Casamemoire n°04 mag

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Semestriel gratuit | n째 4 avril-octobre 2015

Faire du beau avec du vieux





édito

La bonne nouvelle C’est un fait ! Le cadre législatif dont nous disposons, actuellement, pour la sauvegarde et la réhabilitation du patrimoine architectural du Maroc en général et à Casablanca en particulier, n’est pas efficient. Même s’il est loin d’être terminé, le travail de sensibilisation que nous avons mené aussi bien auprès des citoyens que des autorités trouve de plus en plus un écho favorable. Il existe un répondant, il faut s’en féliciter. Seulement, voilà ! Même avec la meilleur volonté, lesdites autorités peinent à trouver des solutions immédiatement appliquables aux problèmes aussi nombreux qu’épineux qui se posent aujourd’hui à la ville. En l’état actuel des choses, la solution la plus réaliste et la plus efficace qu’on ait trouvée en matière de gouvernance d’une mégalopole comme Casablanca reste la création de Société de Développement Local (SDL) à capital mixte. Citons, parmi celles ayant d’ores et déjà prouvé leur capacité à maîtriser leur mission : Casa Aménagement, en charge du développement immobilier et urbain du littoral casablancais (la Marina), ou encore, Casa Transport, responsable de cette réussite incontestatble qu’est le Tramway. Eureka ! le patrimoine de notre cité bien-aimée aura bientôt sa propre société de développement local : Casa Patrimoine est en cours de constitution. Qu’est-ce à dire ? Qu’enfin, une stratégie de sauvegarde et de réhabilitation du patrimoine architectural de Casablanca sera engagée. Une stratégie dotée d’outils exécutifs s’entend. C’est une excellente nouvelle, un premier pas déterminant pour la cause que nous défendons si ardemment depuis vingt ans. Rappelons, cela est nécessaire, que pour notre part nous n’envisageons de politique de préservation du patrimoine qu’inscrite dans le cadre d’un circuit économiquement rentable. Il s’agit non pas de figer la cité dans une vision nostalgique mais de participer à son développement et a son épanouissement économique, social et culturel.

Rachid Benbrahim Andaloussi architecte, président de casamémoire avril-octobre 2015 | casamémoire le mag

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sommaire

8 Un hôtel particulier pour écrin

Cet hôtel particulier des années 1940, savamment transformé, accueille le Musée de la Fondation Abderrahman Slaoui.

14 Un concept-store so romantic es volumes aristocratiquement généreux de ce L bâtiment néo-classique offrent un cadre idéal à cette galerie d’art et d’artisanat.

22 Un bistrot rafraîchissant n coup de vernis, un coup de peinture, U

quelques photos, quelques tapas et voilà-t-il pas qu’un vieux troquet se transforme en spot branché.

28 Le futur sera Art déco

ou ne sera pas

En exaltant la modernité classique de cet

appartement typique du centre-ville, Mohammed Lahlou Kitane s’inscrit dans cette démarche de réconciliation esthétique que nous appelons de nos vœux.

38 Casamémoire dans ses

nouveaux locaux

52 Une heureuse cohabitation uand une esthétique ultra contemporaine Q

s’inscrit harmonieusement à l’intérieur d’un hôtel particulier des années 1920, signé Delaporte.

60 Portfolio Casablanca, entre-deux-guerres

nous livrent un centre-ville des années 1920-1930, propre et prospère. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Banque Populaire.

Pour annoncer la nouvelle adresse de

l’association, nos amis et voisins de palier Architecture du Maroc nous ont aimablement consacré cet élogieux papier.

44 La nouvelle vie de Dar El Kitab espectueuse de l’existant, la restaurationR

réhabilitation de cette maison signée Cadet et Brion, située au cœur de la cité des Habous, a donné un bel espace d’art aux allures muséales.

Rarement publiés, ces clichés signés Flandrin

68 Des plâtres de Landowski

dans la médina

Des plâtres préparatoires du monument

commémorant l’entraide franco-marocaine lors de la première guerre mondiale, ont récemment été, découverts à Casablanca.

En couverture photographie de Maximilien.photography n Direction de la rédaction Jamal Boushaba Secrétariat de rédaction élodie Durieux n Coordination Sakina Choukri n Conception et direction artistique Sophie Goldryng n Contributions Nicolas Alexandre, Adam Ayadi, Elodie Durieux, Florence Michel-Guilluy, Emmanuel Neiger n Crédits photos Melita Vangelatos (pp. 14 à 20, 28 à 36, 38 à 42), Fabrice Coiffard n

(pp.22 à 26), Hassan Ouazzani (p.26 photo de droite), Fouad Maazouz (pp. 44 à 51), Maximilien Photography (pp. 52 à 58), Fondation Abderrahmane Slaoui (pp. 8 à 12), Fondation Banque Populaire (pp. 60 à 67, 70), Emmanuel Neiger et Nicolas Alexandre (pp. 69 et 71), Olivier Le Tinnier (p.68), Marty éditions (p.72)) n Photogravure Graphely n Impression Imprimerie Toumi n Casamémoire le mag est une publication de l’association Casamémoire pour la sauvegarde du patrimoine architectural du xxe siècle au Maroc n Contact Casamémoire, 29 boulevard Lalla Yacout, Casablanca. Tél : +212(0) 522 474 333

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Ci-dessus, très belles gravures rehaussées de Jacques Majorelle sur fond de rouge incarnat. Page de droite, la façade du musée, rue du Parc. A noter, les ferronneries néo-Louis-XVI, très en vogue dans les années 1940.

Un hôtel particulier pour écrin Cet hôtel particulier des années 1940, savamment transformé, accueille le Musée de la Fondation Abderrahman Slaoui. 8 casamémoire le mag | avril-octobre 2015


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Accrochées aux murs d’en face des gouaches du célèbre peintre figuratif marocain Ben Ali R’bati. Il a immortalisé des scènes de la vie quotidienne de Tanger au début du XXe siècle.

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orsque, dans les années 1990, l’homme d’affaires et grand collectionneur, Abderrahman Slaoui, propose à Rachid Benbrahim Andaloussi la construction d’un musée privé sur un terrain nu lui appartenant, l’architecte – déjà militant fervent de la cause patrimoniale – n’a pas dû trop insister pour convaincre son interlocuteur de la pertinence de reprendre un bâtiment ancien, ayant du caractère, afin de le transformer en un écrin idéal, à même de mettre en valeur les œuvres et objets d’art exceptionnels, accumulés durant des décennies. D’autant plus aisément que l’architecte avait déjà savamment exploré la question, dans

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le cadre de la restauration-transformation de la Villa des arts, boulevard Roudani, pour le compte de la Fondation ONA, en association avec son complice de toujours, l’Argentin Eduardo Gaggiano. Projet ayant connu le succès que l’on sait. Le choix s’est porté sur un hôtel particulier des plus élégants, sis rue du Parc. Le bâtiment est de Ricignuolo, comme l’indique la plaque apposée à son entrée, et date des années 1940. Malgré des recherches poussées, on ne sait rien de cet architecte manifestement italien. Pour mettre le bâtiment aux normes actuelles requises pour un lieu ouvert au public, Rachid Andaloussi a dû engager de lourds travaux de


Au fond, un costume traditionnel féminin. La collection éclectique réunie par Abderrahman Slaoui est efficacement mise en valeur par la scénographie de Philippe Delis.

consolidation des structures porteuses (poutres et planchers) et ce, tout en préservant les sols recouverts d’un magnifique granito noir ainsi que les ferronneries néo-Louis XVI présentes ici et là (rampe d’escalier et protection des portes et fenêtres), comme une élégante ponctuation. des tons vifs et chauds sur fond de granito noir

Les cloisons abattues ont nécessité des raccords au sol qu’il a fallu traité avec doigté et discrétion. Toujours dans l’optique d’un usage public, des rampes d’accès ont été installées, un ascenseur moderne a remplacé l’antique monte-charge.

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La terrasse offre une vue d’exception sur le parc de la Ligue arabe

Vue du salon au dernier étage. Aux murs, des affiches coloniales relatives au Maroc. Abderrahman Slaoui en a acquis une importante quantité, créant un engouement international pour le sujet.

L’approche muséographique engagée par Rachid Benbrahim Andaloussi a été exaltée par l’excellent travail de scénographie réalisé par l’architecte et designer Philippe Delis, auteur, également de l’aménagement du Musée Bank Al-Maghrib de Rabat. Certains murs affichent, adroitement, des tons vifs et chauds (rouge et jaune) qui, par un effet de contraste, soulignent les volumes généreux de l’espace – 600m2 au total – ainsi que le noir du granito. Au dernier étage, la terrasse offre,

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d’un côté, une vue d’exception sur le parc de Ligue arabe, de l’autre, une vue plongeante sur le futur Grand théâtre de Casablanca. Une atmosphère de sérénité règne à l’intérieur du musée qui accueille des expositions temporaires de qualité, en dehors de la collection permanente constituée, entre autres, de très beaux bijoux marocains citadins anciens et d’une belle collection de gouaches du peintre Ben Ali R’bati. w jamal boushaba et élodie durieux



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Façade latérale à la silhouette néo-classique, colonnes d’inspiration antique, menuiseries en bois, angle en courbe souligné par un balcon de colonnettes. Détails de l’escalier en marbre blanc. Le dessin délicat de la ferronnerie semble avoir été découpé dans de la broderie anglaise. Les tons blancs et gris des murs soulignent l’élégance de cette cage d’escalier.

Un conceptstore so romantic

Les volumes aristocratiquement généreux de ce bâtiment néoclassique offrent un cadre idéal à cette galerie d’art et d’artisanat. 14 casamémoire le mag | avril-octobre 2015


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Ci-desus, intérieur d’un des salons transformés en salle d’exposition. L’éclairage tamisé crée une ambiance intimiste et chaleureuse où les objets du quotidien prennent des airs d’œuvre d’art. Page de droite, vue du couloir principal qui dessert les pièces en enfilade. Harmonieux mélange entre la sobriété du matériel d’exposition et les motifs colorés des carreaux de ciment.

B

oulevard HouphoüetBoigny, ex-El Hansali, ex-4 e Zouave. Face au Mausolée de Sidi Belyout, au-dessus de la Taverne du Dauphin. Tout Casablancais connaît cet immeuble sans nom dont personne ne connaît le nom de l’architecte. Sa silhouette néo-classico-romantique,

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ainsi que la générosité aristocratique de ses volumes intérieurs trahissent, néanmoins, la qualité de son commanditaire. Un certain John Lapeen, Gibraltarien, vice-consul britannique à Casablanca de son état. Oui, au tout départ – 1920 – cet immeuble de deux étages était un hôtel particulier. En avril 2012,


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Les visiteurs peuvent s’offrir un moment de détente confortablement installés sur des banquettes recouvertes de sabra. Des photographies de scènes pittoresques animent les murs de cette cafétéria stylée.

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La décoration des sanitaires a été également soignée. Les murs gris taupe font ressortir la blancheur des carreaux de ciment soulignés par un liseré rouge fait au pochoir. Le miroir vénitien et les appliques murales soulignent le romantisme des lieux.

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Touche-àtout, Sophie Benkirane à du goût, un flair de chien.

Vue générale d’une des pièces de l’hôtel particulier reconvertie en salle d’exposition, véritable temple du beldi branché.

Sophie Benkirane y a ouvert la Galerie de l’Aimance. Un concept-store alliant art et artisanat. Un artisanat revisité et équitable – autant dire branché. Touche-à-tout, Sophie Benkirane à du goût, un flair de chien. Les gris colorés appliqués aux murs font ressortir le blanc des moulures, densifient la hauteur vertigineuse des plafonds et la profondeur des perspectives et autres circulations. Les bruns des motifs des carreaux en ciment des sols dialoguent harmo-

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nieusement avec les boiseries, décapées et gardées brutes des portes-fenêtres flanquées de persiennes à l’ancienne. Une cafétéria est là pour la pause café. C’est un bonheur d’arpenter un tel lieu, à la fois hors du temps et ancré dans demain. Des gens passent. Des touristes japonais, ou chinois, en tous cas asiatiques. Des amis d’ici et d’ailleurs, des artistes. Qui est client, qui ne l’est pas ? La question ne se pose pas. w Adam Ayadi



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Un bistrot rafraîchissant Un coup de vernis, un coup de peinture, quelques photos, quelques tapas et voilà-t-il pas qu’un vieux troquet se transforme en spot branché.

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chaque Ramadan – mois de congé imposé aux débits de boissons – les amoureux de vieux troquets casablancais croisent les doigts. C’est, en effet, le moment de l’année que nombre de propriétaires de ces établissements mettent à profit pour entreprendre d’importants travaux de « rénovation ». Travaux pour la plupart dispendieux, débouchant souvent sur un résultat navrant. Du jour au lendemain, des décors, maladroits

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et clinquants, vident littéralement de leur âme des lieux de mémoire, témoins d’une certaine sociabilité urbaine. On pense, ici, à La Comédie, au Marcel Cerdan ou à La Corrida. de 1942 à aujourd’hui

Rafraîchir un vieux bistrot, tout en lui préservant son cachet, n’est pourtant pas mission difficile. Le bar Le Titan, modeste établissement du boulevard Hassan-Seghir, en est une très jolie illustration.


Page de gauche, photo de « famille » du Titan, circa années 1950. Au centre, de profil, le grandpère Betti. Ci-contre et double page suivante, clichés illustrant la mixité générationnelle et sociale, caractérisant la clientèle actuelle.

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Rafraîchir un vieux bistrot à moindre frais, en préservant son cachet, peut s’avérer très payant. 24 casamémoire le mag | avril-octobre 2015


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Repris en 1942 par Françoise et Nonce Betti, un couple de Corses, le bistrot est resté dans la famille jusqu’à aujourd’hui. Pour la petite histoire, sachez que le grand-père Betti confectionnait son propre pastis 51 degrés, à une époque où seul le 16 degrés était autorisé. Son fils, lui, était connu pour transformer sa cave, à l’occasion, en tripot clandestin. Enfin, pour parfaire le tableau, apprenez qu’un certain Barthélémy (dit Mémé) Guérini, célèbre gangster corse opérant dans les années 1950, y avait ses quartiers. des murs en vert anglais

Au décès de Jean-Louis Betti en 2010, Dominique, son épouse, reprend l’affaire, bientôt rejointe par une de ses filles, la jeune Jessica. Ensemble,

elles entreprennent de donner un coup de frais au lieu qui, il faut bien l’avouer, avait beaucoup perdu de sa splendeur. Installées dans l’ancienne cave, les toilettes du fond sont remplacées par une cuisine flambant neuf. Un bon coup de vernis ravive aussi bien l’antique comptoir en bois massif que les lambris, tables et chaises d’époque. Les murs, repeints dans un vert anglais, sont animés de photographies d’icônes cinématographiques classiques (Brando, Maryline, James Dean,…) et autres pin-ups. Une carte de tapas variée achève d’attirer une faune hybride, composée de jeunes bobos ( journaleux, pubards, expats) se mêlant, dans un bel esprit de mixité, aux anciens clients de la maison. w

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Adam Ayadi

Photos de gauche, le vert anglais appliqué aux murs fait ressortir les boiseries d’époque (comptoir, lambris, mobilier de bistrot). A droite, le troquet sert, à l’occasion, de décor à des shootings tendance, comme cette photographie publiée dans le mensuel féminin Icônes.



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Ci-dessus, l’immeuble d’en face, vue de l’intérieur, propose le même vocabulaire propre à l’Art déco casablancais. On retiendra ce délicat panneau de zellij à la polychromie flamboyante. Page de droite, zoom sur le sol en granito jaune, rouge et terre de Sienne, serti de petits carreaux bleus, blancs et noirs.

Le futur sera Art déco ou ne sera pas En exaltant la modernité classique de cet appartement typique du centre-ville, Mohammed Lahlou Kitane s’inscrit dans cette démarche de réconciliation esthétique que nous appelons de nos vœux. 28 casamémoire le mag | avril-octobre 2015


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Ci-contre et page de droite, vues du double salon. Canapé Cassina, chaises Eames, table et buffet de style scandinave, miroir de bistrot. La frise du plafond a été soigneusement décapée. Chinée localement, la suspension en laiton a été customisée par l’architecte-designer.

L

’appartement est un bien familial. Autrement, seraitil venu à l’esprit de Mohammed Lahlou Kitane de s’établir dans ce 180m2, sis au premier étage de l’immeuble îlot du passage Tazi ? Peut-être bien que oui, se dit ce jeune architecte et designer qui affirme sa volonté d’inscrire son expression contemporaine dans la tradition architecturale et ornementale de sa ville natale. Donnant sur la place du 16-Novembre d’un côté, sur le boulevard de Paris de l’autre, ce vaste ensemble – livré, au milieu des années 1930, par les frères Pertuzzio à leur promoteur le pacha Tazi – représente, incontestablement, un des plus ambitieux et des plus aboutis fleurons de cet Art déco casablancais dont on vous vante tant – et avec raison – l’originalité. 3,75 m de hauteur de plafond

Dès l’entrée, nous sommes impressionnés par l’ampleur du couloir distribuant l’appartement : 2 m de large sur 6 m de long, sous 3,75 m de hauteur de plafond. A droite,

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Six mois de chantier ont été nécessaires pour redonner son lustre d’antan à ce logement jadis très bourgeois.

Pages précédentes, détails de l’escalier de l’immeuble, avec la cage d’ascenseur, les paliers et la porte d’entrée de l’appartement. La richesse des matériaux admirablement ouvragés (marbre de Carrare, fer forgé et bois massif) nous laisse pantois. Page de droite, vue du couloir. A noter les embrasures et les plinthes en marbre noir, judicieuse intervention du maître de céans.

le double salon avec ses deux doubles portes ont perdu leurs vantaux pour une plus belle perspective et une meilleure circulation. Leurs embrasures ont été élégamment soulignées de marbre noir. Le même marbre noir d’Agadir ayant remplacé les plinthes originelles et composant le matériau dominant de la cuisine et des salles de bain entièrement repensées. La salle de bain des invités a été gagnée sur l’ex-office précédent la cuisine. Deux belles chambres à coucher, plus une pièce-bureau – peut-être un ancien dressing ? – parachèvent l’appartement. design fifties, tendance scandinave

Six mois de chantier ont été nécessaires pour redonner son lustre d’antan à ce logement jadis très bourgeois. De longues semaines ont été consacrées au ponçage du sol en granito dont le calepinage en tapis déploie une palette d’ocres allant du jaune moutarde au terre de Sienne en passant par un rouge antique. Les murs ont été simplement reblanchis, mais une attention particulière a été portée aux moulures du plafond, délicatement décapées. Le mobilier traduit le parti pris du maître de céans : un goût prononcé pour le design fifties, tendance scandinave. Ici et là, des exceptions confirment la règle : tels luminaires ou fauteuils

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De gauche à droite, vues partielles de la chambre d’invités sobrement décorée, puis de la salle de bain. Entièrement recouverte de marbre noir d’Agadir, elle a été intelligemment repensée dans un esprit années trente.

seventies, ou encore ce beau miroir de bistrot certifié made in Casablanca – comme nombre d’autres objets chinés et amoureusement restaurés par l’architecte-designer. Comble de snobisme, les chaises signées Charles Eames côtoient, en toute égalité, une collection d’acryliques sur papier, dues à un artiste peintre marocain non identifié. Après des études d’architecture à Paris-Malaquais, Mohammed Lahlou

Kitane a exercé quelques années dans un cabinet parisien avant de s’installer, à son compte, à Casablanca. Parmi ses nombreux projets actuels, un chantier a retenu notre attention : celui de l’aménagement d’une brasserie au style néo-casablancais affirmé. Espérons que cette démarche, très dans l’air du temps, soit suivie par bien d’autres, avec autant de talent et de conviction. w

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jamal boushaba



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L’Espace Jacqueline Alluchon, en hommage à la fondatrice de l’association qui s’est éteinte l’été dernier. Le mobilier en bois qui lui appartenait donne une note chaleureuse à cet espace dédié à la recherche. Page de droite, le hall d’entrée de l’immeuble récemment rénové révèle la beauté des marbres gris et rouges magnifiquement calepinés.

Casamémoire dans ses nouveaux locaux Pour annoncer la nouvelle adresse de l’association, nos amis et voisins de palier Architecture du Maroc nous ont aimablement consacré cet élogieux papier. 38 casamémoire le mag | avril-octobre 2015


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Ci-dessus et page de droite, le mobilier en caillebotis recouvert de plaques de verre et les différents luminaires impriment un côté design industriel aux lieux.

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epuis quelques mois, Casamémoire s’est installé en plein centre-ville dans un immeuble des années 1930 signé Pierre Jabin. Ce bâtiment de six étages, à l’écriture stricte et serré, ceinturé de bandeaux blancs encadrant les baies régulières séparées par des meneaux striés est un très bel exemple d’architecture streamline, branche tardive de l’Art déco. Au rez-de-chaussée, occupé par des boutiques et des cafés,

l’architecte Dominique Basciano réaménage dans les années 1970, le cinéma Lux, aujourd’hui fermé.Les nouveaux bureaux de l’association se situent au cinquième étage sur le même palier que ceux de la rédaction d’Architecture du Maroc. Une transformation heureuse

La rénovation des lieux a nécessité plusieurs mois de travaux et la remise à neuf du réseau électrique et des canalisations. L’espace a entièrement

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été reconfiguré par les architectes membres de l’association. Le sol original en granito dont le calepinage est réglé au cordeau a été conservé, et seuls quelques éléments ont rempli l’espace laissé par la démolition de certaines cloisons. Le nouveau cloisonnement est réversible et dégage pour le fonctionnement de l’association un bel espace de réunion, un vaste bureau collectif pour l’équipe opérationnelle, une salle de documentation – si précieuse aux


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L’ascenseur sera bientôt remis en état de marche, ce qu’apprécieront sans aucun doute les visiteurs de l’association, domiciliée au 5e.

étudiants et chercheurs marocains et étrangers – une pièce dédiée aux archives, sans oublier une petite cuisine et des sanitaires. Si les travaux ont été à la charge de l’association, les nombreux partenaires – Sté Méduse Travos, Jacob Delafon, Eurolux, Trarem, Arrakis, Décora premium, maître Yassir El Alami, Monsieur Hassan Benkirane, INB COM, Matex Travaux, la Société Madrani de menuiserie et toute l’équipe technique – ont grandement contribué à la finalisation de ce chantier en fournissant gratuitement les meubles, sièges, sanitaires et luminaires. une touche industrielle

L’ensemble est lumineux, spacieux, à la fois authentique et contemporain, empreint d’une touche industrielle créée par un mobilier construit à partir de caillebotis en fer et de plateaux de verre. L’élégance retrouvée des lieux est ponctuée par un magnifique luminaire contemporain dans le hall d’entrée. Le ravalement programmé de la façade ne manquera pas de nous réserver de belles surprises. Et l’ascenseur sera bientôt remis en état de marche, ce qu’apprécieront sans aucun doute les visiteurs de l’association. F.M.G.

* Cet article a été publié dans la revue Architecture du Maroc n°63.

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Jeu de formes et de couleur entre les carreaux de marbre rose et gris du palier et le granito rouge et terre de Sienne des bureaux.



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La nouvelle vie de Dar El Kitab

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Vue de l’escalier étroit et coudé, aux marches en carreaux de ciment en damier bordées de bois, caractéristique des habitations néoarabo-andalouses.

Respectueuse de l’existant, la restaurationréhabilitation de cette maison signée Cadet et Brion, située au cœur de la cité des Habous, a donné un bel espace d’art aux allures muséales. avril-octobre 2015 | casamémoire le mag

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Vue du premier étage. A noter, l’originalité du motif du carrelage. Un raccord au sol laisse deviner une cloison abattue entre le palier et la pièce centrale. Dépouillées de leurs battants, les ouvertures exhibent la majesté des arcs en plein cintre. Détail pittoresque, le cadre en bois de la porte du fond à la découpe orientalisante.

L

a maison (un R+2 sur arcades) s’avance sur la place. A droite, la Mahkama – aujourd’hui siège de la Région –, ses hauts murs percés d’étroites ouvertures, ses nombreuses tourelles coiffées de toitures polygonales en tuile verte vernissée. A gauche, la Mosquée Ben Youssef flanquée de son fier minaret. En face, le square, soigneusement entretenu. Bienvenue à l’Espace culturel Dar El Kitab, cité des Habous, rue Impériale – dite rue des Librairies. Le rez-de-chaussée est entièrement occupé par la librairie. Les larges vitrines éclairent d’une lumière indirecte le sol en granito ocre jaune, quadrillé de petits carreaux chocolat et encadré de noir. Les rayonnages accueillent des ouvrages d’art et autres beaux-livres se rapportant au Maroc, en direction, notamment, des nombreux touristes fréquentant régulièrement le quartier.

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Ci-dessus, une des nombreuses petites salles d’exposition. Page de droite, la librairie aux larges baies donnant sur la place. Le bois clair des rayonnages s’accorde au sol en granito ocre jaune, quadrillé de marron et encadré de noir.

Pour accéder aux étages dédiés aux expositions, on emprunte un escalier coudé et étroit, comme il se doit dans une construction néo-arabo-andalouse au style prononcé bien qu’épuré. un motif en étoile octogonale d’une simplicité sophistiquée

Les carreaux de ciment sont d’origine. Le motif, typique, en damier noir et blanc, alterne avec un second, moins commun, en étoile octogonale, d’une simplicité sophistiquée.

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L’ensemble semble fraîchement imaginé par un jeune designer branché, porté sur la mode vintage. Les bordures en bois des marches ont été simplement revernies ainsi que les menuiseries des fenêtres. Les battants des portes ont disparu, laissant voir, dans leur élégante nudité, les arcs en plein cintre. La succession des pièces, des halls et des alcôves aux différentes hauteurs de plafonds donnant des sonorités variées ; la lumière du jour, tantôt pleine, tantôt tamisée, selon l’ex-


position ; la fluidité de circulation, le jeu des proportions souligné par le mobilier rare et discret, donnent un remarquable cachet muséal à l’espace général, somme toute modeste – quelque 600m2. Du haut de la terrasse aménagée, la vue est imprenable sur cette étonnante nouvelle médina qu’est la cité des Habous, rêverie arabo-andalouse construite, entre les années 1920 et 1950, par ces architectes et urbanistes surdoués qu’étaient Edmond Brion et Auguste Cadet. Fondée en

La succession des pièces, des halls et des alcôves aux différentes hauteurs de plafonds, crée des sonorités variées.

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Ci-contre, un coin détente. Le mobilier, sobre et discret, participe à l’esthétique monacale des lieux. Page de gauche, du haut de la terrasse élégamment aménagée, la vue est imprenable sur la cité.

1948, par une famille de notables, proche du makhzen, la librairie-maison d’édition Dar El Kitab (Maison du livre, en arabe) a alimenté en livres scolaires, littéraires ou traitant de sciences sociales, des générations d’étudiants, d’enseignants et d’intellectuels casablancais. un quartier préservé, propice à des projets à caractère culturel

Après une longue période de déclin puis d’hibernation, l’établissement, judicieusement réorienté en librairie-galerie d’art, renaît de ses cendres, moyennant un aménagement à moindre frais, tirant le meilleur parti de l’existant. Initié par Sophie Benkirane (voir reportage p. 14), le chantier a été terminé par Kristi Jones, actuelle directrice des lieux. On se prend à rêver. Et si, par un miraculeux effet de contagion, d’autres projets à caractère culturel venaient à s’installer dans ce quartier – le plus pittoresque, le plus piéton et le mieux préservé de la ville ? Un quartier où se côtoient, de surcroit, quotidiennement et en toute quiétude, les populations les plus diverses socialement et ethniquement. Ce serait bien, non ? w Jamal Boushaba

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Ci-dessus, vues de la façade principale. La volumétrie générale de cet hôtel particulier est caractéristique des bâtiments Art déco de la rue du Parc dont la plupart sont du même architecte, Hippolyte-Jospeh Delaporte. Page de droite, le hall d’entrée a conservé son état originel. Le damier blanc et jaune en marbre au sol fait écho au granito ocre en soubassement des murs. L’escalier en marbre blanc est souligné par le garde-corps en ferronnerie et cuivre jaune. Le luminaire est une création de l’architecte.

Une heureuse cohabitation Quand une esthétique ultra contemporaine s’inscrit harmonieusement à l’intérieur d’un hôtel particulier des années 1920, signé Delaporte. 52 casamémoire le mag | avril-octobre 2015


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Vue générale du hall d’entrée. Mobilier aux teintes black and white, piano à queue, menuiseries, assises en cuir, tapis aux motifs géométriques et toiles de maître aux murs.

L

orsque des proches parents ont proposé à Mounya Chaouni de s’attaquer à cet hôtel particulier, datant des années 1920, signé Hippolyte Delaporte et situé dans le quartier du parc, l’architecte a longtemps hésité. Comment ? De quelle manière « intervenir sur une œuvre aussi rare, aussi exceptionnelle » ? Le bâtiment, passé entre les mains de propriétaires successifs, avait subi plusieurs transformations selon le goût et l’usage des uns et des autres. Que fallait-il donc préserver ?

un contraste black and white servira de fil directeur

Il fallait à tout prix sauvegarder en l’état la remarquable façade singulièrement Art déco. Une façade toute blanche, rehaussée par le noir des menuiseries (bois et ferronnerie). Ce contraste black and white servira de fil directeur. Il se retrouvera tout

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faire du beau avec du vieux

La cour-jardin a été traitée comme une pièce à part entière. Toiles tendues, cheminée extérieure encadrée d’un bas-relief en marbre blanc, salle à manger d’hiver séparée par une porte coulissante en verre. Page de droite, la façade arrière du bâtiment redessinée dans un vocabulaire moderniste très 1930.

au long de l’intervention : les revêtements, le choix des matériaux et le mobilier. Mounya Chaouni a décidé de ne toucher en rien au hall et à l’escalier de l’entrée tant ces derniers étaient totémiques. De même, elle s’est fait un devoir de garder tel quel les niveaux existants et de respecter l’importante hauteur sous plafond. Pour le reste, les maître-mots ont

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été sobriété et clarté des volumes et des finitions. En revanche, la façade arrière donnant sur la cour-jardin a complètement été refaite dans un langage contemporain mais reprenant une modénature moderniste très années 1930. Dans la cage de l’escalier, Mondrian est invoqué à travers l’usage d’un jeu de verre coloré


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Détails de l’escalier hélicoïdal. L’usage de verre coloré est un clin d’œil assumé au maître du néoplasticisme, Piet Mondrian.

de manière tout à fait néo-plasticienne. Dans le même esprit, la cheminée extérieure située dans la cour arrière est encadrée d’une sculpture en bas-relief en marbre blanc réalisée par l’artiste M’Hamed El Aidi. un formidable travail stylistique

En dehors du formidable travail formel et stylistique réalisé sur l’enveloppe par Mounya Chaouni, nous estimons, pour notre part, que la réussite de cette entreprise de réhabilitation-transformation réside dans l’ingénieuse adaptation des espaces existants aux exigences de la vie contemporaine. w Jamal Boushaba

1. Hippolyte-Joseph Delaporte (18751962), architecte français s’est installé à Casablanca en 1913. Il signe avec les frères Perret les magasins Paris-Maroc devenus les Galeries marocaines, démolis dans les années 1970. Il est aussi l’auteur de l’hôtel Excelsior, de l’immeuble Maret et des petites villas de la rue du Parc.

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Casablanca, entre-deux- guerres Rue Allal-Ben-Abdallah, ex rue de l’Horloge. Circa 1920-1930. Une des plus anciennes rues de la ville européenne. Une des plus élégantes aussi. A droite, l’ex-banque de la Compagnie algérienne. Au fond, la tour de l’Horloge, édifiée dès 1908. Au premier plan, ce couple de commerçants pose fièrement.

Rarement publiés, ces clichés signés Flandrin nous livrent un centre-ville des années 1920-1930, propre et prospère. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Banque Populaire. avril-octobre 2015 | casamémoire le mag

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Ci-dessus, rue du Prince-MoulayAbdallah, ex Blaise-Pascal, derrière l’actuel consulat de France. Les chapeaux cloches des passantes nous indiquent que nous sommes encore dans les années 1920. A noter, la femme en haïk, passant son chemin. On se croisait sans vraiment se rencontrer. Page de droite, la rue Allal-BenAbdallah, vue depuis la médina. L’immeuble Glaoui est déjà construit, nous sommes dans les années 1930.

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E

n 1995, la Fondation Banque Populaire acquiert un patrimoine inestimable : le fonds photographique Flandrin. Quelques 40 000 clichés sont répertoriés sur différents supports : tirages argentiques, négatifs en plaques de verre et en pellicule, ainsi qu’une quantité d’ouvrages et de cartes postales imprimés. 35 000 pièces sont estimées exploitables après le minutieux travail de dépoussiérage, de tri et d’archivage effectué par la fondation, selon les normes internationales. Les photographies de Marcelin Flandrin (voir bio express) couvrent un demi-siècle de l’évolution du Maroc dans ses aspects les plus divers :


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Ci-dessus, vue du boulevard Mohammed-V, ex boulevard de la gare, au niveau du Marché central. Page de droite, le même boulevard, au niveau de l’actuel bar-restaurant le Petit Poucet. Les tractions avant ne connaissaient pas encore les bouchons. Circa années 1930.

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sociétal, politique, industriel, touristique, mais surtout architectural et urbanistique. Un demi-siècle de protectorat, système dont le photographe, un temps attaché à l’Armée, fait ouvertement – et fort efficacement, il faut bien l’avouer – la propagande. Une attention particulière est portée par Flandrin à sa ville d’élection, Casablanca. Grâce à la photographie aérienne dont il est l’un des pionniers mondiaux, nous assistons avec lui, à la phénoménale transformation d’une petite cité blanche où l’on débarque à dos d’homme dans une petite rade, en


Marcelin Flandrin en quelques dates

1889 | Naissance de Marcelin Flandrin à Bônes (Annaba) en Algérie 1901 | Arrivée au Maroc 1912 | Il demande à effectuer son service militaire au Maroc 1914-18 | Affecté à l’Aviation, il sera un pionnier de la photographie aérienne 1921 | Il s’installe définitivement à Casablanca 1924 | Publication de ses photographies dans l’ouvrage Nord Africa 1926 | Il couvre le voyage officiel du sultan du Maroc en France 1929 | Edition d’un album intitulé Casablanca de 1889 à nos jours 1957 | Il décède à Casablanca avril-octobre 2015 | casamémoire le mag

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mégapole portuaire étendant, en un brin de temps, d’un côté, ses belles villas, ses grands immeubles, ses larges avenues, de l’autre, ses usines, ses silos, ses hautes cheminées et ses immenses quartiers ouvriers. L’exceptionnel travail documentaire et esthétique que consacre Flandrin à Casablanca est largement diffusé de son vivant, à travers les ouvrages qu’il publie mais grâce surtout aux innombrables cartes postales qu’il édite et commercialise lui-même. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes cartes postales que l’on trouve chez tout brocanteur de la ville et dont les reproductions squattent la toile, à la rubrique Casablanca. Plutôt que de publier une énième version de ces photographies au caractère architectural et urbanistique affirmé sur lesquelles travaillent quotidiennement les militants de Casamémoire, nous préférons ici partager avec vous ces clichés plus rares, plus intimes, d’un Casablanca d’entre-deux-guerres, alors particulièrement élégant et prospère. Que nous disent ces clichés peuplés de personnages d’un autre temps ? w Jamal Boushaba et élodie durieux

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Ci-dessus, vue de l’actuelle place des Nations-unies. Page de droite, le boulevard de Paris. A gauche, l’échafaudage indique que la Banque d’Etat, actuelle Bank Al-Maghrib (Edmond Brion, 1934), est en cours de finition.


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Actualité

découverte

Ci-contre, le monument transplanté en 1961 à Senlis en France. Page de droite, vue de la cage d’escalier du bâtiment en ruine où sont accrochés au mur les plâtres préparatoires qui ont servi à la réalisation du socle de la double statue équestre.

Des plâtres de Landowski dans la médina Des plâtres préparatoires du monument commémorant l’entraide franco-marocaine lors de la première guerre mondiale, ont récemment été, découverts à Casablanca.

A

u hasard d’une récente visite dans l’ancienne médina de Casablanca, nous sommes tombés sur d’étonnants panneaux de plâtres sculptés accrochés aux murs de la cage d’escalier d’un bâtiment en ruine. A y regarder de près et après une recherche approfondie*, il s’agit des plâtres préparatoires ayant servi à la réalisation du socle du Monument à la Victoire et à la Paix, la double sta-

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tue équestre qui s’élevait, entre 1924 et 1961, sur la place Administrative, actuelle place Mohammed-V. Inauguré le 20 juillet 1924 par le résident général Lyautey, en présence du grand vizir El Mokri et du pacha de Casablanca, Si Abdelouahed, ce monument commémorait l’entraide entre le Maroc et la France lors de la Première Guerre mondiale où des troupes « indigènes » s’étaient illustrées par


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Actualité

découverte

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Page de gauche, inauguration du Monument à la Victoire et à la Paix, le 20 juillet 1924 sur la place Administrative par le Général Lyautey, en présence du pacha de Casablanca, Si Abdelouahed et du grand vizir, El Mokri, sous les regards attentifs d’une foule chapeautée et apprêtée spécialement pour l’occasion. Photo issue de L’Illustration, 1924. Ci-dessus, deux des plâtres préparatoires retrouvés. A gauche, le creusement des tranchées par trois soldats. A droite, le départ des soldats pour le front.

La conservation de ces plâtres démontre qu’ils font partie intégrante de l’histoire commune du Maroc et de la France. leur bravoure, notamment lors de batailles en Belgique, dans la Marne et dans l’Artois. Hauts faits salués par Lyautey dans son discours inaugural en ces termes : « Tous, Français et Marocains, formant les légendaires divisions marocaines, sont allés ensemble vers la Mort, mais aussi vers la Gloire et vers la Victoire. Tant d’entre eux dorment aujourd’hui côte à côte sur les champs de France, au pied des tranchées où ils ont tenu jusqu’au dernier souffle, et c’est eux dont nous célébrons aujourd’hui pieusement la mémoire devant ce monument élevé aux Morts, à la Gloire, à la Victoire et à la Paix ». Ces paroles, si caractéristiques de la vision idéologique de Lyautey qui concevait le protectorat comme « une collaboration » entre deux pays

amis, prennent un écho particulier quand on sait qu’ils sont prononcés en pleine guerre du Rif. Auteur du Christ Rédempteur de Rio

Le Monument à la Victoire et à la Paix est l’œuvre du célèbre sculpteur Paul Landowski (1875-1961), Grand Prix de Rome, auteur, entre autres, du Mur des Réformateurs de Genève (1917) et du Christ Rédempteur de Rio (1931). Son style, de facture néo-classique, est marqué par un souci de syncrétisme entre des influences antiques, médiévales et contemporaines. L’ensemble est réalisé en pierre de Lens pour ce qui est des statues équestres (un poilu donnant une poignée de main fraternelle à un Spahi

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Actualité

découverte

Vue générale du Monument à la Victoire et à la Paix ayant pour toile de fond l’exhôtel de Ville, signé Marius Boyer, dernier bâtiment construit sur la place Administrative.

marocain), et en marbre de l’oued Yquem en ce qui concerne le socle. Ce dernier présente, sur ses quatre côtés, six scènes symboliques comprenant divers personnages ainsi que des inscriptions en arabe et en français. Une mise en scène relevant de l’exposition

Démonté peu après l’indépendance, en 1961, plus exactement, le cénotaphe, rebaptisé Monument de la Fraternité franco-marocaine, a été réimplanté en 1964 dans la ville de Senlis, place du 3e Houzards, devant l’ancienne caserne des régiments de Spahis. Les six bas-reliefs que nous avons retrouvés sont de mêmes dimensions que ceux du monument achevé. Leur

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état de conservation est variable : quatre sont en bon état, un est mutilé en son centre, un autre est tronqué sur sa partie droite. Le fait que ces plâtres aient été conservés à Casablanca, dans une mise en scène qui relève de l’exposition, démontre, si besoin était, qu’ils font partie intégrante de l’historie commune du Maroc et de la France. Il serait fort dommage que ces précieux témoignages disparaissent, accaparés par une personne ou pire, engloutis sous les destructions qui menacent le quartier. w emmanuel neiger et nicolas alexandre

* Lire article publié dans la revue numérique In situ (http://insitu.revues.org/11360).


LES JOURNÉES DU PATRIMOINE 18 & 19 AVRIL 2015

Randonnée Urbaine Culturelle Réalisations architecturales - 1920 à nos jours

Renseignements & contacts : 05.23.30.07.03 - afmcontacts@gmail.com http://afmcontact.blogspot.com/

Association des Français de Mohammedia Rue des Doukkalas Villa Yvonne 20800 Mohammedia



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