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TEXTE SARAH BURKHALTER
Il brûle, triture, et soude. Ne cherchez aucune surface platement réfléchissante, dans le travail de Maarten Baas, ni aucun angle tout à fait droit. Le jeune designer néerlandais vous installe plutôt dans un univers de bric et de broc, ou presque. Une manière d’explorer les points d’équilibre de ses chaises et armoires, mais aussi des matériaux eux-mêmes. Nommé tout récemment Designer of the Year par Design Miami, il détaille pour Profil quelques intuitions plastiques. SMOKE (2002) Son travail de diplôme à l’académie de design d’Eindhoven consistait à passer des fauteuils au chalumeau. Enduits ensuite d’une résine, ces meubles trouvaient alors un nouvel usage. La stratégie iconoclaste de Baas a été immédiatement encensée par la critique et les mécènes – le label Moooi a assuré la production du mobilier calciné, le galeriste new-yorkais Murray Moss en a fait une pièce maîtresse de sa collection, et le Groninger Museum a confié quelques assises baroques (recalées jusque-là dans son dépôt) au brillant pyromane.
« HEY, CHAIR, BE A BOOKSHELF ! » (2005) Ou le débarras sauvage promu bibliothèque de marque. Baas, qui vit et travaille dans une ferme près de Bois-le-Duc, au nord des PaysBas, se moque des fonctions habituelles des objets. Pourquoi ne pas en souder quelques-uns, surtout le surplus de magasins deuxième main, et en faire des assemblages défiant les lois de la gravité ? La candeur du nom dissimule mal la rigueur du designer, celle d’explorer les potentiels des accessoires du quotidien, une fois libérés de leur utilité première.
CLAY FURNITURE (2006) L’argile synthétique est modelée à même l’ossature métallique de cette série de mobilier. Du ventilateur au tabouret, de la chaise à bascule au guéridon, tout est fait main, pour une esthétique proche du film d’animation.
DOM RUINART (2009) La plus vénérable des maisons de champagne, Dom Ruinart, a demandé à Baas de reformuler son identité. Au final, une installation – Bouquet de champagne, exposée aux Design Days de Genève en septembre passé –, des flûtes, et un bac à champagne qui flirtent avec le point d’évaporation. Maarten Baas, vous venez d’être élu designer de l’année par Design Miami. Comment avez-vous appris la nouvelle, et qu’est-ce que cela change pour vous, dans l’immédiat et à plus long terme ? C’était très drôle : j’ai téléphoné un jour à Ambra Medda (cofondatrice de Design Miami, ndlr), et, soudain, au milieu de la conversation, elle s’est lancée dans un monologue à mon sujet, me disant combien elle trouvait mon travail fantastique. Je me suis dit : « Ok, super… mais je
dom ruinart n’appelais pas pour ça ! » Puis, à la fin, elle m’a demandé de poser ma candidature au prix, et là, j’ai pensé : « Wow ! ». Quelques semaines plus tard, le jury m’a nommé ! Je ne suis pas le candidat évident, car je n’ai pas vingt ans de métier (Maarten Baas est né en 1978, ndlr). C’est pour moi un immense honneur, une forme de reconnaissance très spéciale : j’apprécie que le comité ait décerné le prix à un jeune designer : pour moi, il représente une vraie étape dans ma carrière, même si je n’ai jamais raisonné en termes carriéristes. Surtout, la mention du jury a capté très exactement ce que j’essaie d’atteindre dans mon travail. Comme si ses membres me connaissaient mieux que moi-même ! Vous avez récemment présenté à Genève une installation pour Ruinart. On peut y lire des allusions au Titanic. Qu’est-ce qui vous a inspiré ? Certains y voient en effet le Titanic, d’autres la dissolution de l’ancien, ou l’atterrissage en douceur de quelque chose qui est tombé du plafond, un instant surréaliste… Je tenais à faire fusionner la notion d’une tradition riche avec un regard futuriste. L’état liquide m’intéresse particulièrement : c’est là que s’opère le moment de transition. On peut donner n’importe quelle forme à la matière. Votre ligne Clay Furniture frappe par son aspect très ludique. Quelle importance a le jeu dans votre démarche ? Je recherche en effet toujours l’humour dans ce que je regarde, dans ce que j’achète. Cela fait partie de moi, et on le remarque dans mes pièces. Par ailleurs, je travaille de façon très intuitive – ce qui revient à jouer avec les choses. Je veux créer du mobilier comme un musicien joue de la musique. Comme du “ streaming ”, sans poser ni théories, ni concepts préalables. Fabriquer des meubles comme on chanterait une chanson. Voilà vers quoi je tends, et ça me tient très à cœur. L’histoire et le canon du design partent en fumée avec Smoke. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec le feu ? C’était pour moi un outil comme un autre. Évidemment, je suis conscient des associations péjoratives liées au feu, mais j’ai aimé les résultats, il y avait de la beauté, là-dedans. Le paradoxe qui consiste à créer quelque chose par le feu m’a beaucoup stimulé. Et puis, oui, je relativise le canon en brûlant un Rietveld : pourquoi ne pas le toucher ? C’est une chaise en bois, après tout. À quelle icône suisse mettriez-vous le feu – un LC4 du Corbusier, une cloche de vache, Art Basel, autre chose ? (Rires.) J’ai carbonisé un fauteuil suisse pour un client privé, mais j’en oublie l’auteur ! Sur le dossier figurait la croix suisse ! Vous avez collaboré au théâtre avec la compagnie De Kwekerij. Qu’est-ce qui vous attiré sur la scène ? Ce qui me plaît, au théâtre, c’est que l’on peut vraiment créer une atmosphère. On peut aspirer les gens dans un monde, fût-il totalement surréel ou onirique. Dans ma dernière exposition, j’ai fait appel à un acteur, afin de souligner la part théâtrale de mon mobilier. FIN
clay furniture
« hey, chair, be a bookshelf ! »
www.maartenbaas.com. Design Miami, jusqu’au 5 décembre, www.designmiami.com. © Frank Tielemans
© Dom Ruinart/50 ans
smoke