Principes de modularité de l’architecture japonaise

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PRINCIPES D

E MODULARI

TE DE L’ARCH

ITECTURE JA

PO N A I S E

ETUDE DE L’AR CHITECTURE T RADITIONNELL E AVEC LE CAS DE LA MACHIYA ET ETUDE DU M OUVEMENT DU METABOLISME

SANDRINE LEC-KAO



ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE MONTPELLIER

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DOMAINE ARCHITECTURE ET MILIEUX

MEMOIRE DE MASTER 2 Proposé par : SANDRINE LEC KAO 25 JANVIER 2017

LES PRINCIPES DE MODULARITÉ DE L’ARCHITECTURE JAPONAISE ETUDE DE L’ARCHITECTURE TRADITIONNELLE AVEC LE CAS DE LA MACHIYA ET ETUDE DU MOUVEMENT DU METABOLISME

M. LAURIOL Jean Luc M. SAINT-CRICQ Frédéric M. MARAVAL Michel Mme AZALETTA Pascale

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Jury : architecte, enseignant ENSAM architecte, enseignant ENSAM architecte, enseignant ENSAM architecte, urbaniste, paysagiste 1

Directeur de mémoire Examinateur Examinateur Examinatrice



Résumé

L’architecture japonaise se distingue fortement de celle de l’Europe et des pays occidentaux, par l’utilisation de matériaux légers et éphémères pour des constructions traditionnelles telles que la machiya, ou par la dynamique urbaine de villes telles que Tokyo au renouvellement incessant. Ces particularités sont souvent liées à des principes de modularité qui sont propres au savoir-faire et surtout à leur culture dont la spiritualité est omniprésente. Même si la modularité est un principe constructif répandu et adopté dans le domaine de l’architecture en général, son application dans la spatialité japonaise est, semble-t-il, unique en son genre, fascine et intrigue. Alors, dans quelles mesures l’architecture japonaise intègre-t-elle les notions de modularité dans sa conception ? Pour mener à bien cette étude, il fallut parcourir de nombreux ouvrages, articles, revues, ou encore interviews concernant l’architecture du Japon, de la période Kodai (Antiquité) à la période Kindai (contemporaine) afin de comprendre son évolution. Les principes de la modularité sont à la fois subtilement spirituels et aussi indéniablement constructifs. Il a été également indispensable de découvrir et de comprendre le vocabulaire de la spatialité propre au pays insulaire, car c’est celui-ci qui permet de se faire une idée du patrimoine unique que constituent la machiya de style traditionnel, ou encore les projets démesurés du mouvement du Métabolisme des années 1960. Ce mémoire a permis de mettre en évidence qu’encore aujourd’hui, le Japon s’efforce de garder une identité culturelle et architecturale. Bien qu’ils suivent également constamment les tendances d’un monde contemporain en constante évolution, les architectes cherchent à conserver l’idée que partage l’héritage d’une spatialité modulée.

Mots-clés : Japon – modularité – machiya – métabolisme – spiritualité – légèreté impermanence – gradation – cellule – mégastructure – innovation – évolution – identité

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Remerciements

Avant de débuter, je tiens à remercier les personnes qui m’ont aidé à mener à bien ce mémoire de recherche. Je remercie M. Jean Luc Lauriol de m’avoir encadré et de nous avoir encouragé à approfondir un sujet qui nous tient à cœur. Je remercie M. Frédéric Saint-Cricq, M. Michel Maraval, et Mme Azaletta pour le temps accordé à ce travail. Merci également à M. Robert Célaire de nous avoir pris sous son aile et de nous avoir guidé lorsque nous étions encore en échange Erasmus. Je remercie également, à ma manière, les auteurs de la panoplie d’écrits que j’ai eu le plaisir de dévorer, qui ont contribué à une belle découverte sur le Japon. Je remercie mes amis pour leurs conseils, et leur soutien au cours de ce semestre. Je remercie ma famille de m’avoir encouragée, de près et de loin. Merci à ma mère de m’avoir relu attentivement, et à ma sœur de m’avoir éclairé sur les principes du métabolisme biologique.

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AVANT PROPOS

Je ne pourrais pas expliquer pourquoi l’architecture japonaise contemporaine ou traditionnelle m’a toujours fasciné. Peut être est-ce la subtilité du détail constructif ou la finesse et la sobriété des formes qui ont su attirer mon regard ? Choisir d’étudier le Japon est à la fois la découverte d’une autre culture mais qui me semble en bien des points déjà familière. Rehausser l’habitat de quelques centimètres, construire avec des matériaux légers, se passer du confort du chauffage en hiver me semblent des principes constructifs habituels car j’ai eu la chance de grandir sur l’île de la Réunion, où le climat chaud et humide rappelle celui des étés japonais. Leurs traditions culturelles et spirituelles ne me sont pas non plus inconnues car elles se rapprochent des valeurs que me transmet ma famille depuis ma naissance. Ma grand-mère m’expliquait que l’habitude qu’elle a d’allumer 6 bâtons d’encens le matin est une tradition qui découle de la religion, mais qui est surtout une manière de conserver une identité culturelle propre et rester connecté à une spiritualité asiatique. « La fumée de l’encens monte vers le ciel » dit-elle, « et si celle-ci monte vers le ciel, c’est qu’il y a une raison ». Au temple de la rue Sainte Anne, à la Réunion, déjà, on remarque que l’espace d’entrée, une simple véranda avec quelques bancs et plantes, prend une autre signification lorsqu’elle est emplie de la fine fumée des encens, qui en trouble la vision et diffuse un parfum particulier. Ce lieu de culte est selon moi une hétérotopie comme en parle subtilement David Grahame Shane (Recombinant Urbanism), c’est à dire un espace qui, dès lors qu’on le pénètre, est si particulier de par ce qu’il dégage et de l’idée que l’on en a. Il provoque de l’émotion, et devient alors comme une entité propre à la ville, presqu’une ville dans la ville. C’est ce que l’on ressent lorsqu’on passe outre le beau portail d’entrée du temple, que la fumée de l’encens floute l’air, que l’on monte la petite marche entre l’engawa d’entrée et l’intérieur sacré. Il est certain que cette spiritualité orientale se retrouve au Japon et habite la vie japonaise jusqu’à la maison. Lire l’ouvrage Eloge de l’Ombre 1 fut une véritable révélation quant aux pratiques résultant de cette spiritualité si singulière. Là où le faisceau de lumière est interprété comme une douceur déterminant un nouvel espace dans l’espace, on remarque que la maison traditionnelle est un sombre lieu modulé qui mérite ample attention. C’est cet aspect un brin mystérieux que je voulais découvrir davantage avec la confection de ce mémoire, afin de comprendre ce que la machiya (maison traditionnelle de ville) a de si particulier, et même explorer la portée de ces caractéristiques sur une autre temporalité.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 1!TANIZAKI Junichirô, Eloge de l’ombre, 2!LOUERAT

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POF, 2001, 110p.!

Nathan, Entre tradition et modernité, l’architecture contemporaine japonaise ou la pratique de l’entre4


SOMMAIRE

Résumé

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Remerciements

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AVANT PROPOS

4

INTRODUCTION

7

PARTIE 1 : LA MODULARITÉ TRADITIONNELLE JAPONAISE I)

DE

L’ARCHITECTURE

Une spiritualité à part entière

12

A) Lien à la nature

12

a- Une philosophie en lien étroit avec le site b- Temporalité et impermanence (mujô) B) De la ville à la parcelle, de la rue à la maison a- Modularité urbaine b- De la rue à la machiya II)

21

La succession des espaces de la machiya : développement des espaces vers le fond

30

A) Le parcours progressif dans l’espace domestique

32 32 33 36

B) L’espace du doma, premier module d’entrée de l’espace privé

38

C) Comprendre la machiya comme l’assemblage de modules spatiaux

40

Une structure modulée

47

A) Le tatami : module physique

47

B) Deux systèmes constructifs : shinshin et uchinori

51

C) Mur et cloisonnement : une liberté modulaire, un espace évolutif

56

a- Koshi, shoji, fusuma, byobu b- Un plan libre : ouvrir ou fermer l’espace

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12 18

22 26

a- Ma, l’intervalle entre deux choses b- Oku, le fond c- En, la bordure et lien

III)

11

5

57 59


PARTIE 2 : LA MODULARITÉ DU MOUVEMENT MÉTABOLISTE I)

L’avant-gardisme d’un nouveau contexte mondial

63

A)

Utopies urbaines des années 1950

63

B)

Japon et métabolisme

69

a- Contexte économique et démographique b- Lien à la société nippone : recherche d’une identité II)

69 72

Le métabolisme, mouvement d’innovations

74

A) Lien au biologique : architecture métaboliste et structure évolutive

76

a- Connotation biologique b- Mouvement et renouveau : lien au spirituel subsitant B) Un métabolisme à l’échelle urbaine et architecturale : les architectes et leurs projets

III)

62

76 79 81

a- Urbanisme et architectures du manifeste b- Structure et capsule

81 87

Concrétisation éphémère et emblème construit

90

A) EXPO 70, Osaka comme concrétisation éphémère

90

B) La Nakagin Capsule Tower

92

a- Principes modulaires : la tour et la capsule b- Evolutivité sociétale

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CONCLUSION

104

ANNEXES

111

LEXIQUE

113

TABLE DES ILLUSTRATIONS

114

BIBLIOGRAPHIE & MEDIAGRAPHIE

119

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INTRODUCTION

Lorsque nous mentionnons la culture japonaise, c’est une explosion de symboles populaires et qui nous frappe : une matérialité haute en couleurs, une forte densité de population, une consommation effrénée, une force technologique prégnante, et d’autre part une abondante richesse architecturale qui lui est propre avec ses grands buildings, ses imposantes arches, ses lieux de culte ou encore ses maisons traditionnelles de ville. C’est une effusion d’époques aussi différentes les unes que les autres, là où le high-tech se mêle à la tradition, et où il n’est pas anodin de tomber sur un temple centenaire sur lequel se projette l’ombre d’un haut building.

« L’architecture est un langage universel, une affaire de géométrie mais aussi de spiritualité », Tadao Ando

Tout d’abord, en feuilletant revues et monographies, il m’est apparu flagrant qu’il y avait beaucoup à dire sur la culture nippone bien différente de notre culture occidentale, mais il me sembla aussi qu’il y avait quelque chose d’unique quant à l’utilisation de modules et l’existence d’une trame dans leur manière de construire. Ce point si prégnant et particulier a donc été mon point de départ de cette recherche. Si certains éléments tels que le tatami ou les panneaux shoji et fusuma m’étaient familiers en tant que systèmes modulaires, il m’était cependant difficile de comprendre les termes tels que ma ou engawa relatifs à la modulation spatiale sur le plan spirituel. Comprendre l’univers très spirituel du traditionnel nippon s’annonce dès lors assez complexe et j’en ferai ici une étude plutôt généraliste. Il s’agit d’en étudier la spatialité, donc le rapport entre l’individu et l’espace dans lequel il évolue, et qu’il voit évoluer. L’étude de certains termes de ce vocabulaire nous permettra de mieux interpréter l’assemblage réfléchi des espaces, et tout ce qui constitue un habitat. Par suite, il est intéressant de s’intéresser à l’évolution de ce traditionalisme. Est-il conservé ou a-t-il alors subi une modification voire une altération au fil des siècles ? Au Japon opère une réelle coexistence entre le mélange des valeurs et pratiques traditionnelles, et un territoire dont le tissu urbain dense et l’architecture sont les exemples construits des nouvelles prouesses technologiques. L’ouverture du Japon sur l’occident s’est faite par des échanges durant la période Meiji (1868-1912) 2 . Cela marque la fin du développement isolé du territoire nippon (appelé sakoku), et l’initiation à un modernisme qui s’attèlera à vouloir adapter des idées occidentales. Cette révolution du système permet des avancées dans les domaines tels que l’agriculture, l’économie (suite à de grands échanges commerciaux), l’industrie et aussi l’architecture. A l’origine, le Japon était un pays insulaire fermé sur lui-même, dont certaines

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 2!LOUERAT

Nathan, Entre tradition et modernité, l’architecture contemporaine japonaise ou la pratique de l’entredeux, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, 2012-2013, p.7!

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valeurs spirituelles sont les dérivés des influences zen de la Chine et de l’Inde3, d’où vient la philosophie du bouddhisme, l’une des deux religions dominantes. Le shintoïsme en est la seconde, les croyances populaires sont liées à la nature avec une multitude de divinités locales (kami) pour des lieux (montagnes, rizières), les éléments (eau, sols), ou encore les animaux. Au même titre que cette religion typiquement japonaise, même si fortement influencée par le bouddhisme zen, la machiya (maison de ville traditionnelle) est fondamentalement japonaise. Ayant évolué au fil des années, avec les modes de vie du pays insulaire, elle pourrait être estimée comme l’expression même de la spatialité japonaise. Si l’arrivée des nouvelles technologies, matériaux et manières de produire bouleversent son modèle, elle constituera toujours une forte source d’inspiration. Presqu’un siècle après le changement de capitale de Kyoto à Tokyo 4 , le Japon fait face à de nouvelles nécessités. Une importante demande de logements et de reconstructions surgit pendant les années 1950. Faisant suite au grand tremblement de terre du Kantô en 1923, ce contexte d’après-guerre (bombardements notables d’Hiroshima et Nagasaki) puis le boom Izanagi 5 sont les déclencheurs de propositions de projets en partie utopiques et d’autre part réalisables, entrainant l’essor du nouveau mouvement avant-gardiste du Métabolisme, prônant le développement de mégastructures liées à la préfabrication et aux nouvelles technologies. Aujourd’hui ce qui, communément fascine à propos de cet acteur de l’Orient est sa double facette, une culture qui s’alterne entre une toujours omniprésente et remarquable emprise des traditions et une modernité nouvelle. En témoignent des exemples forts tels que la ville de Tokyo, mégalopole active, implantation stratégique mondiale qui fourmille d’inventions « dernier cri », qui compte encore un nombre remarquable de temples où l’influence des religions, du shintoïsme, bouddhisme perdure, là où la cérémonie du thé est toujours enseignée et où le kimono, vêtement traditionnel, est remarquablement porté lors d’événements culturels. Ce dialogue évident entre deux époques se voit également dans la culture populaire japonaise, qui reproduit et dévoile les paysages de leur vie quotidienne dans des scènes de fiction. Un manga animé que je regardais étant petite suivait la vie d’une jeune japonaise, Sakura (fleur de cerisier) vivant à Tokyo. Au fil de l’histoire se mêlent tradition et modernisme, entre les hauts bâtiments, puis les ruelles étroites et figures sacrées des temples ainsi que des symboles tels que la tour de Tokyo, ou encore des célébrations ou des événements comme le grand ménage de printemps, dus aux changements de saison et aux variations de la nature. En observant la maison du personnage, nous voyons se mélanger à la fois murs de béton solides et inflexibles, mais espace d’entrée du genkan où se déchaussent les membres de la famille.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 3!Durant la période Asuka (538-710), l’introduction

du bouddhisme, de l’écriture, de l’architecture et de la structure (source : Chronologie simplifiée de l’histoire japonaise, vivrelejapon.com, 17/08/2015) 4!Changement ayant eu lieu en 1868! 5!Boom Izanagi : La période de croissance économique de 1965 à 1970 appelée aussi miracle économique japonais : SUMIYA Mikio, A history of Japanese Trade and Industry Policy, Oxford University Press, 2004, p.70

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Ce que les occidentaux perçoivent peut être comme un paradoxe, un dualisme, n’est pas perçu comme tel par les japonais. Comme le cite Augustin Berque dans Dictionnaire de la civilisation japonaise, « ce n’est un pays à deux visages que si l’on ne veut pas voir que les Japonais vivent leur présent et leur passé dans des termes qui sont les leurs, pas les vôtres ». D’après Jacques Pezeu-Massabuau 6 , quatre éléments définissent la spatialité japonaise et sont des « injonctions à la préserver » : - un espace structuré (circulation, pièces spécialisées) mais toujours structurant, - une collection de choses qui le marquent et en « signent » le type d’espace, - une machine à vivre : depuis l’âtre et le puits jusqu’à l’intelligence électronique, - un certain bien-être défini qualitativement. Qu’il s’agisse de l’urbain à grande échelle, du tissu d’une ville, de la parcelle dans le quartier, ou de la cellule domestique : « L’objet de la spatialité est un objet dont le savoir n’est jamais assuré, toujours fragmentaire ou partiel » 7 . Nous tenterons alors de donner une interprétation de l’espace japonais, selon certains termes de la spiritualité nippone, certaines théories, l’étude de bâtiments concrets mais aussi d’ambitieux projets non construits, accompagnés de certaines intuitions. La définition du module comme « unité de coordination modulaire, aboutissant à une trame, pour permettre l'emploi d'éléments standardisés industriels » 8 témoigne d’une interprétation rigide et invariable de l’élément en question, et nous verrons tout au long de ce mémoire dans quelle mesure l’idée de module peut être interprétée différemment pour l’architecture japonaise. Le système constructif japonais est difficilement associable au terme de modularité au sens occidental, il faut l’interpréter et non forcément le voir modélisé. Cela veut dire qu’il faut en saisir la dimension psychologique. Ce n’est pas l’idée du module en tant que mesures métriques qui domine mais plutôt l’idée du module en tant qu’espace. Celui-ci découle à l’origine d’une association de contraintes géologiques et d’influences spirituelles. La modulation est la « variation recherchée dans le ton, la couleur, les volumes, les manières d'exprimer quelque chose dans une œuvre : modulation des ombres et des lumières dans un tableau » 9 . Cette définition, moins figée, suggère une progression d’éléments pouvant être interprétée comme la succession des espaces ou la partition de la maison traditionnelle japonaise. D’autre part, l’utilisation du module suit l’idée de son emploi durant l’Antiquité grecque et romaine comme « principe de construction suivant lequel les dimensions des différents éléments entrant dans la composition d'un bâtiment possèdent une commune mesure, ou module, dont elles sont les multiples. « L'application de ce principe permet la préfabrication »10, suivant une qualification plus structurelle, presque métabolique.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 6!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.468! 7!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.28! 8!Définition du Dictionnaire Larousse en ligne, terme « module »! 9!Définition du Dictionnaire Larousse pour la catégorie « poétique » : la « modulation »! 10!Définition du Dictionnaire Larousse pour la catégorie « bâtiment » : la « modulation » / le module était le demi-diamètre du fût d’une colonne, correspondant alors aux ordres architecturaux.

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Si j’avais conscience de l’utilisation du module objet tatami régulant l’architecture des machiya traditionnelles, j’ignorais tout du mouvement métaboliste, dont l’image de la Nakagin Capsule Tower n’évoquait pour moi ni plus ni moins qu’une simple tour dont la préfabrication avait aidé à la production de capsules en série. Je me demandais alors s’il y avait un rapport entre ces deux idées de modules, ou si elles faisaient simplement partie de deux époques séparées.

Alors, dans quelles mesures l’architecture japonaise intègre-t-elle les notions de modularité dans sa conception ? D’abord à partir d’intuitions, j’ai souhaité explorer le thème de la modularité qui régit, répartit et rythme la construction au Japon, en premier lieu en étudiant cette problématique à l’époque traditionnelle puis en questionnant sa transmission et en focalisant l’analyse aux principes du mouvement métaboliste. Par la lecture de nombreuses monographies, de livres sur le Japon, le japonisme, et le vocabulaire qui y correspond, d’articles et d’études de cas, et aussi au moyen de la réalisation de croquis et de schémas, j’ai tenté d’en livrer une analyse objective et aussi un brin personnelle.

Dans un premier temps, il sera question de comprendre comment la spatialité nippone est reliée à l’identité culturelle propre au Japon. Parler d’une modularité dans l’architecture traditionnelle japonaise est tenir un discours bien différent que de parler d’une modularité dans l’architecture métaboliste. Il s’agit là de percevoir la subtilité des espaces et savoir analyser un mode de vie si singulier. Afin de comprendre la disposition des espaces, il est nécessaire de comprendre leurs interactions. En outre, comment l’homme est-il lié au milieu dans lequel il progresse ? Nous verrons en quoi les notions d’espace, données par les termes de ma, d’oku, d’en ou encore uchi et soto, se mêlent à celles de l’impermanence dictée par la nature. Puis, l’étude du modèle de la machiya (« maison de ville ») mettra l’accent sur une enfilade d’espaces comme modules progressifs depuis la rue jusqu’au jardin intérieur, régis par des éléments constructifs tels que le tatami, les systèmes structurels poteaux-poutres, ou les cloisons fines et autres éléments mobiles. En second lieu, une analyse du mouvement du Métabolisme sera faite. D’abord par sa mise en rapport avec d’autres mouvements, nous montrerons qu’il est avant-gardiste, lié à un nouveau contexte d’après-guerre. Bien que le mouvement ait des principes communs aux projets d’Archigram par exemple, nous verrons comment les innovations qu’il propose sont liées à des recherches scientifiques. Les comparaisons biologiques sur l’évolution métaboliste font notamment référence à la cellule comme module de vie lié à des processus tels que l’anabolisme et le catabolisme. L’architecture est toujours liée la nature, bien qu’il soit alors question de projets de grande envergure, distincts de la modeste machiya. Nous évoquerons les grandes mégastructures parsemées de modules-capsules d’habitats et de fonctions composant la ville-machine du XXe siècle. Enfin, nous parlerons de la modularité de deux cas d’étude construits de ce mouvement resté majoritairement théorique : l’EXPO ’70 et l’emblématique Nakagin Capsule Tower.

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PARTIE 1 : LA MODULARITÉ DE L’ARCHITECTURE TRADITIONNELLE JAPONAISE

« We can easily now conceive of a time when there will be only one culture and one civilization on the entire surface of the earth. I don't believe this will happen, because there are contradictory tendencies always at work - on the one hand towards homogenization and on the other towards new distinctions. » Claude LéviStrauss 11

Cette première partie sera consacrée à l’étude de la modularité de l’architecture traditionnelle japonaise. Il s’agit d’une culture toute autre que celles qui me sont familières et il m’a donc semblé primordial d’en étudier la spiritualité car c’est d’abord elle qui influe sur l’espace de la maison. Comprendre cette architecture n’est pas simple car il faut en saisir la dimension spirituelle, celle qui dicte l’importance de certains espaces à disposer selon des croyances propres aux Japonais. De l’étude générale faite de certains termes et coutumes, j’ai retenu ceux qui se rapportent aux notions qui me paraissent essentielles à la compréhension de l’espace domestique nippon. Augustin Berque donne un sens à l’identité nationale qui berce la culture japonaise : « Chaque culture possède un capital de symboles qu’elle destine au fonctionnement de ses métaphores, comme autant de ponts jetés entre le non-sens et le sens. »12 La spatialité de la société japonaise et sa culture ne sont pas à comprendre seulement par l’étude architecturale, mais tout autant par la compréhension des rituels sociaux, des faits, des gestes, des cheminements presque règlementés. Ils mènent à l’appropriation et l’interprétation (si ce n’est le ressenti) d’une maison ou d’un édifice d’une manière bien particulière et distincte de quelqu’un ne pratiquant pas et n’ayant pas conscience de toute cette spiritualité.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 11!LEVI-STRAUSS Claude, Myth and Meaning,

Routledge & Kegan Paul, 1978 Traduction : « Nous pouvons facilement concevoir maintenant une époque où il n'y aura qu'une seule culture et une seule civilisation sur toute la surface de la terre. Je ne crois pas que cela arrivera, parce qu'il y a des tendances contradictoires toujours en jeu - d'une part vers l'homogénéisation et, d'autre part, vers de nouvelles distinctions. » 12!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.29!

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I)

UNE SPIRITUALITÉ À PART ENTIÈRE

Pour comprendre selon quels principes la maison japonaise est construite, il faut d’abord avoir une vision globale de la société dans laquelle elle s’inscrit et comprendre la portée de la nature et le respect entretenu à son égard. Si pour certains se préserver du froid et de la chaleur est primordial, la spiritualité japonaise guide par exemple à supporter ces contraintes. La maison est la coquille adaptée aux conditions imposées par l’environnement, permettant « d’enseigner les règles de vie qui à leur tour permettent le déroulement harmonieux de ces derniers dans le contexte de la civilisation nationale » 13 et donc de ne pas les subir mais de les vivre.

A) Lien à la nature

a- Une philosophie en lien étroit avec le site En mentionnant dans quelle mesure un acte naturel comme se nourrir prend une dimension toute autre dans la spiritualité nippone, Roland Barthes démontre la douceur et le respect porté aux éléments du quotidien de la vie des Japonais 14 : « c’est là tout un comportement à l’égard de la nourriture ; on le voit bien aux longues baguettes du cuisinier, qui servent, non à manger, mais à préparer les aliments : jamais l’instrument ne perce, ne coupe, ne fend, ne blesse, mais seulement prélève, retourne, transporte. Car la baguette (troisième fonction), pour diviser, sépare, écarte, chipote, au lieu de couper et d’agripper, à la façon de nos couverts ; elle ne violente jamais l’aliment : ou bien elle le démêle peu à peu (dans le cas des poissons, des anguilles), se retrouvant ainsi les fissures naturelles de la matière (en cela bien plus proche du doigt primitif que du couteau). Enfin, et c’est peutêtre sa plus belle fonction, la double baguette translate la nourriture, soit que, croisée comme deux mains, support et non plus pince, elle se glisse sous le flocon de riz et le tende, le monte jusqu’à la bouche du mangeur, soit que (par un geste millénaire de tout l’Orient) elle fasse glisser la neige alimentaire du bol aux lèvres, à la façon d’une pelle. »15 Cette image quotidienne apparaît à nos yeux telle une métaphore des mœurs opposant la délicatesse japonaise à la « prédation » occidentale, une image faisant référence à l’essence même de respect envers la nature et ce qu’elle produit. L’architecture traditionnelle japonaise se base sur une approche holistique, s’intéressant aux motivations et pratiques sociales des individus, par les principes instaurés par le terme fudô « climat et culture ». Contrairement à la Chine par exemple, qui fut régie par de longues lignées successives de dynasties, le Japon n’en a connu qu’une, dont les origines seraient retracées jusqu’à la déesse du soleil. D’après la théorie de Tetsuro Watsuji (1889-1960), ce fort lien que les Japonais entretiennent avec la religion et la nature serait lié au fait qu’ils se considéraient liés aux divinités par le sang. La distinction entre l’homme, les divinités, et la nature, propre

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 13 !PEZEU-MASSABUAU Jacques, La maison

japonaise, standardisation de l’espace habité et harmonie sociale, Annales Persée, 1977, Volume 32 N°4, p.697 14!BARTHES Roland, L’Empire des signes, Editions du Seuil, 2007, p.30! 15!BARTHES Roland, L’Empire des signes, Editions du Seuil, 2007, p.30!

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aux populations de croyances juives, chrétiennes, islamiques n’a jamais eu lieu d’être au Japon. 16 D’après Augustin Berque : « Dans l’ancienne langue japonaise (le yamato kotoba antérieur à l’apport chinois), il n’existait pas de terme exprimant le concept de nature, preuve que l’homme ne distinguait pas ce domaine du sien. »17 La culture japonaise fut développée en lien étroit avec la nature, résultant d’une forte influence extérieure et d’un fort sens de l’esthétique. « Beginning his day by relishing the brief blossoming of a seasonal flower while enjoying a meal » 18 , c’est ainsi que le poète de haiku Bashō se décrit au cours du XVIIe siècle. Ses mots expriment une idée essentielle de la culture japonaise traditionnelle : celle disant que l’homme est inséparable de la nature et ses moments de beauté ainsi que sa désintégration19. Le thème du poème de Bashō résonne avec la forte croyance japonaise que la seule manière de vivre dans ce monde est de se soumettre aux lois immuables de la nature. Comme Bashō et d’autres développèrent le haiku comme un art durant le XVIIe siècle, d’autres arts et architecture du Japon ont atteint leur sommet à ce moment. Après des siècles d’évolution, les arts et l’architecture du Japon ont évolué durant la période Edo (1603-1868). Il est important de savoir que l’environnement et la nature en elle-même ainsi que le contexte culturel sont totalement intégrés dans cette architecture traditionnelle et qu’il est impossible de dissocier les formes architecturales japonaises des matériaux avec lesquels elles sont composées, ainsi que leur système constructif. La nature est une source constante : les matériaux de construction sont trouvés localement, les bâtiments sont conçus pour un site en particulier20.

Les usages faits d’un matériau sont déterminés par sa disponibilité. Auparavant, le besoin de se trouver un abri poussait les populations à regarder autour d’elles et repérer quel matériau présentait des potentialités constructives. Même si le Japon, île volcanique, dispose d’importantes quantités de pierres, les constructions témoignent d’à quel point elles ont été peu utilisées, seulement pour les fondations de bâtiments ou encore la formation des jardins. L’autre seul élément minéral utilisé est la terre. Le bois a donc très vite constitué un choix de qualité par sa facilité de manipulation et de transformation.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 16!SCHITTICH Christian, In Detail, Japan Birkhauser, 2003, p16! 17!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace

architecture, constructions, ambiances, Japan- A land of contradictions ?, au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.18!

Traduction : « Commençant sa journée en savourant la brève floraison d'une fleur de saison tout en dégustant un repas » 19!LOCHER Mira, SIMMONS Ben, KUMA Kengo (foreword by), Traditional Japanese Architecture: An Exploration of Elements and Forms, Tuttle Publishing, 2010, p.16-17! 20!LOCHER Mira, SIMMONS Ben, KUMA Kengo (foreword by), Traditional Japanese Architecture: An Exploration of 18

Elements and Forms, Tuttle Publishing, 2010., p.18!

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« La nature sert de modèle à l’observateur et le chercheur » 21 : construire en accord avec la nature demandait des efforts pour permettre une compatibilité en la respectant. Ce qui aujourd’hui paraît être un atout architectural était à l’époque une nécessité, entrainant l’utilisation d’éléments boycottés par le mouvement moderne par exemple (racines d’arbres, branches). La dominance de l’utilisation du bois (ki) s’explique par la grande présence de forêts au Japon occupant le 4/5e du territoire, laissant seulement 20% pour les plaines peuplées. Le système constructif dominant est donc la construction en bois dite mozuko kenchiku, avec l’assemblage poteaux-poutres hashira-hari (dont nous parlerons plus en détail par la suite). L’importance du daiku, maître-charpentier japonais, en découle. Il est l’équivalent de l’architecte et dessine, découpe, construit, bâti grâce à sa connaissance du matériau bois.

Les assemblages de pièces poteaux et poutres se font exclusivement par des joints : cela témoigne de la modularité, jusque dans l’assemblage des pièces de bois. Nous ne détaillerons pas d’avantage les assembles poteaux poutres car il en existe une belle panoplie, mais nous retiendrons que leur assemblage remarquable confère au bâtiment traditionnel en bois japonais un aspect modulaire particulier, presque comme un kit d’assemblage, une architecture d’assemblage « facile » faisant penser aux systèmes préfabriqués.

Fig. 1 : Croquis de joints en bois par Tanaka Fumio pour une maison de sa conception

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 21!ZWERGER Klaus, Wood and wood joints, !

building traditions of Europe and Japan, Birkhaüser, 1997, p.42!

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Par l’utilisation de matériaux légers et périssables, l’espace de la maison traditionnelle japonaise, qu’il s’agisse de la minka (maison rurale) ou la machiya (maison de ville), ne détient pas le confort répondant aux critères occidentaux : il fait froid en hiver, très chaud et humide en été, on y vit à même le sol sur les tatami. De plus, la maison traditionnelle n’a pas l’aspect durable de la pierre, matériau de prédilection des pays occidentaux. Elle est cependant en étroite relation avec la nature par le matériau qui la constitue (le bois) et par les transitions reliant l’intérieur et l’extérieur. La toiture de chaume ou de tuiles qui la recouvre, les larges ouvrants (les panneaux constituant les cloisons sont mobiles), les murs composés d’une structure de bambous remplis de torchis, les pilotis, permettent à l’habitant de supporter une chaleur allant jusqu’à 40 degrés pour 80% d’humidité durant l’été. Le système d’assemblage structurel permet quant à lui l’absorption et la tolérance des secousses de tremblements de terre. Les matériaux la composant se désintègrent avec le temps et doivent être maintenus, réparés, remplacés. L’idée de la préservation n’était pas que les bâtiments devaient rester intactes, avec seuls des éléments à remplacer lorsqu’ils avaient atteint leur limite de vie. Il était plutôt question de la possibilité d’un changement constant du bâtiment, avec des pièces ajoutées ou retirées comme il était nécessaire. L’architecte japonais Kisho Kurokawa explique « C’est une croyance ancienne japonaise qu’une maison soit seulement une demeure temporaire. Si elle brûle elle peut être facilement reconstruite ».24

Fig. 5 : Vue des assemblages structurels constituant l’ossature générale de la maison japonaise

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 24!LOCHER Mira, SIMMONS Ben, KUMA

Kengo (foreword by), Traditional Japanese Architecture: An Exploration of Elements and Forms, Tuttle Publishing, 2010, p.20-21!

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b- Temporalité et impermanence (mujô) Il n’existe pas une unique définition de la temporalité dans la culture japonaise. En premier lieu, la notion du temps historique renvoi aux successions d’époques, d’architectures et suggère un héritage de pensées, de philosophie (vu en partie précédente) et de patrimoine (par exemple le temple d’Ise et de nombreux édifices religieux et militaires). Ensuite, la notion du temps cyclique 25 désigne à la succession des saisons qui rythment la vie du peuple nippon. De nombreux événements sont basés sur ces dates : le nouvel an, le printemps comme signe de renouveau. Ces saisons ont un caractère à la fois cyclique mais régulier constituant des repères pour les habitants du pays. L’observation des paysages montre qu’en climat de mousson, les vallées inondées sont revêtues d’une abondante végétation témoignant du resurgissement de la vie à partir de la pourriture, donnant lieu à une inépuisable profusion26.

Enfin, le temps fait référence à l’impermanence, dite mujô, car les Japonais ont conscience de la périssabilité de chaque élément par l’observation des éléments de la nature. L’espace, quel qu’il soit, n’est jamais pour les Japonais sans intérêt : la tradition philosophique japonaise considère que le phénoménal est vraiment le réel. Selon les termes de Senge Takasumi, prêtre du grand sanctuaire d’Ise, « il n’est aucun lieu où ne réside un dieu, fût-ce dans les huit cents replis des vagues sauvages ou dans le sein de la montagne déserte »27. « Cet exemple permet de traduire l’idée traditionnelle de la temporalité dans la pensée nippone : le temple dédié à la déesse du soleil Amaterasu est en effet rebâti tous les vingt ans dans le style d’origine depuis la fin du Ve siècle. Ce rite traduit une conception du temps dite cyclique, étrangère à la conception augustinienne d’un temps téléologique, définissant une création et une fin du monde, traduits en termes d’évolution et progrès par le monde occidental. Le rite (forme sociale) est donc inséparable de la réalisation du temple (dont la forme matérielle s’accomplit au fil du temps). Le temple d’Ise symbolise également un espace temps où les choses (que l’on peut comprendre par les éléments issus de la construction) ne sont pas des objets car au final indissociables de l’existence humaine. »28 (VIII, IX) Faisant suite à ce propos, nous pouvons citer le temple d’Ise qui est l’une les plus iconiques et significatives pour la civilisation japonaise. Cet édifice sur une idéologie qui permet de comprendre pourquoi le Japon accorde au rapport à l’environnement, l’impermanence, favorisait les constructions était donc en rapport à une modularité.

des constructions religieux est basé tant d’importance en bois et donc

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 25!CAER Léa, Les espaces intermédiaires

comme lien entre l’Homme et le milieu dans l’architecture japonaise : du modèle de la maison traditionnelle aux réalisations de Tadao Ando et l’Atelier Bow-Wow, Janvier 2016, p.24! 26!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2004, Introduction! 27!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.19! 28!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2004, Introduction!

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Il est reconstruit tous les 20 ans à l’identique, en suivant un même système constructif, un savoir-faire qui se transmet comme l’éternité de l’architecture à travers l’impermanence de la reconstruction. Cette temporalité s’explique également d’un point de vue démographique, car si le Japon a par exemple une population de moitié celle des Etats-Unis, elle occupe un territoire 30 fois plus petit, ce qui engendre également une relation vis-à-vis de l’espace variée. « Une nature exceptionnellement variée, changeante, et même imprévisible dans ses manifestations les plus impressionnantes (séismes, tsunamis, typhons) : il est certain au demeurant qu’un tel spectacle n’a pu que nourrir ce sentiment de l’impermanence (mujô) que la culture japonaise tenait par ailleurs du bouddhisme. »29 Cette impermanence mujô rejoint l’idée du flux, selon l’idée bouddhique dérivée de la philosophie indienne que toute chose a un caractère périssable et est vouée à disparaître. « Nothing is softer or more flexible than water, yet nothing can resist it »30 Lao Tzu En comparaison, les japonais ont conscience que la nature, aussi généreuse soit-elle pour des matériaux permettant la construction des maisons traditionnelles, peut aussi être dangereuse et hostile avec des tremblements de terre, des incendies, et les températures extrêmes en été et en hiver. La conscience de la nature comme expliqué précédemment, entraîne une manière de construire l’architecture bien propre aux Japonais : l’éphémère se comprend à la vision de leurs villes en constante évolution et remodelage. L’impermanence d’une habitation et le statut de provisoire qu’elle peut acquérir face à des événements tels que les tremblements de terre est due à l’utilisation du matériau bois (ainsi que la paille de riz), conférant une impression de légèreté, de fragilité. Ces systèmes constructifs découlant de la souplesse du matériau bois ne confèrent pas à la maison la rigidité et la solidité d’une bâtisse en pierre. Cependant, l’éphémère des constructions japonaises dont la « durée de vie » varie entre 20 et 30 ans à l’époque Meiji s’explique par plusieurs aspects de la société, laissant un intervalle temporel correct pour que les forêts repoussent. D’abord, il s’agit d’une réponse logique face à une forte sismicité qui a donc appris au peuple nippon à concevoir des constructions presque temporaires et permettant une « marge de déplacement », un intervalle de flexibilité entre les éléments structurels. Le bois absorbe en effet mieux les secousses chaque jour, selon leur intensité. D’autre part, les Japonais ont conscience de l’usure de ces éléments. Si la maison devait être reconstruite, c’est qu’elle avait fait son temps. Peut-être était-ce là le début d’une approche écologique de la construction, ou la dimension recyclable des matériaux, lorsque les tatami en fin d’âge pouvaient être détruits et compostés ?

Augustin Berque a noté une réflexion faite dans le prologue du Hôjô-ki (« Notes de ma cabane ») de Kamono-Chômei (1155-1216) « Indéfiniment coule l’eau du fleuve qui va,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 29!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, 30

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Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.19!

Traduction : « Rien n'est plus doux ou plus souple que l'eau, mais rien ne peut y résister »

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et ce n’est plus la même. L’écume flottant où s’alentit le courant se défait ou s’assemble, on ne l’a jamais vue s’arrêter longtemps. Ainsi vont l’homme et ses demeures en ce bas monde. » Cette métaphore est une forte image qui aurait « guidé l’élaboration de la maison japonaise traditionnelle et des comportements qui vont avec elle »31. Il est question dans cette partie de la plasticité de la ville. Berque affirme que « l’idée de temps, au Japon, est peut-être originellement liée à celle de dissolution, de décomposition : « Pour l’étymologiste Ôno Susumu, les anciens Japonais auraient justement pris conscience du temps devant ces phénomènes cycliques de pourrissement et de dissolution, ce que semblerait prouver l’identité des racines de toki (le temps) et de toki/tokeru (se dissoudre) »32 . Les Japonais auraient pris conscience du temps en voyant les phénomènes de la décomposition des êtres vivants après leur mort. »33 Selon lui, la réalité telle qu’elle se donne est naturelle aussi bien que sociale : « L’accepter, c’est accepter la nature et la société comme elles sont. Autrement dit, c’est s’en tenir à son milieu (fûdo). »34 L’impermanence est liée aux termes wabi et sabi (littéralement le dépouillement, la patine). Sans réelle traduction construite, ces termes renvoient à l’état d’esprit empli de simplicité, d’un peuple qui a conscience de la nature austère et du temps dégradant. Il s’agit d’une pauvreté personnelle, loin de la vie mondaine et de l’excès, car « la véritable richesse (est) dans le cœur de l’homme plutôt que dans les choses qu’il possède » 35 affichant une grande humilité et une modeste vie. Cette morale confère tout son sens à l’esthétique japonaise. Le terme sabi renvoit au périssable, aux « choses qui prennent la marque du temps » 36 , comme par exemple les ruines d’une ancienne bâtisse. Mais selon le poète Basho, cet aspect de désolation s’efface pour révéler que l’esthétique japonaise est une esthétique de l’écoulement des choses, consciente du passage du temps, et du « déclin de toute chose »37. Associés à la floraison, wabi et sabi suggèrent la décomposition des éléments qu’engendre le temps qui passe. La patine qui apparaît sur un objet n’est pas dérangeante car elle évoque son vieillissement naturel que le Japonais accepte et trouve beau. Les imperfections d’un travail artisanal ont alors plus de sens que la perfection apparente d’un objet produit à la chaine. Ces termes expliquent davantage la spiritualité japonaise qui ne tiendra pas compte du fait qu’un matériau tel que le bois soit moins pérenne que la pierre, car si le bois doit pourrir, il s’agit du processus naturel. En outre, « Le wabi fait référence à la plénitude et la modestie que l'on peut éprouver face aux phénomènes naturels, et le sabi, la sensation face aux choses dans lesquelles on peut déceler le travail du temps ou des hommes. »38

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 31!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.18! 32!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.17! 33!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.19! 34!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.20! 35!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.523! 36!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.524! 37!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.524! 38!GIORGI!Gianfranco, Les Bonsaï, Solar, 2005, p.14 !

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Une étude réalisée par Jacques Magaud et Sugita Kurumi 39 montre l’opposition entre Orient et Occident, lorsque pour l’un, un capital est fixe, pour l’autre il le sera beaucoup moins. Leur comparaison s’appuie sur l’exemple de deux usines française et japonaise, produisant des téléviseurs en utilisant les mêmes machines. Alors que les japonais se servent de machines en location-vente, les français les achetaient. De même, les japonais se servent de chaînes de fabrication posées sur le sol alors que les français les fondent dans le béton. Nous assistons donc à une opposition entre le provisoire japonais et le définitif français. On pourrait donc parler d’une « culture du flux » opposable à notre « culture du stock ».40

Parler du lien étroit entre la société japonaise et la nature n’est pas anodin : ce grand respect vis-à-vis de la terre, l’acceptation du climat, la prise en compte des contraintes sismiques entraînent une conscience des matériaux certaine et une manière de concevoir l’habitat non pas comme un simple objet matériel informe, mais plutôt comme l’abri plein de sens où chaque espace, chaque module de vie a son importance, son degré de privacité, son degré de propreté.

B) De la ville à la parcelle, de la rue à la maison

En japonais, la maison est désignée par le terme minka, qui signifie littéralement « maison du peuple ». Ce terme regroupe les noka soit « maisons de campagne » et machiya « maison de ville ». L’étude que nous faisons ici se basera essentiellement sur les machiya, soit maisons de marchands (« maison de ville »). Elles constituaient la majeure partie des bâtiments des villes avant la seconde guerre mondiale. Le terme se décompose en machi (ville) et ya (bâtiment avec un toit) ou ie (maison)41 donc l’habitat urbain, de l’artisanat et du commerce. Les principes constructifs qui seront étudiés s’appliquent à toutes les minka donc également aux noka. Contrairement aux noka, les machiya disposent souvent d’un jardin ou d’une cour intérieure selon l’espace parcellaire disponible, ainsi qu’un second étage qui servait de stock pour ces habitations de ville à vocation commerçante. La machiya est donc conçue tenant compte de ce climat bien particulier, mais pas que… Si durant l’été, l’air qui traverse la bâtisse par les fins panneaux délimitant les pièces est agréable, en hiver, la finesse et le manque d’inertie de ces cloisonnements laisse pénétrer le froid, si bien que la température de l’espace intérieur ne diffère pas de l’extérieur (ou très peu). Cette acceptation du climat découle du savoir-vivre et des coutumes japonaises, et nous constatons alors le lien étroit qui existe entre la spiritualité du peuple nippon et les techniques et systèmes constructifs qui constituent son environnement domestique qu’est la maison, habitat vernaculaire.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 39!Exposé oral fait au club C.R.I.N Japon du C.N.R.S 1989 Anthropologie et société, 1990, p.45-50! 40!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.21! 41!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.302! !

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Nous pourrions comprendre l’approche de la modularité aux diverses échelles comme s’il s’agissait de l’étude d’une poupée gigogne : de la grande poupée découle la moyenne puis la petite, donc de l’urbain de la ville, découle le parcellaire modulé, dont découlent les machiya et autres architectures remarquables des villes japonaises. La maison traditionnelle japonaise est en fait un petit module parmi tant d’autres.

a- Modularité urbaine Si l’on prend l’exemple de la ville de Kyoto, le plan urbain laisse voir un schéma récurrent de parcelles en enfilade issu d’un découpage urbain favorisant les parcelles étroites en largeur et longues en profondeur. La maison qui était alors construite voyait ses dimensions varier en fonction de la richesse et du rang social du propriétaire qui possédait soit une ou plusieurs parcelles. Par logique, les personnes aux moyens conséquents possédaient une ou plusieurs parcelles tandis que le peuple n’héritait alors que d’une demie parcelle voire d’un quart. Malgré tout, les mêmes principes d’organisation intérieure étaient appliqués aux édifices, que nous évoquerons dans les pages suivantes. Plusieurs échelles de comparaison en terme de modularité sont possibles : d’abord à l’échelle de la ville, (si l’on prend par exemple la ville de Kyoto et son parcellaire laminé, ponctué d’habitations et de constructions) puis à l’échelle de la maison machiya qui se présente comme un assemblage de pièces partant de la rue au jardin privé/patio en fond de parcelle, enfin à l’échelle des éléments constituant chaque pièce. Au sens urbain, le quartier serait une entité de la ville, un module constitutif de l’ensemble car chaque lieu présenterait un alignement des façades le long de la rue le caractérisant communément appelé machinami, qu’il s’agisse d’une ville centrée sur un château, un quartier marchand, un quartier de temples…

Fig. 6 : Les machiya à l'ouest du Pont Sanjô (Sanjô Ôhashi) à la fin du 18e siècle

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Cette modularité urbaine est compréhensible en plan car le parcellaire est régi par des mesures fixées et donc des modules de régulation spatiale. La mesure du chô notamment est importante car c’est « la matrice de l’organisation spatiale japonaise » 42 . C’est à la fois la représentation des unités de mesure et des unités administratives. Signifiant la longueur, la surface, l’agraire, l’urbain, le chô est indispensable à la conception de l’espace japonais, constituant un repère significatif, on le comprend comme le « pâté de maison », donc un module divisant la spatialité urbaine. Au fil du temps, il se lira machi. On distingue les deux systèmes la capitale. Ils sont très similaires, et laminée. Néanmoins le jôbô-sei est basé sur la devient « une juxtaposition de quartiers base unitaire le chô.

de planification jôri-sei agraire et jôbô-sei urbain de se basent sur les principes de division parcellaire forme du carré venant de la Chine. Le parcellaire clos », basé sur les axes de circulation avec comme

« Chaque section est découpée en lanière par 9 avenues de direction est-ouest, nommées jô , comprenant chacune 4 arrondissements, bô , carrés d’environ 528 mètres de côté. Chaque arrondissement contient 16 quartiers, tsubo ou chô, de 1,4 hectares, carrés d’environ 120 mètres de côté, subdivisés à leur tour en 32 parcelles (henushi ). C’est le système des chô de quatre lignes et huit portes. À Heian-kyô, les chô sont clos. Ils participent au dispositif de contrôle urbain et à l’établissement des titres de propriété »43

Fig. 7 : Système urbain de division du sol en jô-bô, jobô-sei

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 42!MARMIGNON Patricia, Mésologiques,

études des milieux, 03/07/2012, Disponible sur http://ecoumene.blogspot.fr/2012/07/espace-japonais-le-quartier-p-marmignon.html! 43!FIÉVÉ Nicolas, Atlas historique de Kyôto. Analyse spatiale des systèmes de mémoire d’une ville, de son architecture et de ses paysages urbains, Paris, Éditions de l’UNESCO/Éditions de l’Amateur, 2008

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b- De la rue à la machiya La machiya signifie littéralement maison de ville : machi ( 町 ) signifiant « ville » ya (家) « maison » ou « boutique ». L’origine de la machiya remonte à la période Heïan (794-1185) et évolua jusqu’à forme déterminée durant la période d’Edo (1603-1868). Aujourd’hui, presque toutes machiya observées furent construites au début du XXe siècle, et certaines ont donc plus cent ans, ce qui est rare pour des constructions en bois soumises au climat du Japon. 45 machiya de l’ère d’Edo constituera notre objet d’analyse principal. (A noter : Dans ce mémoire de recherche, nous nous baserons essentiellement sur l’étude l’étage inférieur des machiya)

et sa les de La de

De 794 à 1185, la période Heian (pendant laquelle la nouvelle capitale était l’actuelle Kyoto), présente des maisons particulières, qui se disposaient en périphérie des blocs, eux mêmes divisés en 32 parties avec, au centre, un espace dédié au jardin, comportant le puits dont l’usage était commun. Cette typologie montrait déjà une façade sur rue compacte sans espace entre chaque habitat modeste. Les petits se composaient d’une pièce de terre battue (entrée et cuisine) et d’une autre recouverte de nattes pour vivre la journée et dormir.46 Après la période Heian, la machiya d’Edo (1603 à 1668) présente une habitation plus en longueur qui occupe presque toute la surface de la parcelle. Il s’agit de l’avènement du style omoteya, caractérisé alors par une façade étroite sur la rue, et des espaces de vie en enfilade sur deux étages. Les maisons ne partagent alors plus leur jardin et acquièrent une autonomie, avec chacune leur jardin personnel.

Fig. 11 : Parcellaire modulé, laminé et étroit, vue des volumes en longueur des machiya

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 45!Machiya, maison traditionnelle japonaise, http://www.japonsanssushi.com/machiya-maison-traditionnelle-japonaise/, 05/2010! 46!Click Japan, Histoire de l’architecture II, Disponible sur http://www.clickjapan.org/Architecture/Architecture_suite.htm! !

26


Pour ce mur d’une épaisseur de 9 à 15cm, on distingue trois couches de remplissage48. Le torchis est alors coulé (couche d’environ 5cm d’épaisseur) et s’accroche sur le treillis de bambou. Ce torchis est fait de matériaux grossiers : gros gravier non tamisé, paille de riz, terre. Par dessus cette couche est placé un torchis de sable tamisé, de paille fine et de terre. La dernière couche est un mortier fin agissant comme un enduit protecteur, laissant en évidence la structure porteuse. Un revêtement de plaquage en bois peut aussi se fixer en partie extérieure.

Fig. 13 : Vues de face, en plan et en coupe de la structure d’un mur en torchis tsuchikabe

Par ailleurs, il y a une forte relation entre l’espace public de la rue, et l’espace privé de la machiya : elles sont mises en relation directe, par l’absence de clôture et l’entrée donne donc directement sur la rue, tout comme l’espace de commerce en devanture de la maison. Les machiya ont un rapport direct à la rue car leurs façades donnent directement sur celle-ci. Leur vocation commerciale est combinée à l’habitat et l’interaction entre le module public qu’est la rue et le module privé qu’est la maison se fait par la devanture servant de magasin. Le commerçant ouvrira son panneau à claire-voie pour échanger avec ses clients, permettant à ceux-ci d’entrer dans l’espace de vente. Cette ouverture du lieu dédié au commerce à l’extérieur est donc la première interaction du public avec le privé.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 48Click Japan, Mur et fenêtre, Disponible sur http://www.clickjapan.org/Architecture/mur-fenetre-japonaises.htm

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Ce sont donc deux espaces à vocations différentes qui sont en « face à face » : « uchi » (l’intérieur) et « soto » (l’extérieur).

« Il faut souligner qu’il n’y a pas d’intérieur sans extérieur – pas de uchi sans soto -, que l’un ne se définit que par rapport à l’autre, comme autant de dichotomies des valeurs qu’ils supportent ou qu’ils produisent : chaleur et froidure, ombre et lumière, familiarité et étrangeté, etc. ; si l’un des deux se transforme, alors l’autre aussi. »49 Par l’étude du terme « ie » utilisé pour déterminer la maison, Jacques Pezeu-Massabuau aboutit au sens de la demeure comme lien de l’humain avec le monde. Watsuji Tetsuro disait : « Ordinairement, le japonais comprend ie (la maison) en tant que l’intérieur uchi. Le monde au dehors de la maison est l’extérieur soto. Dans cet intérieur, la séparation inter-individuelle disparaît. » Une autre interprétation du dialogue entre uchi et soto est liée au climat, engendrant une distinction de plusieurs plans horizontaux. Le Japon présente des singularités climatiques, avec des latitudes moyennes entre 27 et 45°30’N, offrant des hivers froids avec possibilité de neiges, des étés chauds et pluvieux, un climat alors variable avec des saisons marquées, une confrontation entre le pôle et les tropiques, sans compter une sensibilité connue aux séismes. L’architecture traditionnelle japonaise s’inspire alors du sud-est asiatique et est rehaussée sur pilotis. Cette technique leur est favorable pour la circulation de l’air en contrebas, qui permet de réguler les problèmes de chaleur en été et surtout d’empêcher l’ascension de l’humidité. Il s’agit également d’une première distinction entre le sol (celui constitué de terre, dans l’espace appelé doma) considéré comme souillé, sale et espace encore « public » et l’espace réellement domestique, l’intérieur de la maison, dans lequel l’homme évolue pieds nus sur les tatami, d’espaces en espaces, d’enfilade en enfilade.

Nous assistons alors à une transition entre l’espace extérieur en contrebas, en japonais « soto » et l’espace intérieur « uchi », surélevé. Il est alors possible d’interpréter cette césure comme l’introduction de la maison marchande « machiya » comme l’un des modules domestiques privés dont est constituée la ville. La machiya équivaut à un module dans l’espace urbain. Chacune est différente de sa voisine, mais qu’elles s’équivalent dans le principe.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 49!BONNIN Philippe, Dispositifs et rituels !

du seuil, Communications, 2000, Volume 70, Numéro 1, p.82!

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II)

La succession des espaces de la machiya : développement des espaces vers le fond

Les espaces intérieurs de la maison comme les espaces extérieurs du jardin sont fragmentés. Ils sont définis selon une progression en trois parties : l’ouverture, le développement, et la finalité, soit jo-ha-kyû. Le module jo représente la position première, c’est à dire l’espace d’introduction à l’intérieur, qui ne le dévoile pas entièrement, ici par exemple, l’espace du doma à l’entrée de la machiya, qui permet une transition entre l’extérieur et l’intérieur. Le second module ha renvoie à la notion de destruction, de déchirement du monde, correspondant entre autres à « l’espace médian ». Il signifie littéralement « briser, émietter, étaler », et renverrait au développement, si l’on doit le raccorder au domaine de l’architecture, dans l’optique de rompre pour mieux créer, casser pour mieux recommencer. Le dernier terme kyû réfère à la « rapidité, la précipitation, le paroxysme », correspondant à une accélération, un rythme rapide. En ce qui concerne l’architecture, il s’agit du mouvement progressif qui conduit au fond de l’espace architectural, donc cela correspond bien à l’idée de transition vers une finalité cachée par les dispositifs structurels clôturant ce que nous qualifions communément de pièces, par ces parois de papier translucide (shoji) et plus opaques (fusuma).50

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 50!- MELAY Alexandre, Architecture et temps

au Japon, Lulu.com, Disponible sur https://books.google.fr/books/about/ARCHITECTURE_ET_TEMPS_AU_JAPON.html?id=1ZYGCwAAQBAJ&redir_esc=y, p.81

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Fig. 14 : Plan type et axonométrie d’une machiya de Kyoto


A) Le parcours progressif dans l’espace domestique

L’organisation des espaces à l’intérieur de la machiya peut être comprise comme une modulation des espaces et de la circulation. Il n’y a pas de réelle division interne physique au sens où nous l’entendons avec de lourds murs faisant barrière entre une pièce et une autre. Les espaces sont répartis par des panneaux si légers qu’ils ne permettent pas l’intimité au sein de la maison et la machiya pourrait donc être considérée comme une seule et grande pièce. « Dans la maison traditionnelle japonaise, la possibilité matérielle et le besoin mental d’isoler véritablement une chambre n’existent pas. Ce trait renvoie à la faible définition de l’individu. »51

a- Ma, l’intervalle entre deux choses Nous comprendrons la machiya comme une succession de modules d’un même espace, une succession de pièces mais pas au sens où nous l’entendons (à savoir des espaces séparés par d’épais murs dans nos bâtisses de béton et de pierre). Les espaces de la maison japonaise ne permettant pas d’intimité de par la finesse des panneaux, le bruit traverse les parois. Ces modules sont déterminés par une séparation physique par les panneaux et nous parlerons ici de la notion du ma, définit comme « le soleil se montrant dans l’entrebâillement d’une porte à deux battants. »52 Le ma correspondrait donc à l’intervalle entre deux éléments. Augustin Berque cite l’ouvrage de Kenmochi Takehiko, Le ma, « Kenmochi finit par voir du ma spécifiquement nippon dans tous les intervalles, interstices, entre-deux, etc., concrets ou abstraits, que recèle le monde japonais (…) »53 Ce terme correspond à l’intervalle regroupant les notions inséparables de l’espace et du temps. Sur le point spatial, « relevons encore que l’architecture de bois du Japon laisse un certain jeu (un ma) entre les pièces pour parer aux tremblements de terre, que les Japonais utilisent beaucoup de formules de politesse (des ma), qu’ils ne s’embrassent et ne se touchent pas en public (laissant un ma entre eux) » 54 . C’est l’entre-deux de deux pièces et donc la limite entre deux éléments (nous pourrions par exemple faire une allusion aux fusuma, panneaux faisant office de cloisons).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 51!BERQUE Augustin (sous la direction

de), La maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1994, p.86! 52!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.295! 53!BERQUE Augustin (sous la direction de), La maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1994, p.33! 54!BERQUE Augustin (sous la direction de), La maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1994, p.33!

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Le terme de ma est d’autant plus spatial qu’il est retrouvé dans l’appellation des pièces successives : mise-no-ma (pièce de commerce), naka-no-ma (pièce centrale, familiale), okuno-ma (pièce du fond, de réception), mais aussi des surfaces tels que le doma (espace de terre battue) ou encore l’itanoma (espace planchéié). Le « ma » est ici la notion d’espace et aide à la désignation du sol japonais comme tripartite. D’après Philippe Bonnin, le terme a un lien étroit avec la matière (do : la terre ; ita : la planche de bois ; tatami : natte de paille et de jonc).

Sur le point temporel, le ma est saccadé, et présente une promenade dans l’architecture. Lorsque l’on parcourt l’édifice et qu’on traverse les pièces, le ma présent dans toute chose s’identifie aux rythmes, au fait de faire une pause et faire coulisser le shoji pour accéder à la pièce suivante, ou encore l’action de déplacer un meuble pour redéfinir un lieu. La succession de plans verticaux entraîne une complexité du plan. Dans l’organisation technique de l’espace, Berque explique que les seuils correspondent à une fonction de liminalité. L’aspect cellulaire de la spatialité japonaise explique donc l’importance portée aux seuils : chaque cellule existerait donc pour elle-même.55 Ainsi, le ma est à la fois un seuil qui sépare et un lien qui rassemble.

b- Oku, le fond

« De la complexité naît la profondeur de l’espace » Augustin Berque56

Le terme d’oku se réfère à la profondeur, le fond. Ainsi, d’après le dictionnaire kokugo jiten, sur le plan architectural, il réfère à l’espace le plus éloigné de l’entrée. Il symbolise ce qui est loin de l’entrée (vers l’intérieur), en profondeur de la parcelle, caché et au point le plus privé. Augustin Berque rajoute : « Les procédés architectoniques associés à la notion d’oku engendrent de l’espace : en créant de la profondeur, ils procurent une sensation d’ampleur là même où, au plan de l’étendue brute, l’espace est peu abondant. »57 D’ailleurs le terme wabi évoqué précédemment désignait en grande partie la cérémonie du thé et la poésie, « exprimant un goût de la solitude tranquille, loin des soucis du monde » 58 , référable à la notion d’oku, menant la personne à parcourir l’architecture en recherche de l’espace le plus éloigné de la rue, donc le plus paisible. La notion de l’oku est aussi fortement liée à celle du ma. En effet, cette profondeur n’est ressentie que par le rythme instauré par les intervalles de ma dont nous avons parlé dans la partie précédente.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 55!BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.104! 56!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.373! 57!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.373! 58!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.523! !

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Fig. 15 : La notion d’oku comme profondeur de l’espace, créant un parcours et une enfilade de pièces

L’oku s’apparente alors à l’idée du parcours, une traversée de l’espace extérieur vers le point le plus éloigné et privé. Cette conception du terme désigne par ailleurs les deux termes omote (la partie visible) et ura (la partie cachée), complémentaires. Dans ce sens, l’espace est modulé, la maison se parcourant alors comme une suite progressive d’espaces architecturaux, en enfilade les uns après les autres, comme si chaque pièce était une entité à part entière, un module de la machiya à l’échelle de l’organisation. La pièce serait donc considérée comme module de l’oku. Le cheminement entraîné par cette notion d’oku a une spiritualité particulière qui se retrouve aussi dans la nature et à l’échelle du territoire. Accéder aux lieux sacrés ou importants est souvent compliqué, « un temple, dans la profondeur d’une vallée, ne pourra être trouvé qu’après un long et ardu chemin » 59 . Le parcours devient aussi important que l’objet de la finalité. Interpréter l’oku revient alors à savoir pressentir, deviner, appréhender ce qui est au delà de ce que nous apercevons. Un bel exemple de ce parcours qui confère la profondeur de l’oku est le temple Fushimi Inari-taisha près de Kyoto, dédié au kami des céréales Inari. Si ce bâtiment religieux est reconnu, c’est le cheminement qui le précède qui stupéfie de sa splendeur : des milliers de torii vermillon rythment le parcours de plusieurs kilomètres et traversent la forêt, et cet oku transforme l’état d’esprit du visiteur avant qu’il n’arrive au temple, objet de la finalité.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 59!SHIBARI Yoroi, Définition de l’oku, Disponible !

sur http://yoroishibari.net/2012/08/20/oku/!

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c- En, la bordure et lien Voulant dire marge, bordure, transition, l’en correspond à la coexistence des éléments : « L’en symbolise la corrélation entre espace physique, espace social et espace mental qui caractérise la spatialité d’une société »60. Influencé par le bouddhisme chinois, le Japon accorde plus d’importance à la relation plutôt qu’à la substance. Le terme emprunté au mandarin peut être décomposé comme « fil » et « bordure pendante d’un tissu »61 soit le lien et la bordure, limite. L’en allie deux sens : d’abord concret et architectural de la bordure matérielle et physique, puis la relation, symbolisant et régulant le rapport entre l’intérieur et l’extérieur, le public et le privé. Il est par exemple possible d’entrer par la maison en y passant, ou de s’y asseoir tandis que l’habitant sera sur l’espace surélevé couvert de tatami, prouvant un degré de privacité différent. L’espace de l’engawa en est le synonyme, l’équivalent construit de la véranda. Il regroupe les trois notions de ma, d’oku et d’en : on y est ni dedans ni dehors mais aussi dedans et dehors 62 , témoignant bien de son statut d’espace d’entre deux, marquant un ma, une pause, une étape dans le parcours (oku), un espace tampon, intermédiaire, transitoire.

Fig. 17 : L’engawa comme espace d’entre deux, avec une différence de niveau de 50-60cm, permettant la transition entre public et privé

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 60!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.118! 61!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.117! 62!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.119! !

SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014,

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Fig. 18 : L’engawa comme espace d’entre deux, avec une différence de niveau de 50-60cm, permettant la transition entre public et privé

Malgré sa grande organisation selon des modules, l’architecture de la machiya ne suit clairement pas le principe de la symétrie auquel la modularité est souvent associée. Cette particularité renvoi aux termes wabi-sabi évoqués précédemment. A la planification selon un axe déterminé, on préfèrera au Japon l’imperfection d’un plan dissymétrique et qu’on qualifiera de déséquilibré (car réparti de part et d’autre de manière différente).

Si l’on observe la machiya, l’évolution des fonctions et des usages qu’on fait des pièces de la maison tout au long de la journée correspondrait au terme du ba, signifiant le lieu, la scène. Il s’agit peut-être là du terme qui aide à comprendre l’idée de la succession, l’enfilade de pièces les unes après les autres, les fonctions les unes après les autres. Ce lieu où il se passe quelque chose évolue comme une scène dans une pièce de théâtre, un mouvement dans l’espace temps : « Le ba n’est pas seulement spatial mais aussi temporel »63.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 63!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.41! !

SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014,

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L’origine du terme désigne l’association d’une matière : do, la terre, qui se distingue de ita, la planche de bois et tatami, natte de paille et jonc, déterminant alors un sol japonais tripartite où le ma est ici considéré comme un espace64. D’après la définition qu’en donne la bibliothèque de références de définitions Jaanus, le doma, est la partie d’un bâtiment dont le sol est toujours composé de terre battue, ou d’enduit de boue. Kon Wajiro (1888-1973) indique dans son inventaire analytique des maisons populaires Nihon no minka (La maison populaire au Japon) la structure des maisons « en deux espaces génériques : l’espace planchéié, surélevé, et celui de terre battue, doma »65. Il correspond généralement à l’espace d’entrée (appelé oodoguchi, l’entrée principale) des maisons traditionnelles minka auquel se rajoute l’espace de cuisine kamado dans sa continuité, ainsi que les espaces d’eau (comprenant donc les toilettes et la salle de bain s’il y en avait). Il est abrité par le large toit (yane) et est le seul espace où la structure du toit est visible, souvent avec une hauteur sous plafond plus grande que le reste de la maison qui comporte des faux plafonds.

Le terme de doma est utilisé en contraste avec le sol en bois surélevé (takayuka) et est donc considéré comme une zone « sans sol ». Il s’agit d’un espace « extérieur » à la maison mais situé en son fort, dans le sens où l’on se trouve au même niveau que le sol extérieur. Dans la continuité de l’espace de la rue, le doma est donc le lieu des choses salissantes de la maison, où l’on évolue toujours chaussé. L’espace du doma correspondant spécifiquement à l’entrée est le genkan. Ce seuil de la maison correspond au vestibule pour se déchausser, précédant l’espace de l’habitation ou l’édifice religieux66. Se déchausser correspond à un rituel d’entrée de l’espace domestique japonais, et signifie une rupture (kekkai) entre le monde profane extérieur et sacré intérieur. Ce rituel d’entrée de la maison témoigne que les deux espaces dans lesquels on circule n’ont pas le même statut : en changeant de chaussures et en gravissant la marche qui surélève la machiya du sol, on passe du public au privé, du sale au propre, du profane au sacré, d’un module à un autre, menant à « la notion philosophique de passage ». Cette interprétation transmise de génération en génération au Japon n’est pas du tout la même en Occident, où franchir la marche d’accès à une terrasse n’équivaut au final qu’à l’accès à un autre espace. Au Japon, il s’agit de la notion de seuil et de ma (l’intervalle entre deux choses) traduisant le passage de l’entrée de terre battue, genkan, au plancher de bois, l’itanoma. L’espace est modulé verticalement par l’interaction de deux plans horizontaux, et d’une différence de niveau.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 64!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité p.109! 65!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité p.109! 66!- MELAY Alexandre, Architecture et temps au Japon, Lulu.com, Disponible sur

japonaise, CNRS Editions, 2014, japonaise, CNRS Editions, 2014,

https://books.google.fr/books/about/ARCHITECTURE_ET_TEMPS_AU_JAPON.html?id=1ZYGCwAAQBAJ&redir_esc=y, p.80

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Le premier ressenti d’une modulation de l’espace se fait donc ici, avec la transition entre deux lieux dont les statuts diffèrent. Suivre le rituel d’entrée de la maison marque psychologiquement, mentalement, philosophiquement cette rupture progressive : l’habitant ou le visiteur se déchausse avant de monter la marche surélevant la maison, comme s’il franchissait à l’intérieur une seconde porte d’entrée invisible.

La hauteur sous plafond de l’espace du doma où se trouve la cuisine daidokoro est impressionnante et la charpente visible marque d’autant plus la présence du toit. Ce vide est en fait nécessaire à l’aération de la maison. Elle n’a aucune cheminée et la fumée resterait donc dans l’espace domestique si elle ne pouvait pas s’évacuer en hauteur. Cela permet également la circulation de l’air pendant les étés très chauds et humides. Cet espace témoigne qu’à la modulation horizontale s’ajoute une modulation verticale. Le doma est un lieu important, comme une première étape de l’expérience de l’espace, première étape aussi hiérarchiquement car les « visiteurs » ne peuvent pas aller au delà s’ils ne sont pas invités par le maître de maison à entrer. Cette structure ancrée dans les traditions évoque une « relation hiérarchique entre ces espaces, du plus laborieux et public au plus intime et privé, du plus rustre au plus raffiné. A telle enseigne qu’à chacune de ces surfaces correspondent des attitudes et des postures, des gestes et d’activités, des parlers auxquels on se plie et s’adapte »67. « Although doma are no longer found in contemporary housing, the stone or concrete surfaces of genkan (entrance vestibules) in Japanese homes are their remnants. »68 Nous observons encore aujourd’hui que cette répartition suivant trois sols est présente et rythme l’habitat dont les matériaux varient « de carrelages de couleur terre, à parquets synthétiques, plaques de plastique imitant des galets et parfois quelques tatami69.

C) Comprendre la machiya comme l’assemblage de modules spatiaux L’architecture japonaise est qualifiée de « dramatique » par Alexandre Melay, en lien avec l’espace et le temps, dans le sens où elle est régie par le « concept de modulation, de mouvement, de rythme et de progression (jo ha kyû) influencé par la rhétorique du théâtre du nô et théorisé par le dramaturge Zeami (1363-1443) »70 Pour comprendre la structuration de l’espace de la maison, il faut savoir l’interpréter comme un espace architectural de dramaturgie, « en raison du lien existant entre espace et temps (…) fondamentalement axée sur la dimension temporelle et sur la relativité du spectateur, qui déambule et expérimente avec son corps les dimensions spatiales ».

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 67!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.111! 68!RONALD Richard, ALEXY Alison, Home and Family in Japan : Continuity and Transformation, Chapitre 9 : Homes and Houses, senses and spaces, Routledge, 2011! 69!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.111! 70!- MELAY Alexandre, Architecture et temps au Japon, Lulu.com, Disponible sur https://books.google.fr/books/about/ARCHITECTURE_ET_TEMPS_AU_JAPON.html?id=1ZYGCwAAQBAJ&redir_esc=y, p.80

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La maison est répartie selon plusieurs espaces comme des modules d’ensemble. D’abord en rapport avec la rue se trouve le mise-no-ma, soit l’espace de vente du marchand propriétaire de la machiya. Faisant suite à cet espace de devanture, se trouve le kyoshitsubu soit l’espace de vie, sur un plancher réhaussé par rapport au sol brut. Dans sa continuité se trouve le tsuboniwa, le jardin intérieur de la maison, qui donne en fond de parcelle sur le kura, la remise-stock où le marchand garde précieusement ses biens. En bordure de ces espaces en enfilade se trouve le doma, le sol de terre-battue qui est en contrebas du kyoshitsubu et dessert les espaces depuis l’entrée jusqu’au tsuboniwa.

Fig. 20 : Répartition de la machiya en modules d’espaces s’insérant dans une structure

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Le mise-no-ma est l’espace réservé aux activités économiques de la machiya, là où se font les transactions, les activités artisanales ou encore les enseignements. C’est un espace à statut public et privé, à la fois en rapport direct avec la rue par l’ouverture de la façade et privé car espace de la maison. Les dimensions de la pièce sont petites car les marchands n’avaient pas besoin d’un très grand espace de vente pour leurs marchandises car celles-ci étaient stockées dans le hanare, où on allait les récupérer pour le client. La pièce faisant suite au magasin mise est dédiée aux repas et à l’accueil de visiteurs, pour des usages formels et la réception d’invités. Le naka-no-ma est la salle intermédiaire, où se trouve l’escalier menant à l’étage, à l’origine une simple échelle, en dessous duquel se trouvent placards et tiroirs. Il s’agit de la pièce centrale qui est munie d’un irori, système de chauffage posé à même le sol, foyer central de la pièce71. L’étage était généralement séparé en quatre ou six par des shoji, servant alors d’espace de nuit pour dormir. La pièce en lien avec le jardin succédant à au naka-no-ma est l’oku-no-ma ou zashiki, la pièce à vivre de la famille, littéralement pièce du fond. De jour s’y tenait la cérémonie du thé, tradition toujours actuelle, mais servait aussi occasionnellement de chambre. Cette pièce est munie du tokonoma, alcôve dont le plancher de la taille d’un tatami est surélevé. On y dispose des objets tels que des calligraphies, des plantes (ikebana ou bonzaï), des statuettes (okimono). Cet autel est comme un module dans la pièce et par son rehaussement, son statut est visible et compréhensible de premier abord. Le rituel de la cérémonie du thé qui s’y déroulait correspond à la prise de possession de l’espace pour un temps donné de la journée. Cette pratique d’une grande importance mène donc à la transformation de la pièce pour un temps déterminé et montre que l’intérieur de la machiya est propice aux variations.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 71!Click Japan, Maison traditionnelle japonaise, traditionnelle-japonaise.htm! !

Disponible sur http://www.clickjapan.org/Architecture/maison-

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L’oku-no-ma donne en fond de parcelle sur le tsubo niwa, le jardin clos. Il s’agit du jardin qui dépend de la maison, entouré de murs. Ce n’est pas qu’un jardin intérieur : il est le module arrière de la machiya. Niwa veut dire jardin, et tsubo, mesure moyenne traditionnelle de la surface du jardin (3,3m2). Si le tsuboniwa n’a pas de mesure fixe, il compose un module indispensable de la machiya. Apportant lumière et air aux pièces auxquelles il se rattache, il constitue le lien direct unique à la nature. Cette liaison est faite par la présence d’un engawa, faisant office d’espace d’entredeux. Il est l’équivalent de la véranda, mais sa dimension spirituelle est liée au ma. Les contours dessinés par cet engawa et par le noki (auvent) qui le surplombe rendent cette cour verte naturelle de la maison paraît presque surréaliste. Cet espace fait le lien avec le doma, et correspond à l’endroit où se trouvait le puits, et donc est associé aux tâches domestiques. L’engawa évoqué faisant transition entre l’oku-no-ma et le tsubo niwa est d’autant plus remarquable comme module spatial car le sol n’y est plus recouvert de tatami et laisse à la vue le plancher de bois qui entoure la végétation. Cette véranda est aussi la transition entre le doma et le takayuka, espace planchéié surélevé. L’engawa est donc le premier module physique à « enjamber » pour passer de l’espace en contrebas à l’espace en hauteur. Il est aussi l’entre-deux qui fait à la fois transition et barrière. Le doma est l’espace en contrebas du plancher surélevé. A l’autre bout de l’oku-no-ma se trouve le daidokoro, l’espace de cuisine, à même le sol dans la continuité du doma, donc séparé des autres parties surélevées de la maison. La partition modulaire de l’espace domestique japonais, est également lié à une distinction particulière entre le maître de maison (absolutisme de pouvoir) et la maîtresse de maison, qui est désignée par le terme okusan, littéralement traduit par personne du fond, d’où sa présence dans l’espace de cuisine : cette position d’infériorité de pouvoir est traduite spatialement dans l’architecture par le placement en fond de parcelle dans l’espace du doma non surélevé.

Le passage de l’espace public de la rue à l’intérieur privé de la maison se fait donc selon une panoplie de principes et dispositifs symboliques, rythmant le parcours de l’habitant et aussi celui du visiteur si ce dernier a été invité à entrer chez l’hôte.

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III)

Une structure modulée

L’espace de la maison japonaise n’est pas figé. Nous le comprenons bien lorsque nous nous apercevons qu’il font l’usage de panneaux à remplissages fins plutôt que de constructions de murs, soit la préférence du léger et du mouvement contrairement au lourd et au fixe. D’autre part, il faut comprendre l’espace domestique comme un lieu composé d’ « autant de ruptures et de lignes brisées que de carrés alignés, qui contribuent à créer une dynamique » 72 . La succession d’un grand nombre de plans verticaux change la perception de l’espace progressivement car il y a une « perte de repères ». Cette organisation particulière de l’espace domestique nippon entraîne une sensation de mouvement favorisée par cette architecture du parcours, et un parallèle spirituel suivant le concept d’impermanence, de « mutabilité ». La maison traditionnelle japonaise est caractéristique par sa trame : sa construction se fait grâce aux mesures d’entrecolonnement des poteaux et à l’usage de tatami.

A) Le tatami : module physique

De notre point de vue occidental, nous l’associons à un sommier, une partie du sol où on se déchausse ou un tapis pour la pratique d’arts martiaux. Cependant, au Japon, la valeur du tatami est bien autre, la sensibilité qu’il véhicule se rapporte aux souvenirs et aux traditions qu’il transporte. Elément rectangulaire fabriqué de jonc et de paille de riz, le tatami est réglé selon des mesures anthropomorphes : sa longueur équivaut à celle d’un homme allongé, ou de deux personnes assises l’une à côté de l’autre73. Il est l’emblème du sumai, l’habiter japonais. Lorsque Leonard de Vinci développait un système de dimensions pour l’architecture basé sur les mesures du corps humain, les artisans Japonais définissaient les dimensions du tatami de 182x91cm soit 1,6562 m2, considérées alors adéquates pour un Japonais pour dormir74. Il est l’unité de référence soit un jô qui équivaut environ à 180x90cm. Ce module permet de déterminer approximativement les dimensions d’une pièce. « Le tatami est néanmoins plus qu’un objet. C’est un motif spatial prégnant, un marqueur essentiel de la mesure humaine de l’écoumène. D’abord en ce qu’il permet une appréhension immédiate et sensible de la catégorie d’une pièce, qu’on ait ou non, celle-ci sous les yeux : ordinaire, 4 jô et demi (1 jô = 1,65m2 environ) ; confortable, 6 jô ; grande, 8 jô et plus »75 Il n’a jamais été industrialisé ou réellement standardisé, même si dorénavant des machines permettent d’aider les artisans à sa fabrication en atelier.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 72!MELAY Alexandre, Architecture et temps

au Japon, Lulu.com, Disponible sur https://books.google.fr/books/about/ARCHITECTURE_ET_TEMPS_AU_JAPON.html?id=1ZYGCwAAQBAJ&redir_esc=y, p.79 73!BONNIN Philippe, CRUZ-SAITO Mizuki, MASATSUGU Nishida, Le tatami et la spatialité japonaise, Ebisu, 2007, Volume 38, Numéro 1, p.55! 74!MEHTA Geeta, TADA Kimie, Japan Style : Architecture + interiors + design, Tuttle Publishing, 2013, p.10! 75!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.73!

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La maison traditionnelle Japonaise est alors dimensionnée en partie par rapport à ce module qui suggère par exemple que la hauteur des portes fusuma soit de 182cm, puis que la largeur d’un poteau soit d’1/7e ou 1/5e de 90cm. Si l’on doit donc considérer la maison en terme de proportions et d’échelle, elle découlerait des dimensions du corps, comme le soulignent également les recherches de De Vinci. « Jacques Pezeu-Massabuau a montré dans sa thèse à quel point la maison japonaise est ‘’le fruit d’une évolution socialement dirigée’’, et, de ce fait, ‘’une construction standardisée’’. Cette standardisation saute aux yeux de prime abord, car elle se manifeste dans un module sensible : le tatami. Celui-ci s’offre à la vue, mais aussi au toucher (on y marche pieds nus, on s’y assied) et même à l’odorat (le jonc igusa garde longtemps son arôme). » 76 « Les tatami étaient alors des meubles, matelas de paille qu’on apportait et enlevait, pour s’asseoir et dormir (le verbe tatamu, signifie ‘plier’, comme on le fait encore des futons tous les matins avant de les ranger). »77 Il est intéressant de se pencher sur l’étude de ce module, pour sa « traversée du temps », son importance de la période chusei (Moyen-Age 1185-1573) à la période kinsei (moderne 1573-1867) et sa présence qui persévère actuellement dans les pratiques contemporaines du bâtiment, même si aujourd’hui les notions véhiculées sont plus influencées par les concepts modernistes occidentaux. Le tatami est lié à des règles de la civilisation japonaise. Le tatami indique « un fait institutionnel », car traditionnellement, « la bordure du tatami était appropriée au rang social » Pendant la période du Moyen-Age, Ii est symbole de noblesse et d’honneur, et distinguait visuellement la personne la plus importante de la pièce 78 , qui s’en servait pour s’asseoir signifier son statut, tandis que le reste des habitants était assis à même le plancher. « Les contours du tatami divisent l’espace avec netteté. C’est là de toute évidence une forme qui appelle à une éthique, c’est-à-dire à une régulation des conduites. De même dans le paysage d’un jardin à parcours (kaiyû-shiki teien), la netteté des shoji d’un pavillon faitelle sentir que l’esthétique du naturel est soutenue ici par des règles précises. Les lignes strictement orthogonales du tatami et du shoji livrent directement à la perception en l’incarnant dans leur matière, l’armature qui soutient la socialité nippone. »79 Le tatami consistait donc en un objet de mobilier possible à déplacer. Par suite, pendant la période Muromachi (1336-1573) sont utilisation comme un revêtement de sol démocratise son statut. Il a alors été fabriqué dans le but de recouvrir les sols de certaines pièces (style architectural : shoin zukuri) et n’est donc plus déplaçable. Le début de leur utilisation par la bourgeoisie en a entrainé la généralisation pour le système uchinori, ce qui entraina à la suite la standardisation des cloisons coulissantes. Au XVIIIe siècle, sa diffusion deviendra caractéristique de l’habitation japonaise en général.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 76!BERQUE Augustin (sous la direction

de), La maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1994, p.39! 77!BONNIN Philippe, Dispositifs et rituels du seuil, Communications, 2000, Volume 70, Numéro 1, p.83! 78!Cela traduit également une société dont l’espace est l’expression de l’organisation socio-familiale dont les rapports et la hiérarchie entre les individus est très stricte (société patriarcale).! 79!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.76!

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HEIAN 794-1185

MOYEN AGE XII-XVIe siècle

, pour la personne la plus importante - valeur sociale - ponctuel

, recouvre des surfaces complètement (petites pièces) - recouvre seulement le pourtour de certaines pièces

MUROMACHI 1333-1573

, recouvre des surfaces/planchers complètement (belles pièces) - module avec des dimensions - sol/élément de mesure

Cet élément constitue l’unité de mesure de référence des constructions traditionnelles, permettant aux Japonais d’assimiler instantanément les dimensions d’une pièce. Les longueurs de référence de 182 x 91 cm du tatami monosashi ou « module-mesure » leur permettent de concevoir, d’organiser et de comprendre bon nombre de leurs espaces. La taille des pièces dépend du nombre de tatami, et le nombre de mats assemblés peut varier de 3, à 4, 6, 8 voire même 12 tatami en fonction de la richesse et du statut de la famille possédant la maison.

Fig. 28 : Systèmes de modulation d’une pièce par la disposition de tatami

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Par définition, le « module » est une « commune mesure conventionnelle déterminant les dimensions des différentes parties d’une construction »80 Il ne faut cependant pas considérer le tatami comme l’expression de dimensions fixes, il ne s’agit pas de l’idée que transmet la standardisation des logements par la vision rationaliste moderne. Loin de là sont les idées du Neufert vantant les mérites de la normalisation et celle du modulor universel proposé par le Corbusier. Malgré cette semble-t-il rigidité dimensionnelle des éléments standardisés, la notion du ma n’est jamais bien loin, et l’on note toujours quelques irrégularités qui permettent d’émettre l’hypothèse que le tatami ne soit pas un module dans toute son ampleur. C’est à dire que les tatami ne sont pas véritablement identiques les uns les autres, mais sont des modules admettant quelques variations de par la particularité de leur fabrication manuelle, par les maîtres artisans japonais. Ce fait particulier est souligné par les spécialistes du Japon tels que Heinrich Engel, Jacques Pezeu-Massabuau, Augustin Berque, ou Marc Bourdier. Tous ont fait remarquer que le tatami est bien loin d’être un module au sens moderne : « Malgré le progrès des techniques de fabrication, jamais le processus de production des tatami n’a pu être industrialisé correctement. Ici réside une énigme que seuls les fabricants de tatami savent résoudre : bien qu’en apparence de taille identique, jamais un tatami ne peut prendre la place de l’autre »81. Il faut donc souligner une contradiction de base entre un tatami comme unité de base et un tatami variant d’unité à unité. Le tatami est alors un module qui en est un sans réellement l’être car ayant des mesures non-fixées universellement, variant d’une région à une autre. Il est en quelque sorte à considérer comme un outil de la trame et non réellement un module au sens propre du terme. Prenons par exemple l’origami japonais : il s’agit d’une forme d’ensemble dont l’harmonie résulte du pliage d’une entité de papier en plusieurs modules. Ceux-ci peuvent être à la fois réguliers visuellement mais aussi irréguliers et différents, tout en se succédant logiquement. L’idée de l’origami aux faces régulières, visuellement identiques peut être associée à celle du tatami. Ce module physique de l’espace domestique japonais aura toujours des dimensions données en fonction de la région dans laquelle la maison est implantée. Cependant, sa fabrication artisanale rend chaque tatami unique, par d’infimes variations, ne permettant pas de lui conférer entièrement le statut de module comme nous l’entendons (mesures fixes et inchangées, sans variation possible) mais plutôt comme une entité modulante de l’espace japonais. A cette image, le pliage de l’origami fait que chaque pli, même voulu identique au précédent, sera toujours un pli différent.

Même si aujourd’hui il constitue toujours le support de pratiques traditionnelles telles que la cérémonie du thé ou encore la calligraphie, cet objet disparaît des nouveaux foyers à vue d’œil, mais garde une place incontestable dans l’inconscient collectif. Même dans son absence, certaines coutumes nous rappellent son existence : celle de se déchausser avant d’entrer dans l’espace habitable, l’habitude de vivre à même le sol, une géométrie architecturale.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 80!Le Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française, Tome 3, Paris, Dictionnaires Le Robert 1998, p 3632! 81!BONNIN Philippe, CRUZ-SAITO Mizuki, MASATSUGU Nishida, Le tatami et la spatialité japonaise, Ebisu, 2007, Volume 38, Numéro 1, p.63! !

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B) Deux systèmes constructifs : shinshin et uchinori

Après avoir abordé l’aspect subjectif concernant l’interprétation de domestique, il est temps de parler des systèmes constructifs régissant la machiya.

l’espace

D’après Jacques Pezeu-Massabuau 82 , il ne suffirait de jeter qu’un rapide coup d’œil à une maison japonaise traditionnelle pour se rendre compte qu’elle est régie par des standards de construction. Ceux-ci correspondent aux tatami, modules plus ou moins réguliers, les ouvertures, les cloisons coulissantes : peu importe la dimension des pièces de la machiya, elles paraissent être déterminées par la multiplication de ces modules et éléments. Cette impression se révèle justifiée par la mesure de certains systèmes qui régissent la spatialité intérieure : il s’agit de l’association remarquable entre l’assemblage poteaux-poutres « hashira hari » (qui résulte de la construction en bois dite Mokuzo Kenshiku) et le tatami. La maison se distingue généralement du sol naturel par un rehaussement d’une cinquantaine de centimètres, érigée sur les poteaux porteurs de la structure. Ce décollement du sol ne concerne que les pièces nobles ou intimes, telles que les pièces faisant office de salon de thé ou les pièces de nuit, où les habitants ont besoin d’un plancher convenable sur lequel vivre à même le sol, assis ou allongé. Les poteaux structurels de la machiya vont du sol au plafond. Fixés sur des socles en pierre ou ciment, ils sont reliés les uns avec les autres par des poutres de bois formant un cadre.

Nous distinguerons deux configurations types des structures, et toute maison japonaise est forcément régie par l’un ou par l’autre ou pour le cas de la machiya par exemple, par les deux à la fois : -

D’une part le système shinshin : lorsque la mesure des tatami varie et que l’élément invariable est la mesure d’entre-axe des piliers (le tatami devient objet car il s’adapte aux mesures fixées par l’entre-axe),

-

D’autre part le système uchinori : lorsque la mesure d’entre-axe des piliers varie et que l’élément invariable est le tatami (le tatami devient module car sa valeur fixe guide celle de l’entre-axe).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 82!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.438! !

SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014,

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Fig. 29 : Organisation des systèmes shinshin et uchinori, modularité définie par le tatami et l’entrecolonnement

Shinshin VARIE INVARIABLE

Uchinori

tatami entre-axe

entre-axe INVARIABLE tatami VARIE

- Le plan se trace sur une trame carrée

- L’écartement des piliers dépend de la disposition des groupes de tatami, définissant chaque pièce

- Compter le nombre de tatami permet d’en déterminer la superficie

- Ce système permet la fabrication standardisée des tatami / cloisons coulissantes

- Les piliers sont d’abord disposés à des intervalles rigoureusement identiques (en principe 6 shaku = 1,80m) : c’est une modulation rigoureuse environ de la taille d’un tatami

- Les piliers et les éléments horizontaux sont de dimensions constantes et pourront être taillés à l’avance en grande quantité (de même pour les cloisons coulissantes)

- Les calculs montrent qu’il faut prévoir 6 types de tatami différents pour garnir exactement toutes les pièces : ils sont donc propres à chaque construction

!

- La distance entre les piliers varie en fonction du nombre de tatami composant chaque pièce (les dimensions du tatami pouvant varier en fonction de la région)

52


Fig. 30 : Système A – shinshin / Système B – uchinori

Le tatami et l’emplacement des piliers sont déterminants les uns pour les autres, l’emplacement des piliers variant alors plus ou moins en fonction du nombre de tatami par pièce. Certains mémoires écrits par les daiku affirment qu’une standardisation semble établie à Kyoto à partir du XVIe siècle. En ce qui concerne particulièrement la machiya, le système constructif est un mélange du shinshin et de l’uchinori. Le système uchinori est utilisé pour les pièces couvertes de tatami, où il sera le module invariable et aidera à déterminer la mesure de l’entrecolonnement, tandis que nous pouvons considérer l’espace restant du doma régit par le shinshin, car la largeur du sol en terre battue varie de parcelle en parcelle (comme si elle représentait le tatami en tant que module variable). L’historien Ito Teiji souligne que les terrains des machiya ne présentent jamais les dimensions idéales, multiples exactes de ce tatami. Pour pouvoir alors concevoir la maison sur le système organisationnel et donc utiliser les mesures du tatami, les différences sont gérées par la variation de la largeur du toriniwa (ou doma). En effet, cet espace aura des mesures variables sachant que la surface planchéiée surélevée dépend des mesures du tatami auxquelles s’ajoutent celles des poteaux. L’espace de la parcelle est donc totalement utilisé, chaque module spatial est fonctionnel.

!

53


La conception des constructions en bois japonaises sont guidées par quatre types de mesures : sun, shaku, jo, ken. Sun

Shaku

Jo

3cm

30cm

3m

Proche de la taille du pouce

Dimension de 10 sun

Dimension de 10 shaku Un bambou tenu par un homme

La quatrième mesure « ken » est la plus importante. Basé sur le sun et le shaku, c’est un terme sémantique (à plusieurs sens), il est assimilé par Manuel Tardits 83 à la manière selon laquelle était conçue une cathédrale soit en termes de dimensions ou par rapport au nombre de travées : le ken correspond en effet à une mesure de 6,5 shaku (à Kyoto) mais aussi à l’espace entre les axes de deux piliers. Il s’agit de la dimension d’un tatami, d’environ 182cm. La taille d’une pièce est déterminée grâce au nombre de tatami assemblés (182x91cm soit 1,65m2).84 D’après le manuscrit shomei des charpentiers de 1608, la dimension de la section de la colonne était fixée à un dixième de l’espace entre deux colonnes, soit un dixième d’un ken. La surface d’une maison est ensuite définie par le tsubo, soit 6 shaku2 (3,3m2). En ayant recours à ce nouveau langage métrique, les charpentiers daiku ont donc pu conserver une culture spatiale basée sur un système de proportion appelé kiwari. Le système kiwari Les mesures des poutres et piliers furent standardisées selon le système kiwari. Il est le système de proportions et la technique de mesures fondé sur la longueur de l’entre-axe de l’entrecolonnement dans le système shinshin. Littéralement traduit par « stéréotomie du bois », le système kiwari correspond aussi à un « système ou un principe de fixation des proportions et des dimensions des parties dans l’architecture traditionnelle du Japon » d’après la définition qu’en donnent Philippe Bonnin et Nishida Masatsugu 85 : la longueur de l’entrecolonnement (ken = 6,5 shaku) ou la dimension du poteau sont des modules de base permettant de proportionner les éléments de charpente les uns par rapport aux autres. « En commençant par celle des poteaux, puis par le nombre de chevrons (taruki) posés dans l’intervalle des poteaux (hashira), l’épaisseur des poutres (hari), celle des bois de chaînage horizontal cachés (nuki) et les longerons visibles (nageshi) leurs hauteurs respectives, sont fixés par des rapports de proportions la dimension du module »86

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 83!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire p.470! 84!Click Japan, Histoire de l’architecture II, Disponible sur http://www.clickjapan.org/Architecture/Architecture_suite.htm! 85!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire p.257 + Voir Annexe 2! 86!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire p.257! !

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de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014,

de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014,


Le bâtiment apparaît alors comme une entité proportionnée et avec une esthétique d’ensemble qu’on détermine de kiwari fin ou de gros kiwari. Caractériser un bâtiment de fin kiwari revient à dire que « chaque membre de charpente est de faire dimension par rapport à la dimension totale de l’édifice » 87 . Des preuves écrites de ce système modulaire datant de déjà plusieurs siècles (époque médiévale) sont les manuels de modèles de charpenterie répertoriant les membres de la charpente selon le type de bâtiment (ratios et proportions fixées). Ce système conçu en majeure partie pour les édifices d’envergure monumentale a cependant ses limites pour une réalisation plus modeste. Les maitres charpentiers daiku se sont donc en partie affranchis de ces règles pour des réalisations telles la machiya, mais il est tout de même important de le mentionner car ils ont conservé cette notion de la proportion structurelle. Cette technique était auparavant transmise par le discours oral, malgré la transcription et publication de Shomei, « la clarté de la charpente et l’adoption du document comme norme, les processus n’ont jamais conduit à une production en série ou une standardisation »88. Standardisation rime avec production mécanisée voir production à la chaine, ce dont il n’est pas question pour l’architecture traditionnelle japonaise. Les systèmes shinshin et uchinori étudiés dépendent de la main d’œuvre du daiku et de la mesure attribuée au tatami, en fonction de l’entrecolonnement. Chaque maison, même régie par des modules, comporte des mesures propres et reste unique.

Fig. 31 : Exemple de visualisation de la structure hashira bari d’une machiya

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 87!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.257! 88!BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, p.258! !

SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014,

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C) Mur et cloisonnement : une liberté modulaire, un espace évolutif

Même si la parcelle de la machiya est étroite et procure une petite surface de vie, la maison ne semble pas pour autant réduite et évolue en profondeur par la succession et l’ajout de couches fines de panneaux qui définissent des pièces sur le plancher surélevé. Les murs et cloisons de la machiya sont composés de matériaux naturels : les murs extérieurs sont fabriqués à partir de bambou et d’argile ou de pisé, tandis que les cloisons intérieures sont en papier de riz tandis que la structure porteuse est un assemblage de poteaux et poutres en bois. La porte à charnière qui permet la fermeture et l’ouverture des murs, ainsi que le mur comme on le connaît en France n’ont pas lieu d’être, car si l’Occident cherche à se préserver de l’extérieur par des murs épais tandis que les Japonais veulent conserver ce lien à l’extérieur. Seuls les murs périphériques à la machiya sont épais et leur treillis rappelle la structure du béton armé. Cette différence de murs lourds en périphérie et clôture permet d’établir une différence de parcelle à parcelle, tandis que dans l’enceinte de chacune, les cloisonnements fins aboutissent à un espace de la maison sans barrière. Les séparations d’espaces à l’intérieur de la machiya se font grâce à des panneaux de divers aspects. Ils sont tous légers car fins, déplaçables, s’adaptant à l’usage qu’on fait des pièces. Ces panneaux changent de position et d’agencement en fonction des saisons et donc des températures et en fonction de l’usage fait de l’espace de la maison en fonction de l’heure de la journée. D’après le Professeur Uchida 89 , les maisons traditionnelles japonaises sont caractérisées par l’utilisation du bois, la planification tramée (horizontalement et verticalement), et la construction poteaux-poutres. Ainsi, le Japon présente t-il des pratiques constructives utilisant les composés les plus « ouverts » (permettant une ouverture presque totale de l’espace) : le tatami (mat d’environ 90x180cm), le shoji (panneau translucide coulissant), le fusuma (panneau opaque coulissant). Ces modulations commencent avec les panneaux koshi, faisant lien à la rue, puis à l’intérieur se trouvent les shoji, fusuma et byobu.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 89!Professeur Uchida, Tokyo University

: lui et son Laboratoire de recherche architecturale ont étudié les nouveaux systèmes de construction industrialisés mondiaux.!

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Ces panneaux fins ne créent pas une division totale des espaces ou une séparation totale de la rue car ils laissent passer le bruit et n’isolent pas de la même manière qu’un mur de béton par exemple. La machiya se distingue de la nature tout en étant en harmonie avec elle par le passage non pas brutal mais gradué du public au privé, par la succession de couches fines que créent les panneaux, qui modulent l’espace par gradation.

Fig. 38 : Comparaison entre, à gauche la séparation brutale d’un mur, et à droite, l’effet gradué et progressif produit par l’ajout des couches constituées par les panneaux koshi, shoji fusuma et byobu

! b- Un plan libre : ouvrir ou fermer l’espace L’architecture domestique est telle un habitat évolutif, dans le temps mais aussi dans l’espace. La variation d’ouverture des espaces est déterminée par la notion du temps, dépendant d’une part du climat en fonction des saisons, et d’autre part de l’usage qu’on fait de l’espace dans la journée. « The Japanese house is surprisingly free. At night and in the winter, one can shut out the world and the interior becomes a box divided up into rooms. Then in the summer, one opens up all the storm doors, the sliding screens and sliding doors and the house becomes as free as a tent through which air gently passes »92 Comme vu précédemment, les étés très chauds entraînent l’ouverture la maison pour permettre la circulation de l’air, tandis que pendant l’hiver cloisons sont fermées sur l’extérieur (bien souvent par les fusuma, plus épais et les japonais revêtiront alors eux-mêmes plusieurs couches de kimonos pour

des parois de très froid, les que les shoji) se réchauffer.

Dans la journée, l’usage de l’espace varie, et en fonction, la surface d’une pièce sera suffisante ou non (dans ce cas les parois peuvent alors être déplacées pour agrandir les pièces). Notons qu’il subsiste encore aujourd’hui une pratique japonaise de vivre accroupi ou assis, à même le sol, donnant une dimension spécifique à l’espace : c’est comme si le volume se divisait en deux parties, l’une basse, l’autre à taille humaine. Vivre par cette autre dimension, c’est à dire assis ou accroupi, entraîne donc un rapport autre à l’espace, qui fait qu’une pièce petite en surface n’est pas inconfortable, et s’il

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 92!MEHTA Geeta, TADA Kimie, Japan Style

: Architecture + interiors + design, Tuttle Publishing, 2013, p.98 Traduction : « La maison japonaise est étonnamment libre. La nuit et l'hiver, on peut se fermer du monde et l'intérieur devient une boîte divisée en chambres. Puis en été, on ouvre toutes les portes, les panneaux coulissants et les portes coulissantes et la maison devient aussi libre qu'une tente à travers laquelle l'air circule doucement »

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manque d’espace, le simple fait de retirer quelques shoji permet d’agrandir le « module de vie » : deux pièces deviennent une seule grande. Une fois les fusuma et shoji retirés, l’espace planchéié est grandement ouvert, et il est facile de comprendre à quel point l’espace de la parcelle et celui de la machiya ne fait qu’un : la surface couverte de tatami se fond avec la terre battue du doma et la mousse du jardin intérieur, et seule la différence de niveau la distingue. Martin Heidegger a émis la théorie que « le lieu tire son existence de quelque chose de plus que l’acte de construire » 93 , rejoignant la manière dont les japonais font usage d’une pièce tout au long de la journée : celle-ci n’est en fait que le module physique permettant de définir un lieu grâce aux meubles et au réaménagement du mobilier. La symbolique de l’espace est si fortement reliée au spirituel et au ressenti humain pour la population japonaise qu’un lieu peut être défini par du vide. Par exemple, dans le paysage japonais, la création d’un lieu n’est pas forcément liée au bâti mais peut être signifiée par des éléments discrets tels une corde, du tissu, du papier. A cette image, nous pourrions penser l’alcôve du tokonoma comme tel, dont la forte importance est d’autant plus soulignée par l’exposition d’une calligraphie ou d’un ikebana (petite plante décorative).

Le principe de modularité se retrouve dans l’usage de ces espaces : les espaces sont plurifonctionnels par les possibles ajouts de meubles pour définir une nouvelle fonction et ils sont aussi à la fois monofonctionnels de par leurs qualifications nominales. Cet ordre spécifique tolère que chacun puisse faire usage de l’espace pour manger, dormir, travailler, vivre.

Fig. 39 : Evolution de l’usage d’une pièce dans la journée en fonction de l’usage qu’on en fait

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 93!KRONENBURG Robert, Flexible, une architecture !

pour répondre au changement, Norma Editions, 2007, p.12!

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Les caractéristiques de l’architecture traditionnelle japonaise, évidentes dans les phases de l’histoire, sont les suivantes94 : -

les planchers sont surélevés de quelques centimètres au dessus du niveau du sol naturel pour se préserver de l’humidité et permettre une ventilation durant les périodes chaudes, tout en restant en contact avec le sol par les pilotis

-

les toits débordant du bâtiment principal, des vérandas, permettent de se protéger du soleil, de la pluie et modulent la lumière qui pénètre le bâtiment

-

les pièces sont « vides », dans le sens où il n’y a pas de mobilier fixe comme des chaises ou une table, des tapis ; le sol lui même, recouvert de tatami, « est » la chaise

-

l’espace est organisé de manière horizontale : les espaces sont divisés par des éléments mobiles et des installations temporaires, et non des murs massifs

-

une distinction claire entre les éléments de construction porteurs et les éléments de division simple de l’espace (cette distinction permet aussi une déconstruction et reconstruction facile)

-

un usage de l’espace multifonctionnel (conséquence de l’espace limité au Japon pour les constructions) Yann Nussaume disait : « Lorsque les Occidentaux regardent l'architecture japonaise,

ils ont tendance à opposer la tradition à la modernité, ce qui serait compris comme l'influence occidentale. Pourtant, inversement, lorsque nous regardons l'évolution de notre architecture occidentale au XXe siècle, nous comprenons ses transformations plutôt comme une évolution et non comme l'influence d'autres cultures comme celle du Japon. Pour ma part, je pense qu'il existe des influences mutuelles, mais que l'architecture japonaise, comme la nôtre, reste profondément en lien avec la logique de son milieu. »95 En l’espace de 45 ans (de 1963 à 2008), les maisons à structure bois ont petit à petit vu leur nombre diminuer passant de 95,3% à 58,9%. Aujourd’hui, Kyoto ancienne capitale japonaise qui en comptait un nombre fascinant, peine à sauvegarder son patrimoine, ayant vu une grande majorité de ces types d’habitat disparaître, à cause d’incendies ou de destructions immobilières. De la définition élaborée par Augustin Berque du « milieu » (fûdo), Yann Nussaume questionne Tadao Ando sur qui semble être la « relation entre la société et son environnement » : « En raison de la globalisation, la technique et les matériaux de construction sont presque uniformisés dans tous les pays. Quand aux formes architecturales, il y a d’un côté celles qui sont motivées par les exigences de l’époque et de l’autre celles qui sont dues au fûdo et le paysage. La notion du « milieu » découle d’une théorie de l’architecture centrée sur la culture et, bien qu’elle soit importante théoriquement, elle n’occupera jamais, en pratique, une place dominante, le paysage étant engendré en grande partie par l’époque. Il n’est certes pas possible de faire marcher la société à reculons, mais on ne devrait tout de même pas abandonner notre culture issue du fûdo.96

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 94!SCHITTICH Christian, In Detail, Japan - architecture, constructions, ambiances, Japan- A land of contradictions Birkhauser, 2003, p17! 95!NAMIAS Olivier, La maison japonaise : entre chaos et pureté, D’Architectures, mai 2011, N°201, p41! 96!NUSSAUME Yann, Tadao Andô, Pensées sur l’architecture et le paysage, Arléa, 2014, p193! !

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PARTIE 2 : LA MODULARITÉ DU MOUVEMENT MÉTABOLISTE

« Une nature exceptionnellement variée, changeante, et même imprévisible dans ses manifestations les plus impressionnantes (séismes, tsunamis, typhons) : il est certain au demeurant qu’un tel spectacle n’a pu que nourrir ce sentiment de l’impermanence (mujô) que la culture japonaise tenait par ailleurs du bouddhisme. »97 Augustin Berque

Ce qu’il est intéressant de noter dans la mise en relation de ces deux périodes de l’architecture japonaise est leur subtile relation quant à leur essence même. Si nous savons l’architecture traditionnelle des temples, minka et autres constructions des époques Heïan à Edo basée sur la culture propre au milieu nippon, le rapport au spirituel paraît moins évident, voire effacé à la vue du mouvement métaboliste. Il réside néanmoins toujours là. En effet, le métabolisme a évolué dans la période faisant suite aux années 1950 des mouvements utopiques occidentaux, tels qu’Archigram, Team X, faisant suite aux CIAM. S’il est fortement apparenté à cette vague de projets novateurs et grandioses restés au stade de dessin architectural, le métabolisme est cependant caractéristique et se distingue fortement par son ancrage au Japon, et presque, si nous pouvons le dire, au japonisme. Si l’on ne le distingue pas de prime abord, les architectes du mouvement ont conservé le fort lien à la nature, prégnant dans l’esprit traditionnel.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 97!BERQUE Augustin, Du geste à la cité, !

Formes urbaines et lien social au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.19!

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I) L’avant-gardisme d’un nouveau contexte mondial

A) Utopies urbaines des années 1950

L’âge industriel révéla les potentiels des nouvelles machines et son ampleur s’est faite remarquer par des ouvrages tels que la Tour Eiffel (1889), dont les accomplissements furent sources d’inspiration pour des projets d’envergure. Par ailleurs, le plan voisin proposé par Le Corbusier, bien que radical, est bien la preuve de l’association entre une architecture visionnaire, possiblement constructible grâce aux nouvelles prouesses de l’ingénierie du XXe siècle. Un demi-siècle plus tard, le modernisme continua de faire fleurir des projets à l’envergure démesurée pour de nouvelles villes en Grande-Bretagne, en France et ailleurs 98 , pas forcément au goût de tous. Pendant cette période post-guerre (à partir de 1928), les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) furent les organismes les plus influents, ayant institué des pistes aidant à la planification urbaine, selon la Charte d’Athènes notamment. Cependant, dans les années 1950-1960, certains architectes des CIAM se sont manifestés afin de contester ces événements passés et mener à leur fin avec le CIAM 10 de Dubrovnik. Lors de l’événement, une comparaison botanique suggère de nouvelles structures à insérer dans l’existant : « Le nouveau est placé au-dessus du vieux comme une nouvelle plante poussant au travers de vieilles branches- ou un nouveau fruit sur de vieilles brindilles »99 Apparaissent des utopies urbaines qui partent d’un commun constat de l’incapacité à agir sur la ville qui est pourtant « le lieu (espace physique et espace vécu) le plus porteur de la dimension sociale et culturelle »100. Les architectes des CIAM furent discrédités par cette génération de jeunes architectes, connus aujourd’hui sous le nom de Team X 101. Leurs concepts étaient en rupture avec ceux rationalistes de leurs prédécesseurs, qui pensaient la ville en zones de travail, de vie, de loisirs et de transports102. La philosophie de Team X porta plutôt sur l’importance des « relations complexes de la vie » 103 . Il sera question de rechercher à produire l’habitat idéal du XXe siècle : Ils déterminèrent la ville selon des principes biologiques comme un organisme complexe, disant qu’il faudrait « trouver de nouveaux moyens d’incorporer de nouvelles unités dans l’ensemble du cluster afin qu’il puisse s’étendre et renouveler les modèles existants. »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 98!RILEY Terrence, The changing of the

Avant-Garde : Visionnary architectural drawings from the Howard Gilman collection, The Museum of Modern Art of New York, 2002, p.12! 99!ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions de la Villette, 2004, p.45! 100 !KERDREUX Ronan, Utopies Urbaines des années 60, 2008, Disponible sur http://www.studiolentigo.net/?page_id=14! 101 !Team X : Groupe d’architectes issu du mouvement moderne, dont les idées regroupent flexibilité, évolutivité et utopie, composé principalement d’architectes tels que Jaap Bakema, Georges Candilis, Giancarlo de Carlo, Aldo Van Eyck, Alison et Peter Smithson, Shadrach Woods. 102 !RILEY Terrence, The changing of the Avant-Garde : Visionnary architectural drawings from the Howard Gilman collection, The Museum of Modern Art of New York, 2002, p.12! 103 !RILEY Terrence, The changing of the Avant-Garde : Visionnary architectural drawings from the Howard Gilman collection, The Museum of Modern Art of New York, 2002, p.13!

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Si avant la ville était figée et rigide, l’idée de l’architecture devient alors évolutive et acquiert une grande flexibilité. « Quand la vue corbuséenne présente l’îlot achevé et ordonné dans un quartier débarrassé de ses taudis, les Smithson indiquent un état en devenir, un chantier en cours – une grue est encore sur place, qui servira, de Cedric Price à Archigram et aux métabolistes, à indiquer le changement permanent du bâti. Le bâtiment-rue se substitue progressivement aux bâtisses insalubres, suivant – et peut-être subissant – la présence de l’existant. »104 Ces nouvelles théories urbaines découlent d’une nouvelle confiance acquise par l’arrivée du principe de la cybernétique 105 permettant de penser que tout était réalisable, dont retranscrire le principe de la vie avec une structure. Nous retiendrons les principales notions de cluster, stem et web : -

-

Le cluster, notion des Smithson, évoque le logement comme résultat de l’association de formes, comme une grappe reflétant l’idée de la communauté et de l’habitat comme unité, Le stem réfère à la rue intérieure, « suspendue au dessus d’immeubles collectifs continus, interdépendants de la circulation automobile »106 Le web, traduit comme réseau, est l’idée d’une infrastructure à trois dimensions, regroupant des dispositifs collectifs et l’installation libre d’habitations particulières.

L’explication du terme « stem » 107 dans le prolongement de l’idée des clusters des Smithson fait penser qu’ici nous passons d’une métaphore botanique à une métaphore biologique. Ce qui peut être compris pour le terme introduit par Woods est que le stem serait la structure principale et centrale d’un ouvrage : « Il évoque une « cellule » qui se développe et se démultiplie dans un « milieu », proposition très éloignée de l’image figée – architecturale- véhiculée par la théorie moderniste : le stem est considéré « non seulement comme un lien entre des cellules additives, mais comme le générateur de l’habitat. Il procure l’environnement dans lequel les cellules peuvent fonctionner. »108 Ces idées novatrices suscitèrent l’intérêt des foules qui y voyaient l’innovation d’une utopie à laquelle elle ne croyait pas forcément mais dont les modules individuels nourrissaient une curiosité identique à celle pour l’architecture spatiale qui s’y apparente. Malgré l’influence des nouvelles technologies, ces ambitions restèrent au stade de la théorie, de la dimension de la critique, à l’image des idées du groupe anglais Archigram. La promulgation de ces idées par de nombreux dessins traduit l’influence de la culture pop. C’est une époque qui change par sa culture, en lien avec l’influence de la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 104 !ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions p.45-46! 105 !Définition du dictionnaire Larousse en ligne : « Science de l’action orientée vers un but,

de la Villette, 2004,

fondée sur l’étude des processus de commande et e communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques »! 106 !Team X, Disponible sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Team_X 107 !ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions de la Villette, 2004, p.62! 108 !ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions de la Villette, 2004, p.63!

!

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« beat generation » 109 . Ce mouvement littéraire américain des années 50 avait pour partisans des auteurs tels que Jack Kerouac ou William Burroughts, prônant « un mode de vie lié aux grands espaces, à la non-propriété, à la volonté d’être « des clochards célestes », et à la spiritualité, à la liberté individuelle »110. Une population en croissance et l’augmentation des flux entraînent l’idée de la mobilité à l’échelle globale de la ville. Celle-ci devient le support favorisant l’auto-planification et l’adaptabilité.111 « Le projet d’architecture s’ancre ici dans une société « réelle » et abandonne l’homme idéal du Mouvement moderne pour l’individu socialisé, issu de cultures différentes. »112 Cet afflux de design expérimental est aussi lié à la contre-culture, c’est à dire à des réactions face au commercialisme (société de consommation), aux tensions engendrées par la guerre, à la monotonie de l’urbanisme moderne113. Ces réactions de contestation et flux d’idées avant-gardistes sont d’envergure mondiale faisant émerger plusieurs groupes d’architectes : - Aux Etats Unis : Ant Farm, EAT - En Italie : Archizoom, Ufo, Superstudio - En Autriche : Haus-Rucker-Co, Coop-Himmelbau - En France : Utopie - En Angleterre : Archigram - Au Japon : les Métabolistes Les premières idées de mégastructures sont le fruit de discussions entre Yona Friedman et les métabolistes notamment, avec Team X, à propos de comment une ville évoluerait et grandirait si elle était un organisme vivant. En plus de contester une vision traditionnelle de l’architecture et de l’urbanisme, ces groupes, bien que présentant des projets différents, appellent communément à l’utilisation de nouvelles techniques et technologies pour des environnements peu conventionnels avec des expériences sur le design spatial, ou la revisite de types de bâtiments communs comme le logement et la maison. L’architecture et l’urbanisme n’apparaissent plus détachés l’un de l’autre, mais sont enfin compris comme liés et interdépendants, interconnectés, car un projet individuel s’insère dans une société donnée. La modularité en fut un principe conceptuel, formel et constructif important avec l’apparition de capsules, de structures uniformes et régulées, des idées de modules mobiles, ajustables ou encore remplaçables. Le projet House of the Future (1956) d’Alison et Peter Smithson montre les prémices d’une idée de la maison et de l’habitat comme une sorte de capsule et de module de vie

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 109 !KERDREUX Ronan, Utopies Urbaines

des années 60, 2012, Disponible sur http://www.studiolentigo.net/?page_id=14! 110 !KERDREUX Ronan, Utopies Urbaines des années 60, 2012, Disponible sur http://www.studiolentigo.net/?page_id=14! 111 !VANDEPUTTE Marie-Pierre, Azimut numéro 34, Ésadse, 2010, p.59! 112 !ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions de la Villette, 2004, p.13! 113 !KRONENBURG Robert, Flexible, une architecture pour répondre au changement, Norma Editions, 2007, p.41!

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réduit. Le logement est pensé comme la maison du futur dont l’organisation est claire et simple, et est fait pour un tissu urbain compact, à densité élevée, entrainant l’absence du jardin donc la construction autour d’une petite cour d’intérieur. Le mouvement du métabolisme japonais apparaît comme le plus concret de cette période, et a cependant été beaucoup comparé à la philosophie idéaliste d’Archigram. Les deux groupes partagent l’idée du plug-in et de l’association entre structure et cellule. Trois projets d’Archigram sont à retenir : -

Plug-In City, Peter Cook (1964), notion de l’ajout de cellules : Il s’agit de la combinaison d’une mégastructure sous la forme d’un réseau auquel les cellules standardisées pourraient s’accrocher, la ville s’apparentant à un organisme.

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The Walking City, Ron Herron (1964), notion de la mobilité : A l’image de la machine à vivre comme Le Corbusier qualifiait la maison, la forme des bâtiments (dont la vocation était marchande) dérivaient des machines et étaient telles des robots ou des modules vivants géants qui se déplaceraient de ville en ville.

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Instant City, Peter Cook, Ron Herron, Denis Crompton (1968), notion de nomadisme et de durée : La ville se déplace grâce à de nouveaux transports tels les dirigeables ou montgolfières pour venir compléter un tissu existant. Ces mouvements se font entre structures provisoires.

Archigram, bien que basé sur l’idée biologique de la croissance pour les théories telles que cette du plug-in (ajout de cellules à celles existantes sur une structure commune), est fortement utopique vis-à-vis des technologies et base une grande partie de son discours sur une architecture machiniste. A l’aide de publications et d’expositions, le groupe anglais remet en question l’attachement au sol et parle de déterritorialisation de l’architecture114. Si leurs idées sont similaires, les architectes et penseurs japonais s’éloignent et se détachent par leur travail basé sur la nature et ses cycles, entrainant une métamorphose sans fin 115 . Bien qu’ayant un discours fondamentalement appuyé sur les nouvelles technologies, les métabolistes, quant à eux, cherchent à étayer, justifier et développer leurs idées en fonction d’études scientifiques, et suivant, comme l’indique leur nom, l’évolution du métabolisme des êtres vivants. « Les métabolistes espéraient redécouvrir une véritable tradition japonaise qui non seulement transcenderait l’imitation innocente de la forme qui était durant la période de préguerre, mais aussi qui rejette les processus mécaniques et non naturels qui prédominent en occident »116, Material and Man, Kiyonori Kikutake, Kenzo Tange and the Metabolist movement : Urban utopias of modern Japan

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 114 !LANDOLFO Hernan, Metabolismo japones,

Historia 3, Thèse Université Buenos Aires, 2011, Disponible sur https://issuu.com/hernanlandolfo/docs/japanese-metabolism,! 115 !LANDOLFO Hernan, Metabolismo japones, Historia 3, Thèse Université Buenos Aires, 2011, Disponible sur https://issuu.com/hernanlandolfo/docs/japanese-metabolism,! 116 !LANDOLFO Hernan, Metabolismo japones, Historia 3, Thèse Université Buenos Aires, 2011, Disponible sur https://issuu.com/hernanlandolfo/docs/japanese-metabolism, p45!

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Fig. 40 : SchĂŠma pour le projet de Cluster City, Peter et Alison Smithson Fig. 41 : AxonomĂŠtrie de House of the future, Peter Smithson

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B) Japon et métabolisme

La pression de proposer de tels projets est encore plus grande au Japon. Les challenges principaux sont dus au contexte géographique accidenté de l’archipel nippon, entrainant alors des coûts très élevés des terrains et des matériaux. Un terrain dans le centre de Tokyo vaut près de 7 millions d’euros par hectare. Des coûts si élevés, de si fortes densités de populations, la période d’après-guerre ayant généré le besoin de nombreux logements, associés à la tâche que se confie le Japon à lui même dans le but de rattraper ou surpasser l’Ouest économiquement et technologiquement, ont créé un contexte dans lequel la pré-industrialisation, le préfabriqué et les bâtiments qui en découlent se sont propagés à une proportion bien plus importante que sur les territoires de l’Ouest.

a- Contexte économique et démographique Tokyo fut détruite et reconstruite plusieurs fois 117. Au cours du XXe siècle : en 1923, un grand incendie après un séisme de magnitude 8.3 sur l’échelle de Richter ont détruit les deux tiers de la ville. A la fin de la seconde guerre mondiale, la ville fut complètement détruite par des bombardements américains, qui tuèrent près de 200 000 personnes, plus que les désastres d’Hiroshima et Nagasaki. A la suite de ces incidents majeurs, la population de Tokyo a connu un boom de croissance, passant de 3,5 millions en 1945 à 9,5 millions en 1960, et il n’a pas tardé à manquer près de 2 millions de logements. Comme il a été précisé dans la partie précédente, la nature des terres du Japon ne laisse que 25% de la surface pour qu’elle soit habitée et urbanisée, le reste correspondant à des zones de montagnes et d’eau. Si à l’époque le gouvernement a envisagé l’option du contrôle du nombre de naissances, la structure sociale s’est également mise à changer, avec l’arrivée d’un grand nombre d’étudiants au fil des décennies. Un nouveau contexte post-seconde guerre mondiale se présente pour les années 1950-1970. Construire ne prend plus les mêmes proportions et dimensions, dans le monde et en particulier au Japon avec des idées révolutionnaires. L’architecte historien Ryuichi Hamaguchi divise l’ère moderne post-guerre au Japon en deux décennies. Après la guerre, les villes principales étaient en ruine, particulièrement Hiroshima et Nagasaki, « where the atomic bomb had barely left a blade of grass »118. Peu fut construit durant ces années, caractérisées plutôt par des discussions et échanges théoriques. C’est seulement lorsque l’économie effectua un bond dans les années 1950, dû notamment à la guerre de Corée, que la construction privée fut relancée. Ce boom économique après l’entrée en guerre avec la Corée auprès des Etats-Unis, a procuré au Japon un nouveau statut d’allié et n’est donc plus un pays occupé. L’occupation américaine de l’archipel japonais et la guerre ont entrainé le déplacement du front chaud de la guerre froide de l’Extrême-Occident à l’Extrême-Orient. Le Japon s’est donc trouvé en première ligne pour les fournitures militaires dont les industries japonaises profitent. Cela fut

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 117 !PECINA Paula, Metabolism Movement,

Development and its applicable solutions for sustainable architecture nowadays, Disponible sur https://issuu.com/p.pecina/docs/research_japanese_metabolism, Recherche universitaire, 2012-2013! 118 !SCHALK Meike, The architecture of metabolism, inventing a culture of resilience, disponible sur http://www.mdpi.com/journal/arts, Numéro 3, 2014, p.282 Traduction : « Là où la bombe atomique avait à peine laissé une trainée d’herbe »!

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également un profit pour les Japonais car cette présence entraîne l’enseignement américain pour la production de masse et le contrôle de qualité. Kenzo Tange disait : « On the other hand the accumulation of capital has made it possible to build in large scale operations. »119 Au milieu des années 1950, le discours architectural est passé progressivement du fonctionnalisme à ce que Hamaguchi appelle « aesthetic consciouness » soit la conscience de l’esthétique. Cette nouvelle tendance est permise grâce aux progrès concernant les technologies concernant les matériaux ainsi que les techniques de construction. Elle symbolise hypothétiquement également une période transitoire caractérisée par une recherche pour une variété de langages créatifs. Rien de concret néanmoins n’a été réalisé par les architectes tels que Kenzo Tange qui proposaient des idées de redéveloppement urbain, avec par exemple son projet Tokyo Bay. Malgré son énorme développement économique, vers la fin des années 1950, le Japon est toujours soucieux de reloger des millions de personnes laissées sans abri. La croissance de la population est aussi en partie liée au rapatriement des « colons » installés durant la période d’avant-guerre, dans les territoires sous contrôle japonais et à un fort taux de natalité : en effet, entre 1945 et 1960, la population passe de 72 à 93 millions d’habitants. Suite à cette croissance du taux de naissance, de 1955 à 1964, la population totale de la région métropolitaine de Tokyo est passée de 13,28 à 18,86 millions d’habitants 120 . Cela a par la suite engendré une grande attente et une pression concernant les terres japonaises dont la topographie particulière ne permet qu’à une fraction de ces espaces d’être utilisés pour l’agriculture et la construction. Il faut tenir compte du fait qu’à l’origine 80% du sol du pays est inhabitable, consistant essentiellement en des terrains montagneux, inhospitaliers et donc peu propices à l’installation d’hommes. Il reste alors 20% du reste du territoire sur lequel s’observe une densité de population moyenne de 1350 habitants/m2, entrainant ainsi un sentiment d’oppression territorial. Dans cette logique, une préoccupation majeure concerne la planification urbaine et régionale, surtout à Tokyo, une ville dont le réseau de rues et de maisons est fragiles et fortement exposé aux incendies, et paraît pouvoir être déséquilibré à tout instant. Les rues très étroites laissent à peine circuler les véhicules dont la population faisait l’acquisition au fur et à mesure de l’arrivée des nouvelles technologies. Comme cela était déjà le cas pour les parcelles très étroites des machiya étudiées précédemment, ceci entraîne donc des appartements dont les espaces vitaux sont réduits au minimum pour la majeure partie de la population (deux chambres servaient pour toute la famille), et a poussé alors, au développement vertical des bâtiments dont la densité augmenta rapidement.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 119 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism

: The new japanese architecture, Architectural Record Books, McGraw-Hill Publication, 1978, p.25 Traduction : « D’autre part, l’accumulation de biens a permis la construction de grande échelle » 120 !La croissance du Japon reste spectaculaire pendant trois décennies (années 1960, 1970, 1980). Durant le Boom Izanagi (1965-1970), le PNB croit à un rythme annuel de 11,5% et dès 1968, le Japon devient la 2e puissance mondial.

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Intimement rattaché à une époque post-guerre présentant de nouvelles conditions démographiques, «le véritable coup de force du Métabolisme aura été d’avoir transformé en valeur positive ce que les architectes, les urbanistes et les historiens des périodes précédentes avaient perçu négativement, la croissance urbaine comme maladie ou anarchie, cette catastrophe appelant une réponse à la hauteur du mal. » 121 Nouveau courant architectural au Japon, le Métabolisme s’inspire de l’Europe, et pense le caractère non maîtrisable du développement urbain comme flux et croissance pour mieux le théoriser. Il y a moins de deux siècles, le Japon était encore un pays à part, car fermé sur luimême, à distance de toute influence extérieure. A la fin du XIXe siècle, son ouverture a établi des échanges sur les plans à la fois commerciaux, culturels et technologiques avec le reste du monde. Le pays a donc subi de considérables changements au contact de l’occident : jusqu’alors ancré dans ses traditions ancestrales, il s’est rapidement modernisé. Aujourd’hui, c’est un pays à doubles facettes jonglant entre une tradition toujours prédominante, et une modernité qui se renouvelle constamment. « Jamais autant que durant ces deux décennies, le futur de l’architecture n’aura à ce point saisi le projet d’architecture comme une volonté de réalité. »122 Les idées utopiques ici ne se fondent pas sur une tabula rasa mais prennent en compte le tissu urbain existant et se fondent sur le présent. Il semblerait qu’à l’ère du métabolisme, et des mouvements utopistes des années 1950-1960, la flexibilité et la mobilité des populations soient les nouveaux traits de société à considérer. Après tout, « il était un temps –en terme d’évolution cela ne fait pas très longtemps- où notre existence dépendait de notre capacité de mouvement et d’adaptabilité. »123 « L’architecture flexible n’est pas un phénomène nouveau, mais une manière de construire qui a évolué avec le développement des savoir-faire humains. »124

Fig. 44 : Croissance du tissu urbain de la ville de Tokyo de 1880 à 1965

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 121 !GUILHEUX Alain, Kisho Kurokawa : Le métabolisme 1960-1975, Centre Georges Pompidou, 1997, p.9! 122 !ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions de la Villette, 2004, p.13! 123 !KRONENBURG Robert, Flexible, une architecture pour répondre au changement, Norma Editions, 2007, p.10! 124 !KRONENBURG Robert, Flexible, une architecture pour répondre au changement, Norma Editions, 2007, p.11! !

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b- Lien à la société nippone : recherche d’une identité Un thème majeur dont il faut parler est l’idée de la résilience culturelle au Japon. S’il faut définir ce phénomène, il s’agit d’un complexe processus qui considère que le contexte culturel (c’est à dire les valeurs culturelles, le langage, les traditions, les normes) aide les individus et les communautés à surmonter une adversité. Cette notion suggère que ces derniers puissent la gérer en se basant sur des caractéristiques individuelles mais aussi concernant des facteurs socioculturels.125 Ce phénomène touche le mouvement métaboliste au Japon, entre les années 1960 et 1970, qui a notamment attiré l’attention de la communauté internationale d’architecture pour ses idées et sa vision radicales sur l’architecture urbaine ciblant une société durable.126 Dans le contexte historique, ce mouvement a d’abord cherché à répondre aux demandes post-seconde guerre mondiale, le Japon ayant été victime de catastrophes environnementales dues aux bombardements atomiques, mais aussi à la vulnérabilité du pays face à des désastres naturels tels que les tremblements de terre ou encore les tsunamis. Le concept de résilience est apparu pour la première fois dans les années 1970 en rapport avec les écosystèmes. Récemment, il est devenu un concept majeur dans l’urbanisme contemporain au niveau du contexte environnemental, économique, et de crise sociale. Le terme « résilience » désigne la capacité d’un système de s’adapter face au changement, offrant un potentiel de repenser et construire de nouveaux systèmes. En ce qui concerne les architectes du mouvement métaboliste, il est plutôt question de la capacité des sociétés de s’adapter en temps de crises. La conscience d’avoir perdu la guerre, s’ajoutant au désastre engendré par les deux bombardements à Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 Août 1945, ont entrainé une profonde inquiétude d’avoir « perdu contact » avec leur culture et donc le désir de se reconstruire une identité nationale. « Now that the era of capitalism is reaching a major turning point, the time has come to search once more for the essence behind the skin, the truth, the materials themselves. When observed from this new viewpoint, it is quite likely that Japan’s building tradition will be « rediscovered » as something very new. A great deal of knowledge to save the earth’s environment also is hidden within this tradition. I believe that the power to solve the earth’s environmental problems and the power to rescue the spirit of the people of this earth from the confusion of today is possessed within this tradition. »127

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CLAUSS-EHLERS Caroline, Encyclopedia of Cross-Cultural School Psychology, Définition de Cultural Resilience, 2015, p.324 126 !SCHALK Meike, The architecture of metabolism, inventing a culture of resilience, disponible sur

http://www.mdpi.com/journal/arts, Numéro 3, 2014, p.280! 127 !LOCHER Mira, SIMMONS Ben, KUMA Kengo (foreword by), Traditional Japanese Architecture: An Exploration of Elements and Forms, Tuttle Publishing, 2010, p.9-10 Traduction : « Maintenant que l'ère du capitalisme est arrivée à un tournant majeur, le temps est venu de rechercher une fois de plus l'essence derrière la peau, la vérité, les matériaux eux-mêmes. Si l'on observe de ce nouveau point de vue, il est fort probable que la tradition constructive du Japon sera «redécouverte» comme quelque chose de très nouveau. Une grande quantité de connaissances pour sauver l'environnement de la terre est également cachée dans cette tradition. Je crois que le pouvoir de résoudre les problèmes environnementaux de la terre et le pouvoir de sauver l'esprit du peuple de cette terre de la confusion d'aujourd'hui est possédé dans cette tradition. »

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Pour Rem Koolhaas et Hans Ulrich Obrist, le mouvement métaboliste offre un exemple signifiant d’une inquiétude, d’un débat à une période où le marché mondial 128 entraîne la dissolution des cultures locales. Avec ce mouvement, la spécificité architecturale japonaise refait surface en termes plus modernes : il s’agit de s’approprier une nouvelle identité. Envisageant une utopie de « résilience », les architectes métabolistes ont employé des métaphores biologiques, ainsi que des images technoscientifiques, et évoqué la notion d’une architecture génétique qui se régénèrerait sous formes vernaculaires. Il s’agit donc d’une alternance entre un urbanisme de grande échelle, des infrastructures denses, et la liberté individuelle de cellules dessinées pour un plan urbain dont la configuration serait adaptable au contexte (au temps dans lequel il s’inscrit). S’emparant d’un vocabulaire biologique, les Métabolistes établissent une connexion entre les modèles traditionnels et une conception structurelle de l’espace particulière car « ahistorique » c’est à dire sans attache culturelle particulière donc applicable universellement. Au cœur de la pensée Métaboliste se tient la réorganisation de la relation entre société et individu : 1) Une planification compréhensible, lisible rendrait la population libre 129 : la dissolution de la ville en d’innombrables cellules correspondrait à la rupture avec la structure patriarcale et la montée en puissance de la position de l’individu dans la société Japonaise. 2) Dans leurs propositions visionnaires, Kenzo Tange et les architectes du mouvement métaboliste ont pris comme point de départ les contextes culturel et social, mais ont aussi fait remarquer que les nouveaux modèles émergents sont tout autant valides universellement et donc applicables. Le monument national du temple d’Ise est un exemple particulier signifiant l’impermanence de l’architecture et est un déclencheur des principes métabolistes, édifice reconstruit environ tous les 20 ans dans la tradition Shinto. Un autre exemple pouvant être cité est le Palais Katsura qui a été agrandi par l’ajout de deux extensions sur 150 ans suivant un plan asymétrique, dans l’idée traditionnelle japonaise de la croissance cyclique et métabolique.130 3) Enfin, le mouvement métaboliste est aussi une expression critique. Ils accusent en effet le régime socio-politique de ne pas réussir à s’adapter à un développement techno-économique rapide. Tange et les Métabolistes critiquent le système de planification urbaine du Japon, recherchant alors une manière d’établir un réel urbanisme, domaine à peine traité au Japon. D’après Tange, en période post-guerre, la re-planification du pays se faisait difficilement, car les villes ne se redéveloppent pas à partir d’un plan urbain, mais plutôt comme le résultat de relations, qui se reflètent comme couche sur couche de réalités politique, économique, et sociale.131

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 128 !L’un des manifestes récents de ce

mouvement est Project Japan : Metabolism Talks… par Rem Koolhaas et Hans Ulrich Obrist (2009) : KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, 684p.

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129 !LIN Zhongjie, Kenzo Tange and the Metabolist Movement. Urban Utopias of Modern Japan, 2010, p.95! 130 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.373-379

131 !TANGE Kenzo, My experiences, Space design, 8001, special issue : K.Tange and Urtec, Kajima Institute Pub. Co, 1980, p.185

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Le mouvement Métaboliste a donc créé un concept organique, imaginant la régénération de la culture Japonaise après la destruction et les désastres environnementaux dus aux bombardements et atomisations. Il fut proposé de considérer le Japon comme « ground zero », un lieu de renaissance où la culture serait régénérée par une spiritualité nationale, réitérant un lien organique entre l’individu et l’aspect culturel fondamental.

II)

Le métabolisme, mouvement d’innovations

« Metabolism is the name of the group in which each member proposes future designs of our coming world through his concrete designs and illustrations. We regard human society as a vital process – a continuous development from atom to nebula. The reason why we use a biological word, metabolism, is that we believe design and technology should be a denotation of human vitality »132 Noboru Kawazoe, Metabolism, 1960, City of the Future : The proposals for New Urbanism, Noboru Kawazoe, Kiyonori Kikutake, Masato Otaka, Fumihiko Mali, Kisho Kurokawa

Le mouvement métaboliste fut lancé en 1960 avec la publication du manifeste « Metabolism : Propositions for a new urbanism » à la World Design Conference de Tokyo, dont de nombreuses idées avaient déjà abordées par Kenzo Tange. Ils ont développé un projet au delà du modernisme entre les années 60 et 70 dans le but de reconstruire un Japon positif suite à la période d’après-guerre. Ce fut également pour eux l’occasion d’émettre une critique face à l’abstraction dite « agonisante » du mouvement moderne. Le rapport au progrès et à la technologie s’associe aux intérêts pour les traditions Japonaises ainsi que les processus biologiques. Le mouvement recherche la synthèse et l’interconnexion de la tradition, la technologie, l’homme et la nature, dans le but d’effacer la non-jonction entre les pensées et les ressentis. Dans le cas du Japon, le présent met à disposition un espace déjà amplement urbanisé, toujours en demande de plus de constructions en opposition au manque d’espace dans un pays où la nature elle même menace celles-ci à tout instant (tsunamis, tremblements de terre) et remet donc en question la permanence et la stabilité. Construire aujourd’hui met aussi à notre disposition une technologie qui n’était pas disponible dans les années 60, nous permettant donc d’innover et d’expérimenter sur terre comme sur la mer et pourquoi pas plus tard dans l’air.

Le mouvement métaboliste fait partie de la série de plusieurs mouvements évoqués précédemment, qui sont apparus à la fin du CIAM dans un contexte d’après-guerre cherchant à résoudre le souci de « l’homme mal-ajusté ». Associé aux travaux des Smithson, Aldo Van Eyck et Cedric Price, il fut question du besoin de reconnecter l’homme aux espaces

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Traduction : « Le métabolisme est le nom du groupe dans lequel chaque membre propose des conceptions futures de notre monde à venir grâce à ses dessins et illustrations concrètes. Nous considérons la société humaine comme un processus vital - un développement continu de l'atome à la nébuleuse. La raison pour laquelle nous utilisons un mot biologique, le métabolisme, c'est que nous croyons que la conception et la technologie devraient être une dénotation de vitalité humaine »

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construits qui l’encadrent, des aspirations individuelles mais aussi des besoins collectifs, et comme Giedion le suggère, le savoir et le ressenti. D’une part, Archigram proposait une architecture faite de pièces à caractère recyclable, avec un temps de vie utile pour chaque pièce qui la composent, de la plus grande à la plus petite. Comme si celles-ci faisaient partie intégrante d’une machine qui vieillit, et dont on devrait remplacer les éléments. Chaque pièce ne correspond alors qu’à un objet, une entité sans vie (si l’on peut ainsi la définir), qui vieillira et finira d’être utile. D’un autre coté, les clusters in the air d’Arata Isozaki représentent non seulement les surplombs des pagodes japonaises, mais font aussi référence à un arbre de la vie, d’où les branches peuvent croitre jusqu’au point de se lier aux branches d’autres arbres. L’unité d’habitation ici est donc la pièce principale du projet, la transformation est donc constante. Une différence serait donc à observer entre Archigram et les Métabolistes, qui sont tous deux des groupes souvent référencés selon la même interprétation (et à échelle plus vaste, il faudrait considérer ces mêmes différences entre les architectes occidentaux de cette période de pensée des années 1960 et les Métabolistes). Les travaux des architectes japonais du mouvement métaboliste ont des bases évidentes culturelles et spirituelles, spécifiques notamment à l’histoire du territoire nippon. Une emblème de respect pour eux était le sanctuaire d’Ise, l’édifice est déconstruit et reconstruit à l’identique tous les 20 ans, et il en a été ainsi depuis près d’un millénaire. D’après Kenzo Tange et Noboru Kawazoe, à travers le cycle prédéterminé de destruction et reconstruction de cet ancien site Shinto resterait perpétuellement nouveau. En partie, les raisons qui ont poussé les japonais à chercher dans leurs racines et leurs traditions un ancrage culturel sont dues au contexte de la guerre. La forte présence américaine dans les îles nippones a entrainé le besoin de rechercher, si ce n’est retrouver, une (nouvelle) identité pour tout le pays. Rem Koolhaas fait la comparaison du groupe britannique Archigram 133 : alors qu’en Europe des idées similaires sont vouées à rester au stade du projet, en Asie elles sont encouragées par une culture industrielle qui les motive. Il faudra garder en tête l’idée de la mégastructure134 : 1) 2) 3) 4) 5)

recentrage sur l’individu/ sujet culturel = consommateur, mobile, imprévisible approche structurale : pensée en termes de systèmes, complexité, hiérarchie projet se superposant à l’existant société des loisirs découvertes biologiques

D’après Rem Koolhaas, le Métabolisme est le dernier mouvement avant la dite banalisation de l’urbanisme, qui prenne en compte les conditions primaires d’une ville, faisant face aux challenges d’un urbanisme qui croit sans cesse.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 133 !GROOM Amelia, CURRIE Nick, KOOLHAAS

Rem, Past Futures, Frieze Magazine, Disponible sur https://frieze.com/article/past-futures, Numéro 145, Mars 2012! 134 !ROUILLARD Dominique, Superarchitecture : Le futur de l’architecture, 1950-1970, Editions de la Villette, 2004, p.83!

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A) Lien au biologique : architecture métaboliste et structure évolutive

L’édifice devient l’utopie d’une mégastructure dont les proportions sont de celles de l’ouvrage d’art plutôt que de l’immeuble moderne. Il est généralement pensé suivant deux échelles : - une infrastructure primaire et stable, - une microstructure de remplissage par des unités modulables, mobiles et remplaçables. Ces principes sont partagés avec certains des autres groupes utopistes de l’époque mais la particularité du mouvement métaboliste est l’évolution suivant les principes d’un organisme vivant. « The theory of Metabolism is based on two principles : diachronicity, or the symbiosis of different time periods, and the processes and changes that a creature undergoes as it lives, and synchronicity. The first aim of the Metabolism movement was to introduce this regenerating process into architecture and city planning, the name being expressive of the conviction that a work of architecture should not be frozen once it is completed but should be apprehended instead as a thing –or as a process– that evolves from past to present and from present to future. Another way to express this process of evolution from past to present to futures is to call it a symbiosis of the three time periods »135, Kisho Kurokawa Evoquant la notion de temporalité en architecture, Kurokawa exprime son intime conviction que chaque bâtiment tient sa fonction du présent dans lequel il s’insère, devenant alors le reflet de l’esprit de son temps. Le métabolisme et son analogie à la production incessante de cellules s’apparente à la population japonaise constamment en mouvement.

a- Connotation biologique La nature multiple et constamment changeante des organismes naturels est le modèle du vocabulaire métaboliste, formé d’éléments complexes et dynamiques. Les architectes du mouvement métaboliste partent du principe que le bâtiment et la ville vivent et devraient vivre de la même manière qu’un être humain par exemple. Ils prennent alors pour base d’étude et de conception des recherches scientifiques sur le métabolisme, soit l’étude des organismes vivants. Ils s’appuient sur des analogies à la nature, cherchant à comprendre ses processus de croissance et de composition, pour comprendre l’ordre des choses, et alors proposer des projets architecturaux dont le fonctionnement évoluerait selon les mêmes principes.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Traduction : « La théorie du métabolisme est basée sur deux principes: la diachronie ou la symbiose des différentes périodes de temps, des processus et des changements qu'une créature subit pendant sa vie et la synchronie. Le premier objectif du mouvement du métabolisme était d'introduire ce processus de régénération dans l'architecture et l'urbanisme, le nom étant l'expression de la conviction qu'une œuvre d'architecture ne devrait pas être gelée une fois qu'elle est terminée mais doit être appréhendée plutôt comme une chose ou comme un processus qui évolue du passé au présent et du présent au futur. Une autre façon d'exprimer ce processus d'évolution du passé au présent vers l'avenir est de la considérer comme une symbiose des trois périodes. »

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Mais alors qu’est ce que le métabolisme au sens scientifique ? Il désigne l’ensemble des réactions chimiques mettant en jeu les molécules présentes dans les cellules des organismes vivants. Il correspond à une série de réactions chimiques liées entre elles qui débute avec une molécule en particulier qui sera convertie par la suite en une ou plusieurs autres molécules selon un processus défini136. Kurokawa l’a bien représenté avec son projet d’Helix City, où l’architecture est basée sur le modèle de la macromolécule d’ADN. Cette molécule, base de notre organisme et notre unicité, est constituée de deux brins antiparallèles formant une double hélice (colonnes sucre-phosphate).137 Chacun des deux brins structurels qui le constituent sont le support d’un monomère appelé nucléotide, qui est lui même formé d’une base nucléique (adénine, cytosine, guanine, thymine). La succession de ces bases nucléiques sur l’ADN entraîne les acides aminés et la correspondance entre ces deux éléments est le code génétique, soit l’ensemble des gènes. Un acide aminé a alors besoin de la structure en hélice pour se fixer et en parallèle dans les principes de l’architecture métaboliste, une cellule a besoin de sa « structure-mère » pour exister. Le mouvement du métabolisme s’est approprié ces réactions chimiques sous forme de principes constructifs. On pourrait assimiler la structure de l’hélice support comme la structure fixe dans chaque bâtiment, et les bases azotées comme les capsules ou les diverses architectures modulaires et cellulaires qui viennent s’y accrocher (architecture déplaçable et éphémère). L’ensemble forme un ensemble définissant un « génome », soit pour un projet de grande échelle, la ou les fonctions des cellules de cette architecture viennent compléter l’existant et aident à son meilleur fonctionnement.

Dans le métabolisme animal ou végétal, les cellules se dégradent et se reproduisent constamment. Ce sont les processus d’anabolisme et catabolisme d’un corps vivant 138 , indispensables à la croissance et dégradation : -

L’anabolisme est l’ensemble des réactions ayant pour objectif la synthèse de molécules, Le catabolisme est l’ensemble des réactions ayant pour objectif la dégradation de molécules.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 136 !STRYER Lubert, BERG Jeremy, TYMOCZKO

John, Biochimie 6e édition, Chapitre 15 : Le métabolisme, concepts de base et architecture, Médecine-Sciences Flammarion, 2008, p.428! 137 !Définition de l’acide désoxyribonucléique, Disponible sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_d%C3%A9soxyribonucl%C3%A9ique 138 !Métabolisme = Catabolisme + Anabolisme!

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Le métabolisme est donc constitué de nombreuses réactions couplées et interconnectées. Les études de la biochimie montrent que les êtres vivants suivent trois objectifs essentiels139 : -

« Un travail mécanique (au cours de la contraction musculaire ou) des mouvements cellulaires » : il s’agit du processus normal de la vie, regroupant les principes de la vie et de la mort, assimilables à la cellule capsule et lorsque celle-ci devient obsolète.

-

« Le transport actif de molécules et d’ions » : il s’agit de l’apport en énergie pour la bonne survie de la cellule et son développement. Pour continuer à fonctionner correctement, la capsule aura besoin d’être desservie en éléments vitaux. Pour le bâtiment, cela correspondrait à la tour de services regroupant les circulations verticales, l’électricité, l’eau, étant également comme la colonne vertébrale une structure porteuse solide et permanente.

-

« La synthèse de macromolécules ou d’autres biomolécules » : le terme de synthèse renvoi ici au principe de la création et la production de nouvelles molécules et cellules peut être assimilée à la construction de nouvelles entités (ou ici capsules) qui tendront à agrandir l’édifice, le compléter ou remplacer les capsules obsolètes apparentées à des cellules mortes.

La réaction chimique dépend fortement des enzymes 140 car elles l’accélèrent considérablement. La société dans laquelle s’insère le bâtiment constituerait alors l’enzyme de l’édifice, car c’est elle qui détermine les cycles de renouvellement architecturaux. Ces associations se sont manifestées dans les propositions des métabolistes sous la forme de divers concepts tels que d’une part : adaptabilité, mutation, croissance, rétrécissement ; d’autre part : éphémère, temporalité, durée de vie. Ces processus sont expliqués par le sociologue urbain Ernest Burgess dans son article « The Growth of Cities » 141 où il utilise le terme de « métabolisme social » pour définir et comprendre le processus de croissance et de transformation des villes. La vision de Burgess était révolutionnaire dans la mesure où il voyait la croissance des villes comme un développement normal, car une ville agit tel un organisme et s’agrandit et change, connaissant donc des périodes de désintégration et réintégration. « Les métabolistes aimaient les grandes images de petits organismes et les petites images de grande villes »142, Noboru Kawazoe Comme l’affirmait Kawazoe, ils disaient qu’il n’y avait pas de forme fixe dans le développement continuel du monde. Il ne peut donc pas y avoir une forme fixe parfaite de bâtiment et donc de ville, car ces structures, bien qu’ancrées au sol aujourd’hui, seront toujours vouées à une évolution.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 139 !STRYER Lubert, BERG Jeremy, TYMOCZKO

John, Biochimie 6e édition, Chapitre 15 : Le métabolisme, concepts de base et architecture, Médecine-Sciences Flammarion, 2008, p.428! 140 !Protéine permettant d’accélérer considérablement une réaction chimique.! 141 !PARK Robert E., BURGESS Ernest W., McKENZIE Roderick D., The City, The University of Chicago Press, 1967, p47! 142 !DE MONCHAUX Thomas, Back to the future, Disponible sur http://www.architectmagazine.com/design/back-tothe-future_o, Critique design, 2012

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« Une architecture vraie doit évoluer. En conséquence, la transformation ne signifie pas une ridiculisation, au contraire, avec elle l'imagination doit inventer et construire librement, une habitation profondément flexible et variée, ne manquant jamais de grâce ou de distinction. »143, Frank Lloyd Wright

Fig. 45 : Schéma de la division cellulaire

b- Mouvement et renouveau : lien au spirituel subsistant Comme discuté précédemment, le mouvement métaboliste est aussi en grande partie le résultat d’une recherche identitaire du Japon.. En plus d’une raison d’être scientifique, leurs théories acquièrent également une dimension spirituelle. Malgré sa forte connotation biologique, le terme métaboliste est souvent associé au contexte des valeurs bouddhistes, particulièrement dans les commentaires faits par l’ouest occidental, soulignant les sujets de la mort et renaissance. Rem Koolhaas interrogeait Noboru Kawazoe sur le fait que le métabolisme soit à la fois extrêmement moderne et radical mais cependant toujours attaché aux traditions, une combinaison culturelle qui n’existerait qu’au Japon. Noboru Kawazoe répond simplement « c’est parce que nous sommes Japonais » 144. Il s’agit donc d’après lui d’un fait culturel, de leur façon d’être, citant de nouveau comme référence le sanctuaire d’Ise, reconstruit tous les 20 ans. Günter Nitschke dit que « le lieu est le produit de l’espace et du temps vécus » 145 . Plus nous évoluons au fil du temps, plus l’espace devrait donc évoluer. Le lieu nous correspondrait mieux alors s’il pouvait être modifié constamment, adapté à notre évolution personnelle.

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!WRIGHT Franck Lloyd, The Natural House, Horizon Pr., 1954, p.205! 144 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.227! 145 !KRONENBURG Robert, Flexible, une architecture pour répondre au changement, Norma Editions, 2007, p.13! 143

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En réfléchissant à l’architecture sur l’échelle du temps, l’architecture comme organisme vivant changerait et s’adapterait jusqu’à atteindre le point de non-vitalité soit sa « mort ». Ces intérêts pour le mouvement et la métamorphose des éléments sont issus d’une pensée qui remonte aux « racines » des religions de l’archipel oriental. Cette spiritualité étudiée en première partie montre finalement un monde en constant mouvement et transformation. Les idées de changement et d’impermanence sont un caractère intrinsèque à la culture Japonaise traditionnelle : on retrouve la philosophie du ma. On discerne cette notion de l’espace et le temps indissociables car l’évolution de l’espace architectural est déterminée par le temps qui passe. Le mouvement métaboliste met alors en évidence une structure biologique qui, lorsqu’elle se meurt, sème déjà les prémices de sa réincarnation.

« Although we, myself included, tend to create buildings in modernist language, tradition somehow unconciously comes out in the scale, proportions, or treatment of space »146 Fumihiko Maki « Les villes japonaises sont comme des villages qui ont grandi naturellement par le pouvoir de la nature » Arata Isozaki

Le terme « métabolisme » peut être traduit par l’expression Japonaise shinchintaisha 147 , signifiant le renouveau ou la régénération, mais également métabolisme. Il est intimement lié aux concepts bouddhistes de réincarnation, comme l’a fait remarquer Cherie Wendelken 148 . Dans la version japonaise de Dialectiques de la Nature de Friedrich Engel, une ligne dit « l’une des plus essentielles caractéristiques pour vivre les choses est le shinchintaisha » 149 . Dans cette mesure, l’adaptation japonaise de la métaphore métaboliste regroupe à la fois une connotation scientifique universelle et une autre à l’échelle japonaise, portée vers le spirituel Le métabolisme comme nouveau mouvement avant-gardiste instaure une temporalité des bâtiments réduite, résultant d’un vécu des habitants Japonais qui ont fait face à la perte de leurs terres par exemple suite aux réformes d’après-guerre rendant logiques des propositions de terres artificielles et de plateformes150. « Incubated cities are destined to self destruct Ruins are the style of our future cities Future cities are themselves ruins Our contemporary cities, for this reason, are destined to live only a fleeting moment Give up their energy and return to inent material And once again the incubation mechanism is reconstitued That will be the future »151, Arata Isozaki

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 146 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich,

Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.307 Traduction : « Bien que nous, moi-même inclus, tendons à créer des édifices dans le langage moderniste, la tradition se manifeste de façon inconcevable dans l'échelle, les proportions ou le traitement de l'espace » 147 !D’après un numéro spécial Japon du magazine AD en 1964, édité par Günter Nitschke, et traduction de Japanese-English Dictionary en ligne, Disponible sur http://www.kanjijapanese.com/en/dictionary-japaneseenglish/shinchintaisha 148 !WENDELKEN Cherie, BRANDT Kim, Visual cultures of Japanese Imperialism, Paperback, 2000, p.287! 149 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.235! 150 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.237! 151 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.38!

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B) Un métabolisme à l’échelle urbaine et architecturale : les architectes et leurs projets

L’espace et le temps ne sont plus conçus comme des concepts indépendants mais comme entités relatives 152 . Le terme « espace » se réfère notamment à l’environnement, pour lequel nous pouvons citer l’exposition « From Space to Environment » en 1996 et l’Expo ‘70 à Osaka qui présentent tous deux une série d’événements sur ce thème. Ces événements n’ont pas pour but de traiter des lieux existants et localisés mais plutôt la revitalisation de l’idée d’espace en proposant de nouveaux territoires. Le Japon étant un pays dont 70% sont des zones montagneuses difficiles à habiter, envisager de nouveaux espaces à développer est donc primordial, en relation avec les technologies de l’époque, l’esprit humain, le lien aux traditions et la culture. D’après Noboru Kawazoe, l’idée était de développer un système « qui pourrait faire face aux problèmes que présente la société rapidement changeante, et à la fois de maintenir une stabilité des vies humaines »

a- Urbanisme et architectures du manifeste L’année 1960 fut un point de flexion important dans l’histoire de l’architecture moderne japonaise. Elle marqua le départ pour la pensée métaboliste lorsque Kenzo Tange et URTEC créèrent le plan pour la Baie de Tokyo, basé sur le développement de mégastructures. Kenzo Tange et le Tange Lab 153 proposaient des projets et prônaient l’utilisation du sol artificiel (construire sur la mer ou dans le ciel), par des mégastructures de plug-in ou des capsules modules préfabriquées. Le plan pour la baie de Tokyo proposé par Kenzo Tange est une alternative à la croissance incontrôlée de la metropolis japonaise. Il s’agit en fait d’un réseau d’ « information et de communication » capable de croitre et de changer, cherchant l’ordre spatial et l’introduction de communications urbaines ignorées dans la planification des villes japonaises traditionnelles. Tange expliqua alors que « la ville traditionnelle japonaise n’a pas de places, seulement des rues comme espaces de communication » et qu’elle a besoin de « plus qu’une simple rue » pour lieux de la socialisation de la population154.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 152 !Le terme « écologie » est mis en

lien avec le mouvement métaboliste suivant la définition qu’en donne Ernst Haeckel comme « science des relations entre l’organisme et le monde extérieur l’entourant ».! 153 !Le studio d’architecture expérimental de Kenzo Tange à l’Université de Tokyo.! 154 !Kenzo Tange lui-même avait expliqué que le tissu urbain nippon n’inclut pas d’espaces tels que les places traditionnelles comme l’entendent les concepts des pays de l’ouest occidental. Si en Europe, la période de Renaissance rimait avec l’évolution de la perspective et l’interprétation de l’espace, dans l’archipel japonais l’accent était mis sur la relation de l’homme à la nature. Les peintures de Sesshu 154 (1420-1506) entraînent une mise en relation de solides dans un vide, d’objets dans un cadre. Le concept d’espaces séquentiels en architecture peut alors se référer à l’art japonais et le principe des superpositions de couches et d’aplats en peinture.

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Les éléments composant les supers-modèles de Tange sont de plusieurs natures L’architecte considère que deux cycles de vie sont à prendre en compte :

155

.

-

D’une part, certains éléments ont un cycle de vie long, qui augmente, car ils se réfèrent à une topographie qui ne s’altère pas, ou pas facilement, et dépendent des circonstances économiques.

-

D’autre part, d’autres éléments remplacés à une fréquence plus sur l’idée que les technologies lentement que celles des édifices

sont plus variables et doivent être ajustés voir grande. Le plan dessiné pour Tokyo se basa donc et infrastructures des transports changeront plus résidentiels.

La structure générale a donc été pensée à base d’autoroutes, de pentes et de canaux de communication comme structure physique qui pourrait accueillir une variété interchangeable d’unités de vie qui peuvent s’y accrocher, pouvant atteindre 15 millions d’habitants.

Fig. 46 : Comparaison de la reproduction cellulaire avec l’évolution urbaine de la baie de Tokyo

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 155 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism

: The new japanese architecture, Architectural Record Books,

McGraw-Hill Publication, 1978, p.26

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Fig. 47 : Vue aérienne du projet pour la baie de Tokyo

1960 fut également l’année durant laquelle les 5 jeunes architectes, que l’on appellera les métabolistes, publièrent ensemble l’écrit manifeste « Metabolism 1960 : Propositions for a new urbanism ». Ces métabolistes d’origine sont Kisho Kurokawa, Kiyonori Kikutake, Fumihiko Maki, Masato Otaka ainsi que le critique d’architecture Noboru Kawazoe, fervents partisans de ce qui s’avère probablement être le dernier mouvement avec un manifeste. Ce document tend à réinventer la nature de l’urbanisme, en se focalisant sur des idées pour de futures villes, proposant quatre essais : « Ocean City » par Kiyonori Kikutake, « Material and Man » par Noboru Kawazoe, « Toward Group Form » par Masato Otaka, « Space City » par Kisho Kurokawa. Jeunes et idéalistes, les métabolistes exploraient les possibles variations et solutions alternatives au projet de mégastructures du plan de Tange. Un nouveau monde est imaginé avec une architecture créative et expansive, adaptable aussi au changement, sous différentes formes ayant en commun une idée globale de la modularité, en lien avec la biologie. La conscience d’une ville dense qui ne cesse de s’étendre et dont la population augmente de manière fulgurante pousse les architectes à concevoir dans des proportions qui n’étaient jusque là pas encore envisagées. Nous observons que ces architectes sont à la recherche d’espaces de rencontre et d’entredeux, qui n’existent guère dans le tissu urbain de la ville, très dense, fait de rues étroites et de parcelles laminées. Les architectes évoluent avec leur époque et considèrent donc la forte montée d’importance des nouvelles technologies et des processus industriels, menant alors souvent à une architecture dite high-tech. En ce qui concerne les architectes japonais, une grande partie d’entre eux parlent de la metamorphosis, et se concentraient alors sur des formes faisant appel aux technologies industrielles pour leur réalisation.

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Kisho Kurokawa a pensé son projet de Floating City en 1961 comme si la ville s’étendait sur un lac par la multiplication de modules construits, selon le principe de la croissance cellulaire. Puis, l’idée d’Helix City (1962) suit les mêmes principes et se développerait de manière giratoire en spirales, augmentant de volume en hauteur. Plusieurs tours s’uniraient grâce à des infrastructures horizontales, pouvant fonctionner sur la terre mais aussi sur l’eau. Kiyonori Kikutake a développé plusieurs propositions de villes cylindriques flottantes. Il applique des principes sur plusieurs de ses projets : une tour de services dont le cycle de vie est long qui supportera et servira à des unités de vie soit des modules capsules dont le cycle de vie sera court 156. Ce sont notamment ses projets de Ocean City en 1961 et Marine City en 1963. Son projet de Ocean City dévoile une ville sur l’eau, dont les formes organiques permettraient de s’étendre, suivant le modèle de silhouettes florales ou arborées. Ces tours ont un axe central regroupant les réseaux collectifs de services et circulations et servant d’appui pour des anneaux d’habitations. Arata Isozaki, jeune architecte du cabinet de Tange, publia en 1962 une série de dessins de projet pour la « City in the sky », une idée ambitieuse d’infrastructures cylindriques de 200m reliées, alors utilisées comme cœurs mécaniques et structuraux soit les espaces de services des plateformes horizontales branchées à ces cylindres. Ces plateformes accueillaient des unités de résidences en plug-in. 157 La même année, Isozaki présenta également le projet de Clusters in the air, une métaphore métaboliste apparentant le bâtiment à un arbre, dont la structure centrale est le tronc auquel se raccrochent des branches sur lesquelles se fixent des modules réguliers, les cellules apparentées aux feuilles. A la même période à laquelle Isozaki concevait ces projets « prophétiques », les architectes du mouvement métaboliste établissaient leurs principes, trouvant tous plus approprié de décrire, justifier, expliquer, leurs concepts en se basant sur les principes des modèles biologiques. Fumihiko Maki et Masato Otaka ont développé un concept de « forme de groupe », c’est à dire une image nouvelle exprimant « la vitalité de notre société, en même temps que maintenir l’individualité et conserver l’identité des éléments individuels ». La forme de groupe est alors dans ce cas moins rigide qu’une méga-forme : il s’agit d’un ensemble d’individualités (plusieurs capsules individuelles, exprimant chaque vie) et non pas une seule individualité (un seul bâtiment comme une seule entité avec toutes vies rassemblées en elle). En 1965 notamment, Maki établit un projet éminemment basé sur des recherches scientifiques de Camillo Golgi 158 . Les Golgi Structures se réfèrent au modèle biologique du « Golgi body » : en 1883, ses études du système nerveux central révélèrent des cellules multipolaires, ayant la capacité d’établir des connections avec d’autres cellules nerveuses.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 156 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism McGraw-Hill Publication, 1978, p29-30! 157 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism

: The new japanese architecture, Architectural Record Books,

: The new japanese architecture, Architectural Record Books, McGraw-Hill Publication, 1978, p.29 / Quatre ans après, Tange & URTEC réalisèrent ce projet à échelle plus modeste au Yamanashi Communication Center.! 158 !Camillo Golgi, physiologiste italien du XIXe siècle, connu pour ses recherches sur la neurologie!

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Maki a une approche un peu différente des métabolistes : bien qu’il décrive toujours ses projets par l’étude des modèles biologiques, il est beaucoup moins focalisé sur l’usage de nouvelles technologies et met l’accent sur l’espace et la relation entre le solide et le vide. Suivant alors les recherches neurologiques de Golgi, Maki pensa alors la capacité qu’auraient des centres nerveux multipolaires dans la ville de se connecter aux autres centres.159 En somme, les grands principes du mouvement son résumés par Noriaki Kurokawa 160 comme : - « diviser les espaces en unités de base, - diviser les unités en unités d’équipement et en unités d’habitation, - rendre distinctes les différences de rythmes métaboliques dans les espaces des unités, - préciser les liens entre les espaces avec des rythmes métaboliques différenciés » A la fin des années soixante, il paraissait clair que ces grands projets présentés par Tange et les métabolistes ne deviendraient pas réalité. La loi, l’acquisition des terres, les financements et l’appui du pouvoir public nécessaires à l’aboutissement de telles idées n’étant pas possibles. Si ces projets de grande envergure étaient trop ambitieux peut être, les architectes de ce mouvement d’avant-garde s’en serviront comme prototypes pour des réalisations plus modestes au fil de leurs parcours respectifs, pensant toujours que les éléments architectoniques individuels tels des modules à assembler, faisaient partie d’un tout, plus grand.

Fig. 48 : Projet de Floating City, Kisho Kurokawa, 1961 Fig. 49 : Projet de Marine City, Kiyonori Kikutake, 1963

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 159 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism : The new japanese architecture, Architectural Record Books, McGraw-Hill Publication, 1978, p.31! 160 !KUROKAWA Noriaki, Deux systèmes de métabolisme, Architecture d’Aujourd’hui n°139, 1968, p.17! !

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Fig. 50 : Projet de Clusters in the air, Arata Isozaki, 1960-1962

Fig. 51 : Inspiration de la structure hélicoïdale de l’ADN, Projet d’Helix City, Kisho Kurokawa, 1962 Fig. 52 : Projet d’Helix City, Kisho Kurokawa, 1962

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b- Structure et capsule

02

physiquement ntrée dans les er à ces inadéi les différents

asi-bâtiments1 et sans rela-

nts préconçus ans un second , le Rockfeller ue et acceptée

luent à partir d’un « système d’éléments générateurs »2. Les éléments qui composent la forme

La portée mouvement est à leur la permettant croisée de deproliférer l’urbanisme et de de groupe du ont généralement une métaboliste caractéristique particulière de séquentielle, changer la structure base. Pour illustrer ce principe fait l’architecture,manière s’étendant de sans la compréhension dede la cellule individuelle à Maki l’organisation d’un appel à des exemples historiques, 161 comme les cités médiévales d’Europe, les villages nordplus vaste réseau de communautés. africains et certains villages japonais. Il explique que dans ces cas précis, la maison est l’unité Les métabolistes développent rapport particulier le sol générateur du Japon : celui-ci de base. Par sa forme elle suggère un la manière de croître et devientavec donc l’élément tout. L’avantagepeuplé, de la forme groupecher, est qu’elle n’a pas besoinbeau, de squelette pour granest soit tropdu densément oude trop montagneux, instable et sensible aux dir, sa prolifération dépend généralement directement de l’ « essence de la collectivité, elle séismes. Le naît concept du des « terrain dont et les sous forme de la volonté gens qui artificiel composent » la société nonstructures du pouvoir quise lesdéveloppent dirigent ». de plateformes ou pilotis au dessus du sol naturel est toujours en relation avec la topographie. Ce dernier commentaire de Maki, suggère que les deux premières formes découlent directe-

ment d’un processus de bottom-up, soit elles sont dictées et décidées par des pouvoirs politiques. A l’inverse la forme de groupe, elle découle directement d’une approche top-down, ce 162 sont les habitants mêmes quidistinguer construisent leur villetendances selon leurs besoins. Selon Rem Koolhaas , on peut deux pour le mouvement métaboliste.

L’une est plutôt formelle, forte et définie, tandis que l’autre, a contrario, est sans forme et Reste comme le dit Maki lui-même, que les exemples choisis pour illustrer le principe de indéfinie. Arata répond par une comparaison entre sur Group Form,deconçu par Maki et la formeIsozaki de groupe, sont des exemples historiques, développés une période temps bien plus importante que celle dont nous disposons aujourd’hui. L’attitude à adopter ne peut donc tendance formelle, interventions évidentes de Tange et lui-même. pas être strictement la même que celle de nos ancêtres et doit être adaptée en fonction. « Je suppose que tout le monde a adhéré à l’idée que la ville soit informelle et la première de approches historique, qu’avec les deux autres sont nouvelles accidentelle. SiCependant un ces projet n’estest réalisable une forme. Voilà et, la selon contradiction » Maki, plus aptes à répondre aux besoins changeants de la société actuelle. Il note aussi que dit-il. ces trois approches sont des modèles de penser, pour concevoir des formes complexes à grande échelle et qu’ils devraient généralement apparaître, combiner ou mixer.

Selon Fumihiko Maki, il faut redonner un ordre à la ville en concevant des bâtiments en lien les uns avec les autres, donc les penser comme chacun les modules d’une forme collective163, en distinguant plusieurs assemblages :

par le Métabodéveloppement aki dans cette , ainsi le cadre rs que les éléécessaires à la e, pour lui elle la mégastructure principale cture pourrait

Compositions

Mega-structure

Forme de groupe

Fig. 53 : 3 structures composant la ville selon Arata Isozaki

ormes qui évo-

-

La forme compositionnelle : Elle correspond à la forme historique. Les bâtiments sont 2 LUCAN Jacques, « Composition, non-composition: architecture et théorie du XIXe et XXe siècle », Presses polytechniques et universitaires Romandes, Lausanne, 2010, p.476-477 des relations spatiales. conçus indépendamment

-

La mégastructure (la plus utilisée par le métabolisme) : Elle développe à la fois les fonctions de ville et habitat individuel, avec une dépendance des 22cellules à leur | 23 structure porteuse. Il y a une forte distinction entre la structure regroupant les services (flux, fonctions techniques) et les capsules (habitat, vie de la société).

-

La forme de groupe : La maison est le module de base et suggère une multiplication, sans nécessité d’une structure support, avec un développement plus lent que la mégastructure.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 161 !SCHALK Meike, The architecture of

metabolism, inventing a culture of resilience, disponible sur http://www.mdpi.com/journal/arts, Numéro 3, 2014, p283! 162 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.37! 163 !AYER Patrick, Métabolisme, Tokyo entre croissance et désaturation, diachronie d’un espace urbain fragmenté, 2011, p.22-23!

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Maki considère la ville comme l’assemblage de ces trois cas de figure (modules organisationnels) dont les deux derniers aideraient selon lui à un développement urbain logique et moins figé.

Si pour l’architecture traditionnelle des machiya, le tatami constituait un module physique interdépendant de la structure poteau-poutre, pour le mouvement métaboliste, la notion du module est incarnée par la capsule. Cette unité de base a de nombreuses origines au Japon 164 : l’archétype national incarné par les kago (chaises déplaçables), l’obsession pour la mobilité sous la forme de jets et de voitures et la pression exercée sur l’espace urbain, dense et engendrant alors un ratio en 1967 de 3 pièces pour une famille de 4 personnes. Produite grâce aux nouveaux matériaux et technologies, la capsule est pensée pour s’accrocher à une structure et souvent mégastructure, prenant l’envergure d’un ouvrage d’art. Ce support est également modulé pour des raisons économiques de fabrication et surtout par rapport à cette capsule qui sera menée à être dupliquée. Ces édifices sont donc généralement pensés en bi-structures comme l’a expliqué Kurokawa en définissant des éléments au cycle de vie long (structure base) et d’autres au cycle de vie variable (capsule).

Fig. 54 : Schématisation du concept de bi-structures, avec au centre une structure au cycle de vie long, et les capsules éphémères qui s’y accrochent

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 164 !KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, !

Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.336!

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En 1969, après deux décennies de travail par les Métabolistes, Kurokawa rédige la « Capsule Declaration » : « La capsule existe pour l’émancipation du bâtiment en relation avec le sol et annonce l’ère de l’architecture en mouvement… » Ces capsules, appelées aussi bien souvent « machine for living » soit la machine à vivre, sont petites en dimensions lorsque l’on imagine qu’elles sont proportionnées pour une seule personne à la fois, équivalent des studios individuels proposés en France. Il y a alors le strict nécessaire : l’espace de couchage, l’espace de cuisine, et l’espace d’eau (salle de bain). La société du XXe siècle connaissait un véritable boom économique suite au développement de la production massive et de la consommation frénétique qu’elle engendra. Le « calme » apparent d’une culture du zen a donc alors été chamboulée et face à cela, la définition de l’individu japonais a été redéfinie. La fonction à laquelle répond ce module n’est alors plus la même que la machiya. Si la pièce de la maison traditionnelle proposait pluralité des fonctions dans une journée, la capsule elle, est comme une étape de la journée pour le travailleur japonais. Celui-ci se réveille le matin, et se laisse « aspirer » par la vie et l’activité de la ville au dehors la journée, va travailler et rentre le soir. Si avant, l’habitat rimait avec famille et communauté au sein du même espace, à l’ère des machines et du développement du travail, et des déplacements, le module de vie est pensé pour un habitant unique. Il s’agit du modèle de l’homme nomade dont parlait Kurokawa165. Et lorsque l’individualisme vient à son terme, comme le montrent des témoignages 166 , fonder une famille rime avec déménagement en périphérie pour acquérir un espace de vie plus vaste.

Même si le groupe métaboliste ne travaillait pas de manière uniforme, c’est à dire que chaque architecte avait sa tendance architecturale (représentative et formelle) indépendante, ils partageaient cependant une commune vision du développement organique. Par la projection de ces structures à croissance illimitée et cette morphologie évolutive, ces architectes ont tenté de représenter des milliers d’années de pensées orientales. A l’image d’un organisme, l’association de l’ensemble des cellules (ou ici capsules) forme un ensemble. A l’image de l’organisme, la ville peut être formée de manière cohérente grâce à cet ensemble de cellules, les unes en rapport avec les autres.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 165 !« The Capsules are housing for homo 166 !MAGALHÃES Filipe, SOARES Ana Luisa,

movens : people on the move. »

The Metabolist Routine, DOMUS, Numéro 969, mai 2013, p.78 : Témoignage d’un ami de Monsieur Kenzo-san, propriétaire d’une capsule de la Nakagin Capsule Tower : ce dernier, contemporain du mouvement, fut fasciné par leurs réalisations à l’époque et décida d’acheter une capsule, où il vécu pendant de nombreuses années avant de déménager en périphérie après son mariage.!

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III)

Concrétisations éphémères et emblème construit

Bien que présentant des études fortement liées aux pensées spirituelles traditionnellement japonaises ou une structure en rapport avec le contexte technologique de l’époque, presque tous leurs projets sont restés au statut d’utopies non construites. A une échelle réduite, les architectes du mouvement ont néanmoins pu expérimenter certains de leurs principes en présentant des structures éphémères le temps de l’exposition universelle d’Osaka en 1970. Mais aujourd’hui encore, l’exemple construit à retenir du mouvement est la Nakagin Capsule Tower à Tokyo (1972).

A) EXPO 70, Osaka comme concrétisation éphémère

L’exposition universelle de 1970, appelée Expo ’70 a eu lieu à Osaka et fut la toute première à être tenue en Asie. Sur le thème « Progrès et harmonie pour l’humanité », cet événement avait pour but de montrer les possibilités des technologies modernes. Il a permis notamment à Isozaki, Kikutake, Kurokawa et bien sûr Tange de combiner leurs talents et leurs savoirs pour produire des formes architecturales censées représenter un résumé du Métabolisme. Nous pouvons considérer que les métabolistes ont connu leur apothéose lors de cet événement. L’exposition universelle d’Osaka en 1970 démontre que le mouvement métaboliste est beaucoup plus concret au niveau de ses idées que les courants d’idées utopistes de l’occident de la même période. Les projets, bien que d’échelles conséquentes, se rattachent à ce qui existe et n’ignorent pas forcément l’existant, comme cela serait presque le cas avec des propositions telles que la plug-in city d’Archigram qui, s’élevant au dessus de la ville, s’éloigne presqu’en l’ignorant. Dennis Crompton, fondateur d’Archigram a parlé de l’événement disant que « c’était la première fois que ces idées apparaissaient sous forme construite ». Dans un entretien avec Nick Currie, Rem Koolhaas, est persuadé que l’EXPO 70 d’Osaka fut un « grand sommet de l’humanité » 167 , se référant à l’état d’esprit dans lequel se trouvait le monde à cette période de l’histoire, où l’innovation ne concernait pas seulement les prouesses techniques mais également les idées et l’imagination qui se propagent. Il déplore que cette créativité ne soit plus si visionnaire, que nos objectifs soient aujourd’hui trop réalistes.

Des espaces déterminés par des trames modulées sont mis en place par les métabolistes : ce sont des réalisations telles que l’Expo Tower (Kiyonori Kikutake) ou encore le pavillon Toshiba IHI (1444 unités modulaires tétraèdres assemblées par Kisho Kurokawa). Le Takara Beautilion par Kurokawa également est composée d’une structure cube regroupant plusieurs couches de cadres métalliques, comme l’assemblage de plusieurs trames en même temps. C’est avec ce pavillon que Kisho Kurokawa a commencé ses études sur l’idée de la capsule.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 167 !GROOM Amelia, CURRIE Nick, KOOLHAAS

Rem, Past Futures, Frieze Magazine, Disponible sur https://frieze.com/article/past-futures, Numéro 145, Mars 2012

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Le bâtiment phare de ce mouvement est très certainement la Nakagin Capsule Tower de Kisho Kurokawa, qui fut livrée à Tokyo en 1972. Elle fut réalisée quelques années après l’exposition universelle qui a mise en lumière les architectes japonais. Dans l’idée de Kurokawa, une unité d’habitation est faite pour une seule personne et contient donc l’ensemble du confort dans un minimum d’espace. Construite entre 1970 et 1972 par l’architecte Kisho Kurokawa, le bâtiment est la traduction construite du manifeste du mouvement métaboliste, dont faisait activement partie l’architecte.

a- Principes modulaires : la tour et la capsule Le Japon, tout comme les pays européens, connaît l’apparition de nouvelles technologies qui dictent de nouvelles manières de concevoir l’habitat, repenser l’espace minimal de vie comme une capsule, repenser la structure porteuse. Kisho Kurokawa est un des membres importants du mouvement Métaboliste, architecte de la célèbre Nakagin Capsule Tower. Il est celui qui a le plus utilisé le système de la capsule et la technologie industrielle au début des années 1970. La Nakagin Capsule tower correspond à un ensemble de deux tours de respectivement 11 et 13 étages, avec un total de 144 capsules préfabriquées, situées dans le district Shimbashi à Tokyo. Il a eu recours à l’ « architechnologie » 170 , terme qui regroupe les notions de l’architecture et la technologie industrielle. Celle-ci se base sur l’étude des espaces minimaux et les technologies utilisées dans l’industrie aérospatiale. A l’image de ces capsules spatiales, l’architecte métaboliste a conçu ses modules individuels tels des microcosmes pour une personne. L’objectif principal de l’architecture de la capsule est la production totale d’unités de vie, entrainant alors la formation du bâtiment comme une communautés d’individus, chaque personne vivant dans son propre module. L’idéologie forte derrière son travail sur la capsule peut s’expliquer par deux raisons171 : -

En premier lieu, l’individualité qui n’existait pas dans la maison traditionnelle est un nouvel objectif : il s’agit de 144 personnes dans 144 cellules. Le bâtiment devient un organisme formant un tout structuré par chaque composante individuelle.

-

En second lieu, une nouvelle interaction spatiale est recherchée avec un cœur fonctionnel et des cellules individuelles mais faisant partie d’un ensemble, produisant une architecture dynamique, dessinée, de relations. Par cette conception, les architectes du mouvement étaient à la recherche d’un contrôle du tissu urbain meilleur, par l’idée que les parties d’un bâtiment devenues obsolètes puissent être remplacées.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 170 !SAGARMINAGA AYASTUY Mikel, Metabolismo

: planeamiento urbano y proyecto residencial japones, Disponible sur https://issuu.com/mikelsagarminagaayastuy/docs/treball_de_curs_mikel_sagarminaga, Recherche universitaire, 2014, p.14! 171 !AYER Patrick, Métabolisme, Tokyo entre croissance et désaturation, diachronie d’un espace urbain fragmenté, 2011, p.24!

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Il s’agit avec ces tours d’utiliser l’espace intelligemment et donc de produire une cellule de vie aux dimensions minimales de confort pour son habitant afin d’atteindre « cent pour cent de production de masse d’unités de vie en créant une nouvelle interprétation de la maison comme une communauté d’individus »172. Les dimensions de la capsule de la tour sont réduites au strict minimum : 2,3 x 3,8, x 2,1m. Elles étaient conçues pour être remplacées tous les 25 ans. Le design de cette capsule de vie s’est basé sur l’imaginaire, l’utopie de l’homme du futur et de ses pratiques probables. Par exemple, il serait si occupé que le temps lui manquerait pour préparer à manger, d’où l’espace si restreint pour la cuisine. D’après les témoignages de Filipe Magalhães et Ana Luisa Soares 173 , la salle de bain est particulièrement bien organisée. Les murs faits de plastique lavable transforment cet espace d’eau en petite capsule, comme si celle-ci était une capsule dans la capsule.

Le complexe d’édifices de Kurokawa est le premier à adopter le concept d’un système mixte. En effet, les deux tours de la Nakagin Capsule tower distinguent deux structures car elles ont chacune des cycles métaboliques différents174 : -

D’une part, deux « cœurs » en béton armé qui jouent le rôle de piliers et d’espace public servant aux habitations individuelles. Elles sont les structures porteuses principales, en plus d’accueillir les ascenseurs, escaliers et installations techniques diverses (un noyau central comportant l’eau, l’oxygène, l’électricité nécessaire pour son fonctionnement). Selon Kurokawa, ces deux tours centrales structurelles sont en quelque sorte des mégastructures, des éléments relativement petits qui peuvent participer à la structuration de la ville du futur. (Il évalua leur durée de vie à 60 ans.)

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D’autre part, ces habitations qui sont des capsules de vie construites d’éléments préfabriqués en usine et assemblées sur le chantier au cœur en béton armé par la fixation de 4 joints enrobés de béton armé. Chaque capsule de 2,4m x 3,8m est faite d’une ossature en acier léger et d’une façade composée de panneaux en acier recouvert de couches de protection plastique. Chacune a une salle d’eau, un lit double, un bureau, une chaise, une télévision, une machine à écrire, un radio réveil, un espace de stockage, et un espace de cuisson à deux plaques. (Il évalua leur durée de vie à 20-25 ans)

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 172 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism : The new japanese architecture, Architectural Record Books, McGraw-Hill Publication, 1978, p.73! 173 !Filipe Magalhães et Ana Luisa Soares, architectes portugais à Fala atelier.! 174 !LIN Zhongjie, Nakagin Capsule Tower and the Metabolist Movement revisited, in 98th ACSA Annual Meeting Proceedings Rebuilding, Bruce Goodwin & Judith Kinnard, 2010, p.517! !

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Fig. : Vues des façades et d’un plan d’étage type de la Nakagin Capsule Tower, UNCC SoA, Nakagin Capsule Tower : Revisiting The Future of the Recent past, 19/12/2015, Disponible sur https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-the-recent-past/

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Fig. 60 : Coupe du bâtiment Fig. 61 : Vue axonométrique de la structure d’une capsule

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Fig. 64 : L’espace de la capsule de la Nakagin Capsule Tower

En 1972, Kurokawa a dévoilé la Nakagin Capsule Tower comme un prototype prenant part à un tout mégastructurel 175 . Sa composition rappelle les schémas tracés auparavant, à savoir des tours structurelles centrales pour les services, connectées à divers niveaux par des passerelles piétonnes. Cet édifice est une tentative de prouver la viabilité des méthodes de structuration de l’espace urbain à grande échelle, montrant que de telles structures peuvent être construites dans un Tokyo dense 176 . Les passerelles reliant les deux tours composant le bâtiment symbolisent en quelques sortes la ville sur plusieurs niveaux comme l’imaginait Kurokawa. La capsule fut conçue par Kurokawa pour une nouvelle classe d’hommes d’affaires, donnant aux salariés qui résidaient dans les périphéries lointaines de Tokyo un module de repos, si leur travail trop prenant ne leur permettait pas de rentrer avec le dernier train. Précurseur de l’architecture préfabriquée au Japon, l’ouvrage a entrainé la réalisation des capsules dans des usines à 400 km de Tokyo et furent ensuite transportées sur le site pour être fixées sur les deux tours de services en béton armé, permettant une rapide construction en seulement quelques mois.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 175 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism McGraw-Hill Publication, 1978, p.37! 176 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism McGraw-Hill Publication, 1978, p.37! !

: The new japanese architecture, Architectural Record Books, : The new japanese architecture, Architectural Record Books,

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D’une vision d’ensemble, le système constructif d’assemblage métaboliste est similaire à un puzzle complexe. Ces relations de solide et de vide rappellent les assemblages de blocs de bois : les éléments prédécoupés sont méticuleusement associés afin de créer une forme totale. Cette esthétique d’ensemble fait penser aux pagodes bouddhistes et aux temples du VIIe siècle. L’habileté de mélange d’usages technologiques ainsi que l’agilité d’assemblage de parties différentes en un tout, est la clé du succès du Japon en terme d’architecture industrialisée. La Nakagin Capsule Tower ne fut alors que le début d’une recherche sur les « mixed systems », entrainant le développement d’autres projets intégrant d’autres systèmes. Une remarque que nous notons de la Nakagin Capsule Tower est que, bien que remarquablement conçue et pensée (dans l’idée d’un renouvellement infini et donc une croissance suivant celle de la ville dense), n’est au final peut être qu’un espace confiné 177 car presque monofonctionnel. Par suite, pour répondre à cette problématique, Kurokawa a développé un autre projet de capsules mettant cette fois-ci en avant un module plus vaste pour la LC-30X leisure capsule, incluant l’idée de plusieurs modules fonctionnels : un module de services, un module dortoir, et un module de vie ou de loisirs. Il proposa alors ces unités dans le but d’être également intégrées dans un cadre déjà installé sur un paysage de collines accidentées, afin donc de pouvoir utiliser la technologie pour conserver la pente naturelle du site.

Fig. 65 : Structure générale de la Nakagin Capsule Tower

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 177 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism McGraw-Hill Publication, 1978, p.77! !

: The new japanese architecture, Architectural Record Books,

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b- Evolutivité sociétale La Nakagin Capsule Tower est la matérialisation de l’idée des métabolistes sur les sujets de la mobilité et de la croissance. La théorie était que les résidants de cette Capsule Tower auraient pu se déplacer avec leur habitat au gré des différents supports aménagés en ville, apportant une nouvelle conception de l’urbain et de la société, avec une population grandissante et se densifiant. Même si ce genre de procédés fait grandement penser aux constructions de masse, ce mouvement était plutôt à la recherche d’innovations urbaines, pour une architecture flexible, composite et pleine de changements. La flexibilité du bâtiment réside en la possible modification de l’emplacement des cellules et leur remplacement, non pas dans la capsule en elle-même. Celle-ci est présentée en plusieurs versions d’aménagement intérieur (position de fenêtre, de l’entrée). Les capsules dans leur configuration actuelle traduisent un mode de relations sociales qui est emmené à changer dans les prochaines années. Il faudra donc changer leur organisation d’ensemble sur la structure et peut être changer leur volumétrie. Les capsules devaient être « mises à jour », c’est à dire suivre l’évolution de la société et des nouvelles technologies, donc être remplacées par d’autres capsules modules identiques tous les 25 ans. Voulant anticiper sur cette future évolution, Kurokawa avait commencé à travailler sur le « Nakagin Capsule Tower Renovation Plan » dès 1998. Celui-ci proposait de mieux équiper l’édifice en changeant totalement les capsules et en gardant la tour de services, la capsule serait légèrement plus grande, sans autres meubles que la baignoire.178

Fig. 66 : Schéma de principe de remplacement des cellules devenues obsolètes après 25-30 ans environ

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 178 !UNCC SoA, Nakagin Capsule Tower

: Revisiting The Future of the Recent past, 19/12/2015, Disponible sur https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-the-recent-past/!

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Fig. 67 : Evolution suggérée du bâtiment, par remplacement de cellules, suivant plusieurs étapes Fig. 68 : Fixation d’une cellule d’un nouveau type, pensée pour une autre époque

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Suite à ces problèmes, les propriétaires ont voté pour la démolition du complexe en 2007, dans l’espoir de le remplacer par un nouvel édifice contemporain. Une association d’architectes et Kurokawa lui même s’opposèrent fermement à ce projet. La crise financière ayant frappé mondialement, les projets de démolition ont été mis en suspens. D’après les dires des résidents, près de la moitié des 144 capsules serait dans un si mauvais état qu’elles seraient inoccupées, un quart est utilisé pour du logement tandis que le dernier quart serait réservé à des bureaux.

Il est amusant de pouvoir imaginer un parallèle entre la pièce de la maison japonaise traditionnelle recouverte de ses tatami et module de la machiya, et la capsule de la Nakagin Capsule Tower, module individuel. Aujourd’hui, en observant les usages divers dont les capsules font l’objet près de 40 ans plus tard, partagées entre logement (fonction d’origine), bureaux, ateliers, il me semble presque déceler la modularité d’utilisation des pièces de la machiya dont les fonctions variaient tout au long de la journée. Aujourd’hui cet emblème architectural du Métabolisme survit tant bien que mal, partagé entre l’engouement qu’il suscite auprès des touristes architectes ou amateurs, ou le déni qu’il subit par un grand nombre de ses occupants. Certaines capsules sont aujourd’hui disponibles à la location de loisir (par exemple sur le site airbnb). Ne serait-ce pas là peut être une des solutions pour sauver cette architecture, au vu de l’enthousiasme qu’elle suscite auprès des architectes locaux et étrangers ?

! ! ! ! ! «

Vous êtes probablement les dernières personnes vivant le Métabolisme » le propriétaire d’une capsule s’adressant aux architectes portugais Filipe Magalhães et Ana Luisa Soares

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CONCLUSION !

Ce mémoire de recherche a débuté avec nos questionnements concernant la mesure dans laquelle l’architecture japonaise intègre les notions de modularité dans sa conception. Il en résulte que d’une part la maison de ville traditionnelle et d’autre part la capsule métaboliste peuvent toutes les deux être interprétées comme des modules de la ville. Si la machiya est un module familial subdivisé par la suite en d’autres modules spatiaux internes, la capsule est un module individuel généralement conçu pour une personne, et peut être multipliée et assemblée selon les besoins. Si le module de la machiya s’insère horizontalement sur une structure qu’est le plan urbain laminé (donc modulé par la répartition des surfaces), la cellule-capsule s’insère verticalement sur une (méga)structure dont les dimensions modulées répondent aux principes de préfabrication permettant une éventuelle extension.

Fig. 70 : Comparaison entre une machiya traditionnelle module et une mégastructure métaboliste porteuse de capsules-modules

Cette recherche a permis de mettre en parallèle deux temporalités ayant en commun le principe de modularité. Nous avons mis en évidence une grande partie de la dimension spirituelle qui habite l’architecture traditionnelle japonaise pour en comprendre les caractéristiques et les origines. L’architecture des maisons traditionnelles minka (composées des noka et machiya) est particulière d’abord en lien avec un territoire hostile avec beaucoup de relief et un climat à la fois très chaud en été et très froid en hiver. Cet environnement mena à la définition d’un mode de construction spécifique avec le matériau bois notamment. Il est maintenant clair que la spatialité nippone se distingue en bien des niveaux de toute autre spatialité : ce qui la rend si singulière est la charge symbolique qui la constitue. S’il était évident pour moi que la machiya était régie par le module physique qu’est le tatami, mât anthropomorphique, et subséquemment par un système poteau-poutre, j’ai été

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surprise de découvrir à quel point la dimension spirituelle régit la spatialité de la ville jusqu’à celle de la cellule familiale et oriente l’assemblage des espaces la composant. Nous avons prouvé que l’architecture prend des dimensions autres et que le parcours physique est accompagné d’une expérience mentale liée aux coutumes et traditions du peuple : comprendre la relation et la connexion des espaces entre eux, c’est d’abord étudier des termes propres à la culture japonaise tels que le ma (espace-temps) qui produit des relations d’entre-deux et des liens entre les éléments, l’oku (profondeur) déterminant un développement en longueur de l’habitat, l’en (lien et bordure) qui permet la distinction entre des espaces aux statuts différents ou encore uchi (dedans) qui s’oppose à soto (dehors), claires notions de la hiérarchie sociale entre public et privé. Suite à ces deux termes, la machiya est donc hiérarchisée spatialement, se traduisant par l’entrée par le toriniwa et le genkan semi publics et semi privés, puis le franchissement de l’engawa et donc le passage du sol de terre battue (considérée sale et profane), au sol planchéié surélevé (considéré propre et sacré). L’homme qui passe de la rue à l’intérieur de la machiya ressent la distinction entre privé et public, et une fois dans l’enceinte des murs tsuchikabe de torchis épais, les modules constituant l’espace le rendent fluide et uni, comme si l’on parcourait une seule et grande pièce, notamment grâce à l’utilisation de panneaux répartissant l’espace. En lien étroit avec le milieu dans lequel il s’insère, le bâtiment est en échange avec lui et les relations d’entre-deux 183 sont traduites par le terme ma signifiant aussi espace-temps (il ne dissocie pas les concepts d’espace et temps). L’espace n’a donc lieu d’être qu’en fonction du temps qui passe. Il évolue suivant les moments de la journée : l’usage de pièces de la machiya auxquelles ne sont pas associées de fonctions fixes dépend de l’heure et des pratiques quotidiennes, et le degré d’ouverture des parois dépend des saisons, que l’on voit passer en observant l’évolution du jardin tsuboniwa.

Si pour l’architecture traditionnelle le lien direct à la nature se comprend avec ce jardin intérieur et l’usage de matériaux naturels (entre autres), le métabolisme trouve ce lien dans sa capacité d’évolution s’apparentant à celle de l’organisme vivant : plus le temps passe, plus l’espace se dégrade et se régénère. Nous avons présenté ces architectes de l’avant-garde dont les projets sont basés sur des recherches et analyses scientifiques de la croissance métabolique, et le cycle de vie des organismes. Bien que s’inscrivant dans une société plus avancée technologiquement et matériellement, ils sont dans le souci de renouer avec une identité pleine de traditions. Ils appuient leurs projets sur des recherches scientifiques du métabolisme et du développement des organismes vivant, L’espace de vie capsule des structures imaginées par le mouvement est donc pensé à devenir obsolète à l’avenir. Autrement dit, comme les principes de l’anabolisme et du catabolisme en biologie, l’habitat est mené à être remplacé au bout d’une certaine durée. L’architecture traduit donc un perpétuel mouvement, un flux d’événements, un rythme qui lui sont donnés et imposés par la nature ou la société, et comme le disait Augustin Berque 184 , l’architecture n’est pas une entité absolue et est toujours vouée à évoluer et subir des modifications dû, comme toute chose, à son caractère impermanent.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 183 !Public et privé, sale et propre, bruyant et calme, rue et machiya! 184 !BERQUE Augustin, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social !

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au Japon, Editions Gallimard, 1993, p.19!


L’usage de modules est flagrant pour le mouvement métaboliste, qui use du principe de la production de capsules mobiles qui se fixent à une structure (voir mégastructure) souvent extensible et dont la « durée de vie » est plus élevée. La question de la modularité est pensée en rapport à une société moderne et une démographie en hausse après la guerre. Et si le tatami des machiya était un module aux mesures certes définies, il est fabriqué manuellement, rendant chaque entité unique par une légère marge d’erreur, à l’opposé des techniques du métabolisme qui pousse au recours à la préfabrication. Si les machiya traditionnelles sont un module d’ensemble familial subdivisé en plusieurs espaces, la pensée métaboliste se base sur l’individu et donc la cellule ou capsule comme lieu de vie. Nous avons remarqué le passage d’une cellule familiale générale à la prise en compte de la personne dans toute son individualité donc en généralisant, le passage de la maison à la capsule (pour nos cas d’étude). La capsule est le module construit de ce mouvement. Elle fait partie d’un ensemble car raccrochée à une mégastructure porteuse et a les dimensions généralement estimées minimales ou nécessaires, correspond à une société du travail et est caractéristique de la production de masse standardisée pour une population qui se densifie et a besoin de plus en plus de logements. Ils cherchent à établir une connexion entre homme et nature, tradition et technologie.

! ! Aujourd’hui, on en vient à se questionner quant à l’avenir des constructions telles les machiya centenaires qui peinent à trouver suffisamment de supports financiers. De même, la Nakagin Capsule Tower témoigne qu’à partir des années 1970, l’idée des mégastructures comme solution d’urbanisme était dépassée. Comme le disait Reyner Banham, les mégastructures des années 1960 sont les « dinosaures du mouvement moderne » 185 , car trop grandes, trop maladroites, et peu appropriées aux changements de climats et d’environnements pour pouvoir « survivre ».

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Nous avons vu que l’architecture au Japon a beaucoup évolué au fil des siècles. Elle a néanmoins aujourd’hui encore conservé une part de la spiritualité qui était prégnante pour la conception des maisons traditionnelles. Les réalisations architecturales du pays présentent toujours des particularités qui les distinguent de l’architecture en Europe par exemple.

Même s’il y a une tendance au conformisme mondial, la subtile influence de la spiritualité nippone est réinterprétée par des architectes tels que Sou Fujimoto qui garde cette notion de l’entre-deux dans ses projets. House Before House ou encore House N, sont la preuve que la nature est toujours mise au premier plan, et que la relation au milieu garde son importance. L’architecte explique 186 que l’architecture et la nature ne sont pas opposées mais qu’il faut trouver un entre-deux. Cette notion ne concerne pas seulement la relation entre l’architecture et la nature mais aussi l’intérieur et l’extérieur, et aussi la relation entre différentes échelles.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 185 !ROSS Michael Franklin, Beyond Metabolism

: The new japanese architecture, Architectural Record Books, McGraw-Hill Publication, 1978, p.53 186 !DEZEEN, Sou Fujimoto « I like to explore hidden places in the architectural field », 2013, Disponible sur https://vimeo.com/77771726!

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On retrouve dans son travail des espaces sans fonctions fixes et l’abandon de l’usage de murs solides, comme s’il réutilisait les notions de l’espace de la machiya qui est un seul et unique espace pouvant être subdivisé par de fines séparations ou des séparations suggérées. Il réitère son idée de l’entre-deux par la conception de la House N comme une boite dans la boite dans la boite, composées de plusieurs couches de murs fins, créant une gradation par des espaces équivalents à l’engawa entre ces murs. La grande boite est encore l’espace de l’extérieur par ses nombreuses ouvertures, puis la boite moyenne est la transition vers la plus petit qui est l’espace privé.187 Le Serpentine Pavilion (2013) à Londres, dans Hyde Park, est l’un des exemples faisant passerelle entre la notion de traditionnel et de modernisme et contemporain. C’est à la fois une structure qui rappelle la croissance des arbres comme des branches fines qui se développent dans l’espace mais aussi une structure légère complètement artificielle. C’est un entre-deux conçu à partir d’une trame géométrique. Fujimoto voit avec le concept de l’entredeux une opportunité non seulement pour l’architecture à petite échelle (d’une maison) mais aussi pour des échelles plus grandes (gratte-ciels) en reliant des éléments de l’urbain qui ne sont pas voués à premier abord à être croisés : il y a là une volonté d’améliorer le cadre de vie, en mettant par exemple en relation les bâtiments de grande hauteur avec le paysagisme188. En somme, des architectes contemporains tels que Fujimoto, ou encore Studio BowWow qui conçoivent des bâtiments en enfilade de pièces à l’image de la machiya, ont consciemment adapté un passé riche en traditions. Cependant aujourd’hui, les anciennes habitations de la ville de Kyoto dont ils s’inspirent, survivent tant bien que mal, et une majeure partie d’entre elles vieillit et se détériore au vu et au su de la population. L’intérêt que portent beaucoup d’habitants de ces petites bâtisses à leur conservation ou leur rénovation n’est pas aussi fort que celui suscité pour la conservation du patrimoine religieux ou impérial. Même si de nombreuses associations agissent aujourd’hui pour les rénover et les préserver, et que d’autres Japonais voient en la réhabilitation de ces maisons un potentiel pour des restaurants ou des hôtels, ces préoccupations soulèvent un questionnement d’ordre plus général concernant l’idée du patrimoine au Japon, et l’idée qu’ils en ont de la conservation. En effet, la destruction d’une ou de plusieurs machiya libèrera plus de terres pour la construction d’un immeuble plus lucratif et plus dense, pouvant accueillir un effectif plus grand.

À plus grande échelle, il me semble qu’en considérant le développement de Tokyo comme un métabolisme (un organisme vivant s’adaptant à son milieu), nous pouvons aujourd’hui remarquer que celui-ci a changé par rapport à sa situation de croissance démographique et sa densité d’après guerre. Un nouveau contexte touche Tokyo, et cette ville qui autrefois connut une croissance fulgurante semble s’essouffler, entraînant une dépeuplement. De nouvelles idées et principes peuvent être décrits comme métabolistes pour la ville, même s’ils ne font pas partie d’un mouvement architectural successeur à celui de Kurokawa. Il s’agit plutôt d’un nouveau genre de métabolisme, dans le sens où le projet urbain s’adapte aux caractéristiques contemporaines de la ville. L’idée des métabolistes d’adapter l’architecture en fonction des besoins de la population dépend beaucoup de la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 187 !The Current Work Series, Sou Fujimoto

: Between Nature and Architecture, 15 Avril 2014, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=YPeZ4l1tdjs&index=2&list=PL4s5p0ADhj6u_pUuYlZXOb-vfn4EVIq1V! 188 !DEZEEN, Sou Fujimoto « I like to explore hidden places in the architectural field », 2013, Disponible sur https://vimeo.com/77771726!

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démographie. En effet, si l’on suit leur philosophie, si le nombre d’habitant diminue, le nombre de logements serait voué à diminuer. Aujourd’hui, le contexte démographique de Tokyo a basculé et est tout autre que celui de la période métaboliste. Après une augmentation stable depuis la période d’après guerre, elle a commencé à diminuer pour la première fois à partir de 2005. Dans les 50 prochaines années, la population actuelle d’environ 43 millions d’habitants pourrait diminuer d’un tiers. Ce renversement de situation pour Tokyo 189, mégalopole mondiale et ville la plus peuplée au monde, est donc d’une importance majeure. Décrite auparavant comme constamment changeante, elle devra faire face à un tournant dans l’histoire de sa structure urbaine. L’idée de l’évolution métaboliste d’agrandissement n’aura plus lieu d’être mais il faudra penser le réinvestissement de la ville existante, à savoir un métabolisme qui s’adaptera à l’environnement pré-existant. Kurokawa qualifiait Tokyo de « nomade contemporaine ». L’architecte japonais Hidetoshi Ohno 190 a mené à bien une étude sur les effets que cette nouvelle configuration démographique pourrait avoir sur les villes au Japon. Il a proposé un projet appelé TOKYO 2050 Fibercity 191 qui introduit un nouveau modèle urbain qui, après quelques modifications suivant des variations, pourrait ensuite être adapté aux autres villes ou zones urbaines mondiales aux tendances démographiques identiques à celles du Japon. Les problèmes évoqués par Hidetoshi Ohno incluent d’agir sur l’espace, les structures architecturales en surplus et les services publics (afin de réduire les transports privés). D’après l’architecte, les périphéries sont les plus problématiques. Son but serait donc de proposer un Tokyo moins étendu et plus compact. Le tissu est l’image utilisée pour organiser cette « nouvelle ville ». Il ne s’agit plus là d’une structure à l’échelle du bâtiment mais d’une structure à l’échelle de la ville 192 . Les fibres et réseaux forment un fil. Les fils entre eux forment une toile, un tissu, considéré comme « soft » et souple. Tout comme le mouvement métaboliste, il propose une idéologie basée sur le développement lié à la nature. Les grandes caractéristiques de ce projet sont donc les suivantes193 : -

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La FiberCity recherche une solution économique rationnelle, intervention modeste, plus grand effet, La FiberCity reconnaît l’existence de structures qui ne doivent pas être détruites mais nous devons trouver un moyen de les ré-utiliser (la Green Web), Respecter les conditions existantes, réutiliser les espaces urbains, respecter l’histoire de l’espace (continuum historique) – dialogue entre histoire de la ville, la topographie, la mémoire (Urban Wrinkle), La FiberCity reconnaît que le système de transports publics doit faire partie de la stratégie environnementale, et ceux-ci doivent être considérés comme droit fondamental pour une société qui vieillit, assurer la participation de ceux dont la mobilité diminue (Green Finger), La FiberCity reconnaît l’importance de la consommation. La vie urbaine correspond aux échanges de tous types de valeurs.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 189 !Electric journal of japanese studies, Chapter 3 : Shrinking Cities in Japan, 190 !http://www.fibercity2050.net/,!professeur de Design Workshop à l’Université 191 !http://www.fibercity2050.net/! 192 !http://www.fibercity2050.net/! 193 !http://www.fibercity2050.net/! !

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p.3-4! de Tokyo!


Ohno utilise quatre stratégies de design urbain que nous pouvons alors qualifier de modules d’intervention à l’échelle de la ville : 1) Green finger : convertir les zones situées à une distance à pied trop élevée de la gare en une ceinture verte, 2) Green partition : atténuer l'impact des catastrophes naturelles par le cloisonnement des zones résidentielles surpeuplées dans le centre de Tokyo, 3) Green web : convertir une partie du réseau routier métropolitain en un parc linéaire, 4) Urban wrinkle : améliorer et rénover les lieux linéaires dans une ville afin de mettre en valeur leur potentiel. Nous nous éloignons là beaucoup de l’idée de module-objet tel que le tatami, ou encore de cellule de vie comme pour le mouvement métaboliste, et il est plutôt question d’une modularité comme structuration et répartition des espaces de la ville. La proposition de Hidetoshi Ohno étudie plusieurs solutions aux problèmes soulignés précédemment, mais elle est là le sujet d’une autre recherche approfondie…

Par la réalisation de ce mémoire de recherche, je ne m’attendais pas à comprendre la modularité de cette manière. Nietzsche disait : « Il n’y a pas de faits, juste des interprétations ». S’il y a eu une évidente régularité planifiée grâce à des modules tels que le tatami ou les éléments de préfabrication, la modularité et la spatialité peuvent être interprétées sur différents thèmes en fonction du point de vue de chacun. Ce concept a une diversité de compréhensions et de significations tant spatialement que mentalement. Je ne pensais pas trouver un lien entre l’architecture traditionnelle et celle du métabolisme, mais c’est qu’aussi, je ne m’attendais pas à ce que les principes régissant la spatialité des machiya soient aussi liés à la dimension spirituelle, qui a perduré jusqu’à encore aujourd’hui. Il a été surprenant de voir que le métabolisme est lié aux protestations des mouvements d’Europe comme Archigram, car je le pensais au départ isolé, ne l’ayant jamais étudié auparavant, avec seule la Nakagin Capsule Tower comme image en tête. Ce qui est regrettable pour la rédaction de ce mémoire est que j’ai réalisé l’ensemble des études à partir de lectures de monographies, d’articles, bien renseignés mais restant au format papier. Je n’ai pas eu la chance de voyager au Japon et j’ai donc référencé des images de machiya que je n’ai pas visité, mais cela est une raison de plus pour aller visiter ce beau pays qu’est le Japon. Je conclus ce travail de recherche sur un sentiment d’accomplissement. Si au départ j’avais une idée approximative de ce que représentait l’idée de module pour l’architecture japonaise, les nombreuses lectures et études ont éveillé une nouvelle curiosité et m’ont permis d’en déceler des principes. Bien qu’en si peu de temps il est impossible d’assimiler une culture aussi vaste que celle-ci, j’en perçois aujourd’hui une infime partie. Je comprends mieux dans quelle propension l’architecture du Japon fascine, et est interconnectée avec l’occident, comment le bâti est lié au sociologique et au spirituel.

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Fig. 71 : Une machiya de Kanazawa

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ANNEXE 1

Carte du Japon, repères géographiques Source : BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.14

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ANNEXE 2

Structure d’une maison de bois traditionnelle japonaise Source : http://factsanddetails.com/japan/cat20/sub129/item687.html#chapter-5

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LEXIQUE ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !

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Byobu : Paravent d’ornement à plusieurs panneaux Chô : Mesure correspondant à 106,56m, « matrice de l’organisation spatiale) Daidokoro : Espace de cuisine, dans le doma Daiku : Equivalent du maitre charpentier Doma : Espace de la maison traditionnelle dont le sol est fait de terre battue (comprend le genkan, le daidokoro, les espaces sanitaires) En : Marge, bordure, transition Engawa : « Véranda », galerie ou espace périphérique de la maison traditionnelle Fûdo : Milieu nippon Fusuma : Paroi et cloison coulissante, composée d’une structure de bambou ou treillis de bois et de papier de riz (opaque) Genkan : Vestibule d’entrée de la maison traditionnelle (fait partie du doma) Hanare : Espace de stock en fond de parcelle de la machiya Hare : L’officiel, le public Hashira-hari : Appellation du système d’assemblage poteaux-poutres Itanoma : Espace recouvert de tatami de la maison traditionnelle Kami : Divinité Ke : Le quotidien, le privé Kiwari : « Standardisation » du système poteaux-poutres Koshi : Panneau à claire-voie Ma : Intervalle d’espace-temps entre deux choses Machiya : Maison traditionnelle de ville Mise-no-ma : Espace commerçant Minka : Maison traditionnelle rurale Mujô : Impermanence Naka-no-ma : Espace central Noka : L’ensemble des maisons japonaises, comprenant les minka et machiya Oodogushi : Espace de l’entrée Oku : Profondeur Oku-no-ma : Espace du fond Shimenawa : Corde tournée faite de la paille de riz Shinshin : Configuration du système de construction prenant le tatami comme module variable Shinchintaisha : Métabolisme, renouveau Shinto : « La voie des dieux » Ensemble de croyances propres au Japon Shoji : Paroi et cloison coulissante, composée d’une structure de bambou ou treillis de bois et de papier de riz (translucide) Takayuka : Espace planchéié Tatami : Elément rectangulaire fabriqué de jonc et de paille de riz, 182x91cm Tokonoma : Alcôve à caractère décoratif et sacré dans le zashiki Toki : Le temps Toriniwa : Espace couloir de circulation du doma Tsuboniwa : Jardin intérieur de la machiya Uchi : Intérieur / Groupe, communauté Uchinori : Configuration du système de construction prenant le tatami comme module fixe Ura : Côté caché des choses Zashiki : Pièces couvertes de tatami (à l’origine les pièces de réception, lié à l’okuno-ma) 113


TABLE DES ILLUSTRATIONS

Page de garde : Façade de machiya de la préfecture de Nara et vue de la Nakagin Capsule Tower Sources : http://muza-chan.net/japan/index.php/blog/japanese-traditional-houses-nara-travel-tip et TOLAN Casey, Inside the crumbling Tokyo apartment building that’s a 1970s vision of the future, Disponible sur http://fusion.net/story/191915/nakagin-capsule-tower-japan/, 09/03/2015 Fig. 1 : Croquis de joints en bois par Tanaka Fumio pour une maison de sa conception Source : ZWERGER Klaus, Wood and wood joints, building traditions of Europe and Japan, Birkhaüser, 1997, p66, d’après le Kenchiku bunka, vol.38 numéro.439 1983 p.129 Fig. 2 : La plage de Shichiri dans la province de Suruga, « Trente-six vues du mont Fuji » , 13e vue, Hokusai Katsushika, vers 1829-1833, source : BNF Fig. 3 : Schéma montrant en B. les valeurs spirituelles japonaises, en accord avec la nature, Source : BONNIN Philippe, CRUZ-SAITO Mizuki, MASATSUGU Nishida, Le tatami et la spatialité japonaise, Ebisu, 2007, Volume 38, Numéro 1, p.291 Fig. 4 : Vue d’un shimenawa de temple Shinto, marquant la séparation de l’espace extérieur avec l’intérieur sacré, Kanazawa, Source : http://traveljapanblog.com/wordpress/tag/shimenawa/ Fig. 5 : Vue des assemblages structurels constituant l’ossature générale de la maison japonaise, Source : PEZEU-MASSABUAU Jacques, La maison japonaise, standardisation de l’espace habité et harmonie sociale, Annales Persée, 1977, Volume 32, Numéro 4, p.671 Fig. 6 : Les machiya à l'ouest du Pont Sanjô (Sanjô Ôhashi) à la fin du 18e siècle, Source : TAKEHARA Shunchôsai (illustrations) : « Miyako Meisho Zue », http://culturejaponaise.info/albums/machiya/index.html#interactif

volume

1

(1780)

Fig. 7 : Système urbain de division du sol en jô-bô, jobô-sei, Source : Atlas historique de Kyoto, 2008, MARMIGNON Patricia, Mésologiques, études des milieux, 03/07/2012, Disponible sur http://ecoumene.blogspot.fr/2012/07/espace-japonais-le-quartier-p-marmignon.html Fig. 8 : Système urbain de division du sol en jô-ri, jori-sei, Source : Atlas historique de Kyoto, 2008, MARMIGNON Patricia, Mésologiques, études des milieux, 03/07/2012, Disponible sur http://ecoumene.blogspot.fr/2012/07/espace-japonais-le-quartier-p-marmignon.html Fig. 9 : Organisation du type parcellaire pour les quartiers commerçants, Source : MARMIGNON Patricia, Mésologiques, études des milieux, http://ecoumene.blogspot.fr/2012/07/espace-japonais-le-quartier-p-marmignon.html

03/07/2012,

Disponible

Fig. 10 : Vue d’une rue de Kyôto, avec la continuité machinami de façades mitoyennes Source : http://kyoto-entdecken.de/2011/03/08/hanamachi/ Fig. 11 : Parcellaire modulé, laminé et étroit, vue des volumes en longueur des machiya, Croquis personnel Fig. 12 : Alignement machinami dans lequel la machiya constitue un module spatial, Croquis personnel Fig. 13 : Vues de face, en plan et en coupe de la structure d’un mur en torchis tsuchikabe, Croquis personnels d’après http://www.clickjapan.org/Architecture/mur-fenetre-japonaises.htm Fig. 14 : Plan type et axonométrie d’une machiya de Kyoto, Croquis personnels, inspiration du plan http://culturejaponaise.info/albums/machiya/index.html#interactif

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sur


Fig. 27 : Vue du tsuboniwa d’une machiya de Nara, Source':'https://jeveuxtoujoursetreailleurs.wordpress.com/2014/11/17/j6-kyoto-nara/ Fig. 28 : Systèmes de modulation d’une pièce par la disposition de tatami Source : Dessins d’origine Manuel Tardits, BONNIN Philippe, MASATSUGU Nishida, SHIGEMI Inaga, Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS Editions, 2014, p.469 Fig. 29 : Organisation des systèmes shinshin et uchinori, modularité définie par le tatami et l’entrecolonnement, Source : BONNIN Philippe, CRUZ-SAITO Mizuki, MASATSUGU Nishida, Le tatami et la spatialité japonaise, Ebisu, 2007, Volume 38, Numéro 1, p.65 Fig. 30 : Système A – shinshin / Système B – uchinori, Source : PEZEU-MASSABUAU Jacques, La maison japonaise, standardisation de l’espace habité et harmonie sociale, Annales Persée, 1977, Volume 32, Numéro 4, p.672 Fig. 31 : Exemple de visualisation de la structure hashira bari d’une machiya, Source : Modélisation 3D de la structure de la machiya Nagaeke par Kevin Jacquot, dans le cadre du programme de recherche « Exploration du patrimoine numérisé de la machiya Nagaeke », avec la Japan Society for the promotion of sciences et le CNRS, http://www.kevinjacquot.com/exploration-du-patrimoine-numerise-de-la-machiyanagaeke/structure4/ Fig. 32 : Panneaux koshi en façade d’une machiya du quartier Matsuyama, préfecture de Nara, Source : http://www.wikiwand.com/en/Machiya Fig. 33 : Vue à travers les claire-voies des panneaux koshi, Source':'http://culturejaponaise.info/albums/machiya/index.html#interactif Fig. 34: Panneaux fusuma opaques et peints, servant de cloison Source : https://ssl.runon.co.jp/akatsuki/akatsuki21_658.php/ Fig. 35 : Panneaux fusuma comme portes de placard (ici, à coté du tokonoma) Source : https://ssl.runon.co.jp/kodama/kodama11_504.php Fig. 36 : Panneaux shoji, Source : http://fr.phaidon.com/agenda/design/articles/2014/january/16/kenya-hara-on-the-future-of-japanese-design/ Fig. 37 : Byobu à 6 panneaux du XVIIe siècle, Source : http://www.wikiwand.com/en/By%C5%8Dbu Fig. 38 : Comparaison entre, à gauche la séparation brutale d’un mur, et à droite, l’effet gradué et progressif produit par l’ajout des couches constituées par les panneaux koshi, shoji fusuma et byobu, Source : The Current Work Series, Sou Fujimoto : Between Nature and Architecture, 15 Avril 2014, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=YPeZ4l1tdjs&index=2&list=PL4s5p0ADhj6u_pUuYlZXOb-vfn4EVIq1V, Fig. 39 : Evolution de l’usage d’une pièce dans la journée en fonction de l’usage qu’on en fait, Croquis personnels Fig. 40 : Schéma pour le projet de Cluster City, Peter et Alison Smithson, Source : http://arquitecturasalbordedelacritica.blogspot.fr/2012_05_01_archive.html Fig. 41 : Axonométrie de House of the future, Peter Smithson, Source : http://www.cca.qc.ca/fr/issues/2/cetait-le-futur/32734/1956-house-of-the-future Fig. 42 : Etude de la Plug-In City, Peter Cook, Vue générale, 1964, Source : Archives d’Archigram Fig. 43 : Etude de l’Instant city, Airship M3, Peter Cook, 1968, Source : Archives d’Archigram Fig. 44 : Croissance du tissu urbain de la ville de Tokyo de 1880 à 1965, Source : http://mandi-young.blogspot.fr/2006/08/plan-for-tokyo-bay-1960.html Fig. 45 : Schéma de la division cellulaire, Source : KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011, p.13

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Fig. 46 : Comparaison de la reproduction cellulaire avec l’évolution urbaine de la baie de Tokyo Source : KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011 p.160, p.156 Fig. 47 : Vue aérienne du projet pour la baie de Tokyo, Source : Kenzo Tange, 1960, photo de Kawasumi Akio, TANGE ASSOCIATES Fig. 48 : Projet de Floating City, Kisho Kurokawa, 1961 Source : http://kisho.co.jp Fig. 49 : Projet de Marine City, Kiyonori Kikutake, 1963, Source : http://arttattler.com/architecturemetaboliccity.html Fig. 50 : Projet de Clusters in the air, Arata Isozaki, 1960-1962, Source : https://workjes.wordpress.com/2008/01/30/clusters-in-the-air/ Fig. 51 : Inspiration de la structure hélicoïdale de l’ADN, Projet d’Helix City, Kisho Kurokawa, 1962 Source : KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan : Metabolism talks…, Taschen, 2011 Fig. 52 : Projet d’Helix City, Kisho Kurokawa, 1962, Source : http://kisho.co.jp Fig. 53 : 3 structures composant la ville selon Arata Isozaki, Source : AYER Patrick, Métabolisme, Tokyo entre croissance et désaturation, diachronie d’un espace urbain fragmenté, 2011, p.23 Fig. 54 : Schématisation du concept de bi-structures, avec au centre une structure au cycle de vie long, et les capsules éphémères qui s’y accrochent, Croquis personnel Fig. 55 : Coupe du pavillon, vue des capsules-modules s’insérant dans la structure extensible, Source : https://www.studyblue.com/notes/note/n/metabolism-and-designs/deck/6620552 Fig. 56 et 57 : Vues générales du Takara Beautilion, 1970, Kisho Kurokawa, Sources : http://architecturalmoleskine.blogspot.fr/2011/10/metabolist-movement.html et https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-the-recent-past/ Fig. 58 : Vues générales de la Nakagin Capsule Tower, Source : photos Arcspace Fig. 59 : Vues des façades et d’un plan d’étage type de la Nakagin Capsule Tower, Source : UNCC SoA, Nakagin Capsule Tower : Revisiting The Future of the Recent past, 19/12/2015, Disponible sur https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-the-recent-past/ Fig. 60 : Coupe du bâtiment, Source : https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-therecent-past/ Fig. 61 : Vue axonométrique de la structure d’une capsule, Source : http://www.archdaily.com.br/br/01-36195/classicos-da-arquitetura-nakagin-capsule-tower-kisho-kurokawa Fig. 62 : Coupe en perspective d’un étage type, organisation des cellules autour de la tour de services, Sources':'http://architecturalmoleskine.blogspot.fr/2011/10/kurokawa-nakagin-capsule-tower.html Fig. 63 : Vues d’origine, de l’extérieur et de lintérieur de la capsule, Sources : photos Arcspace et http://www.kisho.co.jp/page/209.html

! Fig. 64 : L’espace de la capsule de la Nakagin Capsule Tower Source : https://it.pinterest.com/pin/429530883184912440/ Fig. 65 : Structure générale de la Nakagin Capsule Tower, Source : AYER Patrick, Métabolisme, Tokyo entre croissance et désaturation, diachronie d’un espace urbain fragmenté, 2011, p.25

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Fig. 66 : Schéma de principe de remplacement des cellules devenues obsolètes après 25-30 ans environ, Source : https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-therecent-past/ Fig. 67 : Evolution suggérée du bâtiment, par remplacement de cellules, suivant plusieurs étapes, Source : https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-therecent-past/ Fig. 68 : Fixation d’une cellule d’un nouveau type, pensée pour une autre époque, Source : https://thethinkingarchitect.wordpress.com/2015/12/19/nakagin-capsule-tower-revisiting-the-future-of-therecent-past/ Fig. 69 : L’état de certaines capsules est très dégradé, Source : MAGALHÃES Filipe, SOARES Ana Luisa, The Metabolist Routine, DOMUS, Numéro 969, mai 2013 Fig. 70 : Comparaison entre une machiya traditionnelle module et une mégastructure métaboliste porteuse de capsules-modules, Croquis personnels Fig. 71 : Une machiya de Kanazawa, Source : Elevator Shoes, Mark Hammond, 20/04/2014, https://kanazawahammond.blogspot.fr/2014/04/elevatorshoes.html

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