Casamémoire lemagn°1

Page 1

Numéro 1 | Décembre 2013

dossier

patrimoine d’ailleurs

regard sur la ville

Vers une gentrification de Casablanca?

Une mosquée néo-marocaine en terre de France

Zineb Andress Arraki, un uneregard regard tendre et désolé


2 - dĂŠcembre 2013 - casamĂŠmoire le mag


édito

Casablanca, ce grand chantier Il existe des tournants dans l’histoire des villes. Dans son discours, daté du 11 octobre 2013, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a dit ceci : « Casablanca est la ville des gratte-ciels et des bidonvilles. C’est le centre de la finance et des affaires, mais aussi de la misère, du chômage et d’autres maux, sans parler des déchets et des ordures qui en ternissent la blancheur et entachent sa réputation ». Ce court extrait d’un discours au ton sans concession en a fait frémir plus d’un qui, soudain, se sont mis au garde-à-vous. Il était temps ! Que chacun se mette au travail. Que chacun prenne ses responsabilités. Et je ne parle pas là uniquement des autorités. Le citoyen est tout aussi concerné. Il faut que les Casablancais retrouvent leur urbanité qui, il n’y a pas si longtemps, faisait leur fierté. Chaque Casablancais sait – ou devrait savoir – qu’il y a désormais un avant et après 11 octobre 2013. Et Casamémoire dans tout ça ? Elle est partie prenante de ce débatcombat. En dix-huit années d’existence, l’association n’a cessé de prêcher la bonne parole : celle d’une ville BLANCHE. Grâce à notre inlassable action de sensibilisation, le patrimoine architectural de Casablanca est redevenu connu et reconnu – non seulement de toutes ses élites, mais également d’une portion non négligeable de ses habitants. Nous avons empêché des dizaines de démolitions. Nous avons contribué à faire inscrire sur la liste du patrimoine national plus d’une centaine de bâtiments. Ceci est bien, mais pas suffisant. À l’aune de la nouvelle donne politique, Casamémoire s’active, plus que jamais, à donner corps à son rêve premier : faire classer cette cité Patrimoine mondial par l’Unesco. C’est notre grand chantier à nous. Notre participation à cette renaissance de Casablanca que le Souverain a appelé de ses vœux.

Rachid Benbrahim Andaloussi architecte, président de casamémoire casamémoire le mag - décembre 2013 -

3


4 - dĂŠcembre 2013 - casamĂŠmoire le mag


sommaire

actualités 6 La villa du Prince Murat n’est plus Ce petit palais néo-mauresque faisait partie de la légende de Fédala

10 L’église orthodoxe de Casablanca sauvée «  Vendue » frauduleusement par le dernier prêtre en charge, le lieu a échappé à la destruction grâce à une efficace mobilisation

12 L’Université populaire

parcours 24 J ean Claude Nicolas Forestier,

Portfolio 28 U n regard tendre et désolé

retransmission, en direct, sur grand écran, des ballets de la troupe moscovite

16 U ne église revisitée e magazine déco Maisons du Maroc nous fait L

découvrir une vieille église transformée en hôtel de charme à El Jadida

sur Casablanca

Les clichés que la jeune architecte-photographe Zineb Andress Arraki tire de sa ville natale sont l’expression esthétique d’un amour aussi tenace que désappointé

Devant le succès de ce cycle thématique annuel de

14 L e Bolchoï s’invite au Rif es Casablancais peuvent assister à la L

Un jardinier paysagiste a été convié par Lyautey pour réaliser la première étude des terrains à prévoir pour la création des villes nouvelles

du patrimoine : et de trois !

conférences initié à Casablanca, six autres villes du royaume ont rejoint le mouvement

le promoteur de la Cité Jardin

dossier 38 V ers une gentrification

de Casablanca ?

Interviews de Jacqueline Alluchon et Abderrahim

Kassou, deux membres parmi les plus anciens et les plus actifs de Casamémoire

Patrimoine d’ailleurs 58 B eyrouth : un centre de l’architecture

Le Centre arabe pour l’architecture crée une

20 Une nouvelle vie pour nos kasbahs n partenariat public-privé s’est constitué en vue U

22 Réédition du guide architectural

60 Histoire d’une mosquée néo-

plateforme interactive ayant pour but l’information du public sur le patrimoine architectural arabe moderne

de transformer des kasbahs délabrées en unités hôtelières haut de gamme

de Casablanca

Digeste mais parfaitement documenté, l’ouvrage

illustré s’adresse aussi bien aux spécialistes qu’aux amateurs

marocaine en terre de France

La Grande mosquée de Paris est un fleuron de

l’architecture néo-makhzénienne telle qu’établie par Lyautey, une réalité aujourd’hui méconnue

En couverture photographie de Zineb Andress Arraki n Direction de la rédaction Jamal Boushaba n Conseil éditorial Jacqueline Alluchon n Secrétariat de rédaction élodie Durieux n Coordination Sakina Choukri n Conception et direction artistique Sophie Goldryng n Contributions Anne-Claire Kurzac-Souali, Justin McGuiness, Gislhaine Meffre, Emmanuel Neiger, Hassan Sefrioui, Nawal Slaoui n Crédits photos Casamémoire (pp. 10-11), Alexandra Chapier (pp. 16-17-18), Bernard Delgado (pp. 6-7-8-9), Luigi Forese (pp. 13-14-15), Laurent Gueneau (pp. 60-61-62-63), Studio Romli (pp. de 38 à 56) n Photogravure Graphely n Impression Imprimerie Toumi n Casamémoire le mag est une publication de l’association Casamémoire pour la sauvegarde du patrimoine architectural du XXe siècle au Maroc n Contact Casamémoire, 14-18 avenue Hassan Seghir, Casablanca. Tél : +212(0) 526 515 829 /522 543 663

casamémoire le mag - décembre 2013 -

5


actualités

démolition

La villa du Prince Murat n’est plus Ce petit palais néo-mauresque faisait partie de la légende de Fédala.

E

n juin dernier, alors que les corps se doraient sur les plages, l’esprit écrasé par la chaleur de l’été, peu se sont avisés de la destruction de la Villa de la Tranquillité, dans le quartier El-Alia à Mohammedia, ex-Fédala. Construite entre 1929 et 1931, par l’architecte Adrien Laforgue(1), pour le compte du Prince Charles Murat(2) et de son épouse née Margaret Stuyvesant Rutherfurd, la villa a été conçue comme un véritable petit palais néo-mauresque avec tourelle recouverte de tuiles vertes vernissées, galeries à arcade de plein cintre et colonnes en marbre, jardin andalou orné de marches et de fontaines en zellij, etc.

6 - décembre 2013 - casamémoire le mag

Bien que déjà délabrée, la Villa de la Tranquillité avait été choisie, en 1983, comme principal élément de décor des Mots pour le dire, un film de José Pinheiro, avec Nicole Garcia, Marie Christine Barrault, Daniel Mesguich et Claude Rich. L’action du film était censée se dérouler en Algérie française, soit dit en passant. Pour exprimer leur reconnaissance aux maâlems ayant œuvré à la construction du petit palais, ses propriétaires avaient tenu à y apposer une plaque sur laquelle étaient gravés ces mots : « Villa, dépendances, jardins et plantations d’arbres conçus et réalisés […] avec l’aide, pour la décoration, d’artisans d’art de Fès et Rabat, le gros œuvre

Page de gauche et ci-contre : vues de la villa aux accents néo-mauresque prononcés. Les vestiges de l’ornementation en zellij du jardin attestent du savoir-faire des maâlems impliqués dans le projet.


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

7


actualités

démolition

la Villa de la Tranquillité avait été choisie, en 1983, comme principal élément de décor des Mots pour le dire, un film de José Pinheiro.

étant exécuté par des maçons et ouvriers de diverses races et croyances». Hommage appuyé à la pluralité des identités présentes alors sur les chantiers marocains. Comme le reste du bâtiment, la plaque a malheureusement disparu sous les tonnes de gravas provoqués par le poids de la spéculation immobilière. emmanuel neiger

1. Installé à Rabat dès 1913, Adrien Laforgue est l’auteur de nombre de bâtiments majeurs dont la Poste à Casablanca, la Gare et la cathédrale Saint-Pierre à Rabat. Il est décédé en 1942. 2. Le Prince Charles Murat (1892-1973) est le descendant du Prince Joachim Murat (17671815), Maréchal d’Empire et Roi de Naples de 1808 à 1815.

8 - décembre 2013 - casamémoire le mag


Vue de la cour centrale avec sol en pierre, sous-bassement en bejmat et zellij excisé, arcade en plein cintre, colonnettes et autres recouvertes de tuiles vertes caractéristiques de cette écriture romantique et éclectique typique des années vingt.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

9


actualités

inscription

L’église orthodoxe de Casablanca sauvée « Vendue » frauduleusement par le dernier prêtre en charge, le lieu a échappé à la destruction grâce à une efficace mobilisation.

L

’église russe orthodoxe russe de Casablanca vient enfin d’être inscrite à la liste nationale du patrimoine par le ministère de la Culture. Sis rue Blida, ce modeste mais fort pittoresque bâtiment, datant des années trente, était menacé de destruction, suite à une action frauduleuse – le dernier prêtre en charge l’ayant tout bonnement « vendu » à un particulier! Une rapide et active mobilisation des descendants de la communauté russe du Maroc a réussi à éviter la disparition d’une des

10 - décembre 2013 - casamémoire le mag

trois dernières églises orthodoxes du pays. Rappelons, au passage, que la communauté russe orthodoxe est présente, de manière organisée, au Maroc, dès les années vingt. Selon son nouveau statut juridique, le bâtiment en question ne peut être désormais ni détruit, ni dénaturé, ni restauré sans l’accord préalable du ministère. Nous ignorons, en revanche, si le lieu sera rendu au culte ou affecté à une autre fonction. emmanuel neiger


Page droite et ci-dessus : vues intérieure et extérieure de l’église. Il s’agit d’un des trois derniers lieux de culte orthodoxe au Maroc. L’architecture bien que modeste n’en est pas moins pittoresque.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

11


actualités

Sensibilisation

L’Université populaire du patrimoine : et de trois ! Devant le succès de ce cycle thématique annuel de conférences initié à Casablanca, six autres villes du royaume ont rejoint le mouvement.

L

e mardi 8 octobre 2013, à 19h, Faissal Cherradi – architecte, directeur régional au ministère de la Culture et président du Comité de pilotage de réhabilitation de l’ancienne médina – a donné le coup d’envoi de la troisième édition de l’Université populaire du patrimoine, avec une conférence traitant de L’Architecture de terre des vallées présahariennes. Née d’une initiative commune de Casamémoire et de l’Institut français, l’UPP est ouverte à tous : architectes, enseignants et étudiants en tout genre, passionnés de la chose patrimoniale, ou tout simplement férus de culture générale. L’accès en est, évidemment, gratuit. Le programme annuel comprend un cycle de huit rencontres avec des spé-

12 - décembre 2013 - casamémoire le mag

cialistes marocains et internationaux abordant les multiples questions que posent le patrimoine dans ses différentes dimensions. Rappelons, en passant, que l’idée – nouvelle au Maroc – des universités populaires est héritière d’un mouvement éducationnel populaire vieux de plus d’un siècle, qui s’est, peu à peu, répandu en Europe, particulièrement en Allemagne où le tissu des universités populaires – couvrant différentes disciplines – est particulièrement serré et structuré, à l’échelle de l’ensemble du pays. Les séances de l’UPP de Casablanca réunissent, en moyenne, quelque 1000 auditeurs annuels. Encouragées par ce succès, les villes de Tétouan, Meknès et El Jadida ont rejoint, l’année der-

nière, le mouvement, suivies, cette année par Khouribga, Safi et Agadir – chacune d’entre elles programmant un cycle de conférences spécifique. Au total, plus de soixante conférences sont données, cette année, à travers les sept cités. Chaque année, l’Université populaire du patrimoine de Casablanca s’invite dans un lieu emblématique de la ville. Pour cette troisième édition, c’est le siège de l’UMT – ex-Résidence générale durant le Protectorat – située dans l’ancienne médina, qui nous ouvre ses portes. élodie Durieux

Pour tout renseignement, consulter le site de l’association : www.casamemoire.org ou le programme de l’Institut français de Casablanca.


L’UPP 2013-2014 se déroule dans le siège de l’UMT (ex-Résidence générale).

casamémoire le mag - décembre 2013 -

13


actualités

Cinéma de quartier

Le Bolchoï s’invite au Rif Un dimanche par mois, les Casablancais peuvent assister à la retransmission, en direct, sur grand écran, d’un ballet de la troupe moscovite. Une première au Maroc s’inscrivant dans le cadre de la recherche d’une programmation alternative à celle des multiplexes.

A

près l’avoir soigneusement rénové, puis l’avoir fait entrer dans l’ère du numérique – en le dotant du système de protection dit Sony 4K – Hassan Belkady s’attaque au renouvellement de la programmation du cinéma Rif. Ainsi, depuis octobre dernier, à raison d’un dimanche par mois, le public casablancais peut suivre sur grand écran – et dans les meilleures conditions – la retransmission, en direct de Moscou,

14 - décembre 2013 - casamémoire le mag

des principales représentations des fameux Ballets du Bolchoï. Une expérience unique au Maroc, rendue possible grâce à un partenariat noué avec le Pathé Live (filiale du groupe des cinémas Gaumont Pathé) – pionnier et leader en France, depuis 2008, de la retransmission en direct, sur grand écran, de grands événements culturels, grâce à son système unique de vidéotransmission par satellite. À titre d’illustration, la réception des ballets

en question au cinéma Rif nécessite un signal transmis par dix caméras HD émettant à partir du théâtre moscovite, relayé par un satellite anglais. Au delà de la performance technique, nous tenons à saluer, ici, l’audace et l’effort d’imagination fournis par Hassan Belkady pour proposer une programmation originale – pour ne pas dire alternative – seul moyen de contrebalancer celle des multiplexes et, ce faisant, garantir la survie des salles


de quartier – lesquelles ferment l’une après l’autre, au train que l’on sait. On n’en attendait pas moins de ce passionné, propriétaire, outre du Rif, de l’ABC et du Ritz. Rappelons d’ailleurs qu’il est tombé très jeune dans la marmite, sa mère ayant été la propriétaire du désormais fermé – mais néanmoins toujours mythique – Shahrazade, joyau de la nouvelle médina, jadis inauguré par feu Mohammed V. Pour en revenir au Rif, rappelons que

cette salle, au design remarquable, datant de 1958, est l’œuvre de Domenico Basciano (1911-2012). Né en Tunisie, de parents italiens, et établi au Maroc dès 1922, on doit à cet architecte nombre de nos salles obscures, dont la plus aboutie reste certainement le Lynx, avenue Mers Sultan.

Construit en 1958 par Domenico Basciano, le cinéma se présentait comme à la pointe de la modernité non seulement par son design mais également par sa position géographique, l’actuelle avenue des FAR, alors, tout juste percée par l’urbaniste Michel Ecochard.

Emmanuel Neiger

Renseignements sur place. Cinéma Rif, 22, avenue des FAR, Casablanca.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

15


actualités

Réhabilitation/transformation

Ci-dessous : la façade du bâtiment a été scrupuleusement restaurée à l’identique. Page de droite : vues d’intérieur illustrant l’heureux éclectisme esthétique adopté comme principe d’agencement.

Une église revisitée Dans un beau reportage photographique signé Alexandra Chapier, l’édition septembre-octobre 2013 du magazine déco Maisons du Maroc nous fait découvrir L’Iglesia, premier hôtel de charme à ouvrir ses portes dans la ville d’El Jadida.

U

n mobilier on ne peut plus fashion (fauteuils vintages, miroirs vénitiens et autres somptueux tapis berbères) est disposé au sein d’une vieille église au décor tout aussi éclectique (sols en carreaux de ciment, sous-bassement en azulejos de Valence et pilastres en plâtre néo XVIIe siècle). L’ensemble, un tantinet flashy, est néanmoins si harmonieux qu’on arrive difficilement à distinguer les éléments originels de ceux rajoutés et/ou venus en remplacement. La façade a, de toute évidence, été restaurée avec une scrupuleuse fidélité.

16 - décembre 2013 - casamémoire le mag

Normal : le bâtiment – englobant également un ancien consulat et les restes d’un cloître – est classé patrimoine mondial par l’Unesco en tant que partie intégrante de la cité portugaise, l’ancienne Mazagan. Quant à la datation desdits bâtiments, nous avouons notre ignorance. Le texte de Maisons du Maroc nous parle d’une « église espagnole du XIXe siècle », tandis que le Guide Bleu – dans son édition de 1950, sous la direction du très savant Prosper Ricard(1) – nous dit ceci : « Notre-Dame de l’Assomption, ancienne église paroissiale de la place chrétienne de Mazagan, flanquée à gauche de l’amorce


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

17


actualités

Réhabilitation/transformation

L’ensemble est si harmonieux qu’on arrive difficilement à distinguer les éléments originels de ceux rajoutés et/ou venus en remplacement.

d’un clocher ; dégagée et remise à neuf, elle a été rendue au culte en 1921 ». Et l’auteur de conclure : « à l’intérieur, dans l’entablement de droite, des inscriptions rappellent la fondation, par des gouverneurs de la place, de la chapelle sous le vocable de Saint François, de l’Immaculée Conception et de Sainte Ignace ». L’église a cessé toute activité en 1968. Conduit par l’architecte d’intérieur Nadia de Ré, le chantier de réhabilitation/transformation a duré trois ans. On applaudit. Jamal Boushaba

1. Prosper Ricard (1874-1952) a été directeur du service des Arts indigènes au Maroc de 1920 à 1935.

18 - décembre 2013 - casamémoire le mag


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

19


actualités

Patrimoine et tourisme

Une nouvelle vie pour nos kasbahs Un partenariat public-privé s’est constitué en vue de transformer des kasbahs délabrées en unités hôtelières haut de gamme.

D

ès les années vingt, l’esthétique unique et hiératique – véritables sculptures en dentelle de terre – des kasbahs du sud avait subjugué jusqu’à l’obsession des artistes de talent tels un Majorelle ou un Eddy Legrand. Plus récemment, c’est le cinéma international qui s’est emparé de ce patrimoine, formidablement photogénique, pour en faire l’arrière-plan de moult surproductions à caractère antique. Las ! Des décennies durant, pendant que lesdites kasbahs se désagrégeaient à mesure qu’elles se dépeuplaient, nos promoteurs nationaux se sont contentés de commander des unités hôtelières, construites en béton, pastichant grossièrement cette archi-

20 - décembre 2013 - casamémoire le mag

tecture célébrée mondialement. Les temps changent, fort heureusement. Dernièrement, une convention réunissant le fonds Madaef (filiale de la CDG), la Société marocaine d’ingénierie touristique (SMIT) et Akwa Group, a donné naissance à la Société marocaine de valorisation des ksours et kasbahs (SMVK). Le but d’un aussi imposant partenariat public-privé ? « Miser sur le potentiel historique, culturel et architectural des kasbahs et ksours du Maroc pour développer un nouveau produit touristique qui alliera luxe et authenticité ». Il était temps ! Dans une première phase, la SMVK axera son intervention sur les kasbahs et ksours du sud-est du royaume. L’objectif étant la réhabilitation et la

reconversion en structures hôtelières haut de gamme de dix entités. Trois kasbahs serviront de projets-pilotes : Dar el Hiba à Zagora, Aït Abbou à Ouarzazate et Oulad Abdelhim à Errachidia. Des contrats d’acquisition ou de location à long terme ont d’ores et déjà été signés avec les propriétaires des trois sites en question. Des appels d’offres relatifs à la maîtrise d’œuvre des travaux, d’une part, à la gestion de l’établissement touristique créée, d’autre part, vont bientôt être lancés – s’ils ne le sont déjà à la date de notre parution. Les responsables espèrent l’ouverture des premières unités courant 2016. Nous l’espérons tout autant et de tout cœur. Jamal Boushaba


Dès les premières années du Protectorat, les peintres européens sont fascinés par l’architecture des kasbahs. Ici, une gravure sur bois signée Jean Hainaut, illustrant Timimmit Ksourienne, de Marie Barrere-Affre, prix littéraire du Maroc, 1942.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

21


actualités

Parution

Réédition du guide architectural de Casablanca Digeste mais parfaitement documenté, l’ouvrage illustré s’adresse aussi bien aux spécialistes qu’aux amateurs.

B

onne nouvelle! À la demande pressante du public (averti), Casamémoire réédite le Guide des architectures du XXe siècle de Casablanca, dans sa version française. Publié aux éditions Revue maure, au printemps 2011, en deux versions (française et arabe), à 4000 exemplaires, l’ouvrage était épuisé deux ans plus tard. Et ce, malgré une distribution des plus parcimonieuses. En effet, ce guide, unique en la matière, n’ayant jamais été commercialisé, l’amateur – informé par le seul biais du bouche à oreille – devait se déplacer jusqu’au

22 - décembre 2013 - casamémoire le mag

siège de l’association pour s’en procurer un exemplaire. Rédigé dans une langue accessible au grand public mais parfaitement documenté, l’ouvrage, illustré, présente une centaine de bâtiments représentatifs des principaux styles constitutifs de l’identité architecturale de la cité : le néo-mauresque, l’art-déco, le néo-marocain, le Bauhaus, le fonctionnalisme et autre style brutaliste. Le Guide des architectures du XXe siècle de Casablanca est le fruit d’un travail collectif mené sous la direction de Jacqueline Alluchon, architecte et co-fondatrice de l’association. Cette nouvelle

édition a été possible grâce au soutien de La Marocaine Vie, un partenaire ayant déjà accompagné Casamémoire dans plusieurs de ses projets. À l’heure où nous mettons sous presse, l’association réfléchit à une plus large diffusion de ce guide s’adressant aussi bien aux étudiants et chercheurs, qu’au grand public amoureux ou simplement curieux de ce Casablanca dont on a si bien dit qu’il était « un livre à ciel ouvert des mouvements architecturaux mondiaux de la première moitié du XXe siècle ». À suivre, assurément. la rédaction



parcours

urbanisme et paysagisme

Jean Claude Nicolas Forestier, le promoteur de la Cité Jardin La place accordée aux jardins dans la politique de la ville de Lyautey est si importante que c’est un jardinier paysagiste qui est convié pour réaliser la première étude des terrains à prévoir pour la création des villes nouvelles : Jean Claude Nicolas Forestier.

F

orestier, né en 1861, est un polytechnicien issu de l’Ecole forestière de Nancy, ingénieur des Eaux et Forêts et grand amateur de roses(1). Membre du Musée social, membre fondateur de la section d’hygiène urbaine et rurale, ainsi que de la société française des Architectes et Urbanistes en 1911, et conservateur des Promenades de Paris, il écrit en 1906 un ouvrage intitulé Grandes villes et systèmes de parcs(2) dans lequel il conceptualise sa théorie du « système de parcs ». Cette théorie, qui ne sera jamais appliquée en France, propose d’établir pour les nouvelles agglomérations un schéma directeur et d’intégrer dans leur développement des espaces libres – square, jardin public, pépinière, … – conçus selon un réseau très structuré. Forestier considère en effet que l’insertion de nappes importantes de végétation dans les villes industrielles engendre des bénéfices

24 - décembre 2013 - casamémoire le mag

d’ordres social, sanitaire ou esthétique, indispensables à l’existence de leurs habitants. Conscient toutefois des impératifs économiques il précise que « les villes […] ne peuvent être de vastes jardins, mais des agglomérations de construction où, il est vrai, l’aspect ville devra se dérober parfois »(3). à la demande de Lyautey, à peine installé dans ses fonctions de proconsul au Maroc, Forestier se rend au Maroc en 1913. Lyautey le sollicite parce qu’il apprécie sa vision de l’urbanisme, avant-gardiste pour son époque. Il lui demande de mettre au point une planification des modes d’extension des principales villes du Maroc. Pendant les quelques mois que dure sa mission, Forestier élabore des propositions très détaillées pour les agencements urbains et paysagers concernant essentiellement les villes impériales marocaines (Rabat, Fès, Meknès et Marrakech) dans


Grâce à Lyautey, il s’est retrouvé en mesure d’expérimenter, sur une grande échelle, son système de parcs.

un rapport, resté longtemps ignoré(4). Conformément à sa théorie novatrice d’un déploiement des villes sous forme de villes jardins, il suggère de soumettre chacune de ces villes marocaines au principe de réserves de terrains pour la création de parcs et de jardins publics. Il conclut ce rapport par ces remarques : « Dans les quartiers européens, dans les agglomérations qui se développent à l’extérieur de ces limites, le même avantage d’une ceinture imposée par les circonstances n’existant plus, il devient indispensable d’y réserver non pas seulement un ou deux petits jardins ou espaces plantés, mais un grand nombre d’espaces libres, différents d’étendue, d’affectation, de caractère et d’intérêt, répartis aussi uniformément que possible sur toute l’étendue de ce qui devient actuellement agglomération nouvelle ou européenne et surtout de ce qui pourra le devenir plus tard ; sur tous ces espaces de terrains libres il ne sera pas nécessairement fait d’aménagement coû-

teux mais ils constituent des espaces de desserrement, d’aération et de réserves où la municipalité pourra procéder au fur et à mesure des besoins et des ressources, à l’aménagement de terrains de jeux, de promenades, de jardins et parfois de bâtiments publics devenus nécessaires. Et cela ne suffit pas, il est encore plus nécessaire pour aérer les parties construites de prévoir hors de l’agglomération proprement dite, des domaines, des espaces beaucoup plus grands de 50 à 100 hectares et davantage constitués en grandes réserves extérieures dans la banlieue campagne et de les prévoir dès maintenant. Car tarder, ce serait attendre les difficultés qui résulteront inévitablement de l’élévation progressive du prix des terrains avec le développement économique et industriel du Maroc ». Ce texte révèle un chainon manquant de l’histoire de la planification urbaine, au Maroc, en général, et à Rabat plus particulièrement, et consacre le jardinier paysagiste, qu’il est avant tout, figure tutélaire de tous les intervenants qui lui feront suite au Maroc. Dans ce rapport sont repris les principaux éléments d’une théorie nouvelle, celle d’un jardinier qui joue le rôle de sociologue et aspire à un aménagement des villes qui inclut leur périphérie. Selon lui, ce sera par l’intermédiaire de la nature, apprivoisée en réseau d’espaces verts qu’il intègre d’emblée dans le plan de la ville, que pourra s’opérer la grande mutation des métropoles au début du XXe siècle. Forestier circonscrit les panoramas à préserver, les réserves foncières et les périmètres de protection aux abords des grandes villes. Il établit un relevé des jardins qu’il faut sauvegarder dans les différentes médinas, devenant un des acteurs essentiels de la revalorisation de l’art des jardins arabes en étudiant les deux principaux types de jardin, le riad et l’arsa (verger irrigué). Ainsi ses propositions concrètes pour mettre en valeur la végétation traduisent-elles une volonté d’inscrire son travail dans une tradition de « jardin arabe ».

casamémoire le mag - décembre 2013 -

25


parcours

urbanisme et paysagisme

Il envisage la mise en route de recherches expérimentales sur la végétation dans de vastes zones réservées aux périphéries des villes, devenant le promoteur des fameux « jardins d’essais » instaurés à Rabat, Fès, Meknès et Marrakech. En concordance avec son appartenance au Musée social, il préconise, parmi bien d’autres propositions, le maintien de la configuration de la ville arabe dans la perspective d’une extension des villes impériales et recommande pour solutionner le problème, de considérer les enceintes qui entourent les villes anciennes non seulement comme servitude de défense militaire mais aussi comme servitude d’hygiène. Ainsi, il donne les schémas et ébauche les structures primordiales des grandes villes du protectorat. Rétrospectivement, le rapport de Forestier assimile son rôle à celui d’un consultant international avant l’heure. Grâce à Lyautey, il s’est retrouvé en mesure d’expérimenter, sur une grande échelle, son système de parcs. Il va affiner sa conception de 1906 : au Maroc, il n’imagine plus le système de parcs comme complémentaire au plan de ville, mais comme création concomitante de ce plan. « Le plan d’aménagement, outil directement opérationnel, est né. Il ne définit pas la forme de la ville. Il fixe les principes de lotissement des quartiers nouveaux qui sont classés selon leur densité, le type de bâtiment et selon un zoning fonctionnel dans le respect du paysage et du site existant. »(5). Forestier anticipe les principes d’une nouvelle planification des villes qui trouveront leurs véritables assises une décennie plus tard, avec le traité de l’Urbanisme

26 - décembre 2013 - casamémoire le mag

Ci-dessus à gauche : dessin de Jean Claude Nicolas Forestier, janvier 1914. Passage couvert en bordure des grandes voies. Ci-dessus à droite: études générales pour la voirie, janvier 1914.

d’Edouard Joyant. Il est également le créateur du parc Maria Luisa, à Séville, et de l’aménagement de la colline de Montjuïc à Barcelone. De 1923 à 1924, il est sollicité pour un plan d’urbanisation de Buenos Aires. En 1927, il travaille pour un projet de planification de Lisbonne et, de 1926 à 1929, il s’occupe de mettre au point un plan directeur pour la ville de la Havane. Gislhaine Meffre

Texte extrait du livre « Un urbanisme expérimental. Les villes nouvelles marocaines (1912-1965) », Ghislaine Meffre et Bernard Delgado, Senso Unico Editions, Italie, 2012. 1. Il est le concepteur du Parc de Bagatelle et l’initiateur du concours international de Roses nouvelles qui se tient dans la Roseraie de Bagatelle. 2. J-C Nicolas Forestier, Grandes Villes et Systèmes de Parcs, Hachette, Paris 1906. 3. J-C Nicolas Forestier, Grandes Villes et Systèmes de Parcs, p.215, 1997, Jardins, Carnets de plans et de dessins, Picard éditeur, Paris, 1994, ou S.p (1ère éd. : Emile Paul frères éditeur, 1920). 4. Le « Rapport des réserves à constituer au-dedans et aux abords des villes capitales du Maroc. Remarques sur les jardins arabes et de l’utilité qu’il y aurait à en conserve les principaux caractères ». 5. Bénédicte Leclerc, « La mission au Maroc », in Jean-Claude Nicolas Forestier, 1861-1930, du jardin du paysage urbain (dir. B. Leclerc, Picard, Paris, 1994, p.195)



portfolio/Casablanca vue par…

Les clichés éclectiques que la jeune architectephotographe Zineb Andress Arraki tire de sa ville natale sont l’expression fortement esthétique d’un amour aussi tenace que désappointé. Nawal Slaoui, curatrice, et Hassan Sefrioui, galeriste, nous livrent l’argument de l’exposition, intitulée casablancach2o, qu’ils ont coproduite et récemment exposée à la Galerie Shart à Casablanca.

28 - décembre 2013

Un regard tendre


et désolé casamémoire le mag - décembre 2013 -

29


portfolio/Casablanca vue par…

F

ragile, menue, et dotée d’un regard terriblement sensible, Zineb Andress Arraki utilise la photographie comme le témoin de sa perception d’architecte ; elle révèle, à travers son traitement singulier de l’image (photographies contrastées, presque un fusain) notre univers immédiat de façon indubitable et juste. Franche, elle charge tel un taureau vers le cœur des problématiques environnementales d’aujourd’hui.

30 - décembre 2013 - casamémoire le mag

Dès la fin de sa formation d’architecte à Paris, Zineb Andress Arraki, de retour dans sa ville natale de Casablanca, ne peut rester insensible au destin urbanistique tragique de cette ville naguère modèle mondial. Elle va rapidement trouver, avec l’aide des réseaux sociaux, un outil pour partager sa fibre de militante convaincue. Ce sera la série Mobilogy, un éphéméride photographique posté sur sa page Facebook,


accompagné de quelques mots qui nous interpellent et nous figent dans une réalité instantanée. C’est à partir de ce travail, visible de tous les internautes, que la volonté de développer avec Zineb Andress Arraki un travail plus intime est née. Ce sera donc sa première exposition individuelle intitulée casablanca-ch2o(1) : un ensemble d’œuvres photographiques de formats divers, un cri d’alarme contre les dérives urbanistiques de cette ville-monde, une

déclaration d’amour à ses habitants qui veulent y croire encore, un ensemble d’œuvres (photographies et installation) d’où émane une force troublante qui ne peut échapper au regard. Nawal Slaoui et Hassan Sefrioui

1. Méthanal : gaz inflammable à température ambiante. Il a comme propriété de désinfecter, inhiber, fixer, conserver, embaumer, assécher, tuer…

casamémoire le mag - décembre 2013 -

31


portfolio/Casablanca vue par…

32 - décembre 2013 - casamémoire le mag


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

33


portfolio/Casablanca vue par…

34 - décembre 2013 - casamémoire le mag


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

35


portfolio/Casablanca vue par…

36 - décembre 2013 - casamémoire le mag


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

37


dossier

Réflexions croisées

Vers une gentrification de Casablanca?

L

es éditions du Centre Jacques Berque(1) viennent de publier une intéressante étude intitulée Médinas immuables ? Gentrification et changement dans les villes historiques marocaines (19962010). Dirigée par Elsa Cosaldo, Justin McGuiness et Catherine Miller(2), l’étude se concentre essentiellement sur les transformations socio-économiques et urbanistiques qu’ont connues, cette dernière décennie, ces cités au cachet traditionnel affirmé que sont Marrakech, Essaouira et Fès, depuis leur investissement massif par des acteurs étrangers via le phénomène des ryads-maisons d’hôtes. Mais quid de Casablanca ?

38 - décembre 2013 - casamémoire le mag

Par on ne sait quel (heureux) souci comparatif, l’étude comprend deux interviews de deux membres parmi les plus anciens et les plus actifs de Casamémoire, à savoir Jacqueline Alluchon et Abderrahim Kassou. La pertinence et, quelquefois, la concordance de leurs réponses sont troublantes – alors même que les deux interviews se sont déroulées séparément. Nous livrons à votre appréciation l’essentiel de leur réflexion. Rappelons, pour la compréhension des textes, que lesdits entretiens se sont déroulés courant 2011, soit avant la mise en circulation du tramway. Editing : Casamémoire le mag reportage photo : studio romli

1. Installé à Rabat, le Centre Jacques-Berque (CJB) est une unité mixte du ministère français des Affaires étrangères et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Son activité de recherche prend la forme de programmes, de manifestations et de publications scientifiques portant sur les dynamiques sociales, économiques et politiques au Maroc et au Maghreb. Son équipe est internationale. 2. Elsa Coslado est urbaniste et doctorante de l’Equipe monde arabe et Méditerranée au sein du laboratoire CITERES de l’université de Tours.


n

Sous la direction de Pierre Signoles, elle achève actuellement sa thèse sur le bouleversement récent des périphéries de Casablanca. Justin McGuiness est enseignant-chercheur en communication et études urbaines à l’Université américaine de Paris. Après des études de langue arabe et d’histoire islamique (BA Cambridge, 1985), il s’est orienté vers la géographie urbaine, travaillant notamment sur la sauvegarde de la médina de Tunis et les discours et pratiques entourant la question du logement insalubre dans cette même ville (PhD, 1999,

University of Newcastle-upon-Tyne). Depuis plusieurs années, il travaille et publie sur des questions relatives à la médina de Fès et son patrimoine. Il vit entre Fès, Paris et Tunis. Catherine Miller est directrice de recherche au CNRS. Sociolinguiste, elle a travaillé principalement au Soudan, en Egypte, et plus récemment, au Maroc en s’intéressant plus particulièrement à la sociolinguistique urbaine du monde arabe et aux questions de langues, identités et modernité. Elle a co-dirigé l’ouvrage Arabic in the City (2007), Routledge-Taylor.

Immeuble Gallinari. Architectes : Joseph et Elias Suraqui. 1924. Bd. Mohammed-V. Un coup de chaux a suffi à mettre en valeur l’élégance de cette architecture faussement simple.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

39


dossier

Réflexions croisées

Fronton de l’immeuble Gallinari par les frères Suraqui. 1924. Le grand public affectionne ce type de sculptures et moulures néo-classique.

Jacqueline Alluchon « Les choses bougent lentement » Jacqueline Alluchon, architecte, est née à Casablanca en 1943. Elle y exerce depuis 1975. Co-fondatrice de l’association Casamémoire, en 1995, elle a accompagné le travail de Monique Eleb et Jean-Louis Cohen, concrétisé, en 1998, par la parution du livre Casablanca, Mythes et figures d’une aventure urbaine, aux éditions Hazan. Justin McGuiness : Quand vous entendez parler de la gentrification au Maroc quelles sont les images qui vous viennent à l’esprit ? Jacqueline Alluchon : Ce qui me

vient à l’esprit est que la situation dans chaque ville est différente. À Marrakech, le phénomène était d’abord européen, avec cette tradition qui remonte aux années 1930, 1940 et 1950 : une certaine jet-set a choisi la médina de Marrakech. Depuis une

40 - décembre 2013 - casamémoire le mag

vingtaine d’années, la bourgeoisie marocaine, particulièrement casablancaise, participe à la gentrification de la ville en s’établissant plutôt dans la palmeraie et ses alentours, laissant la médina et sa réhabilitation aux initiatives étrangères. Ses membres fréquentent Marrakech comme ils fréquentent Marbella ou Cabo Negro dans le nord du pays, dans le cadre de résidences secondaires où ils se retrouvent entre eux, font la fête et

dépensent de l’argent, dans un certain anonymat. Paradoxalement, ils ne sont pas attirés par Fès, ville d’où sont originaires la plupart des grandes familles commerçantes qui au début du XXe siècle ont adopté la modernité en faisant fortune à Casablanca, abandonnant les modes de vie traditionnels. Je crois que cette histoire a engendré chez leurs descendants un sentiment de culpabilité vis-à-vis de leur patrimoine délaissé et une fri-


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

41


dossier

Réflexions croisées

losité à le réinvestir. De plus, Fès est une ville introvertie qui ne leur offre pas les attraits propres à Marrakech, plus proche de la culture hédoniste de Casablanca. À Essaouira, le phénomène est plus récent, ce sont des gens – des Européens en grande partie mais pas uniquement – souvent sportifs. À Essaouira, il y a un rapport avec la mer, alors qu’à Marrakech, c’est plus orienté vers la consommation. La ville se veut haut de gamme, une capitale du luxe. Est-ce que l’on peut dire quelque chose par rapport à l’évolution de la situation dans d’autres villes historiques, notamment celles de la côté atlantique ?

La légende veut que Tanger ait toujours été le refuge de toutes sortes de populations hétéroclites. Déjà, à la fin du XXe siècle, des étrangers aisés s’étaient installés à la Vieille montagne. Dans les années 1950-1960, ils ont investi la haute médina, la Kasbah. À Rabat, les nostalgiques de Pierre Loti s’installaient dans la Kasbah des Oudayas. À l’arrivée de Lyautey, il y avait déjà des étrangers aux Oudayas. Azemmour est un cas très différent. Dans les années 1940, il y avait le peintre Jacques Azema mais aussi un riche assureur anglais. À la fin des années 1990, il y avait déjà quelques étrangers. Au début des années 2000, les ventes des maisons à des étrangers se sont envolées. Aujourd’hui, beaucoup de Casablancais achètent des maisons pour les rénover à Azemmour. À El Jadida, que je sache, la gentrification ne pointe pas encore son nez. Je n’ai pas entendu parler d’étrangers qui s’installent à Safi non plus. Dans la médina de Casablanca, les choses bougent lentement. On ne peut pas parler de gentrification, bien qu’il y ait quelques changements dans ce sens. On a vu l’arrivée de personnes ayant

42 - décembre 2013 - casamémoire le mag


Un des exemples les plus réussis de la restructuration du centre-ville par le tracé du tramway reste assurément la nouvelle configuration de la place des Nations-Unies aujourd’hui animée jour et nuit.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

43


dossier

Réflexions croisées

une sensibilité artistique. Une maison d’hôtes a été ouverte sur la place de Sidi-Bou-Amara, mais elle a vite fermé ses portes. Le photographe Touhami Ennadre s’est installé dans la médina. On entend parler de projets artistiques de temps en temps. Sur l’ex-place de l’Amiral-Philibert, il y un hôtel pimpant, l’Hôtel central, un peu baba-cool sur les bords. Et puis, il y a la fameuse histoire de Cathie Krieger, l’Américaine qui a recréé le Rick’s Café, construisant un nouveau mythe urbain. Toutes ces innovations se passent sur le bord de la médina. Les gens arrivent et partent par l’extérieur, ils ne la traversent pas, ne la découvrent pas. Une autre initiative commerciale, La Sqala,

44 - décembre 2013 - casamémoire le mag

a en quelque sorte privatisée un des accès de la vieille ville. Ce restaurant est très fréquenté par la bourgeoisie de Casablanca. Pour eux, la médina se résume à La Sqala. De l’argent a été débloqué en 2010 pour réhabiliter la médina. Un comité de pilotage – sans élus locaux – a été formé comprenant une quinzaine de personnes. L’association Casamémoire y est représentée par des personnalités comme Rachid Andaloussi, Abderrahim Kassou et Mohamed Tangi. Des opérations comme la restauration de l’église Buenaventura et de la synagogue Ettedgui ont été lancées. L’amélioration de l’habitat risque d’être difficile. Il reste que la

médina est d’une importance primordiale. Historiquement, c’est le premier point de chute des migrants fuyant la campagne. Au niveau de la réhabilitation et de la réutilisation d’édifices d’importance architecturale et historique à Casablanca, quels sont les projets les plus intéressants à l’heure actuelle ?

On doit citer, pour commencer, la restauration de la Villa des arts en 1999. C’était un projet précurseur. Au début des années 1990, la villa – qui appartenait à l’Ona – était cachée par les arbres de son jardin à l’abandon. On projetait de la démolir pour construire un


Page de gauche : vue partielle de l’immeuble îlot Glaoui de Marius Boyer. Un des bâtiments art-déco les plus aboutis du bd. Mohammed-V. Ci-contre : l’immeuble Martinet de Pierre Bousquet, datant de 1925. Il mêle une ornementation néo-classique à des ondulations art-nouveau.

musée d’art contemporain sur le site. Alain Bourdon, alors directeur de l’Institut français, a organisé, en 1995, une exposition dans cette villa, intitulée Carte blanche à Fouad Bellamine. Ce dernier a mis en scène nombre d’artistes contemporains français dont Sophie Calle. La réussite de cette exposition a certainement incité les responsables de l’Ona à réhabiliter la villa. Et puis, il y eu le cas des anciens Abattoirs municipaux. La mairie ne savait pas trop quoi en faire. Au début des années 2000, il était question de les donner à des acteurs privés pour en faire une technopole. Depuis longtemps, sur les plans d’aménagement urbain, les Abattoirs étaient signalés

comme bâtiment à protéger. La mairie de Casablanca a réfléchi à une possible réutilisation des lieux en impliquant la mairie d’Amsterdam. Un colloque a été organisé et Casablanca a pu découvrir les expériences d’autres villes avec des édifices du même genre. à Sao Paulo, on a ouvert une cinémathèque dans les Abattoirs restaurés, à Toulouse, un musée d’art contemporain. Il y a eu des projets intéressants dans les mataderos de Madrid et d’Istamboul, etc. À partir de là, il a été décidé que la vocation des Abattoirs de Casablanca serait culturelle. En 2009, Casamémoire s’est vue confier leur gestion par la mairie de Casablanca. Le public a pu assister à de nombreuses manifes-

tations culturelles dans les Abattoirs, même si la restauration peine à démarrer. On peut dire que l’intérêt pour le patrimoine récent a été renforcé grâce au projet des Abattoirs. Pendant le premier événement culturel qui y a été organisé – Les Transculturelles des Abattoirs des 11-12 avril 2009 – il y a eu un afflux incroyable, autour de 20 000 personnes en deux jours. Le public était très mélangé, à la fois populaire et bourgeois. C’était génial ! En 2011, il y a eu une très belle exposition itinérante – Abysses – sur les fonds marins, du Musée de l’histoire naturelle de Paris, présentée dans l’ancien aquarium municipal, désaffecté depuis la fin des années 1980. L’ex-

casamémoire le mag - décembre 2013 -

45


dossier

Réflexions croisées

position a reçu plus de mille visiteurs par jour. Le sort du bâtiment n’est toujours pas décidé. On parle d’un musée de la Marine. Au niveau de l’église du Sacré-Cœur, la prise de conscience des possibilités de cet espace a commencé plus tôt, lorsqu’il s’agissait de lancer l’idée d’un festival culturel à Casablanca en 2005, durant le mandat de Driss Benhima, alors wali du Grand Casablanca. Il y a eu une très belle exposition du ministère de la Culture – Deux millions d’années – présentant les fouilles des sites préhistoriques de la ville. D’autres expositions d’importance ont suivi. Je me souviens, en particulier, de celle qu’un artiste espagnol a organisé avec un collectif. Il avait suspendu un semblant de tente fabriqué par des immigrants de Valence. C’était un patchwork, très beau, de bouts de chiffons, de jeans, suspendu au-dessus de la nef par des fils de nylon. Tout le sol était couvert de sable blanc : il fallait se déchausser y entrer. Quels sont les développements les plus importants à l’heure actuelle au niveau du patrimoine architectural à Casablanca ? Est-ce que l’on peut imaginer une certaine gentrification reliée à la réappréciation du patrimoine récent ?

C’est un peu tous azimuts en ce moment. En mai 2011, Casamémoire a lancé une pétition au sujet de la démolition d’un bâtiment sur le boulevard Mohammed-V. Juste après cette initiative, le gouverneur d’Anfa a pris un arrêté d’interdiction de démolition de bâtiments historiques sur toute la préfecture d’Anfa – qui couvre à peu près tout le centre-ville. Ça fait des années que les élus – qui parlent beaucoup du patrimoine – ne prennent pas de mesures efficaces. Avec cet arrêté, c’était la première fois que le ministère de l’Intérieur se servait d’un des outils de protection qu’il a à sa dispo-

46 - décembre 2013 - casamémoire le mag

sition. Malheureusement, le bâtiment a été démoli en juillet 2011, malgré les protestations. Bientôt, l’association va boucler le pré-inventaire des bâtiments importants du centre-ville. C’est un travail que nous faisons en collaboration avec des stagiaires et des bénévoles. Cet inventaire contribuera à la création d’un dossier pour l’inscription de Casablanca sur la liste des sites protégés du Patrimoine mondial du XXe siècle de l’Unesco. Mais il faudra des mesures de protection efficaces au niveau national. Le dossier est déjà bien avancé. Il y a les grands projets : la marina et l’aménagement de la corniche. Il y a le Grand Théâtre de Christian de Portzamparc et Rachid Andaloussi. Le projet du tramway aura un impact certain sur le patrimoine. Comment imaginez-vous Casablanca et son patrimoine dans 2021 ?

Il y aura certainement de nouveaux aménagements, de nouvelles tours de bureaux. La population du centreville va peut-être changer. Pour l’instant, il y a une certaine mixité sociale au centre-ville. On ne pense pas assez à cette mixité. Il y aura sans doute une certaine forme de gentrification. J’espère, bien sûr, que Casablanca sera classée à l’Unesco. J’espère également que le patrimoine sera mieux protégé, qu’il y aura des projets efficaces et sensibles. En cinq ans, il y a eu toute une série de projets pour le réaménagement du parc de la Ligue arabe, malheureusement pas encore aboutis. Néanmoins, vu l’intérêt du public, je reste plutôt optimiste par rapport à l’avenir des bâtiments importants qui marquent la ville de Casablanca. Il y a eu de la casse, certes, mais il y a beaucoup de belles choses qui restent et qui peuvent être sauvées. Propos recueillis par Justin McGuiness

La population du centre-ville va peut-être changer. Pour l’instant, il y a une certaine mixité sociale au centreville. On ne pense pas assez à cette mixité. Il y aura sans doute une certaine forme de gentrification.


Datant de 1928, l’immeuble Imcama de Greslin au style art-déco quasi viennois est un des rares en son genre à être parfaitement entretenu.

casamémoire le mag - décembre 2013 -

47


dossier

Réflexions croisées

Page de droite : la page monumentale du Marché central sur le bd. Mohammed-V fait face à l’immeuble Bessoneau (dit Hôtel Lincoln) qui bien qu’étant le premier bâtiment casablancais à être inscrit sur la liste du patrimoine national reste dans un état de semidestruction.

Abderrahim Kassou « Je parlerai plutôt de patrimonialisation » Abderrahim Kassou, architecte casablancais, a été président de l’association Casamémoire de 2006 à 2011. Il a contribué à faire de cette association un des acteurs majeurs de la scène publique casablancaise en matière de réflexion sur la ville et la culture. Anne-Claire Kurzac-Souali : Certaines médinas du Maroc sont transformées par un processus de gentrification ou tout au moins une requalification partielle de leurs espaces bâtis, notamment domestiques. Peut-on en dire autant de la ville de Casablanca ? Abderrahim Kassou : Répondre à

cette question est un exercice difficile. Je poserai plutôt la question de savoir s’il n’existe pas plus exactement, un

48 - décembre 2013 - casamémoire le mag

processus de patrimonialisation qui serait en cours sans être accompagné d’une gentrification. Je tiens à soulever d’ores et déjà deux problèmes : le premier est qu’étant activiste, tout du moins sur le terrain, je n’ai ni le recul, ni la compétence nécessaire pour analyser un problème en cours ; le deuxième vient du fait qu’on peut toujours expliquer quelque chose qui se passe mais comment justifier ce qui ne se passe pas ?

Quels sont les éléments qui permettent d’affirmer qu’il y a manifestement une patrimonialisation en cours à Casablanca ?

Je préfère laisser le terme de patrimonialisation aux chercheurs et parler de prise de conscience. Il y a clairement une nouvelle approche, une nouvelle attitude face au patrimoine. Les Casablancais, d’une manière générale, portent un nouveau regard sur le centre-ville et sur


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

49


dossier

Réflexions croisées

son patrimoine architectural. Il y a, depuis dix ou quinze ans, un changement de discours qui est évident. Le phénomène est apparu après une décennie de démolition de bâtiments importants tels que le Théâtre municipal, le cinéma Vox, les Arènes, les magasins Paris-Maroc et beaucoup d’autres encore. On date généralement le début de ces processus de 1994 qui correspond à la destruction de la Villa Mokri. Une villa de 1932, de l’architecte Marius Boyer. C’est le premier cas où un certain nombre d’individus se sont mobilisés pour dire « Non, il faut la garder, parce qu’il s’agissait d’un personnage important et d’une architecture remarquable… ». La villa a été démolie, mais les quelques personnes ont formé un groupe et ont donné par la suite un courant. Ce phénomène s’est amplifié autour de la défense de l’immeuble Bessoneau, dit Hôtel Lincoln, datant de 1917, qui a été fermé pour des raisons d’insalubrité, en 1992, et qui était menacé par un permis de démolir. La mobilisation a empêché la démolition. Ce bâtiment reste un cas qui mérite un intérêt particulier parce qu’il a vraiment cristallisé quinze ans de lutte : c’est le premier bâtiment inscrit au patrimoine national par le ministère de la Culture, en 2000. Il s’agit de la reconnaissance officielle par le ministère de tutelle du patrimoine qu’un bâtiment d’architecture moderne peut être envisagé et classé comme un patrimoine national. C’est aussi le premier cas où l’Administration change de camp : après avoir longtemps délivré des permis de démolir, désormais elle passe du côté des « protectionnistes » ; c’est également le premier cas où il y a une procédure d’expropriation avec comme argument premier avancé que le patrimoine est un bien d’intérêt public. L’expropriation prononcée, ce bien privé est devenu bien public :

50 - décembre 2013 - casamémoire le mag

l’immeuble appartient à l’Agence urbaine de Casablanca depuis. La forte visibilité des médinas et de l’architecture des ryads dans les médias (reportages dans les revues, à la télévision et sur internet) a fortement contribué à faire connaître le patrimoine vernaculaire puis à encourager une prise de conscience de sa mise en péril. Peut-on dire autant pour le cas de Casablanca ?

Il y a un moment fort qui, sans être à l’origine de ce processus, a permis son accélération : la publication du livre de Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, Casablanca, Mythes et figures d’une aventure urbaine(1) en 1998. C’est très vite devenu le livre qu’il fallait avoir. Il a été rapidement épuisé. L’exposition Casablanca, mémoire d’architecture, qui a été organisée en 2000, suite à ce livre, a également permis de mettre en avant la richesse architecturale de la ville. Elle a eu lieu à Paris, à Bordeaux et ensuite à Casablanca, à la Villa des arts. Tous les publics se sont croisés dans cette exposition qui a fortement médiatisé l’histoire de Casablanca. L’association Casamémoire organise beaucoup de visites guidées participant ainsi à la construction d’un nouveau regard porté sur la ville. En général, on a un rapport un peu dur au centre-ville. C’est un centre perçu comme bruyant, pollué et chargé. Le fait d’accompagner les gens en promenade, le dimanche matin quand il y a très peu de circulation, en les obligeant à marcher pendant trois heures dans le centre-ville, tête levée pour voir les détails des bâtiments, change leur regard sur les lieux traversés. Outre les visites, les conférences et les expositions ont fortement contribué au changement de ce regard porté sur la ville. Pour donner un chiffre : en 2008, nous avons organisé des visites

Il y a un moment fort qui est la publication du livre Casablanca, Mythes et figures d’une aventure urbain en 1998. C’est très vite devenu le livre qu’il fallait avoir.



dossier

Réflexions croisées

guidées pour 800 personnes. Ce n’est pas beaucoup, comparé à la population de la ville, mais c’est énorme quand on sait où on en était, il y a à peine cinq ou six ans ! Finalement, notre expérience nous permet de dire qu’il existe une nouvelle conscience, une nouvelle appropriation de l’identité du centre-ville. Une population nouvelle qui commence de plus en plus à considérer cette architecture comme patrimoine. Quels sont les acteurs de cette mobilisation pour la réhabilitation du patrimoine datant du Protectorat ? Comment se sont-ils regroupés pour que leurs actions deviennent visibles ?

On parle du patrimoine moderne et non du patrimoine datant du Protectorat. Même si l’essentiel a été construit durant la période coloniale, l’architecture à Casablanca n’a pas commencé en 1912 pour s’arrêter en 1956. L’ancienne médina est une composante essentielle du fait urbain casablancais. C’est l’une des rares médinas cosmopolites du Maroc dont le centre-ville vient en continuité formelle et non en opposition comme c’est le cas ailleurs. Il y a de l’architecture après l’Indépendance. Les ruptures politiques ne sont pas des ruptures visibles sur l’architecture ou l’espace urbain. Peut-on dire, dans le cas de Casablanca comme dans celui des médinas, que le rôle des étrangers est décisif ?

Absolument pas. Il ne faut laisser aucune ambiguïté sur ce point. Casablanca est la ville faite par et pour des immigrés. Des générations d’immigrés ont construit la ville et se sont construits grâce à cette ville : Marocains musulmans et juifs, Italiens, Espagnols, Français… Ce qui en fait la ville la plus accueillante du Maroc, vu que la dichotomie entre

52 - décembre 2013 - casamémoire le mag

l’autochtone et l’étranger y est historiquement fausse et socialement idiote. Je connais une multitude d’Italiens et d’Espagnols qui étaient à Casablanca bien avant mes parents. Qui est l’étranger et qui est le local ? C’est d’ailleurs à la fois la richesse et le drame de Casablanca : elle appartient à tout le monde et à personne en même temps. En tout cas, la question de la légitimité ne se pose pas en termes d’antériorité, mais plutôt en termes de situation sociale, économique et politique. Quant à la population étrangère récemment arrivée à Casablanca, elle n’est pas venue attirée par les charmes envoûtants d’une médina ensorceleuse comme ça peut être le cas de Fès ou de Marrakech, mais bien pour des raisons économiques dans sa majorité, ce qui est en parfaite cohérence avec un phénomène migratoire qui dure depuis cent ans. On vient à Casablanca d’abord et surtout pour travailler, ensuite on peut s’intéresser à autre chose. La prise de conscience est manifeste, mais peut-on relever une tendance même naissante à la gentrification ? En d’autres termes, existe-t-il actuellement des stratégies d’investissement de nouveaux propriétaires, de nouveaux entrepreneurs dans ces espaces en cours de patrimonialisation ?

À la question existe-t-il une gentrification à Casablanca ? Je ne sais pas. Je ne pense pas. Pour l’instant, ça reste anecdotique. On verra dans quelques années si le passage du tramway par l’avenue Mohammed-V permettra de déclencher ce phénomène. Il existe, en revanche, des projets éparpillés et ponctuels dans la ville qui utilisent la question du patrimoine moderne comme fonds de commerce. La Villa des arts est à mon avis un phénomène intéressant. La villa était abandonnée depuis un moment. Il était question de

Même si l’essentiel a été construit durant la période coloniale, l’architecture à Casablanca n’a pas commencé en 1912 pour s’arrêter en 1956.



dossier

Réflexions croisées

la démolir pour y construire le musée de l’Ona. Finalement, elle a été restaurée et est devenue un lieu d’exposition. Les visiteurs l’ont redécouverte. Elle est devenue un exemple de « ce qu’il faut faire » pour réintégrer la culture dans le patrimoine, une marque de fabrique pour l’Ona. Le deuxième exemple intéressant à évoquer est le Rick’s Café, situé en marge de la médina, juste en face du projet de la marina. C’est un lieu qui a une dizaine d’années tout au plus, où le film Casablanca passe en boucle, un pianiste joue l’air connu du film, et les serveurs portent le tarbouche. Le patrimoine est envisagé, ici, comme fond de commerce sur lequel on vend des représentations plus que des réalités puisqu’aucune scène du film n’a été tournée à Casablanca et qu’Humphrey Bogart n’y a jamais mis les pieds. Après, je laisse la charge aux chercheurs de qualifier ce phénomène. En tout cas, c’est une affaire qui fonctionne, puisque le café est devenu l’étape incontournable pour beaucoup d’Américains, et pas seulement pour eux. Enfin, la réhabilitation des Abattoirs pour en faire une fabrique culturelle constitue un phénomène intéressant parce qu’il prend un peu le contre-pied de la tendance évoquée. Cela ne se passe pas dans le centre-ville, justement, mais à Hay Mohammadi, un quartier populaire historique périphérique, non loin du grand bidonville des Carrières centrales. Avec la réouverture des Abattoirs, nous atteignons plusieurs buts : la protection d’un patrimoine architectural de qualité mais également sa réappropriation par le grand public en tant qu’espace public de culture et de création. Voyez-vous des parallèles entre ce qui se passe à Casablanca et ailleurs dans les autres villes du Maroc ?

Pour revenir à Marrakech ou à Fès,

54 - décembre 2013 - casamémoire le mag

L’immeuble dit Palais toscan, sur le bd. Almoravide, en bordure de la médina. Il date du début des années dix.


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

55


dossier

Réflexions croisées

À Casablanca, l’origine coloniale du patrimoine a entraîné un travail sur la mémoire et non sur sa capacité à être gentrifié ou investi. Espace vert au bord de la mer. à Casablanca, les récents efforts d’aménagement ont surtout porté sur la corniche.

on peut faire quelques parallèles. Je pense que ce qui se passe à Casablanca relève du local, cette appropriation du patrimoine est un phénomène local même si, bien entendu, ça se passe au moment où la modernité architecturale est à la mode partout dans le monde. Il se fait par les habitants alors que dans d’autres villes, l’apport des étrangers est fondamental. Surtout, la grande question soulevée à Casablanca est celle du patrimoine comme fondement de la mémoire et de l’identité locale. Cette question n’est pas franchement envisagée à Fès ou à Marrakech où ne se pose pas la question de la place du

56 - décembre 2013 - casamémoire le mag

patrimoine dans la ville actuelle. Il me semble que, dans ces villes, se pose principalement la question du « comment on traite » et non pas ce qui fait le patrimoine. À Casablanca, l’origine coloniale du patrimoine a entraîné un travail sur la mémoire et non sur sa capacité à être gentrifié ou investi. À Fès ou à Marrakech, on plaque une image des Mille et une nuits, de villes rêvées… À Casablanca, on est embêté. On ne sait pas quelle image plaquer sur le patrimoine: est-ce l’image des années 50 ? Celle de la modernité ? Mais elle est liée au colonialisme. Est-ce l’image des années 1920-1930, teintée d’un esprit pionnier ? Mais le

Marocain n’était-il pas un peu « bouseux » à cette époque ? Toute la difficulté est dans la façon dont on peut et on doit imaginer cette ville. Enfin, ce qu’on pardonne à une ville médiévale, on ne l’excuse pas à une ville moderne, à savoir le bazar, la circulation, le bruit, etc. Le désordre fait partie de l’image de carte postale de Marrakech et de Fès, à Casablanca, cela dérange, et cela dessert la ville. Propos recueillis par Anne-Claire Kurzac-Souali

1. Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine, Belvisi/Hazan, 1998.



Patrimoine d’ailleurs

partenaires

Le Centre arabe pour l’architecture a organisé la première exposition d’archives architecturales à la Galerie Otiuma (Beyrouth), au printemps dernier (voir l’affiche page de droite), dans le but de sensibiliser le public au patrimoine bâti moderne au Liban.

Beyrouth : un centre de l’architecture Le Centre arabe pour l’architecture crée une plateforme interactive ayant pour but l’information du public sur le patrimoine architectural arabe moderne.

D

errière ce capharnaüm de cartons et d’étagères de toutes tailles qui encombrent les petits locaux du Centre arabe de l’architecture de Beyrouth se cachent de précieux témoignages de l’architecture et l’urbanisme libanais. Plans, photographies et dessins y sont soigneusement conservés. Fondé en 2008 par George Arbid, Fouad El Khoury, Jad Tabet, Hashim Sarkis, Bernard Khoury, Nada Habis Assi et Amira Solh, le Centre arabe pour l’architecture (ACA) s’est donné pour objectif de faire connaître et reconnaître le patrimoine moderne libanais à travers la préservation des archives et des bâtiments des années 1940-70, dont certains ont malheureusement déjà disparu ou ont subi d’importantes altérations irréversibles. Rappelons que ces trente années ont été une période déterminante dans la construction d’un Liban indépendant désireux de s’émanciper de la tutelle étrangère. Des architectes tels que Pierre Neema, Assem Salam, Jacques Aractingi, Khalil Khoury, Samir Khairallah, Jacques

58 - décembre 2013 - casamémoire le mag

Liger Belair, Grégoire Sérof ont fortement contribué à cette tendance. « Beyrouth est une ville moderne, construite en majeure partie dans la deuxième moitié du XXe siècle. En un siècle la ville a vécu de nombreuses transformations urbaines, il faudrait de ce fait accepter l’évolution normale d’un lieu en pensant la tradition comme une compilation de modernités successives. La tradition est donc le résultat de fusions ; comprise comme telle, elle accepte les transformations successives qui perfectionnent le modèle. Ce que nous appelons aujourd’hui la maison libanaise était à sa construction ce qu’il y avait de plus moderne ; le toit de tuiles n’a pas toujours existé ici, il a été importé dans la deuxième moitié du 19e siècle. Il ne s’agit donc pas de figer l’identité du lieu dans un passéisme malsain, mais de préserver autant les bâtiments de qualité que ceux qui révèlent au mieux leur époque » explique George Arbid. En 2012, l’ACA adhère à Docomomo et obtient un financement de l’Union Européenne et de la Fondation Heinrich Böll visant à renforcer le travail

des associations dans le domaine de préservation du patrimoine moderne dans les pays du sud-est de la Méditerranée. Grâce à ce soutien, l’ACA a pu se doter d’équipements permettant la conservation et la numérisation de documents graphiques, manuscrits et photographiques dans le but de préserver sa propre collection mais aussi de participer à la numérisation d’autres fonds d’archives architecturaux pour constituer une base de données accessible aux chercheurs et aux étudiants intéressés par cette période. Toujours dans cet objectif de sensibilisation et de vulgarisation, l’ACA et ses partenaires ont créé la plateforme interactive MoHO (www.modernheritageobservatory.org) qui a pour vocation d’informer le public sur le patrimoine moderne dans le monde arabe aussi bien sur le plan architectural que photographique, musical ou cinématographique. élodie Durieux

Pour plus d’information, consulter le site www.modernheritageobservatory.org


casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

59


Patrimoine d’ailleurs

france

Histoire d’une mosquée néo-marocaine en terre de France La Grande mosquée de Paris est un fleuron de l’architecture néo-makhzénienne telle qu’établie par Lyautey. Une réalité aujourd’hui méconnue – pour ne pas dire niée – sur le papier. Genèse de la création d’un des monuments français les plus visités.

60 - décembre 2013 - casamémoire le mag


e

casamĂŠmoire le mag - dĂŠcembre 2013 -

61


Patrimoine d’ailleurs

france

C

ertains voudraient faire remonter la présence de la première mosquée de France au XVI e siècle. Pour le remercier d’avoir été son allié contre l’empereur Charles-Quint, François I er aurait acquiescé à la demande d’un Soliman le Magnifique soucieux d’offrir un lieu de prière décent aux marins et aux commerçants musulmans, alors nombreux à fréquenter cette Porte de l’Orient qu’était le port de Marseille – certains y tenant même comptoir. Cette histoire, fleurant bon un certain parfum Renaissance, n’est étayée par aucun élément tangible. Bien plus tard, durant la Révolution, est rapportée la destruction, par les Sans-culottes, d’une mosquée à Marseille. Mais qu’entendaient les Français de l’époque par « mosquée » ? En l’absence de tout témoignage précis, les historiens qui se sont penchés sur la question restent prudents. Probablement, ne s’agissait-il que d’une petite qoubba dévolue aux rites funéraires, adjacente à ce que l’on a longtemps appelé le « carré turc » du cimetière de la cité phocéenne. Ce qui est attesté, c’est que le dernier sultan ottoman, Abdul Hamid, propose, en 1842, de financer une mosquée à Paris. Projet relancé par l’ambassade du Maroc en 1878 puis en en 1885. Pourquoi une telle préoccupation de la part de l’Empire chérifien ? Nous n’en savons rien. En 1846, une Société orientale propose le projet « d’un cimetière, une mosquée et un collège musulman » à Paris ou à Marseille. Nous sommes au lendemain de la conquête de l’Algérie. Le ministère de la Justice et des cultes en débat avec le Quai d’Orsay. Au bout de dix années de palabres, le projet est enterré. En 1895, un Comité de l’Afrique française – réunissant, entre autres, l’académicien Benjamin Constant, le prince d’Alembert, député, et le prince

62 - décembre 2013 - casamémoire le mag

La première pierre du projet est posée en 1922, en présence du maréchal Hubert Lyautey et de Si Kaddour Benghabrit. Page précédente: vue du patio principal avec vasque en marbre de Carrare enchassée dans un tapis somptueux de zellij. Ci-dessus et page de droite : vues intérieuresextérieures de la mosquée illustrant admirablement les différents métiers d’art marocains mis à contribution.


Roland Bonaparte – milite pour la construction d’une mosquée à Paris. En vain. Un croquis de la façade, imaginé par Ambroise Baudry, nous est parvenu. Il s’agit d’une aimable « turquerie », comme on dit. C’est à partir de 1906, sous la plume du journaliste Paul Bourdali de la Revue indigène, que le projet d’une mosquée parisienne est défendu avec fermeté et constance. Les réunions de réflexion se succèdent au siège périodique, donnant naissance, en 1915, à un comité réunissant les musulmans les plus en vue de la capitale et d’autres célébrités islamophiles tels le peintre Etienne Dinet, la comtesse d’Aubigny, des élus et hommes politiques dont un ex-ministre des Affaires étrangères et

encore une fois, le prince Roland Bonaparte. Le projet est présenté au président du Conseil de l’époque, le célèbre Aristide Briand, qui approuve. 1917 : au lendemain de la bataille de Verdun, une association – la Société des Habous des lieux saints de l’islam – est constituée sous l’égide de l’éminent franco-algéro-marocain Sidi Kaddour Benghabrit(1). Elle a pour mission d’initier la construction d’une mosquée à Paris « en hommage aux quelques 70 000 morts de confession musulmane tombés pour la France ». En 1921, la Société des Habous est officiellement enregistrée en tant qu’association loi 1901 à Alger. Cette fois-ci, c’est parti. Le 19 août 1920, est voté, à l’Assemblée, un crédit de 500 000 francs affecté à la

construction « d’un Institut musulman regroupant une mosquée, une bibliothèque, une salle d’études et de conférences ». Ce modeste budget est complété par « des subventions des gouvernements du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de l’A.O.F., de l’Indochine, du Cameroun, des souscriptions des fidèles musulmans, notamment au Maroc », comme le détaille si bien un certain A. Merlin dans le numéro datant d’octobre 1925 de la revue L’Architecture. Le terrain, soit une belle parcelle rectangulaire de 7500m2, situé au cœur du 5e arrondissement, est cédé par la ville. En d’autres temps, à ce même emplacement s’élevait l’hôpital de la Pitié, fondé par Marie de Médicis. La première pierre du projet est posée en 1922, en présence du Résident

casamémoire le mag - décembre 2013 -

63


Patrimoine d’ailleurs

france

général au Maroc, le maréchal Hubert Lyautey et de Si Kaddour Benghabrit. Fidèle à sa légendaire courtoisie envers l’islam, le maréchal cède au notable musulman la pioche qu’on lui tend pour lancer le coup d’envoi. Il fait, à cette occasion un discours dans lequel il évoque une « France puissance protectrice de l’islam », dont voici un bel extrait : « Lorsque s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera dans le beau ciel de l’Ile de France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. » Propos auxquels répondra, au lendemain de l’inauguration du bâtiment, dans les colonnes de L’Action française, l’idéologue, alors très en vogue, de l’extrême-droite hexagonale, Charles Maurras, par un tout autre son de cloche : « S’il y a un réveil de l’islam, et je ne crois pas que

64 - décembre 2013 - casamémoire le mag

l’on puisse en douter, un trophée de foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève, où tous les grands docteurs de la chrétienté enseignèrent contre l’islam représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir ». Quelques jours auparavant, le premier nationaliste historique algérien, Messali Hadj, dénonçait, quant à lui – lors de son discours inaugurant le premier meeting de L’étoile nord-africaine se tenant à Paris – cette « mosquée réclame ». La Grande Mosquée de Paris est inaugurée le 16 juillet 1926, en présence du président Gaston Doumergue et du Sultan Moulay Youssef. Pour des raisons propres à la politique interne de cette quatrième république, Lyautey – qui a perdu son poste au Maroc l’année d’avant – n’est pas convié à la cérémonie. Il en sera plus qu’affecté, mortifié,

Vue aérienne de la mosquée et ses dépendances. La photographie a été prise quelque temps seulement avant l’achèvement des travaux en 1926.



Patrimoine d’ailleurs

france

Tous les témoins de l’époque attestent de la présence massive de maâlems exclusivement marocains venus sur place seconder les architectes français.

66 - décembre 2013 - casamémoire le mag

comme en témoigneront ses proches. Ce geste mesquin est d’autant plus injuste qu’architecturalement parlant, l’esthétique de ce remarquable complexe cultuel et culturel musulman en terre de France relève du plus pur style néo-marocain, appelé aussi néo-makhzénien, dont Lyautey a littéralement codifié les principes. Mieux ! Les plans de ce monument ont été entièrement dessinés à partir de Rabat par un ami plus qu’intime du maréchal islamophile, Maurice Tranchant de Lunel. Ce dernier, premier inspecteur des Beauxarts du gouvernement chérifien, fut le premier à procéder au relevé puis au classement des plus importants monuments marocains tels la Tour Hassan, le Chellah, la Qaraouiyine, la Koutoubia, etc. On lui doit également l’ouverture de la porte des Oudayas à Rabat et la transformation de ce qui n’était alors qu’une prison en musée-jardin andalou. Pour en revenir à la Grande Mosquée de Paris, tous les témoins de l’époque – ils furent nombreux à s’intéresser au chantier – attestent de la présence massive de maâlems exclusivement marocains venus sur place

seconder les trois architectes français d’exécution (Charles Heubès, Robert Fournez, Maurice Mantout). Et s’il est vrai que le minbar a été offert par Fouad Ier d’égypte ainsi qu’un exceptionnel tapis de soie par Reza Shah Pahlevi, le reste, tout le reste, c’est-àdire, le lustre monumental en cuivre, les nattes murales, les blocs de zellij taillés et montés sur place, les tuiles vertes et jusqu’à la vasque centrale en marbre de Carrare, a été directement importé du Maroc. Question : pourquoi le discours officiel en vigueur en France sur la Grande Mosquée de Paris a-t-il totalement oblitéré cet aspect néo-marocain si prononcé ? La réponse est peut-être à chercher dans le fait que depuis le décès de Si Kaddour Benghabrit, en 1954, tous les recteurs-imams qui se sont succédés à la tête de cette institution ont été – sont – Algériens. Jamal Boushaba

1. Né en 1868, en Algérie, Kaddour Benghabrit a rejoint la Légation française à Tanger dès avant le Protectorat. Il a été pendant un temps le Grand Vizir de Moulay Youssef. Il s’est éteint en 1954 à Paris.




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.