d’ici plusieurs mois, des effets en drap. Economisons quand il est presque trop tard. 14 Journée magnifique. Navarre, le fameux aviateur, fait du tank à Paris avec son auto écrasant les policiers. Aujourd’hui, les tribunaux concluent à l’irresponsabilité entière. Le monde ! La France ! Dans les airs, c’est un homme de sang-froid et d’esprit ; sur terre, un fou. Lafontaine : selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs. Le roi de Grèce Constantin a abdiqué sur l’ordre des puissances protectrices. Le prince Alexandre est le successeur désigné. Enfin, un des bandits et le diadoque ont fait leurs paquets. A quand le tour des autres ? 15 Violente canonnade du côté d’Ypres ainsi que du côté de Nieuport. La bataille continuant du côté d’Ypres, le XXème corps français à Nieuport, le nid de sous-marins de Zeebrugge gênant joliment les Anglais font supposer une offensive de ce côté. Les communiqués […] trouvent du nouveau chaque jour. Quand l’offensive de Messines si bien ordonnée, si bien réussie, a coûté 10000 hommes aux Anglais, on se demande comment notre armée pourrait faire une offensive si on veut qu’elle compte encore quelques unités pour rentrer à Bruxelles. Les nouvelles du pays se font rares. La situation de la Russie touche au point critique. D’ici quinze jours, le pouvoir aura raison de l’anarchie ou la Russie est déchue. Espérons que les Américains enverront 500000 hommes avant la fin de l’année. Cela ne doit pas faire sourire Guillaume. Le soir, retour au cantonnement. 16 Chaleur terrible. La nuit on ne dort presque pas et le matin, on se lève avec un mal de tête causé par la chaleur. Les Anglais reprennent le secteur de Nieuport tenu jusqu’ici par les Français. 17 Consécration des armées alliées au Sacré-Cœur de Jésus. Messe militaire solennelle à trois prêtres. Le général, son aide de camp, quelques officiers du génie, lieutenants et souslieutenants d’infanterie, beaucoup de soldats. On ne remarque aucun officier supérieur, colonel ou major ! Après-midi, je vais à Wevelgem voir Emile. A la 1ère, le moral est bas. Les hommes ne jouissent pas de leur repos. Exercice sur exercice. Triste ! Près de là, deux pièces de 305 sur voie ferrée. Quand elles tirent, les fermes et les granges sont évacuées. La 1ère fois, deux granges se sont écroulées et les vitres des maisons se sont brisées. On construit des centaines de baraques en briques. Pour loger, dit-on, les divisions belges en repos. La Panne et Bray-Dunes étant récupérés par les Anglais, nous n’aurons même plus la mer pour nous reposer. Crise d’essence. Sur les routes, nous sommes croisés par des autos portant toutes 161


GGG. Pour se rendre en congé, Mrs les officiers du GGG se font conduire en auto légère jusque Calais au lieu de prendre le train. Pourquoi ? Ils sont beaux ces officiers. Très forts pour rouler en auto, ce qu’ils ignoraient en temps de paix. Quand une bombe arrive ou que l’on sonne les gaz, la plupart deviennent presque fous. Quel courage. Une trique qu’il leur faudrait. 19 La nuit, violent orage. La journée plus fraîche. Enfin, j’ai pu dormir convenablement. Les passerelles en bois sont remplacées par des chemins en béton. Plus d’abris en bois mais en béton. Ils sont plus résistants et permettent d’économiser le bois. Malheureusement, je plains les hommes qui devront y coucher en hiver. Deux jours de pluie et la plupart des abris sont déjà inondés. 20 Temps orageux. Pluie. Le canon porte du côté d’Ypres. Plusieurs avions boches survolent nos lignes à très faible hauteur. Cette nuit, une patrouille boche a attaqué un de nos avantpostes. Un Boche est resté sur le terrain. Notre communiqué le renseignera sans doute. La semaine dernière, duel d’artillerie. Nous avons fait deux prisonniers, renseignait notre communiqué pour la semaine. Ridicule d’insérer si peu de choses. Il vaudrait mieux se taire car cette lecture fait sourire le civil qui ignore que faire deux prisonniers signifie un danger de mort couru par plusieurs hommes. Une bombe tue deux femmes à Londres, on s’émeut. Un obus tue dix hommes, c’est naturel et peu de chose !!! 21 Pluie. Les Boches sont très nerveux. On se demande s’ils craignent ou veulent faire une attaque. Retour au cantonnement. 22 Les nouvelles de Russie sont un peu plus rassurantes. Un Suisse, Hoffman, donne sa démission. Les Suisses semblent avoir été dirigés jusqu’ici par les Boches. Le ministre des affaires étrangères avait aidé Grimm expulsé de Russie. 23 Les catholiques boches voudraient essayer aussi un mouvement pour la paix boche. 24 Je reçois une carte de Gustave. Espérons, dit-il, finir la guerre sans déficit. Le soir aux tranchées. 25 Des avions boches survolent nos lignes. Ils essayent de détruire un de nos captifs. L’infanterie fait de nombreux boyaux. On prépare l’offensive. Les Anglais occupant La Panne et les environs, nos divisions iraient en repos du côté de Dunkerque. On parle de repos pour notre division. 26 Toute la journée les avions boches survolent nos lignes à deux cent mètres de hauteur. Tir à la mitrailleuse. Quelques fois, l’aviateur répond. La Hollande fait des siennes. Les Boches la tirent par une oreille et les Anglais menacent de lui couper l’autre. Les journaux renseignent des émeutes en Allemagne et de nombreuses explosions dans les usines. 27 Relations Hollando-Anglaises très tendues. Le soir, retour au cantonnement. 28 Je joue à la balle pelote puis fait de la nage. Le soir, esquinté. Violent orage. Nous allons être relevés par la I DA. Nous gardons notre cantonnement. 162


29 Pluie. Très froid. Ma marraine me fait part de ses fiançailles. Je n’avais jamais voulu lui rendre visite à Paris et aujourd’hui, je n’en suis pas fâché. Je devrai chercher une nouvelle correspondante anglaise. Dubois apprend la mort de son oncle et l’état très grave de son père, tous deux déportés puis renvoyés dans leurs foyers. Crimes allemands que ces déportations. 30 La 1ère DA vient prendre le secteur. Notre artillerie et le génie restent dans le secteur. On parle d’offensive. Les travaux sont poursuivis avec nervosité. Les Boches semblent redouter une attaque. Va-t-on essayer de prendre la crête de Woumen qui domine Ypres ? Il paraît que notre armée forme deux corps d’armée : 1er corps I-II et VI divisions, III, IV et V, 2ème corps. Notre 1er corps opérerait devant Dixmude sur un front d’une dizaine de km appuyé par la grosse artillerie française. A notre gauche, les Anglais soutenus par la flotte. A notre droite, le XX corps français, troupes d’élite et d’attaque. On se remuera en juillet mais à la pensée de ces offensives, on ne peut s’empêcher de serrer les fesses. Gulton part en congé chez sa rapatriée.

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Juillet 1917 01 La I DA relève le soir. Véritable garde civique. Ecœurant de constater le je m’enfoutisme de certains officiers. La plupart ne vivent que pour toucher de la galette. Si les Boches nous avaient attaqués cette nuit, ils auraient pris ce qu’ils auraient voulu. Pour les projecteurs, personne ne s’en occupe. On envoie les […] qui ne savent même pas monter l’appareil. Dans les régiments, chaque Bn doit avoir deux appareils. A cette date, un Bn n’a pas encore de projecteur. Comment cela se peut-il ? Voilà deux ans qu’il y a des projecteurs en quantité pour l’armée belge et ils restent à l’arrière. Sans doute les conserve-t-on pour les musées !!! Beaucoup d’officiers ne savent pas ce qu’ils ont sous leurs ordres, ce qu’ils doivent faire en cas d’attaque. Avec cela nous sommes propres pour vaincre les Boches. Des fouets qu’il faudrait à l’armée belge même pour nettoyer certains quartiers généraux. Dans le XXème Siècle, le XX menteur, nos officiers disent qu’ils ne peuvent pas entretenir leurs femmes avec leur solde. S’ils menaient une vie un peu plus réglée, si ces croutes ne s’emplissaient pas de

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champagne et ne déshonoraient pas nos filles en employant l’or et l’intrigue, ils nourriraient bien leurs familles. 02 Retour au cantonnement relevé par la I DA. 03 Un avion lance deux bombes dont une met en feu le réservoir d’une de nos autos project. de 060. Le chauffeur est gravement blessé. 04 Les Russes attaquent et font 8000 prisonniers. Enfin va-t-on faire une véritable offensive générale et écraser partout les Boches ? Les Anglais avec leur méthode lente mais sûre approchent de Lens. 05 Nous avons un peu de repos. On n’est pas fâché d’oublier les tranchées. Malheureusement, pas de distractions. On flâne, trop paresseux pour s’adonner à une besogne quelconque. 06 Belle journée. Je fais de la natation dans le canal de Lo à Furnes. 07 On travaille fébrilement dans le secteur de notre armée. Beaucoup d’avions ennemis en reconnaissance. 08 Pluie. Très triste au cantonnement. On ne sait que faire. Flemme et cafard. L’artillerie lourde de la IV DA arrive. On attend des évènements sur notre front mais on ne sait quand la danse commencera. On recommande aux permissionnaires qui partent en France : « Taisezvous ». 09 L’artillerie arrive en masse. On construit de nouvelles voies de chemin de fer […] decauville. Les fils téléphoniques sont placés dans des canaux à deux mètres de profondeur. On parle du 16 comme commencement de la danse. Il y fera drôle. Les Boches combattent les batteries mais ne tirent aucun obus inutile et heureusement, laissent le travailleur assez tranquille. 10 Des fourgons amènent des châssis pour grosses pièces. Les Boches bombardent les environs avec du 240. Le soir, alerte pour les gaz. Les Russes avancent. Charroi désordonné sur toutes les routes. Partout des travailleurs. 11 La population restée entre la 1ère ligne et le canal de Lo doit évacuer la contrée. On se croirait au 1er mai. Les paysans quittent avec des pleurs, leurs fermes. Je comprends leur attachement au sol, la crainte de ces « primitifs » devant l’inconnu, l’exil. Pourtant, on aurait dû prendre cette mesure tout au commencement. Obliger ces paysans à quitter la zone dangereuse. La France les appelle. Il y a de l’or à gagner en France comme cultivateur. Là, ils ne courraient pas un aussi grand danger de mort et les jeunes filles ne seraient pas devenues des chipies et les enfants ne seraient pas déjà minés par la passion. 12 Duel d’artillerie. Nous avons eu vingt et une pièces démolies en cinq jours. 13 Toute la nuit, des pièces d’artillerie se dirigent vers le front. 14 Pour mardi, les habitants des villages près du front doivent être partis. Pluie. 165


15 Le gouvernement accorde la haute paie de guerre. Quand nous serons aux tranchées, nous toucherons avec le hors ménage : Solde du soldat 0,48 ; caporal 0,48 + 0,24

0,72

Chevrons de front (2 premiers payés)

0,10

Chevrons de 4 ans

0,10

Hors ménage

2,29 3,21

Haute paie de guerre. Indemnité de combat

0,50 3,71

Au pécule individuel, on ajoute 0,50 de haute paie, indemnité de combat, 0,15 soldat, 0,20 cap., 0,40 s.off aux militaires qui, depuis le 1er août ont accompli deux années de présence réelle sous les drapeaux (Haute paie de guerre). Pour nous, aux projecteurs, nous devons faire comme service 12 heures de jour ou du coucher au lever du jour. 16 Bethmann Holleveg13 est remplacé par Michaelis. Le chiffon de papier est mis à la porte du gouvernement boche. A quand le départ de son digne maître. 17 Deux soldats de la Cie faisaient depuis des mois les fonctions de caporal. Malheureusement pour eux, le service aux tranchées ne compte pas pour Braun. On nomme aujourd’hui un soldat, un sergent de l’armée française, dégradé caporal, dégradé à l’infanterie belge qui a pour mérite une servitude basse et bien placée devant le maître. Il est gradé en récompense de son dévouement intelligent lors des travaux faits par la Cie. C’est l’homme qui a peut-être le plus travaillé avec la langue, qui est nommé à la place d’un autre ayant droit qui a le tort de faire son service simplement mais bien aux tranchées. Un des faisant fonction était décoré deux fois. Un vrai soldat mais non un travailleur. Il ne pourrait être l’homme de Braun qui veut des sujets et non des gradés. Ce n’est pas tout. On en verra d’autres à la Cie. 18 Plusieurs grosses pièces passent se dirigeant vers le front. Mille bruits se répandent mais on ne sait rien d’exact concernant l’offensive. On parle d’un changement dans notre ministère même d’un départ de ministre de la guerre. 19 Jeanne Léonard m’écrit qu’elle vient de l’échapper belle. Un shrapnell a éclaté dans sa lingerie déchiquetant sœur Julienne qui se trouvait à quelques mètres d’elle. Elle a gardé son sang-froid me dit-elle. Avant le danger quand on pense à la mort, il faut toute l’énergie de son caractère pour devenir un peu fataliste. L’orgueil, la vanité, l’égoïsme nous poussent vers le monde à l’attachement des biens matériels. En face de la mort, on se résigne de suite et on la 13

Le 13 juillet 1917, le Chancelier impérial Théobald von Bethmann Hollweg démissionne suite au conflit qui l’oppose au commandement de l’armée allemande (von Hindenburg et Ludendorff). Dans Wikipedia

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regarde froidement, on méprise cette vie qui n’est semée que de ronces. Qu’on ne s’étonne donc pas de voir mourir tant de soldats le sourire aux lèvres. Mais si on échappe à la mort, à un grand danger, la bête se ressaisit, se redresse, se donne de l’importance, l’animal veut le dessus et nous croyons au bonheur, nous sommes plus heureux de vivre. Le monde qui nous a été presque ravi nous sourit et nous voulons goûter le plaisir, nous avons soif des jouissances et alors, que de jeunes gens se donnent à la passion. En ce moment, tout parle à l’homme de la mort et le malheureux qui devrait se recueillir, se préparer, tâche de s’étourdir dans le vice – St Vincent de Paul ! 20 Plusieurs hommes sont malades. Maux d’estomac, coliques et va-vite. On se demande si c’est le pain ou les légumes qui causent de l’épidémie. On doit rire de cette procession aux « chiottes ». Je reçois un magnifique portefeuille de Noélie à l’occasion de ma fête. C’est cette petite française que je dois considérer comme marraine. Nous avons le pain K.K. Où est notre bon pain blanc ?... 21 Fête nationale. Jeux à la Cie. Journée très agréable. Nous recevons un peu de tabac et un verre de vin. Les joueurs de balle gagnent un magnifique football donné par l’aumônier. Le soir, cinéma – St Victor. 22 On reçoit de nouveau du pain blanc. Comme il goûte ! A cela pouvons-nous juger la joie qu’éprouveront nos parents le jour où ils pourront manger à leur faim quelque chose de bon. En France et en Angleterre, le pain est détestable. 23 La II DA reprend le secteur en face de Dixmude. Le soir aux tranchées. Partout des pièces d’artillerie et des obus. Rien que la vue de tous ces préparatifs nous donne la chair de poule. 24 Aménagement de notre abri à la ferme de Ceuninck. Toute la journée, des avions survolent les lignes à très faible hauteur. Les Boches se méfient. De toutes les directions, des Decauville amènent du matériel et des munitions. Partout on construit de puissants abris en béton armé. Les Compagnies doivent être prêtes à tout évènement. 25 Pluie rafraîchissante. Le soir, beaucoup d’avions. Les Anglais parient avoir Zeebrugge pour la fin du mois prochain. Les Français croient qu’il faudra trois mois. On suppose que les Anglais attaqueront aussi par mer. En cas d’attaque dans notre secteur, il suffit que le guetteur appuie sur un bouton pour que tous les chefs soient avertis et que, chacun à son poste de combat, la défense soit immédiate. 26 Les lois sont faites pour les gros semble-t-il. A propos de la haute paie de guerre, un « jasse » qui va travailler la nuit en 1ère ligne, ne touche que le […] n’ayant pas 12 h de travail. Le motocycliste du colonel, s’il ne reste que quelques minutes au poste de combat, la touchera. La haute paie de guerre est bien instituée pour le piote qui veille et travaille aux tranchées. Or, je suis certains que les statistiques prouveront plus tard que c’est lui qui en a le moins profité. Léopold nous écrit qu’il voudrait revenir au front. Il a déjà oublié la vie qu’il a eue au front. Il ne se rappelle que les bons moments. Quelques mois d’arrière lui ont rendu la foi en les grands mots, poudre que l’on jette aux yeux du nigaud. Violent bombardement à notre droite et à notre gauche. 167


27 Le mouvement flamingant se manifeste. Ces jeunes écervelés voudraient-ils profiter de l’offensive pour exiger des changements néfastes dans l’armée ? Cela pue joliment le Boche qui tâche de jeter le trouble dans les armées alliées. Dans la journée, nombreux combats d’avions. Retour au cantonnement. 28 On ne parle plus que de l’offensive. Il paraît que l’on espère avancer de 50 km. Ce serait très bien. Notre armée doit prendre les positions allemandes à 25 m de la 1ère ligne. Les artilleurs français commencent à trouver notre secteur tranquille très énervant. Il n’y a pas de monticules pour se cacher ici. Il est bon que Français et Anglais apprennent que la garde de l’Yser montée par notre armée n’était pas une sinécure. 29 Alerte pour les gaz. Les Boches turent des obus lacrymogènes. 30 La bataille des Flandres va commencer, écrivent les journaux. Il paraît que les Français ont pris une ligne boche à notre droite. 31 Le moral redevient bon à Paris. On les aura disent-ils. Il faudra encore deux ans mais avec les Américains, on les aura quand même. Les journaux semblent dire aux Russes : si vous bougez, le Japon vous tombera sur la bosse. Ces jours-ci nous ramènent à de biens tristes anniversaires. Qui aurait cru que nous les quitterions pour si longtemps ? Trois ans que nous ne les avons plus revus. Comme ils doivent être changés, vieillis, maigris et la fin semble encore bien éloignée. Quel courage et quelle patience il leur a fallu pour rester forts sans l’épreuve. Notre cœur purifié par les souffrances les aime plus encore qu’avant les sachant si malheureux, plus malheureux que nous.

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Août 1917 01 Depuis le matin, il pleut à torrents. Triste au cantonnement d’où nous ne pouvons sortir. Cette tristesse s’harmonise avec notre état d’âme, de notre retour. Il y a trois ans, l’Allemagne allait nous attaquer, jeter un mur de fer entre eux et nous. Aujourd’hui, nos pensées leur vont tout particulièrement. Notre égoïsme se tait, nous oublions notre solitude, notre détresse, notre souffrance pour ne penser qu’à eux, à leurs privations, à leur douleur. Oh ! Si nous pouvions leur écrire combien nous prenons part à leurs souffrances ! Trois ans que je les ai quittés et il me semble que c’était hier. Oh ! S’ils pouvaient ne pas avoir changé ! Franz va en congé. Nous nous retardons le nôtre pour la fin août. Tous les trois mois un congé suffit. Notre bourse ne nous permet pas plus et nous ne pouvons obliger plus souvent les braves gens où nous allons. 02 Le mouvement flamand est considéré par les autorités comme un mouvement activiste. Je crois que les commandants d’unité ont reçu des ordres confidentiels. Pourvu que de leur côté, ils n’exagèrent pas car beaucoup des revendications flamandes sont justifiées. 03 Le soir, nous nous réunissons à quelques amis au « Kotje du conseil des Flandres » où nous discutons des questions très sérieuses et parfois très délicates. On parle franchement et nous formons notre jugement, notre conscience. Les questions d’amour n’en sont pas exclues. Deux sont fous de leur « petite » et parfois, j’en suis jaloux. Pourquoi n’ai-je pas aussi une vierge pour me réjouir, pourquoi le doute, pourquoi le silence ? !!! Aimer, c’est idéaliser sa vie, aimer de toutes ses forces une femme, c’est bon, c’est sain. Moyen efficace, lorsque l’amour est réel, pour dompter ses passions. Voilà trois jours qu’il pleut du matin au soir. C’est malheureux pour l’offensive qui débutait si bien. On avait fait en Flandre 5000 prisonniers. 04 Les Russes sont actuellement bien en Russie. Kerenski14 pourtant ne désespère point de sauver la Russie. 05 Aux tranchées. Les boyaux sont impraticables. Les Boches ne tirent presque plus. Chaque soir, des patrouilles inspectent le terrain. Souvent elles se rencontrent avec des patrouilles boches. 06 Les chemins de ronde en ciment donnent de bons résultats. Plusieurs abris en béton sont pleins d’eau. Inouï les bombes qu’il y a en 1ère ligne. Nous essayons des accumulateurs qui remplaceraient les dynamos des projecteurs. On revient au système boche qui présente quelques inconvénients. Braun vient à l’avant-poste et éclaire lui-même. Il connaît admirablement bien le terrain. Avec sa franchise, il peut aller en patrouille. 07 Beau temps. La Chine penche de notre côté.

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Alexandr Kerenski, ministre-président du Gouvernement provisoire de la Russie (du 21 juillet 1917 au 08 novembre 1917) d’après Wikipédia.

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08 On revoit les avions. Les Boches tirent sur les routes. Ils sont très calmes en 1ère ligne. Ils craignent probablement de montrer leurs emplacements de mitrailleuses. Nos projecteurs éclairent pour dérouter les patrouilleurs ennemis et faciliter la tâche des nôtres. 09 Beau temps. Gulton est à l’hôpital. On nous apprend à lancer des grenades. 10 Pluie. Notre offensive n’a guère de chances. Les moissons vont aussi beaucoup souffrir de la pluie. De Ceuninck, notre nouveau ministre de la guerre, nous salue du Havre. Il a appris à nous connaître Nous aussi et à la VI DA, on est on ne peut plus heureux de l’avoir perdu. Une vache ! On nous lit de nouveau des tartines concernant la discipline. On ferme la vis pour l’offensive et on prépare déjà l’hiver. 11 Franz revient de congé. Poperinghe est dégagé. Les batteries sont à 30 km au moins de la ville. C’est heureux pour Jeanne Léonard qui n’est pas encore remise de sa secousse. 12 Pour la quatrième fois, je passerai la kermesse à l’armée en guerre. Triste journée pour eux et pour moi. 13 On me dit que notre division compte 300 et plus de syphilitiques. Le nombre de ceux atteints de maladies vénériennes est effrayant. Paris est un nid de pourriture. Les Russes ne courent plus aussi vite. 14 Dix hommes de la Cie sont évacués en quelques jours. Les hommes deviennent faibles et ne savent plus supporter comme avant les intempéries et les privations. Il est grand temps que la guerre finisse. Les Alliés ne semblent plus vouloir mordre dans l’appât de Stockholm. 15 Je vais voir des amis à l’hôpital de Hoogstade. Spectacle écœurant que ces beaux jeunes gens terriblement mutilés. En revenant, je vais à la procession d’Hoogstade. 16 Il paraît que l’armée française envoie jusqu’à 50000 vénériens à l’arrière par mois. A notre division, on compte 5 à 6 cas de syphilis par jour, plus de cent trente visites pour maladies vénériennes. Après la guerre, ce sera la gangrène du pays. Il est constaté que non les femmes professionnelles mais les filles de bonne éducation qui se sont données au vice propagent ce fléau. La nuit, les grosses pièces placées en arrière du cantonnement tirent et nous empêchent de dormir. La Chine déclare la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche. 17 Les moissons tombent pour la 4ème fois et la guerre fauche encore les vies. Le Pape fait une démarche auprès des belligérants pour la paix. Au réfectoire, un sergent me dit de manger les croutes. Et dire que je n’ai pu lui tordre le cou ! Graves émeutes en Espagne. 18 Jeanne Léonard vient à Hoogstade. Géron, Joseph et moi passons une après-midi des plus agréables… Elle est complètement remise de sa commotion. Malgré ses trente ans passés, elle garde sa franchise, sa naïve gaieté de ses vingt ans. Quel dommage qu’on ne puisse se rencontrer plus souvent. 19 Demain, jour de la fête à Andrimont. Triste journée.

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20 On m’annonce que je pars en congé le 22. Dans les journaux, on parle beaucoup de la démarche du Pape Benoît XV. Certains l’appellent presqu’un Boche. D’autres, plus sérieux, louent le désir du Pape et souhaitent qu’il réussisse. Visite de Vandervelde. 21 Les Français avancent à Verdun. 22 Belle journée. On va donc oublier la guerre quelques jours. A 5 h départ pour Paris. Des obus de gros calibre sont tombés dans les champs tout le long de la ligne. Le soir, les projecteurs marchent. Il ne s’agirait pas que les avions boches viennent nous embêter. 23 Toute la nuit nous voyageons sans lumière. Pas toujours de wagon à couloir. Pour des soldats, ce n’est pas nécessaire ! Arrivée à Paris à 10 H ½ du matin. Nous déjeunons au restaurant. Après-midi à Paris avec Mr Grégoire. Les petits verres sont délicieux. Le soir, Mr Roussin nous prépare un café délicieux. Il faut aller en France pour boire du bon café. 24 A Marne la Coquette. Très agréable. Je fais une promenade à vélo. Séjour très agréable au Castel des Bois. 25 Je vais à vélo à Versailles accompagné de Noélie. Quel plaisir de rouler sous les grands arbres des allées ou dans les magnifiques jardins de Versailles. Déjeuner épatant. Le soir à Paris. A l’Empire où nous écoutons « Les Noces de Jeannettes ». 26 Nous allons « déjeuner » à Marnes. Après-midi, à Versailles, visite du Grand Trianon. Dîner chez Mr Roussin. Le soir, Déjazet. Rigolo ! 27 Mme Roussin nous sert le petit déjeuner dans notre chambre. On est riche ou on ne l’est pas ! Déjeuner chez une liégeoise cuisinière d’élite. Après-midi à Houille chez Forêt. Mr Forêt ne va pas mieux. On discute tout l’après-midi avec J et M.Th. Nous couchons dans la chambre bleue. On m’a appelé un « gosse » ! Paf… ! 28 Après-midi, promenade à Maison Laffitte avec Jeanne et Marie-Thérèse. On prend quelques Cointreau et […]. Quand on rentre le soir, la terre abandonne Marie-Thérèse et Jeanne mange des poires. On rigole ! 29 Retour sur Paris puis à Marnes pour déjeuner. On fait de la photo. Dîner extra avec champagne. Nous avons tout un pavillon pour coucher. 30 Retour à Paris. Déjeuner épatant chez Mr Roussin. A 6 H nous reprenons bien à regret le train pour le front. Mr Roussin a garni copieusement notre besace. Noélie nous a remis une bouteille de calvados qui fera rire les amis. 31 A 9 ¾ au cantonnement. Restés 8 h à Abbeville par suite d’un tamponnement qui obstruait la voie à Criel. Nous aurions pu passer plus tôt mais les soldats peuvent attendre.

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Septembre 1917 01 Au cantonnement. Cafard. Quelle belle permission nous avons eue. Et dire que je suis de nouveau au front. Emile est en congé. On m’annonce la mort de […] et Lycops15, deux bons amis des services actifs du temps de paix. La mort fauche. Nous frappera-t-elle aussi sur ce sol ensanglanté. Dieu seul le sait. J’y suis résigné mais j’ai confiance en sa protection. 02 De Ceuninck tape sur les Flamands. Un aumônier est rétrogradé brancardier à […] pour avoir écrit un article réimprimé par les Boches. Le fameux général jette du pétrole sur le feu. Il sera aussi estimé au ministère qu’à la VI Division. Il semble que l’offensive des Flandres ne produira pas de fameux résultats. 03 La nuit, les Boches viennent lancer des bombes. La compagnie du Chemin de Fer lance un pont sur le canal de Lo. Les Boches tirent dans cette direction mais trop court. Beaucoup d’obus n’éclatent pas. Les voies de chemin de fer se multiplient sur notre front. Le soir aux tranchées. Cafard.

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LYCOPS Jean-Louis tombé au champ d’honneur le 23 août 1917 à Sint-Jacobs-Kapelle, né à Grivegnée le 26 août 1892. Dernière sépulture : Bois-de-Breux (Grivegnée), pelouse d’honneur du cimetière d’après BELMEMORIAL.

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04 On forme une caisse de congé pour le nouveau tour à la Cie. Chaque homme recevra dix francs pour partir, sur les bénéfices du ménage et de la cantine. 05 Grande activité d’artillerie et d’avions. La nuit, les Boches lancent 107 obus de 15 sur un de nos avant-postes. Pas de blessés. Le mouvement flamand devient sérieux. Troubles à Wulveringem. De Ceuninck, bête noire quand il était général de division, ne sera pas plus aimé comme ministre. 06 Les Russes évacuent Riga. En France, on découvre une machination boche sous les journaux « Le Bonnet rouge » et « Le Journal ». 07 Violent bombardement à notre droite. Les Boches tirent beaucoup dans le secteur. Cent obus sur un avant-poste pour ne blesser personne. Retour au cantonnement. 08 Les nouvelles du front sont bonnes. Seuls, les Russes flanchent. Riga est occupé par les Boches et Petrograd est évacuée. On envisage l’intervention japonaise tant redoutée des européens. 09 Je vais à Hoogstade voir Camille et d’autres amis. Tout le monde se prépare à un nouvel hiver. Cela paraît même tout naturel, la possibilité de faire la paix pour cette année n’étant plus envisagée. L’Amérique serre la vis à la Hollande. On fait un véritable blocus et l’Allemagne doit souffrir. Le soir à 8 h, un avion boche. 10 Le canon tonne à droite. Beau temps. On se demande si l’offensive des Flandres n’est pas arrêtée. Les Boches tirent sur les environs. A la Cie, le lieutenant a formé un cours d’anglais et de flamand. Le lieutenant surveille lui-même. 11 Les Russes reculent toujours. De Ceuninck montre qu’il est franc-maçon. Il autorise la vente du « Peuple » aux tranchées et dégrade les aumôniers. 12 Formidable marche sur Petrograd. Que va faire Kerenski ? En attendant, les Boches sont aux portes de la capitale. 13 Temps triste. Un train de permissionnaires belges a été bombardé en gare de Rosendael. 60 tués et autant de blessés dit-on16. 14 Des réunions de francs-maçons ont lieu à Alveringem. Et nous, catholiques, nous ne faisons rien. Nos aumôniers mangent et boivent bien. On critique la note papale. Certains journaux catholiques prennent un ton irrévérencieux. Nous devrions défendre le Pape et personne pour nous conduire, pour nous instruire. 15 Plusieurs combats aériens. Notre ministre de la guerre est franc-maçon. Le Peuple s’en réjouit. 16 Beau temps. L’intendance manque déjà de pommes de terre. Qu’allons-nous faire en hiver ?! L’avenir nous réserve de drôles de journées ! Certains catholiques continuent de 16

Le jeudi 13 septembre 1917 à 10 heures, sa Majesté la reine des Belges Elisabeth se rend à l’hôpital de Rosendaël afin de visiter les soldats belges blessés lors du bombardement de la veille (www.ville-dunkerque.fr).

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parler du Pape d’une façon qui est loin d’être respectueuse. Si ces imbéciles ne connaissent que ce que les journaux menteurs racontent devaient venir aux tranchées l’hiver prochain, ils trouveraient comme nous que le Pape a le droit de dire. Que chacun dise sincèrement ce qu’il veut et essayons de nous arranger. Lui seul peut juger sans parti pris et parler en neutre. Le soir, départ pour les tranchées. 17 Aux tranchées. Grand vent. Malgré cela, des avions survolent les lignes. 18 Pluie. Violent bombardement à notre droite. Les avions boches lancent des bombes sur […] et Oeren. Nombreuses victimes. 19 Ce matin, on trouve aux tranchées des affiches disant : « Wallons, exigez vos droits », « Des régiments wallons ». De Ceuninck semble avoir déjà les poings liés. Le soir, retour au cantonnement. 20 Les Boches bombardent les routes. Les Anglais font 3000 prisonniers à Ypres. 21 Certaines infirmières se plaignent de la vie qui leur est faite dans les hôpitaux. Elles ne gagnent rien or certaines réfugiées ont dépensé leurs économies et ne peuvent se remettre à un travail quelconque. Elles sont donc poussées à mener légère vie avec les médecins qui sont trop arrogants, surtout pour celles qui veulent se faire respecter. 22 Toujours des discussions pour la démarche du Pape. Aucun gouvernement n’ose poser des conditions nettes. Crainte de l’avenir. Ils ne savent pas comment la guerre va tourner ! 23 Déjà les journées tristes de l’automne. Toute la journée, mes pensées sont à Andrimont. 24 Violente canonnade à droite. Les réponses des puissances au Pape sont arrivées au Vatican. Beaucoup de bruit, de discussions mais rien encore qui annonce la paix. En Russie, la situation est des plus sombres. 25 Beau temps mais le soir il fait bien triste. L’hiver approche. Je suis les cours d’espagnol. Rien n’arrive du pays. Je deviens impatient. 26 Deux équipes vont en congé agricole pour 15 jours. Ces hommes vont battre le grain, arracher les pommes de terre moyennant 4 frs et nourriture. Des poux ont fait leur réapparition à la Cie. 27 Plus d’allumettes à trouver. Le brancardier est obligé de laisser brûler une lampe à essence toute la journée. Le tabac aussi augmente et est difficile à trouver. J’ai la visite de Lucien Forêt. 28 Les Anglais avancent. Si le beau temps continue, nous aurons encore du grabuge de ce côté. 29 Je reçois une lettre de Gustave par la Hollande. Aux tranchées, toutes les inscriptions sont en deux langues.

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30 Le soir, des avions boches lancent des bombes sur les environs. L’aviation est très active. On croit une offensive possible sur notre front encore avant l’hiver. Il paraît que le Roi d’Italie est venu sur notre front. Personne ne l’a encore vu dans le secteur !!!

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Octobre 1917 01 Magnifique journée. Le mois de septembre a été magnifique. Espérons que le soleil nous favorisera pendant octobre également. 02 Aux tranchées. Nous mangeons des frites à volonté. Comme légumes, nous préparons des poireaux au beurre. Je dors 12 h sur 24. Si je ne prends pas du volume, je n’y comprends rien !!!... 03 Les Boches bombardent la 1ère ligne. Par un vent très fort, nos avions survolent les lignes et font de l’acrobatie : feuille morte, etc. 04 Violent orage. A remarquer qu’ici, nous avons des orages par des temps très froids. Le soir, retour au cantonnement. 05 Le fils d’un commandant de gendarmerie, commandant un centre d’instruction où il est un vrai gendarme, part en congé. Malade chez lui, il est envoyé dans un hôpital puis à la base. L’autre fils est au P.J.T.A. On parlait d’offensives et ces patriotes embusquent leurs fils !!!... 06 Léon Daudet accuse Maloy, ancien ministre de l’Intérieur en France, de trahison. On découvre scandales sur scandales en France. Ce gouvernement est véritablement pourri. 07 Reçois une carte de Gustave datée du 20.09.07. Les Anglais ont repris 9 villages et fait 4400 prisonniers. On croit à une offensive proche dans notre secteur. Des pièces de 320 sont en batterie derrière notre ferme où passe la voie ferrée. Violent orage. Très froid. On gèle dans la grange. 08 Les pommes de terre de l’intendance sont de très mauvaise qualité. Des pommes de terre pour vaches. Nous sommes propres pour l’hiver !! Nous n’aurons du feu que le 15. On gèle. Pluie diluvienne. 09 Les pièces de 321 tirent. A chaque coup, la grange est secouée. Les tuiles dansent et le ciment nous tombe du ciel. Il pleut à plusieurs endroits dans la grange. Vers midi, les Boches répondent aux pièces. A ces arrivées, grange et habitants frissonnent !!... les Anglais font encore de nouveaux prisonniers. 10 De nouveau grand charroi. On ne parle plus que d’offensive. Les Français ont atteint la lisière de la forêt d’Houthulst. Des Anglais arrivent. Des lance-flammes et lance-bombes, diton. Le soir aux tranchées. Grenades en 1ère ligne. A Londres, lors des raids d’avions allemands, les stations du tube sont bondées de monde se lamentant, chantant des hymnes. Spectacle lamentable que de voir ces pauvres de Londres cherchant refuge. La plupart des gros ont quitté la ville ou ont de bonnes caves. Les Boches, par leurs raids, obligent les Anglais à garder chez eux de nombreux aviateurs et pièces d’artillerie. 11 Pluie. Violent bombardement à droite. Les Français avancent. Malgré le vent, les avions survolent le front. Je reçois une carte de Gustave par la Hollande. 176


12 Réponds à la carte de Gustave. Les Anglais travaillent en 1ère ligne aux emplacements des lance-flammes. Au retour de ma ronde, je suis noyé et plein de boue. En 1ère ligne, les tranchées de combat sont détestables. 13 Violent bombardement à droite plus rapproché. Les grosses pièces tirent. Il pleut à torrent. Triste besogne qu’une offensive par ce temps. Le soir, retour au cantonnement. 14 Des pièces de 400 passent, traînées par de gros tracteurs automobiles. La vue de ces pièces nous donne la frousse. On a placé à la cantine un petit feu. Un de nos captifs est descendu. 15 Beau temps. Les Boches tirent au canon sur nos captifs. Un allié descend un captif boche. Des blessés arrivent à Hoogstade. Il y a eu un combat de bombes derrière le front français. Effrayant le charroi sur les routes ! Pas étonnant de voir une file de 300 autos. Une auto est en panne, on la roule dans le fossé puis, après réparation, un tracteur la retire. Un cheval est malade, on le fiche dans le fossé, on l’égorge, un peu de terre dessus et on passe. 16 On demande des aviateurs. 600 pilotes pour le printemps. Dix hommes se présentent à la Cie. Deux caporaux sont rayés de la liste par le lieutenant. Pourquoi ? Six sont refusés à la visite du médecin. Ils sont atteints au cœur. Enfin, deux sont acceptés. Le sergent ff de sergent major qui est loin d’être un hercule, un chauffeur (élève médecin) portant pince-nez. Le soir, il ne voit pas ses cartes ! Si le médecin a ausculté sérieusement les candidats et est sincère, 50 % des hommes n’ont pas le cœur régulier. Donc, ils ne sont pas responsables si dans des moments difficiles, ils perdent leur sang-froid. Alors, n’est-ce pas un crime d’exécuter un homme sans lui avoir fait passer une visite médicale ? On photographie les hommes dans les Cie pour coller leur photo sur une feuille d’identité. Ils ont soin de faire cela quand il pleut. Ils auraient dû attendre décembre. Le soir, de nouveau la pluie. 17 L’indemnité de pain et viande est portée à 2,00 frs. Nous touchons donc par jour passé aux tranchées : Indemnité de nourriture ‘’

2,00

de séjour en Belgique

0,75

de combat

0,50

supplément de pain

0,11

Solde de hors ménage

3,36

Solde journalière de caporal (0,48 solde de soldat)

0,72

Chevrons de front

0,10

Chevrons de 4 ans

0,10

Par jour aux tr. avec 0,50+0,25 à toucher après guerre

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4,28


Un auditeur militaire de Calais, lorsqu’il doit défendre un soldat, table toujours sur la maladie de cœur. 18 Franz est évacué sur un hôpital divisionnaire. Belle journée. 19 Départ aux tranchées à midi et demi. Il pleut toujours et mon abri est plein d’eau. Les Boches sont nerveux. Une forte patrouille à nous sort la nuit et ramène le cadavre d’un adjudant tué en avant des lignes par un obus il y a deux mois. On le croyait prisonnier et de suite, on avait parlé de trahison. Franz évacué à […]. 20 Les Anglais travaillent toujours dans le secteur. Ils placent des appareils mais impossible de savoir à quoi ils servent. Les uns disent que ce sont des lances projectiles asphyxiants, d’autres des lance-flammes ou encore des lance-fumées pour cacher la lueur des batteries. 21 Je vais à la recherche de tôles pour mon abri. J’en ramène au moyen du Decauville. Des lignes de Decauville traversent tout le secteur dans toutes les directions. La flotte allemande est dans le golfe de Riga. Belle journée. Le matin, gelées blanches. L’hiver approche et l’offensive est toujours à venir. Certains racontent que les vieux majors ont trouvé que l’hiver serait rigoureux, beaucoup de gelées et que les Anglais préparent une offensive d’hiver. On se réchauffera ! Gulton est en congé. Vers 1 ½ de l’après-midi, nous assistons à un combat d’avions des plus émouvants. Juste au-dessus de nous, nos avions de chasse attaquèrent un grand Gotha. Un des nôtres pique, se relève, repique sur le Boche qui cherche à fuir. Des mitrailleuses donnent. Tout à coup le réservoir à essence placé à l’arrière de l’avion boche prend feu. Emouvant cette boule de feu survolée des avions et descendant en vrille puis en vol plané. A 1500 m de hauteur, un des aviateurs boches se jette dans le vide et tombe à une vitesse foudroyante à la droite de Dixmude. Le pilote continue à diriger son appareil mais menacé par les flammes saute d’une hauteur de 700 m environ et vient d’écraser dans une maison en ruine de Dixmude. Les deux aviateurs tombent dans les lignes boches et l’avion dans les nôtres. Violent bombardement à droite. 22 Journée magnifique. A 2 ¼ H, un avion boche survolant nos lignes a une aile coupée par un obus de 270 tiré par nos batteries occupées à faire un tir de destruction sur Dixmude. Ces obus ont une trajectoire qui peut monter jusqu’à 400 m de haut. L’avion tombe dans nos lignes. Le pilote est écrabouillé. A 3 H relève. Vers 4 H, collision de deux avions anglais audessus de nos lignes. Chute et mort de deux aviateurs. Aux tranchées, l’abri du commandant de la digue saute. Le capitaine Claud, un de mes anciens sous-lieutenants, son lieutenant, un capitaine français et sept hommes sont tués. Le capitaine Claud était un officier les plus estimés du 16 régiment de ligne. Les corps des officiers sont transportés dans une ambulance en guise de corbillard. Pluie de nouveau. Les Anglais logent au fort de Fortem du génie. La nuit, des bombes. 23 Pluie. Louise Léonard est placée à Paris chez Flore Lefèvre. Dimanche, les zeppelins ont fait un raid sir Londres. Cinq sont abattus en France. Plusieurs morts à Londres.

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24 Tir de destruction sur Dixmude. Nombreux combats d’avions. Chute d’un avion belge. Thieffry abat son 10ème avion17. 25 Dixmude disparaît à vue d’œil. Les grosses pièces tirent. Les Anglais placent des conduites pour gaz asphyxiants. 26 Le soir, raid dans les tranchées boches avec mission de détruire les minoteries et quelques abris. Les patrouilleurs rencontrent quelques becs de gaz ! La I DA fait des prisonniers. Les Anglais lancent de la thermite18. Au moyen de la thermite enflammée par une chaleur de plus de 1500 ° (ruban de magnésium), le métal coule littéralement comme du beurre. 27 A 5 H moins dix, réveil peu agréable par les grosses pièces. On en deviendra sourd ! Je vais au magasin divisionnaire chercher des marchandises pour la cantine. A la Cie, les hommes sont à la disposition des employés. Le 27 à 1 h du matin, en présence du général, première émission du gaz belge. Le lieutenant Dupont, ancien délégué, a été tué pendant la patrouille. 28 A 1 ½ H, je vais aux tranchées. A peine arrivé, les nôtres commencent le concert. Torpilles, bombes, obus. Les Boches répondent faiblement. Les Anglais lancent du gaz dans notre secteur. A minuit, le bombardement est terrible. Un raid dans les lignes boches nous rapporte pour les 3 divisions en ligne, une soixantaine de prisonniers. A 3 h du matin, les Boches tirent près de notre abri. Nous les […] !! 29 Belle journée. Plus calme. Suivant les dires de certains patrouilleurs, les lignes boches sont pleines de cadavres. Pas de morts à la patrouille. Beaucoup d’avions. Pas un seul boche. La minoterie occupée par les Boches est fortement éméchée. Les Italiens reculent devant les attaques austro-allemandes. 30 Les Italiens sont en retraite. Les Français et Anglais vont à leur secours. On se demande si l’offensive d’ici va continuer. Les Français ont, à notre droite, 80 à 90000 hommes tout compris. 31 Les Boches tirent beaucoup. On craint une contre-offensive. A midi, retour au cantonnement.

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Edmond THIEFFRY (1892-1929) est considéré comme le 1 grand as belge en 1917 et le premier à atteindre 10 victoires homologuées (dont 3 lors d’une confrontation seul contre 9 avions ennemis) d’après WIKIPEDIA 18 La thermite : mélange d’aluminium et généralement d’oxyde de fer. Sa réaction chimique génère une chaleur intense pouvant atteindre 2204,4°C d’après WIKIPEDIA

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Novembre 1917 01 Toussaint. Je vais à la messe le matin. Peu de civils. Le cimetière civil est dans un état déplorable. Les gens n’ont pas le culte des morts de chez nous. Nos cimetières militaires sont magnifiques. Après-midi, je vais aux vêpres. Ces vêpres ne rappellent en rien l’office de l’après-midi du jour de la Toussaint dans nos églises. 02 Le matin à la messe. Beaucoup de soldats s’approchent des sacrements. Visite d’un soldat français, le cousin de Gulton. En Belgique, il a été étonné de voir des cimetières militaires si bien entretenus. Les Français n’ont pas le culte des morts comme nous. Sur les champs de bataille, ils n’enterrent pas leurs morts. Les Boches, à ce point de vue, sont admirables. 03 Braun attrape sur ses pattes pour son trop de zèle. Nous ne devons plus faire que juste le strict nécessaire. Bientôt, nous aurions fait des patrouilles ! Fameuse leçon pour ce vaniteux

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(qui nous est favorable) ! L’équipe des joueurs de petite balle de la Cie gagne une manche au concours de division. 04 Les Italiens reculent toujours. La retraite est due surtout par la défection d’une armée travaillée par les agents de l’Allemagne. Français et Anglais partent pour ce front. On se demande si l’offensive va continuer. En Russie, la situation est aussi bien triste. 05 Loulette, le chien de Mononcle, donne trois jeunes dans les couvertures de son maître. On rigole. F[…] lui avait préparé une magnifique niche à l’extérieur et pendant son absence, un malin amène le chien dans le cantonnement. Celui-là ne s’attendait pas à cette histoire ! 06 En Angleterre, la vie devient difficile. Une grande partie de la population de Londres quitte la ville à cause des raids boches. A midi aux tranchées. La division va enfin être relevée. La Cie avait 14 lapins qu’on nourrissait avec des déchets. La nuit, nous cuisons le lapin. Malheureusement les pruneaux gobent la sauce et personne n’ayant d’expérience pour savoir qu’il fallait ajouter de l’eau et avoir un feu assez doux, lapin et pruneaux brûlent. Nous devons, à notre grand regret et après nous être tant réjouis, faire ceinture ! Maudit lapin ! 07 Le secteur est plus tranquille mais les victimes continuent à être nombreuses. Beaucoup de morts. On apporte du poste de secours, un tué. Son frère est là qui pleure et se lamente. Triste chose que la guerre. Le comte von Hertling est chancelier d’Allemagne. Bavarois et grand catholique ! L’Allemagne évolue ! 08 La 6ème brigade est déjà en repos à La Panne. La Panne occupée par les Anglais redevient cantonnement belge. La division ne sera pas fâchée de quitter le secteur de Dixmude. Obus, bombes, grenades continuent à pleuvoir. Les Anglais sont toujours ici pour les gaz. Les Américains, dans leur secteur calme du front, ont perdu quelques hommes. Ils ne savaient pas encore ce que c’est que la guerre. 09 Kerenski est démis. Lénine est le chef des Russies. Telles sont les dernières nouvelles. Il paraîtrait même que les Russes ont arrêté les hostilités et qu’on discute la paix. Retour au cantonnement. 10 Situation très grave en Russie. Que va faire le Japon ? Le général Foch est nommé généralissime de toutes les armées alliées. 11 On parle d’une Marne en Italie. Le soir, on raconte que la Russie a signé un accord avec le Japon et que les troupes jaunes vont arriver en Europe. Que faut-il en croire. La paix estelle à la fin des événements actuels d’Italie ou la guerre va-t-elle se prolonger deux ans en plus ? 12 Belle journée. La nuit, des avions ennemis lancent des bombes. Vers 2 h du matin, violent tir de barrage vers Dixmude. On attend avec une impatience bien motivée, le départ du secteur. En 1ère ligne, les Boches tirent avec des 21 et démolissent systématiquement tous les abris en béton. On se demande pourquoi on n’a pas camouflé ces abris plus tôt.

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13 Enfin, la division va en repos. On fait ses paquets non fâchés de quitter ce secteur qui a coûté tant d’hommes à notre division. 14 A 7 h, départ pour La Panne. Nous logeons dans un grenier d’une petite maison de pêcheurs. Nous y sommes chiquement installés. Les gens sont très aimables. Il y a 4 filles à qui ont fait de doux yeux ! 15 Nous construisons des tables et des bancs. Je vais chercher les tables chez les Anglais. Je reçois une carte de Gustave. 16 Les Anglais ne reçoivent presque plus de pain. Ils nous donnent leurs boîtes de confiture en échange de pain. On s’amuse à La Panne. Pourvu que les avions ne viennent pas. 17 La vie est agréable ici. On ne s’en fait pas. Heureux d’avoir quitté les tranchées. Les Français remplacent les Anglais dans le secteur de Nieucapelle. 18 Les Anglais réussissent un magnifique coup au moyen de leurs tanks. En Russie, la situation devient de plus en plus obscure. 19 A 2 ½ h, départ pour Paris. Nous prenons le train à Adinkerke. Les wagons sont chauffés. Une mitrailleuse sur la machine et un avion qui protège le train permissionnaire. 20 Arrivée à 6 ½ du matin à Paris. Madame Arys est presque complétement rétablie. Noélie est un peu froide. Franz est là. Le soir, on est un peu en l’air. Nous allons au Gaumont avec son père et Lucien. Spectacle peu intéressant. 21 Franz manque un jour pour rester avec nous. Au Palais Royal, Madame et son filleul. Accompagnés par une dame et un monsieur qui hâblent mais n’ont pas de sous. Ils nous sortent de quelque part !... 22 A Houilles. Mr Forêt va mieux. Mme et Jeanne très aimables. Jeanne travaille aux munitions. Réfugiés, le père malade depuis 1 ½ an, les économies diminuent. Cette demoiselle qui, toujours restée chez elle, veut gagner de l’argent et aider ses parents. Elle n’a plus les mains blanches mais elles sont admirables. 23 Nous voyons des hydravions faire des essais sur la Seine. Soirée très agréable en compagnie de Jeanne qui a beaucoup de conversation. Intéressant d’entendre ses impressions d’usine, de connaître la mentalité des gens de Paris. 24 Rentrons à Paris. Déjeuner au restaurant. Partie de billard et petits verres ! Le soir au Chatelet. Le Tour du Monde en 80 jours. La plus grande scène de Paris. 25 Noélie a des visites et ne peut plus sortir avec nous. Déjeuner épatant chez Arys. Souper au restaurant. On passe la soirée dans un grand café de Paris. Fermeture à 9 ½. On rentre chez Mr Roussin qui nous fait un café spécial. 26 Après-midi, sortie avec Noélie. Le soir au cinéma. Peu intéressant.

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27 Notre valise bien garnie, on quitte Paris. Nous avons mille bonnes choses et du liquide suffisamment. 28 La Cie est déménagée. A peine rentrés, nous devons construire notre lit et préparer notre bazar. Le cafard vient seulement. Le soir, sortie à La Panne. On noie Paris !... Ce n’est pas aussi bon que là-bas mais enfin ! 29 Les Boches préparent une attaque sur Salonique. On attendait des actes du nouveau gouvernement français mais rien ne vient encore. Nous allons avoir un réfectoire. C’est heureux car laver chaque fois sa gamelle n’est guère intéressant. 30 Les Anglais ont presque tous quitté La Panne. C’est regrettable, j’aurais pu avoir l’occasion de parler anglais. Notre cantonnement est presqu’en ordre. 60 lits en un bloc, dont trois superposés. Le grenier est immense et si nous pouvions avoir un bel éclairage, nous serions magnifiquement installés au centre de la ville. Point de cafard. La différence de vie entre Paris et ici n’est pas aussi grande que lorsqu’on est dans un secteur dangereux. Les avions nous ont laissé assez tranquilles pourvu qu’ils continuent.

Décembre 1917 Décembre avec ses belles fêtes de famille. La guerre ne finira pas encore cette année et qui sait si en 1918, nous serons à la maison. La situation sur les fronts est bien mauvaise. Nous devons compter sur l’Amérique mais quand, dans combien de temps pourra-t-elle fournir un véritable effort ? Que va faire la Russie ? 01 A Adinkerke pour huit jours à un poste contre-avions. Logés dans une grange ouverte à tous vents. Impossible de trouver des matériaux pour faire un kotje. Grand vent et très froid. 02 Le cimetière d’ici compte plus de 2000 tombes belges. Nous trouvons une pension à 3 frs par jour. Toujours très froid. L’hiver approche. Les Russes veulent signer la paix. 03 Nous volons aux Anglais des tôles et cloisons. Le soir, nous avons un magnifique kotje dans la grange. On est enfin à l’abri du vent. 04 Nous installons un petit poêle. Le soir, nous avons un bon petit feu, ce qui rend la garde assez agréable. Léonard qui revient de congé, m’apporte un verre de whisky. La population est heureuse de voir partir les Anglais. Ils gagnaient beaucoup d’argent mais étaient trop souvent salués par les avions boches. Très froid. Il gèle. 05 Lénine doit avoir signé l’armistice. La situation est sérieuse et pour commencer l’hiver, les alliés n’ont pas un fameux moral. On ne sait ce que donnera le fameux emprunt français. 06 Très froid. Une chance que nous avons du feu. On m’appelle chez l’auditeur militaire comme témoin. Ces messieurs sont chiquement installés et chauffés. Belle chose que la guerre 186


dans un auditorat. Ils ont beaucoup de besogne. Ils font la guerre aux défaitistes. St Nicolas. Qu’auront mes petits là-bas ? 07 Le frère de Braun tombe en mission. On a fait des recherches pour le retrouver ainsi que l’avion. La température s’est un peu adoucie. 08 Belle journée. Retour à La Panne… Le frère du lieutenant n’est pas encore retrouvé. Triste au cantonnement. 09 Pluie. On se demande où les Boches vont attaquer. Le temps leur est favorable. Le soir, manifestation flamande à La Panne. On comprend le geste des flamands qu’on a méconnus mais derrière, on sent le Boche. 10 A la messe pour le repos de l’âme du frère du lieutenant. Belle promenade en auto. Révolution au Portugal. 11 Le matin, nous mettons deux barques à la mer qui vont à la recherche de l’aviateur Braun introuvable jusqu’à ce jour. 12 A midi, nous mettons deux barques à la mer. L’avion et l’aviateur Braun sont retrouvés dans les flots vers 2 H ½. Un remorqueur était là pour retirer l’appareil que deux bateaux de pêcheurs avaient découvert au moyen de filets. On annonce 30000 prisonniers boches faits par les Français et Anglais en Italie. On dit même que des Japonais sont à Salonique. 13 Enterrement de l’aviateur Braun. 14 Le tabac est très cher. Rarement, il y en a au magasin militaire. A chaque distribution, une véritable cohue prend le magasin d’assaut. Chacun peut en acheter deux paquets. Caillau est accusé. On parie qu’il sera acquitté. On ne purifiera donc pas la France qui a de si bons soldats. Braun nous adresse la lettre suivante : « Mes amis, je tiens à remercier les gradés et les hommes du peloton pour les marques de sympathie et le dévouement qu’ils m’ont témoigné pendant ces derniers jours. Chacun doit payer sa part de guerre, riches comme pauvres, officiers comme soldats mais le meilleur moyen d’être plus fort que le malheur est de s’aider les uns les autres. Nous devons tous, belges, rester unis quelle que soit notre fortune, quel que soient nos opinions. Nous aurons ainsi moins de peine à arriver à la fin de cette guerre. Vive le Roi, mes amis, vive la Belgique ». 15 Reçois une carte de Gustave datée du 29.11. 16 La police est renforcée. On craint une manifestation. Très froid. De garde. Le 18, la division va occuper le secteur de Ramskapelle. Nous avons donc eu à peine un mois. Certains prétendent que la manifestation flamande est la cause de notre départ. Je n’y crois pas mais déjà nous renvoyer aux tranchées est un peu fort. La 4 et la 5 DA ont eu plusieurs mois de repos. Nous étions en 1ère ligne pour les pluies d’obus, nous y serons encore pour les pluies de neige. 17 Très froid. Cafard général. La mauvaise saison dans les tranchées ne nous dit rien de bon. On croit à une grande offensive boche pendant l’hiver ou dans les 1ers beaux jours. Comment 187


va-t-on tenir ? Certains journaux semblent préparer l’opinion à un petit échec. Ils avouent que les Boches nous sont supérieurs en aviation. 18 Très froid. Demain, la division reprend le secteur de Ramskapelle pour deux mois dit-on. Des bombes sur La Panne. 19 En auto pour Furnes au nouveau cantonnement de la Cie. Pauvre cantonnement. L’aprèsmidi à l’état-major du 15ème de ligne où je passe en subsistance. Les 6 caporaux d’une certaine éducation passent à l’infanterie. Quelle idée Braun a-t-il en tête ? Logé à Wulpen avec les patrouilleurs. Chaque régiment a 20 patrouilleurs qui ne font rien d’autre que les reconnaissances. Drôles de « coco » demi-toqués qui se croient des diables. Facile pourtant de les apprivoiser. Je couche dans un petit grenier très agréable près du pont de Wulpen. Au rez-de-chaussée, un petit feu. Les hommes vont voler du charbon à l’intendance. Il y a certainement 1000 kg dans la cave. 20 Température plus douce. Brouillard d’hiver. Du givre partout. Quelques minutes à l’extérieur et l’on devient un bonhomme de Noël. Le soir, je vais aux tranchées. Toujours le vieux secteur de 14 quand nous arrêtâmes les Boches. Ramskapelle et les environs ne sont plus que ruines. Inondation en avant de la ligne principale au chemin de fer. La 1ère ligne aux avant-postes se trouve à ¾ H du chemin de fer. On y arrive par les passerelles. En cas d’attaque, la Cie aux avant-postes est sacrifiée. La 1ère ligne allemande se trouve sur la rive gauche de l’Yser. Le secteur est calme. Secteur canard. Quand les Anglais étaient à Nieuport, il y faisait plus dangereux surtout pour les gaz. Les Français sont plus calmes. Les Anglais avaient des batteries jusque dans les inondations. Malgré cela, ils ont perdu un terrain précieux que les Français désespèrent de reprendre. 21 Toujours très froid. Heureusement, le petit feu réjouit. Service très agréable. Tous les 3 jours, je vais vérifier le matériel aux tranchées. Promenade hygiénique. Au cantonnement, entièrement libre. Joseph m’envoie la photo de Rosa et Pauline. Heureux de revoir des figures amies. Depuis trois ans, rien de Pauline. Aujourd’hui, ses amitiés. Que signifient son silence et cette carte ? Triste de ne pouvoir correspondre avec eux. Pauline est devenue une femme. Qu’en est-il de son cœur ? 22 Je voyage toute la journée. Quelques blessés dans notre secteur canard. Mon service est très bien et je m’amuse aussi bien que possible à l’E.M. du 15ème. 23 Nous allons à la Cie. Dubois rentre de congé. Un petit verre de […]. Ça remue. Chez Gulton au 60 très bien installé. Nous y prenons le café. On fait des visites. Emile et Lefebvre y sont aussi. Je reçois un magnifique paquet et les vœux de Noël de Marguerite de Mey, ma première correspondante. Elle ne m’écrit qu’au bout des quatre temps mais a des attentions très agréables. Je n’ai donc pas à me plaindre de ses silences. Paires de bas, cigarettes allemandes, savon, cirage, vaseline, cacao, confiture et papier à écrire formaient le paquet. 24 Je vais aux tranchées après-midi. Pas sans émotion. Je recherche les places où j’ai reçu les fameux jours de 14. Tout est encore là. Aujourd’hui, de gros abris à la digue. Des passerelles partout. Des emplacements pour mitrailleuses. Ramskapelle est complètement 188


détruit. Hier les Boches ont tiré des obus à gaz (moutarde). Le soir, triste au milieu de ces campagnes désertes. 25 Pas de cloches. A la messe de Noël dans l’église de Wulpen. La moitié est démolie, l’autre, fermée par une cloison en planche, souffre des intempéries. Le plâtre tombe sur l’assistance. Le mobilier d’avant est toujours là. Pourquoi exposer ainsi de beaux meubles qui seront si nécessaires après la guerre. Une petite crèche, l’enfant, quelques bougies, le tout placé sur un autel de côté. C’est tout pour Noël. Je vais à la Cie et chez Gulton. Partout la même tristesse. Les pensées sont au pays. Grêle et neige, très froid. Le temps augmente encore la tristesse des cœurs. 26 Je reçois de Mr Maton British Club for Belgium Solidar un paquet contenant canif, paires de bas, confiture. Hier, j’ai mangé du chat ! Les patrouilleurs avaient acheté pour dîner, poules et lapins. On me servit une cuisse qui me parut bien grande. J’eu des doutes. Aujourd’hui, ils m’ont dit qu’en effet, c’était du chat. La viande était bonne pourtant. Il est bon de ne pas en connaître la provenance avant le dîner ! Un manteau blanc sur route la terre. Le sol étant gelé, la neige reste. La circulation pour chevaux est très difficile. 27 La nuit, les Boches tirent sur le pont de Wulpen à 300 m d’ici. Ils recherchent une batterie cachée dans les ruines. […] est remplacé à Salonique. 28 Aux tranchées. Les Boches tirent sur Nieuport. Très froid. Quelle chance d’avoir un petit feu. Au cantonnement, je ne le quitte pas. 29 On jette du sable sur les routes sur lesquelles la neige forme glace. Le soir, violent bombardement du côté de Dixmude. 30 Les types préparent un chat. J’en mange un peu. La viande est bonne. Tout l’après-midi, nous faisons des frites. Une véritable orgie de frites. Les pommes de terre avaient été chipées à l’intendance. Nous mangeons aussi des moineaux. On ne s’en fait pas. 31 Très froid. Les routes sont de véritables glaciers. On y jette du sable. L’après-midi aux tranchées. Très difficile de marcher sur les passerelles. On continue de parler de l’offensive boche mais rien n’annonce de grands évènements ici.

1917 passe. La guerre continue. Les Russes nous ont lâchés. Les Américains arrivent. Année de désillusion. Année à oublier. Pourtant, j’ai encore été assez heureux. Je n’ai manqué de rien. Toujours de l’argent en poche. Une bonne nourriture. Un service assez agréable. Bonne santé. Des congés chez des personnes qui me sont très dévouées. Ma chère famille m’a manqué. J’ai souffert de ne pas avoir eu ces joies intimes de la famille en partage. Souvent ma solitude m’a pesé. L’ennui, le découragement m’ont quelque fois torturé mais je suis encore heureux à côté de tant de jeunes gens qui ont moins de consolations encore. Je veux finir cette année sans me plaindre. Certes, loin de mes aimés, je ne pourrais être heureux mais la souffrance est nécessaire à l’homme. Je n’ai pas à gémir quand eux, là-bas, sont cent fois plus malheureux que moi. Chers aimés, si la mort devait me frapper avant le retour, 189


puissiez-vous lire ces lignes. Je finis l’année aussi heureux que possible, encore toujours votre même Victor qui pense à vous, vous embrasse tous, vous aime.

1918. Que nous réserve cette nouvelle année ? On ne parle que de la fameuse offensive boche. Je ne crois pas que les armes finiront encore la guerre cette année. Compter sur la lassitude des peuples est bien dangereux. Nous devrons voir l’effort américain avant de parler de la paix. Viendra-t-elle cette année ? On n’oserait encore l’espérer quoique la guerre ne puisse être éternelle. Au commencement de 18, ma situation est aussi bonne si pas meilleure qu’en 17. Espérons que Dieu les protégera, me protégera cette année comme il l’a fait jusqu’à ce jour, que je resterai en excellente santé et que bientôt, j’irai les revoir tous. Puisse cet hiver ne pas leur être trop pénible et la bonne saison les voir tous en bonne santé. Commençons cette année plein d’espoir, confiant en la victoire prochaine.

Janvier 1918 01 Je vais à la Cie. Braun est rentré de congé et semble tout heureux. Les hommes sont assez gais. L’après-midi, corvée avec la charrette de la cuisine. En allant le soir jusqu’aux tranchées, notre bidet fait le mort. Les routes sont de véritables glissoires. La journée est calme sur notre front. Je reçois un paquet de Noélie. Les Boches font des […] du côté de Cambrai. 02 La nuit, canonnade à Nieuport. Quelques obus près du pont de Wulpen. Dégel. Température très douce. 03 Les Boches arrosent notre 3ème ligne avec des obus à gaz. Un prisonnier fait par les Français avait averti l’état-major. Brouillard. Quelques obus à gaz tombent dans nos environs. 04 Le gaz sort surtout aujourd’hui des trous d’obus. En 1ère ligne on est obligé de mettre ses masques. Ce gaz brûle. Il n’est pas encore connu. Il sent la moutarde. Malheur à celui qui arrive près d’un trou d’obus à gaz. Ce gaz attaque particulièrement les parties et les yeux. Plusieurs hommes sont évacués les testicules gonflées ou aveugles. 05 Aux tranchées, on jette du chlorure de chaux sur les trous d’obus à gaz. Dégel. Hier, on glissait sur le canal. 06 De nouveau des hommes sont brûlés par des éclats d’obus ramassés près des tranchées. L’Angleterre définit les buts de la guerre qui ne doivent guère plaire aux Boches. Je vais à la Cie. François et Lechien ont un petit verre. 07 Très froid. Je rentre à l’état-major. Dégel. 190


08 Froid de nouveau. Aux tranchées. Neige. 09 On m’annonce la mort de Mr Louis Forêt, décédé à Houilles le 4. Le fils est en ce moment à l’hôpital gravement malade. En exil, journée cruelle pour cette chère famille. 10 Les soldats ne peuvent plus porter la casquette ou jambières. C’est réservé aux officiers. Nous devons cette mesure à notre estimé ministre de la guerre. Regrettable que des soldats fussent plus élégants que certains officiers. 11 Nous allons probablement recevoir la jambière américaine. Nous n’aurons donc jamais une tenue vraiment à nous. Ils prennent tout des alliés, excepté la solde. Dégel, la température est douce. A la Cie. Gulton est rentré de congé avec un cafard extraordinaire. Wilson définit les propositions de paix. C’est peut-être le commencement de la fin. Ce serait heureux. 12 Beaucoup d’hommes qui étaient aux tranchées lors de l’émission de gaz souffrent de la poitrine et de la gorge. Le plus fort est que les médecins n’ont rien à donner pour gargariser. 13 On met Wulpen en état de défense. Tout le long du canal, des défenses en fils barbelés et des tranchées. Notre état-major semble craindre une attaque boche sur Nieuport. Gèle de nouveau. Les journaux boches se moquent des conditions de paix américaines. Elle mobilise, paraît-il, pour le cas où les pourparlers de paix n’aboutiraient pas. 14 Le secteur est triste. Les hommes s’y embêtent. Ils doivent travailler beaucoup et le plus pénible, faire de longs trajets pour se rendre au travail. Quand on sort, on se sent pris par cette tristesse, cette mélancolie que respirent ces plaines désertes sans horizon. De la neige partout. Les routes sont glissantes. Le soir, il pleut et il vente. Le temps change chaque jour. 15 Pluie. La neige a déjà disparu. Il paraît que nous reprendrions Nieuport aux Français. Les Anglais appuieraient jusqu’à Dixmude. On cite des paysans d’ici qui ne savaient même pas compter et qui ont gagné dix mille francs. Il s’est fait de véritables fortunes dans ce pays pendant la guerre. Certains cafés ou magasins ont économisé des centaines de milliers de francs. 16 Les jours derniers, un soldat du 5ème de ligne aux avant-postes a causé avec les Boches. Il y a enquête. Les hommes ont fraternisé. Même un étranger qui arrivait à l’avant-poste était prévenu qu’on ne tirerait pas. On donne comme excuse qu’on devait placer du fil de fer barbelé. Le soldat va passer en conseil de guerre. 17 Neige et très froid. Les hommes qui ont été pris par les gaz toussent toujours et sont enroués. Ils se présentent au docteur et celui-ci n’a rien à leur donner. Une honte que de laisser ainsi ces malheureux. Arrestation de Caillaux19. Les fruits sont-ils assez pourris pour qu’on les coupe ?

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Joseph CAILLAUX (1863-1944) est accusé à tort par Léon Daudet (fils aîné d’Alphonse) de « trahison systématique, altière et doctrinaire ». A la demande de son vieil ennemi Clémenceau, il est arrêté le 14 janvier

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18 Dégel. Les eaux montent. Les passerelles sont sous l’eau. En France, on prétend que la guerre finira dans quelques mois. Les journaux renseignent des émeutes en Allemagne. En France, la situation est aussi critique. Chaque nouvelle arrestation concernant l’affaire Caillaux. A la chambre française, les députés font la guerre. 19 A Londres, un ami en congé chez ses parents a eu deux fois de la viande en 14 jours. 20 Belle journée. Les patrouilleurs font la chasse aux poules. Ils en ont « acheté » cinq. 21 Belle journée. Les Français vont toucher 3 frs par journée aux tranchées. Ça viendra ici aussi. Quel dommage que ces bonnes idées viennent si tard. Relève moral. Il fallait quelque chose cette année. 22 Les relations entre l’Allemagne et l’Autriche sont assez tendues. La situation là-bas doit être très difficile. 23 Je reçois deux cartes de Gustave. Ils ont du feu, c’est déjà beaucoup par un hiver aussi rigoureux. On nous lit toute une tartine concernant les congés. Il faut s’habiller de façon à ne pas ressembler à un officier. Leur grand souci est que l’habit les distingue car de l’élégance, bien peu en ont. Plusieurs soldats ont été pris transportant des effets militaires, des bottines et autres objets militaires en France. On ne visite pas les valises des officiers. Ces messieurs sont trop honorables pour les soupçonner !!! 24 Journée de printemps. Heureux de revoir le soleil par ces journées sombres. Ces contrées donnaient le mal du pays. On travaille beaucoup dans le secteur. Les Boches, paraît-il, ont construit une digue en amont de Nieuport pour empêcher les inondations. Il va falloir la démolir. Pourquoi l’avoir laisser construire ? 25 Beau temps. Nous sommes désignés pour partir en congé le 2. Je reçois une carte de Pauline. Joseph en a reçu deux de François. Quelle conduite tenir après réception de la carte de G qui dit tristes sirs qu’on honore aujourd’hui et qui demain seront honnis. 26 Pour 8 frs, je vais retourner une paire de souliers de l’armée. Quand ce travail est bien fait, les souliers prennent un air un peu civil. Malheureusement, mon cordonnier était coiffeur et n’a pu réussir mes bottines. 27 Belle journée mais brouillard que le soleil a peine à percer. Notre armée est reformée. Nous avons trois corps d’armées. Chaque corps comprend deux divisions d’armées, chaque division une division d’infanterie, trois régiments d’infanterie, un régiment d’artillerie et ½ de génie. Il fallait de l’avancement aux généraux. On a trouvé le moyen. Payez, contribuables ! Ridicule que ces dépenses. Si on devait augmenter l’effectif mais les effectifs diminuent plutôt… 5ème, 15ème et 6ème de ligne forment la 2 DI. Evrard, général – 7ème, 17ème et 16ème forment la 8 DI. Drubel commande notre corps.

1918 pour « intelligence avec l’ennemi » (on lui reproche le rapprochement franco-allemand qu’il n’a eu de cesse de préconiser). Amnistié le 3 janvier 1925 d’après WIKIPEDIA

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28 Gelée. Notre ration de pain est augmentée. Nous avons 600 gr. A Paris, ils ont la carte de pain, 300 grammes par personnes. Les permissionnaires vont aussi avoir leur carte. A Londres, le moral est très bas. Les […] et les raids leur font désirer la paix. Londres vient beaucoup en arrière pour la souscription à l’emprunt. La diplomatie secrète peut beaucoup en ce moment auprès de l’Autriche qui désire la paix. 29 La nuit, gelée. Assez froid. Journée magnifique. Partout on bêche les jardins et les moineaux travaillent déjà à leur nid. De Ceuninck fait la chasse aux embusqués. 30 Journée splendide. A Paris, ils ne reçoivent que 300 frs de pain. Je me demande ce que nous ferons en congé. Pas de sucre à trouver à Paris. La situation est critique. On craint une offensive sous-marine contre l’Amérique. Maloy est devant la haute cour. 31 Relève. Je rentre à la Cie. Le lieutenant donne un cours de flamand. Ils sont déjà à la 5 ème leçon. Concours de flamand. Quatre élèves sont présents. Un seul répond ! Les questions étaient posées en flamand à des débutants. Constatons qu’à l’armée, l’étude est bien difficile, que tout le monde n’est pas appelé à être instituteur. Paris bombardé par avions. Londres également. Plusieurs victimes

Février 1918 01 Nous préparons nos paquets. Il faut chercher le moyen pour dissimuler ce que nous portons en congé. On visite les permissionnaires en cours de route. Le soir, je vais au 60. Gulton, Cambier, Mononcle, Loiseau sont là. Le kotje est réuni. Belle soirée. On est en famille. Ils n’ont pas de charbon. Ils vont démolir des abris et scient les gîtes avec une scie de long. 02 Du sucre dans toutes nos poches, du tabac dans un coussinet sur ma poitrine, des cigares dans notre boîte à masque contre les gaz, nous partons en congé. En passant devant les gendarmes, on a un peu la frousse. Si on est pris, on vous renvoie à la Cie avec 8 jours de plomb. 03 Arrivée à Paris à 6 ½ h du matin. Voyage très fatigant. Nous devons aller à la Nouvelle France pour avoir nos cartes de pain. 300 gr par jour. A la Nouvelle France, c’est la caserne. Il faut être à l’ordonnance. […]Les s/off qui prennent les renseignements sont très grossiers. Accueil chaleureux chez Arys. Après-midi, promenade. Nous allons voir les dégâts causés par les bombes des Gotha20. S’ils reviennent encore, beaucoup de parisiens quitterons la ville. En attendant, ils en rigolent. 200 victimes sur 4000000 d’habitants, ce n’est pas bien grave. On 20

Les Gotha G étaient une famille de bombardiers biplans allemands durant la Première Guerre mondiale. Ils remplacèrent les Zeppelins devenus très vulnérables aux attaques aériennes et les tirs depuis le sol d’après WIKIPEDIA.

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commence des boyaux de protection autour des principaux bâtiments de la ville. Le soir, au Palais Royal. On rigole de bon cœur. Le lit, ça vaut mieux qu’une paillasse. 04 Chez Forêt. Le fils Lucien est mort. Le fils et le père en un mois, c’est trop pour ces femmes. Jeanne n’est plus là. Bel appartement. Les loyers à Paris sont très chers. Le soir à la Cigale, revue franco-belge. Le soir, Noélie nous attend dans un café extra. 05 L’après-midi chez Jeanne. Accueil chaleureux. La maman est chez son autre fille où elle peut parler de son fils. Jeanne très courageuse. Elles ont pu assister aux derniers moments de Lucien et recueillir ses dernières volontés. Marie-Thérèse a le cœur brisé mais se résigne. Hector est un peu froid. A 9 h nous rentrons. Très noir dans les rues de Paris. On se demande si les avions vont venir. Café chez Noélie. 06 Chez Louise. Accueil du pays. Elle est contente de son poste. Elle attend Aline. La carte de pain est risible. Dans les restaurants, on a 100 gr de pain pour dire sans carte. Nos cartes servent à acheter de la farine. Le soir au Kursall. Bolo21 passe conseil de guerre. 07 Chez Jeanne. Le soir à l’opéra : Rigoletto. Nous faisons la connaissance de la sœur de Noélie rentrant de Russie. Elle déteste les Russes. En rentrant en Angleterre, elle a été étonnée de voir les magasins aussi bien fournis. 08 Chez Forêt. Au restaurant, les légumes sont détestables. Le soir à l’Empire. 09 Moyennant finance, on peut obtenir des gâteaux dans les boulangeries. Les riches ne peuvent souffrir de la guerre. Le soir au Châtelet. Belle mise en scène. Les théâtres sont bondés. On s’amuse bien à Paris. La révolution est encore loin. 10 A Houilles avec Jeanne et Marie-Thérèse sur la tombe de Mr Forêt. Triste pélerinage. 11 A Paris, il existe un cimetière pour les chiens. Certaines femmes portent des fleurs sur la tombe de leur toutou. Une honte. Nous visitons le Jardin du Luxembourg. Le soir, à la Comédie Française : L’Abbé Constantin. 12 A l’Opéra en matinée. Hamlet. Souper chez Jeanne. 13 Déjà visite d’adieu. Le cafard vient. Le soir, on nous tire les cartes. On rigole. Chez Arys, souper extra avec Champagne. 14 Déjeuner chez Jeanne qui nous fait un joli paquet pour retourner. A 6 h on reprend le train. 15 Bolo condamné à mort. Et d’un. A 10 h, rentrée au cantonnement. Une carte de Gustave m’attend. Ils ont reçu ma photo.

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Paul Marie BOLO (1867-1918) était un aventurier français lié, entre autres, au ministre Joseph Caillaux avec lequel il échange une correspondance. Il entre en contact avec des banques allemandes et étrangères dans le but de contrôler des quotidiens français et d’en faire des organes d’influence pro-pacifiques. Condamné à mort le 14 février 1918, il est exécuté au Fort de Vincennes le 17 avril 1918 d’après WIKIPEDIA.

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16 Très froid. Il gèle de nouveau. Belle journée. Attaque dans le secteur. Les Boches nous enlèvent des hommes. 17 Je vais voir Emile et Michel. Belle promenade. Je passe chez Joseph Scheen qui me prépare une tasse de Chocolat. Le mouvement flamand continue. Les Boches y poussent. Une manifestation devait avoir lieu à Pollinkhove. A l’heure du rassemblement, des obus sont tombés dans le village. On prétend que ce sont des obus anglais. Le général Bernheim ayant dit un jour qu’il mitraillerait les manifestants, on lui a envoyé une note lui disant que lui, petit-fils d’un juif boche, serait mieux à sa place dans un lieu de concentration et qu’on verrait à le mitrailler lui-même. 18 J’ai le cafard. Le soleil pourtant réjouit. 19 Un chien de la Cie ayant mordu un enfant, tous les chiens doivent disparaître si on ne tue pas le chien qui a mordu. La Cie est en émoi. On ne sait que faire pour sauver le toutou. Finalement, le 1er sergent qui est désigné pour participer à l’exécution, sauve la situation. On cachera le chien quelques jours et il dira au lieutenant que le chien a été noyé. Le soir, le propriétaire du chien paie à boire. Attachement du soldat à son chien. 20 Charles Humbert22 arrêté. Lui qui a mené la fameuse campagne des canons, des munitions est donc aussi un vendu. Je pars à l’état-major du 16ème de ligne. Je loge avec les signaleurs. Bon accueil et bien logé. 21 Des grosses pièces 305 placées derrière Oudecapelle tirent sur une digue que les Boches ont construite en avant de Nieuport. Les boches répondent et un obus pénètre dans un cantonnement sans éclater. On évacue les baraques pendant le jour et les pauvres piotes seront obligés de rester sur la rue par pluie et ce vent. Je vais aux tranchées. Le major Bredal est un véritable maniaque qui se gobe. Il parle des projecteurs et n’y connaît absolument rien. 22 Temps brumeux. 23 Les Russes sont prêts à signer la paix. Les Boches avancent en Russie. La révolution n’aura donc pas servi aux Russes. Les Boches montrent leur caractère. Ils veulent tout et profitent de leur force. 24 Je reçois des nouvelles de Gustave et la photo de la sœur d’Emile. Dans les tranchées, sur les […] du hareng salé séchant au grand air. Depuis des mois et des mois, ils nous donnent de ces boustringues « gendarmes » et « sorets ». On en est fatigués, dégoûtés surtout que beaucoup sont pourris. 25 Pluie et vent. Le génie construit une troisième ligne de défense extra forte. On travaille avec fièvre dans le secteur.

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Charles HUMBERT (1866-1927) est arrêté le 18 février 1918 dans son château de Mesnil-Guillaume près de Lisieux pour intelligence avec l’ennemi (voir aussi Paul Marie Bolo). Il sera acquitté.

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26 Je vais à la Cie. Les Boches tirent sur une pièce tirant sur Nieuport. Les socialistes alliés se réunissent à Londres. Cela pue les Russes et s’ils nous apportent la paix russe, nous sommes à féliciter. 27 Les nouvelles de Russie sont confuses. Les Russes acceptent la paix et les Boches avancent toujours. Que signifie cela ? 28 Belle journée. Clémenceau visite notre front. Le Roi est allé à Nice. Ne pourrait-il pas y envoyer les vieux de la vieille ?

Mars 1918 01 Magnifique pointe du jour. Quelques étoiles. A l’horizon, les nuages se tirent et dans les échancrures de leurs longues bandes, ils laissent apercevoir un ciel merveilleux. Une légère glace sur les fossés et de la poudre blanche sur les jeunes herbes. Quelle belle journée on allait avoir. A 7 h, la pluie tambourinait sur le toit de la baraque… A 8 h, un beau soleil. Bientôt un vent de décembre se levait pour nous amener la giboulée. Très froid. J’ai un puissant rhume. Le Japon est sur le point d’intervenir en Sibérie. 02 Les Boches attaquent sur notre front et nous prennent des prisonniers. Nous prenons un Boche. Nos feux de barrage tardent trop. On craint une grande attaque sur Nieuport soutenue par des navires de guerre. 03 Température plus douce. Les Boches attaquent nos avant-postes. Les Boches lancent du gaz à Dixmude. Le mouvement flamand continue. On prend des mesures. Contre-appel le soir. Arrestation de tous les soldats après neuf heures. Les Wallons veulent aussi manifester. Cela sent le Boche. 04 Opérations boches arrêtées en Russie. La paix est bien signée. Le Japon fait des démarches en Amérique pour son intervention. 05 La nuit, attaques boches. Franz vient nous voir de Calais. Scandaleux ce qui se passe à la base. Ils font du commerce avec les Anglais qui, avant de partir pour le front, vendent leurs effets. 06 La nuit, violents feux de barrage. Les Boches occupent nos avant-postes occupés avant par la cavalerie. Le matin, les nôtres reprennent les postes. Nous perdons 115 hommes, tués et blessés. Nous prenons 105 Boches et beaucoup de cadavres gisent dans les fils de fer barbelés. Surpris par notre feu, les Boches n’ont pu réussir leur attaque qui, une heure plus tôt, aurait pu avoir du succès. Notre artillerie fit un véritable massacre de Boches. Toute la journée, grand ravitaillement. Les routes sont encombrées de caissons à munitions.

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07 Belle journée. Le noir frais des terres nouvellement retournées, le vert des blés d’hiver et des jeunes herbes frissonnant sous les rafales du vent parlent des beaux jours. On se sent plus heureux, l’espoir revient et pourtant, que nous réserve la belle saison ? 08 Violente canonnade à Ypres. Les Boches deviennent nerveux. Journée splendide. 09 Reçois de la maison carte Adelin et photo de ses parents. Le soir, violent tir de barrage. Alerte pour les gaz. Les Gotha ont survolé Paris et Londres. L’attaque boche sur nos avantpostes était sérieuse. On cite de magnifiques traits de courage de la part des cavaliers à pied qui ont contenu l’attaque et contre-attaqué. 10 Journée magnifique. L’avance boche en Russie est arrêtée. Les Boches ont montré ce qu’ils étaient et démontré qu’avec eux, on ne peut que traiter en vainqueur. La Pologne, la Roumanie et la Russie en savent quelque chose. Clémenceau prononce un magnifique discours23. 11 Les Boches attaquent de nouveau sur notre front. Ils lancent des obus asphyxiants. Le beau temps continue. La campagne change d’aspect à vue d’œil. Les internés en Hollande se plaignent beaucoup. 12 Alerte pour les gaz. Les Boches tirent des obus à gaz à Dixmude. On ne peut plus dormir une nuit tranquillement. 13 Journée magnifique. C’est l’été. Quel dommage de faire la guerre par un tel temps. Les Boches tirent des obus sur nos dépôts de secteur. 14 Pluie et plus froid. Les Boches nous envoient des gros noirs un peu partout. 15 Alerte aux gaz. Je fais une ballade en vélo. On fait des travaux extraordinaires à l’arrière. Craignerait-on une attaque sérieuse sur ce front ? 16 Je pose pour un soldat signaleur artiste peintre. Les Boches bombardent nos routes. On n’est pas trop rassuré. 17 Je vais à […] voir Emile, Michel, Octave et Louis, de vieux amis. Emile est en service de culture de l’armée. Dans les cantines, on vend les tasses de café 0,05. Des galettes 0,05. 18 Le matin, alerte aux gaz. Les Boches attaquent de nouveau au secteur des cavaliers. Du gaz puis attaque. Ils prennent nos petits postes et la grande garde. Le soir, notre bombardement oblige les Boches à évacuer nos postes… Les Boches tirent sur nos cantonnements. Le major Bontin est tué. Quelques blessés. Les autos de la Croix-Rouge passent et repassent. L’auto des 60 est mise hors d’usage par des éclats. 19 Les Boches détruisent ce qui reste de maisons. Ils bombardent partout, cantonnements, villes, La Panne, Furnes, Lo, etc. 23

Le 08 mars 1918, Georges CLEMENCEAU (1841-1929) fit un discours à la Chambre intitulé « Je fais la guerre » destiné à relever le moral des français, à lutter contre le pacifisme et le défaitisme tout en respectant les lois d’après www.dacodoc.fr et www.juliendaget.perso.sfr.fr

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20 Alerte aux gaz le matin. Violent bombardement sur nos batteries et à l’arrière. Beaucoup d’obus à gaz. Nos batteries répondent. 21 Toute la nuit, des obus tombent autour de la baraque. On ne dort pas. Des gaz sur Pervijze. Relevé, je rentre à la Cie à Furnes. Les Boches bombardent Furnes furieusement. Il y a plusieurs victimes civiles. Plusieurs familles s’en vont. Les obus tombent tout près du cantonnement. On n’est pas trop rassurés. On fiche le camp dans une tranchée. Le Roi passe à Furnes dans la journée. 22 Le bombardement est tel que le lieutenant décide de déménager. On démonte la cantine pour la remonter en dehors de la ville. Le ministre de l’intérieur interdit de la monter à proximité de l’école. La Cie va à Caeskerke. Je reste avec trois hommes pour garder les cantonnements. Les Boches continuent à bombarder Furnes. Ironie, entre les obus, la vieille tour carrée continue à sonner les heures. Les civils quittent la ville. Le soir, les obus éclatent avec un bruit de tonnerre puis le silence de mort. Dans les bombardements, les hommes ont ramassé mille choses. Le soir, nous trayons les vaches à la ferme et nous nous préparons un chocolat épatant. Toute la nuit, des obus. Les rodeurs profitent de la fuite des civils pour piller. 23 Toute la journée, malgré les bombardements, deux miss vont avec leur auto chercher les blessés, infirmes, malades qui sont restés dans les caves à Furnes. Deux femmes magnifiques. A midi, nous dînons à la ferme. Nous aidons le fils à conduire son bétail en lieu sûr mais il doit nous nourrir. En train de manger une omelette, un obus nous oblige à déguerpir. Un obus au milieu de la rue. L’après-midi, les Boches ne tirent plus autant. Tous les civils doivent évacuer la ville pour ce soir. Triste spectacle que ces familles fuyant aussi vite qu’ils le peuvent, courant presque malgré le poids de leurs baluchons. 24 A midi, omelette, vin. Vers 9 h du soir, nous sommes assis autour du feu dans le cantonnement. J’arrange mon sac. Un obus vient éclater sur le mur à deux mètres de nous. Une brique me frappe à la nuque et me projette par terre. D’autres matériaux me tombent sur la tête. Au moment même, je croyais être gravement blessé. Nous courons dans l’abri en béton où les amis constatent que je n’ai que quelques égratignures. Les autres n’ont rien. Quelques minutes après, je reviens avec […] au cantonnement. Des lits cassés, des éclats partout. Ils ont passé au-dessus de ma tête allant jusqu’à couper net une grande scie de long pendue à la paroi. Je l’ai échappé belle. Là-dessus, nous buvons une bouteille. Nous avons eu peur. Je couche la nuit dans le cantonnement. 25 Le matin, je suis relevé. Je vais à l’infirmerie. La tête me fait mal et j’entends un bruissement continuel, effet de l’explosion. La Cie est à Steenkerque où les Boches ne bombardent guère. On y construit un baraquement. Les Boches font une grande offensive en face d’Amiens. Ils avancent de 40 km et font des milliers de prisonniers. La 5ème armée anglaise a plié ! Ce n’est pas l’offensive anglaise de l’an dernier. Un canon monstre tire des obus de 24 sur Paris à une distance de 120 km. 26 Travaille à la construction de la baraque. Les Anglais reculent toujours. Les Français ont pris une partie de leur secteur à leur compte. 198


27 Mille canards circulent à propos de l’offensive. Les trains de permissionnaires ne viennent plus à Furnes. Très froid. 28 Le matin, je vais à la communion à Steenkerque. Petite église respectée jusqu’à présent par les Boches. Pas d’ornement, quelques bougies à l’autel où est exposé le St Sacrement. Dieu lui-même semble vouloir souffrir pendant la guerre. Le soir aux tranchées, secteur Nord près de Nieuport. Nous avons trois heures de marche. Nous avons pour nos quatre jours, un litre de genièvre, 10 pains 11,50, 5 kg de viande 11,50, 1 kg d’oignons 0,80, 1 kg de graisse 3,05, 1 kg de café 3,05 et chicorée, 1,20 le kg à l’intendance militaire. 29 La nuit, quelques obus à gaz. On attend avec impatience les nouvelles de la Somme. Un obus boche détruit une église à Paris au moment de l’office de l’après-midi. Nombreuses victimes. Les Boches peuvent s’en vanter. 30 L’offensive boche semble arrêtée. Amiens est menacé. La population est évacuée. Une offensive se prépare contre l’Italie. Le Japon décide de ne pas intervenir en Russie. Il n’y a pas assez à gagner. Le droit, l’oppression de petites pour les grandes puissances, vaste blague ! L’intérêt, c’est tout ! Un soldat allant en congé en Angleterre a été trouvé sur le bateau porteur d’une photo : quatre hommes près d’un projecteur. La sûreté a fait toute une histoire. L’appareil photographique appartenant à un de nos chauffeurs est saisi. La photo d’un espion aurait-elle fait tant de chichi ? 31 Les soldats pêchent partout dans les inondations et prennent assez bien de poisson. Le bombardement de Furnes diminue. Le matin du 27 mars, tandis que les obus tombaient sur Furnes à raison de deux à la minute, la guillotine française a fonctionné : un militaire belge condamné à mort pour crime de droit commun par un Conseil de guerre dont le jugement a été confirmé par la Cour militaire24.

Avril 1918 Relève aux tranchées. Les Boches bombardent nos dépôts. La boulangerie militaire ayant été bombardée, nous ne recevons qu’un quart de pain français. Quelques obus et notre armée est affamée. C’est du propre. Les congés sont fermés. 02 Le nouveau cantonnement est fini. On s’y installe. Je suis cité à l’ordre du jour du régiment et je reçois 5 frs de Braun.

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Il s’agit de l’exécution d’Emile FERFAILLE, criminel belge et dernier condamné à mort de droit commun à être guillotiné de toute l’histoire de la Belgique. C’est Anatole Deibler, bourreau de la République française, qui fut mis à la disposition de la Belgique par Georges Clémenceau. Il usa d’une guillotine de campagne venant de Douai car il aurait fallu traverser les lignes ennemies pour aller chercher l’une des guillotines belges à Bruges … d’après WIKIPEDIA

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03 Foch général en chef des armées alliées. Pétain et Haig commandent l’armée française et l’armée anglaise. L’unité de commandement, enfin ! Je blanchis le cantonnement. Nous serons assez bien installés. Quel travail que ce déménagement. 04 Activité sur le front italien. Pluie. Très froid. 05 Aux tranchées secteur Nord. L’offensive en Picardie semble reprendre avec plus de vigueur. Nos aviateurs travaillent magnifiquement. 06 On esquinte les hommes dans ce secteur. Le G.Q.G.25 recommande aux officiers que le moral des troupes dépend d’eux et qu’ils ne font pas assez pour encourager le soldat. Ici, à peine rentrent-ils des avancées qu’ils attrapent corvées puis travail. Le commandant a soin de ne pas rester au travail. Les hommes attendent dans la boue deux grosses heures puis on leur dit qu’ils ont à remplir 300 sacs. Il a fallu donc embêter ces hommes pendant trois heures

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Grand Quartier Général : structure de commandement française utilisée à l’occasion de la Première Guerre mondiale qui deviendra le Grand Quartier Général des armées alliées (GQGA) dirigé par le général Foch à partir du 26 mars 1918 d’après WIKIPEDIA

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pour remplir 3 sacs par homme. C’est honteux. Certains officiers travaillent pour la révolution sans doute. Tas de Boches va ! 07 Mouvements en Irlande. Irlandais et Flamands font le jeu des Boches. Mais pourquoi ceux qui disent conduire la guerre pour le droit des peuples, la liberté, ne donnent-ils pas la liberté à ces peuples ? On nous bourre le crâne avec ce droit, cette liberté. On dit que les Boches sont à 3 km de la ligne de chemin de fer Amiens-Paris. Nous recevons 600 gr de pain. Beau temps. 08 Les Boches ne doivent plus avoir beaucoup de troupes devant nous. Des mitrailleurs et quelques sentinelles. 09 La vague boche semble endiguée. Attaqueront-ils sur un autre point ? Le moral français est épatant. Des poilus ont battu en retraite les larmes aux yeux. Le soldat français est extraordinaire. Avant l’action, ils en ont marre puis c’est un diable. Relevé aux tranchées. 10 Au cantonnement. Corvée sur corvée. Braun loge près de nous. Il est continuellement dans mes pattes. On est beaucoup plus tranquille aux tranchées. Jean Léonard et J. Scheen viennent me voir. La guerre n’a pas réfléchi notre Jean. C’est encore et toujours un naïf. 11 Brouillard. Triste. On ne peut se laver dans les fossés. Un tonneau d’eau est mis à notre disposition le matin. On se lave de 6 ½ à 7 ½. Caserne quoi. Braun est l’étoffe de boche. Nos divisions ont 144 canons, nombre qui ira jusqu’à 200. Les divisions françaises en possèdent 300. Quand on pense qu’en 14, nous en avions 320 pour toute l’armée et les Boches n’ont pas passé. Les Boches attaquent à Arras paraît-il. Mille bruits circulent. On ne sait que penser de l’effort boche. On doute de nouveau d’avoir la paix cette année. 12 Enfin on me paie mon chevron de quatre ans. 33,80 frs. Déjà une jolie sommes pour un poilu. Les Boches attaquent à La Bassée. Les Anglais ont de grandes difficultés en Irlande. 13 Grand vent. Très froid. Aux tranchées. Les Parisiens fichent le camp. Les gares de la capitale sont encombrées de bagages. Armentières est pris. 14 La situation est grave. On prépare la retraite. On dépave certaines routes. On en coupe d’autres pour faciliter l’inondation. Les soldats sont tristes. On n’a pas de journaux et les nouvelles alarmantes circulent. Les soldats voudraient la fin mais ils ne veulent pas être battus. Ils quitteront l’Yser avec des larmes et le défendront héroïquement s’il le faut. Nous tuons un canard. Je ne crois pas à la retraite malgré l’ordre venu d’interrompre les travaux. 15 Nous avons un abri calfeutré pour combattre les gaz. Temps sombre. On raconte que les dépôts sont transportés en France, que les bateaux pour nous embarquer sont prêts. La retraite est un fait pour certains. Je reste optimiste. La situation plus grave en 14 a été sauvée. 16 La poussée boche semble endiguée. Le moral aux tranchées se relève. Dans les villes du midi, impossible de trouver une chambre tant l’affluence est grande. Les Parisiens disent être en vacances de Pâques. Vacances de frousse ! 201


17 Braun va nous quitter. Il va aux lance-bombes. Nous pouvons tomber sur un commandant moins soucieux des hommes, plus brute mais pas plus autocrate. 18 Vent et froid. La 3ème D.A. fait 600 prisonniers. Ca fait dire à un général : la preuve que nous ne sommes pas encore des Portugais. Ceux-ci ont ramassé une pile fantastique à la Somme. 19 La situation reste grave. Czernin26 quitte le pouvoir. Clémenceau lui a administré un fameux « stoum ». La bataille va-t-elle s’étendre sur notre front ? 20 Bolo est exécuté. Les obus continuent à pleuvoir sur Paris. Les Gotha y lancent des bombes. Un ami de Gulton, convoyeur de bateaux envoyé là par erreur, est porté pendant 2 ½ mois comme déserteur. On le recherche jusque chez sa femme en Angleterre. Magnifique que le travail de nos paperassiers. De Ceuninck est attaché à l’Etat-major de Foch. Gillain, chef d’Etat-major belge. Rucquoy est remis à la 5ème division. Que signifie ce changement ? 21 Nous recevons nos carnets d’identité avec photo. Enfin. Ce n’est pas trop tôt. Je vais aux tranchées. Les Anglais reculent près d’Ypres. 22 Beau temps. L’offensive continue mais le flot allemand semble endigué. 23 Journée splendide. Les Boches tirent sur Nieuport. Braun fait des siennes. Service à l’ordonnance. Nous formons la Cie tutut. On marche au sifflet. 24 Violente canonnade. Le soir orage. 25 Retour au cantonnement. Un Anglais abat un avion boche qui tombe en flammes à Boitshoeck. L’aviateur, un premier lieutenant, avait un pantalon tout rapiécé, des bas gris recouverts d’étoffe, des souliers grossiers et ferrés. Comparé à nos officiers aviateurs, il n’est pas une preuve de la richesse allemande. 26 On fait l’exercice. Ça nous fait chier. Le gouvernement anglais accorde une décoration au 15 de ligne à décerner à l’officier le plus brave. Un officier est proposé. Arrive l’adjudant major du régiment qui biffe le nom et met le sien à la place. Exemple. 27 Pluie et très froid. Le Mont Kemmel est menacé. On prépare une ligne de défense au canal de Furnes. 28 Je vais voir Emile et […]. Ils sont magnifiquement installés près de Lo. Agréable journée passée en leur compagnie. La flotte anglaise attaque Zeebrugge et Ostende. Le port de Zeebrugge est embouteillé. 29 Il fait tellement froid que nous sommes obligés de voler du bois pour faire du feu. Les Boches prennent le Mont Kemmel. A Amiens, la situation est bonne.

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Ottokar Théobald Otto Maria, comte CZERNIN von und zu Chudenitz (1872-1932) fut un diplomate et homme politique austro-hongrois notamment ministre des Affaires étrangères pendant la Première guerre mondiale d’après WIKIPEDIA

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30 Que va devenir Poperinghe ? Jeanne est partie en France. Noélie et Mr Arys ont quitté Paris pour Hendaye, frontière espagnole. La situation reste sérieuse en Flandres surtout. Les Belges ont leur part de la bataille.

Mai 1918 Le printemps a étendu ses couleurs d’espérance. Des fleurs sourient partout même dans les avant-postes meurtris par le fer allemand. Et sur cette joie, cette vie nouvelle de la nature, souffle un vent de novembre. La nature, dans ses habits de fête, frissonne, glacée par le froid d’hiver. En ce 1er mai, le premier jour du mois des fleurs, de l’amour, nous sentons en nous une force nouvelle, une joie inexprimable, une espérance indéfinie et pourtant, cette allégresse ne peut vaincre une tristesse extrême quand nos pensées vont vers nos aimés inquiets, vers le front où le sang coule. 1er mai, tu ne verras pas flotter le rouge de l’internationale mais ton soleil se reflètera dans le sang du peuple. Mai, mois de Marie. Puissiez-vous, O Mère des peuples, réconcilier vos enfants, arrêter cette boucherie sauvage, consoler les Mères qui attendent ou pleurent un fils. Journée brumeuse et froide. Le bon temps ne viendra donc jamais ? Nous volons du bois et faisons du feu à la cantine. Nous ne recevons pas de charbon, l’hiver à l’administration étant fini. Le canon continue à tirer sur Paris. La situation à Kemmel reste grave. Braun m’avait refusé les jours derniers une capote alors que la mienne mérite d’être pensionnée. Aristocrate jusqu’à la moelle des os. Aujourd’hui, à la veille de son départ, il m’offre une vieille à lui : je la refuse. 02 Notre nouveau capitaine arrive. Braun lui présente la Cie et nous fait ses adieux. Un discours à la Braun. Le capitaine ne répond pas. Il fait assez bien de chichi notre capiston mais il semble assez affable et poli. C’est déjà beaucoup. A midi, il vient à la cantine et demande si le manger est bon. Un imbécile réclame déjà. 03 Beau temps. Le vent reste froid. Le soir aux tranchées. Jusqu’à maintenant, le capitaine semble potable. 04 On semble vouloir fatiguer les fantassins outre mesure. Réveil à minuit. Café et relève des avant-postes à 3 h. Ils y restent 24 h. Rentrent à 3 h du matin dans leurs abris. A 9 h, debout pour le travail. Les hommes sont abrutis. 05 Belle journée. Nous cueillons des lilas dans le jardin d’une ferme abandonnée. A la Cie, notre 1er sergent, le « […] » fait des siennes. Il croit que sans lui, la Cie sombrerait ! L’homme aux deux pieds gauches est décidément biesse. Le soir, orage. Violente canonnade du côté d’Ypres. Les 3ème et 4ème divisions ont assez bien de pertes. 06 Belle journée. Le capitaine vient aux tranchées. Il porte plusieurs décorations. Il faisait partie du détachement du génie belge à la bataille de la Somme. 203


07 Relève. Le capitaine chipote toute la journée. 08 Les Allemands soufflent. Leur offensive ne leur a guère réussi. Que préparent-ils ? Sa situation intérieure de l’Autriche n’est pas brillante. 09 Je vais avec Joseph voir Jean Léonard. Ce naïf ne changera jamais. Ordonnance d’un officier, il demande pour aller au travail et ainsi gagner l’indemnité de trois francs. L’indemnité de combat de un franc est portée à trois francs. On touche un franc, le reste est porté au pécule du poilu. Une honte. Cet argent, en cas de décès, ne retourne pas à nos héritiers. Or, comme beaucoup claqueront, le gouvernement semble donner beaucoup et en réalité, il ne donne presque rien. 10 Plus froid. Nous n’aurons jamais la bonne saison. 11 Inspection par le capitaine. Braun, en nous quittant, disait remettre une Cie au point. Or, pas un soldat n’est en ordre. La liste d’affaires nécessaires est colossale. 12 Pluie et très froid. Journée triste. Calme sur le front. Les Allemands doivent préparer un nouveau coup. Où se donnera-t-il ? 13 Nous faisons du feu à la cantine. C’est l’hiver au mois de mai. Je vais à Waasbrug au poste de 60 contre avions. Nous avons une chique baraque et nous sommes hors ménage. La flotte anglaise embouteille Ostende. 14 La température s’adoucit. Les Boches tirent sur Alveringem. On croit à l’offensive boche pour la fin de cette semaine. Le 6 fait quelques prisonniers. La nuit, des avions lancent des bombes. 15 Belle journée. Je fais la cuisine et je rendrais des points au père Victor !!! Le G.G.G. boche est à Spa. La correspondance par la Suisse et la Hollande est défendue. 16 Très chaud. Enfin, voici le printemps. Nous ouvrons la fenêtre au Kotje. Il y fait très frais. La nuit, nous restons à l’extérieur en manche de chemise. 17 Très chaud. On attrape déjà la flemme. A 5 h du soir, des libellules passent en masse. Serait-ce une plaie ? La division va être relevée par la III D A. 18 La situation en Irlande est très sérieuse. Les Evêques irlandais soutiennent les révolutionnaires. Le courrier français n’est pas arrivé. L’offensive est commencée paraît-il. 19 Très chaud. Les Boches attaquent du côté du Chemin des Dames. Les Italiens prennent l’offensive. J’attrape une flemme en règle. 20 Chaud. La division est relevée par la III DA. Demain, nous sommes relevés au poste. 21 Rentrons à midi au cantonnement. « On a du matériel, il faut l’employer » dit notre capitaine ». Donc ce sera un Braun pour le service. Il nous fait installer les 60 en plein champs. Très frais la nuit.

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22 Départ en auto pour Hondschoote, petite ville française à 3 km de la frontière. Impression de ville en arrivant sur la grand’place où est monté un kiosque. Les hommes sortent. Plusieurs rentrent le soir en gesticulant. Je monte à un poste de 60. Le chauffeur ronfle dans l’herbe. Le lieutenant, un peu gris, conduit l’auto dans le fossé. 23 Vent et froid. Après-midi, sortie. 24 On sort. Je rentre la tête en l’air. Je monte sur les chaises et fais des discours. Des purs, seul, Cambier, resté au cantonnement, est sain. Il me fait coucher. Gulton fait des boue-boue parce qu’il a bu trop vite, prétend-il ! 25 Beau temps. J’ai la gueule de bois et mal aux cheveux. Enterrement du maire de Hondschoote. Pas une autorité belge. C’est du propre. 26 A la messe. Belle église. Beaucoup de toilettes. On sent que c’est la ville. Beaucoup de personnes en deuil. 70 tués sur 3000 habitants. Le soir, on danse. Je tourne et reviens un peu piqué. 27 Je danse à tout casser. Les jambes me font mal. Je suis aussi léger qu’en éléphant. Fantastique la légèreté des femmes. Les cafés sont de véritables maisons publiques. Les officiers dévergondent les filles des bourgeois. Triste à constater. 28 Suis allé danser. Les projecteurs n’ont pas dessaoulés de huit jours. Les bourses sont plates. Heureusement, les congés n’exigent pas des sous. On laisse partir un homme tous les trois jours. J’en ai encore pour un mois avant de partir. 29 Relève. A 3 ½ h du matin, départ pour Klein Leisele où nous prenons le tram. Relevons la IV DA. Sommes cantonnés au Lion belge. Magnifiquement cantonnés mais on regrette Hondschoote. Le repos fut un véritable congé. Je ne me suis jamais aussi bien amusé en repos. Le canon tonne. 30 Le canon tire sur Paris. Il paraît qu’un obus est tombé sur La Panne dans la buanderie militaire et a tué quarante ouvrières. La grande offensive continue. Les Boches avancent de quelques km. Les Italiens ont quelques succès. La situation en Autriche n’est pas brillante. Les Sous-marins ont fait faillite. 31 Ma correspondante flamande commence à mordre. Elle oublie qu’elle est correspondante et se laisse dominer par son cœur. Où cela va-t-il nous conduire ? Noélie est dans les Pyrénées. Ma nouvelle correspondante anglaise ne m’écrit plus. Mon ancienne écrit très rarement. Jeanne Forêt n’écrit plus. Elle m’aime, me dit-elle et elle voudrait mon cœur mais je ne peux le donner à personne durant la guerre. Je suis à mes parents avant tout. Un avion allemand descend en 15 minutes cinq ballons. Le soir, il revient et en abat deux nouveaux. C’était un caporal ayant pour mission d’abattre sept captifs pour obtenir le grade d’officier. Ce n’est qu’après avoir touché le 7ème qu’enfin, il rencontra des avions alliés qui le descendirent. Après son exploit, nos avions sillonnèrent le ciel mais, comme toujours, trop tard. Dans ce secteur, nous toucherons l’indemnité de combat un jour sur trois au cantonnement et tous les jours aux tranchées. Bonne affaire pour la solde. Les permissions 205


sont suspendues. Les Boches avancent à Soissons. On discute beaucoup de paix mais personne ne voit la fin de la guerre. Pauvres de nous ! Nous rentrerons vieux, bêtes, vicieux et nous devrons commencer une vie plus difficile que jamais car les économistes sont effrayés de la cherté de la vie d’alors qui sera la suite de la guerre. Les congés sont fermés. En France, ils ont été ouverts bien avant et ils restent ouverts ! Pauvre Belgique. Le gouvernement n’a rien à dire. Ils sont les petits et sont trop soumis pour rouspéter. Un balai au Havre…

Juin 1918 Un an plus vieux et la fin semble aussi lointaine que l’année dernière. Quand un adversaire se sent plus faible, il fait des propositions de paix. Se sent-il plus fort, réussit-il un coup aussi, il retrouve de nouvelles prétentions. Où allons-nous ? Quel peuple sera-t-il le plus vite lassé ? 01 Au Thetford camp. Ancien cantonnement anglais. Magnifiquement cantonnés. Un grand hôtel très propre, bien aéré, des lits de camp des deux côtés, au milieu d’une allée en ciment. Les Anglais gaspillent mais leurs cantonnements sont propres et ben en ordre. Les Boches attaquent entre Reims et Soissons. Ils avancent de 25 km et annoncent 25000 prisonniers. 02 Les Boches bombardent l’arrière. 4 signaleurs, le dessinateur et l’ordonnance d’un général sont tués. Beaucoup de malades dans les Cies. Fièvre des marais. Certains fiévreux ont 40° mais guérissent en huit jours. Le 12 artillerie vient de ce côté. La 12 DI va prendre le secteur à notre droite. Il paraît que toute l’armée belge va être en ligne de la mer au Mont Kemmel. C’est du propre. Commandement comique. Les Boches avancent toujours et sont à 90 km de Paris. Ils ont pris les grosses pièces sur rail, des champs d’aviation avec avions. Y a-t-il eu surprise ? Que d’incompétences encore à balayer. Certains critiques croient que les Boches ont encore assez de divisions pour attaquer de nouveau à Amiens. Paris bombardé par Godasse et Bertha. Notre capitaine ne s’occupe guère de nous. Il arrange son kotje, occupe le menuisier à faire une chambre noire. Notre cantine n’a pas de tables mais cela importe peu. Il y a crise d’essence. On nous compte l’essence pour notre lampe aux tranchées mais Mr Berger roule en auto, s’éclaire avec accus qu’on charge sur le moteur de l’armée. Ces messieurs vivent bien. Pourquoi chercheraient-ils la fin ? Ils sont mieux que chez eux. Ces gros de la tête qui prêchent la guerre à outrance sont dans le fromage et s’en fichent pas mal des malheureux qui tombent. Vrai, si les Boches ne nous avaient tant fait, beaucoup lèveraient les bras. 03 L’avance allemande ralentit mais la situation est critique. Le cardinal Hartmans ayant demandé une trêve au Pape, les Anglais décident de ne pas bombarder les villes boches et ainsi permettre aux processions de sortir. Les Boches, eux, bombardent Paris. de Broqueville démissionne et est remplacé par Cooremans. La « Nation Belge » pleure mais la majorité des soldats souhaitent bon voyage à ce monsieur. Que signifie ce départ ? Nous sommes belges, électeurs, nous souffrons pour la patrie et on a besoin de nous cacher toutes les intrigues de ces cocos. Ironie, nous sommes des esclaves qui combattons pour la liberté belge ! Que dit-on 206


chez les soldats : de Broqueville a embrouillé les choses et il se lave les mains. Il est ministre d’Etat !!! La question flamande l’a renversé. Puis l’armée. Combattra-elle en France ? Certains généraux n’en veulent pas. Qu’y a-t-il de vrai dans tous ces potins ? 04 Je reçois une carte de Joseph Schumacher. Je le croyais noyé à la Dyle. Le cas échéant, les alliés défendront-ils Paris ou Calais ? L’armée belge ne sera-t-elle pas sacrifiée ? 05 Deux captifs à nous sont descendus. Trois de nos avions sont sur les lieux mais reviennent à l’arrière en faisant semblant de ne rien voir. Les hommes de l’infanterie en ont marre. Il faut être de l’infanterie pour savoir ce qu’ils souffrent. On ne sait que faire pour rendre la vie des officiers agréable mais pour les soldats, rien. On avait autorisé les soldats à acheter des vélos. Pour rouler, ils devaient avoir une carte spéciale. Aujourd’hui, on leur défend de rouler sans permission. Pour raison : les histoires flamandes, dit-on !!! 06 Deux prisonniers passent. Deux prisonniers ont être échangés. Les nôtres reviendront-ils en France ou retourneront-ils en Belgique ? Certains journaux français mènent campagne pour un rapprochement avec la papauté. L’Italie ferait même des démarches. Déjà l’Angleterre protestante a un de ses princes reçu au Vatican. 07 Des canards circulent à propos de l’offensive. Chaque matin, on annonce un coup français. Hélas, rien ne se confirme. La nuit, quelques bombes autour de notre cantonnement. Le capitaine sort comme un bolide et rouf dans la direction d’un dépôt de paille au milieu des champs. Et dire que cet homme de sang-froid porte trois décorations. Mr Berger mérite des félicitations. Sa place était ici pour nous rassurer. Il est allé dans la Somme et je suppose que comme toujours, les hommes lui ont gagné des décorations. 08 Nos officiers font blinder leurs abris. La frousse. Une honte pour des officiers. Je fais de la natation. L’offensive boche en France semble enrayée. 09 Aux tranchées poste optique. Nous payons le café 3,05, le kg de viande 2,30 le kg, les œufs 0,40 pièce, oignons 1,70 la botte. La censure devient tous les jours plus embêtante. Ces messieurs se permettent tout. 10 Je visite la 1ère ligne boche à l’Yperlée prise par les Français en juin 1917. Des blockhaus partout. C’est une forteresse à côté de notre ligne, une simple tranchée. Quand on voit comment notre défense est organisée, on se s’étonne plus de l’avance boche. Les Français et Anglais ne savent pas travailler. Un Anglais me disait : « Comment travailler, faire des abris ? Il nous faut frotter nos boutons !!! ». 11 Dans ce secteur, de l’artillerie en masse. Les Boches répondent peu. On reproche aux Boches de tirer sur nos ambulances. Or, à la ferme, des paratonnerres, abritée par un grand drapeau rouge logent un major et des télégraphistes. 12 On se demande où les Boches vont de nouveau frapper. Ont-ils encore tant de réserves ? 13 Les Français contre-attaquent. La V DA fait 45 prisonniers.

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14 Le capitaine fait construire un théâtre. Les autos roulent pour aller chercher du bois aux tranchées. Pour nous faire des tables à la cantine, pas de bois à cause de la crise d’essence. Je vais voir Lefebvre à l’hôpital de Beveren, blessé au bras. On nous donne 1 fr d’indemnité tous les trois jours au cantonnement. Seulement, on annonce que l’armée ne lavera plus le linge qu’une fois par mois. Les soldats le laveront eux-mêmes ou le donneront à laver. Et le savon ?! 15 Plus d’indemnité au cantonnement. Misère. Les hommes gagnaient de trop. Le lavage nous coûte 2 frs et si on achète le savon, il faut 0,50 pour une brique et pas d’eau dans le secteur. La V DA reprend le secteur anglais à notre droite. On dit que la 4 DA ira jusqu’au Mont Kemmel. Il y a des désertions à l’armée belge mais quand on voit le sort des fantassins, on comprend le découragement. 16 Concert à la Cie. Très réussi. Offensive autrichienne en Italie. Que va-t-il s’y passer ? On annonce 3000 prisonniers au front italien.

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17 Je reçois une pipe de Ph. Pelfrins, ma correspondante flamande. Elle fait des folies ! La pipe est magnifique. Notre cuisine est piètre. Les sous-officiers sont hors ménage. Ni les officiers, ni les sous-officiers ne s’en occupent et la nourriture est détestable. 18 Un peu de pluie. On fait une collecte pour Colson afin de lui permettre d’aller en convalescence. Entraide militaire. Colson, ancien chauffeur à la Cie. Les nouvelles d’Italie sont plutôt rassurantes. 19 Pluie. L’Amérique fait de nouveau une avance en Belgique. Ciel, quelle dette pour aprèsguerre. En Autriche, la situation est des plus critiques. Grèves et révoltes, suites de la vie chère et de la longueur de la guerre. 20 Je vais à l’hôpital de Beveren. Lefebvre va bien. Un général vient visiter les blessés de son unité. Malheureusement, ses gracieusetés sont plutôt pour les infirmières. Pas un cigare pour les blessés mais la question ridicule : « Vous allez bientôt revenir au front ? » 21 22 hommes du 5ème de ligne disparaissent. Plusieurs cas de désertion à la division. On parle de 100 qui se sont rendus ces jours-ci. Résultat d’une propagande activiste aidée par le surmenage des hommes et le peu de tact de certains officiers. Ces hommes font 9 jours de tranchées puis trois jours de repos. Sur ces 3 jours, ils travaillent encore un. Le 5ème de ligne fait quelques prisonniers et prend une mitrailleuse.

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22 Aux tranchées. Je vais à notre abri du Sud près des remparts d’Ypres. L’abri est éclairé à l’électricité. Il en est de même des abris des officiers. Tous, abris d’une force fantastique réservés aux officiers anglais. A côté, de véritables bicoques pour les hommes. Partout des barrières avec l’inscription « Officers only ». Ces Jam-bot sont 50 ans en retard. L’officier est tout, l’homme un chien. Ça pue le Boche. 23 Je vais en avant de l’Yperlée visiter les boîtes à pilules boches. Formidables abris. Aux environs de ces places, on s’est battu avec acharnement. Les cadavres mal enterrés dégagent une odeur renversante. Un crâne est placé sur le bord de la route. Dans nos lignes, rien. Vraiment, Français et Anglais y ont terriblement travaillé ! Et on s’étonne de la retraite du Chemin des Dames ! 24 Les Belges travaillent. Les terrassiers ! Des tranchées et des abris. Les Autrichiens reculent. La Piave débordant leur a joué un vilain tour. 25 Les avions boches viennent lancer des bombes sur les batteries anglaises. On craint une attaque. A quand la nouvelle offensive ? Relève. 26 Le capitaine m’appelle au rapport ? J’au brûlé trop d’essence. Deux litres en quatre jours. Pour ses expériences et ballades en auto, on peut brûler de l’essence ! 27 La cuisine st détestable. Pas de légumes et les pommes de terre archi-mauvaises. On décide de jouer une pièce « A qui le neveu ? ». Je me mêle d’être régisseur. Les Italiens chassent les Autrichiens de la rive droite de la Piave. 28 Plusieurs hommes de certaines unités vont passer en Conseil de guerre pour tentative de désertion aux tranchées. Chaque fois que des hommes se rendent, ils donnent aux Boches des renseignements précieux et ceux-ci en profitent pour nous canarder. La plupart des hommes tirent sans pitié sur les déserteurs. Malheureux de constater ces défaillances mais les plus grands coupables ne sont pas ceux qu’on tue… 29 Je reçois une lettre de Melle Dutat qui a quitté Andrimont le dix-sept juin. Sans nouvelles depuis plusieurs mois, j’étais on ne peut plus inquiet. Gustave est rétabli. Cette demoiselle a un style et orthographe vraiment splendides. « Ons vaderland » nous dit que le roman de la Nation belge […] le rédacteur du XXème Siècle publie un roman mis à l’index par l’Eglise. Le Comte de Chambord. 30 Emile vient me voir. Il se porte très bien. A la culture militaire, il peut employer ses forces et ainsi ne pas se rouiller.

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Juillet 1918 On dit que les Anglais ou les Américains vont remplacer deux divisions belges. On s’étonne de ce que l’offensive boche ne se déclenche pas plus tôt. Les alliés font des coups de main heureux. Les tommies travaillent bien. La situation en Bocherie et en Autriche est, paraît-il, des plus critiques. Beaucoup croient à la fin pour cette année. Ce serait heureux. Pourtant, les soldats n’osent l’espérer. Les crises économiques finiront la guerre, les armes, jamais. 01 Je me mêle de former une dramatique à la Cie. Mais faire quelque chose avec les soldats est bien difficile. On répète. 02 Froid. Les changements de température sont subits et dangereux. Il fait froid, un vent sec mais glacé et pas de pluie. Les campagnes souffrent beaucoup. 03 Relève aux tranchées. En plein jour, un lieutenant, un adjudant et deux sergents du 7ème de ligne font 16 Boches prisonniers. Les Boches dormaient dans leur abri. 04 Répétition. Je suis appelé chez le capitaine qui prétend jouer, lui, le régisseur. Il veut me forcer à prendre tel ou tel pour jouer. J’envoie le bazar à la gare ! Ce blanc bec me traite, moi et le fourrier, de gamins. Je lui aurais bien voulu répondre : « Pas encore assez gamin pour voler des cigarettes aux soldats ». Ce coco prend des cigarettes à la cantine pour régaler ses invités. Or, il n’a rien à voir à la cantine. 05 Je vais au cantonnement. Le capitaine fait répéter lui-même. Pour finir, les acteurs se sauvent. Le capitaine n’en veut plus ! Nos patrouilleurs pénètrent en plein jour dans les lignes boches et ramènent chaque fois des prisonniers. 06 Nos patrouilleurs sont barbares. Ils tuent pour tuer et quelque fois, avec un raffinement de sauvages. Un prisonnier blessé ne peut suivre assez vite. On lui donne deux coups de poignards dans le dos puis une balle dans la tête. Puis, on s’étonne que les Boches tuent les prisonniers qu’ils font ensuite. Nos patrouilleurs sont, pour la plupart, de véritables bandits. 07 Relève aux tranchées. Au cantonnement, chaque nuit, visite des Boches. Notre magasinier est remplacé. On fiche un embusqué à la porte pour y remettre un plus grand embusqué. 08 Je vais voir Emile. Intéressant de revoir ce secteur où je me suis si bien amusé. Les hommes de la Cie, agriculteurs, travaillent fort. On devrait leur donner une nourriture supplémentaire mais personne n’y pense évidemment. 09 Répétition. Ça marche et ça ne marche pas. Certains acteurs se croient de tels aigles qu’ils ne veulent écouter aucun avis. Or, ce sont des petits vaniteux souvent bêtes comme leurs pieds. Je vais au projecteur 60 près d’une batterie anglaise. 10 Violent orage. Il pleut à torrent. Les Chevaux d’un échelon anglais attachés en plein champs, se couchent presque par terre pour se protéger de la pluie. On sonne l’avoine. Au 211


lieu d’attendre quelques minutes, les Anglais sortent de leurs tentes et viennent soigner leurs chevaux. Ces Anglais sont plus bêtes, plus soumis que les esclaves de jadis. 11 Deux de l’équipe vont arracher des pommes de terre dans les champs voisins. Passées dans la graisse à frites, elles sont délicieuses. 12 François va nous chercher des légumes dans un jardin de son oncle ! Nous préparons une salade épatante et des carottes délicieuses. 13 Les Anglais et Américains attaquent au Mont Kemmel et font 250 prisonniers… Les Américains ont des sales gueules. Ils se battent bien paraît-il. 14 Les avions boches attaquent en grand nombre la nuit. Nous passons toute la nuit à la brûler. Très fatigué. Les Belges vont à Paris. Un détachement du 2ème de ligne. 15 Dernièrement, le capitaine organise une fête à la Cie. Elle a coûté 150 frs. La moitié des hommes y ont assisté. Monsieur le capitaine a reçu chanteurs et ses amis officiers chiquement mais avec notre argent puisque tout a été payé avec les bénéfices de la cantine. Le capitaine a même pris une boîte de cigarettes à la cantine pour en offrir aux officiers et rien ne prouve qu’il a payé la boîte 15 francs. 16 Les Boches attaquent en Champagne. Jusqu’ici, ils ont peu de succès. De cette offensive dépend peut-être la fin de la guerre. La situation en Allemagne est très critique. Je reçois une carte de Gustave et d’Armand. Violent orage. 17 Très chaud. On étouffe. L’épidémie de l’influenza est en Angleterre et en France. Il paraît qu’il en est de même au pays de Charleroi. On annonce des émeutes à Bruxelles. La vie chère. 18 Plus de vent. Les Anglais viennent le soir dans notre baraque. Je […] leur langage… !!! Les alliés résistent. On espère que les Boches trouveront cette fois un bec de gaz. 19 Américains et Anglais sont logés dans les environs. Je cause anglais avec les « jampotes ». 20 Les Allemands sont en retraite sur la Marne. Il paraît que les Américains se battent très bien. 21 Nous donnons un concert. Ma pièce A qui le neveu est ratée. Tension entre Wallons et Flamands à la Cie. Un peu d’exaltation. Discussions ridicules surtout entre soldats. Les Wallons sont plus exaltés et surtout trop méprisants pour les Flamands. Fête nationale. Nous recevons un peu de tabac. 22 Pluie. Enfin les oiseaux boches nous laissent en paix. Les Français poursuivent les Boches en retraite. Le moral boche doit descendre. 23 Pluie. Gulton revient de congé. On attrape un bon verre. Il nous raconte ses hauts faits. Tordant ! Que de « toupies » en France. Des jeunes mariées depuis trois mois se méconduisent. Et nos jeunes blancs-becs se marient ! 212


24 Le Tsar de Russie a été fusillé. Crime dira-t-on. Peut-être mais ce despote en avait aussi sur sa conscience. 25 Les avions nous embêtent la nuit. Nous payons aux civils 0,60 pour deux oignons assez gros, 5 frs pour 1 kg de café, 0,90 pour ¼ de sucre. Les Américains font hausser les prix. Seulement François va rendre visite au jardin de son oncle. Après-midi, relève. Le soir, orage. Le frère de Braun est tué par la foudre à Londres. Notre ex-commandant perd deux frères en quelques mois. 26 On descend le plancher au cantonnement. Ainsi le parapet construit autour de la baraque nous préservera des éclats de bombes. 27 Je reçois des certificats de la baronne Bamberg, directrice du Foyer des soldats à Nice. Nous irons donc probablement en congé à Nice. Mirbach27 est assassiné en Russie et remplacé par Helfferich. Certains journaux se demandent si ces crimes ne sont pas voulus par l’Allemagne elle-même. Départ pour les tranchées. 28 Nous préparons des choux. On se demande ce que Malvy28 va attraper. Les alliés débarquent en Russie. Les Français et Anglais avancent en France. 29 Nous avons des légumes à volonté (carottes, poireaux, oignons). Le jardin de notre oncle !!! Nous prenons des bains dans l’étang du château de Boussinghe. Ce château est entièrement démoli. Les Boches nous envoient quelques obus. 30 Les armées allemandes sont en retraite du côté de Reims. Foch est maître de la situation. 31 Notre lieutenant Belen est un courageux. Le capitaine étant en congé, il demande à son ordonnance de coucher près de lui dans sa baraque. Il n’est pas tranquille seul. Les avions lui donnent la frousse.

Août 1918 01 La Cie reçoit des livres de lecture envoyés par la Croix-Rouge américaine. Parmi ces livres, on trouve de véritables stupides cochonstés ! Pour trois Cies, il y avait trois livres flamands. Celui qui dirige cette bibliothèque mérite encore une décoration.

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Wilhem von MIRBACH (1871-1918) fut assassiné à la demande du Comité central du Parti socialisterévolutionnaire de gauche qui a essayé de provoquer la reprise de la guerre avec l’Allemagne d’après WIKIPEDIA 28 Louis-Jean MALVY (1875-1949) était un homme politique Radical français accusé à tort par Léon Daudet (rédacteur en chef de l’Action française) d’avoir fourni des renseignements militaires à l’Allemagne. Il est amnistié en 1924 d’après WIKIPEDIA

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02 Il pleut toute la journée. Les facteurs sont tous gradés 1ersergent ou sergent. Or, les brancardiers qui sont des instituteurs ou des petits frères, des gens qui ont fait certaines études, sont simplement « jasse ». Von Eichhorn29 est tué en Russie. 03 Pluie toute la journée. La musique du 4ème de ligne répète dans la cantine. Nous avons donc de la musique toute la journée. Les socialistes français refusent les crédits de guerre. Ce ne sont pas des défaitistes eux et ils ne seront pas poursuivis. Si c’était un jasse ! Enfin, le colonel du 5ème de ligne est mis à la disposition du ministre de la guerre. Ce n’est pas trop tôt. Un véritable boche. 04 Chez Emile. Il me prépare un petit souper éclatant (des princesses). Ils ont une magnifique plantation de tabac. Les chefs de l’agriculture sont des ingénieurs. Ils sont sergents sous les ordres d’un vulgaire officier d’administration. Je vois la photo de la petite rapatriée de chez Emile. 05 Foch a la victoire. Les Boches reculent sur l’Aisne. Les Américains se battent admirablement bien. 06 La division va être relevée. On croit que Malvy sera acquitté. Une honte. Ou Daudet est un coquin ou Malvy est crapule puissante. 07 Crise de pommes de terre en France. Les paysans se plaignent de la sécheresse. En ce moment, il pleut alors qu’il devrait faire bon pour la moisson. Nous ne recevons plus que 250 gr de pommes de terre par jour. Et la guerre doit encore durer deux ans. 08 Aux tranchées. Malvy est condamné à cinq ans de bannissement. Encore un. A quand les autres. 09 Belle journée. Les Anglais prennent l’offensive et avancent de plusieurs km. Notre cuisine est détestable. On est heureux d’être aux tranchées pour pouvoir manger convenablement. 10 Les moustiques sont terribles. Impossible de dormir dans un abri. 11 Le fête au village et je suis aux tranchées. Quand donc serons-nous à la maison ? Les Boches sont en retraite. Hélas, ils sont encore trop forts pour capituler cette année. 12 Retour au cantonnement. Les alliés ont fait 24000 prisonniers et pris 700 canons. En Russie, les affaires vont mal pour les Boches. Amiens est délivré de la menace boche. Paris aussi quoique les gros canons l’arrosent encore. 13 Quelle chaleur ! On a une flemme scandaleuse. Il est toujours minuit ou une heure avant qu’on ne s’endorme. Le matin, on reste au lit jusque 9 heures. Toute la journée, on écrase le tram. Une honte !

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Hermann von EICHHORN (1848-1918) est un général de l’armée prussienne assassiné par un socialisterévolutionnaire de gauche à Kiev, en Ukraine, dont il était devenu gouverneur militaire d’après WIKIPEDIA

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14 Très chaud. L’offensive alliée est arrêtée. Le butin et l’avance sont magnifiques. Foch est nommé maréchal. Pauvres Boches, la Marne leur joue de vilains tours. Aller si près des raisins mais ils étaient verts. Les Américains ont sauvé la population. 15 Très chaud. Quelle journée pour la fête. Si on était à Andrimont. Triste. On doit bien penser à nous là-bas. 16 Les congés pour l’Amérique sont rétablis mais bien peu pourront en profiter. 240 frs pour le voyage et toutes sortes de papiers. On m’annonce que je suis décoré de la Croix de guerre. Après quatre ans de guerre, une croix. Pourvu qu’on ne me donne jamais la croix de bois ; c’est tout ce que je désire. 17 Je pars en congé. Pour Nice. Quelle chaleur. 18 Nous arrivons à Paris à 11 h. Toujours notre train de permissionnaires. Il faut chier dans une gazette. Paris est calme. Il semble un peu vide. Le peuple est calme. On ne craint guère les obus. Il y a deux jours, un obus est tombé près d’un café. Aujourd’hui, on y prend tranquillement son verre. Le soir au Palais Royal. On rigole mais il fait chaud dans le théâtre. 19 Nous prenons à 9 ½ H le train pour Marseille. Le train est bondé. Nous faisons le voyage avec des jeunes grecs qui rejoignent leur armée. L’un d’eux voudrait reprendre Constantinople et rêve de l’ancien empire grec. Nous traversons de beaux pays de vignobles. Beaujolais. On aperçoit le Mont Blanc. 20 A partir de Lyon, la vallée du Rhône aux eaux verdâtres. Les collines couvertes de vignobles ou d’oliviers laissent voir leur terre roussie qui recouvre d’une petite couche le rocher. Les villages qu’un malin maçon semble avoir découpé dans la montagne apparaissent vieux, sales. Les maisons, prismes rectangulaires coupés à la bêche dans l’argile et dont la face supérieure a été inclinée, semblent desséchées par le soleil. Vienne dont nous voyons une petite rue aux maisons qui se soutiennent mal. Marseille, la Canebière avec ses cocottes. Beaucoup de civils, peu de militaires. Des arbres dans les rues pour se protéger du soleil, des petites voitures vendant de la glace. Au restaurant, pas de w.-c. Nous logeons à l’hôtel. Nous voyons deux incendies de forêt. 21 A Notre-Dame de la Garde, basilique construite sur un rocher d’où on a une magnifique vue sur la ville, le port, le château d’If. Ville qui rappelle Anvers. Peu de bateaux. Visitons la cathédrale, copie de celle de Constantinople. Le matin, on ne reçoit pas de petit déjeuner. On casse la croute. A 4 ½ H, départ pour Nice. Il fait très chaud. 22 Nous arrivons à Nice à 2 H du matin, couchons au refuge du soldat. Très chaud. On sue comme des malheureux. Nice est merveilleux. Villas magnifiques, allées splendides, la mer calme et bleue. Peu de monde le jour. On arrose toute la journée. 29° à l’ombre à 4 h de l’après-midi. A partir de 5 h, la ville s’anime un peu. Beaucoup de petites demoiselles plus fraîches qu’à Marseille mais cocasse, les femmes qui lessivent dans la rivière dans de petits paniers à peine habillées. A la mer, peu de baigneurs

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23 Impossible de rester à Nice. La nuit impossible de dormir, le jour impossible de se remuer. Nous prenons le train de 6 h du matin. Voyage magnifique le long de la Côte d’Azur en passant par toutes les belles localités du pays. A Marseille, on ne donne guère de pourboire contrairement à Paris. Les femmes portent la jupe entravée descendant jusqu’aux genoux. A travers le voile, on voit leurs cuisses : presque scandaleux. 24 A Lyon. Notre-Dame de Fourvière. Vue splendide sur la ville. De la tour, on distingue très bien la vallée du Rhône et de la Saône. La cathédrale qui date de 1300. On se promène peu à Lyon. Ville industrielle. Le soir, violent orage. Nous logeons à l’hôtel. Il y a des punaises. 3 frs la chambre. Des Américains commandent une omelette pour le déjeuner. Combien d’œufs ? Huit pour chacun, répondent-ils. Les types bluffent et puent le parvenu. 25 Visitons le parc de la Tête d’Or. Exhibition de tanks. A Lyon, on mange bon marché. La ville qui comptait 600000 habitants a actuellement une population de 1200000 habitants. Les maisons sont très hautes, construites en pâté. Le soir, reprenons le train pour Pa ris. Les trains sont bondés. Les parisiens rentrent à Paris. 26 A Paname, Arys nous soigne aux petits oignons. Il a une cave extra. Avec Grégoire au restaurant : peu de monde. Partie de billard. Allons nous coucher très tôt. Le voyage a été très fatigant. 27 A Lyon, pas de voitures. On pouvait marcher librement au milieu de la rue. Le soir, au Théâtre Impérial, revue satirique très spirituelle. Les journaux annoncent des victoires. Le moral en France est très bon. Quelques ouvriers soutiennent Malvy. La « poche » les tient. 28 A 2 ½ h, on reprend le train pour le front. Nous ne passons pas encore par Amiens. La ligne est pourtant rétablie. 29 Arrivons à la Cie à Reypoede. La Cie est au repos. Le cantonnement est moche. On y attrape le cafard. En face du Q. Général. 30 A Paris, on compte 50 à 55000 cartées, le double de non cartées qui font le trottoir. En France, il n’y a plus que des étrangers. 31 Beaucoup de jeunes gens de la classe 19 et de la classe 20 sont éliminés pour faiblesse, en France. Exercice à la Cie. Les Anglais reprennent le Mont Kemmel. Les alliés avancent toujours. Les Boches doivent la trouver mauvaise.

Septembre 1918 01 A Reypoede, un village stupide, on s’y embête. Nous payons 7 frs un litre de vin. Tout est à un prix fou. 02 Quelques portugais. Foch semble maître de la situation. 216


03 On fait des exercices de nuit. On brûle de l’essence et ces messieurs s’amusent. 04 Jeanne m’annonce qu’elle est fiancée. 05 On fait ses paquets pour reprendre le secteur canard. 06 De Reypoede à Steenkerke en auto puis Pervijze où je relève le poste Sud. 07 Mon moteur fait grève. Impossible de la faire démarrer. On fait une excellente cuisine. 08 Le lieutenant Dewael est tué en voulant prendre une petit poste boche. 09 On sent l’hiver. Froid, pluie, vent. 10 Relève. Au cantonnement, il pleut partout. Nous devons tendre nos bâches au-dessus des lits. La 6 DA avance de 1 ½ km. Anglais, Français et Américains avancent. 11 Le facteur arrive à 8 h. Personne n’est debout. On s’en fait à la Cie. 12 Exercice contre les gaz. On nous introduit masqués dans une place où il y a des gaz lacrymogènes. Le masque préserve bien. Nous devons changer de masque sans respirer et sans ouvrir les yeux. Pour finir, nous restons quelques secondes sans masque dans le vague. Les yeux pleurent terriblement. 13 Dans le pays, des pommes de terre en abondance, pas de fruits. En France, pas de pommes de terre et les légumes sont brûlés. 14 Au 60, les Américains font 25000 prisonniers et prennent Saint-Mihiel. 15 Les Américains bombardent Metz. 16 Les belges se remuent aussi. Beaucoup de gazés à la I DA. 17 Les Boches tirent sur Furnes. Des godasses sur Paris. 18 Notre jardin nous fournit beaucoup de légumes. On estime la récolte de pommes de terre de notre champ à 16000 kg. Le tabac devient rare et se paie chez le civil 12 frs. 19 Une division boche tient le secteur Nieuport-Reminghe. 20 Vent. Les avions ne viennent pas et nous pouvons dormir tranquilles. Joseph Scheen travaille chez le paysan où il est cantonné et se fait de bonnes journées. 21 Foch fait de la bonne besogne. Partout offensive avec succès. Grand mouvement ici à l’arrière. Surtout la nuit. Une armée française est à Hondschoote. 22 Franz et Grommen viennent nous voir. Du mouvement partout. Des canons et munitions passent la nuit. Les Boches bombardent les routes. Dubois rentre de congé. Il est fiancé. Jeanne Léonard est fiancée avec un électricien de la base. Un Flamand, garçon sérieux paraît-il.

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23 Lechien rentre de congé. On boit un bon verre. Les Français viennent de ce côté. Les propositions de paix de l’Autriche sont repoussées. Les Boches ne sont pas encore prêts à accepter nos conditions. On prétend que l’offensive sur le front belge va commencer cette nuit. Succès des alliés en Serbie et en Palestine. Les Turcs attrapent une pile ! 24 Inspection par le capitaine en tenue pour l’offensive. Notre capitaine est un gosse peutêtre très intelligent mais sans expérience. Notre 1er bidon hâble un peu. 25 Nos coffres resteront au cantonnement. Un sac individuel nous suivra et nous n’aurons dans le havresac que le strict nécessaire. 26 En Palestine, deux armées turques sont anéanties. En Serbie, les alliés approchent de la Bulgarie. Ici, on se prépare. Des transports passent continuellement. Un blindé passe en gare de Furnes qui est plein de trans. 27 Malgré le vent, les avions volent. L’offensive doit commencer demain 6 h 10. Grand mouvement dans la gare de Furnes. 28 Le matin, pluie et vent. Malgré tout, des centaines d’avions volent. Deux se rencontrent et s’abattent. A 3 h, la canonnade commence. Les grosses pièces nous empêchent de dormir. Les ponts sur voiture passent. Proclamation du Roi : Soldats, vous allez livrer un puissant assaut aux positions ennemies. Aux côté de vos héroïques camarades britanniques et français, il vous appartient de refouler l’envahisseur qui opprime vos frères depuis plus de quatre ans. L’heure est décisive. Partout l’Allemagne recule. Soldats, montrez-vous dignes de la cause sacrée de notre indépendance, dignes de nos traditions et de notre race. En avant pour le droit, pour la liberté, pour la Belgique glorieuse et immortelle. Albert. Communiqué : Crête de Klerken enlevée ainsi que la forêt d’Houthulst. Les Anglais ont dépassé leurs objectifs. Avance de 7 km. On parle de 12000 prisonniers dont 4000 pour les Belges. Le soir, les Boches tirent sur Furnes. 29 Pluie. Nous sommes alertés. Le 5ème de ligne est prêt à partir. On raconte que notre armée à 2000 hommes de perte. Les Anglais avancent rapidement. Dixmude est dépassé. L’avance continue. Nos troupes ont pris des canons. Le soir, pluie. Triste temps pour l’offensive. La Bulgarie demande la paix c.-à-d. un armistice pour discuter. Le général Franchet d’Esperez refuse l’armistice. Nos armées sont en Bulgarie. Obus sur Furnes. 30 Pluie et vent. Impossible aux avions de sortir. Malgré le mauvais temps, notre avance continue. On attend avec impatience le communiqué. La nuit, les Boches tirent sur Furnes. Quelques gros tombent près d’ici et menacent notre baraque. La demande de paix de la Bulgarie produit une grosse émotion en Allemagne. Nous devons nous tenir continuellement prêts à partir.

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Octobre 1918 01 Le mauvais temps retarde nos opérations. Nos hommes travaillent dans la boue. Ils ont dû rester 4 jours sans ravitaillement en vivres donc avec deux jours de vivres de réserve. Les Français arrivent pour relever probablement nos unités qui sont aux portes de Roulers. Un train blindé boche tire quelques obus sur Furnes. 02 Nos troupes progressent lentement. Nous, nous restons ici et préparons de petits dîners. Les PJ (projecteurs) n’auront guère de gloire. La Bulgarie signe la paix. Que font faire la Roumanie et la Turquie ? 03 Notre avance continue. On compte 4000 hommes de perte pour notre armée. Nos avions travaillent également bien. Une division boche, pour venir de Bruges au champ de bataille, a mis 16 heures. Un chancelier allemand démissionne. La paix bulgare désoriente les Boches. J’ai une marraine américaine. 04 Une partie de nos troupes sont relevées par les Français. Les récits de bataille sont terribles. Notre infanterie a dépassé ses objectifs couvrant 4 km de plus. Notre artillerie tire parfois de ce fait dans nos lignes. Les Boches ont des mitrailleuses disséminées partout et qui nous font grand mal. Les mitrailleuses combattent jusqu’au dernier moment. Nos hommes ne font presque pas de prisonniers. On tue. Des prisonniers qui ont transporté aux blessés sont tués après sans pitié. La guerre, cruauté des cruautés. Pour arriver à Roulers, il nous aura fallu perdre 10000 hommes. Que faudra-t-il pour arriver en Allemagne ? Grand enthousiasme dans les troupes mais que de hurlements dans les hôpitaux et de pleurs dans les familles. Le général de la cavalerie est mis à pied. Les bagages ont embouteillé les routes. On a découvert des voitures, au lieu de contenir de la nourriture pour les hommes et les chevaux, contenaient des salles de bain, des armoires à glaces. Le général Bernheim le boche le remplace mais sans succès. De Wit doit être mort. Les Français ont pris St Quentin. On croit que la Turquie va capituler. Le soir, les hommes du poste rapportent des objets trouvés à Dixmude, entre autres, un sac à terre en papier boche. 05 Il fait déjà très froid la nuit. Sur le champ de bataille, ce n’est qu’un cadavre. Celui qui a participé à l’attaque en sang froid est écœuré des scènes qu’il a vues. Les hommes sont de véritables sauvages. 06 Nous jouons aux cartes quand le capitaine vient nous dire que l’Allemagne demande la paix aux conditions de Wilson. Au diable les cartes, serait-il possible qu’on retourne cette année au pays ? On discute. On n’ose y croire et pourtant il y a du bon. Les Boches reculent partout et incendient les villes. Nos hommes qui ont fait l’attaque sont restés trois jours et trois nuits dans la pluie sans dormir. Des prisonniers sont restés trois jours sur le champ de bataille. 07 La pluie toujours. On a bon espoir pour la paix. La grippe espagnole fait des ravages. 20% des malades meurent. 219


08 Relève aux tranchées. Serait-ce la dernière fois que nous allons aux tranchées ? Le soir, attaque boche. Nous éclairons 25 minutes. Nos batteries font des rafales d’obus à gaz. 09 On ne pense plus guère à la paix. C’eut été trop beau. Les alliés exigent que les Boches évacuent les pays envahis avant de parler de paix… Honteux notre service sanitaire pendant la bataille. Des blessés sont restés trois jours sur le terrain. Beaucoup de familles dans ce pays ont été éprouvées. 10 Les Boches incendient les villes, détruisent tout avant de battre en retraite. On veut des représailles. On veut aller brûler des villes en Allemagne. Personne ne parle de tuer les gros chefs responsables. 11 Wilson a répondu aux Boches. On attend avec impatience la suite qui sera donnée à la note. 12 Relevés aux tranchées. Pluie. Nous sommes noyés quand nous rentrons au cantonnement. Les Belges doivent encore attaquer demain. Les soldats ont été épatants dans l’attaque. Ils ont marché sans tir de barrage. L’artillerie n’a pu avancer assez vite. Les Français et Anglais avancent. La retraite boche s’annonce. 13 26 ans. Que je suis vieux. Heureusement, on parle sérieusement de la fin. Les Boches acceptent les conditions de Wilson. Ils demandent une réunion des plénipotentiaires pour régler la façon d’évacuer les pays occupés. On attend avec impatience les nouvelles. La commission est nommée paraît-il. Les hommes sont fiévreux. On danse à la Cie. Les mariés qui ont des relations graves en France ne sont pas à leur aise. Les Américains ont pris 600 canons et avancé de 25 km. 14 Français et Belges reprennent l’offensive. Les voitures de la Croix-Rouge passent et repassent. Jusqu’à maintenant, on parle de 1500 morts dans notre armée. Nos officiers marchent très bien. On est impatient de voir la fin… Bientôt les alliés seront partout à nos frontières et ce qui reste de notre pays disparaîtra. On ne s’occupe guère de l’avance. La paix seule intéresse. Le temps semble long. Pour comble, on nous fait faire un exercice stupide matin et après-midi. 15 Nous dépassons Roulers. 6000 prisonniers. 15000 civils arriveront demain à Furnes. 6 officiers boches vont être fusillés pour avoir à Roulers, incendié des maisons sans ordre. Fini Mrs les Boches de brûler à votre aise. Wilson ne veut pas causer avec le Kaiser. La Bulgarie veut déclarer la guerre à la Turquie qui n’en peut plus. En Autriche, les députés se jettent les encriers à la tête. Notre 1er sergent major nous embête avec son exercice. Mr le capitaine se fait conduire en auto aux […] pour souper. Crise d’essence. Notre Cie coûte autant au gouvernement que tout un régiment d’infanterie et nous ne faisons rien. Scandaleux.

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16 On nous communique la réponse de Wilson. Un peu vague. Wilson ne veut pas du Kaiser. La 1ère impression est mauvaise. La guerre continuerait-elle ? Nous avançons mais les projecteurs restent toujours à la même place. Autant de gagné sur l’ennemi mais on est de fameux embusqués. Pluie. Embêtant pour notre aviation. 17 Quittons Presende à 12 H ½ pour nous rendre à Esen. Nous sommes les derniers. Il est grand temps qu’on suive les Boches qui, paraît-il, courent comme des lapins. A Caeskerke, la route est praticable. Les parapets et tôles de l’ancienne tranchée ont disparu. Les vieux paletots y travaillent. Les pontonniers jettent un pont sur l’Yser qui fera suite à un chemin en poutres de bois pour voitures. Non sans émotion, nous traversons ce terrible Yser où tant de nos camarades ont trouvé la mort. Dixmude. La nuit tombe et la demi-obscurité rend ces ruines, ces tas de briques plus tristes encore. Nos obus ont démoli tout de même un observatoire boche en béton. Pas une maison debout. Sous les ruines, il doit y avoir des abris très puissants. Au moment où nous débouchons de Dixmude, une trentaine de Boches s’amène, conduite par deux gendarmes. Ils ont l’air plutôt malheureux. En arrière de Dixmude, rein de bien extraordinaire comme défense à part un blockhaus à un carrefour. Esen. Le 1er village que nous revoyons. Il fait noir. Les routes sont encombrées par des voitures, etc. 14 revit ! Enfin, on avance. C’est la 1ère fois. Nous n’avions connu que la retraite. Il paraît que les Anglais ont débarqué un corps d’armée à Ostende. Notre infanterie est à Bruges, la cavalerie à Gand. Lille est pris. On dit que le Kaiser a abdiqué. Nous logeons le long du chemin de fer derrière Esen dans des abris de fortune. Enfin finie la guerre des tranchées. Nous suivons le Quartier général. Epatant mais guère glorieux. Notre cuisine n’est pas encore arrivée à 7 h du soir. Nous avons fait 25 km. Sur les routes, les voitures ne peuvent avancer. Il y en a de toutes les armes, de toutes les divisions. 18 Départ d’Esen à 7 H ½. Passons à Vladslo entièrement détruit. Pour défendre les routes, des gros blockhaus. Des inondations de ce côté aussi. A 3 km d’Esen, nous rencontrons les 1ers civils. Un vieux et une vieille qui font une fête à l’armée. Ils sont heureux. Un peu plus loin, un jeune homme qui s’est caché. Ses amis ont fait de même. Les Boches sont partis emportant tout. Bovekerke, quelques civils nous saluent et crient vivent les Belges. Des drapeaux arborés partout. On se demande d’où ils sortent. A la 1ère brasserie du village, on donne de la bière excellente aux soldats. Des jeunes filles se sont méconduites et sont filées. Partout les vieux sont heureux de nous revoir. Ils saluent tous (dressés par les Boches). Ichtegem. On joue du piano, on danse. Nous passons près de l’emplacement de la pièce qui tirait sur Furnes. Le café coûte 50 frs, tout est horriblement cher. Un grand dépôt boche. On cite les exploits des avions alliés. Aartrijke. Drapeaux arborés, population sur les trottoirs. On nous acclame. Nous avons avec nous un accordéon. Les bourgeois vont chercher du charbon dans les dépôts boches. Le garde champêtre est arrêté. La population voudrait le lyncher. Une jeune fille, maîtresse du commandant boche, est filée. On l’a rattrapée. Il y aura des comptes à rendre ! Nous logeons dans un grenier. Les civils sont heureux. Impression inexprimable à la vue des premiers civils, d’un clocher où flotte notre drapeau. On entend une vive canonnade. 19 Notre 1er sergent major embête son monde. Un abruti de 1ère classe dont l’esprit doit être plus que vide. Il ne sait que se gober et donner des ordres ridicules. Notre capitaine est entôlé 222


par cet idiot. On ne peut transporter les havresacs sur les autos mais mes deux types ont avec eux deux chiens et matelas. Nous sommes donc moins que les chiens. Des ponts sur auto passent. Cambrais est pris ainsi que Torhout, Courtrai. Bruges est entouré. Les figures des civils sont réjouies. Ils se sentent plus libres. Ils étaient obligés de saluer tous les officiers boches. Cinq officiers boches voleurs vont passer en Conseil de guerre. On raconte qu’un soldat a tué sa femme infidèle à coups de baïonnette. Nous en voyons une qui a un gosse d’un Boche en pleurs attendant un marteau à la main son mari qui est dans le village. Triste chose. Les civils nous disent que les prisonniers italiens obligés de travailler pour les Boches étaient maltraités. Le Roi arrive en auto. Les cloches sonnent pour la 1ère fois depuis 4 ans. Les civils arrivent de tous les côtés pour le voir. Bruges est pris. Les civils réparent les ponts aussitôt les Boches partis. La haine des Boches est terrible de ce côté. Les vieux vont rechercher les choses qu’ils avaient cachées un peu partout. 20 Nous devions partir le matin mais notre capitaine doit aller à Bruges voir la ville. Au moment où les routes doivent rester libres, l’essence économisée, nos forces entièrement consacrées à la guerre, notre capitaine le plus inutile de l’armée va à Bruges. Il défend à un soldat d’aller à Ostende voir sa mère. La famille, tout doit être oublié pour l’armée dit-il mais il oublie, lui, ses devoirs d’état. A la messe. L’église est pleine. A 10 H ½, obsèques d’un capitaine et d’un soldat tués à Gand. Toute la population suit. On pleure au cimetière. Les civils nous voient partir à regret. Notre accordéon nous fait remarquer. A 1 H, départ pour Beernem. Pluie désagréable. Zedelgem. Les usines électriques boches sautées. Un café ancien bordel boche, a été mis à sac par les soldats et les civils. Les deux tiers des femmes ont couru avec les Boches. Les Boches ont fait sauter le clocher et bombardé le village avec des obus à gaz, cinq civils aveugles. Rencontrons des prisonniers avec un officier très hautain. On chante, on les aura les Boches. Beernem. Les ponts sont sautés. On y travaille. La nuit, nos projecteurs éclairent les travaux. Les civils ont fait des prisonniers. En passant le canal, une jeune fille suivie par des jeunes gens se sauve. Jetez-la dans le canal nous crient les jeunes gens, c’est une putain boche. Ici aussi un café a été entièrement démoli. Triste de voir quelle conduite ont eu les femmes. Les vieux, seuls, sont vraiment réjouis. Nous couchons à l’école des sœurs. 21 Enthousiasme de la population. Des amis vont voir leurs parents et moi qui doit attendre la fin de la guerre. Départ à Ursel-Knesselaere. Le temps s’est remis au beau. Assez bien de gens qui fuient leurs villages bombardés par les Boches qui semblent vouloir résister sur le canal de H à Deinze. Ursel. On a pris des espions. Nous avons fait 85 km depuis notre départ de Furnes. A Ursel, les Boches ont détruit toutes les voies du vicinal. Une locomotive a été lancée contre une maison. 22 Logeons à l’école. Le matin, les Boches nous envoient une trentaine d’obus. Les vitres sont brisées. Radiateur d’une auto percé. Notre 1er bidon légèrement blessé. Il y a du gaz. Les hommes éternuent et pleurent. Si nous n’étions pas arrivés dans ce village, il y aurait eu en ce moment, kermesse. Les civils ne peuvent croire que les Boches soient partis. Toute la journée, les Boches arrosent. Le soir, nous allons coucher à Knesselare à 5 km en arrière. Nous avons fait jusque maintenant 90 km.

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23 La nuit, les Boches tirent dans la ferme située à 100 m de la nôtre. Plusieurs morts et blessés. On raconte des choses affreuses. Des soldats trouvent chez eux des sœurs mariées à des Boches, des frères plus boches que les boches. Violente canonnade à droite. Les Boches résistent sur le canal et bombardent ces villages. Tournai est pris et l’Escaut est franchi en plusieurs endroits. On suppose que les Anglais vont remonter sur Gand. Belle journée. Un Belge fait un prisonnier qui avait dans son portefeuille, un portrait d’une femme de Tongres. On dit que des femmes tirent même le canon boche. On croit que beaucoup de Boches se cachent dans les bois. Il y a aussi des espions et des vendus. Il est bon de sortir armé. Les paysans ont encore des chevaux et des vaches qu’ils ont cachés… Les Boches ont pris ce qui se trouvait dans les comités de ravitaillement. A une heure, nous déménageons et allons loger dans une ferme 2 km en arrière. La nuit, violente canonnade. 24 les Boches sont en retraite sur le canal Gand-Terneuzen. Les hommes dont le village est délivré reçoivent une permission de 24 heures. Notre capitaine se promène et use de l’essence. On signale beaucoup d’espions qui coupent les fils téléphoniques. Le ravitaillement est piètre. Les vivres arrivent avec deux et trois jours de retard. Le train va jusqu’à Turnhout. A Knesselare arrive un tram de Bruges. 25 Nous allons chez les paysans cueillir les dernières pommes et poires. Ici aussi, un café a été détruit. Des soldats isolés ont été tués par des espions. Les fils téléphoniques ont encore été coupés. Des réfugiés arrivent encore. 26 Une de nos autos est allée à Furnes en passant par Ostende. 40 litres d’essence pour aller prendre le poêle et les coffres de Monsieur le capitaine. Des ordres sévères ont pourtant été donnés au sujet de la circulation. Nous lessivons. Malheureusement, le savon manque : 10 frs la boule ici. Gulton part en permission à Wez près de Tournai. 27 A Ruddervoorde pour faire l’inventaire du matériel électrique abandonné par les Boches. Ils ont tout enlevé. Le soir, couche dans une petite chambrette. Un lit passable. Pour souper, la demoiselle nous prépare des crêpes. Partout les civils se réjouissent du départ des Boches. Enfin, ils respirent et ne craignent plus les espions. 28 Magnifique journée et retour à Knesselare. Le pays est merveilleux. Partout des paysans qui travaillent sur leurs terres. On répare activement tous les ponts. Les troupes d’arrière avancent. Hier, j’ai rencontré Golaire. 29 Journée magnifique. On croit que demain, l’offensive recommencera. Les munitions passent. Fantastiques les embouteillages. Des garçons d’écurie officiers en portent la responsabilité. La situation en Autriche est des plus critiques. En Allemagne, on a faim. On espère la fin sous peu. A Ruddervoorde, j’avais découvert un accumulateur. Ce matin, 1ère besogne du capitaine : une auto pour aller chercher l’accumulateur. Presque voleur. On ne m’aura plus. 30 Antoine rentre de permission. Ses deux sœurs ont été prises par les gaz. Sa fiancée est en bonne santé. Son village est entièrement détruit. Là aussi les Boches ont semé la haine. Beaucoup de femmes se sont méconduites. 224


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31 La nuit, le canon fait rage. On dit que le canal est passé. La grippe espagnole fait des ravages. Dans chaque maison, un ou plusieurs malades. Beaucoup meurent. Beaucoup de victimes parmi les officiers aussi précisément ceux qui ont de belles petites vies.

Novembre 1918 01 A la messe à Knesselare. L’Autriche a capitulé. Serait-ce enfin la fin de la fin ? Nos détachements ont essayé de franchir le canal et n’y ont pas encore réussi. 02 Nous revoyons les petites bêtes. On recommence à faire la chasse. Notre capitaine roule en auto. 03 Eeklo est libre. Brandt va voir ses parents. A 1 h, départ pour Zomergem par Ursel. Le village a été bombardé par les Boches. Toutes les maisons ont été touchées mais en grande partie peu gravement. Nous logeons chez le juge. Magnifique maison peu endommagée. Les troupes belges qui y ont passé ont pillé. Tous les tiroirs ont été ouverts, les armoires retournées. Même histoire dans tout le village. Scandaleux. On annonce que Gand est dépassé. Nous partirons probablement demain. 04 Journée magnifique. On se croirait au printemps. A une heure, départ pour Lovendegem. Nous sommes à 10 km de Gand. On espère que les Boches ne s’arrêteront pas au grand canal Gand-Terneuzen. En passant au canal, nous voyons plusieurs cadavres. La lutte a été vive. Les maisons sont démolies. Dans ce village, les civils font la chasse aux amis des Boches. 05 Pluie. On s’embête. On est impatient de voir la fin. L’Autriche capitule. A quand le Boche ? Les canards circulent en nombre. On dit que les Boches quittent le canal et mettent les drapeaux blancs partout pour que notre artillerie ne bombarde pas les villages évacués. Dans ce village, civils et soldats ont mis une boîte boche en feu. Les amis des Boches sont dans de sales draps. On accorde 3 jours de permission à passer chez soi à tout soldat dont le pays est délivré. 06 Pluie toute la journée. On s’embête. On est impatients. On espère que les Boches capituleront sous peu. Vivement la fin. Fantastique les fortunes faites en Belgique par la fraude. Boches et Belges volaient à qui mieux mieux et les pauvres civils crevaient de faim. 07 On dit que les parlementaires boches sont chez Foch. On est d’une impatience ridicule. Pluie toute la journée. 08 De nouveau la pluie. Ici aussi les paysans ont bien gagné leur vie. 09 Les Boches doivent répondre aux conditions de Foch avant lundi 11 heures. On est impatients, nerveux. Pas de journaux. Seuls les canards circulent. On ne sait que croire. On n’ose espérer. Nous lessivons. 226


10 Il paraît qu’à Calais, les cloches sonnaient, les rues se pavoisaient, on fêtait déjà la paix. Que signifie cela ? Au quartier, on croit à la fin. Toutes les armées allemandes sont en retraite. On annonce que le Kaiser s’est enfui de Suisse. Max est régent. Des révoltes à Kiel et en Prusse, la Bavière a peur. Des incendies du côté de Gand. Dimanche. C’est la campagne des environs de la ville. Beaucoup d’hommes à la messe. C’est la messe paroissiale au pays. Si la guerre continue, il restera au pays suffisamment d’hommes pour reformer deux armées comme la nôtre. 11 A 11 H ½ la nuit, on nous annonce que l’armistice est signé. On se relève, on chante, on délire. Enfin, la guerre est finie. Le Boche est écrasé. Le châtiment l’attend. A 1 h, départ pour Gand. A notre arrivée dans la ville, les dames et les demoiselles nous fleurissent. On nous embrasse. Nous traversons toute la ville couverts de fleurs, acclamés. La foule se masse sur notre passage, crie vivent les alliés, les Belges et nous répondons vive les […]. Des drapeaux, des rubans tricolores par milliers. On se demande d’où ils sortent. Au 1er repos, je vais une demi-heure dans un café où on nous embrasse. Quel enthousiasme. Logé à la brasserie Lion. Le soir, nous sortons en ville. Notre 1er café est une demi-boîte !!! Les civils nous paient à boire. Les soldats sont choyés. Dans tous les cafés, hommes et femmes paient des tournées, nous racontent leur vie sous la botte allemande. Affreux, scandaleux la barbarie de ces Boches. Ils ont semé ici une haine éternelle. Les activistes sont haïs. Quand les hommes parlent des Boches, l’écume leur vient à la bouche. Dans les cafés, dans les rues, on chante la Marseillaise, la Brabançonne, le Vlaamse leeuw. Dans le dernier café, je m’attable avec une petite très gentille. On danse, on boit, rire, chanter, s’amuser. Gand ne dort plus, le vent de la liberté, de la revanche a secoué la population, la portant jusqu’au délire. 12 On dit que Bruxelles est en révolution. On a fait demander les troupes pour y mettre de l’ordre. La ville est un peu plus calme. Des bandes de jeunes gens circulent en ville et vont détruire les maisons des embochés, couper les chevaux des filles qui ont marché avec les Boches. Les trams circulent, lumière partout, ce n’est plus la guerre. 13 Journée magnifique. Le gouverneur allemand Falkenhausen est assassiné à Bruxelles. Le Roi fait son entrée à Gand. La foule se masse sur son passage. Gand est en fête. Un vent de patriotisme souffle sur la ville. La 1ère DA défile. Les soldats sont très acclamés. Je vais au cinéma. 14 La coupe des cheveux des amies des Boches, le massacre des boîtes embochées continuent. En ville, des milliers de piotes ont trouvé une âme sœur !!! Loiseau part en permission. Le soleil est avec les alliés. Les conditions de l’armistice sont terribles. L’Allemagne est bien croquée. Le Kaiser, sa femme et ses enfants sont en Hollande. La révolution en Bocherie. 15 Départ de St Amand pour Lochristi. Marche en colonne. Embêtant. Nous poireautons deux heures. Logeons dans une petite bicoque. Nous y voyons courtiser à la façon « l’amour en furie ». 16 Partons pour St Nicolas par Lokeren. Lokeren, ville très sale. A St Nicolas, bel accueil. Cambier se fait raser par une demoiselle. Nous, nous nous contentons d’en être jaloux. Logeons à l’école des sœurs. St Nicolas, gentille petite ville. 227


17 Partons en colonne pour Beveren. Logeons chez l’habitant. Dans un café, un capitaine d’artillerie entre et s’adressant à la dame d’une ton joyeux : « Eh bien, comment allez-vous ? Vous avez maigri (comme si cela lui faisait plaisir) ». Un docteur lieutenant a une cuite et pleure sur ses amours. Les femmes, dit-il, ont plus « baissé » que les marks. Ils sont abrutis par l’armée. Dubois s’engueule avec le capitaine qui ne veut pas lui donner une permission. Notre capitaine semble dire pourquoi être si impatient. Vous pourriez bien attendre encore un mois. Arrivés ici, on voulait nous loger dans une grange. On y aurait gelé. Les Boches, eux, logeaient chez l’habitant. Les civils pleurent pour nous avoir et on ne sait que faire pour nous faire crever. Si ça continue, il faudra aussi se révolter. 18 Départ pour Anvers. Nous passons l’Escaut au Sud sur un pont entretenu par les Boches. Sur notre passage, assez bien de monde qui manifeste très peu. Il est vrai qu’il y a déjà trois jours que les Belges sont entrés dans la ville. Nous logeons à la caserne 5. Les civils nettoient la caserne. Il y fait dégueulasse. Honteux de nous caserner dans la crasse boche. Il y pue. Il est vrai que les Boches sont de véritables cochons. Les civils ont bien raison de dire qu’ils puaient. Nous sortons le soir en ville pour oublier la caserne qui a abattu notre moral. Anvers est toujours la même ville. Dans huit jours, nous re-serons les « veuil potjes ». 19 La caserne a déjà un autre aspect. L’éclairage électrique. Nous avons du charbon et des sacs à paille boches. On a la frousse des puces et de la grippe qui fait des victimes aussi parmi les civils. Des permissionnaires partent pour Bruxelles. On est impatient. Le Roi fait son entrée à Anvers. La foule acclame les chefs à cheval qui ont la poitrine barrée de décorations et pas un, peut-être, ne les a gagnées. Les jasses, on ne les acclame pas. L’enthousiasme est plus grand qu’hier. Les Anversois ne manquent de rien. Tout est horriblement cher mais il y a même des pâtés, ce qui manquait à Paris. Le neveu de Gulton arrive de Bruxelles. 20 En promenade autour de la ville pour faire l’inventaire des machines électriques laissées par les Boches. Partout où les Boches ont logé, la même cochonnerie. Les hommes deviennent nerveux. Nos foyers sont libérés et pas de permissions. Scandaleux. Ils ont fermé les congés pendant toute l’offensive et, en ce moment, ils ne nous permettent pas d’aller revoir les nôtres. 21 Désigné pour me rendre à Ostende rejoindre le détachement des projecteurs. Allez à Ostende, me dit le capitaine. Il y a 125 km sans moyen de transport. On ne se demande pas si nous trouverons un logement, de la nourriture. L’armée va ! Berger capitaine est un vulgaire individu. Il ne laisse pas partir en permission les bruxellois mais lui, il ira en auto à Bruxelles voir l’entrée du Roi. Arrivons à Beveren le soir. Sommes bien logés chez l’habitant. Pas encore de ravitaillement. Vrai, nos autorités méritent un coup de balai. Le nouveau gouvernement ne fait rein. 22 Trouvons une auto qui nous conduit à Gand, une autre de Gand à Tronchiennes. Prenons un train de marchandises de Landeghem jusque Bruges. Nous voyageons en compagnie de prisonniers italiens et russes libérés. Lamentable troupeau et l’armée ne semble pas s’en occuper. Une honte. Des braves qu’on abandonne. Quand on se présente aux quartiers généraux, on vous fiche à la porte. Des frères qui cherchent leurs parents soldats ne peuvent 228


avoir aucun renseignement et après, on crie vive l’armée. Bruges. Le soir, calme, triste. Logeons chez une dame très gentille. Nous avons un lit excellent. 23 Prenons le train pour Ostende. Arrivons à la caserne. Vive la classe ! Visitons la ville. La plage est salement arrangée. La ville a peu souffert. Le vindicatif, que les Anglais ont coulé à l’entrée du port, démontre bien la témérité de ces marins anglais. Malheureusement, l’entreprise n’eut pas tout le succès voulu. 24 Beaucoup de monde en ville. Ostende même a peu souffert. Les gens sont bien habillés mais simplement. Le soir, la ville n’est pas éclairée. Nous allons dans quelques salles de danse. Un monde fou. Il y pue la charogne et on mange de la poussière à volonté. 25 Les Boches doivent avoir quitté le pays et de ne pouvoir retourner à Andrimont, je deviens d’une impatience extraordinaire. Tout le truc me fait chier. Certes, nous ne tresserons pas de couronnes à nos chefs pour nous avoir facilité le retour à la maison. 26 Des femmes nettoient la caserne. Toute la journée, elles courent dans le bâtiment. La caserne sera bientôt une maison publique. A la Cie. Berger est allé à Bruxelles voir l’entrée du Roi. Il occupe les hommes de façon à ne pas les laisser partir. Il est plus boche que les Boches. 27 La température est plus douce. A Bruxelles, les Français ont eu beaucoup de succès. Dans le port d’Ostende, on travaille fiévreusement au nettoyage. Un train doit aller d’Ostende à Malines-Louvain. On parle de donner 20 jours de perm. pour Liège. A quand mon tour ? 28 Nous allons passer à la I DA. Comme commandant, nous y aurons Dechamps. Un imbécile, un maniaque qui lève facilement la main. L’homme froussard. Il vaudra toujours bien le chien Berger. 29 Pas de lettre depuis que nous sommes partis de la 2 DA. La poste est merveilleuse. Le balai s.v.pl. On discute notre nouveau cabinet. V.d.v. le franc-maçon est bien le maître. 30 A Ostende, on danse à la façon boche. On prend des manières boches. C’est l’hiver, on a soin de ne pas donner des vêtements, des couvertures.

Décembre 1918 Enfin, la guerre est finie. Nous attendons la paix. Décembre 1918, je vais recevoir un congé pour Andrimont. Il y a un an, nous n’osions l’espérer. En ce moment, nous avons peine à le croire et pourtant, c’est bien vrai. Le lieutenant annonce que, d’ici trois ou quatre jours, nous aurons 20 jours de congé. Revoir sa famille. A cette pensée, qui pourrait exprimer ce que le cœur ressent !!! Triste chose que la guerre mais cette grande séparation nous a appris ce que c’est que la famille, ces chers vieux qui ne vivent que dans leurs enfants. 229


01 Deux trains partent d’Ostende pour Bruxelles, trois pour Paris par Furnes. Journée splendide. Dans la caserne, des officiers font la cour aux femmes qui nettoient. Scandaleux. Anciens sergents que la guerre a favorisés. Ils font le beau. On les reçoit dans les salons, on rejette un piotje. Le piotje, pauvre victime. Le monde ne comprendra jamais. 02 A midi, on nous annonce notre départ pour Knokke. On va nous conduire en auto. Au dernier moment, le singe nous envoie à pied. Il est 4 heures du soir. Le pont sur le canal est sauté. Nous passons en barquette. A Coq-sur-Mer, nous logeons à l’hôtel Belle-vue. Bon lit. Petit patelin très coquet. Toujours pas de lettre. Quand verrons-nous encore le facteur ? 03 Partons à 8 heures. Trouvons une auto anglaise qui nous conduit à Heist. Tout le long de la côte, les défenses boches ont sauté. Partout, de puissants abris, des canons. A Zeebrugge, le fameux embouteillage. Les ponts ont sauté. A Knokke, logeons à l’hôtel de Düsseldorf dans une petite chambre, avec un petit feu et un bon lit. Je vais voir quelques abris en béton dans les dunes, les pièces de 30 sous coupole commandée électriquement. Les ouvrages boches sont merveilleux. […] avait commandé 150 litres d’essence pour notre détachement. Nous sommes ici avec deux autos de 60 et 120 litres d’essence. Le singe amène 15 bidons mais vides. L’essence servira à Monsieur pour ses promenades, le tout sera compté sur le compte exercices. Tas de voleurs. Nous conduire en auto, c’est impossible mais faire le singe en ville sur notre compte, c’est l’idéal. Nous sommes les imbéciles qui faisons la guerre, eux ce sont les malins qui en profitent. Et puis, on s’étonne que le bolchevisme fasse tant de progrès. Dans ce patelin, les filles aussi ont été très sages. Jusqu’à 4 gosses boches dans le même ménage. Je lis l’histoire de Victor Hugo par un de ses amis. Le feu ronfle, le vent hurle. Ce vent qui hurle, combien je l’aime. A l’Yser, j’arrivais chez Forêt J. Le vent hurle et j’ai cessé d’écrire pour écouter cette voix de là-bas. Il hurlait de la même façon au pays, il hurlait à l’Yser, il hurle ici, il hurle là-bas. Enfin, il me dit : j’exprime ma joie. Le Boche est parti. Tu peux revenir, je hurlerai dans la cheminée pour te rappeler les mauvais jours et te faire goûter la joie, le bonheur d’être chez soi. Hélas, nos chers dirigeants ne nous laissent pas retourner. Un homme partira tous les 6 jours. Nous sommes 6 qui n’avons pas encore revu nos parents. Le dernier partira donc en janvier. Les autres qui voudraient aussi aller les revoir attendront encore des mois et des mois. Tout simplement scandaleux. 04 Un mois et demi que cette partie du pays est libérée et le ravitaillement n’est pas encore assuré. Pas de communications convenables avec les grandes villes. Rien, rien. Les gens disent : bientôt nous devrons nous dire que nous étions mieux avec les Boches. Pas toujours de facteur. Triste dans le patelin. On reste toute la journée autour du feu. On fait quelque peu ceinture, le ravitaillement n’étant pas arrivé. Le long de la côte, les Boches ont construit de magnifiques abris meublés au dernier cri, piano, beaux meubles volés dans les villes. 05 Visite de la plage qui est magnifique. Les civils enlèvent les défenses placées par les Boches. On répare les lignes électriques. L’absence de lettre se fait sentir. Nous ne savons plus rien des amis, des connaissances. Les Belges sont à Aix et moi, je suis encore ici. Les vivres arrivent enfin. 06 Le matin, je vais jusqu’à la frontière hollandaise. Fameux fils électriques. Les Boches avaient de magnifiques abris dans les dunes. Tout est démoli. En revenant, faisons lever un 230


lapin qui, en se sauvant, se fait prendre au piège. Le soir, je prépare des choux de Bruxelles recueillis dans un jardin boche. Le gaz marche de nouveau. La ville est éclairée. Les deux qui logent avec moi sont partis en perm. Je suis seul et de nouveau, je vais à Andrimont. Armée maudite. 07 Knokke est stupide. Calme presque triste. On s’occupe à faire sa cuisine. Une famille m’invite à aller loger chez eux. J’accepte et le soir, je loge dans une chambre proprette du brigadier des douanes. 08 On joue au seigneur. Le matin, partie de billard. L’après-midi, à Heist avec les enfants de la famille où je loge. Un jeune homme et une demoiselle dont la compagnie est très agréable. Suivons la mer jusqu’à près de Zeebrugge. Le soir, au cinéma puis retour. Jouissons d’un temps merveilleux. Je suis hors ménage. Je donne mes vivres aux civils et je mange avec eux. Cuisine excellente. Le soir, le père m’invite à faire avec eux la prière du soir. Coutume pieuse pleine de poésie impressionnante. 09 Pluie. Nous devons recueillir tous les matériaux laissés par les Boches. On n’en fout pas lourd. 10 Je vais au potager boche prendre les légumes nécessaires au ménage. La cuisine est excellente et les personnes très agréables. J’y passe la journée très agréablement. 11 Pluie. Heureusement, j’ai cette famille pour chasser mon cafard. J’oublie un peu mon congé. 12 J’espère partir en congé le 15. Vivement le retour. Pourtant, je n’ai jamais été aussi bien qu’à Knokke. 13 Reçois un télégramme de la maison. Pluie et plus froid. Le soir, la dame nous prépare des croustillons épatants. 14 Pluie. Je suis impatient. 15 A l’occasion de l’arrivée du fils en congé, dîner extra. Une tarte et une larme de Vieux Bourgogne. Le soir, je pars en congé de Knokke à Bruges en voiture. A Bruges à 10 h du soir, un train pour Malines. Malines à 8 h. Nous restons deux heures en gare puis nous prenons un train pour Bruxelles. Les trains sont bondés. Dînons à Bruxelles pour 4 frs 75. Petite promenade en ville. A 4 h 10, départ pour Liège en 2ème classe. Est-ce vrai que je

retourne !!?

FIN DU TROISIEME CARNET

26 Mars 2014, fin de la retranscription

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