Tensions

TENSIONS ET ABSOLUS, LA POSSIBILITÉ D’UN DESIGN RETROUVÉ

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Mémoire de DNSEP sous la direction de Stéphane Le Mercier Samy Hedli, 2021 3

De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort.

-Georges Bataille

David Wojnarowicz Untitled (Buffalo), 1988-1989

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TENSIONS ET ABSOLUS, LA POSSIBILITÉ D'UN DESIGN RETROUVÉ

Ou comment les designers s’engagent dans la création en revisitant les modèles historiques, au risque de l’angoisse.

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INTRODUCTION & TABLE DES MATIÈRES

L’intérêt de ce mémoire est de mettre en relation la vision que j’ai de l’œuvre de Bataille et de la pratique du designer, c’est-à-dire deux airs de « bout de chaîne », deux manières assez holistiques, globalistes d’appréhender la matière, deux recherches.

Personnage aux multiples dimensions, conservateur à la Bibliothèque Nationale de France, écrivain, sociologue, philosophe, anthropologue, poète, mais aussi économiste, historien de l’art, figure tutélaire de groupes secrets,…

Georges Bataille a passé sa vie à essayer de concilier la sensation d’absence du divin et le sens de l’activité humaine dans une recherche qui se devait d’activer les différents lieux de l’expérience humaine ; pour lui, l’écriture (la création) est un outil qui révèle les expériences intérieures.

Les parties : divin, limite et poésie sont inspirées d’Henri Laborit, neurologue français ayant travaillé sur les mécanismes de défense du corps animal, et ayant découvert trois mécanismes principaux : le déni, la lutte, ou la fuite, le dernier choix étant le plus rationnel, car le seul à proposer un devenir.

Le choix de la théorie de Laborit comme « construction » ainsi que d’autres études variées servent à apporter un air de parallèle entre des constats scientifiques et les expériences mystiques que suscite la pensée pour, ou⁄et à partir d’une production dans le design.

Je mets en parallèle les trinités « Déni-Lutte-Fuite », et « Divin-Limite-Poésie ».

Les parties sont articulées de manière à former une boucle, j’aimerais démontrer en quoi ces trois mécanismes s’entrent-alimentent et alimentent la pensée du design et de la littérature.

Bataille est l’un des nombreux à s’être attaqué au problème de l’Homme Moderne, détaché de son nouvel environnement. Situation tragique, tendue, désarticulée, clôtures imposées par et à l’espèce. On sait que Bataille était très curieux des travaux de son époque et des travaux passés ; arts, littérature, sciences humaines, biologie, théologie...

On ne peut expliquer ce que je nomme sa « danse autour du feu » sans prendre appui sur différents domaines d’études et différents auteurs tous issus ou influents sur l’œuvre de Bataille.

Ma deuxième volonté est de permettre à mes proches (et aux autres), de comprendre l’intérêt particulier qu’on l’on trouve à l’articulation de différents domaines d’études dans le but de comprendre et agir sur le réel, en quoi l’approche bataillienne peut servir de clé de voûte à un essai de compréhension globale, et en quoi montrer cet intérêt fait à mon sens de n’importe qui un designer.

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DIVIN Le secret dans l’origine des images et des formes -Pas de monde des idées, des idées dans un monde...........................21 -S’effacer par choix.........................................................................26 -L’expression du divin dans le design d’avant-guerre.......................31

La notion de salut scientifique, liaison au divin par une forme d’attente inhibitrice -L’attente du salut dans le monde moderne.....................................39 -Une angoisse qui se transfère au divin...........................................43

La profanation de la technologie - La naissance du sacré, une mise à mort du profane.......................49 -Redonner à vivre à travers l’expérience intérieure..........................55 -L’abus et l’excès comme révélations techniques..............................60

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LIMITES Design et émancipation -Le sacré dans un ici, voire dans un en-deça...................................69 -La nécessité de perdre la tête..........................................................73 -Donner corps au vide....................................................................77

La déréalisation du monde et la marchandisation générale -Une humanité périmée..................................................................81 - Le « Tout-possible » qui anéantit les possibilités............................85 - Les micro-politiques du corps.......................................................89

Le besoin de confrontation saine à nos limites, l’organisation de « terrains de jeu » - La littérature est quelque chose d’enfantin....................................93 -La transgression et le chemin des communautés.........................97

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POÉSIE La création d’une communauté de joueurs et de rêveurs appliqués -L’organisation de terrains de jeux ................................................103 -Jouer au docteur..........................................................................107 -Un enfantillage sacré....................................................................111

Les états de l’étrange -Quelle utilité?...............................................................................117 -L’inquiétante étrangeté.................................................................121

La toute puissance des images et des effets -«L’écriture, c’est ce composite où se perd le sujet»................................129 -Le flou sur la paternité..................................................................133

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I DIVIN

I -Le secret dans l’origine des images et des formes - Pas de monde des idées, des idées dans un monde - S’effacer par choix - L’expression du divin dans le design d’avant-guerre

PAS DE MONDE DES IDEES, DES IDEES DANS UN MONDE.

La pratique du design et la littérature bataillienne ouvrent tous deux un œil sur le divin, et plus précisément sur son absence.

La notion de ce qui est et de ce qui est vraiment ne cesse d’alimenter recherches, usages, et discours dans les deux champs que sont le design (les dispositifs qui visent à résoudre) et la littérature Bataillienne. À la manière du monde des idées platonicien, la réalité apparaît parfois comme le miroir d’une réalité autrement plus stable et définie, comme si à travers l’étude du monde et la fabrication de modèles pour le décrire, nous ne faisions que gratter la couche supérieure d’un réel qui semble sans cesse se dérober à notre compréhension.

C’est que les formes offrent une certaine expression de ce « monde des idées », elles sont par nature absolues, ou totales, complètes.

On admet (difficilement) depuis la Renaissance que les modèles et descriptions pour analyser et comprendre le monde naturel ne sont pas immuables, et encore moins divins : ce sont les aboutissements d’observations et de théories qui se supplantent les unes aux autres et s’améliorent au fur et à mesure que les recherches s’accumulent.

Aux modèles ptoléméens et pythagoriciens se substituent les travaux de Copernic et Kepler, aux représentations plates et circulaires du monde se substitue la certitude d’une planète sphérique avec Magellan et Del Cano en 1519. 1 Les modèles mathématiques et géométriques ne deviennent non plus les preuves d’une réalité « alternative », ou d’un monde des idées, mais bien des outils créés par et pour

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PAS DE MONDE DES IDEES, DES IDEES DANS UN MONDE.

le monde des humains ; des outils qui s’améliorent, se remplacent, se comblent au fur et à mesure que les analyses se veulent précises. Ce n’est donc non pas comme l’expression d’une réalité mystique, tangible et fixe que s’interprètent les formes humaines, mais comme la preuve d’un puit mental commun et chaotique d’affects et de sens.

C’est qu’à travers la longue errance que fut l’évolution, les mammifères, les primates, et à fortiori les humains, ont hérité de la faculté de donner sens aux facteurs de leurs environnements : des stimuli externes et internes, mais aussi ceux que dévoile l’échange entre intérieur et extérieur. 1 Ces stimuli traduisent plusieurs réalités : les réalités matérielles, tangibles (les couleurs, les formes, les textures, les sensations mécaniques, etc.), les réalités intérieures, corporelles (la faim, le froid, le plaisir, le confort, et tous les mécanismes biologiques conscientisés ou somatisés,…) et les réalités plus en réciprocité, c’est-à-dire tout ce qui s’articule entre les phénomènes extérieurs et les phénomènes intérieurs (la peur, l’intérêt, l’amour, et les autres phénomènes de la conscience). De fait, ces sensations nous atteignent comme codifiées, et notre cerveau traduit ces sollicitations de manière occulte, hors du champ de notre conscience. Le sens que notre cerveau extrait pour nous de ces stimuli semble divin, issu d’une réalité à laquelle nous ne pouvons totalement accéder.

Inévitablement, la sensation que nous procurent ces révélations du cerveau est la sensation de recevoir, dans une divine passivité, les énigmes d’un monde surnaturel.

Certaines recherches donnent l’impression que le divin nous interdit l’accès aux coulisses, à son monde. Comme si

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Le secret dans l’origine des images et des formes

chaque recherche technique et artistique faisait de chacun de nous un Copernic*, mais que le chaos de la nature était notre tribunal ecclésiastique.

Les formes, et ultimement, les outils qu’elles permettent, ont et ont toujours eu une certaine ambiguïté vis-à-vis de leur origine. L’outil rudimentaire, celui qui se pense, est voué à se propager naturellement ; et si l’on appose des noms sur les théories des domaines du faire (mathématiques, ingénierie, etc.) ; la véritable origine, l’inspiration, est toujours source de spéculations ou prend souvent des airs de miracle. À l’échelle individuelle, c’est l’effet Eureka : cet instant surnaturel et euphorique de compréhension soudaine après une étape de perdition ; un instant d’épiphanie où tout semble enfin se cristalliser et trouver place.

Cet effet divin qu’offre l’opacité des choses peut pousser certains auteurs à rester anonymes : l’anonymat permet de conserver cette sensation de révélé, cet état pur, afin de sortir son œuvre du récit sous-jacent qu’implique la signature.

Signer d’un nom, c’est déjà raconter une histoire, et c’est prendre le risque de placer d’office l’œuvre dans une construction personnelle du monde, avec les ruptures et les continuités sémantiques que cela implique. À la place, le récit et la question de sa source donnent l’impression d’être en lien direct avec un ailleurs, un endroit où se concentrerait l’ensemble des figures géométriques et des théorèmes, avant les noms, et avant même la matière.

La portée universelle du pseudonyme vient de ce surgissement familier de la nature opaque des choses.

* LATOUR Bruno - Les "vues" de l'esprit, 1987

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S’EFFACER PAR CHOIX

En phase avec cette perspective d’effacement, Georges Bataille a signé sous différents noms. D’un côté son statut de conservateur de la Bibliothèque Nationale de France l’aurait très sûrement rattrapé à la publication de certains de ses romans. D’autre part, le ton du pseudonyme, sobre ou comique, confère une sensation d’anonymat profond : rien ne paraît plus lambda qu’une farce ou qu’un nom générique, qu’un Pierre-Angélique ou qu’un Lord Auch (pour Lord aux chiottes).

Le pastiche est une stratégie pour séparer l’entreprise d’un éventuel créateur, et on comprend que certains récits n’ont de sens que lorsqu’ils sont débarrassés du poids d’un auteur.

La mention d’un auteur identifiable peut corrompre le propos en ça qu’il peut éloigner ou rapprocher de facto une œuvre et celui qui la reçoit, une identité raconte déjà une histoire, alors que la non-identité ou l’emploi de l’anonymat peut permettre une distance appropriée entre l’initiateur et le receveur.

Cette distance, en plus de l’aura divine qu’elle procure, laisse la place au lecteur d’éprouver directement l’œuvre, sans intermédiaire, de la discuter intérieurement, et de la percevoir plus universelle que lorsqu’elle était attachée à un auteur. À l’instant où le flou sur la parenté existe, alors se jouent certains des mécanismes du discours philosophique et poétique.

Selon moi, une partie de la philosophie commence au même endroit que la poésie : elle commence à ce je qui ne définit pas l’auteur, ni même le narrateur mais bien un je allégorique, une expression d’un « soi » qui serait le « soi » de tout le monde.

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Le secret dans l’origine des images et des formes

« Je », c’est tout le monde, et pour rendre à tout le monde ce « je » il faut s’effacer en tant qu’auteur, effacer la source du récit. Pour faire entendre une voix personnelle, nécessaire pour parler de l’existence, de l’expérience intérieure, il faut s’effacer soi-même, que l’auteur réel disparaisse pour susciter des multitudes d’auteurs fictifs.

Cette stratégie de l’effacement se vérifie aussi à travers ses différentes entreprises de groupe ; à mi-chemin entre la société secrète et la société à secrets, on peut citer son groupe Acéphale (avec Roger Caillois, Pierre Klossowski et André Masson notamment), communauté plus ou moins cachée derrière la revue du même nom, et qui se rejoignait avec l’idée de réactiver des parties du sacré à travers des réunions secrètes et des activités dites « sacrificielles ».

Il est difficile de parler extensivement de cette expérience, puisque la totalité des membres du groupe voulu secret ont tenu parole : ils ont gardé le silence. Il est dit néanmoins que le groupe se dissout à la suite du refus des membres de mettre à mort Bataille.

Il qualifiera lui-même après coup cette tentative de communauté comme « monstrueuse, mais nommément nietzschéenne » 2 p.11.

Le groupe revêtait un caractère secret et primal, mais donnait naissance à une expression publique et travaillée (la revue), ce qui invoquait une vision à la fois tragique et exaltante de la vie, puisqu’ainsi le groupe se plaçait à cheval sur la limite entre le privé et le commun, entre le danger social qu’endossent les sociétés secrètes et la norme encadrée de l’organisation sociale.

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S’EFFACER PAR CHOIX

Les expériences de l’effacement dans le but d’apporter mieux démontrent toujours une certaine prédominance des formes et pures et nouvelles comme stratégie d’expression sensible, performantes dans leur manière de toucher les cœurs en provoquant l’esprit.

Au début du 20ème siècle, nombre d’architectes/designers se plient à l’exercice de l’anonymat à travers le fonctionnalisme.

Le positionnement est parfois marxiste et vise à valoriser les apports et les échanges sociaux en émancipant le travailleur et les classes moyennes de l’individualisme.

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L’EXPRESSION DU DIVIN DANS LE DESIGN ET L’ARCHITECTURE D’AVANT-GUERRE

Une possible démonstration de cet exercice de l’anonymat est la chambre Co-Op Interieur de Hans Meyer.

Une photographie de cette chambre agencée par Meyer fut publiée en 1926 dans la revue Die Neue Welt, une revue proche de L’Humanité et plus précisément de sa section Alsace-Lorraine. Juif allemand réfugié en France, Meyer en fut un temps un des rédacteurs, et insuffla au journal une approche antifasciste.

La publication dans cette revue populaire appuie le côté commun et urgent de ses propositions théoriques.

La photographie donne à voir une pièce exclusivement meublée d’un petit lit, d’une petite table sur laquelle est posé un gramophone, d’une chaise pliée accrochée au mur.

Co-op Interieur est une illustration de l’approche de Meyer vis-à-vis de l’art et de l’architecture. Il ne pensait pas que ces domaines d’étude étaient une idéalisation du monde, bien au contraire, il savait le pouvoir des images mentales et comptait sur cette force de l’architecture et de l’art pour transformer dans le dur du réel les conceptions de son époque.

La seconde révolution industrielle a fait éclore dans la société civile une inhibition, une posture fétichisante de la « charité judéo-chrétienne », une romantisation des dynamiques de partage social. Résultat d’une suprématie idéologique de la technique et du progrès, les politiques sociales inclusives deviennent un fantasme que Meyer essaie de rompre. Il espérait que le public abandonne l’idylle du coopératisme pour en adopter réellement le mode de vie et la position politique.

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L’EXPRESSION DU DIVIN DANS LE DESIGN D’AVANT-GUERRE

En partant d’une cellule individuelle, la chambre du travailleur, c’est tout l’espace social qu’il réinvente.

Son Co-op Interieur implique une jonction de l’espace privé dans les espaces de communauté ; et permet ainsi une perméabilité saine et régulée au niveau intime entre les coercitions de la vie sociale et les besoins francs de l’éloignement.

Non seulement Meyer tente de séparer le travailleur des pressions du travail, mais il tente aussi de déconstruire l’imaginaire mercantile du trop-plein. L’intérieur est le lieu où l’on retrouve l’égocentrisme de l’humain, celui qui laisse une trace à chaque endroit de sa présence.

« Nous parlons de murs nus comme nous parlerions du corps nu : comme de quelque chose qui devrait être habillé. Il faut du courage pour montrer les choses telles qu’elles sont, nues. Nous relevons de la tradition chrétienne, or dans cette tradition, nudité égale nature. La nature est là pour être modifiée par l’homme, cet “esprit à la semblance de Dieu” » 1 p.78. À l’instauration du capitalisme et du salariat, l’espace privé devient non seulement un symbole de l’affranchissement de l’individu par l’accès à la propriété, mais aussi et surtout le lieu de reproduction sociale en puissance, et donc un frein à l’émancipation des travailleurs.

Dans la structure sociale traditionnelle, hors des utopies politiques du Bauhaus, le travailleur est dehors, et c’est surtout un homme. La femme est considérée comme le travailleur (non rémunéré) de la maison, et ainsi la scission des tâches renforce un modèle assujettissant de société. Le lieu domestique devient lieu de domestication.

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Le secret dans l’origine des images et des formes

Alors Meyer et une partie de ses co-idéalistes tentent de rehausser cet état d’assujettissement du travailleur, à travers une organisation sociale pensée en « intercomplétion » : si l’intérieur existe, il doit s’opposer à l’extérieur et non pas renforcer une main basse du marché et de ses représentations sur le travailleur. À ces pistes s’ajoute l’exemple tout sauf anodin des monastères. En premier lieu, l’étude de la typologie architecturale des cellules individuelles en complétion de l’espace commun nous rapporte, bien avant l’apparition des formes modernes de salariat, aux premières organisations monastiques. Les différentes chambres de moines étaient disposées autour du lieu de culte dans lequel on se rassemblait pour les activités monastiques, et chaque moine bénéficiait d’une possibilité de retrait individuel.

L’existence du sacré (ce qui est séparé du commun par un interdit, un inviolable) ne pouvant se justifier sans l’existence du profane, on peut se demander ce qui est sacré : l’intimité fonctionnaliste et son absence de symboles issus du monde extérieur, celui de la besogne, ou au contraire, est-ce l’activité extérieure ; hors du profane du naturel, du sans-artifice.

Georges Bataille trouve une réponse à cette diachronie dans son expression du paradoxe de la présence de Dieu : pour lui, son absence, ce divin silence, est la manifestation la plus franche de son caractère absolu.

Le design -en tant que sphère des objets et des dispositifscherche des formes d’expressions qui accompagnent la production tout en ayant une aspiration de pureté.

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L’EXPRESSION DU DIVIN DANS LE DESIGN D’AVANT-GUERRE

Le dialogue permanent entre la pureté et son expression toujours récupéré par des logiques productivistes transforme toute conception divine (dans le sens d’essentiel, absolu) en caricature, en pastiche de pureté.

Comme si à travers le marché globalisé et ses rouages, Dieu se déguisait en produits qui se déguisent en Dieu.

Si on continue a produire des faits, -des lieux, des services, des objets, des dispositifs,…- sur cette idée, c’est que les formes pures continuent de marquer les esprits, non pas comme Meyer l’aurait espéré, mais comme une autre caractéristique facilement récupérable par l’utilisateur et le client. L’utilité devient presque secondaire, tant le fonctionnalisme semble un hommage à la pureté®.

La dialectique entre la raison de l’objet et sa représentation est le moteur du désir, de la logique de projection, et une des raisons pour lesquelles bien vite, les audaces de la pensée et du faire se distillent en un marché de l’image.

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II - La notion de salut scientifique, liaison au divin par une forme d’attente inhibitrice - L’attente du salut dans le monde moderne - Une angoisse qui se transfère au divin

L’ATTENTE DU SALUT DANS LE MONDE MODERNE

Pourquoi, dans le monde moderne, cherchons-nous encore les subterfuges des formes pures ?

Lorsque l’on regarde l’histoire de nos moyens, la puissance du plus grand des empereurs d’il y a quelques siècles paraît dérisoire face aux moyens d’une personne occidentale « quelconque ». Rapidité, précision, entreprises de masse, communication, autant de rêves partagés par les despotes de tout temps et qui sont aujourd’hui idéalement à la portée du plus grand nombre.

En comparaison avec le reste de l’histoire humaine, jamais n’avons-nous autant fait preuve de ce qui semblait jusqu’alors toute puissance. Aujourd’hui encore et par le même processus d’aplatissement le domaine du sacré sert de contenant à cette idée de toute puissance: devant l’idée de Dieu s’efface toute nécessité de comparaison des pouvoirs terrestres, le plus grand des rois et le plus impuissant des serfs ne peuvent être tout deux que ridiculement petits face à l’idée de Dieu.

Mais maintenant que Dieu est mort, qui incarne cette toutepuissance ? Où pouvons-nous projeter la source de tous nos possibles maux et possibles bonheurs ? Dans l’imaginaire collectif la science est cet horizon où toutes les promesses se confondent: la vie éternelle et la vie améliorée, transcendée des conditions fragiles de l’existence, mais aussi l’hypothèse de la mort la plus totale, la plus généralisée, et les tortures les plus abominables, les travers les plus insidieux, puisque le fait scientifique se veut toujours plus précis et que loin des limites de notre imagination se trouvent déjà d’effroyables dangers, certains à portée d’ordinateurs.

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L’ATTENTE DU SALUT DANS LE MONDE MODERNE

Günther Anders nous explique dans ses Considérations radicales sur l’âge atomique que dans une perspective d’analyse géopolitique, les « sauts d’une qualité dans une autre », (les avancées technologiques, et donc, d’après nos curseurs moraux les sauts « civilisationnels ») s’étaient transformés en « sauts dans l’absolu ».

Cette nouvelle expression de saut dans l’absolu convoque nécessairement ce qu’il appelle notre « statut divin » : « Nous sommes pourtant autres. Nous sommes des êtres d'un nouveau genre. Des événements de la taille d'Hiroshima n'attendent pas de savoir si nous voulons bien condescendre à les envisager et à nous mesurer à eux.

Ce sont eux qui décident qui est transformé.

D'où la question: qu'est-ce que l'événement Hiroshima a transformé en nous ? Notre statut métaphysique. » 3 p.12

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UNE ANGOISSE QUI SE TRANSFÈRE AU DIVIN

Ainsi, cet événement, et tous les événements qui bouleversent le monde de la technique, n’est pas un extrait d’une hypothétique destruction généralisée, il est la destruction généralisée en ce qu’il nous fait passer d’êtres qui possédons une grande puissance à des êtres tout-puissants.

Mais cette toute-puissance de destruction paraît bien injuste face à notre puissance de création ; là où la destruction est une science bien calibrée, puisqu’il suffit grossièrement de détruire, si ce n’est totalement, partie par partie, des systèmes mécaniques ou vivants, la création est une entreprise bien plus obscure : quels mécanismes ? Quelles finalités ? Quelle expression de puissance ? Le créateur souffre le plus souvent d’une image de niais, de rêveur, ou de fou, lorsqu’il est performant. Le destructeur lui, joui toujours de l’alibi naturel de la violence. En grec ancien, βίος (bios), la vie, constitue en partie le mot violence.

C’est naturellement contre-intuitif et peu souhaitable, mais les exemples ne manquent pas à toutes les échelles de la vie biologique, jusqu’à l’expression “se faire violence”.

Cette violence, dans le sens de capacité à agir contre, du monde technique est une manifestation de ce qui par essence, dans l’entreprise humaine, relève simultanément du divin -puisque tout peut-être dépassé- et de la colère divine -puisque l’hubris, le dépassement de notre statut humain, peut entraîner notre perte-. Cette capacité, cette violence, est une composante pure de notre appartenance au monde et sous-entend maintenant notre toute-puissance.

Quelle vanité, pour le designer comme pour le littérateur, de vouloir sauver le groupe, et quel danger pour tous d'être entrainés dans leur chute impuissante.

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UNE ANGOISSE QUI SE TRANSFÈRE AU DIVIN

Mais ce même état de force nous met aussi en prises avec notre propre dangerosité, et participe à l’atmosphère anxiogène en partie responsable d’une attitude de prostration et d’inhibition vis-à-vis du monde technique.

Dans le contexte de la modernité, cet état continuel de surprise quant à nos capacités d’emprise sur le monde crée un pont entre la science et le divin, qui s’exprime comme une forme d’oxymore ; ces concepts agissent en vases communicants à certains endroits de leurs manifestations.

La science provoque de l’angoisse, l’angoisse créée du divin, et le divin se révèle aux extrêmes du monde technique.

« L’angoisse que suscitent les multiples dangers auxquels l’humanité est aujourd’hui exposée, la menace absolue que représentent les armes nucléaires a fini par devenir, aux yeux de millions d’hommes, une menace relative ou, du moins -ce qui revient quasiment au même-, une menace parmi d’autres. » 4 p.16

Mais la science et le divin ne sont pas la même chose : la science cherche à mettre les choses en relation, en nous et hors de nous ; l’expression du divin reste d’abord le ressenti d’une communication entre nos environnements internes, externes, et un ailleurs, perceptible ou non.

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III - La profanation de la technologie - La naissance du sacré - Redonner à vivre à travers l’expérience intérieure - L’abus et l’excès comme révélations techniques

LA NAISSANCE DU SACRÉ : UNE MISE À MORT DU PROFANE

L’étude de cette dynamique de transferts et de projections entre les domaines de la science et le domaine du divin depuis la perspective civile, celle de l’utilisateur et du consommateur, permet au fil du temps et de manière toujours plus claire, de mesurer le fossé creusé entre ce que promet la technique, et les conséquences, les tendances exercées par les effets de rebond, c’est-à-dire les conséquences collatérales rarement prises en compte de manière sérieuse lors de la phase projet des innovations techniques.

Les exemples d’écarts entre l’idée initiale et les effets foisonnent. Un des exemples les plus rebattus mais qui ne cesse de fournir de la matière à cette réflexion est évidemment Internet et tous ses réseaux numériques de masses. Même si la littérature de science-fiction l’envisageait déjà, on reste coi face à l’emprise sociale et mercantile qu’Internet a déjà à bien des égards.

Les manifestations mêmes de cette accélération technique sous le prisme du divin se font plus extrêmes encore : aux prophéties élaborées, aux contes et à la littérature se supplantent les tweets d’un Elon Musk, les keynotes d’Apple, ou les posts Instagram sponsorisés d’un autre agent de l’effet d’annonce. Ce concept d’effet d’annonce n’est pas nouveau, mais c’est une des caractéristiques d’une communication qui invoque un imaginaire toujours plus étiré entre un idéal et une peur profonde.

Dans un capitalisme de l’événement et du symbole, chaque image mentale se superpose et le monde nous offre ainsi un amas de représentations qui appellent l’extase et le morbide.

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LA NAISSANCE DU SACRÉ : UNE MISE À MORT DU PROFANE

La nécessité de rompre les images du marché se fait de plus en plus pressante. On comprend peu à peu que ce n’est pas l’œuvre qui agit sur le spectateur, le lecteur ou l’usager, ni que l’on n’est totalement émancipés de l’effet de l’œuvre sur notre monde interne, mais que la clé de compréhension est quelque part entre ces deux axiomes.

Alors comment ressaisir ce qui nous est trop communément enlevé ? Par quel processus phénoménologique ramener à nous le sens et la raison de nos affects ?

Giorgio Agamben, philosophe italien dont le travail est centré sur l’histoire des concepts, la biopolitique et le fait social à partir de ces deux derniers dans une continuité de Foucault, nous urge de profaner le monde technique.

En explorant l’histoire sémantique du concept de « sacré » il propose un dénouement de la question du sacré à partir de son usage sociopolitique à l’époque romaine. Le sacré et le religieux n’appartiennent aux dieux qu’à travers la privation de parties du monde humain : est sacré ce qui est inviolable, interdit à l’Homme, retiré de ce que les lois humaines (culturelles donc) lui permettent. 5 p.74

Si le terme consacrer équivaut à dédier à Dieu des effets du monde humain, alors la symétrie du concept se trouve dans l’acte de la profanation. Profaner, c’est rendre à l’humain ce qu’on lui a ôté pour l’offrir à Dieu. L’offrande, le sacrifice, est une condition du sacré, et sous-entend de facto la perte d’un objet pouvant nous servir d’accroche au réel matériel en faveur d’un standard éloigné de l’humain et plus proche de l’autorité autojustificatrice qu’est Dieu.

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La profanation de la technologie

On s’ampute d’une réalité trop dure à assumer et on s’assure de ne jamais s’y approcher en justifiant cette amputation par une loi divine. Cette tautologie est en fin de compte plutôt logique puisque rien ne sort d’aucun chapeau, tout sort des cœurs et des cerveaux de l’Humanité.

En quelque sorte, par intuition, nous nous interdisons d’accéder à la pleine conscience de ce que nous sommes (des êtres biologiques, issus d’une violence). Et pourtant, par cette même intuition, nous sommes amenés au péché.

Dans les éducations religieuses, tout peut-être péché. On ne sait pas vraiment où il commence, mais on sait qu’il encapsule tous les maux possibles. L’idée du péché, c’est déjà le péché.

Il est donc aussi naturel qu’effrayant, et aussi emprisonnant que libérateur.

La profanation serait donc l’ensemble des moyens de rendre à l’humain ce qui lui a été retiré par ses peurs et ses aspirations à un idéal.

C’est ce que Georges Bataille propose à travers sa notion d’expérience intérieure, qu’il substitue au terme d’expérience mystique, et plus largement à travers son étude de l’érotisme.6 p.6

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REDONNER À VIVRE À TRAVERS L’EXPÉRIENCE INTÉRIEURE

Pour Bataille, l’érotisme est le déséquilibre dans lequel l’être se met lui-même en question, de manière consciente 7 p.37.

C’est-à-dire que l’érotisme est une grande partie (voire la totalité) de ce qui nous sépare du reste du monde animal.

Ce déséquilibre a comme origine et comme but la nécessité, au moins temporairement, de retourner à ce qu’il nomme « la continuité » des êtres.

D’après lui, et d’une manière qui rappelle un peu les gnoses orientales comme le bouddhisme, la vie humaine est la conséquence d’une rupture. En naissant, nous sommes retirés à une continuité, cette grande mélasse qui caractérise l’avant et l’après de l’expérience humaine. Une des preuves de la réalité de cette continuité serait notre rapport à la mort et la manière que l’on a de reconnaître cette mélasse dans tout ce qui nous arrache, même superficiellement, à l’expérience humaine.

La sexualité humaine, lorsqu’elle n’a pas comme but la reproduction, et par extension tout ce qui se rapporte à ses représentations (donc presque tout si l’on accepte encore les axiomes de Sigmund Freud) est une voie privilégiée vers la fréquentation de cette mélasse. Ainsi, le rapport entre Éros et Thanatos, la pulsion de vie et la pulsion de mort, se trouve au cœur du dénouement « profanatîque ».

Ce lien entre Éros et Thanatos est très clair dans l’analyse Bataillienne, mais pas seulement. Dans la science des mots, et de facto dans ce que l’on peut exprimer par les entreprises du design, ce lien est très fort.

On peut prendre comme exemple l’expression « la petite mort », depuis longtemps exportée dans le monde anglo-saxon et compréhensible dans nombre d’autres langues et cultures (européennes et asiatiques surtout).

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REDONNER À VIVRE À TRAVERS L’EXPÉRIENCE INTÉRIEURE

Les recherches lexicales autour de cette expression nous proposent différentes langues dans lesquelles elle est utilisée, et toutes ont des références à des œuvres endémiques.

Cette expression date du XVIe siècle en France, elle naît des travaux d’Ambroise Paré, considéré comme le père de la chirurgie moderne, chirurgien du roi et des champs de bataille -ayant découvert nombre de fondements de la pratique sur des morts et des blessés grave-.

Il parle de l’orgasme comme d’une petite mort en raison des similitudes nerveuses et du désordre interne que ces deux états produisent. On parle aussi de « grand frisson ».

L’expression de petite mort est vite récupérée dans le champ lexical de l’érotisme, et finit de trouver sa notoriété dans les écrits de Bataille, quatre siècles plus tard (dans sa nouvelle érotique Madame Edwarda notamment). D’un point de vue sémantique, le fait que cette expression ait résisté à l’épreuve du temps démontre son caractère commun et instinctivement juste.

De manière assez intéressante, on peut aussi parler de la mort comme d’un grand orgasme : « voir sa vie défiler en un instant », et « frôler la mort », sont tout autant de formules désignant une immense félicité, presque une euphorie, sans parler des expériences de mort imminente, ces morts cliniques qui laissent au sujet des souvenirs de paradis, de chaleur, et parfois des souvenirs infernaux. Dans les champs du design, cette extase se retrouve en tout point.

Nous le verrons plus tard, Thanatos est présent dans nombre d’innovations. Le concept d’Éros quant à lui se retrouve aisément dans tous les essais du designer d’accéder ou de

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La profanation de la technologie

faire accéder au confort. Le confort, c’est cette violence contre le dur du monde naturel, ce pari de l’Humain contre Dieu ou de l’Humain contre la Nature.

Le confort c’est le dépassement du déséquilibre dans lequel l’Humain se meut. Si le designer est ingénieux, il est aussi au moins fourbe dans son essence : du levier au Videocomunicatore d’Ugo La Pietra, tout est fait pour tromper le monde matériel et sa distance avec le sujet, sa portée émotionnelle.

On comprend donc une certaine relation divine entre les milieux techniques, et les conditions de vie humaine.

Le besoin de sacrer et de profaner est encré au plus profond de nous et rejaillit par l’expression d’une tension -Bataille parle d’un malaise- partout où nos limites se trahissent.

L’offrande, cette dépense vers le divin, peut se réaliser par différents procédés, notamment le pastiche (l’anonymat), le jeu (nous le verrons un peu plus tard), et les expressions extrêmes du corps (guerres, sacrifices, fêtes).

Dans tous les cas un certain rapport à l’en-dehors de l’humain apparaît. Cette volonté de définir l’en-dehors fut partagée par beaucoup de gens, Bataille, De Sade, Nietzsche, mais aussi nombre de critiques et historiens d’art contemporains.

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L’ABUS ET L’EXCÈS COMME RÉVÉLATIONS TECHNIQUES

L’extrême, en tant qu’esthétique et en tant que recherche en soi, né du désir de renverser des interdits, de lever des tabous.

C’est une volonté commune à toutes les périodes de l’Histoire humaine, mais largement présente depuis la modernité, voire surprésente durant cette période (de la fin du 18e siècle à ce qu’on appellera le post-modernisme, courant 20e). La modernité se caractérise par une volonté de renouveau, une certaine recherche extensive de ce que pourrait être le bonheur, voire la « fin de l’Histoire » dans une perspective Hegelienne.

Mais la modernité est aussi une période de fascination pour la violence et pour ce qui paraît comme primordial.

Entre les innovations, les guerres, les courants artistiques et philosophiques, on ressent à la fois ce qui caractérise un esprit d’innovation et de rationalité, et un esprit de destruction et de besoin d’impureté. La modernité c’est les analyses de Walter Benjamin, le Less is more de Ludwig Mies van der Rohe, les provocations de Manet, et c’est aussi le courant de l’Actionnisme Viennois, les tourments de Baudelaire.

Sur ce dernier point, celui de la recherche de l’impureté, les modalités d’existence de l’extrême « sauce moderne », restent très liés aux concepts religieux traditionnels du bien et du mal ; même si le but est de les questionner.

Le mot extrême vient du latin exter : « ce qui est en dehors » ou « situé comme extérieur ». Le mot implique un rapport en tension entre deux éléments, deux corps, deux entités, deux états de fait…

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La profanation de la technologie

On peut dire de l’extrême que c’est le dépassement de la limite ; On aspire à son dépassement et dans le même temps on craint qu’elle le soit et on s’en dégoûte, on se retrouve dans un sentiment de nausée.* Cette nausée, c’est l’angoisse ou le « malaise » Bataillien.

J’aimerais citer deux extraits, l’un de Madame Edwarda, lorsque le narrateur s’apprête à fréquenter une maison close lors d’une nuit de perdition, et l’autre de L’Histoire de l’Œil, lorsque les deux héros participent à une corrida sous un soleil de plomb, et que Simone se fait apporter les testicules du taureau mort quelques dizaines de minutes auparavant : « Au coin d’une rue, l’angoisse, une angoisse salée et grisante, me décomposa (peut-être d’avoir vu deux filles furtives dans l’escalier d’un lavabo). À ces moments, l’envie de me vomir me vient. Il me faudrait me mettre nu, ou mettre nues les filles que je convoite : la tiédeur de chairs fades me soulagerait.

Mais j’eus recours au plus pauvre moyen : je demandai, au comptoir, un pernod que j’avalai ; je poursuivis de zinc en zinc, jusqu’à... » 8 p.15. « Le rayonnement solaire, à la longue, nous absorbait dans une irréalité conforme à notre malaise, à notre impuissant désir d’éclater, d’être nus. Le visage grimaçant sous l’effet du soleil, de la soif et de l’exaspération des sens, nous partagions cette déliquescence morose où les éléments ne s’accordent plus. » 9 p. 90.

* Rencontre "Le bout de la route : une critique apocalyptique ?" Karim Ghaddab

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L’ABUS ET L’EXCÈS COMME RÉVÉLATIONS TECHNIQUES

Cette angoisse et ce malaise sont les expressions d’un déchirement, d’un fossé vertigineux que l’on enjambe lorsque l’on concilie le rapport à nos limites et le dépassement de ces limites, la recherche d’un en-dehors.

Ce goût pour l’en-dehors se reflète dans la démarche d’exploration qu’implique la recherche en design. Le champ du design a autant une portée cathartique qu’une portée frénétisante en ce qu’il peut rationaliser ou totalement catalyser les tensions en jeu dans l’affranchissement de nos limites.

Le fait du milieu technique et de l’humain au travail, en violence, au-dedans de sa zone de confort comme en-dehors de ses limites, contient à la fois les clés d’une compréhension de ce qui nous anime, et à la fois les prochains dénis, nés d’innovations trop proches de notre malaise, trop réelles pour nous. Malgré tout le corps agit, et nous rappelle à l'ordre.

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II LIMITES

I -Design et émancipation - Le sacré dans un ici, voire dans un en-deça - La nécessité de perdre la tête - Donner corps au vide

LE SACRÉ DANS UN ICI, VOIRE DANS UN EN-DEÇA

Si le domaine du design est lieu d’opérations transcendantales, dans le sens de ce qui peut se situer au-delà du domaine pris comme référence et jusqu’à une nature radicalement différente, c’est bien parce que son caractère de réponse temporaire mais réponse quand même induit au processus de recherche un certain mouvement de culbuto autour d’une réponse idéale.

La recherche en design tente de mêler des savoirs, se veut croisement des ressources, en n’omettant le moins de choses possibles, et surtout pas les sciences humaines.

Une des conceptions possibles du designer est d’abord celle qui implique la faculté à résoudre des problèmes, d’une manière qui prendrait en compte la portée expérientielle de la réponse.

Il est logique que la figure du designer fût maintes fois rapprochée de la figure du sorcier: du chaos infini, celui qui fait en pensant, comme un mage, extirpe du symbole.

Il a la possibilité de mettre en péril ou de consoler l’Humanité, il bouleverse son essence en même temps qu’il transforme la matière. Que la profanation soit en jeu ou non, l’humain n’est jamais privé d’un au-delà; et si les carcans du sacré envisagé à l’époque sont encore focalisés sur des dieux, pour Bataille, Nitzschéen, la mort de Dieu est la preuve que le sacré n’est pas dans un concept au-delà, mais bien dans un ici, voir dans un en-deçà. Pour Bataille, le corps entier participe du sacré, aussi bas soit-il. L’Homme déchu est peutêtre celui qui s’est à un moment le plus rapproché du divin.

Avant de s'attaquer à la matière, la figure du designer semble d'abord s'attaquer à soi, ou plutôt au soi. La remise en question de ce que nous sommes, ce que nous ressentons et ce que nous pensons est une stratégie de dénouement et de production très active.

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LE SACRÉ DANS UN ICI VOIRE DANS UN EN-DEÇA

On peut mentionner le "système déséquilibrant" d'Ugo La Pietra qui tentera dans les années 60 d'expérimenter, même d'éprouver les usages des zones urbaines et la culture qu'elles construisent et qu'elles sous-entendent.

En critique du fonctionnalisme qui bride les comportements et la pensée, il met en place ce qu'il nomme Sistema desequilibrante, qui est une somme d'actions, d'objets performés ou de happenings documentés dans lesquels il remet en question la place de l'habitant dans la ville et du spectateur en art.

Il teste l'espace urbain à la recherche de "degrés de liberté".

La construction sociale qu'il démontre implique de percevoir ou de ressentir les limites imposées par et pour nous, citoyens, usagers, spectateurs. Il faut donc créer le déséquilibre pour comprendre dans quelle stagnation nous nous trouvons. À la manière d'un mélange qu'il faudrait paradoxalement mélanger, secouer, pour y voir plus clair; Ugo La Pietra démontre à cette époque la nécessité de ne rien prendre pour émancipation, et surtout pas ce qu'on peut considérer d'entrée de jeu comme des solutions de confort. On comprend que la remise en question des certitudes est fondatrice de la recherche en design, puisque c'est un pas de côté nécessaire à l'investigation, et à la réponse à un "problème de design."

Nous pouvons passer de la ville au corps, et du système déséquilibrant au système en déséquilibre avec Thomas Hirschorn et sa notion de Headlessness; une notion qui invite elle aussi a mettre l'espace d'un instant un pas de côté, et même un pas dedans, et qui à bien des égards rappelle la notion d'Acéphalité de Georges Bataille.

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LA NÉCESSITÉ DE PERDRE LA TÊTE

Peut-on accéder à une maîtrise de nous même, à dépasser les contraintes de notre besoin de divin ?

Peut-on outrepasser nos limites à travers leur confrontation ?

La façon de faire incite un contenu, et pour toucher à l’essence de ce que l’on étudie, il faut s’engager dans une forme à en perdre la tête, jusqu’à l’état d’Acéphale.

C’est le principe d’Headlessness de Thomas Hirschhorn.

« Headless does not mean stupid, silly or without intelligence, Headless does not mean being ignorant, I am not an ignorant artist – because as an artist, better not be ignorant!

I am and want to be a Headless artist. I want to act in Headlessness – always. I want to make Art in Headlessness, work in a rush and with precipitation. I never want to economize myself and I know that - as the artist - I often look stupid facing my own work, but I have to stand out for this ridiculousness. If I want to give a new form, I have to do it in Headlessness and to produce in Headlessness means to be ridiculous and even to be ‘the stupid one’. I want to rush through the wall, head first, I want to make a breakthrough, I want to cut a hole or a window into the reality of today ».

Donc la notion d’Headlessness répond à un besoin d’une certaine souveraineté sur soi et sur son travail, une souveraineté qui ne peut se ressentir sans une forme de rentre-dedans, au sens figuré comme au sens littéral. C’est une manière d’entreprendre qui incite à rentrer en soi, à ne pas observer ses faits et gestes comme une figure autoritaire, mais plutôt à les accompagner avec toute la puissance et l’énergie directe, immaculée, presque innocente que l’on peut fournir.

*ABOUT HEADLESSNESS, Thomas Hirschhorn, 2013

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LA NÉCÉSSITÉ DE PERDRE LA TÊTE

Cette façon-d’être-sans-tête, est une manière pour Thomas Hirschorn d’éviter d’être statique dans un monde dans lequel être statique = pourrir. Le principe du chaos est bien qu’aucune règle ne peut condamner le monde à être malveillant ou bienveillant ; et la seule manière de s’assurer d’activer les parties souhaitables du monde est d’abord d’activer les parties souhaitables de soi. Hirschorn exprime souvent cette notion par l’aphorisme « Energy = Yes! Quality = No! ». Ces deux petites équations parlent très clairement de ce qu’impliquent l’énergie ou la qualité. L’une est une ouverture sur le monde, l’autre est un instant autoritaire et une demande de productivité.

Cette manière de déclencher une zone de la souveraineté à travers l’énergie et le mouvement fait écho à un certain très sérieux enfantillage bataillien que je développerais dans une autre partie, et de manière plus générale, le principe d’Headlessness résonne avec celui d’Acéphalité de Georges Bataille à de nombreux endroits. « Il est temps d’abandonner le monde des civilisés et sa lumière.

Il est trop tard pour tenir à être raisonnable et instruit –ce qui a mené à une vie sans attrait. Secrètement ou non, il est indispensable de devenir tout autres ou de cesser d’être. » C’est sur ces mots que Bataille ouvre le premier article du premier numéro de la revue Acéphale. Il est question ici de ne plus subir un ordre du monde que nous nous sommes nous-mêmes imposé dans un impératif besogner et mercantile. L’humain est responsable de son désarroi et doit trouver le moyen de s’extirper de cette situation entravante.

Perdre la tête, puis revenir à soi et à sa possession, c’est le principe même du processus créatif d’après la plupart des neuroscientifiques contemporains.*

* "Que peuvent dire les neurosciences sur les mécanismes de la créativité?"

Débat entre Metin Arditi et Idan Segev à l’Université 74de Genève, 2016

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DONNER CORPS AU VIDE

La pratique du designer comme l’écriture chez Bataille vise à refragmenter dans un temps et lieu donné (l’ici et maintenant) les parties de nous, séparées par l’activité, par ce qui capte notre attention et par les effets d’une construction moderne de l'humain contre le Monde (dans le sens de plaqué au).

C’est au designer et à l’artiste que reviennent de proposer une synthèse entre les formes et la matière; la technique et l’esthétique;…

Le designer se veut échappant à la condition d’Homme sans monde; et là où le prolétaire de Marx est privé de ses moyens de production, on peut ajouter que le travailleur, et l’homme moderne dans son sens large, est privé du monde qu’il produit pour d’autres; privé des moyens de le séparer de son état d’origine. À la manière d’un ouvrier du bâtiment, privé de l’immeuble qu’il vient de construire10. Or ce n’est pas le cas lorsque le design est vu ailleurs qu'à travers le prisme du marché. Il en est de même pour l’oeuvre de Bataille; ultime recoin d’une écriture sans but autre que de s’adonner à soi-même dans une forme d’acéphalité salvatrice pour peutêtre proposer une alternative, fût-elle prospective, à un monde en proie à lui même.

Le principal point commun du design et de la littérature, est que ce sont deux moyens de proposer autre chose, l'un propose une réponse dans un milieu technique, l'autre propose dans le champ sémantique. Ces deux champs se répondent continuellement dans la sphère de la communication humaine, ils se construisent l'un l'autre sans jamais s'annuler. En littérature, l'écriture poétique et la philosophie sont deux moyens privilégiés de construire ou de déconstruire le réel, et de la même manière, les différents

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DONNER CORPS AU VIDE

champs d'action du design sont plus ou moins à même de proposer une alternative au réel, ou de le renforcer.

Les deux champs proposent une extension à l'ambition humaine: le couteau, la lunette, l'écran, l'impression,... sont des extensions de parties du corps ou de parties du faire.

La poésie, en ce qu'elle propose de réagencer, ou d'inventer des manières de décrire ou de construire une narration, par-dessus le réel, est une extension de notre capacité à percevoir, à se projeter, à ressentir.

Ce sont deux outils d'une force incroyable, et la plupart des personnes qui les manient, à l'occasion ou de manière soutenue, le comprennent très bien; ou au moins le ressentent. La littérature et la pensée en design sont presque des preuves par le fait; chaque configuration qu'ils proposent résonne en l'individu qui les pense, et il suffit de le traduire dans le réel pour le partager au reste du monde.

Autre parallèle, l'industrie humaine a changé nos rapport à ces deux outils d'une manière semblable: si les outils préindustriels sont des preuves d'un travail sur le réel de manière empirique, sensitive, directe, l'outil post-industriel achève en soi une transformation d'outil du corps à outil du monde technique. Un levier d'usine ne sert qu'à ça.

Dans le champ sémantique, une même séparation peut se retrouver entre l'expression "libre" et l'expression à stricte portée politique (dans le sens de la volonté d'organisation de la vie en société). J'oserais même cette analogie: si l'outil post-industriel est propagande, l'outil préindustriel est un poème. Aucun des deux versants ne retire à l'outil sa fonction, ce n'est que l'utilité qui transforme radicalement notre rapport à eux.

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II - La déréalisation du monde, la marchandisation générale - Une humanité périmée - Le tout-possible qui annéantit les possibilitése - Les micro-politiques du corps

UNE HUMANITÉ PÉRIMÉE

La modernité marque l’amplification d’un besoin de se redéfinir. Comment se fait-il dans une époque aussi féconde, voire même l’époque la plus productive de l’histoire humaine d’après certains historiens, que nous soyons amenés à rechercher des manières plus directes d’accéder au réel ; pourquoi, alors que nos moyens abondent, nous sentons-nous aussi éloignés de l’expérience ?

Qu’est-ce qui pousse designers et artistes à proposer si ce n’est des dispositifs, des outils pour penser les dispositifs présents dans nos vies de tous les jours ?

Günther Anders (1902-1992), journaliste et philosophe allemand, a travaillé sur la modernité et en particulier sur l’état du monde technique depuis la création de la bombe atomique. Günther Anders est d'ailleurs un pseudonyme, Anders veut dire différent, l'autre, en allemand.

En 1956 est publié L’obsolescence de l’Homme Tome 111, dans lequel il explique thème par thème comment et pourquoi tout, à présent, se trouve frappé d’une usure et d’une décrépitude essentielle.

Travail, produits, machines, idéologies, sphère privée et publique, le sérieux, le rire. « L’homme d’aujourd’hui serait incapable de se représenter ce qu’il produit réellement. Croyant pouvoir encore rendre compte de ce qu’il produit aujourd’hui à l’aide de catégories et de méthodes datant d’hier, il serait par conséquent devenu obsolète.

Ce “décalage prométhéen” entre ses facultés de produire et d’imaginer constituerait l’essence ou plutôt la scandaleuse absence d’essence de l’homme d’aujourd’hui. » 4

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UNE HUMANITÉ PÉRIMÉE

La continuelle et toujours plus présente mise à distance de l’humain et de ce qui constitue non seulement son contexte, mais aussi sa production et sa sémantique est à la fois le moteur et la preuve d’une effroyable caducité généralisée.

Le monde, ou plus précisément le monde humain, et l’Humanité, sont périmés. Nous tenons dans nos mains un objet que nous ne cessons de contempler dans le miroir qu’est l’économie d’un monde globalisé. La marchandise et sa représentation ont remplacé l’expérience du réel et nous pouvons dire sans trop nous avancer que nous ne serons sauvés de rien en nous épargnant de tout.

Donc, sans surprise, l’un des symboles écrasants de cette caducité est le tout vendable. Si une chose favorise aujourd’hui notre tolérance et notre intérêt envers ce qui est autre, envers ce qui est inconnu, c’est le marché. Sur l’étalage, tout est égal ou presque : cultures, religions, conceptions du monde, propositions artistiques et politiques, tout est monnayable. C’est, d’après Marx, que le marché sublime tout : « Tout ce qui semblait stable et solide part en fumée »*

Le libéralisme est un contenant multiforme, et peut s’adapter puis s’emparer de tout objet. En plaçant main dans la main l’idée de progrès technique et la marchandisation, la globalisation a bloqué l’humanité dans une posture de fantasme, dans le paradoxe d’être à la fois active dans sa manière de se jeter à corps perdu dans les ressorts du marché, et à la fois passive, peu à peu relayée à l’état de « client » de toute représentation qui pourrait renforcer la certitude d’être à la pointe de l’Humain.

*(Manifeste du PC, Librairie générale française, 1973 p.8

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LE TOUT-POSSIBLE QUI ANNÉANTIT LES POSSIBILITÉS

« La possibilité de notre anéantissement définitif est, même si celui-ci n’a finalement jamais lieu, l’anéantissement définitif de nos possibilités ». G. Anders 4 intro

La certitude d’être toujours soit en voie, soit en possibilité de pallier aux problèmes communs de l’Humanité nous condamne à une apathie généralisée. La multitude de solutions proposées et annoncées, offre une multitude de raisons de supporter un peu plus un quotidien qui paraît s’obscurcir toujours plus. Conséquence du décalage entre ce que produit l’humain et ce qu’il comprend, cette conscience de vivre dans un monde où tout est possible, tout jusqu’à l’anéantissement de l’espèce, anéanti d’un même mouvement l’espoir de pouvoir un jour s’approprier le monde en l’éprouvant dans sa totalité. La conception de la bombe atomique et ce qu’elle suggère confirme l’anéantissement des possibles: lorsque le monde des objets égalise ou dépasse le monde des concepts, le concept entier en tant que tel est frappé d’obsolescence puisqu’il ne peut plus servir d’horizon ou de socle, mais seulement de lointain parent.

Ce tout-possible s’accompagne d’une vision très moderniste du monde technique: ce qui peut-être fait, doit être fait.

Même si un certain tabou subsiste, et que peu de personnes osent mettre sur le tapis des débats éthiques pourtant bien présents dans l’imaginaire collectif, les recherches elles, ont bien lieu et aboutissent souvent. Outre la bombe atomique, Anders parle déjà de clonage, et de manipulations génétiques en tout genre.

L’exploitation du monde biologique succède à l’exploitation de l’environnement, et les réussites thérapeutiques à des

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LE TOUT-POSSIBLE QUI ANNÉANTIT LES POSSIBILITÉS

niveaux toujours plus précis et pour des problèmes qui jusqu’alors paraissaient impossibles à palier (les maladies dégénératives, les dysphories, etc.) nous donnent confiance et la quasi-certitude de pouvoir, à terme, tout régler.

Mais ces réussites nous condamnent aussi, au moins théoriquement, puisqu’elles s’accompagnent forcément, dans cette même perspective d’émancipation par le monde technique, à des défaites, voir à des revers techniques que la recherche permet dans le même temps: guerres chimiques et biologiques, totalitarismes 2.0, et toute la matière première des complotismes les plus extrêmes. Anders en vient même jusqu’à reformer l’impératif kantien:

« Agis de telle façon que la maxime de ton action puisse être celle de l’appareil dont tu es ou vas être une pièce ». 11. T-2 p. 287

« La tâche de la science actuelle ne consiste plus à découvrir l’essence secrète du monde et des choses, ou encore les lois cachées auxquelles ils obéissent, mais à découvrir le possible usage qu’ils dissimulent. L’hypothèse métaphysique (elle-même habituellement cachée) des recherches actuelles est donc qu’il n’y a rien qui ne soit exploitable ».11. T-2 p.33

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LES MICRO-POLITIQUES DU CORPS

À cette caducité, cette péremption essentielle, s’ajoute forcément le besoin pour l’Humanité d’être accompagnée pour un rehaut. Un saut dans la qualité, non plus technique, mais global, presque civilisationnel.

Le nouvel horizon pour l’Humanité, gâtée, intoxiquée, est de trouver les moyens de se redonner à vivre. La technique seule n’apporte plus les réponses ; elle doit s’accompagner par d’autres domaines plus extensifs, plus à même d’apporter des réponses tangibles à la caducité de l’Humanité.

Ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari appellent les « micropolitiques » jouent un rôle décisif dans cette recherche de rehaut : en partant du corps individuel (et donc sa relation aux autres) comme facteur central des pratiques sociales, on peut développer une manière de réduire la place des narrations dominantes, intimement liées à des « macrostructures » autoritaires (le marché, la position sociale, etc..).

Les micropolitiques du corps et des espaces caractérisent l’économie inconsciente des communautés, elles manifestent une certaine plasticité dans l’articulation de l’individu et des institutions.

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III - Le besoin de confrontation saine à nos limites, l’organisation pour le designer de « Terrains de jeux »

- La littérature est quelque chose d’enfantin - L’enfant joue, l’enfant transgresse

LA LITTÉRATURE EST QUELQUE CHOSE D’ENFANTIN

La littérature, l’art et le design sont des terrains privilégiés d’expérimentations des micropolitiques du corps. Et si ces domaines ne sont certainement pas puérils, ils ont bien quelques choses « d’enfantin ».

Pour Bataille, l’un des points faibles de notre monde est d’avoir discrédité l’idée d’enfantillage. Dans son unique passage télévisé, en 1958 ; il prend la défense de l’enfantillage dans un entretien dont on peut tirer ce point qu’alors que tous naissons enfants et que de cette position nous tirons peu à peu le monde vers nous, avec tous nos efforts, jusqu’à faire totalement partie de sa construction, et alors que cumulant les expériences de l’enfance nous arrivons progressivement à l’âge de raison puis à l’âge adulte, l’expression « c’est enfantin » sous-entend encore trop souvent que « ce n’est pas sérieux ». Mais l’enfantillage n’est pas infantilisme, ni régression.

Jouer, ce n’est pas seulement du jeu (du je ?).

L’enfantillage, c’est l’attitude libre, souveraine, celle qui ne vise rien, ne veut rien, qui n’a aucun projets et tous les trajets, c’est une attitude qui incite à la dépense agonistique, au don. Bataille nomme opération souveraine » le processus par lequel « la pensée arrête le mouvement qui la subordonne », elle se dépêtre de « l’ordre utile » et son autonomie procède « d’une prodigalité sans mesure »*.

C’est-à-dire qu’en nous débarrassant d’un but, nous sommes beaucoup plus à même de générer les multitudes de moyens d’arriver à ce même but.

*Méthode de méditation, G.Bataille, 1947, 6 p.214

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L’ENFANT JOUE, L’ENFANT TRANSGRESSE

L’enfant joue, l’enfant transgresse. L’enfant se réunit avec les autres enfants aussi, il le fait par nécessité de se confronter à l’Autre, pour apprendre, se tester, dégager des pistes de jeu.

La souveraineté enfantine passe par le NON aux adultes, mais s’exprime aussi dans le OUI de la communauté choisie.

Il est possible d’engager cette posture de souveraineté dans des projets communs, et c’est là tout le projet (micro-)communautaire de Bataille. En engageant une dynamique dont l’ultime objectif serait cette dépense improductive, s’instaure un ordre social pérenne, non plus basé sur la productivité de l’individu mais sur des échanges immotivés au sein de groupes interexistants.

On sait par ailleurs que Bataille lisait Marcel Maus.

Il était donc très familier avec le concept anthropologique du potlatch, un système de don et de contre-don que l’on retrouverait dans toute communauté. Il écrit notamment dans La Part Maudite à propos de l’Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, que c’est une « étude magistrale ». Pour Bataille, c’est un texte fondateur en ce qu’il propose lui aussi une économie sociale basée sur les dépenses improductives.

C’est pour lui caractéristique des sociétés humaines, contemporaines ou non, et il retrouve cette logique vitale de dépense improductive dans toutes activités de groupes qui impliquent le corps dans un déploiement : l’expérimentation, la fête, la sexualité, le sacrifice, la guerre. À travers le groupe, l’individu peut non seulement exprimer sa finitude dans un partage, mais aussi l’alimenter en alimentant le groupe de sa propre expérience intérieure.

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III POÉSIE

I - La création d’une communauté de joueurs et de rêveurs appliqués - L’organisation de terrains de jeux - Jouer au docteur - La position de réponse

L’ORGANISATION DE «TERRAINS DE JEUX»

Bataille personnifie bien, aujourd’hui comme au siècle dernier, le moyen d’échapper à l’enlisement.

Enlisement idéologique, mais aussi en termes de pratique : son œuvre et sa vie offrent une exploration de la notion de communauté comme rarement il fut question avant lui : entre ses communautés de revues (Document, La Critique Sociale, Acéphale), ses communautés de pensée (Acéphale, Le Collège de Sociologie) ainsi que ses communautés « institutionnelles » (la Bibliothèque Nationale de France en tant que conservateur notamment), Bataille expérimente la place du corps individuel dans les pratiques sociales, et plus précisément dans l’avant-garde intellectuelle d’entredeux-guerres.

Il voyait en particulier dans la microcommunauté un terrain d’expérimentation privilégié d’une révolte qu’il sentait de plus en plus pressante.

Cette révolte, comme le saut qualitatif civilisationnel dont l’Humanité a besoin, n’est pas seulement un projet politique, il faut l’envisager comme une véritable « dépense sociale agonistique ». Il en parle comme d’un bouillonnement, une énergie du désespoir, une force d’association qui elle seule pourrait renverser la « mesquinerie universelle de l’ordre bourgeois ».* Incarnant de véritables fuites en avant pour Bataille, les expérimentations de communautés sont dans le champ du design (dans une perspective moderniste) aussi les occasions de pousser des recherches dans une organisation qui permette plasticité, pluralité des discours, et donc force des propositions/productions.

*(Article sur la Lutte des Classes, dans La Critique Sociale)

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L’ORGANISATION DE «TERRAINS DE JEUX»

Précisément, le dispositif d’ateliers (workshops) est une manière récurrente d’organiser des rencontres autour d’une production ou d’une recherche en commun.

Plus que des ateliers de création, c’est une manière éphémère de faire communauté qui a pris un véritable essor pendant les années 60, en écho au design radical italien et des débats autour de la place de l’architecture et du design en tant que rouage du développement industriel.

Le mouvement radical italien s’efforçait d’élever le domaine d’étude au-delà des considérations rationalistes et fonctionnalistes prévalentes à ce moment.

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JOUER AU DOCTEUR

Le super-groupe Global Tools dépeint bien cette pratique active du très sérieux enfantillage bataillien. Il est fondé dans les bureaux de la rédaction de la revue Casabella en 1973, et consiste au rapprochement de plusieurs collectifs et personnes engagées depuis un certain temps dans l’architecture et le design italien, Superstudio, UFO, Ugo La Pietra, Gaetano Pesce, Gianni Pettena, Ziggurat, Archizoom, Remo Buti, Ettore Sottsass, Riccardo Dalisi, 9999, Rassegna, et Casabella.

C’est en tout une trentaine de personnes qui formeront ce groupe; dans l’intérêt de croiser des forces créatrices hétérogènes et des conceptions très diverses de leurs pratiques. Ils espéraient ainsi infiltrer la manière de voir des autres acteurs de l’architecture et du design: étudiants, artistes, critiques, et sortir le design des débats théoriques.

Ils s’exprimaient au travers d’oeuvres conceptuelles, des installations, des interventions, des actions publiques, en somme des situations d’expérimentations dans lesquelles les corps et les environnements sont envisagés comme partis prenants et non plus seulement comme utilisateurs, consommateurs, élèves, passants…

Ils créèrent une coopérative afin d’organiser de nombreux ateliers et programmes de travail autour des thèmes du corps, de la construction, de la communication, de la théorie.

Le but était de proposer une alternative après cette petite décennie de crise théorique dans les domaines de l’architecture et du design.

Nombre des ateliers étaient adressés à la fois aux adultes et aux enfants, et les entrevues a posteriori des acteurs

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L’ENFANT JOUE, L’ENFANT TRANSGRESSE

du groupe laissent sous-entendre que le but n’était pas d’apprendre aux enfants mais bien l’inverse, puisque les enfants n’ont pas de notions d’architecture et utilisaient une forme de savoir primordial.

C’est cette même perspective enfantine que Global Tools comptait normaliser. Ces programmes de travail prenaient des airs d’écoles sans professeurs ni élèves (donc sans personne, ou sans école!). Toujours caractéristique de cette démarche d’ateliers, il n’était plus question de la centralisation des savoirs et des pratiques, mais bien de faireécolepartout où se déployait les actions du groupe.

La communauté ne se faisait plus comme traditionnellement strictement autour d’institutions dominantes, liées à un lieu et/ou à un pouvoir; mais bien comme une instance prête à être activée aux endroits où les gens le désirent.

Le design radical, ou anti-design, exprimait la volonté de libérer la création individuelle en se séparant des cadres traditionnels de la culture architecturale et artistique de l’époque.

D’une certaine manière, il permet aussi de responsabiliser le designer contemporain puisqu’il place les propositions individuelles au centre de la pratique.

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LA POSITION DE RÉPONSE

Le designer se rend en quelque sorte responsable pour luimême et pour les autres, responsable dans la mesure de la définition de Pierre-Damien Huyghes c’est à dire qui est en position, voir donc en droit et en devoir de formuler une réponse. Il formule pour lui des réponses adressées aux autres, ou plutôt l’inverse: il formule pour les autres des réponses adressées à lui-même, et c’est en créant l’expérience qu’il la fait exister.

Pour nombre de personnes marquées par les questions que soulève le design radical, le design contemporain se doit de s’intéresser non plus aux faire, à la production de gestes, mais aux faits, aux contextes dans dans lesquels la production s’insert et sa manière d’y opérer, ce qu’elle y créé et ce qu’elle y transforme.

On voit bien la différence entre ce que propose Edward Bernays, publicitaire et lobbyiste, à savoir de proposer aux architectes d’intérieurs de son époque de construire des appartements dans lesquels des alcôves destinées à des pianos et des bibliothèques vides sont déjà présentes dans les murs, afin de relancer l’économie, puisque habiter dans ces appartements ne prend sens qu’en se procurant le piano et les livres qui vont bien; et ce que propose Andréa Zittel, des modules minimalistes, des dessertes et cabines qui dissimulent lits, cuisines, rangements, espaces d’hygiènes, des modules totalement ouverts à l’agencement entre eux et dans l’espace, et qui permettent de faire apparaître ou disparaître des espaces et ainsi presque «rendre» au contexte sa plasticité initiale.

Pour l’anecdote, Bernays est aussi celui qui a pensé à renommer aux États-Unis le Ministère de la Guerre en

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LA POSITION DE RÉPONSE

Ministère de la Défense, c’est aussi le neveu de Freud et il est aujourd’hui considéré comme le père du marketing et de la propagande à l’occidentale.

Son travail autour des dispositifs et de la communication a inspiré toute la communication de marché et la politique depuis le 20ème siècle, de la vente d’électroménager aux politiques allemandes durant le IIIème Reich.

Toute personne dans le champs de la création, de la littérature, du design est guidée par sa propre vision, ses propres valeurs, sa morale. Proposer une réponse c’est déjà considérer que son éthique personnelle peut apporter au monde, c’est considérer que le monde «dur» et le monde «des idées» ne sont pas si rigides ni insensibles l’un à l’autre.

Implémenter un changement sous-entend toujours une posture qui paraît d’abord en dehors, une posture extrême, mais qui finit par être acceptée ou banalisée, et qui au final change totalement les usages et les opinions.

La seule utilité du design est de proposer un mieux : un mieux adressé aux personnes de certaines classes sociales au début du siècle, puis pour le mieux du confort physique global, et enfin et de manière plus contemporaine pour le mieux du bien-être psychologique avec le design de service.

La question du mieux peut servir à produire des dispositifs qui en soi ne produisent «rien de concret» ou dont la fonction ne semble pas ajouter «assez de choses» pour transformer le réel, et qui pourtant suffisent largement à questionner notre rapport aux usages et aux fonctions. Les «objets placebo» de Florence Doléac en sont un bon exemple.

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II - Les états de l’étrange - Quelle utilité?

- L’inquiétante étrangeté

QUELLE UTILITÉ?

Depuis les révolutions industrielles s’est donc instauré de manière globale un nouveau rapport au monde technique.

D’une certaine manière, l’outil préindustriel travaillait pour nous, dans un rapport direct de celui ou celle qui agit sur la matière, aujourd’hui le monde technique post-industriel travaille par nous. Le rapport entre l’humain et la machine s’est en quelque sorte inversé, et nombre de prophéties contemporaines prévoient un monde automatisé dans lequel l’humain sera relégué à une place d’entreteneur des machines, à une place d’outil donc, voire de carburant (il n’y a qu’à voir l’industrie des données de masse, les nombreuses start-ups dites de service qui dans les faits ne font que rapporter de l’information et la traduire pour servir des algorithmes mercantiles ou de divertissement toujours plus précis et performants).

Il semblerait que le nouvel âge d’or de la société postindustrielle soit de se comporter en réaction à la machine, et plus l’inverse. Les choix politiques et économiques de demain sont calculés, choisis par des machines. On peut prendre comme exemple les analystes aux services du marché, et autres « bureaux d’études » ; mais le meilleur exemple reste à mon sens les ordinateurs des bourses internationales. Le trading se faisant automatiquement et de manière continue, indépendante, ces ordinateurs créent littéralement un marché que nous acceptons de remettre -temporairement- en question que lorsqu’il influe directement et de manière visible sur notre qualité de vie. Combien d’articles aguicheurs avons-nous pu lire à propos des+ crises économiques évitées de peu grâce à une intervention humaine, à l’aube d’une nuit de calculs à perte ?

C’est ravissant dans l’idée, cette façon d’accepter un problème fondateur « par touche successive », jusqu’au grand soir ;

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QUELLE UTILITÉ?

mais ce n’est certainement pas la manière la plus douce ni la plus efficace de sortir d’une économie de l’exploitation.

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Encore une fois, nous ne nous protégerons de rien en nous épargnant de tout. Nous tentons de réduire les chocs humains en suivant les logiques du monde technique, au lieu de réduire les chocs techniques en suivant les logiques du monde humain. Nous simulons ce qui a été créé pour nous simuler, en espérant peut-être agir sur cette réflexion hors de portée, sur cet écho déjà trop éloigné qu’est le monde moderne. Le fait est que le monde technique a dépassé en puissance le monde humain ; Notre façon même de nous exprimer est obsolète, la communication poétique, les lettres, porte à confusion, la communication humaine n’est pas faite pour décrire ou régir, elle est faite pour créer.

Le monde algorithmique n’est pas fait de phrases, il est fait de calculs. On peut étirer un dessin de gueule d’animal de bétail pour en faire une lettre, le Alef ( ) de l’alphabet phénicien, de l’alphabet hébreu (‫)א‬, puis l’Alpha de l’alphabet grec, cyrillique ou latin ; mais on ne peut pas étirer le 1 pour en faire un autre chiffre, un 1 reste un 1. Sa rigidité ne peut que prévoir des systèmes clos dans leur fonction.

Les artistes et designers contemporains se sont emparés de ce constat dans l’espoir de partager une réflexion sur le monde technique et son emprise sur notre construction en tant qu’individus et en tant que groupes. Les objets inutiles, et autres objets aux fonctions très (très) précises ou aux usages nouveaux ont ce rôle. Florence Doleac et ses objets placebo (Ventilator, Le Biscuit Couvercle, La Poignée Signalétique), Mathieu Lehanneur et Issey Miyake sur leurs objets Âges du monde, les robots autodestructeurs de Mark Pauline, les automates en viande qui swipent sur des applications de rencontre (Tender de Cors Brinkman).

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L’INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ

Tout, dans ce monde est sujet au changement au cours de son existence : les gens, les usages, les valeurs. La stagnation n’abîme pas seulement l’humain, elle instaure une dynamique mortifère et empêche à l’élaboration de pensées nouvelles, de gestes neufs ou ingénieux.

Paradoxalement, l’accélération que l’on vit depuis la modernité donne l’impression que nous tournons toujours autour des mêmes questions, dans une frénétique inertie.

Pour peut-être nous réhabituer à aller vers les choses, les dispositifs qu’on peut nommer étranges incitent parfois le receveur à se saisir d’un espace, d’un objet, d’un usage nouveau. Lorsqu’on ne sait pas comment utiliser un objet, nous nous retrouvons dans une phase de déstabilisation, de questionnement. Nous n’habitons plus le monde dans une passivité, mais sommes contraints, pour comprendre ou utiliser une production étrange, de prendre une posture active, à l’inverse de la posture passive que sous-entendent des systèmes confortants et/ou confortables.

Non pas que le monde technique moderne nous enferme dans l’inaction ; il nous enferme dans une action stérile.

Il nous habitue à une activité qui fait un demi-tour sur ellemême, dictée par des codes déjà en place, et pérennise ainsi un funeste statu quo. L’action réellement active se construit dans une expérience engageante du réel, dans des effets concrets. Les objets qui visent à ce déséquilibre utilisent le sentiment d’incertitude pour pousser à l’action.

Cela peut passer par la forme autant que par la fonction.

Les installations et objets de Didier Fiuza Faustino où le travail de Théo Mercier autour des collections parle bien de

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L’INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ

ce rapport au réel, de ce que crée un décalage esthétique ou d’usage sur notre conception des milieux techniques et de leur place dans la culture.

Il y a deux grandes familles de l’étrange dans la production en design : les propositions qui partent (qui parlent ?) d’une esthétique familière pour proposer des usages nouveaux, et les propositions qui partent d’une esthétique étrange pour créer chez l’usager ou le spectateur une sensation de familiarité. C’est là tout le principe du terme Unheimlich, l’inquiétante étrangeté. À la manière du malaise que provoque un automate anthropomorphe, l’écart entre le familier et l’inconnu crée la sensation d’étrange. Nous avons assez de standards référentiels pour que la puissance évocatrice nous questionne et nous attire, mais sommes placés dans un champ nouveau, nos référentiels sont trop chamboulés pour suffire à comprendre la production.

L’étrange c’est l’inverse de la facilité pour l’esprit : les situations d’étrangeté poussent l’utilisateur à se poser des questions sur la portée de son usage, il incite à une vision globale, et c’est précisément ce que le design au service du marché supprime peu à peu. L’étrange permet les associations mentales nécessaires pour sortir les dispositifs de leur utilité première et étroite ; c’est un sport mental salvateur puisqu’il nous habitue à ne pas attendre du milieu technique une révélation directe, mais bien une épiphanie personnelle, une frustration de ne pas tout saisir, et une envie de maîtriser les systèmes toujours plus contraignants dans lesquels la modernité nous inclut.

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Les états de l’étrange

La stupeur et l’euphorie cohabitent lorsque nous nous trouvons en situation dans un milieu technique nouveau, au moins le temps de l’appréhender, de l’accepter.

C’est là une stratégie très bataillienne en cela que la confrontation à ce qui nous paraît autre, étrange, ainsi que notre manière d’agir avec, et non contre, ouvrent les portes de nouvelles compréhensions qui finissent toujours par servir notre recherche.

« Je m’allongeai alors dans l’herbe, le crâne reposant sur une pierre plate et les yeux ouverts sur la Voie lactée, étrange trouée de sperme astral et d’urine céleste à travers la voûte crânienne des constellations :cettefêlureouverteausommetduciel,apparemment formée de vapeurs ammoniacales devenues brillantes dans l’Immensité – dans l’espace vide où elles se déchirent comme un cri de coq en plein silence – un œuf, un œil crevé ou mon crâne ébloui, collé à la pierre, en renvoyaient à l’Infini les images symétriques. Écœurant, l’absurde cri du coq coïncidait avec ma vie : c’est-àdire maintenant le Cardinal, à cause de la fêlure, de la couleur rouge, des cris discordants qu’il avait provoqués dans l’armoire, et aussi parce qu’on égorge les coqs.. » 9 p.82

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III - La toute puissance des images et des effets - L’écriture c’est ce neutre, ce composite - La nécessité d’une mise à distance

L’ÉCRITURE, C’EST CE NEUTRE, CE COMPOSITE

«L’écriture, c’est ce neutre, ce composite, cet oblique où finit notre sujet, le noir et le blanc où vient se perdre toute identité, à commencer par celle-là même du corps qui écrit.» 15 exergue D’après Bataille, la communication a deux sens, d’un côté un mouvement de langage dans la mesure où une phrase est construite pour partager du symbole; de l’autre une opération du langage. Dans la mesure ou une phrase se construit sur un ensemble d’opérations internes et construit un ensemble de communications, le langage créé un contexte en partageant (ou omettant) du contenu. Nombre de théories sur le langage soutiennent que le discours (et la compréhension lexicale) ne se porte pas seulement sur le sens des mots, mais aussi sur ce que ces mots expriment que d’autres mots n’expriment pas.

Un mot ce n’est donc pas seulement un signe, mais bien un signe inclus dans un système de signes forcément incomplet.

Ce qu’il reste d’interne, ce qui ne sort pas, le sous-entendu ou le déni, serait donc au moins aussi proche d’une vérité personnelle, elle même à la genèse de la construction d’une phrase. Et ce silence peut s’exprimer malgré tout: ce muet est ce dont il s’agit lorsque nous parlons de « lire entre les lignes ».

Si l’écriture est un neutre, alors le design est un silence, à la manière d’un silence en théorie rythmique: si aucune note n’est jouée à cet instant précis, c’est que le silence appuie le reste de la mélodie révélée. La production et recherche en design, même prospectives, sont dans l’ici et maintenant; et en tant que telles, elles s’y construisent et y répondent.

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L’ÉCRITURE C’EST CE NEUTRE, CE COMPOSITE

Depuis la modernité, elles soulignent forcément la diachronie qu’implique la société moderne. Le sens de l’ici et maintenant est toujours réévalué, jour après jour, changement après changement. Si la modernité a renforcé cette instabilité, c’est que les effets des productions (au sens le plus large du terme) sont non seulement réels, il sont constituants de notre perception et de notre lien social.

Afin de ne pas bloquer ce changement et pour qu’il ne soit ni déni, ni lutte, il doit y avoir un mouvement de fuite poétique.

La nécessité de la mise à distance de l’auteur se fait grande: si l’identification à l’autre est parfois un avantage, elle peutêtre un inconvénient lorsqu’elle est accompagnée dans un élan qui ne profite qu’à un autre hypothétique, magnifié par la publicité, magnifié par les besoins d’une économie globalisée et contraignante. L’altérité est de ces faits qui ont le plus souffert depuis la modernité.

Un dégagement est donc nécessaire, un pas de côté inclusif, plutôt que persuasif (ne plus forcer à l’identification mais bien laisser place à ce qui est autre).

L’idée n’est pas de se ressembler, ni de se rassembler, mais de se voir. De voir l’Autre, mais aussi de se voir soi, à travers les différences de l’Autre (salut Rimbaud) Cette volonté se doit d’être emparée par les designers, puisque il manipulent eux aussi le réel. Une piste de dégagement est exprimée par Roland Barthes dans son article sur La Mort de l’Auteur.

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LA NÉCESSITÉ D’UNE MISE À DISTANCE

Dans cet article, Roland Barthes exprime l’importance de se débarrasser du poids idéologique très moderniste qu’est la signature d’un auteur. Il propose une courte exploration des différents intérêts historiques de l’anonymat. De manière quelque peu caricaturale, sa thèse est que puisque le muet, le secret, communique parfois mieux que l’expression; la mise en avant d’une origine définissable et définie ternit le propos et force à une mercantilisation de l’émotion.

Il prend pour témoin de l’intérêt du secret dans l’origine des images et récits les nombreuses traditions orales qui ont précédé ou survécu à la notion d’autariat. Il s’agit d’une exploration d’un anonymat non plus calculé, mais d’un anonymat total et inconscient, même si l’auteur parle en son nom.

Difficile pour le design de se vivre entièrement par la tradition orale, là n’est pas la question. L’intérêt est de couper la force marchande de l’auteur, créer une mise à distance saine pour le receveur, et ainsi rompre, ou au moins réduire, des liens sociaux trop présents et trop forts pour que le receveur y trouve une place assez flexible pour choisir réellement son positionnement vis-à-vis de la production.

Puisqu’il n’y a pas de monde des idées, mais bien des idées dans un monde, alors la nécessité serait de lancer ces idées comme on lancerait un avion en papier et non plus comme un hameçon et son fil, reliés à notre canne à pêche.

Il faut pouvoir faire coïncider nos sociétés secrètes dans une société à secrets, accepter de ne pas tout savoir sur tous et tout, accepter de partir de soi dans chaque compréhension,

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LA NÉCÉSSITÉ D’UNE MISE À DISTANCE

comme premier interlocuteur, ou plutôt comme un double qui nous accompagnerait dans un musée.

Limiter au mieux la coercition nécessaire (au moins en partie) à l’identification à l’Autre.

Si Roland Barthes dans son article n’ose pas mettre totalement l’auteur à mort; c’est qu’il ne suffit pas de signer en anonyme ou en pastiche; et c’est surtout que l’auteur est seulement le mot (le signe) qui définit au mieux une relation avec l’origine.

C’est cette relation à l’idée d’un divin qu’il faut rétablir; peu importe les questions d’autariat ou d’anonymat.

La mise à distance de l’Autre doit et peut se faire; au sacrifice d’une tranquillité d’esprit et peut-être (très sûrement pour beaucoup) d’un certain pécule.

J’aimerais que cette conscience de notre facilité à nous maintenir faussement dans une fuite (qui n’est jamais vraiment une fuite, mais toujours un déni ou une lutte interne) guide mes futurs choix.

Et c’est aussi la raison pour laquelle j’ai voulu partager cette lente leçon que je commence à peine à accepter, cette tension et cet idéal que les littératures bataillienne m’ont permis d’assumer.

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Ω CONCLUSION

Comment comprendre la raison qui nous pousse à toujours chuter un peu plus à l’intérieur de nous-mêmes, dans ce puit sans fin qu’est la perception humaine et sa difficulté d’assertion dans un monde qui lui échappe, alors que toujours plus de barrières sont créées pour nous éloigner du chaos?

« C’est effrayant de penser aux choses qu’on ne sait pas, aux bêtes venimeuses qui se cachent et dont le voisinage est immédiat » * L’angoisse intrinsèque aux conditions de la vie humaine trouve souvent une issue et une origine dans la sphère du divin. Depuis la modernité cette angoisse se diffuse dans un monde globalisé, dans une accélération toujours plus impressionnante.

C’est un sentiment généralisé, diffus, que l’on apprend bien vite à dénier : beaucoup de questions « existentielles » se doivent de rester en suspens plutôt qu’en roue libre, faute d’enrayer le moteur. C’est aux domaines du « penser par le faire » comme le design que revient de proposer une synthèse entre les formes et la matière; la technique et l’esthétique. En tant que pratique, le design permet de trouver des vérités qui puissent être, idéalement, universelles.

La question de la perspective du designer à la production est primordiale: comment se positionner, comment donner forme?

*Journal I, 1892-1907 de Léon Bloy, GLAUDES Pierre, p.188

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Le design, en tant que pratique, est un outil pour travailler dans le chaos du monde, ni totalement pour, ni totalement contre, mais avec le chaos. Ce chaos, c’est celui d’un monde fragmenté, et le design en sa position de figure aux croisements et de « condamné au choix » est sans cesse dans une tension, dans un aller-retour entre un fait matériel, une résolution, et un idéal de résolu.

Le but de ce mémoire est de prouver l’omniprésence de l’économie bataillienne, d’une Part Maudite dans le design. Montrer d’une part la différence entre le concept de dépense et le concept de réserve / d’autre part montrer d’autres hypothèses pour le design, des hypothèses qui mêlent les deux. Ce mémoire arrive aussi dans un timing parfait, il répond à ma nécessité de poser à plat l’aboutissement de mes recherches plastiques: la sensation de « bout de chaîne » de Bataille correspondant à l’image que la transposition du mage sur le designer invoquait.

C’était aussi un moyen d’affirmer la position que j’aimerais tenir en tant que pratiquant designer, ni totalement hors du marché, ni totalement dedans, mais en fuite parallèle, proposant toujours autre chose.

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MAGIE, OBJET, ARTISANAT, COMME UN DESSEIN FORMÉ CONTRE LA NATURE “CAR LA COHÉRENCE DU MONDE TECHNIQUE N’EST PAS DONNÉE À LA RAISON PAR QUELQUE MIRACLE DIVIN; LE MONDE TECHNIQUE TOUCHE À LA FÊTE MAIS AUSSI À LA FOLIE, AU MYTHE ET À L’UTOPIE QUI SE REJOIGNENT EN SON SILENCE ORIGINAIRE INTRINSÈQUE” J.-C. BEAUNE - LA MATIÈRE, L’INSTRUMENT, L’AUTOMATE

Pourquoi un objet technique, le premier ustensile de notre vie et de notre être, nous provoque-t-il encore autant d’étranges “sensations” ?

Pouvons-nous dire clairement ce qui fait l’originalité de cet objet considéré pour lui-même, mais aussi et surtout en situation, dans le milieu qu’il anime et qui l’anime en retour ?

Magie, objet, artisanat, comme un dessein formé contre la nature.

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Un milieu technique, c’est tout d’abord un lieu où l’homme joue sa vie et sa pensée avec son corps, au fil de son expérience, sur cette frontière familière entre la nature et l’artifice.

C’est peut-être pour cette raison que les objets techniques, éminements visuels, semblent favoriser la suggestion, et soient plus abordables que les autres milieux “d’objets”.

Paradoxe, on ignore souvent le fonctionnement technique des objets que l’on utilise; On en tire donc d’autres satisfactions que leur simple usage. Nous savons depuis Heidegger (voire depuis Platon et ses formes eternelles) que “la technique n’est pas la même chose que l’essence des techniques”. On sait aussi grâce aux milieux techniques que la conscience

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“constitue” les objets du monde.

Dans ce cas, revenir à l’expérience réelle de l’objet, d’après husserl, n’est accessible qu’en passant par une analyse détachée des connaissances que l’on a d’un objet.

On peut se ainsi demander si la valeur d’un objet n’est pas dans ce que sa forme nous raconte, plutôt que dans ce que son usage permet?

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TECHNIQUE, CROYANCE, COMME UNE MAGIE À PROJET TOTÉMISME ET FANATISME POST-INDUSTRIEL CONTEMPORAIN SONT DEUX MODES PRINCIPAUX DE LA PENSÉE RELIGIEUSE DE LA TECHNIQUE, AUSSI INSATISFAISANTS L’UN QUE L’AUTRE; L’OBJET TECHNIQUE EST-IL CONDAMNÉ À SE FIGER DANS SON MYTHE? « L’illusion de la science », d’après Rupert Sheldrake, est la croyance selon laquelle la science comprend déjà, par principe, la nature de la réalité, et qu’il manque seulement les détails.

La vision du monde par la science et la technique comme seules valeurs d’expérience du réel en est venue à inhiber la libre investigation, force vive de la démarche scientifique.

La magie peut alors proposer une interpretation sociologiste des actes techniques : tout part de la société et tout y revient.

‘‘ LA TECHNIQUE N’EST PAS LA MÊME CHOSE QUE L’ESSENCE DES TECHNIQUES ’’ L’objet technique, dans la magie, prend une place de relais, un genre de “signifiant-signifié”; Il est porteur de sens, sujet à interpretations, et lui-même résultat d’interpretations.

Son expérience n’est plus seulement immédiate, mais s’inscrit dans un dialogue avec un milieu.

Ce rapport est à double tranchant: il peut être l’expression d’une totalité sociale fermée sur elle-même et sur son sens commun; mais il peut être aussi un formidable support d’hypothèses, sain et bien souvent fécond.

“ LA BELLE CUISINE DE SORCIÈRE QUE VOILÀ !

NOUS MITONNONS DES MONDES, SOUS N’IMPORTE QUELLES FORMES, ET NOUS LE FAISONS AUSSI BIEN QUE LE CRÉATEUR L’A FAIT EN SIX JOURS. LES MAÎTRES SORCIERS, LES DESIGNERS, C’EST NOUS; ET PUISQU’AINSI NOUS AVONS ÉTÉ PLUS FORTS QUE DIEU, NOUS POUVONS NOUS PERMETTRE DE FAIRE TABLE RASE DU PROBLÈME DE LA RÉALITÉ .”

VILÉM FLUSSER - VOM STAND DER DINGE

Technnique, croyance; Comme une magie à dessin

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UN RETOUR AU MYSTÈRE, COMME UN DESSEIN NATUREL LOIN D’ÊTRE L’ŒUVRE D’UNE« FONCTION FABULATRICE » TOURNANT LE DOS À LA RÉALITÉ, LES MYTHES ET LES RITES OFFRENT POUR VALEUR PRINCIPALE DE PRÉSERVER JUSQU’À NOTRE ÉPOQUE DES MODES D’OBSERVATION ET DE RÉFLEXION QUI FURENT ET DEMEURENT ADAPTÉS À DES DÉCOUVERTES D’UN CERTAIN TYPE : “CELLES QU’AUTORISAIT LA NATURE, À PARTIR DE L’ORGANISATION ET DE L’EXPLOITATION SPÉCULATIVES DU MONDE SENSIBLE. CETTE SCIENCE DU CONCRET DEVAIT ÊTRE, PAR ESSENCE, LIMITÉE À D’AUTRES RÉSULTATS QUE CEUX PROMIS AUX SCIENCES EXACTES ET NATURELLES, MAIS ELLE NE FUT PAS MOINS SCIENTIFIQUE, ET SES RÉSULTATS NE FURENT PAS MOINS RÉELS. ASSURÉS DIX MILLE ANS AVANT LES AUTRES, ILS SONT TOUJOURS LE SUBSTRAT DE NOTRE CIVILISATION.” CLAUDE LEVI STRAUSS - LA PENSÉE SAUVAGE

Nous assistons finalement à une réhabilitation de la pensée mythique en ce qu’elle présente une efficacité factuelle.

Ainsi, l’explication n’a qu’un rôle secondaire, elle est en vue d’une performance.

Son intérêt, dévoilé dans son rapprochement avec la poésie et le bricolage, est qu’elle se tourne en premier lieu vers l’action.

Un retour au mystère, comme un dessin naturel

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Finalement, la véracité semble moins importante que l’efficacité, à l’inverse de la science pour qui le culte du vrai prime.

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ESADSE

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Φ BIBLIOGRAPHIE ET ICONOGRAPHIE

B I B L I O

G R A P H I E

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b.

Vue 3D de Sérendipité, 2018

c.

Co-Op Interieur - Die Neue Welt, 1926 , Hans Werner

d.

Huggable Atomic Mushroom, 2004, Dunne & Raby, Michael Anastassiades

e.

Waiting Room, 2009, Farah Atassi

f.

Zig Zag chair / Where There’s Smoke, 2004, Maarten Baas

g.

Blessures des champs de bataille - Opera Chirurgica, 1594, Ambroise Paré

h.

Ophelia, 1851, John Everett Millais

i.

Break-Through (two) à la galerie Alfonso Artiaco, 2013, Thomas Hirschorn

j.

Figure acéphale - Couverture du numéro 3-4 d’Acéphale, 1937, André Masson

k. l. m.

De anatomische les van Dr. Nicolaes Tulp, 1632, Rembrandt van Rijn Affiche de théâtre «Les rayons Roentgen», 1895, Charles Levy (imprimeur) Couverture de Inferno : Alexander McQueen, 2015, Melanie Rickey, Kent Baker

182

TA B L E

ICONOGRAPHIQUE

The Body and the Bounds, workshop Global Tools, 1975, Franco Raggi

n.

Laboratorio con bambini al Rione Traiano, 1975, Riccardo Dalisi

o.

Ventilator, 2007, Florence Doléac

p.

Idoles du village global, 2015, Théo Mercier

q.

Rat Purse, 2013, Reid Peppard

r.

Rzeźba głowy, 1960, Zdzislaw Beksinski

s.

Bibliothèque Séverin 3, 2014, Alexandre de Rouvray

t.

Vue 3D de NADIR, 2017

u.

Qu’est ce que je fais, 2016

v.

Le black metal à l’ère d’internet, 2015

w.

Vue 3D de Calendrier perpétuel, 2017

x.

Affiches du DNA, 2018

y.

Vues de ANARCHIVE, 2017

z.

183

R E M E R C I E M E N T S

Merci, à Eylia, Leboy, Jacko, Noam, Raphaël, Nawal, Samuel, Maxime, Cyrine, Chris, Yaewon, Sasha, Morgane, Adrien, Héloise, Clara, Pihi, Lynna, Antoine, Tom, Hugo, ElyaB pour les conversations, à Kickback, Instagram, Liveleak, Berserk, Prurient, Saint-Thomas d’Aquin pour la débauche, à Georges Bataille pour l’expérience

184

Samy Hedli - 2021 185