Valparaiso, les temps de la ville

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Mémoire de fin d’études en architecture : Valparaiso, les temps de la ville.

Salomé Curriez École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette

«Environnement, territoire, paysage» Séminaire «Architecture/S & Paysage/S» Catherine Zaharia, Catherine Szanto, Rosa De Marco et Jean-Paul Robert

Mémoire de fin d’études en architecture, Master 2, Semestre 9. Présenté le 10 janvier 2017.


Remerciements

Je remercie sincèrement l’équipe enseignante m’ayant accompagnée dans ce travail,

Catherine Zaharia, Rosa De Marco, Catherine Szanto et tout particulièrement Jean-Paul Robert.

Je remercie également Jaime Venegas, directeur du secteur Développement de

l’Habitat de l’association Un Techo para Chile, Valparaiso pour m’avoir fourni de nombreuses informations sur le processus de consolidation urbaine des campamentos à Valparaiso.

Je remercie également Erik Vallauri pour m’avoir transmis son projet de fin d’études

sur la reconstruction de la ville de Valparaiso après l’incendie de 2014, Dopo ll’incendio, Transformazioni incrementali della quebrada Jaime a Valparaiso.


Résumé

Située sur la côte Pacifique chilienne, à une centaine de kilomètres de Santiago, la

ville de Valparaiso se compose d’un amphithéâtre de quarante-deux collines, donnant sur une fine plaine littorale. Ces caractéristiques géographiques et topographiques ont fait de Valparaiso une ville différenciée, qui s’est construite selon deux modes d’urbanisation. La plaine littorale a été dessinée et planifiée et les collines ont subi une urbanisation spontanée, basée sur l’auto-construction. Ces deux processus ont formé et transformé la ville dans des temporalités différenciées. Depuis la fin du XXème siècle, la planification urbaine s’étend à toute la ville et l’urbanisme moderne se propage à Valparaiso. Cet urbanisme planifié absorbe progressivement la ville spontanée. Ce travail étudie l’influence de la planification urbaine sur les temps de fabrique de la ville, entre les temps courts, exprimés par l’étude des deux processus d’urbanisation et les temps longs de la ville, celle de son histoire, de sa formation et de ses transformations.

Located on the Pacific coast of Chile, approximately a hundred kilometers from

Santiago, the city of Valparaiso lies in an amphitheater of forty-two hills, overlooking a narrow coastal plain. These geographical and topographical characteristics have made Valparaiso a differentiated city, which has been built according to two ways of urbanization. Where the coastal plain has been designed and planned, the hills underwent a spontaneous urbanization, based on self-built constructions. These two processes have formed and transformed the city into differentiated temporalities. Since the end of the 20th century, urban planning has spread throughout the city and it is gradually absorbing the spontaneous city. This research investigates the influence of urban planning on the city’s times : between the city’s short times, expressed by the study of these two processes, and the long times of the city, its History, its formation and transformations.

Mots clefs. Valparaiso. Urbanisme planifié. Urbanisme spontané. Temps. Processus. Valparaiso. Planned urbanization. Spontaneous urbanization. Times. Process.



Quelques repères.

Valparaiso

Santiago

Secteur Puerto

Cerro Playa Ancha

Plaine de l’Almendral

Cerro Cordillera

Cerro Placeres

Cerro Alegre Cerro Concepcion Cerro Baron

Cerro BellaVista Cerro Ramaditas

100

200 m


Introduction

.................................................................................................................................. p5

Partie I L’urbanisation de Valparaiso : deux modes de fabrique de la ville. ....................... p9

1. L’origine de Valparaiso.

................................................................................................ p10

La découverte coloniale. ................................................................................................................... p10

L’établissement du port de la capitale.

............................................................................................. p10

Du port à la ville. ............................................................................................................................... p12

2. L’urbanisation de Valparaiso : la spontanéité au-delà de la planification.

.................... p15

Mise en place d’une ville différenciée. ............................................................................................. p15

La conquête des collines. .................................................................................................................. p16

3. Deux processus, deux économies, deux temporalités.

................................................ p20

Urbanisation spontanée. ................................................................................................................... p20

Urbanisation planifiée.

...................................................................................................................... p24

4. Les rythmes des transformations urbaines.

................................................................ p27

Transformations urbaines de la plaine littorale. ................................................................................ p27

Évolution urbaine des collines et premier contrôle des autorités.

Partie II De la ville mouvante à la ville figée.

..................................................... p28

..................................................................... p35

1. Mouvement moderne et planification urbaine.

2. La trace physique des documents de planification.

............................................................. p36 ..................................................... p40

Apparition des documents de planification au Chili. .......................................................................... p40

Étude comparée du Plan Regulador de 1988 et de 2005.

3. La patrimonialisation : vers une ville figée ?

................................................................ p40

................................................................ p47

La patrimonialisation de Valparaiso. ................................................................................................ p47

Le paradoxe de la patrimonialisation des collines de Valparaiso.

Partie III La périphérie à deux temps.

1. La spontanéité en marge.

.................................................... p48

................................................................................. p51 ............................................................................................ p52

De la ville à la périphérie. ................................................................................................................. p52

La consolidation urbaine. ................................................................................................................... p54

2. Forme et matérialité de la modernité.

3. L’incendie de 2014 : une reconstruction entre planification et spontanéité.

Conclusion

Incendie et plan de reconstruction.

.......................................................................... p58 ................ p62

.................................................................................................. p62

La réalité de l’urgence et les revers du plan de reconstruction.

...................................................... p66

.................................................................................................................................. p71 2


Annexes

................................................................................................................................ p75

Annexe 1 : Zone inscrite au Patrimoine Mondiale de l’Unesco.

Annexe 2 : Plan Regulador Comunal en 2005.

Annexe 3 : Regards de la presse sur la reconstruction post-incendie.

.............................................................. p76

....................................................................................... p77 ................................................... p78

Table des illustrations

............................................................................................................ p82

Table des abrĂŠviations

.......................................................................................................... p84

Lexique .................................................................................................................................. p85 Bibliographie

......................................................................................................................... p86

3


4


Introduction.

5


Dans une grande partie des villes d’Amérique Latine, la co-présence de quartiers

spontanés et de quartiers planifiés pose la question de leur cohabitation. La particularité du cas de Valparaiso est d’avoir été formée, dans sa quasi totalité, de manière spontanée. Plus de trois-quarts de l’habitat est auto-construit à Valparaiso. Depuis son origine, la ville se développe spontanément, en dehors de toute norme ou réglementation, à l’initiative des habitants. Valparaiso n’était pas voulue ville, elle était voulue port. Elle n’a donc jamais été fondée selon les principes des villes coloniales et sa croissance résulte de situations éphémères et mouvantes qui se sont consolidées avec le temps. Seul espace plat de la ville, la fine plaine littorale a subi une urbanisation planifiée, sous diverses influences urbaines selon les époques. Elle est l’espace convoité où se dessinent en îlots réguliers l’autorité des pouvoirs politiques et économiques. Les collines, rétives aux pratiques urbaines des autorités, sont laissées aux mains des habitants, qui s’installent spontanément et y créent leurs habitats.

La question des formes urbaines qu’engendrent ces deux modes de fabrique de la ville

est largement traitée. Ce qui nous intéresse ici sont les temps de formation et de transformation de la ville, indissociable de l’espace et donc des formes urbaines. La co-présence d’un urbanisme planifié et d’un urbanisme spontané dans l’origine de la formation de Valparaiso en fait un cas particulièrement riche. Depuis le milieu du XXème siècle, l’arrivée de la planification urbaine et des formes de l’urbanisme moderne transforment les formes et temps de fabrique de Valparaiso. L’urbanisme planifié tend à absorber progressivement la ville spontanée et modifie les temps de la ville. Nous définissons ici les temps de la ville à différentes échelles. Les temps courts de formations et de transformations de la ville sont exprimés par les différents modes d’urbanisation. Cette notion du temps est indissociable de l’idée de processus. Les urbanismes planifié et spontané sont deux processus distincts, qui forment et tranforment la ville dans des temporalités différenciées. Les temps longs de la ville s’appliquent au cas particulier de Valparaiso. Ce sont les temps de son histoire, ceux de sa croissance et de son évolution. L’histoire de Valparaiso est marquée par des évènements, moments qui tranforment la ville. À travers l’étude des deux processus d’urbanisation présents dans la ville, ce travail tente d’exprimer les temporalités propres à chacun et l’influence, sur Valparaiso, de l’absorption de la ville spontanée par un urbanisme planifié. Le mémoire est organisé chronologiquement et chaque moment de l’histoire de Valparaiso éclaire une caractéristique des deux processus étudiés.

Comment l’absorption la ville spontanée de Valparaiso par un urbanisme planifié

transforme-t-elle les temps de la ville ?

L’étude de l’origine de la formation de Valparaiso permet d’expliquer la raison de la

mise une place d’une urbanisation différenciée, que les cartes historiques mettent en évidence. 6


Dans un premier temps, nous tentons de définir ces deux modes de fabriques de la ville en s’intéressant à leurs processus de formation et de transformation urbaine. Comment les deux villes de Valparaiso se sont-elles formées et dans quelles temporalités ? Quelles sont les rythmes des transformations urbaines, repérables spatialement dans la ville ?

Au XXème siècle, l’apparition progressive d’un contrôle urbain dans les collines aboutit,

en 1976, à l’établissement d’un document de planification urbaine, le Plan Regulador Comunal. Celui-ci, associé à l’expansion du mouvement moderne, transforme progressivement les formes urbaines et temps de fabrique de la ville. Dans une seconde partie, nous étudions les effets de l’absorption progressive des collines spontanées de Valparaiso par un urbanisme planifié, issu du mouvement moderne. Après avoir situé l’urbanisme planifié entre formes urbaines et méthodes, nous analysons les modifications des documents de planification en 1888 et 2005, afin de montrer l’impact de celles-ci sur le potentiel d’évolution de la ville. La relation du temps et de l’espace est traité dans cette partie, entre espaces figés et espaces en mouvement.

Enfin, nous étudions le cas particulier de la périphérie de Valparaiso. Dans cette

dernière partie, l’étude de la reconstruction post-incendie de 2014 soulève la question du temps de latence et de l’immédiateté, induits par les deux processus d’urbanisation. La périphérie est aujourd’hui l’espace où se heurtent les ouvrages du mouvement moderne et l’urbanisation spontanée, repoussée, depuis 2005, en dehors de la ville. Comment la spontanéité à Valparaiso se retrouve-t-elle, depuis dix ans, en marge ?

7


8


Partie I L’urbanisation de Valparaiso : deux modes de fabrique de la ville.

9


1. L’origine de Valparaiso.

La découverte coloniale.

Diego de Almagro entame la conquête des territoires chiliens en 1535, après avoir

envahi le Pérou. C’est dans le cadre des premières expéditions que la baie de Valparaiso est découverte. En 1536, Juan de Saavedra, navigateur péruvien envoyé par Diego de Almagro, accoste à la baie de Valparaiso, originellement baie de Quintil et prend possession des terres, jusqu’ici vierges. Il y fonde un petit port d’escale, lieu de transit des marchandises péruviennes vers le territoire chilien. Dans le même temps, Pedro de Valdivia, envoyé à la découverte des territoires chiliens par voie terrestre, conquiert le nord du chili jusqu’à 500 km au sud de Santiago. En 1541, il fonde la capitale de Santiago, selon les principes des villes coloniales, qui feront l’objet d’un édit établi par Philippe II, en 1576. Les règles de la ville coloniale imposent le choix d’un site : une large plaine à l’intérieur des terres, protégée par des collines ou des massifs montagneux et proche d’un cours d’eau. Le plan, en damier, s’organise autour d’une place centrale, la Plaza Mayor. Les dimensions de la ville et la distribution des lots entre les colons sont également régulées. Santiago, capitale du Chili, est alors fondée. Valparaiso, elle, ne le sera pas.

L’établissement du port de la capitale.

En 1544, Pedro de Valdivia nomme la baie de Valparaiso «Puerto natural de Santiago»

avec l’objectif de faire de la baie le lieu de départ de navires à la conquête du sud du territoire chilien1. Deux navires furent envoyés vers le sud depuis Valparaiso, dont le célèbre navire Santiaguillo. Ces deux expéditions ont permis la conquête du territoire chilien jusqu’à l’actuelle ville de Pedro Montt, à 1000 km au sud de Santiago. La réussite de ces missions et l’augmentation du transit de marchandises participent à la reconnaissance du port de Valparaiso vers la seconde moitié du XVIème sècle. Pedro de Valdivia attribue des terrains à certains colons afin d’organiser le développement du port. Valparaiso s’établit alors petit à petit comme le port de Santiago, extension de la capitale sur l’océan, voies d’entrées et de sorties de marchandises. Valparaiso n’est pas une ville, c’est un lieu de transit, escale majeure de la côte pacifique chilienne (figure 1).

La situation géographique et la configuration de la baie ont déterminé l’établissement

du port de la capitale à Valparaiso, primant sur la topographie, initialement peu propice à l’établissement de population. Valparaiso n’était pas voulue ville, elle était voulue port. La baie offrait les qualités requises : sa configuration protégeait les petites embarcations du vent et 1

Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso, la periferia efimera. 2003. 10


Figure 1 : Carte de la baie de Valparaiso et emplacement du premier établissement humain et port. 1744. Source : http://www.memoriachilena.cl

Figure 2 : Chemin vers Santiago à travers de la plaine de l’Almendral. Guay, Claudio. Camino de Valparaiso à Santiago. 1854. Source : http://www.memoriachilena.cl 11


des vagues trop importantes. L’important n’était pas le territoire mais la stabilité de la mer à l’endroit où l’on accoste. La baie de Valparaiso, parmi les autres baies de la côte pacifique, est aussi apparue comme étant la plus proche de Santiago et proposant la voie la plus directe vers la capitale. Un cheminement à travers les répliques montagneuses de la Cordillère de Andes, proche de la côte pacifique, était offert entre Santiago et Valparaiso. La première route sinueuse entre les deux villes fut établie en 1587. Ce chemin n’était autre que la trace des marchandises péruviennes en direction de Santiago (figure 2).

Du port à la ville.

L’esquisse d’un premier centre urbain dans la baie de Valparaiso apparaît en 1559,

lorsque se crée la première petite chapelle, à l’emplacement de l’actuelle église de La Matriz (figure 4). La religion et la création des lieux de culte sont les premiers éléments qui accompagnent l’établissement de nouvelles populations dans un lieu vierge. La création de cette chapelle apporte donc à Valparaiso une première visibilité en tant qu’«espace habité» (Baldomero, 2008)2. Une centaine d’années plus tard, en 1664, est créée l’église franciscaine San Francisco del Puerto, à quelques dizaines de mètres de la première. Un petit centre urbain est alors établi, face au port. Le choix du terrain pour l’établissement de ces deux églises résulte de la topographie du lieu et de la proximité du port, lieu de travail. Les cartes historiques montrent à cet emplacement le recul des imposantes collines, sur une centaine de mètres dans les terres. La quebrada de San Francisco, étroit ravin dans l’intérieur des terres, s’élargit à l’approche de la plaine côtière face au port, laissant un espace plan, protégé à l’est et à l’ouest par les collines Cordillera et Santo Domingo. Cette petite vallée protégée et ouverte sur le port est donc devenue le lieu d’établissement des lieux de cultes, puis du premier centre urbain de Valparaiso. Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, la baie est un territoire quasiment abandonné. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle que Valparaiso devient un véritable centre urbain qui compte, en 1730, une centaine de maisons et quatre églises. Gerardo Saelzer Canouet explique l’essor de Valparaiso au XVIIIe siècle par la stratégie coloniale de El Mar del Sur, qui souhaite créer une continuité des côtes américaines3. Le port devient alors un lieu précieux qu’il faut défendre et les premières fortifications sont établies sur le colline Cordillera, en surplomb du centre religieux. La colline offre une vision panoramique sur la mer et un lieu de repli protégé. Ces fortifications sont le premier élément d’urbanisme tracé et construit à Valparaiso, dont il ne reste que peu de traces.

En 1802, Valparaiso acquiert le titre officiel de ville, «Ciudad de nuestra Senora de la

Mercedes de Puerto Claro». À partir de cette époque, Valparaiso se profile en véritable ville,

2

Baldomero, Estrada Tura. Valparaiso. Patrimonio arquitectonico, social y geografico. 2008.

3

Saelzer Canouet, Gerardo. Urbanismo topografico segun la cartografia historica: desde las fortificaciones hasta las plazas de Valparaiso. 2014. 12


«Valparaifo ne fut d’abord qu’un amas de cabanes deftinées

à recevoir les marchandifes qui venoient du Pérou, les denrées qu’on voulait y envoyer. Peu-à-peu, les agents de ce commerce qui appartenoit en entier aux négocians de la capitale résuffirent à fe l’approprier. Alors, ce vil hameau, quoique placé dans une fituation très-défagréable, devint une ville floriffante. Son port s’enfonce une lieue dans les terres.» Raynal, Guillaume-Thomas, Histoire philosophique et politique des établissement et du commerce des Européens dans les deux Indes. 1774.

Figure 3 : Johann Rugendas, The harbourg of Valparaiso. Huile sur toile. Vers 1840. Source : http://www.memoriachilena.cl

Figure 4 : Église de la Matriz en 1820, auteur inconnu. Source : http://www.memoriachilena.cl 13


avec ses caractéristiques urbaines propres et détachée de l’influence urbaine coloniale. En effet, sous la couronne espagnole, les ports chiliens, soumis aux attaques et pillages et vulnérables aux influences culturelles, ne sont pas prédestinés à devenir des villes. L’indépendance du Chili en 1818 participe au développement fulgurant du port et à l’établissement de la ville dans le même temps, notamment grâce à l’ouverture du commerce européen à l’Amérique Latine et à la liberté commerciale. Les nouveaux moyens politiques et économiques font de Valparaiso le plus grand port de commerce du Pacifique du XIXème siècle, étape essentielle entre l’Europe et la Californie, plaque tournante du commerce mondial. La population de Valparaiso passe de 3000 habitants en 1802 à 120 000 habitants en 1895. Cette importante croissance démographique résulte de deux mouvements migratoires, issus de la forte demande de main d’œuvre pour l’activité portuaire : d’une part, l’arrivée d’une population rurale chilienne et d’autre par une forte vague de migration d’une population européenne venue travailler pour des sociétés d’import-export et des compagnies maritimes. La première partie du XIXème siècle correspond au développement portuaire et commerciale de la ville. A partir de 1850, la ville devient un centre financier important, accueillant la majorité des banques du pays. À la fin du XIXème siècle, la ville Valparaiso est à son apogée.

Voici donc les raisons d’être de Valparaiso : une baie calme et proche de la capitale qui,

à l’époque coloniale, représente le lieu idéal pour l’établissement du port de Santiago. L’essor du port s’explique par sa position stratégique dans l’océan pacifique, notamment lorsque le commerce internationale se développe avec l’indépendance de l’Amérique Latine. Valparaiso devient rapidement une halte indispensable des navires en provenance de l’Europe vers la côte ouest américaine. L’essor de la ville, elle, est soumise à la croissance de l’activité portuaire jusqu’à la fin du XIXe siècle.

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2. L’urbanisation de Valparaiso : la spontanéité au-delà de la planification.

La structure et la forme urbaine de Valparaiso se distinguent en deux parties. La

plaine littorale s’est construite avec l’augmentation de l’activité portuaire jusqu’à obtenir une indépendance dans sa forme et sa fonction dans la seconde moitié du XIXème siècle. Elle est l’espace convoité où se dessinent en îlots réguliers l’autorité des pouvoirs politiques, économiques et commerciaux. Les collines sont, elles, laissées aux mains des habitants, auto-déterminées et auto-construites. Quelles sont les raisons de cette partition et comment s’est elle mise en place au cours des siècles ?

Mise en place d’une ville différenciée.

Les premières traces d’urbanisation à Valparaiso sont apparues face au port, dans la

zone plane qui s’étend à l’ouest jusqu’à la colline de Playa Ancha et à l’est jusqu’à la colline Concepcion. À cette époque, ces deux collines marquent les limites du centre urbain, ce sont les obstacles naturels de la croissance urbaine. Le plan de 1790 montre la concentration des activités dans ce secteur ainsi que la faible urbanisation des collines et de la plaine de l’Almendral, établie en espace agricole, accueillant également quelques riches maisons patronales (figure 6). L’urbanisation planifiée de la plaine littorale se développe grâce à l’activité du port, obligeant les colons à penser son organisation spatiale : «A la vez, intereses portuarios, requerimientos de transporte y actividades productivas demandan espacio sobre el litoral que comienza a ser ampliado.», «Dans le même temps, les intérêts portuaires, le besoin de transport et les activités de production nécessitent de l’espace sur le littoral qui se remplit progressivement.» (Saelzer Canouet, 2014)4. Cette rapide urbanisation de l’Almendral aux début du XIXème siècle témoigne de l’essor du port, dû en partie à l’indépendance du Chili en 1818 qui permet aux villes côtière de développer leur commerce portuaire. À partir de 1850, le port subit de grandes transformations de son infrastructure, résultantes de mouvements économiques et politiques et d’avancées techniques. Ces mutations impactent directement le profil de la côte et la forme de la plaine littorale. En 1854, quelques quais privés sont disposés sur la partie ouest de la côte. Cependant, la majorité des débarquements de marchandises s’effectuent sur la plage. L’arrivée du chemin de fer en 1863 modifie les temps et modes de transports des marchandises, provoquant la reconfiguration territoriale et architecturale de la plaine littorale. Elle gagne alors du terrain sur l’océan par remblais et une nouvelle ligne de côte se dessine en 1876, qui ne cessera de se déplacer jusqu’en

4

Saelzer Canouet, Gerardo. Urbanismo topografico segun la cartografia historica: desde las fortificaciones hasta las plazas de Valparaiso. 2014. p.5 15


1930. Le port s’étire rapidement sur toute la côte, gagnant les terres de l’Almendral. La ligne de côte sauvage et meuble se construit, s’organise longitudinalement et se déplace vers le nord, dérobant des espaces à la mer. La plaine littorale s’organise en îlots réguliers, selon une structure en damier hérité, finalement, des principes coloniaux. Les îlots s’arrondissent, se tordent, se réduisent à l’approche des collines, se faufilant le plus possible à l’intérieur des terres dans les étroits espaces plans. Ils prennent des formes étranges, les contre-formes des collines. L’urbanisation planifiée de la plaine littorale prend donc forme dans un contexte de production portuaire (figure 5).

La conquête des collines.

La carte de 1895 met en évidence la conquête progressive des collines selon deux

modes d’urbanisation (figure 7). Une première résulte d’une urbanisation spontanée: une occupation désordonnée et parsemée, sans tracé urbain préalable. Les édifices sont de tailles réduites, disposés sur le bas des collines aux pentes abruptes, proches de la plaine littoral. Ce plan témoigne de la prolifération de l’habitat auto-construit dans les collines. Le second processus d’urbanisation des collines s’est effectué dans certaines zones, dont les caractéristiques naturelles sont propices au développement d’une organisation territoriale : les collines Playa Ancha, Baron, Placeres et Concepcion. Des tracés urbains à l’initiative des autorités ont été projetés, selon des plans en damiers avec des îlots les plus réguliers possibles, dépendant de la topographie. Par exemple, la colline de Playa Ancha, se développe dans les années 1870, par un processus de lotissements à des fins commerciales.5

L’analyse des cartes historiques de Valparaiso mettent en évidence la dépendance

des formes urbaines de la ville à la topographie de la baie. La topographie est la contrainte génératrice de la différenciation de la ville. Plus que la topographie elle-même, c’est la résolution apportée par les mouvements économiques et culturels qui ont construit la ville, qui est responsable de cette partition : l’écart entre des autorités planificatrices qui s’emparent des espaces plans pouvant être facilement organisés et les populations migrantes qui, par nécessité, utilisent des ressources précaires et occupent des collines disponibles pour se loger.

5

Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso : la periferia efimera. 2003. 16


1865

1880, premier remblais de la plaine littorale.

1890, aménagement du quai fiscal.

1906, le port s’étend le long de la côte.

1914, aménagement du quai Baron. Figure 5 : Evolution de la ligne côtière et du port. Sources: http://www.memoriachilena.cl 17


Figure 6 : Carte historique de la baie de Valparaiso. 1790. Source : http://www.memoriachilena.cl

18


Figure 7 : Carte historique de la ville de Valparaiso. 1895. Source : http://www.memoriachilena.cl

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3. Deux processus, deux économies, deux temporalités.

Les modes de fabrique de la ville spontanée et planifiée se développent avec deux

économies différentes qui se distinguent par différents acteurs et des moyens économiques et techniques différents. Il en résulte des formes urbaines distinctes qui se forment et se transforment dans des temporalités différenciées. Quelles temporalités ces deux processus urbain engendrent-ils ?

Urbanisation spontanée.

La ville haute de Valparaiso ne répond pas à une vision urbaine prédéterminée. Elle s’est

construite par elle-même, sans aucun tracé. Sa croissance provient de situations éphémères et mouvantes qui, avec le temps, se sont consolidées. L’informel est devenu l’officiel. Lorsque les autorités se préoccupent de l’organisation spatiale de la plaine littorale, les collines représentent l’espace vacant d’une ville en devenir. La conquête de ces dernières s’effectue essentiellement par un processus d’urbanisation spontanée à l’origine des habitants, naissant de la nécessité urgente d’une population ouvrière de se loger. Cette population, issue de l’exode rurale, est venue travailler au port. Les collines deviennent donc les lieux de résidence, où se multiplie l’habitat auto-construit, avec une architecture basée sur des typologies provenant de la campagne : cuartos redondos, conventillos, ranchos...6 Depuis, ces typologies se sont transformées, mais on retrouve encore aujourd’hui le caractère rural dans l’habitat autoconstruit des collines.

Les tomas de terreno, occupations informelles de terrains libres dans la ville ou en

périphérie constituent le premier pas de l’urbanisation spontanée. La forme urbaine est engendrée par l’habitat, permier composant de la ville haute (figure 8). La forme que prend l’habitat provient de différentes contraintes, associées aux habitudes culturelles des résidents. Tout d’abord, la topographie induit rapidement une construction sur pilotis, qui devient caractéristique des collines de Valparaiso. En raison des faibles ressources matérielles, les habitats originaux sont construits en structure bois et remplissage en terre cuite, avec une toiture généralement en tôle métallique. Ces premières constructions sont parfois également revêtues de tôle métallique afin de protéger les façades en terre. Aujourd’hui, la majorité des habitats sont également construit en structure en bois ou en structure métallique, avec un remplissage en panneaux de bois préfabriqué, parfois associé à un isolant. En périphérie, on observe de plus en plus de construction en dur, en briques ou parpaings. Les 6 Millan, Pablo. Aplicación e impacto de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906 : el caso de Valparaíso (Chile). 2016. p.276. Les cuartos redondos et ranchos sont des habitats primitifs utilisés dans la campagne. Ce sont des sortes de granges et fermes. Les conventillos sont des habitats collectifs précaires typiques de Valparaiso. Ils sont formés autour une cour centrale et construits sur un ou deux étages. Chaque famille possède une pièce accessible par des coursives extérieures. Ces logements, considérés insalubres au début du XXème siècle, ont été presque tous détruits lors de l’application de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906. 20


Figure 8 : Habitat auto-construit dans la quebrada Elias. 1892 Source : http://www.eure.cl/index.php/eure/article/view/1503/874. MILLAN Pablo. Aplicacion e impacto de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906: el caso de Valparaiso.

«Se reconoce el destino de la ciudad de Valparaiso desde su propio origen de ser y haber sido una ciudad auto-construida y autodeterminada.» «On reconnait le destin de la ville de Valparaiso depuis son origine d’être et d’avoir été une ville auto-construite et autodéterminée.»

«Toda manifestacion urbana no era mas que la obra résultante de la determinacion de los que alli iban llegando.» «Toute manifestation urbaine n’était que l’œuvre résultante de la détermination de ceux qui arrivaient là-bas.» Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso : su periferia efimera. p.90 p.94.

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Étape 1 : Tomas de terreno et construction du premier abri précaire.

Étape 3 : Extention et consolidation de l’habitat.

Étape 2 : Extention et consolidation de l’habitat.

Étape 4 : Extention, création d’espaces extérieurs et accès, embelissement.

Figure 9 : Auto-construction à Valparaiso. Processus d’évolution de l’habitat. Source : Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso, la periferia efimera. 2003.

22


Figure 10 : Auto-construction à Valparaiso. Processus d’évolution de la ville. Source : Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso, la periferia efimera. 2003.

23


faibles moyens de mise en oeuvre révèlent une situation financière généralement précaire. L’économie de moyen, de matière et de temps engendrent un habitat auto-construit, à la structure généralement légère et modulable, qui s’accroche à la pente sans la transformer. Le premier habitat est généralement très simple et de taille réduite, comportant une ou deux pièces. Rapidement, le logement évolue, des pièces s’ajoutent dans les espaces disponibles, un étage, un garage, une terrasse ou encore un balcon. L’isolation s’améliore, les trous se comblent... (figure 9).

L’auto-construction s’étend au-delà de l’échelle de la maison : la ville haute s’est

formée petit à petit et résulte de la prolifération ingénieuse de ces constructions. Les maisons s’agroupent et s’articulent entre elles. Des interstices apparaîssent, puis des passages, des escaliers, des rues, des places (figure 10). Didier Drummond explique que le processus d’urbanisation des favelas s’effectue de proche en proche, par accumulations et additions : «les chemins sont amorcés et, au fur et à mesure de l’occupation, les nouveaux les prolongent en montant vers la place encore libre.» (Drummond, 1981)7.

L’urbanisation spontanée se fait dans un temps réel et non projeté. Elle résulte de

«la sumatoria de las múltiples intervenciones y transformaciones que se van produciendo en momentos distintos (…) como una obra en permanente construcción», «la somme de multiples interventions et transformation que se produisent à différents moments (...) comme une œuvre en permanente construction», (Bolivar, 1995)8. Elle offre une réponse instantanée, qui évolue en fonction des besoins de l’habitant.

Urbanisation planifiée.

L’urbanisme planifié correspond à une fabrique projetée de la ville. Le terme «planifié»

évoque la formation d’un plan, exprimé avec des objectifs et moyens de mise en oeuvre, dessiné puis réalisé. Le projet est le moyen de fabrique planifiée. Le propre de la notion de projet est d’être prévisionnel, le projet doit se projeté dans le futur et anticiper l’espace. C’est un devancement du temps9. De plus, l’urbanisme planifié se consacre à la grande échelle, des parties de villes ou des villes entières. A l’époque de l’urbanisation de la plaine littorale, à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème, le principe d’urbanisation repose sur la distribution de terrains, par les autorités coloniales, à

7

Drummond, Didier. Architecture des favelas. 1981. p.64 Je m’autorise le rappochement entre la ville spontanée de Valparaiso et les quartiers informels, bidonvilles, favelas, barrios... Bien que le phénomène de fabrique de la ville spontanée à Valparaiso soit plus ancien, il semble que les processus de formation soient similaires : occupation de terrains de manière spontanée, auto-constuction de l’habitat puis transformation de celui-ci... Les populations à l’origine de ces quartiers sont également des populations issues d’une immigration rurale, dans la nécessité de se loger.

8

Vasquez Pino, Andrea. Ciudad y hábitat informal: Las tomas de terreno y la autoconstrucción en las quebradas de Valparaíso. 2013. p.3.

9

Da Cunha Antonio, Gwiazdzinski Luc, Herrman Lou. Introduction. Vers un urbanisme des temps. 2014. 24


Figure 11 : Croquis de l’axe depuis le ravin de San Francisco vers la colline Cordillera. 1809. Mise en évidence de la présence de plan pour la construction de la ville basse de Valparaiso.

Source : http://mingaonline.uach.cl/scielo.php?pid=S0718-72622014000100007&script=sci_arttext en juillet 2016

25


des propriétaires qui font alors appelle à des constructeurs pour édifier leurs parcelles. La plaine littorale n’a pas été fondée selon les principes urbains coloniaux et les règles étaient alors bien plus libres que celles imposées par l’édit de Philipe II. L’influence coloniale du plan en damier régulier est cependant visible dans la plaine littorale du XIXème siècle. On observe également à cette époque des dessins dans certaines zones, visant à organiser le territoire de manière plus globale (figure 11). Aujourd’hui, le processus de production de la ville planifiée correspond à une succession de démarches disjointes, menées par différents acteurs. Les collectivités publiques, à l’échelle nationale et locale, fixent des objectifs et les lieux d’interventions ainsi que le droit du sol qui encadre les interventions à venir, définit dans les réglements d’urbanisme. Un opérateur, public ou privé intervient ensuite sur le foncier qu’il a acquis dans le respect des règles fixées par le autorités. Enfin, l’urbanisation planifiée suit les mouvements culturels et historiques, les évolutions idéologiques, politiques et économiques ainsi que les évolutions techniques des époques dans laquelle elle se développe. Elle ne suit pas une économie immédiate dictée par des nécessités comme l’urbanisme spontané, mais s’inscrit dans des mouvements à plus grande échelle.

26


4. Les rythmes des transformations urbaines.

Transformations urbaines de la plaine littorale.

Les transformations de la forme urbaine de la plaine littorale apparaîssent lors de

projets de réaménagement à grande échelle et à caractère global. Le premier grand projet de transformation de la plaine littorale s’effectue dans un contexte de crise sociale due aux conditions de vie dans l’Almendral, dans lequel se multiplient les épidémies et les maladies. Le député Francisco Euchaurren propose alors un projet de transformation de Valparaiso en 1879, appelé Ley de transformation de Valparaiso, qui vise à modifier la structure urbaine de la ville afin de remédier à l’insalubrité et aux conditions de vie médiocres. Le projet ne concerne que la plaine littorale et principalement le secteur Almendral : «Echaurren pretendia centrar en el plan practicamente todas la intervenciones mediante la dotacion de nuevos equipamientos, enseanches y pavimentacion de las calles.», «Echaurren souhaitait concentrer dans le plan (Almendral) presque toutes les interventions, à travers la création de nouveaux équipements, l’élargissement et le pavement des rues» (Millan, 2016)10. Cette loi propose à la fois un projet de transformation urbaine et une série de normes et réglementations. Elle prévoit le tracé de nouveaux axes urbains dans l’Almendral et l’apparition des premières normes liées à l’édification, entre autres l’élargissement des rues entre dix et quatorze mètres et la limitation des hauteurs des bâtiments à vingt mètres sur le pourtour des places et seize mètres le long des rues. En 1906, peu de réalisations sont visibles dans la plaine littoraleet le projet n’aura pas le temps de se concrétiser.

En 1906, un tremblement de terre détruit une grande partie de la plaine de l’Almendral,

qui se retrouve entre débris et cendres. La catastrophe sonne le départ d’une partie de la population et donne l’occasion de repenser l’organisation urbaine de la plaine littorale. Il engendre une tabula rasa dont rêvent les urbanistes et utopistes pour la réalisation de projets de ville idéale, ville moderne ou ville hygiéniste11. Ce séisme est le moteur de la plus grande transformation de la plaine de Valparaiso. Le 16 août 1906, le tremblement de terre détruit la majeur partie de l’Almendral (figure 11). Dans les jours qui viennent, les habitants, les autorités locales et nationales se réunissent afin de planifier la reconstruction de la zone. Ils créent la Comision General de Vecinos de Valparaiso12 et établissent en quelques semaines le Plan de Reconstrucion de Valparaiso. L’expropriation de la totalité des terrains de l’Almendral est la première mesure établie, permettant de penser un projet global et unifié. La commission propose alors des lois régulant son urbanisation et fait appel à des urbanistes et ingénieurs pour réaliser le plan d’urbanisme. 10 Millan, Pablo. Aplicación e impacto de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906: el caso de Valparaíso (Chile). 2016. p.279.

11

Millan, Pablo. Los Planes de reconstrucción de Valparaíso (Chile) tras el terremoto de 1906: la búsqueda de la modernidad en el trazado urbano. 2015.

12

Comision General de Vecinos de Valparaiso : Commission Générale des Voisins de Valparaiso. 27


Les idées urbaines mises en avant sont celles des «villes modernes» européennes, provenant de l’ère industrielle, hygiénistes et ordonnées. Ces principes sont en partie véhiculés par les migrants européens qui viennent «avec les idées urbaines issues de la naissance de l’urbanisme comme discipline, en charge de planifier les villes».13 Les propositions du nouvel Almendral prennent exemple sur le Plan de Paris, réalisé par Haussmann dans les années 185014. Les principes d’assainissement et d’embellissement du projet d’Haussmann sont insérés au projet qui projette alors l’élargissement des rues, l’alignement de façades uniformes et la créations de parcs et places publiques arborées. Le projet sélectionné pour la reconstruction de l’Almendral est celui de l’ingénieur Alejandro Bretrand. «Pour pouvoir réaliser ce tracé (d’Alejandro Bertrand), le projet prévoit une grande intervention, faisant de l’Almendral une authentique tabula rasa, sur laquelle construire ex novo», explique Pablo Millan15. Le projet supprime la totalité de l’ancien tracé et vise à repenser la plaine dans sa globalité. De grands travaux d’infrastructures, visant le nivellement de tout l’Almendral, constituent la première étape. De nouveaux axes longitudinaux sont réalisés et des axes transversaux dessinent des îlots réguliers de cent mètres de côté. De nouveaux accès sont créés vers les collines, dans les larges ravins qui les séparent. Les places sont agrandies et aménagées. Le tracé urbain de l’Almendral prend alors sa forme actuelle. (figure 12) La plaine littorale a subit une évolution séquencée de sa structure urbaine. La

catastrophe naturelle et les décisions politiques ont transformé la ville plane dans sa globalité. Ce sont des «moments» qui sont responsables du remaniement à grande échelle de la ville. Ils transforment la plaine littorale pour les prochaines années: points charnières dans l’histoire de la ville qui figent, pour les temps à venir, une forme urbaine.

Évolution urbaine des collines et premier contrôle des autorités.

L’évolution urbaine des collines dépend des phénomènes de croissance urbaine et

de modification de l’existant. Ces deux phénomènes sont concomitants et font de la ville des collines une ville mouvante, qui s’étire toujours plus haut, se densifie, mute et se réinvente en permanance. Au début du XXème siècle, des actions se mettent en place à l’initiative des autorités locales et nationales afin de modifier et contrôler le développement des collines.

On observe dans un premier temps la densification des collines les plus proches de 13

«Que venian con ideas urbanas relacionadas con los inicios del urbanismo como diciplina encargada de planear las ciudades de acuerdo a un diseno urbano.» ANDREA, Valentina. Plan de reconstruccion de Valparaiso 1906-1910. Ideas urbanas hacia el centenario de la republica. 2009. p.165

14

Andrea, Valentina. Plan de reconstruccion de Valparaiso 1906-1910. Ideas urbanas hacia el centenario de la repubica. 2009.

15 «Para poder establecer este trazado, el proyecto preveia una gran intervencion, hacienco del Almendral una autentica tabula rasa, sobre la cual luego construir ex novo.» MILLAN, Pablo Los Planes de re contrucción de Valparaíso (Chile) tras el terremoto de 1906: la búsqueda de la modernidad en el trazado urbano. 2015. p.15. 28


Figure 11 : Vue générale de Valparaiso après le tremblement de terre du 16 aout 1906. Source : http://www.memoriachilena.cl

Figure 12 : Plan de Valparaiso après reconstruction de l’Almendral. 1934. Source : http://www.memoriachilena.cl

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la plaine littorale. Chaque recoin est investi : les cimes, les flancs de collines, les ravins... Seules les pentes les plus abruptes sont laissées vierges. Lorsque l’espace est saturé, la ville spontanée se propage alors vers le ciel. Elle gravit les collines en repoussant toujours plus loin ses limites. Le Camino Cintura, représente, lors de sa construction en 1876, la limite de croissance la ville. Aujourd’hui, Valparaiso s’étend bien au-delà de cette avenue. Le deuxième phénomène d’évolution des collines correspond à la modification de l’existant. Cette évolution est permise par le caractère auto-construit des collines, qui permet, à l’échelle de l’habitat, la transformations des constructions. De proche en proche, la ville se fait et se défait, les habitats s’agrandissent, changent de forme ou de matériaux. L’auto-construction permet une certaine flexibilité, dont nous parlerons dans la seconde partie.

Au XIXème siècle, peu d’interventions des autorités s’opèrent dans les collines, qui

restent en grande partie laissées aux mains des habitants. On remarque cependant des réalisations, à l’initiative de la municipalité, qui résultent de la nécessité de se déplacer dans la ville. Face à la difficulté quotidienne des habitants de circuler entre plaine et collines, les funiculaires apparaîssent dans la seconde moitié du XIXème siècle. Produit de l’aire industrielle et de l’essor portuaire, ils sont apparus en réponse à l’enclavement des populations dans les hauteurs et la difficulté quotidienne de parvenir au lieu de travail. Ils sont la solution apportée par les autorités pendant une époque productiviste. Les premiers privilégiés sont les européens. En 1883, le premier ascenseur gravit la collines Concepcion. Cette cabine métallique s’élève grâce à un système hydraulique de contre-poids et permet de gravir trente-cinq mètres en quelques minutes. En cinquante ans, trente funiculaires sont construits sur les collines les plus proches de la plaine littorale. Ils deviennent rapidement le transport public le plus utilisé, innovant et adapté à une situation topographique hors du commun. Dans la moitié du XXème siècle, la banalisation de l’automobile et la difficulté d’entretien des machines engendrent le déclin de ce moyen de transport. Aujourd’hui, seuls quinze funiculaires sont présents dans la ville, six d’entre eux fonctionnent encore et peu sont utilisés quotidiennement par les habitants. Les funiculaires sont devenus des artifices, témoin de l’époque flamboyante de Valparaiso. Ils ont perdu le mouvement qui les animaient et sont aujourd’hui de vieilles machines accrochées aux collines. De la même façon, en 1876, le Camino Cintura est créé par l’architecte chilien Fermín Vivaceta, comme solution à l’isolement des collines les unes par rapport aux autres, séparées par de profonds ravins. Cette avenue, longue d’environ 5km se situe à cent mètre au-dessus du niveau de la mer et relie entre elles une grande majorité des collines de l’amphithéâtre. Elle apparaît alors comme une articulation de la mobilité, permettant un déplacement à niveau d’une colline à une autre. Lors de sa création, le Camino Cintura projète également la limite d’extension de la ville. À cette époque, l’urbanisation des collines ne s’étend pas au-delà du Camino Cintura et la future limite laisse une faible marge de croissance à la ville. Aujourd’hui, Valparaiso s’étend bien plus loin que le Camino Cintura, qui marque alors le début de la périphérie de la ville.

30


À la suite de ces deux interventions d’aménagements ponctuels dans les collines, une

première réelle tentative de contrôle urbain dans les collines de Valparaiso émerge avec la Ley de Habitaciones Obrera, Loi de logements ouvriers de 1906. Cette première initiative de l’état, au niveau d’intervention national, souhaite donner une réponse globale aux problèmes du logement dans le pays. L’enjeu principal de cette loi est de remédier à l’insalubrité des logements ouvriers. Sa mise en application se base sur deux principes. D’une part, elle engendre la destruction des logements insalubres et favorise la reconstruction de logements en proposant une réduction fiscale pour les entreprises qui entreprennent les constructions. D’autre part, la loi propose l’exemption fiscale de tous les logements, individuels ou collectifs, déclarés salubres, afin d’encourager le maintien de l’entretien par les habitants. Parallèlement, la loi oblige les municipalités à équiper les zones déclarées salubres par des rues pavées, de l’éclairage publique et un système d’évacuation des eaux usées.

Dans son article, Aplicacion e impacto de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906 :

el caso de Valparaiso, Pablo Millan analyse l’application et l’impact de la loi dans les collines de Valparaiso. Cette loi permet l’aménagement des collines les plus proches de la plaine. Le pavement des rues, l’éclairage public et divers aménagements urbains se mettent en place dans les zones les plus consolidées. Ce phénomène entraîne l’incorporation progressive des collines à la ville formelle, celle de la plaine littorale planifiée. L’espace public, entre les maisons auto-construites, est aménagé et contrôlé (figure 13). Dans le même temps, la destruction massive de logements insalubres dans la plaine littorale et dans le bas des collines, notamment la destruction de la quasi totalité des conventillos, entraîne une pénurie de logement, qui n’est pas relayée par des programmes de reconstruction. En effet, le ministre de l’Industrie et des Ouvrages Publics explique que «en Valparaiso, donde las habitaciones son mas estrechas que en cualquiera otra ciudad, mas escasas, mas caras, y tambien bastante insalubres, no se he hechos inversion alguna, excepto para la compra de algunos terrenos, y se esta esperando todavia que haya fondos para iniciar las construciones.», «à Valparaiso, où les logements sont plus étroits que dans n’importe quelle ville, plus rares, plus chers, et plutôt insalubres, il ne s’est fait aucun investissement, excepté quelques terrains achetés, qui attendent toujours les fonds nécessaires pour commencer les constructions.»16. Selon Pablo Millan, les motifs responsables du manque de reconstruction de logement la topographie qui s’oppose aux méthodes de construction massive et le manque d’intérêt des investisseurs et des propriétaires des terrains.

L’échec de l’application de la loi, mis à part l’aménagement des certaines collines,

témoigne de la singularité de Valparaiso. Les collines ne permettent pas l’élaboration d’un «modèle de logement rationalisé»17, qui recherche, selon la loi, des terrains plats et aérés. 16 Millan, Pablo. Aplicación e impacto de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906: el caso de Valparaíso (Chile). 2016. p.284. 17 Millan, Pablo. Aplicación e impacto de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906: el caso de Valparaíso (Chile). 2016. p.289. 31


La complexité de la topographie éloigne, à cette époque, les possibilités de modèles architecturaux et démontre que la loi ne s’adapte pas à la réalité de Valparaiso. La loi a donc engendré la prolifération de l’habitat auto-construit, en périphérie de la ville ou dans les espaces vacants, pour faire face à la crise du logement que les démolitions massives ont provoquées. Mauricio Puentes Riffo explique, au sujet de la loi de 1906, que «el gobierno local pierde la autoridad sobre su propia ciudad al no poder planificarla a través de importados marcos regulatorios estandarizados, que no comprenden la particularidad de esta ciudad puerto», «le gouvernement local a perdu le contrôle de sa propre ville, pour ne pas avoir pu la planifier à l’aide d’un réglement importé standardisé, qui ne comprend pas la particularité de cette ville port».18

Les transformations et évolutions de la ville se sont effectuées à Valparaiso de

manière différenciées. La ville planifiée a subit des transformations liées à de grands projets d’aménagement, engendrées par des évènements. Elle est alors pensée comme une globalité, dont il faut résoudre les problèmes à l’aide de plans, fixant les objectifs, les réglementations et les moyens de mise en oeuvre. Les transformations de la ville planifiées sont ponctuées dans le temps et séquencée. A l’inverse, la ville spontanée possède une évolution permanente et continue. Délaissée par les autorités, elle s’auto-poduit et s’auto-determine, petit à petit, de proche en proche, dans sa forme et sa structure. Si nous pouvons comparer Valparaiso à un montage cinématographique, la ville planifiée est une succession de plans fixes en séquences longues. La ville spontanée est un plan séquence, ville en mouvement.

Depuis le début du XXe siècle, le contrôle urbain s’empare des collines et les transforme

progressivement. Si la première loi de 1906 n’a pas permis une réelle transformation de l’habitat dans les collines, engendrant de nouvelles constructions spontanées; elle a cependant mis en place un processus de «consolidation urbaine» dans certaines zones. Ce processus ancre alors la ville spontanée dans sa forme momentanée et diminue ses possibilités d’évolutions. Le tracé urbain est fixé, les rues sont pavées et des îlots se dessinent malgré eux... La consolidation urbaine, dont nous reparlerons dans la prochaine partie, est une phénomène aujourd’hui courant dans le processus d’assimilation de quartiers auto-construit à la ville formelle, dans les villes chiliennes. Si les «deux villes» de Valparaiso se sont formées et transformées de différentes manières et dans des temporalités différenciées, la planification a aujourd’hui conquis la totalité de Valparaiso et transforme progressivement les processus et temps de fabrique de la ville spontanée.

18

Puentes Riffo, Mauricio. La forma de Valparaiso. Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. 2014. p.9.

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Figure 13 : Pavement d’une rue dans la colline BellaVista. Application de la Ley de Habitaciones Obrera. 1910. Source : http://www.memoriachilena.cl

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Partie II De la ville mouvante Ă la ville figĂŠe.

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Depuis la moitié du XXème siècle, la ville spontanée de Valparaiso se fait phagocyter

par la planification urbaine qui tend à réguler toute la ville et imposer son modèle urbain de la modernité. Aujourd’hui, tout le territoire de Valparaiso est sous le contrôle urbain. Dans le même temps, des ouvrages de l’urbanisme moderne se développent à Valparaiso. Depuis les années 80, les tours et les barres en béton apparaissent dans les collines, créant des discontinuités dans le tissu urbain. Le doux skyline des collines est défiguré par des excroissances verticales. Ces nouvelles formes urbaines apparaissent lorsque la ville de Valparaiso se munit de documents de planification. Leur grande permissivité dans les années 80 provoquent des contradictions urbaines. Une dizaine d’années plus tard, la question patrimoniale naît à Valparaiso grâce à la mobilisation d’habitants et d’architectes face à la défiguration des collines. Cette conscience patrimoniale a finalement entraîné en 2005, une modification des documents de planification. Quels sont les liens entre la planification urbaine et les formes de l’urbanisme moderne? Nous cherchons ici à définir l’urbanisme planifié à la jonction entre planification et formes urbaines. Comment les documents de planification ont-ils évolués, laissant leurs traces sur les collines et quel est l’impact de la patrimonialisation de la baie ?

1. Mouvement moderne et planification urbaine.

Le terme «urbanisme» apparaît en Europe dans la seconde moitié du XIXéme siecle,

avant de se diffuser dans le monde. Cependant, l’histoire de la formation des villes montre l’apparition progressive d’une discipline destinée à construire et ordonner les villes bien avant l’occurrence du mot «urbanisme». Avant la renaissance, selon Françoise Choay, il n’existe aucune société où la production de l’espace bâti relève d’une discipline autonome. Cependant, elle explique que «tantôt l’espace urbain résulte directement de certaines pratiques sociales, en particulier religieuses et juridiques, dont la permanence historique a pour effet de constituer des types, reproduits au fil du temps. (...) Ou alors, des types urbains, constitués de façon empirique, sont reproduits aux cours des siècles.» On peut ainsi dire que la ville coloniale sud américaine est constituée de façon empirique et répétée aux cours des siècles. Le plan en damier est un type urbain, défini par des principes et des règles, qui semblent bien avoir influencé le plan de Barcelone de Cerda, où sont dessinés les îlots réguliers de l’ordre et du pouvoir. La première révolution dans la construction des villes apparaît en 1452, avec le traité d’Alberti, De re aedificatoria. L’art d’édifier devient une discipline théorique et appliquée, autonome. Le terme «urbanisation», «urbanizacion» en espagnol, est relativement récent et apparaît subordonnément à la révolution industrielle. Il est créé en 1867 par Idelfonso Cerda et théorisé dans son traité Teoria general de la urbanizacion. Cerda désigne l’urbanisme comme la science de l’organisation spatiale des villes, discipline théorique et appliquée. Selon Francoise Choay, le terme «urbanisme» est réservé au « processus, planifié ou non, d’investissement de l’espace

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Avenue Rouget de Lisles, Vitry sur Seine, France. 1950 Source : http://www.vitry94.fr

KTT Kim Lien, Hanoï, Vietnam. Vers 1980. Source : http://ashui.com

Barrios de Caracas. Venezuela. Années 2000 Source: https://alexandravocht.urbanstudio.nl/2012/07/08/caracas-an-urban-path/

Figure 14 : Champs d’application planétaire de l’urbanisme moderne.

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par des constructions et des réseaux d’équipements». À la différence d’Alberti, Cerda propose des modèles spatiaux dictés par la société industrielle, prémices du mouvement moderne.

Dans la continuité de l’urbanisme de Cerda, l’urbanisme moderne se développe au XXème

siècle et acquiert une application radicale et universelle. Le rationalisme et le fonctionnalisme trouvent leur place dans les théories d’urbanisme, comme réponse spatiale de l’ère industrielle. «L’idée-clé qui sous tend l’urbanisme progressiste est l’idée de modernité».19 Les principes et idées urbaines défendus par le mouvement moderne progressiste sont exposés en partie dans la Charte d’Athènes, doctrine établie par Le Corbusier en 1933, à la suite du IVème Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM). De nombreux points visant à définir la forme et l’aspect physique des villes modernes sont traités tels que la disparition de la rue et la création d’unités d’habitations sous la forme de constructions isolées. Ces principes ont fait apparaître dans nos villes le bloc et la barre isolés, formes architecturales devenues formes urbaines. Outre ces principes à caractère formel, Le Corbusier défend la place de l’urbanisme dans le cadre de la législation et de la planification, jugeant que les autorités sont restées trop en retrait sur les questions de construction de la ville : «aucune autorité, consciente de la nature et de l’importance du mouvement machiniste, n’est intervenue jusqu’à présent.» (Le Corbusier, 1957)20. Il propose ainsi le principe de séparation des fonctions21 visant à contrôler le développement des villes : « leur développement est conduit sans précision ni contrôle, et sans qu’il soit tenu compte des principes de l’urbanisme contemporain mis au point dans les milieux techniques qualifiés.» (Le Corbusier, 1957)22. Ce principe apparaît dans une démarche d’organisation, de planification et de classification du territoire permettant ainsi à chaque fonction de se développer avec des dispositions particulières qui leur sont propres et nécessaires. Il en résulte aujourd’hui des plans de zonage, qui définissent pour chaque zone, le type d’activités autorisé, le droit d’occupation du sol et la réglementation spécifique de chaque zone.

L’urbanisme moderne dépasse donc la forme architecturale ou urbaine et s’étend

aux méthodes d’application de ces principes. Les plans de zonage sont des documents de planification urbaine hérités du mouvement moderne. Il est difficile aujourd’hui de distinguer la planification urbaine et les formes urbaines, qui sont toutes deux issues des principes urbains de la modernité, théorisés au cours du XXème siècle. La planification influe sur les formes. Aujourd’hui, l’«urbanisme planifié» serait alors à la jonction entre planification urbaine et formes urbaines de la modernité, désormais indissociables l’une de l’autre. «Avec le mouvement moderne et ses théoriciens progressistes, elles (théories de l’urbanisme) ont fait autorité auprès des instances décisionnelles, administratives et politiques et ont conquis,

19

Choay, Françoise. L’urbanisme, utopies et réalités. 1965. p.33

20

Le Corbusier, La Charte d’Athènes. 1957. p.96

21

Le Corbusier définit quatre fonctions de la ville : travailler, circuler, habiter, se récréer.

22

Le Corbusier, La Charte d’Athènes. 1957. p.98 38


après la deuxième guerre mondiale, un champ d’application planétaire.»23. Ce phénomène est global et tend à l’uniformisation des villes (figure 14). De la même façon, l’architecte Mauricio Puentes Riffo explique : «Valparaiso no es una ciudad estandarizable. Estandarización que, propiciada por una autoridad severamente centralista, ha provocada una casi enfermiza homogeneización de nuestras ciudades sin reconocer sus estructuras territoriales y culturales.» «Valparaiso n’est pas une ville standardisable. La standardisation, favorisée par une autorité sévèrement centraliste, a provoqué une homogénéisation maladive de nos villes sans reconnaître leurs structures territoriales et culturelles.»24 Il relève ici un dernier point, auquel Valparaiso est particulièrement sensible : la centralisation de la planification urbaine. Au Chili, les principales règles d’urbanisme sont définies au niveau nationales et l’échelle locale possède peu de pouvoirs décisionnels. L’apparition de la planification à Valparaiso marque une rupture dans son histoire. Sa singularité de posséder une urbanisation spontanée dont la forme provient de sa difficile topographie est oubliée, les lois centralisées ne s’en préoccupent pas. Sorte d’amnésie de sa culture et de son histoire, Valparaiso se retrouve contrainte aux documents rigides et influents des autorités.

23

Choay, Françoise. Merlin, Pierre. Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. 1988.

24

Puentes Riffo Mauricio, La forma de Valparaiso. Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. 2014. p.7 39


2. La trace physique des documents de planification.

Apparition des documents de planification au Chili.

Avant 1930, le contrôle du développement urbain et la réglementation liée à l’édification

ne sont que des mesures ponctuelles et généralement localisées, qui tentent de pallier des problèmes ciblés, dans les différentes villes. En 1931, apparait la première loi définissant la nécessité d’un plan d’urbanisme pour toutes les communes de plus de 8 000 habitants : le Plano Oficial de Urbanizacion. Les normes urbaines sont établies à l’échelle nationale par la Ordenanza General de Urbanismo y Construccion. Aujourd’hui, et depuis 1976, toutes les communes doivent se munir d’un Plan Regulador Comunal (PRC), semblable au Plan Local d’Urbanisme (PLU) en France, qui fixe les normes urbanistiques générales de la ville, celles dans chaque zone définie dans le Plan de zonificacion et les possibilités d’actions des communes. Au Plan Regulador Comunal s’ajoutent des Planes Seccionales de certaines zones, généralement des zones de protection patrimoniale, qui requièrent une étude plus détaillée. Ils précisent, par exemple, les usages du bâti et les densités maximales. Ces Planes Seccionales donnent ainsi une liberté aux communes de gérer leur territoire à l’échelle locale. Valparaiso se munit alors d’un Plan Regulador Comunal en 1976. Celui-ci concerne l’ensemble de la ville et de la région de Valparaiso. La ville spontanée est inclue dans le plan de zonage, lui appliquant des réglementations d’usage du sol et des normes liées à l’édification. La première modification majeure de ce document s’effectue en 1988. Elle concerne certains articles et principalement le réajustement des normes établies dans chaque zone du plan de zonage. La patrimonialisation de l’aire historique de Valparaiso, inscrite depuis 2003 au patrimoine mondial de l’Unesco, entraîne en 2005 une nouvelle modification du Plan Regulador Comunal. Celle-ci témoigne de l’expansion de la patrimonialisation à l’ensemble de la baie.

Étude comparée du Plan Regulador de 1988 et de 2005.

Le Plan Regulador Comunal de 1988 ne considère pas le caractère spontané et auto-

construit des collines comme un élément déterminant de la ville. Aucun article ne décrit ou ne précise la forme des collines, le type de tissu urbain ou le type d’architecture. Presque aucune observation qualitative ou relative à l’esthétique des collines n’est énoncée. L’article 18 amorce la question des vues depuis les belvédères, limitant les constructions en hauteur et définissant les gabarits aux abords des points de vue. Cette réglementation reste cependant peu précise et très localisée. Mauricio Puentes Riffo explique que la législation, établie au niveau nationale, ne prend pas en compte la spécificité des collines de Valparaiso. Depuis son origine, Valparaiso s’est créée ses

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«Podriamos inducir desde esto ultimo que mientras mas norma y régula su crecimiento, Valparaiso mas pierde sus particularidades peculiares que la convierten en una ciudad unica y de valor innegable.» «Nous pouvons ainsi dire que plus Valparaiso réglemente et régule sa croissance, plus elle perd ses caractéristiques particulières qui font d’elle une ville unique, à valeur inégalable.»

PUENTES RIFFO, Mauricio. La observación arquitectónica en Valparaiso : su periferia efimera. 2006. p.149.

«Harmonie. Les mesures obéissent à la demande des habitants des hauts secteurs du port qui prétendent que l’apparition des constructions en hauteur détruisent le caractère traditionnel de leurs quartiers et l’harmonie de l’environnement.» Figure 15 : Image extraite du journal El Mercurio. Mauricio Silva et Audénico Barría, Valparaíso extiende hacia los cerros las restricciones para levantar edificios en altura. 2013 Source:http://www.plataformaurbana.cl

41


«Art. 32 : Las condiciones generales para obras nuevas (…) dentro de la Zona de Conservacion Historica (…) deberán mantener en forme especifica e individual, las características urbano arquitectónica generales, y los patrones de asentamiento del barrio en que se encuentran. (…) Se debe presentar un proyecto que indique su correlación con la altura, volumetria y proporciones de los vecinos, considerando no solo la relación con el vecino inmediato sino con el entorno visual dentro de las cuadras colindantes a la manzana en que se emplaza.» «Art. 32 : Les conditions générales pour les nouvelles constructions (…) à l’intérieur de la Zone de Conservation Historique (…) devront conserver un forme spécifique et individuelle, les caractéristiques urbaines et architecturales générales et les gabarits du quartier dans lequel elles se trouvent. (…) Il faut présenter un projet indiquant la corrélation des hauteurs, de la volumétrie et des proportions avec le voisinage, ne considérant pas seulement le voisinage immédiat mais également l’environnement visuel jusqu’aux îlots limitrophes.» Extrait de l’art. 32 du Plan Regulador Comunal de Valparaiso. 2005.

Plan Regulador Comunal en 1988

Plan Regulador Comunal en 2005 Occupation du sol: résidentiel Restrictions équipements: centres commerciaux, supermarchés, gares, marchés, discothèques...

Occupation du sol: commerces, bureaux, logements, équipements, industries inoffensive, caves, espaces verts... C1 D2

Coefficient d’occupation des sols: 80% Restriction de hauteur: Construction continue : 9m maximum Construction isolée : pas de restriction.

ZCHLF (Zona de Conservacion Historica de los Loteos Fundacionales de los cerros del anfiteatro)

Occupation du sol: logements, commerces, bureaux, équipements, industries inoffensives, caves, espaces verts... E1 E2

Coefficient d’occupation des sols: 60% Restriction de hauteur: Construction continue : 9m maximum Construction isolée : pas de restriction.

Coefficient d’occupation des sols: 70% Restriction de hauteur: «La hauteur maximum de construction ne pourra en aucun cas dépasser de plus d’un étage la hauteur des constructions.» Occupation du sol: logements, commerces, bureaux, équipements, industries inoffensive, caves, espaces verts...

E1 E2

Coefficient d’occupation des sols: 60% Restriction de hauteur: Construction continue : 7m maximum Construction isolée : pas de restriction.

Figure 16 : Modifications de l’article 25 du Plan Regulador Comunal, Usage du sol et normes de divisions et édifications. Source : Document personnel 42


Zone ZCHLF incorporĂŠe au PRC de 2005.

Figure 17 : Plan Regulador Comunal en 1988 et polygone de la zone ZCHLF de 2005. Plan de zonage. Source : http://www.minvu.cl 43


propres règles d’urbanisme, induites et implicites, qui font de la ville ce qu’elle est aujourd’hui. Il explique, par exemple, que la première règle de l’urbanisme auto-construit à Valparaiso est le respect de la vue : on ne construit pas devant la fenêtre de son voisin. Selon lui, «podriamos inducir desde esto ultimo que mientras mas norma y régula su crecimiento, Valparaiso mas pierde sus particularidades peculiares que la convierten en una Ciudad unica y de valor innegable», «nous pouvons dire que plus Valparaiso norme et réglemente sa croissance, plus elle perd ses caractéristiques particulières qui en font une ville unique et inégalable»25.

Le plan de zonage, établi dans le Plan Regulador Comunal, définit quatre zones

distinctes dans les collines : C1, D2, E1 et E2, dont la réglementation est similaire (figure 14). Dans aucune de ces zones le caractère résidentiel des collines n’est mis en avant. Les conditions d’usage du sol sont très permissives. Chaque zone peut accueillir des équipements, commerces, logements, bureaux et services. La réglementation concernant les gabarits met en avant le grande permissivité du Plan Regulador Comunal en terme de hauteur des bâtiments isolés : « Zona C.1 : Sistema de Agrupamiento: Aislado y Continuo. Este último sistema de agrupamiento se permitirá con una altura de 9 m. sin perjuicio de lo determinado en el Art. 16° de esta Ordenanza. Por sobre la altura de la continuidad sólo se permitirá la edificación aislada. » « Zone C.1 : Système de groupement urbain : isolé ou continu. Ce dernier système de groupement sera permis avec une hauteur de 9 mètres, sans préjudice à l’article n°16 de ce document. Au delà de la hauteur de la continuité, seule la construction isolée sera permise. »26

Ici se trouve la faille de ce document qui impose une restriction des hauteurs dans

les collines uniquement pour les constructions mitoyennes et permet le développement de constructions isolées, sans restriction. L’urbanisme moderne, qui propose effectivement la disparition de la rue et la création du bloc isolé, trouve alors sa voie d’entrée dans les collines.

En 2005, la politique patrimoniale entraîne une modification du Plan Regulador

Comunal, qui intègre alors la majorité des collines proches de la plaine littorale dans une zone de protection patrimoniale ZCHLF (Zona de Conservacion Historica de los Loteos Fundacionales de los cerros del anfiteatro, Zone de Conservation Historique des Zones Fondatrices des collines de l’amphithéâtre). Les modifications apportées au document montrent une prise de conscience du caractère singulier des formes urbaines et de la nécessité de préserver l’aspect des collines et les vues depuis celles-ci. Des articles à caractère qualitatif apparaissent dans le document. Par exemple, le terme de «quinta fachada», «cinquième façade» est incorporé à l’article 14 25

Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso : su periféria efimera. 2003. p.149.

26

Extrait de l’art. 25 du Plan Regulador Comunal de Valparaiso. 1988. 44


Figure 18 : Photographie de la tour de logement «La torre verde», «La tour verte», construite en 2003 dans le cerro BellaVista. 2016. Source : Photographie personnelle.

45


et défini comme «elemento arquitectonico de importancia desde los cerros del anfiteatro», «élément architectural important depuis les collines de l’amphithéâtre»27. Cependant, les formes urbaines et architecturales des collines ne sont jamais caractérisées ou décrites et la réglementation se base sur des éléments peu précis qui semblent pouvoir être contournés. Les zones C1 et D2 de l’ancien Plan Regulador Comunal sont incorporées à la zone ZCHLF qui devient alors bien plus restrictive. Premièrement, la zone est reconnue comme résidentielle et n’accepte que certains équipements, selon des critères précis. On observe également la réduction du coefficient d’occupation des sols qui passe de 80% à 70%, proposant une densité plus faible. Enfin, la dernière grande modification concernant cette zone est la restriction de hauteur, appliquée aux constructions isolées. Cette évolution majeure est une réponse à la multiplication des tours et des barres de logements dans les collines. Elle incorpore la notion de «copropriedad del ojo», «copropriété de l’oeil», qui résulte du droit de chaque habitant de disposer des qualités intrinsèques à la baie (figure 16).

Si la zone de conservation historique étendue aux collines semble désormais disposer

de restriction urbaine permettant de conserver ses caractéristiques particulières, le haut de l’amphithéâtre ne dispose pas des mêmes mesures. En effet, les collines situées au delà de l’avenue Alemania font parties des zones E1 et E2, qui ne possèdent que peu de restrictions.

Les traces des modifications des documents de planification urbaine sont visibles dans

la ville. Ces traces témoignent de l’évolution de la réglementation. La permissivité du Plan Regulador Comunal de 1988, associée à l’intérêt des promoteurs privés, a transformé l’aspect des collines. La modification de 2005 apparaît en réaction à cette transformation. Ce n’est que face à la situation que les autorités modifient les documents qui construisent la ville. Cette observation remet en question le caractère prévisionnel de ces documents de planification. Ils permettent des actions qui se figent dans l’espace et qui, associées aux méthodes de construction modernes, s’ancrent dans la ville comme des objets immuables. Les textes évoluent mais les objets restent, ils sont sa concrétisation et sa réalité. Les textes évoluent à retardement, en réaction aux faits que eux-même permettaient quelques années plus tôt. Et, en quinze ans, la ville a pris une toute autre forme. En d’autres termes, l’espace conserve en lui les traces du temps. L’étude de ces deux documents exprime le décalage entre les temps d’évolution des politiques urbaines et celui de l’espace (figure 18).

27

Article 14 de la modification du Plan Regulador Comunal de 2005. 46


3. La patrimonialisation : vers une ville figée ?

La patrimonialisation de Valparaiso.

Le XXème siècle est marqué par le déclin de la ville au niveau économique et social. Cette

crise s’explique à différentes échelles. Au niveau international, les deux guerres mondiales et la grande dépression de 1930 provoque l’essouflement du commerce international qui agit directement sur le port de Valparaiso, dont l’activité était déja diminuée par l’ouverture du Canal de Panama en 1914. A l’échelle nationale, la politique de centralisation des activités dans la capitale provoque une dépression des activités de la ville, jusqu’ici centre économique et financier du pays. Dans les années 70, Santiago devient le centre politique, administratif, financier, culturel et commercial. Enfin, le tremblement de terre de 1906, associé aux conditions de vie peu saines provoquent le départ des populations bourgeoises vers la capitale et la ville voisine, Vina del Mar. À la fin du XXème siècle, Valparaiso est stigmatisée, perçue comme une ville sale et dangereuse.

Dans les années 90, la patrimonialisation devient l’enjeu des politiques urbaines

comme voie de relance de la ville, en vue d’en faire un pôle culturel et touristique. Dans le même temps, le projet de démolition de l’édifice Cousino dans le Barrio Puerto et à l’apparition de tours et de barres de logements dans les collines provoquent le soulèvement d’une partie la population. L’association Ciudadanos por Valparaiso est créée par des étudiants et professeurs en architecture, qui se mobilisent pour deux motifs : la préservation de cet édifice à valeur architecturale et historique et la préservation de l’aspect des collines et des vues depuis celles-ci. En 1997, la municipalité intervient, en créant le Seccional de Preservacion de Inmuebles y

zonas de Conservacion Historicas, qui modifie les dispositions du Plan Regulador Comunal, permettant de réguler de manière ponctuelle les interventions architecturales dans la zone historique défini par la municipalité. La même année, la création du Seccional de Preservacion

de Vistas desde Paseos y Miradores étend la protection à une zone plus vaste, proposant la protection des vues depuis les belvédères naturels.

En 1999, la municipalité entame les démarches de candidature pour le classement

de l’aire historique de Valparaiso au patrimoine mondial de l’Unesco. Le premier dossier de candidature propose un classement de la zone définie comme «paysage culturel». Cette catégorie de bien créée par l’Unesco correspond à un «ouvrage combiné de la nature et de l’homme»28. La politique patrimoniale est orientée vers des valeurs paysagères, issues de l’adéquation du bâti au site naturel de Valparaiso. Selon cette vision, l’ensemble de la ville est concernée et non seulement l’aire historique, nommée Casco Historico, proposée dans

28

Unesco. Orientation. 1994. 47


le dossier de candidature. Sébastien Jacquot explique que ce déséquilibre entre les valeurs paysagères concernant l’ensemble de la ville et la surface réduite de l’aire proposée conduit à une reformulation de la candidature, à la demande de la commission de l’Unesco.29 Le second dossier de candidature se base finalement sur des valeurs historiques. En 2003, le classement de Valparaiso comme Ville Patrimoine Mondial de l’Humanité est fait au nom du critère iii : «témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation», sous l’intitulé «témoignage exceptionnel de la première phase de la mondialisation de la fin du XIXème siècle» (annexe 1).

A la suite du classement de l’aire historique de la ville au Patrimoine Mondial de

l’Unesco, des associations de protection patrimoniale, notament Ciudadanos por Valparaiso, poussent la municipalité à étendre les politiques patrimoniales à l’ensemble de la baie. Cette conscience patrimoniale provoque la modification du Plan Regulador Comunal en 2005 (annexe 2). Dans ce nouveau document, les zones de conservation patrimoniale sont étendues à l’Almendral et à la majorité des collines situées proche de la plaine littorale. La zone ZCHLF (Zona de Conservacion Historica de los Loteos Fundacionales de los cerros del anfiteatro, Zone de Conservation Historique des Zones Fondatrices des collines de l’amphithéâtre) est alors créée.

Le paradoxe de la patrimonialisation des collines de Valparaiso.

Comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, la réglementation restrictive

due à la patrimonialisation des collines proche de la plaine littorale évite la prolifération d’ouvrages de l’urbanisme moderne, éloignant ainsi le développement des barres et des tours de logements. Le processus de protection ou de conservation d’une partie de ville, induit par le phénomène de patrimonialisation, réduit les possibilités de transformations urbaines. À Valparaiso, les collines concernées sont entrées dans un processus de gentrification qui, associée à la nouvelle législation, ne permettent plus un développement auto-construit dans les collines. Les transformations urbaines sont issues de projets, très suivis et contrôlés, devant conserver le caractère des collines au moment précis de leur patrimonialisation. Petit à petit, elle provoque la muséification de la ville. L’aire historique classée au patrimoine mondial de l’Unesco est aujourd’hui devenue un centre touristique où se concentrent les hôtels, musées, restaurants et ateliers d’artistes pour les touristes. Intouchables, les collines Conception et Allegre doivent rappeler aux touristes le passé de la vie des collines lors de l’époque de splendeur du port. Les collines alentours se retrouvent progressivement absorbées par ce phénomène. Une partie de la colline Bella Vista, par exemple, a été nommé El museo a cielo abierto, Le musée à ciel ouvert, en 2006. Seules les collines les plus à l’est, éloignées

29

JACQUOT, Sébastien. Enjeux publics et privés du réinvestissement des espaces historiques centraux, une étude comparée de Valparaiso, Gênes et Liverpool. 2008. 48


de la zone inscrite, semblent conserver une certaine authenticité et un désordre vif et mouvant qui faisait la singularité de la ville.

De manière générale, il est souvent reproché au processus de patrimonialisation de

figer un morceau de ville dans un moment donné, de le «mettre sous cloche». Maria GravariBarbas écrit à ce sujet :«la patrimonialisation de tout l’espace urbain fige la ville et l’extrait du Temps, lui dénie en quelque sorte le droit de regard sur sa propre authenticité, sur son historicité.».30 Cet aspect de la patrimonialisation est d’autant plus visible dans les collines spontanées de Valparaiso. Leur spécificité est induite par leur caractère auto-construit et auto-déterminé, qui en font des morceaux de ville en mouvement. La patrimonialisation fige alors la ville en mouvement à un moment donnée de son évolution.

30

Gravari-Barbas, Maria. Guichard-Anguis, Sylvie. Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l’aube du XXIème siècle. 2003. p.68 49


50


Partie III La périphérie à deux temps.

51


Les collines proches de la plaine littorale ont été absorbées par la ville planifiée. Inclues

dans la zone de conservation patrimoniale en 2005, elles se sont cristallisées. Désormais épargnées des formes de l’urbanisme moderne, elles sont, dans le même temps, privées du mouvement perpétuel de l’urbanisme spontané. La ville des collines est devenue officielle, contrôlée et régulée. La spontanéité est aujourd’hui repoussée en périphérie de la ville. Au delà de l’avenue Alemania, qui prévoyait lors de sa construction en 1876 les limites de la croissance urbaine, l’auto-construction se développe, en marge (figure 19). Parallèlement, la périphérie est également le lieu où se multiplient les projets de logements, sous la forme de barres et de tours. Interdits dans la zone de conservation historique, les ouvrages de l’urbanisme moderne ont trouvé leur place en dehors de la ville et s’intercalent entre le tissu spontané, imposant leurs formes massives. La périphérie est l’endroit où se confrontent aujourd’hui les deux formes urbaines. Comment l’espace de la périphérie met-il en lumière les failles de la planification et de l’urbanisme moderne, en termes spatiaux et temporels ?

1. La spontanéité en marge.

De la ville à la périphérie.

Maurio Puentes Riffo exprime la singularité de Valparaiso d’être une ville issue de

situations éphémères et mouvantes qui, avec le temps, se sont consolidées. Le propre de Valparaiso est de posséder, depuis son origine, une croissance spontanée et continue qui repousse sans cesse les limites de la ville, faisant de la périphérie un espace éphémère, entre «proto-ville»31 et ville. La croissance de la ville a été supérieure à elle-même : les habitants se sont installés, puis la ville les a absorbés. La «périphérie éphémère» est ce moment, pendant lequel la ville spontanée s’est développée, hors réglementation, avant d’être absorbée par la ville formelle : «esta extension periferica de la ciudad es una evidencia de que, la ciudad ya consolidada, una vez tambien fue periferia», «cette extension périphérique de la ville met en évidence que la ville consolidée fût, elle aussi, autrefois, une périphérie»32. Cet aspect éphémère de la périphérie de Valparaiso se définit à la fois par son caractère autoconstruit et évolutif et par le fait que cette ville en mouvement se soit faite absorbée par la ville planifiée.

Aujourd’hui, la périphérie n’est plus éphémère, car la ville spontanée s’est figée, isolant

en dehors d’elle-même sa périphérie. Elle est devenue ville contrôlée et régulée et sa périphérie est devenue périphérie, comme dans la majorité des villes sud-américaines où sont stigmatisés

31

Terme employé par Puentes Riffo Mauricio, La forma de Valparaiso. Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. 2014. p.8

32

Puentes Riffo Mauricio, La forma de Valparaiso. Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. 2014. p.7 52


Figure 19 ; Croquis de l’avenue Alemania. Source : Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso, la periferia efimera. 2003.

Campamentos de Valparaiso Avenida Alemania et Camino Cintura Figure 20 : Localisation des campamentos de Valparaiso répertoriés par le Ministère du Logement et de l’Urbanisme MINVU. Source : Document personnel élaboré à partir des documents du Ministère du Logement et de l’Urbanisme : http://www.minvu.cl

53


les quartiers «informels». L’apparition de la planification urbaine et d’une législation dans la ville de Valparaiso a déplacé l’urbanisme spontané, qui devient alors une pratique en marge et repoussée en périphérie de la ville. Les tomas de terrenos et l’auto-construction ne sont pas reconnus par les autorités et ne sont pas considérés dans les documents de planification. Ils sont devenus des pratiques illégales que les autorités souhaitent éradiquer.

Aujourd’hui, l’auto-construction reste une pratique prédominante à Valparaiso mais

il faut la distinguer de l’«urbanisme spontané». En effet, la quasi totalité de la périphérie présente un habitat auto-construit, à l’exception de quelques projets de logements dont nous parlerons dans le second chapitre de cette partie. Cependant, ces habitats peuvent être, avant même d’être réalisés, déjà contraints à la ville planifiée, qui définit la forme de la parcelle et ses caractéristiques d’usage du sol dans les documents de planification. Les habitants sont propriétaires de leur terrain et doivent se plier au normes urbaines de la zone dans laquelle ils construisent. En revanche, l’urbanisation spontanée, par le fait qu’elle se développe en dehors de la réglementation et de manière informelle, conserve une certaine flexibilité dans le tissu urbain qu’elle créée. Elle acquiert une échelle plus large, celle du quartier et crée des morceaux de ville qui évoluent, se transforment, se consolident... Aujourd’hui, en périphérie de la ville, cette urbanisation prend la forme d’installation d’un groupe de personnes, généralement par liens familiaux ou amicaux, sur des terrains dont ils ne sont pas propriétaires, créant de véritables quartiers résidentiels en périphérie de la ville. Luiz Varas Arriaza définit ce type d’urbanisation comme «un modelo urbano de escala familiar y barrial propio a ellas, que se desarollan como proyecto familiar y comunitario», «un modèle urbain à l’échelle familliale et de voisinage, propre à lui-même, qui se développe comme projet familial et communautaire»33. Cette forme illégale de fabrique de la ville est appelée campamento. Le Ministère du Logement et de l’Urbanisme définit les campamentos comme des «installations où huit familles ou plus, qui vivent dans des habitats groupés ou continus, se trouvent dans une situation irrégulière d’occupation de terrains et caractérisée par l’absence d’au moins un des services basiques de logements tels que l’eau potable, l’électricité ou l’évacuation des eaux usées.»34 (figure 20).

La consolidation urbaine.

Deux phénomènes permettent la régulation des campamentos : la suppression des

installations ou la consolidation urbaine. Les campamentos sont perçus par les autorités comme des phénomènes urbains à éradiquer. En 2011, le Ministère du Logement et de l’Urbanisme

33

Varas Arriaza Luiz. El habitar profundo de Valparaiso : barrio y vivienda. Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. 2014. p.18

34

«Los asentamientos donde ocho o más familias, que habitan viviendas agrupadas o contiguas, se encuentran en una situación irregular de tenencia del terreno y carecen de acceso regular a uno o más servicios básicos de la vivienda (agua potable, energía eléctrica y alcantarillado/fosa séptica).» MINVU (Ministerio de Vivienda y Urbanismo). http://www.minvu.cl. 54


lance le Plan Integral de Campamentos visant à reloger les habitants des campamentos dans des logements sociaux, sur le même terrain où le plus proche possible, lorsque le terrain de l’actuelle implantation est privé.35 Le principe est simple : un groupe d’habitants peut postuler auprès des administrations pour obtenir des subventions. Celles-ci leur permettent d’obtenir un logement social définitif, dont ils deviennent propriétaires. En réalité, la mise en application est bien plus complexe et les temps d’attente peuvent prendre plusieurs années.

Le second phénomène est la consolidation urbaine. Cette méthode est moins radicale,

plus rapide et généralement plus convoitée par les habitants, qui souhaitent conserver l’habitat qu’ils ont eux-mêmes construit, avec un espace extérieur. Elle vise à régulariser les populations sur les terrains en leur donnant des titulos de dominio, titres de propriété. Cette première étape est possible uniquement lorsque les installations se trouvent en terrains municipaux, pouvant être cédés et sans risques. Lorsque les tomas de terreno se font en terrain privé, des négociations avec le propriétaire du terrain peuvent avoir lieu mais dans la majorité des cas, les habitants sont relogés grâce aux programmes de logements collectifs. La seconde étape correspond à la création progressive d’équipements urbains tels que le réseau d’évacuation des eaux usées, l’accès à l’électricité et à l’eau courante, la création de rues et de trottoirs. De la même façon, un groupe d’habitants postule pour des allocations qui sont ensuite regroupées pour financer les aménagements et améliorer les habitats respectifs des résidents. Parfois même, une partie des allocations est touchée sous forme de matériaux de construction, pour permettre la consolidation des maisons36. Le campamento Felipe Caminoagua37, situé sur la colline Ramaditas est entré dans un

processus de consolidation en juin 2016. Les premières tomas de terreno sont apparues en 2011. Il compte aujourd’hui environ trois cent familles, réparties en six comités. En arrivant sur place, les habitants projetaient déjà une éventuelle régularisation de leurs installations, situé sur un terrain municipal. En effet, un représentant d’un des comités du campamento explique qu’ils ont dessinés un parcellaire le plus régulier possible, sur la cime de la colline en évitant la prolifération d’habitats dans les ravins et sous les lignes électriques de hautes tensions, zones interdites à la construction. Les terrains délimités par les habitants font deux cents mètres carrés : dix mètres linéaires qui donnent sur les «rues» sur vingt mètres de profondeur. Cette organisation s’adapte aux règles d’urbanisme définies dans la zone, par le Plan Regulador Comunal (figure 21).

35

MINVU (Ministerio de Vivienda y Urbanismo). http://www.ministeriodesarrollosocial.gob.cl/btca/txtcompleto/mapasocial-campamentos.pdf

36

L’association Un Techo Para Chile, dans laquelle j’ai effectué un stage en 2016, intervient depuis l’accompagnement des familles dans les démarches d’obtention de subventions jusqu’à la consolidation urbaine ou la réalisation d’un projet de logement collectif lorsque les familles ne peuvent pas rester sur place.

37

Le campamento Felipe Caminoagua est un campamento avec lequel j’ai travaillé avec l’association Un Techo Para Chile, afin de réaliser une analyse urbaine et sociale du secteur. 55


La consolidation urbaine est un phénomène présent dans de nombreux pays de

l’Amérique Latine. Il est nécessaire afin d’améliorer les conditions de vie des habitants et leur apporter les services basiques. Antoine Grumbach, au sujet des barrios de Caracas, écrit : «la vie dans les barrios est dure, difficile mais comme le montre beaucoup de sociologues, ils sont aussi un formidable mécanisme d’accession à la dignité, celle d’avoir une maison, de se la fabriquer soi-même, de l’aménager, de la transformer. Lorsqu’on étudie les barrios de l’Amérique Latine sur une longue durée, on s’aperçoit qu’ils se consolident. Les urbanistes parlent d’«urbanisme consolidé». Et lorsqu’ils se consolident, croyez-moi, rapidement ils deviennent des formes urbaines remarquables.» (Grumbach, 1997)38. Cependant, comme le montre le cas du campamento de Felipe Caminoagua, l’influence de la planification urbaine entraîne une forme urbaine prédéfinie, établie par les autorités. Les installations tendent à respecter des règles d’implantation qui réduisent la flexibilité de la fabrique spontanée de la ville. Avec la consolidation, les rues sont fixées et bétonnées, des îlots se dessinent malgré eux, les logements sont consolidés et la marge d’évolution est alors réduite. La logique de la ville spontanée, favorisant l’accumulation, l’addition et l’évolution, est limitée par l’arrivée d’aménagements irréversibles, ceux en ciment, béton et asphalte...

38

Grumbach, Antoine. L’inachèvement perpétuel. Forme urbaine et temporalité. 1997. p.50 56


Ligne de haute tension. Zone interdite à la construction.

Parcelles définies par le comité : environ 10x20 mètres.

Ravin interdit à la construction.

Ravin interdit à la construction.

10

50 m

Figure 21 : Plan d’une partie du campamento Felipe Caminoagua indiquant l’influence des documents de planification sur le tissu urbain et le type d’implantation. Source : Document personnel.

57


2. Forme et matérialité de la modernité.

Le mouvement moderne a créé des modèles qui tendent à l’uniformisation des villes.

La forme du mouvement moderne est la forme pure, rationnelle et fonctionnelle. L’ampleur des constructions est importante, l’efficacité et le rendement sont les mots d’ordre. Le terrain idéal est le terrain plat, qui n’est pas sans rappeler les exigences de la ville coloniale espagnole. Le projet utopique de Le Corbusier, La ville contemporaine pour trois millions d’habitants, exprime la nature du terrain dans lequel peut se développer le projet moderne : un terrain plat, vaste et non situé. Les collines de Valparaiso ne se prêtent pas à ces exigences. Dans son article La forma de Valparaiso, Mauricio Puentes Riffo explique : «No es posible aplicar modelos en Valparaíso sin que ellos sean sometidos a un proceso de adaptación. Valparaíso no puede adaptarse a modelos, no puede modificarse, y cuando se ha intentado hacer, se ha verificado que el área de impacto va por mucho más allá que el espacio intervenido. Un ejemplo son las modificaciones del territorio para el emplazamiento de viviendas sociales en Rodelillo, que han provocado aludes de barro en el área de Yolanda, 4.5 kilómetros más abajo. Por su forma de anfiteatro y la de las quebradas que convergen al centro, Valparaíso es sensible a cualquier modificación de su topografía.» «Il n’est pas possible d’appliquer des modèles à Valparaiso sans que ceux-là ne soient soumis à un processus d’adaptation. Valparaiso ne peut pas s’adapter aux modèles, elle ne peut pas se modifier, et lorsque l’on a essayé de le faire, il a été vérifié que la zone impactée s’étend bien au delà de l’intervention. Un exemple est la modification du territoire pour l’installation de logement sociaux dans la colline Rodelillo, qui a provoqué des glissements de terrains dans la zone de Yolanda, 4,5 kilomètres plus bas. Par sa forme d’amphithéâtre et la configuration des ravins qui convergent vers un centre, Valparaiso est sensible à toute modification de sa topographie.» De la même façon et de manière plus générale, Antoine Grumbach explique que «la ville appartient à la longue durée, elle échappe à la vision systématique de classement auquel le mouvement moderne nous a habitué, qui consiste à organiser une typologie sommaire réductrice, substitution de la complexité urbaine»39 (figure 22 et 23).

Pourtant, la diffusion de ce modèle urbain a produit, dans les collines de Valparaiso,

l’apparition incongrue de terrains plats, où s’ancrent des constructions démesurées. L’urbanisme spontané se dépose sur les pentes des collines, laissant glisser et évoluer le sol naturel sous les maisons auto-construites. Les méthodes constructives, dictées par de faibles moyens, sont respectueuses du terrain, socle physique de la ville qui doit perdurer. 39

Grumbach, Antoine. L’inachèvement perpétuel. Forme urbaine et temporalité. 1997. p.43 58


Figure 22 : Evidencia de la auto construcción que va dando forma al trazado de la periferia de Valparaíso. Mise en évidence de l’auto-construction qui donne sa forme au tracé de la périphérie de Valparaiso. Source : Puentes Riffo, Mauricio. La observacion arquitectonica en Valparaiso : su periféria efimera. 2003.

Figure 23 : Croquis d’une proposition de projet de logement sociaux dans la périphérie de Valparaiso par l’architecte Christian Boza. 2016. Source : http://www.plataformaarquitectura.cl 59


L’urbanisme moderne le creuse, le déforme et lui arrache sa terre pour le modeler à sa guise; pour reproduire les conditions nécessaires de la ville moderne. Les excavations et terrassements gigantesques qui apparaissent dans les collines sont des actions instantanées et irréversibles qui fixent un sol artificiel pour les temps à venir (figure 24). La perception différente de ces deux modes d’urbanisme s’exprime donc également dans la durée du sol et de la matière de la ville : l’une permet la persistance du site géographique et l’autre l’ignore.40

Une fois le terrain artifitialisé, le bloc moderne en béton se dresse : constructions

poteaux-dalles, constructions poteaux-poutres, constructions préfabriquées. La structure Domino de Le Corbusier a gouverné les constructeurs du monde et cette structure en béton se multiplie pour développer nos villes. De la même façon que lorsque se crée la ville basse planifiée de Valparaiso, en pierre ou maçonnerie, les matériaux utilisés sont des matériaux lourds. Ce sont des matériaux immuables qui perdurent presque indéfiniment. La forme et la matérialité est ancrée dans la ville et «le présent est figé pour la profondeur du temps à venir» (Cohen, 1997)41. Ces méthodes constructives sont opposées en tout sens à l’architecture de la ville spontanée qui relève d’une fabrique douce et légère de la ville. Le caractère démontable et malléable des matériaux utilisés permet une évolution permanente, à l’échelle de la maison et qui, de proche en proche, se diffuse à la ville.

40

Termes employés par Grumbach, Antoine. L’inachèvement perpétuel. Forme urbaine et temporalité. 1997.

41

Au sujet de l’urbanisme moderne. Cohen, Jean Louis. Formes urbaines et temporalité. Territoire, Aménagement-déménagement, Conférence 1997. 1997. p.16 60


Figure 24 : Barres de logements dans la colline Baron. Source : http://www.plataformaurbana.cl

61


3. L’incendie de 2014 : une reconstruction entre planification et spontanéité.

Incendie et plan de reconstruction.

Entre le 12 avril et le 16 avril 2014, le plus grand incendie de Valparaiso ravage une

grande partie de la périphérie sud de la ville. Déclaré dans la nuit du 12 avril dans les hauteurs, en zone forestière, l’incendie se propage vers la ville et les services de pompier ne parviennent à éteindre le feu que trois jours plus tard. La zone affectée représente 1 042 hectares dont 148 hectares situés dans la zone urbaine, «Areas urbanas consolidadas», défini dans le plan de zonage du Plan Regulador Comunal. Sept collines sont touchées, dont quatre situées en zone urbaine où l’établissement de population est relativement importante : les collines El litre, La Cruz, Las Canas et Mariposas. 3 478 habitations et 3 110 familles sont répertoriées dans le zone affectée et seulement 560 habitations n’ont subi aucun dommage.

Le désastre soulève immédiatement la question de l’habitat auto-construit, ou

«informel» comme l’appellent les autorités, qui prolifère, sans réglementation, dans les zones périphériques de la ville. Le gouvernement estime que plus de la moitié des établissements dans cette zone relèvent d’installations et de constructions spontanées, situées dans des zones à risques, telles que les fonds de ravins, interdits à la construction, espaces par lequel le feu s’est introduit dans la ville42.

Dans les semaines suivant l’incendie, un plan de reconstruction est établi par les

autorités locales et nationales, intitulé Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana, Reconstruction de Valparaiso. Plan d’investissements, reconstruction et réhabilitation urbaine. Ce document présente un état des lieux de la situation, les orientations, développées sous la forme d’articles écrits par des professionnels de l’urbanisme et de l’architecture, spécialistes de Valparaiso43, ainsi qu’un plan de reconstruction de la zone à différentes échelles, donnant les directives pour les projets à venir. Selon ce document, les facteurs du désastre sont multiples et principalement liés à un manque de planification territoriale : «la ciudad se ha abierto camino en la medida de las posibilidades quedando en evidencia la falta de planificacion urbana», «la ville s’est construite par elle-

42

Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. 2014. p.5

43

Ces articles sont «La forma de Valparaiso», «La forme de Valparaiso» et «El habitat informal de la quebrada como construccion social», «L’habitat informel dans les ravins comme construction sociale» écrits respectivement par Mauricio Puentes Riffo et Andrea Pino Vasquez, qui sont des architectes défendant, de manière générale dans leurs écrits, les qualités architecturales et urbaines de Valparaiso liées à l’auto-construction et la spontanéité. 62


même, dans la mesure du possible, mettant en évidence le manque de planification urbaine»44. Le premier facteur soulevé est le manque de gestion forestière dans la partie haute de la ville, foyer de l’incendie, associé, de manière plus générale au manque de gestion des espaces naturels. La lenteur de l’opération de contrôle et d’extinction de l’incendie met en évidence le manque d’accessibilité et de connexion des parties hautes des collines, défini par les autorités comme «un problema historico de accesibilidad associado a la dificultad topografica», «un problème historique d’accessibilité associé à la difficulté topographique». Enfin, les autorités mettent en avant la prolifération de constructions précaires et le développement hors contrôle de quartiers spontanés tels que les campamentos, et accuse «la deficitaria regulacion y el incumplimiento de normativas urbanisticas en el desarollo de los asentamientos», «le manque de régulation et d’application des normes urbaines dans le développement des établissements de population»45.

Le plan de reconstruction est établi selon deux échelles : celle de la ville et celle de

l’habitat. À l’échelle de la ville, les enjeux soulevés sont l’accessibilité et la connexion de la périphérie au reste de la ville ainsi que les conditions environnementales et de sécurité. Le plan projette alors l’extension de l’avenue Alemania à l’ensemble des collines ainsi que la création d’un nouvel axe parallèle à celui-ci, situé environ deux cent mètres plus haut. Trois axes parallèles permettraient alors la connexion entre les collines : l’avenue Alemania à 100 mètres d’altitude, le futur axe Camino del Agua à 375 mètres et l’existant Camino La Polvora situé à environ 500 mètres d’altitude. Le plan envisage également la réhabilitation de l’ascenseur Las Canas et la construction de deux nouveaux funiculaires dans les collines de El Litre et Los Cipreses, afin d’améliorer la mobilité et l’accessibilité aux collines les plus éloignées. Enfin, à l’échelle de la ville, le plan prévoit la création d’un parc urbain, dans les fonds de ravins incendiés, permettant selon les autorités, la mise en valeur de l’environnement et le contrôle des zones à risques de fond de ravins. En d’autres termes, il s’agit d’empêcher les établissements spontanés dans ces zones.

Face à la destruction massive d’habitats dans les collines affectées, l’enjeu du logement

est urgent (figure 25). Le plan de reconstruction propose un système de subventions ainsi que la mise en place de projets de logements. Trois types de subventions sont établies.

Les plus considérables permettent d’obtenir un logement définitif. Ces logements

prennent la forme de «proyectos habitacional privados», «projet de logement privé». Le document indique : «El Ministerio de Vivienda y Urbanismo ha incorporado una nueva modalidad de proyectos habitacionales dispuesta para los damnificados; se trata de un llamado especial para la presentación de proyectos habitacionales por parte de entidades patrocinantes privadas en las comunas de Valparaíso y Viña del Mar.», «Le Ministère du

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Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. p. 6

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Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. p. 6 63


Logement et de l’Urbanisme a incorporé une nouvelle modalité de projet de logement, établie pour les sinistrés; il est question d’un appel d’offre particulier pour la présentation de projet de logement, parrainés par des entités privées, dans les communes de Valparaiso et Vina del Mar.»46

Le second type de subventions permet la réparation des habitations endommagées

mais pouvant être consolidées, situées dans des zones sans risques.

Enfin, un dernier type de subvention prend en considération du caractère auto-construit

des collines. Ce sont des «subsidios en zonas seguras para construir, instalar vivienda tipo o autoconstruir (incluida Asistencia y Inspeccion tecnica)», «subventions en zone sûre pour construire, installer un logement type ou auto-construire (incluant l’assistance et l’inspection technique)»47. Le phénomène de «autoconstruccion asistada», «auto-construction assistée», peu développé et reconnu, consiste en l’accompagnement financier et technique des populations dans les démarches d’auto-construction. Il témoigne de la reconnaissance par les autorités des pratiques d’auto-construction et semble proposer une alternative à mi-chemin entre le contrôle et la spontanéité. Cependant, comme l’indiquent les caractéristiques de la subvention d’auto-construction assistée48, le bénéficiaire doit être propriétaire de son terrain. Aujourd’hui, dans la majorité des cas, l’auto-construction apparaît dans le cadre de tomas de terreno, c’est à dire l’installation spontanée de population sur des terrains libres et dont ils ne sont pas propriétaires. Qu’en est-il des populations touchées par l’incendie ? Selon le document officiel, seul 39% des habitants étaient propriétaires des terrains qu’ils occupaient.

Le plan de reconstruction post-incendie prévoit la mise en place de ces différents

projets d’ici à 2021. Les projets à l’échelle de la ville sont des projets de grande ampleur, qui nécessitent un temps long de mise en application et de réalisation. La mise en place d’un parc urbain ne se fait évidemment pas en quelques semaines. Cependant ce temps de latence pose un réel questionnement lorsque des populations se trouvent dans l’urgence de se loger. L’incendie de 2014 et de manière générale, les catastrophes naturelles mettent en lumière les failles de la planification urbaine et de la pratique du projet lorsqu’il s’agit de reconstruire, en urgence, un morceau de ville habité.

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Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. p.37

47 Reconstruccion Valparaiso. Plan de inversiones, reconstruccion y rehabilitacion urbana. Valparaiso 2014. p.37 48

Parmi mes lectures sur le sujet, le phénomène de «auto-construction assistée» n’est mentionné que

dans le plan de reconstruction post-incendie. Pourtant, c’est un terme présent sur le site du Ministère

du Logement et de l’Urbanisme : «Subsidio de 380 UF para autoconstruir una vivienda en un sitio de

propiedad del beneficiario, con asesoría técnica asignada por el SERVIU (...)», «Subvention de 380 UF

(environ 13 000 euros) pour auto-construire son logement sur le terrain, propriété du bénéficiaire,

avec une aide technique, attribué par le SERVIU ». 64


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La Quebrada Jaime est un ravin situé juste au-dessus de l’Avenida Alemania, qui délimite la zone de protection patrimoniale ZCHLF. Relativement proche des collines protégées de l’amphithéâtre, elle a subi une urbanisation spontanée, issue de tomas de terreno. Zone de l’incendie Habitats auto-construits issus de tomas de terreno spontanées. Habitats détruits par l’incendie. Habitats en état après l’incendie.

Figure 25 : État de la Quebrada Jaime après l’incendie de 2014. Source : Document personnel élaboré à partir de la thèse Dopo ll’incendio, Transformazioni incrementali della quebrada Jaime a Valparaiso, Projet de fin d’étude PFE de Vallauri, Erik. Tesi di laurea magistrale. Architettura Costruzione e Città. Politecnico di Torino. 65


La réalité de l’urgence et les revers du plan de reconstruction : regards de la presse

chilienne.

Rapidement, la presse s’interroge sur la réelle validité du plan de reconstruction et la

durée de mise en place des projets proposés, notamment en ce qui concerne le relogement des populations. Elle soulève les incohérences et les difficultés de mise en place des projets, en terme d’administration et de gestion des subventions et en terme de réalisation des projets de logements, qui tardent à se concrétiser (annexe 3).

Dans les premiers mois suivant l’incendie, les articles au sujet de la reconstruction de

Valparaiso s’interrogent sur le système de subvention mis en place, qui ne concerne qu’une faible partie de la population touchée. Selon certains articles, la difficulté et la lenteur des démarches administratives engendre, dès les premières semaines, des reconstructions spontanées, dans la zone incendiée (figure 26). Dans son article Cuanto tiempo mas tendremos que esperar?, Combien de temps encore allons-nous attendre ? Victoria Lopez écrit : «¿Cuánto tiempo tomara esto? ¿Cuánto dinero les costara a las familias hacer todo este procedimiento previo a la construcción?», «Combien de temps cela va prendre? Combien d’argent ce processus coûtera-t-il aux familles avant la construction?». Trois mois après l’incendie, le président délégué pour la reconstruction, Andres Silva, affirme que «unas 90 familias comenzaron a construir sin contar con el permiso», «environ 90 familles ont commencé à construire sans permis de construire». En juin 2016, les autorités annoncent que la moitié des familles sinistrées possèdent un logement définitif et que cette approximation ne compte pas les familles reconstruisant par eux-même leur logement sans bénéficier d’aide de l’état : «la reconstrucción de las viviendas afectadas por el mega incendio de 2014 en Valparaíso se cifra en un 45%», «la reconstruction des logements affectés par le grand incendie de 2014 à Valparaiso tourne autour de 45%». En ce qui concerne le programme de «projets de logements privés» lancé par l’état, la presse évoque la lenteur de la réalisation des projets, tant dans les démarches administratives de validation des projets que dans la réalisation de ceux-là. Un an après l’incendie, seulement 20% de la population touchée possède un logement définitif : «De las 3.110 familias damnificadas, (...) 649 están habitando sus viviendas definitivas (...)», «Sur les 3 110 familles touchées, (...) 649 habitent dans leur logement définitif (...)». Deux ans après l’incendie, La Tercera publie, dans un nouvel article, que le SERVIU49, a rejeté cinq projets de logements pour déficiences techniques et relance un processus d’inscription pour les subventions.

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SERVIU : Servicio de Vivienda y Urbanismo, Service du logement et de l’urbanisme. C’est un service dépendant du Ministère du Logement et de l’Urbanisme. 66


Figure 26 : Reconstruction de la Quebrada Jaime. Situation en mai 2016. Source : Photographies et documents personnels. 67


Les habitants s’affranchissent des formalités de la planification urbaine et reconstruisent,

au lendemain du désastre, leurs logements sur les terrains disponibles, comme ils l’ont toujours fait. La lourdeur des démarches administratives, associée à la lenteur de mise en place des projets de logements collectifs est relayée par une reconstruction spontanée. L’immédiateté de l’auto-construction recrée la ville, petit à petit. De plus, les mesures prises par le gouvernement sont discriminatoires et ne s’adressent qu’à une minorité d’habitants et les habitants du «Valparaiso spontané», sont laissés en marge.

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Conclusion.

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Valparaiso est une ville particulièrement riche en ce qui concerne les temps de fabrique

de la ville. D’abord, elle possède une urbanisation différenciée, liée à deux pratiques urbaines différentes qui font que la ville se forme et se transforme dans des temporalités distinctes. Ensuite, son histoire peut se lire spatialement dans la ville. Les temps de son urbanisation sont lisibles spatialement. Ces deux aspects sont indissociables et se recoupent dans ce travail, permettant de donner une vision globale des temps de fabrique de Valparaiso, entre les temps courts de fabrique de la ville, exprimés par l’étude des deux processus d’urbanisation, et les temps longs de la ville, celle de son histoire.

La différenciation de l’urbanisation de Valparaiso provient principalement de ses

caractéristiques topographiques et des différentes mouvements économiques et culturels ayant investi la ville au cours des siècles.

L’urbanisation spontanée, basée sur une économie de la nécessité et de l’économie de

moyens s’est mise en place dans les collines, à l’initiative des habitants. C’est une urbanisation non projetée et ancrée dans la réalité de l’instant. Comme le montrent l’origine de l’urbanisation des collines de Valparaiso ou le cas de l’incendie de 2014, l’urbanisation spontanée est une réponse immédiate et rapide dans sa mise en œuvre. Elle correspond à un processus basé sur le principe d’action et de réaction. Elle possède une évolution permanente et continue, résultante du caractère évolutif de l’habitat auto-construit. La ville spontanée s’auto-produit et s’auto-détermine, petit à petit, de proche en proche, dans sa forme et sa structure.

L’urbanisme planifié correspond à une fabrique projetée de la ville, qui nécessite des

temps longs de décisions, conceptions et réalisations. Elle subit les influences économiques, politiques et techniques des périodes dans lesquelles elle se développe. Les transformations de la ville planifiée sont ponctuées dans le temps et séquencées, qui fixent, pour les temps à venir, une forme urbaine. Face à l’urbanisme spontané, évolutif et mouvant, l’urbanisme planifié cristallise la ville, selon l’expression de Jean-Louis Cohen, dans un «présent éternel». Aujourd’hui, l’urbanisme planifié réunit deux dimensions : la planification urbaine et les formes modernes, toutes deux définies par les urbanistes et architectes du mouvement moderne en quête de rationalité, et dont le monde a hérité. Simultanément, elles provoquent des interventions urbaines qui figent l’espace : la planification urbaine, soumise aux principes d’urbanisme moderne, autorise et encourage des constructions, qui par leurs formes et leurs matérialités s’ancrent dans la ville en objets immuables. Si la conscience des autorités fait évoluer les documents de planification, les objets, eux, restent fixés dans leurs sols artificiels.

La co-présence d’un urbanisme spontanée et planifié à Valparaiso permet de montrer

la double relation temps de latence/immédiateté et espace figé/espace en mouvement,

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qui existe dans la fabrique de la ville. La planification et le projet urbain moderne sont des moyens longs dans leur mise en place et qui perdurent dans le temps une fois réalisés. L’urbanisme planifié correspond au couple temps de latence/espace figé. La spontanéité permet une réponse immédiate, compensée par une flexibilité des constructions, permettant des adaptations continues. L’urbanisme spontané correspond donc au couple immédiateté/ espace en mouvement.

L’histoire urbaine de Valparaiso se lit à travers l’absorption progressive de la ville

spontanée par la planification urbaine, repérable chronologiquement et délimitée spatialement dans la ville. Dès le début du XXème siècle, des mesures prises par les autorités nationales tendent à contrôler les collines. La loi de 1906 sur le logement ouvrier ne permet pas l’établissement d’un modèle architectural de logement à cette époque, mais elle participe cependant, à l’incorporation des collines proches de la plaine littorale à la ville formelle et planifiée. C’est en 1976, lorsque la ville de Valparaiso se munit d’un Plan Regulador Comunal, que le phénomène d’absorption de la ville spontanée s’accélère. Associée au mouvement moderne, la grande permissivité des documents de planification dans les années 80 provoque l’apparition des formes urbaines de la modernité entre les habitats auto-construits des collines. La ville spontanée est alors en mutation, en marche vers la ville figée. En 2005, l’incorporation de la partie basse des collines de l’amphithéâtre à la zone de protection patrimoniale marque la cristallisation de la ville des collines dans une forme que les autorités souhaitent protéger, ignorant que le propre de cette forme était d’être une forme mouvante. La spontanéité est alors relayée en périphérie de la ville, qui devient à la fois l’espace où la réglementation permet la construction des ouvrages de l’urbanisme moderne sous forme de logements collectifs et à la fois l’espace délaissé par les autorités où la spontanéité se développe, en marge. Ayant graduellement repoussé toujours plus loin son urbanisme spontané, Valparaiso estelle en marche vers une standardisation ? Celle d’une ville au centre urbain cristallisé et figé et dont la périphérie reste le seul espace mouvant comme dans la majeure partie des villes d’Amérique Latine.

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Annexes.

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Annexe 1 : Zone inscrite au Patrimoine Mondiale de l’Unesco, selon le critère iii : «témoignage exceptionnel de la première phase de la mondialisation de la fin du XIXème siècle».

Zona de postulacion : Zone de posutlation, inscrite au Patrimoine Mondiale de l’Unesco. Zona de amortiguacion : Zone d’amortissement, abords de la zone protégés. Source : www.unesco.org 76


Annexe 2 : Plan Regulador Comunal en 2005. Plan de zonage : zones de conservation

historique.

ZCHP : Zona de Conservacion Historica del Plan Zone de Conservation Historique de la plaine littorale. ZCHA : Zona de Conservacion Historica Acantilado o cordรณn vial de pie de cerro. Zone de Conservation Historique des Ravins des pieds de collines. ZCHLF : Zona de Conservacion Historica de los Loteos Fundacionale de los cerros del amphiteatro. Zone de Conservation Historique des Zones Fondatrices des collines de Valparaiso. Source : www.ciudaddevalparaiso.cl 77


Annexe 3 : Regards de la presse sur la reconstruction post-incendie. Liste des articles: Plateforme d’informations en ligne Plataforma urbana. Plataforma urbana est une plateforme d’informations qui porte un regard critique sur les projets et les politiques urbaines, traitant la question de la ville, de l’urbanisme et de l’architecture dans les villes chiliennes, à l’initiative des architectes David Assael et David Basulto. Article : Opinion: Valparaiso, Cuanto tiempo mas tendremos que esperar ? Date de publication : 2 juin 2014 Auteur : Lopez, Victoria. Journal El Mercurio Valparaiso. El Mercurio Valparaiso est un hebdomadaire de la ville de Valparaiso. Article : La autoconstruccion comienza a repoblar cerros de Valparaiso tras el megaincendio. Date de publication : 3 septembre 2014. Auteurs : Barria, Audenico. Silva, Mauricio. Journal La Tercera. La Tercera est un hebdomadaire national. Article : Minvu entrega balance de reconstruccion en valparaiso tras incendio. Date de publication : 17 avril 2015. Article : A dos años del incendiode Valparaíso más de 500 familias no tienen vivienda. Date de publication : 10 avril 2016 Auteur : Daniela Astudillo Journal en ligne DiarioUChile DiarioUChile est un hebdomandaire national. Article : Reconstrucción de Valparaíso en jaque por arribo de temporada de incendios. Date de publication : 17 novembre 2014 Auteur : Paula Correa.

Revue en ligne Biobiochile.

BiobioChile est une revue en ligne d’informations générales. Articles : Autoridades cifran en 45% la reconstrucción tras mega incendio en Valparaíso Date de publication : 20 juin 2016 Auteur : Pablo Ovalle

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Chronologie et analyse des articles :

L’article de Victoria Lopez, coordinatrice du développement de l’habitat dans l’association

Un Techo para Chile, Cuanto tiempo mas tendremos que esperar? est publié deux mois après l’incendie. Il critique le manque de prise en compte par les autorités des installations spontanées dans la ville, qui selon l’auteur, sont «l’essence» de la ville de Valparaiso. Les mesures établies dans le plan de reconstruction ne s’adressent pas aux populations vivant en situation irrégulière, n’étant pas propriétaires des terrains sur lesquels ils se trouvaient. Or, seulement 39% des habitants touchés par l’incendie étaient propriétaires de leur terrain. Cela signifie-t-il que 61% ne toucheront pas de subventions ? L’auteur dénonce également la difficulté des démarches administratives que les habitants sinistrés, en droit d’obtenir des subventions afin de reconstruire leur habitat, doivent effectuer avant de pouvoir construire : s’inscrire au registre des sinistrés et être reconnu bénéficiaire puis effectuer une demande de permis de construire. Elle écrit : «¿Cuánto tiempo tomara esto? ¿Cuánto dinero les costara a las familias hacer todo este procedimiento previo a la construcción?», «Combien de temps cela va-t-il prendre? Combien d’argent ce processus coûtera-t-il aux familles avant la construction?». Elle questionne également la proposition de relogement des populations dans des ensembles de logements collectifs, auxquels les habitants, constructeurs de leurs propres maisons, sont généralement rétifs : «existe una opción de elegir una vivienda tipo que previamente este aprobada por SERVIU, pero ¿cuantos damnificados optaran por esta opción?», «il existe une option de choisir un logement type, préalablement approuvée par SERVIU1, mais combien de sinistrés opteront pour cette solution ?».

Seulement trois mois plus tard, la même revue publie un second article dans lequel

le président délégué pour la reconstruction, Andres Silva, affirme que «unas 90 familias comenzaron a construir sin contar con el permiso, “pero se les ha dicho que solo podrán acceder a los subsidios cuando hayan regularizado su situación», «environ 90 familles ont commencé à construire sans permis de construire, mais nous leur avons indiqué qu’ils ne pourront obtenir de subventions que lorsqu’ils auront régularisé leur situation». En novembre de la même année, le journal national RadioUChile publie les paroles de l’urbaniste et géographe David Harvey : «Me dejó un poco sorprendido la velocidad de la reconstrucción, pero, pese a ello,parece no haber sido planificada porque se ve que es un tipo de reconstrucción espontánea, rápida y no entiendo por qué.» «Je suis un peu surpris par la rapidité de la reconstruction, mais il semble qu’elle n’ai pas été planifiée car on reconnaît un type de construction spontanée et rapide et je ne comprends pas pourquoi.»

À un an de l’incendie, le périodique national d’informations La Tercera publie un bilan

de la reconstruction, énoncé par le Ministère du Logement et de l’Urbanisme. «De las 3.110

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SERVIU : Servicio de Vivienda y Urbanismo, Service du logement et de l’urbanisme. C’est un service dépendant du Ministère du Logement et de l’Urbanisme.

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familias damnificadas, 1.735 tienen proyecto y subsidio asignado; 574 subsidios en proceso de entrega; 649 están habitando sus viviendas definitivas (...)», «Sur les 3 110 familles touchées, 1 735 possèdent un projet et une subvention attribuée; 574 subventions sont en cours de réalisation; 649 habitent dans leur logement définitif(...)». Selon cette information, en avril 2015, seulement 20% de la population touchée possède un logement définitif. De quel type de logement s’agit-il ? Un logement dans l’un des projets du Ministère du Logement et de l’Urbanisme ou un habitat reconstruit ou réparé ? Qu’en est-il de l’avancement du programme de «projets de logements privés» lancé par le Ministère ? Un an plus tard, à deux ans de l’incendie, La Tercera publie, dans un nouvel article, que le SERVIU2, a rejeté cinq projets de logement pour déficiences techniques et relance un processus d’inscription pour les subventions. L’article souligne que sur les 1 243 familles qui étaient propriétaires de leur terrain, seulement 10,5% ont aujourd’hui une solution durable de logement.

En juin 2016, les autorités annoncent que la moitié des familles sinistrées possède un

logement définitif et que cette approximation ne compte pas les familles reconstruisant par elles-mêmes leur logement sans bénéficier d’aide de l’état : «La reconstrucción de las viviendas afectadas por el mega incendio de 2014 en Valparaíso se cifra en un 45%, es decir, 1.340 familias damnificadas por el siniestro ya tienen un nuevo hogar. Según informó Manuel León, director regional del Serviu, estas viviendas fueron construidas en sitios propios de los damnificados o en conjuntos habitacionales localizados en distintos puntos fuera del radio del incendio. “Es importante señalar que este 45% es de las familias que ya están viviendo en su vivienda definitiva, pero hay una gran cantidad de familias que están construyendo en sitio propio”, indicó León.» «La reconstruction des logements affectés par le grand incendie de 2014 à Valparaiso tourne autour de 45%, c’est à dire 1 340 familles qui ont déjà un nouveau toit. Selon Manuel Leon, directeur général du Serviu, ces logements se sont construits sur les terrains des sinistrés ou dans des ensembles de logements situés à différents endroits hors de la zone incendiée. «Il est important de signaler que ces 45% sont des familles qui vivent actuellement dans leur logement définitif, mais une grande quantité de familles reconstruisent sur les mêmes terrains, indique Léon.».»

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SERVIU : Servicio de Vivienda y Urbanismo, Service du logement et de l’urbanisme. C’est un service dépendant du Ministère du Logement et de l’Urbanisme.

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Table des illustrations. Partie I : L’urbanisation de Valparaiso : deux modes de fabrique de la ville. Figure 1 : Carte de la baie de Valparaiso et emplacement du premier établissement humain et port. 1744. Figure 2 : Chemin vers Santiago à travers de la plaine de l’Almendral. Guay, Claudio. Camino de Valparaiso à Santiago. 1854. Figure 3 : Johann Rugendas, The harbourg of Valparaiso. Huile sur toile. Vers 1840. Figure 4 : Église de la Matriz en 1820, auteur inconnu. Figure 5 : Evolution de la ligne côtière et du port. Figure 6 : Carte historique de la baie de Valparaiso. 1790. Figure 7 : Carte historique de la ville de Valparaiso. 1895. Figure 8 : Habitat auto-construit dans la quebrada Elias. 1892. Figure 9 : Auto-construction à Valparaiso. Processus d’évolution de l’habitat. Figure 10 : Auto-construction à Valparaiso. Processus d’évolution de la ville. Figure 11 : Croquis de l’axe depuis le ravin de San Francisco vers la colline Cordillera. 1809. Mise en évidence de la présence de plan pour la construction de la ville basse de Valparaiso. Figure 11 : Vue générale de Valparaiso après le tremblement de terre du 16 aout 1906 Figure 12 : Plan de Valparaiso après reconstruction de l’Almendral. 1934. Figure 13 : Pavement d’une rue dans la colline BellaVista. Application de la Ley de Habitaciones Obrera. 1910. Partie II : De la ville mouvante à la ville figée. Figure 14 : Champs d’application planétaire de l’urbanisme moderne. Figure 15 : Image extraite du journal El Mercurio. Mauricio Silva et Audénico Barría, Valparaíso extiende hacia los cerros las restricciones para levantar edificios en altura. 2013. Figure 16 : Modifications de l’article 25 du Plan Regulador Comunal, Usage du sol et normes de divisions et édifications. Figure 17 : Plan Regulador Comuna Figure 20 : Localisation des campamentos de Valparaiso répertoriés par le Ministère du Logement et de l’Urbanisme MINVU. l en 1988 et polygone de la zone ZCHLF de 2005. Plan de zonage. Figure 18 : Photographie de la tour de logement «La torre verde», «La tour verte», construite en 2003 dans le cerro BellaVista. 2016. Partie III : La périphérie à deux temps. Figure 19 : Croquis de l’avenue Alemania. Figure 20 : Localisation des campamentos de Valparaiso répertoriés par le Ministère du

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Logement et de l’Urbanisme MINVU. Figure 21 : Plan d’une partie du campamento Felipe Caminoagua indiquant l’influence des documents de planification sur le tissu urbain et le type d’implantation. Figure 22 : Evidencia de la auto construcción que va dando forma al trazado de la periferia de Valparaíso. Mise en évidence de l’auto-construction qui donne sa forme au tracé de la périphérie de Valparaiso. Figure 23 : Croquis d’une proposition de projet de logement sociaux dans la périphérie de Valparaiso par l’architecte Christian Boza. 2016 Figure 24 : Barres de logements dans la colline Baron. Figure 25 : État de la Quebrada Jaime après l’incendie de 2014. Figure 26 : Reconstruction de la Quebrada Jaime. Situation en mai 2016.

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Table des abréviations. PRC Plan Regulador Comunal. ZCHLF Zona de Conservacion Historica de los Loteos Fundacionales de los cerros del amphiteatro. Zone de Conservation Historique des Zones Fondatrices des collines de l’amphithéâtre. MINVU Ministerio de la vivienda y del Urbanismo. Ministère du Logement et de l’Urbanisme. SERVIU Servicio de Vivienda y Urbanismo. Service du logement et de l’urbanisme.

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Lexique.

Almendral : plaine littorale planifiée. Avenida Alemania : prolongation du Camino Cintura, située à une hauteur de 100 mètres audessus du niveau de la mer, reliant la majorité des collines. Camino Cintura : route construite en 1876 prévoyant la limite de croissance urbaine de Valparaiso, située à une hauteur de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer, reliant la majorité des collines. Campamento : quartier d’origine spontanée issu d’occupations informelles. Il peut s’apparenter aux favelas au Brésil ou barrios au Venezuela. Cerro : colline. Conventillos : habitat collectif auto-construit typique de Valparaiso. Ils sont formés autour d’une cour centrale et construits sur un ou deux étages. Chaque famille possède une pièce accessible par des coursives extérieures. Ces logements, considérés insalubres au début du XXème siècle, ont été presque tous détruits lors de l’application de la Ley de Habitaciones Obreras de 1906. Plan Regulador Comunal : document de planification qui s’apparente au Plan Local d’Urbanisme en France. Puerto : port. Quebrada : ravin. Tomas de terreno : occupation informelle d’un terrain libre.

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Bibliographie

Paysage.

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Urbanisme et fabrique de la ville.

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