UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 UFR Arts & Médias Département de Médiation culturelle
La conscientisation des différences d’interprétation comme levier de médiation de la musique classique Pour une valorisation de l’écoute et un nouvel attrait pour le concert traditionnel
Sarah BRUN
Mémoire de Master 2 Médiation de la Musique sous la direction de Cécile PRÉVOST-THOMAS Soutenu à la session de septembre 2016
La conscientisation des différences d’interprétation comme levier de médiation de la musique classique Pour une valorisation de l’écoute et un nouvel attrait pour le concert traditionnel
UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 UFR Arts & Médias Département de Médiation culturelle
La conscientisation des différences d’interprétation comme levier de médiation de la musique classique Pour une valorisation de l’écoute et un nouvel attrait pour le concert traditionnel
Sarah BRUN
Mémoire de Master 2 Médiation de la Musique sous la direction de Cécile PRÉVOST-THOMAS Soutenu à la session de septembre 2016
Déclaration sur l’honneur
Je soussignée, Sarah Brun, déclare avoir rédigé ce mémoire sans aides extérieures ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n’a été soumis à aucun autre jury d’examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l’étranger, à l’université ou dans une autre institution, par moi-même ou par autrui.
Fait à Paris, le 14 septembre 2016
Sarah Brun
2
REMERCIEMENTS Je tiens bien évidemment à remercier Cécile Prévost-Thomas, ma directrice de recherche, pour m’avoir en premier lieu permis d’entrer dans le Master 2 Médiation de la Musique et d’accéder au milieu des études de la musique à Paris, puis pour m’avoir aidé dans la conception de ce mémoire, qui je l’espère apportera des pistes de réflexions universitaires et professionnelles intéressantes à d’autres que moi. Je tiens aussi tout particulièrement à remercier Olivier Lalane, fidèle compagnon de mes nuits blanches, soutien indéfectible et ami précieux, sans qui ce mémoire n’aurait jamais vu le jour puisqu’il est mon premier prescripteur de curiosité. Un immense merci à Pierre-Yves Lascar, pour son avis éclairé sur le milieu du classique et sur le sujet des interprétations. Ainsi qu’aux 304 personnes ayant répondu à mon questionnaire et à celles que j’ai interrogées par la suite en entretien individuel. Enfin, je remercie mes correcteurs, camarades de classe, famille et proches pour avoir pris le temps de me faire des retours sur mon travail et pour les longues heures de discussion productive sur le sujet.
« L’art naît de contrainte, vit de lutte, meurt de liberté. » André Gide
TABLE DES MATIÈRES Remerciements.......................................................... 3 Introduction .............................................................. 7 Première partie : Les diverses interprétations : le joyau de la musique classique ................................ 16 I.
De l’intérêt de la multitude des interprétations ..................... 16
a. Un répertoire vivant en permanence recréé ........................................................... 16 b. La diversité des enregistrements : possibilité d’une approche personnelle de l’auditeur ............................................................................................................... 18 c. Quelles différences entre les interprétations pour quels effets ? ........................... 21
II.
Le caractère unique et individuel de l’interprétation............. 22
a. Le concert live : une interprétation éphémère risquée........................................... 22 b. L’interprète : un recréateur de l’œuvre originelle ................................................. 25 c. L’individualité de l’auditeur : la méta-interprétation ............................................ 26
Deuxième partie : Connaissance et méconnaissance des interprétations auprès des publics .................. 29 I.
Présentation du terrain ........................................................... 29
a. Explication du choix du panel ............................................................................... 29 b. Pré-enquête quantitative via questionnaire............................................................ 30 c. Enquête qualitative via entretiens individuels ....................................................... 34
II.
Les trois publics de la musique.............................................. 37
a. Les non-amateurs : un public en demande ou récalcitrant ? ................................. 38 b. Les amateurs en pleine méconnaissance ............................................................... 39 c. Les passionnés acharnés d’interprétations ............................................................ 40
5
Troisième partie : Remédier à la méconnaissance : un levier de médiation possible pour amorcer un renouvellement des publics ................................... 42 I.
Les prescripteurs de curiosité : qui doit faire une telle médiation ?............................................................................. 42
a. Les prescripteurs publics : institutions culturelles et Éducation Nationale ............ 42 b. Les prescripteurs professionnels : critiques musicaux et médiateurs ..................... 43 c. Les prescripteurs amateurs : interprètes et cercle personnel d’influence ............... 45
II.
L’interprétation : un nouveau levier de médiation ................ 46
a. Un outil oublié à portée de main : l’écoute ............................................................ 46 b. Retravailler le positionnement communicationnel ................................................. 51 c. Le traitement par les médias et l’art audiovisuel .................................................... 54
Conclusion ............................................................... 58 Bibliographie........................................................... 60 Annexes ................................................................... 67
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INTRODUCTION Point de départ et concepts généraux Accueillie dans le milieu de la « musique classique »1 depuis plus de quatre ans, je me suis rapidement passionnée pour les multiples émotions que cette musique peut procurer et les réponses qu’elle offre aux questions que l’on se pose ou à celles que l’on ne se pose pas. A la manière de Martine DumontMergeay, « ce qui est sûr, c’est que [la musique] que j’essaye en permanence de retrouver, c’est celle qui décrit quelque chose de l’ordre de l’invisible, de la transcendance. La musique est un des éléments qui me met en communication avec quelque chose que j’ai recherché à travers d’autres fonctions et que je définis par le mouvement de l’âme. »2 Rapidement convaincue que l’œuvre n’opérait pas seule – car la musique est un art interprétatif comme la danse ou le théâtre – mais nécessitait l’adéquation entre la conception de l’œuvre par des artistes-interprètes offerte à un public et des moyens techniques permettant de retranscrire cette dernière le plus fidèlement possible ; je me suis intéressée aux possibilités émotionnelles, intellectuelles et de compréhension offertes par les différentes interprétations d’une même œuvre de musique savante. Sans interprétation, l’œuvre n’est constituée que de symboles écrits sur une partition, de graphèmes d’une musique qui attend d’être jouée. Comme le dit si justement Eric Dufour : « La partition n’est rien d’autre que de la musique possible, c’est-à-
Par le terme « musique classique », nous ne définissons pas à l’évidence la période classique allant de 1750 à 1820, mais bien la musique savante occidentale, depuis la période médiévale jusqu’à aujourd’hui. J’éviterai toutefois de parler de « musique savante » pour le remplacer, car ce terme englobe aujourd’hui selon certaines nomenclatures le jazz. Nous ne comprendrons pas non plus la musique dite « contemporaine » (dont la plupart des musicologues estiment la naissance après la Seconde Guerre Mondiale en 1945), car elle expérimente en partie les limites des codes traditionnels de la musique savante occidentale et pourrait donc ne pas se prêter à cette étude. 2 DUMONT-MERGEAY Martine, « Table ronde », dans SEYS Pascale (dir.), Access : Quels publics pour la musique classique ?, Bruxelles, Mardaga, (coll. « Musique-Musicologie »), 2003, p.156 1
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dire la notation d’une œuvre qui n’existe réellement ou effectivement que pour autant qu’elle est exécutée. »3 Ecouter la Symphonie n°8 ‘des Mille’ de Gustav Mahler ou le Concerto pour piano n°5 ‘L’Empereur’ de Ludwig van Beethoven ne concentre pas les mêmes compétences, les mêmes émotions, les mêmes attentions, la même manière d’écouter. Ce n’est tout simplement pas la même musique. Mais écouter le Prélude à l’Après-midi d’un faune de Claude Debussy interprété par Pierre Boulez et l’Orchestre de Cleveland ou par Charles Dutoit et l’Orchestre symphonique de Montréal, ce n’est pas non plus écouter la même chose. S’il s’agit de la même œuvre, l’interprétation diverge et propose une lecture, et donc une écoute et une réception différente de l’œuvre. Du latin « interpretari », le terme « interpréter » signifie à l’origine « expliquer », rendre intelligible. D’après le Larousse, il peut s’agir de « donner à des propos, à un événement, à un acte telle signification, les comprendre en fonction de sa vision personnelle »4. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales ajoute une précision : « Donner un sens personnel, parmi d’autres possibles, à un acte, à un fait, dont l’explication n’apparaît pas de manière évidente. »5 L’ « interpres » est un médiateur, un traducteur et un négociateur. Il vend (de l’indo-européen « per », vendre, trafiquer) à un destinataire une proposition de traduction entre un langage et un autre (du latin « inter », entre). Nous parlons donc dans le cadre de cette étude de traduire le langage de la partition écrite dans un langage oral plus facilement accessible. Et lors de cette traduction, l’interprète (celui qui explique) donne sa vision personnelle du langage traduit, vision qui n’est qu’une possibilité de traduction parmi d’autres. Michel Sogny, dans La musique en questions, donne une définition plus précise encore de l’interprétation musicale :
DUFOUR Eric, Qu’est-ce que la musique ?, Paris, Librairie Philosophique Vrin, (coll. Chemins philosophiques), 2005 3
4 5
Définition disponible sur www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interpr%C3%A9ter/43813 Définition disponible sur www.cnrtl.fr/definition/interpr%C3%A9ter
8
« En résumé le compositeur est à l’origine d’une œuvre musicale. Il est le seul à ressentir la sensation qui va donner naissance à l’œuvre – sensation éminemment personnelle et subjective. Il va transmettre sa vision, son idée ou son idéal au moyen du langage qu’est la musique, et c’est cela qui va devoir être retransmis par une personnalité autre que la sienne, ensuite, tel le témoignage d’un moment privilégié qu’il aura ressenti. Toute la difficulté et l’intérêt de la musique résident en cela. L’interprétation commence au moment où l’artiste-interprète va se pencher sur une œuvre qui n’est pas la sienne, qui ne lui appartient pas. Il va d’abord faire l’effort d’essayer de comprendre un message délivré dans un langage qui par définition est imprécis […]. L’interprète va donc, pour cela, essayer de ressentir ce que l’œuvre peut évoquer en lui ; elle va vivre et s’incarner en lui. Il va ensuite essayer de la traduire avec tout ce qui va s’imprégner, se projeter de lui-même dans l’œuvre qu’il a en fait assimilée. C’est cela l’interprétation : cette traduction qui passe par le monde d’un artiste, par sa personnalité, sa richesse personnelle et qui va s’incarner par des impressions. »6
Si le terme « version » semble être un synonyme et comporter la même définition qu’ « interprétation », il y a tout de même une distinction à faire entre les deux. Une « version » s’apparente selon le Larousse à « chacun des états d’un texte, d’une œuvre littéraire ou artistique qui subit des modifications »7. Autrement dit, là où nous pourrions parler d’interprétation lorsque différents interprètes proposent leur vision d’une œuvre identique, les versions représenteraient les différentes variantes (suite à des corrections le plus souvent) d’une œuvre, la plupart du temps par son compositeur lui-même8. Il me semble capital de faire la distinction entre ces deux termes et j’utiliserai donc celui d’ « interprétation » et non de « version » dans mon mémoire.
SOGNY Michel, « Le paradoxe de la musique : l’interprétation », dans La musique en questions, Entretiens avec Monique Philonenko, Paris, Michel de Maule, 2009, pp.59-60 7 Définition disponible sur : www.larousse.fr/dictionnaires/francais/version/81657 8 On trouve par exemple trois versions des suites pour orchestre de L’Oiseau de feu d’Igor Stravinski : la première est composée en 1910 en cinq mouvements et garde l’orchestration du ballet d’origine, la seconde en 1919 avec une orchestration allégée, et la troisième en 1945 comporte dix mouvements en gardant une orchestration quasi-similaire à celle de 1919. 6
9
En travaillant dans le domaine de la musique classique, j’ai fait le constat que nombre d’individus, amateurs ou non de musique savante, n’ont pas systématiquement connaissance, ou du moins ne s’intéressent pas outre mesure aux diverses interprétations d’une œuvre, pourtant accessibles par le foisonnement d’enregistrements existant sur disque (leur accès étant d’autant plus facilité par le streaming et le téléchargement) ou par l’expérience du concert et son offre tout aussi conséquente, en particulier dans les grandes villes comme Paris. A partir de là, je me suis demandée pourquoi les personnes rencontrées n’y faisaient pas attention et d’où pouvait venir ce manque de connaissance. S’agit-il d’un manque d’éducation, de curiosité, de sensibilité ou de sensibilisation ? Cette question nécessiterait une étude approfondie des méthodes d’accès à la musique et des dispositions psychologiques, physiques, techniques et sociologiques nécessaires à la connaissance et à la compréhension de la musique. Elle impliquerait peut-être également de devoir porter un jugement sur le système éducatif français, l’intégration sociale et l’héritage culturel transporté par la famille. Aussi, je me contenterai de m’intéresser, d’un point de vue plus professionnalisant, à l’apport que pourrait avoir cette connaissance sur la production phonographique et surtout sur la fréquentation des salles de concert et de leur programmation (en particulier du format du concert traditionnel). En parallèle, suivant de près les méthodes de relations avec les publics en matière de médiation et de communication afin de renouveler celui des salles de concert, et en lien direct avec ma formation, je me suis demandée ce qui empêchait aujourd’hui ce que tant d’institutions culturelles définissent comme une partie du « jeune public » de se rendre au concert traditionnel ou plus généralement d’accéder à la musique classique. Par « jeune public », nous définissons en général les personnes mineures, mais nous nous intéresserons ici à celles âgées d’au moins 18 ans (les plus jeunes seront écartées car le choix de la venue à un concert est soumis à celui de leurs parents) et de moins de 30 ans. C’est-à-dire les majeurs, la plupart du temps étudiants ou jeunes actifs. C’est d’ailleurs le public sur lequel les institutions musicales aujourd’hui se concentrent le plus car c’est par la nouvelle génération
10
que le renouvellement des publics peut s’effectuer. Ainsi je m’intéresserai en priorité à cette génération, ce public à conquérir à tout prix pour pouvoir remplir les salles de concert. Stéphane Dorin estime que « l’hypothèse dite du cycle de vie, qui postule une orientation des sorties culturelles vers la culture savante au fur et à mesure de l’avancée en âge, doit être écartée […] Les générations successives tendent à conserver, en vieillissant, les préférences culturelles et musicales acquises dans leur jeunesse. »9 En prenant en compte, sans pour autant me baser exclusivement dessus, ses estimations concernant l’âge moyen limite auquel une personne se forge sa culture musicale et ses goûts10, j’étendrai mon public jusqu’à 39 ans, considérant pour ma part par empirisme et dans l’attente des actes complets de l’étude de Stéphane Dorin que les goûts évoluent jusqu’à bien plus tard.
État des travaux actuels sur le sujet Des travaux ont déjà été menés à ce jour sur les sujets de la valorisation de l’écoute active11, de démocratisation du concert classique, des méthodes et outils de médiation, des publics des concerts et de l’enregistrement. Il existe également de nombreuses références sur l’interprétation, mais ce sujet est quasisystématiquement traité par le prisme de la pratique et le rôle de l’interprète luimême12 et non par celui de l’auditeur. D’une manière générale, peu d’ouvrages traitent de l’auditeur comme d’un praticien de la musique et d’un récepteur d’interprétation. Il n’est presque jamais sujet mais souvent le destinataire passif et parfois même secondaire. L’interprétation est entendue au sens d’une production 9
Propos de Stéphane Dorin, recueillis par Sophie Bourdais dans A quoi reconnaît-on un spectateur de concert classique ?, 2015, disponible sur www.telerama.fr/musique/a-quoi-reconnait-on-unspectateur -de-concert-classique,122596.php 10 Stéphane Dorin, dans son enquête sur « La musique classique et ses publics à l’ère du numérique » estime qu’une personne se forge ses goûts et sa culture avant 30 ans. 11 Notamment l’excellent ouvrage de Jean-Yves Bras : La troisième oreille : pour une écoute active de la musique, Paris, Fayard, 2013 12 Comme par exemple dans l’ouvrage d’Aude Bourdonneau : L’art d’interpréter… réflexion d’une pianiste, disponible sur : www.cefedem-rhonealpes.org/sites/default/files/ressources/ memoires/memoires%202010/ BOURDONNEAU%20Aude.pdf
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de la musique par le musicien, ou bien de l’action de donner à écouter la vision d’un musicien ou d’un chef d’une œuvre. Mais l’interprétation prend tout son sens, il me semble, lorsqu’elle atteint l’auditeur sans qu’il ne soit passif mais bien lui aussi créateur d’interprétation. Il est ainsi à la fois récepteur et créateur et sa présence provoque l’interaction entre deux interprétations.
Formulation de la problématique Dans la plupart des cas, en ce qui concerne la musique savante occidentale, la musique est un art interprétatif qui nécessite l’action de transformer et de transmettre par le son ce qui est écrit sur une partition. Cette action suppose que l’interprète propose une vision, un sens à ce que l’auditeur par la suite entendra. Chaque interprétation diverge et peut proposer une lecture différente d’une même œuvre, et par là même un sens différent. Dans la perspective de considérer l’auditeur comme récepteur-créateur d’interprétation, que provoquerait une meilleure connaissance des différences d’interprétation des œuvres de musique classique sur l’industrie phonographique ? En quoi valoriser aux yeux des publics l’importance des différences d’interprétation peut permettre un renouvellement du public du concert traditionnel et valoriser l’écoute de la musique classique par le disque ? Pour répondre à cette problématique, plusieurs hypothèses se sont présentées à moi : 1.
Les non-amateurs de musique classique en particulier, mais une partie des amateurs et des musiciens également n’auraient pas conscience de l’importance
voire
même
de
l’existence
des
différences
d’interprétation d’une même œuvre de musique classique. 2.
Se concentrer sur la diversité et les différences d’interprétation d’une même œuvre permettrait une attention accrue et une écoute active
12
renforcée et par là même, une meilleure compréhension de la musique.13 3. Les
institutions
culturelles
ne
choisiraient
pas
de
prioriser
l’interprétation dans leur communication ou leurs actes de médiation mais plutôt les compositeurs, les œuvres et les interprètes.
Présentation du corpus et du champ de recherche Mon champ de recherche s’étend de concepts comme l’écoute active, l’interprétation
de
l’auditeur,
la
pratique
du
concert,
l’enregistrement
phonographique et la représentation audiovisuelle de la musique classique, dans des domaines comme la critique musicale, la médiation et la sociologie. Pour répondre à ma problématique et à mes hypothèses, j’ai sélectionné un corpus hétérogène composé d’articles de presse, de critiques musicales, d’interviews et de reportages vidéos et audio ainsi que d’ouvrages plus généraux sur l’interprétation, la pratique de l’écoute, la culture et la passion musicale. J’ai également assisté à plusieurs conférences sur la musique et en particulier au colloque organisé par Stéphane Dorin les 4, 5 et 6 février 2015 à la Gaîté Lyrique et au Hall de la Chanson sur « La musique classique et ses publics à l’ère du numérique » ainsi que celui organisé par l’Association Française des Orchestres le 5 octobre 2015 à la Philharmonie de Paris sur « Les publics de l’orchestre ». Ensuite,
j’ai
bien
évidemment
convoqué
un
grand
nombre
d’enregistrements discographiques et de concerts live afin de relever différentes interprétations, différentes visions d’une même œuvre et d’essayer de repérer, de mon côté aussi, les différences qu’elles peuvent mettre en lumière. Enfin, j’ai utilisé de manière empirique mes expériences professionnelles, en particulier mon stage réalisé au sein de l’équipe des ateliers pédagogiques de la Philharmonie de Paris en 2015 au poste d’assistante chef de projet médiation sous Sans partir du postulat que la musique a du sens (il s’agit là d’un tout autre débat), considérons que la musique possède des mécanismes qu’il faut appréhender et, parfois, un sens avoué par le compositeur et retranscrit par ces mêmes mécanismes musicaux. 13
13
la tutelle d’Hélène Schmit où j’ai pu appréhender les méthodes de médiation de cette institution. Dans ce cadre, j’ai enfin pu participer à de nombreux ateliers de pratique instrumentale, vocale et d’écoute.
Démarche méthodologique J’ai d’une part réalisé une enquête préparatoire quantitative sous forme de questionnaire pour répondre en priorité à ma première hypothèse. Elle a principalement été diffusée sur Internet via les réseaux sociaux Facebook et Twitter, outils efficaces dans le déploiement rapide d’une enquête. Sur Facebook, je comptais sur les partages de publication pour toucher un maximum de personnes que je ne connaissais pas. Sur Twitter l’enquête était destinée uniquement à des inconnus et retweetée par l’Orchestre national d’Île-de-France. Ce questionnaire a été diffusé sur une période d’un mois entre le 27 juillet et le 27 août 2016 et j’ai récolté un total de 304 réponses, toutes exploitables. Cette enquête est doublée d’entretiens individuels pour approfondir mon étude à l’aide de questions plus approfondies et d’une écoute comparée d’interprétations d’une même œuvre. Ces quatre entretiens ont été fait en deux temps et regroupent une sélection de personnes aux profils différents afin de constituer un panel diversifié : trois entretiens ont été réalisés le 5 août 2016 auprès d’une personne n’écoutant pas de musique classique, d’une personne écoutant du classique depuis peu de temps et n’étant pas très au fait de l’importance de l’interprétation et d’une écoutant depuis plus longtemps et pratiquant le piano. Dans un second temps et à sa demande, le 28 août 2016, j’ai réalisé un quatrième entretien dont les questions et l’écoute ont été revues, avec une jeune fille écoutant de la musique classique mais n’ayant pas une bonne connaissance des interprétations et n’allant jamais en voir en concert. Partant de l’intuition que mon jugement pourrait être biaisé si je me retrouvais face à des connaissances, j’ai choisi de réaliser des entretiens uniquement avec des personnes qui m’étaient complètement inconnues.
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Enfin, j’ai réalisé une interview auprès d’un professionnel du monde de la musique : Pierre-Yves Lascar, fondateur et dirigeant du label classique Artalinna et grand collectionneur de disques.
Présentation du plan Afin de répondre à ma problématique, je m’intéresserai dans un premier temps à l’intérêt de la multitude des interprétations pour permettre à la musique classique de rester un répertoire vivant et en permanence renouvelé malgré le fait que l’on estime son apparition au Moyen-Âge. Je montrerai cependant que malgré cette multitude, l’interprétation conserve un caractère unique que nous développerons à travers les prismes du caractère éphémère du concert, de l’individualité de l’interprète et de celle de l’auditeur. Dans un second temps il conviendra de se demander quelle réception les différents publics rencontrés lors de mon étude ont des différences d’interprétation à l’aide de questionnaires et d’entretiens qualitatifs analysés. Enfin, nous verrons comment la valorisation des interprétations peut être un levier de médiation en faveur du concert traditionnel et de l’enregistrement phonographique.
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Première partie : Les diverses interprétations : le joyau de la musique classique Avant de nous concentrer sur la bonne connaissance ou non par le public de l’importance des interprétations, et de nous pencher sur les possibilités d’avancées en termes de médiation sur ce sujet, voyons d’abord en quoi les interprétations sont capitales, notamment pour la musique classique afin de proposer un répertoire toujours vivant malgré l’ancienneté des œuvres qui en font partie (puisqu’on considère que la musique savante occidentale commence dès l’unification des différentes traditions liturgiques pour créer le chant Grégorien au VIe siècle), mais aussi pour permettre au public de trouver la musique qui conviendra le mieux à ses goûts et à sa sensibilité. Nous tenterons également de répertorier les différences que diverses interprétations peuvent contenir afin d’en noter les effets possibles sur l’auditeur.
I.
De l’intérêt de la multitude des interprétations a. Un répertoire vivant en permanence recréé Depuis l’époque médiévale, l’intérêt pour les œuvres même les plus
anciennes de la musique classique n’a pas disparu et on continue de la jouer et de la produire que ce soit en enregistrement, en concert, au cinéma, dans la publicité ou encore dans les jeux vidéo. Comment se fait-il que cette musique qui prend ses racines il y a plusieurs siècles perdure encore de nos jours et continue de se renouveler quand une grande partie des chansons populaires du Moyen-Âge et de la Renaissance ont été oubliées depuis longtemps du grand public d’aujourd’hui ? Nous pouvons apporter deux réponses à cela. D’une part bien évidemment, la musique classique bénéficie d’une dimension écrite dont les musiques de tradition orale n’ont pas autant bénéficié pour perpétuer ses créations. La partition, aussi complexe, ingrate et froide puisse-t-elle paraître à certains, est un gage de mémoire précieux. Si elle a d’abord longtemps été « imprécise, considérée comme un aide-mémoire limité à l’essentiel et ne comportant pas tous les raffinements de
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l’interprétation »14, elle devient tout de même la garante des volontés du compositeur et des possibilités de l’interprète, et permet surtout un archivage des créations d’un siècle à l’autre. Mais comme le dit si justement Eric Dufour : « La partition n’est rien d’autre que de la musique possible, c’est-à-dire la notation d’une œuvre qui n’existe réellement ou effectivement que pour autant qu’elle est exécutée. »15 La musique est dans la plupart des cas, comme nous l’avons déjà vu plus haut, un art interprétatif qui nécessite l’intervention d’une personne extérieure pour retranscrire la partition en langage sonore. Par le fait même que cette personne, l’interprète, opère une transformation d’un langage à un autre, elle applique consciemment ou non son empreinte personnelle sur la musique et change ainsi, même infiniment l’œuvre originelle. Jean-Yves Bras, dans son livre La Troisième Oreille : pour une écoute active de la musique, précise que « la transmission orale paraît plus sûre car, figée, elle favorise beaucoup plus l’imitation que l’invention »16. En effet, si la musique orale permettait de transmettre plus d’informations sur les intonations à utiliser, la vitesse d’exécution, etc… la musique écrite permet encore aujourd’hui d’innover sur les détails inconnus de l’œuvre. Elle favorise donc l’intervention d’un interprète, la plupart du temps extérieur au compositeur de l’œuvre et permet l’imprégnation de sa personnalité. Et c’est justement cette imprégnation qui créé la multiplicité des interprétations. Eric Dufour ira jusqu’à dire que c’est cette diversité qui fait la musique : « L’œuvre musicale, [est] originairement multiple, [car] la partition ne prend vie et ne devient musique que dans la diversité des interprétations. »17 A présent, si nous multipliions le nombre d’interprètes ayant existés par le nombre d’œuvres ayant été composées, nous aurions une idée de l’immensité des possibilités d’interprétation et des personnalités qui peuvent venir s’imprimer sur une œuvre. C’est cette permanente réinvention des œuvres par les interprètes, par
14
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.25 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.7 16 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.14 17 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.7 15
17
l’impression de leur personnalité, qui donne à la musique classique toute sa richesse et lui permet de demeurer un répertoire vivant. Un enregistrement sur disque fige notre vision de l’œuvre pour un temps, mais la diversité des interprétations rend l’œuvre musicale « mobile, changeante et diverse »18. La diversité et le nombre important d’enregistrements permettent aujourd’hui à l’auditeur de pouvoir « choisir » parmi eux celui qui lui conviendra.
b. La diversité des enregistrements : possibilité d’une approche personnelle de l’auditeur
Nous l’avons vu, la multiplicité des interprétations permet d’éclairer différemment les œuvres du répertoire classique afin de composer un répertoire vivant. Mais ce n’est pas le seul apport à ce foisonnement. La diversité des enregistrements suppose également que tout auditeur doit choisir quelle interprétation écouter parmi toutes celles qui lui sont proposées. Si certaines sont considérées comme des « versions de référence », généralement grâce à leur succès médiatique et auprès des critiques, le nombre d’enregistrements disponibles peut permettre à l’auditeur de choisir d’écouter l’œuvre selon sa propre sensibilité. Existe-t-il un autre art permettant au public de choisir ce qu’il souhaite entendre être mis en avant dans l’œuvre ? Le théâtre pourrait s’apparenter légèrement à la musique, car le spectateur choisit d’aller voir le travail d’un metteur en scène en plus de l’œuvre elle-même, cependant il ne dispose pas de la facilité de choix et d’accessibilité qu’offre l’enregistrement sur disque ou numérique de la musique. L’un des avantages de la musique enregistrée et de sa multitude d’interprétations est donc son accessibilité. Il est aujourd’hui en France facile et peu coûteux d’acheter un CD de musique classique et de nombreuses offres de streaming et de téléchargement proposent également un catalogue conséquent à
18
Ibid.
18
portée de clic pour des sommes plus que raisonnables19. Au-delà des enregistrements, l’offre musicale en concert est répandue dans chaque grande ville de France, parfois même dans de plus petites, et les transports facilitent le plus souvent le déplacement des personnes souhaitant voir un concert. Quant à Paris, il est très facile de pouvoir aller voir plusieurs fois la même œuvre par différents interprètes. Si « avec l’enregistrement, on entérine la duplication à l’identique de l’œuvre (qui altérait, selon Walter Benjamin, l’“aura” de l’œuvre) »20, on permet grâce au concert à tout le monde de pouvoir connaître les œuvres, les compositeurs et les interprètes de la musique classique. Autrement dit, la mission qui incombait selon André Malraux, aux institutions éducatives – de faire connaître les compositeurs et les œuvres – peut désormais être renforcée par une accessibilité accrue aux œuvres de la grande musique. Le travail restant aux institutions culturelles étant ensuite « de faire aimer les génies de l’humanité […] pas de les faire connaître »21 (c’est-à-dire dans le cas de la musique classique de faire aimer les grands compositeurs et interprètes, ceux qui ont influencé l’évolution de l’art lui-même). Parmi cette multitude d’interprétations, se pose alors à l’auditeur la question du choix. Problème luxueux pour lui mais néanmoins délicat lorsqu’on ne connaît pas assez une œuvre (ou pas du tout) et qu’on ne sait pas ce qu’on aimerait y entendre. Cependant, « on jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère »22, et c’est justement la recherche de la sensation et du motif parfaitement adapté à nos envies qui créé l’amour pour l’interprétation de la musique et nos versions de référence. C’est également grâce à cette recherche que l’on pourra par la suite s’écarter de nos versions fétiches pour être encore et toujours surpris par une nouvelle approche proposée par un musicien ou un chef.
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Le catalogue en France le plus conséquent en musique classique restant le site Qobuz, avec plus de 195 000 albums, qui propose un abonnement streaming illimité à moins de 10€ par mois. 20 TIFFON Vincent, « L’interprétation des enregistrements et l’enregistrement des interprétations : approche médiologique », paru dans DEMéter, 23 mai 2014, disponible sur : demeter.revue.univlille3.fr/lodel9/index.php?id=432 (Consulté le 30 juin 2015) 21 MALRAUX André, Sénat, 2e séance du 8 décembre 1959 22 ROUSSEAU Jean-Jacques, Julie ou La Nouvelle Héloïse, Paris, 1761, VI° Partie, Lettre VIII
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Par ses choix, l’auditeur va créer sa propre œuvre, celle qu’il veut entendre et comprendre, il « est aussi un créateur et un interprète »23. En cela, l’œuvre devient un ensemble de propositions d’interprétation parmi lesquelles le destinataire peut choisir un chemin. Umberto Eco rappelle « l’idée d’Ingarden de l’œuvre en tant que squelette ou schéma à compléter par l’interprétation du destinataire, c’est-à-dire conçue comme ensemble de profils parmi lesquels le destinataire doit choisir »24. Ainsi la réception d’une même interprétation d’une même œuvre ne sera pas la même pour une personne ou pour son voisin. L’enregistrement permet également des possibilités techniques de mise en relief de certains instruments qu’il n’est pas possible de retrouver au concert. Vincent Tiffon l’exprime très justement : « Lorsque les conditions du concert ne permettent pas de faire émerger une mandoline ou un clavecin d’un continuo, le recours aux artifices des micros puis de la fixation devient indispensable. Dans ce cas, la part de création due à l’enregistrement est manifeste dans la fabrication d’un objet-disque : techniciens, preneurs de son et musiciens travaillent ensemble pour créer un “son” spécifique par le choix d’une prise de son (la place des micros, le choix des exagérations de sforzando…). »25 Ces déformations de la prise de son, ce mixage, permet à l’auditeur de se sentir plus proche de l’interprète et de la musique, dans une « proximité presque tactile du son »26. Il peut ainsi former son oreille, l’habituer à entendre plus précisément le moindre détail de l’orchestration : « La prise de son favorise le travail d’analyse et d’observation des détails »27.
23
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.201 ECO Umberto, Les Limites de l’interprétation, Paris, Grasset, 1992, p.25 25 TIFFON Vincent, op.cit. p.19 26 GOULD Glenn, Le Dernier Puritain (Ecrits I), Paris, Fayard, 1983, textes réunis et traduits par Bruno Monsaingeon 27 TIFFON Vincent, op.cit. p.19 24
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c. Quelles différences entre les interprétations pour quels effets ?
Après avoir vu l’intérêt de la multitude des interprétations sur le répertoire classique et la possibilité d’une approche personnelle de l’auditeur qui peut choisir l’interprétation qu’il souhaite, il convient d’essayer de faire une liste des différences possibles entre deux interprétations afin d’en saisir encore plus toute la richesse et de noter les effets qu’elles peuvent produire. Une partie des différences relève des choix du chef d’orchestre (ou de l’ensemble des musiciens dans le cas d’une petite formation, ou du soliste dans le cas d’une pièce pour instrument ou voix seuls). L’art de la direction permet de maîtriser une partie de l’exécution des musiciens, car il les guide dans leurs tempi, leurs départs, leurs intentions, afin d’arriver à leur propre interprétation de l’œuvre, celle qu’ils estiment la plus fidèle à la volonté du compositeur, à celle de l’œuvre, ou à la leur : « Si vous devez écouter six performances différentes du même morceau par six chefs d’orchestre différents, vous risquez fortement d’entendre six tempi différents, et pourtant chacun de ces chefs est convaincu que son tempo est le seul valable. »28 Le chef d’orchestre a donc en mains les choix de tempi (à quelle vitesse la musique est-elle jouée ? à quels moments accélère-t-elle ou décélère-t-elle ?), d’intensité (à quel volume la musique est-elle jouée ? quand jouer plus doucement ou plus fort ?), de phrasé (comment lier les phrases musicales ?) ou de nuances (mettre de la tension ou au contraire détendre). Les musiciens quant à eux sont aussi responsables de différences, notamment de la qualité du jeu qui dépend principalement de leurs années de pratique mais aussi de l’application qu’ils mettent à jouer de leur instrument. Ils
28
BERNSTEIN Leonard, « The art of conducting », dans Omnibus (épisode n°3), disponible sur fr.medici.tv/#!/leonard-bernstein-omnibus-the-art-of-conducting (Consulté le 15 octobre 2015) : « If you should listen to six different performances of the same piece by six different conductors, you are likely to ear six different tempi, and yet each one of these conductors is convinced that his tempo is the only true one. »
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sont aussi responsables de la couleur de leur son, selon la facture de leur instrument et de la synchronie entre eux. De l’ingénieur du son (et souvent du producteur ou du directeur artistique) dépend ce qui relève de l’enregistrement et du mixage : le placement des micros et leur qualité, le choix du format de prise de son (16, 24 GHz) et son égalisation lors du mastering, la hiérarchisation des instruments (lesquels sont mis en avant et le lieu dans lequel la prise de son est faite (la réverbération plus ou moins marquée du son). De toutes ces différences vont naître les sentiments de l’auditeur : la surprise ou l’ennui, la tension ou le relâchement… Ces sentiments créeront par la suite des émotions, souvent très extrêmes : joie, tristesse, dégoût, indifférence, soulagement, peur, stress… Sentiments parfois accompagnés de réactions physiques : pleurs, chair de poule, maux de ventre ou de tête, tremblements. A croire que peut-être la musique est bel et bien une torture !
Le caractère unique et individuel de l’interprétation
II.
a. Le concert live : une interprétation éphémère, risquée et empreinte de solitude
Si la musique classique est riche et vivante de par ses interprétations, elle est aussi grande par le caractère unique de n’importe quelle interprétation qui en fait une œuvre nouvelle et irremplaçable. L’expérience du concert, longtemps perçue comme l’occasion mondaine de « voir du beau monde », est à repenser non pas comme la représentation sociale d’une œuvre, sa version publique et partageable, mais bien comme l’occasion rare et qui se vit de manière individuelle de recevoir de la part d’un ou plusieurs musiciens une interprétation et une création. Le concert est d’autant plus particulier qu’en plus de proposer une interprétation nouvelle, il place celle-ci dans une dimension spatio-temporelle à part. Il est éphémère par essence et refermé par contexte. Même enregistré, il est
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impossible de capturer le principe même du concert : sa dimension réelle et directe. Nous sommes, en tant que spectateurs, placés dans une situation que l’on ne connaît pas ailleurs, d’auditeurs actifs qui influencent l’atmosphère générale et donc le déroulement du concert, tout en refusant généralement tout lien social avec ses voisins. L’interprétation en concert permet un isolement que l’on ne peut pas connaître au disque, même seul avec un casque. C’est un isolement dans la musique, au milieu d’une foule d’isolés. En soit, le concert est l’expérience sociale la plus solitaire qui existe, comme le précisent Françoise Escal et François Nicolas : « Curieux moment que le concert, moment arraché au jour, vécu comme un repos dans l’affairement quotidien, dans un espace enfermé et isolé du monde extérieur, à l’abri de toute intrusion. Etrange parenthèse dans le passage du temps, suspension, qui permet à la musique de créer à nouveau du temps, d’en imposer un autre, son temps. Et étrange enclave dans laquelle c’est la musique qui crée l’espace. Le concert transforme ainsi deux des référents les plus rassurants, le temps et l’espace, et il le fait par séparation et par isolement. Cela ouvre sur de nouvelles expériences temporelles et spatiales dans un processus qui est à la fois retrait et expansion. »29
C’est justement cette solitude volontiers acceptée, qui permet une autre qualité d’écoute et un contexte neutre pour l’interprète. La qualité d’écoute de l’auditeur dans le silence des salles de concert et dans l’attention qu’il porte à ce qu’il se passe, lui permet d’appréhender au mieux l’œuvre dans toute sa complexité. Françoise Escal et François Nicolas ne disent pas autre chose : « L’isolement sonore de la salle est l’une des conditions les plus essentielles à l’écoute de la musique, pour que celle-ci puisse s’y affirmer. Cet isolement semble le symbole même du concert. […] Il faut […] que ce monde du quotidien se taise pour qu’on laisse exister la musique dans le silence. »30 On critique bien souvent
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ESCAL Françoise (dir.), NICOLAS François (dir.), Le Concert : enjeux, fonctions, modalités, Paris, L’Harmattan, (coll. « Logiques Sociales / Musique et champ social »), 2000, p.217 30 Ibid.
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le cadre très strict et les codes du concert classique traditionnel et on souhaiterait pouvoir lui accorder une partie de ceux réserver aux concerts populaires. Pourtant, « rien n’est plus insupportable qu’un artiste ou un chef qui fait naître la musique dans le bruit des retardataires ou des affreuses toux »31 et les salles classiques ne sont pas construites sans raison ou pour uniquement contenter une quelconque élite culturelle. L’attention nécessaire à la musique classique ne pourrait pas être satisfaite dans un cadre impropre à la recevoir. Ainsi, « il est permis d’en déduire une relation entre le genre musical, le lieu de production et la qualité d’écoute »32 car c’est avec la meilleure acoustique que nous aurons la meilleure concentration et la plus fine analyse. La qualité et l’impact du son sont indissociables de l’expérience du concert : « Mais pourquoi donc, à l’âge où tout mélomane peut s’offrir quand et où il veut son répertoire favori sur support enregistré, le public court-il encore applaudir les concerts ? Est-ce par goût du risque, voire par attrait (pas forcément pervers) de l’humaine défaillance, alors que la gravure est si parfaite, trop parfaite sans doute ? Est-ce pour affiner sans cesse les possibilités de comparaison entre les différentes interprétations ? Si ces composantes ne sont peut-être pas à exclure de l’ensemble complexe des motivations du public, il vaut mieux mettre d’abord en évidence la quête du beau son, du son vivant comme seul peuvent le rendre les meilleures salles d’aujourd’hui. »33
Au-delà de l’importance de la qualité d’écoute et de l’acceptation nécessaire de la solitude, le concert diffère du disque par la présence d’une part d’aléatoire, de hasard, du fait de la simultanéité entre la représentation de l’interprétation et l’écoute de l’auditeur. En cela, c’est une interprétation d’autant plus unique, à moins d’être enregistrée, qu’elle ne peut être vécue deux fois. L’interprète n’a donc pas le droit à l’erreur, le moment du concert est un don privilégié à l’auditeur, mais qui comporte le risque de le décevoir. C’est cette 31
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.173 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.241 33 PISTONE Danièle, « Notes sur le concert parisien », dans PISTONE Danièle, MIALARET Jean-Pierre, L’Observation des pratiques de concert, actes de la journée du 30 mars 2002, Université Paris-Sorbonne et Observatoire Musical Français, Série Conférences et Séminaires n°15, 2003, p.9 32
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attente du concert réussi qui rend aussi l’événement si accrocheur et addictif au yeux des passionnés : « L’entrée d’une salle de concert devrait être la promesse du plus exceptionnel des événements et conduite graduellement de la vie profane au cœur de l’intériorité. »34
b. L’interprète : un recréateur de l’œuvre originelle
De la même manière qu’un traducteur donne sa vision de l’œuvre d’un autre pour la rendre accessible à un public dans une autre langue, l’interprète en musique transmet en langage sonore, un langage écrit plus difficilement compréhensible par une personne n’ayant pas eu de formation musicale. En cela, la musique interprétée est un langage écrit explicité en langage sonore par l’appropriation de la partition. Comme n’importe quel musicien de musiques plus actuelles comme le rock, l’interprète classique a son propre style de jeu. Il est certes moins discernable car il ne joue pas ses propres compositions, il faut donc s’attarder plus précisément sur sa manière de jouer, mais il ne faut pas non plus mettre de côté l’influence du goût de l’interprète qui permet la naissance de son style. Chaque interprète a ses compositeurs et ses manières fétiches. Ainsi Renaud Capuçon préfère Brahms et Maria João Pires ne jure que par Mozart (d’après elle, à cause de ses petits doigts qui ne peuvent pas faire plus d’une octave). Côté chefs d’orchestre, on n’imagine pas Herbert von Karajan ou Carlos Païta diriger avec mollesse ni Claudio Abbado renier Mahler. Ainsi, par ses goûts, ses techniques, ses attitudes et ses habitudes, l’interprète va créer son propre style musical qu’il est le seul à pouvoir posséder car il est créé par son individualité. Son travail sur l’œuvre, même si elle n’est pas de sa plume, est forcément influencé par l’unicité de sa personnalité. Quand bien même il souhaiterait être le plus fidèle possible au compositeur, il transmettrait forcément au public une part de sa propre vision de l’œuvre et opèrerait ainsi une 34
BUSONI Ferrucio, L’Esthétique musicale, Paris, Minerve, coll. Musique ouverte, 1990, p.68
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seconde création de celle-ci. Eric Dufour décrit parfaitement ce caractère unique de l’interprétation du musicien : « Le musicien qui joue investit la partition et lui confère un sens marqué par sa propre individualité. […] À cela s’ajoute le fait que toute exécution, même par la même cantatrice, est toujours absolument nouvelle, de sorte qu’elle ne sera jamais exactement la même. La musique, en ce sens, est un acte toujours singulier, qui ne saurait jamais être répété […]. Si la musique, c’est le sonore, le propre du sonore, précisément parce qu’il relève du sensible et non de l’intellectuel, pour parler avec Kant, c’est d’être irrationnel et singulier, il est non reproductible et pour cette raison un événement. »35
Et Michel Sogny de confirmer que ce qui justifie le travail de l’interprète, c’est le sens apporté en supplément du langage musical écrit : « S’il n’y avait pas cet au-delà, on pourrait penser qu’il y a une version de référence fixée une fois pour toutes, et la multiplicité des interprétations ne se justifierait plus. »36 Avec l’enregistrement, l’interprète peut d’autant plus maîtriser le moindre détail : « l’enregistrement et le montage ne sont plus seulement une mémoire, mais participent à construire l’interprétation idéale que se fixe l’interprète »37. Le répertoire de la musique classique est donc riche par la multitude d’enregistrements disponibles pour une même œuvre, mais également pour l’unicité de chacun d’eux et leur non-reproductibilité.
c. L’individualité de l’auditeur : la méta-interprétation L’interprète n’est pas seul à poser son regard sur l’œuvre de quelqu’un d’autre. L’auditeur, en tant que récepteur d’un message, se transforme lui aussi en décodeur et accorde à la musique un sens qu’il est le seul à pouvoir attribuer. DUFOUR Eric, Qu’est-ce que la musique ?, Paris, Librairie Philosophique Vrin, (coll. Chemins philosophiques), 2005 36 SOGNY Michel, op.cit. p.9 37 TIFFON Vincent, op.cit. p.19 35
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Dans sa volonté de valoriser l’écoute active – et l’auditeur – Jean-Yves Bras parle des trois oreilles de la musique : la première est celle du compositeur, elle est « prospective et imaginative »38 puisque dans sa démarche d’écriture, l’auteur va inventer une alliance des sons qui puisse retranscrire ce qu’il souhaite (une histoire, un état d’esprit, une émotion…). La deuxième oreille, celle de l’interprète, est « synchronique et technique »39, car elle cherche à analyser à un instant précis (celui de l’étude ou de la représentation du morceau) l’élaboration de la musique. Enfin, la troisième oreille, celle de l’auditeur, est « rétrospective et herméneutique »40, elle tente de comprendre, d’interpréter le message reçu en se basant sur ce qu’aurait pu vouloir signifier le compositeur auparavant. Yves Janneret confirme que « les sujets sociaux ne font pas qu’enregistrer, ils interprètent »41. Umberto Eco définit trois intentions herméneutiques dans Les Limites de l’interprétation42 qui peuvent nous aider à comprendre l’influence qu’exerce l’auditeur sur l’œuvre et inversement. La première, l’intentio auctoris est la part de message attribuée à l’auteur (ici, le compositeur) : qu’a-t-il voulu dire ? La seconde, l’intentio lectoris conjugue la réception et les interprétations que le lecteur (ici, l’auditeur) est en droit d’avoir sur l’œuvre. Enfin, l’intentio operis rassemble les possibilités interprétatives offertes par l’œuvre, ses pistes de lecture. Dans les limites donc des possibilités proposées par l’œuvre, l’auditeur est libre d’essayer de comprendre le message transmis par l’auteur ou d’interpréter comme bon lui semble la musique et de lui donner son propre sens. Cette troisième oreille offre à la musique un regard différent sur ellemême, et une nouvelle interprétation. Plus libre que celle de l’interprète, car elle n’est pas soumise au jugement sacré du compositeur, l’oreille de l’auditeur n’est limitée dans son interprétation que par le savoir de celui qui la porte et par les limites que l’œuvre pose. Et celui qui la porte, comme pour l’interprète, exerce un 38
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : pp.282-283 Ibid. 40 Ibid. 41 JANNERET Yves, Penser la trivialité Vol.1 : La vie triviale des êtres culturels, Paris, HermèsLavoisier, (coll. Communication, médiation et construits sociaux), 2008, p.32 42 ECO Umberto, op.cit. p.20 39
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jugement sur l’œuvre dont il ne peut s’en empêcher, et qui va influencer sa compréhension : « Une fois l’objet musical devenu public, il met en jeu des dispositifs d’écoute, de réception et de réappropriations sociales qui convoquent sa “polychrésie”, impliquant ainsi que ses lectures ne sont jamais uniques. »43
HEMOUR Camille, Logique d’hommage ou discours de légitimation ? La circulation de la musique classique dans la culture hip-hop, Paris, Université Paris-Sorbonne - CELSA, 2014, p.38 43
28
Deuxième partie : Connaissance et méconnaissance des interprétations auprès des publics Les interprétations sont peut-être un facteur déterminant du choix d’un concert, ou de l’engouement pour un enregistrement au disque. Elles sont peutêtre aussi, et c’est ce que je cherche à évaluer ici, un levier possible de médiation sur les œuvres pour amener le public à s’intéresser davantage à la musique classique. Afin de voir si ce levier était envisageable, j’ai décidé de procéder en deux étapes : tout d’abord par un questionnaire de pré-enquête afin de mieux cerner la connaissance ou la méconnaissance des interprétations par mon public, puis par des entretiens individuels avec quatre personnes répondant à divers profils mais qui tous semblaient ne pas se rendre compte de l’importance des différences d’interprétation (amateur de classique l’ayant pratiqué, amateur n’allant pas au concert, non-amateur, amateur récent) pour évaluer les différences entre les différents types d’amateurs de classique et les non-amateurs.
I.
Présentation du terrain a. Explication du choix du panel J’ai décidé de focaliser mes recherches en grande partie sur les plus jeunes
publics, sans pour autant évincer les autres. Il m’a semblé également plus sérieux de ne pas me centrer sur les personnes mineures, car leurs choix sont la plupart du temps influencés par des contraintes supplémentaires de transport, de prix et d’indépendance vis-à-vis de leurs parents. Aussi, la population qui m’intéressera le plus pour cette étude est celle des 18-39 ans, rassemblant étudiants, jeunes actifs et adultes en milieu de carrière. J’ai donc décidé de diffuser mon questionnaire préparatoire uniquement sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Cependant, le bouche à oreille aura diffusé mon enquête auprès de certains membres du forum classik.forumactif.com qui comporte 4664 membres. À ma grande surprise, je me suis retrouvée avec plus de 20% de répondants entre
29
40 et 65 ans. Mais mon public a tout de même été le plus touché avec 77,6% des personnes interrogées entre 18 et 39 ans44.
b. Pré-enquête quantitative via questionnaire
En diffusant mon questionnaire sur les réseaux sociaux pendant un mois, j’ai récolté 304 réponses. Mon questionnaire devait me servir à répondre à plusieurs questions essentielles pour mon étude : 1. Les non-amateurs de musique classique sont-ils moins au courant de l’existence et de la richesse des interprétations que les amateurs ? 2. La totalité des amateurs de musique classique sont-ils également pleinement conscients de ce phénomène ? 3. Y a-t-il des écarts de connaissance ou de conscience des interprétations en fonction de la pratique ou non de la musique, de la fréquentation aux concerts ou de la quantité de musique écoutée ? Afin de répondre à ces trois questions, j’ai séparé mon questionnaire en trois parties45. La première concerne l’écoute et la pratique de la musique, la seconde est orientée en fonction de l’écoute ou non de musique classique et tend à vérifier la conscience et la connaissance des interprétations ; enfin la troisième partie vise à m’assurer que le profil des personnes interrogées réponde à mon panel. Je souhaitais vérifier, dans ce questionnaire préparatoire, si les nonamateurs de musique classique avaient connaissance de l’existence de la multiplicité des interprétations. J’ai donc posé une question simple : Saviez-vous qu’il existe plusieurs enregistrements différents d’une même œuvre classique ? Je n’ai volontairement pas employé les termes trop complexes et encore à définir de « versions », « interprétations », ni même « disque » ou « interprètes ». J’ai tout de même vérifié auprès d’amis non-amateurs, que cette question était assez claire 44 45
Voir l’annexe n°2 pour le découpage complet des âges, p.69 Voir l’annexe n°1 pour le questionnaire complet p.65
30
et j’ai ajouté une sous-ligne : Par exemple avec des musiciens / orchestres / chefs différents. Je ne m’attendais pas, dans mes résultats, à un écart aussi prononcé, mais il n’a fait que me conforter dans mon étude. Le pourcentage de personnes interrogées amateurs de classique qui ont connaissance de ce phénomène s’élève à 98,3%. Mais ce chiffre baisse fortement à 80% du côté des non-amateurs.
Pour évaluer la bonne connaissance des interprétations, j’ai choisi de demander à combien les personnes interrogées estimaient le nombre d’interprétations enregistrées au disque pour une œuvre célèbre comme Les Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi ou la Symphonie n°5 de Ludwig van Beethoven. S’il est très difficile de pouvoir donner une réponse exacte, car aucun organisme ni aucun site n’a rempli la lourde tâche d’archivage intégral des enregistrements, il est facile de s’en faire une rapide idée en parcourant les catalogues des maisons de disque et quelques associations spécialisées dans l’œuvre de certains compositeurs. Ainsi une œuvre plus méconnue que celles précitées comme la Symphonie n°2 ‘Résurrection’ de Gustav Mahler comporte près de 200 interprétations enregistrées sur disque46. La Symphonie n°5 ‘du Destin’ de Beethoven quant à elle est plus difficile à référencée car bien plus Chiffre tiré de l’excellente discographie à vocation exhaustive réalisée par un amateur du nom de Vincent, disponible sur gustavmahler.net.free.fr/symph2.html mais qui lui-même, ne compte que les enregistrements disponibles en compact disc, et non celles uniquement en 33 tours. 46
31
reprise. En se basant sur le fond d’archives de la Beethoven Haus Bonn, qui est loin d’être exhaustif, nous arrivons d’ores et déjà à un total de 140 enregistrements, auxquels nous pouvons ajouter plus d’une centaine d’intégrales des symphonies47. Il ne semble donc pas exagéré d’annoncer qu’une œuvre célèbre dépasse sans problème les 250 interprétations. De plus, en cherchant « Beethoven Symphonie 5 » dans la base de données du site de téléchargement et de streaming spécialisé en musique classique Qobuz, j’arrive à un total de 890 résultats d’albums auxquels il faudrait pouvoir retirer quelques doublons et compilations malgré l’énorme travail d’épuration des développeurs du site, et ajouter les enregistrements manquants (car Qobuz ne possède pas la totalité du catalogue mondial, mais tout de même environ 95% de celui disponible en numérique et 80% du catalogue physique, soit à ce jour 195 059 albums et EPs classiques48). Il paraît donc raisonnable de considérer qu’une œuvre comme la Symphonie n°5 de Beethoven possède plusieurs centaines de versions. Regardons à présent la différence entre le pourcentage d’estimations correctes du nombre d’interprétations au disque pour une œuvre célèbre entre les amateurs et les non-amateurs de musique classique. Les amateurs obtiennent un taux de 47,9% de réponses justes contre 20% chez les non-amateurs.
Estimation du nombre d'interprétations par les amateurs de musique classique 5,6%
7,3%
Estimation du nombre d'interprétations par les non-amateurs de musique classique 5,7%1,4%
10,7% 20,0%
40,0%
28,6%
47,9% 32,9% Entre 1 et 10
Entre 10 et 100
Entre 1 et 10
47
Entre 10 et100
STELTMANN Klaus, Aufnahmen der Werke von Ludwig van Beethoven, mis àmilliers jour le 1er Plusieurs centaines Plusieurs milliers Plusieurs centaines Plusieurs janvier 2016, disponible sur : www.beethoven-haus-bonn.de/sixcms/media.php/75/Beethoven Avis indéterminé Avis indéterminé _Diskographie_05.pdf 48
Chiffres internes relevés au 26 août 2016.
32
Cette différence révèle une méconnaissance de la part des non-amateurs du nombre d’interprétations, ce qui peut paraître évident puisque ce n’est pas une musique qu’ils ont l’habitude d’écouter. Cependant ce qu’il est intéressant de noter, c’est que parmi les non-amateurs, 80% d’entre eux ont tout de même dit avoir connaissance de l’existence des différentes interprétations. Malgré ce chiffre très élevé, seuls 20% ont été capables de donner une réponse s’approchant le plus possible de la réalité. Le problème n’est donc pas une inconscience du phénomène mais bien une méconnaissance. Comme nous l’avons vu plus tôt, les différences entre interprétations sont en grand nombre. Cependant ce n’est pas l’image qu’en ont les non-amateurs de musique classique puisqu’ils sont 63,1% à penser que deux interprétations différentes ne comportent que « quelques différences », « très peu de différences » ou « aucune différence ». Cette méconnaissance, bien que moins marquée, est aussi présente chez les amateurs puisque 39,3% sous-estiment le nombre d’interprétations pour une œuvre célèbre. Ils sont pourtant 54,7% à se rendre à des concerts pour voir la même œuvre jouée par différents interprètes. Cependant, plus la pratique du concert est fréquente, plus l’estimation devient correcte. Ainsi les amateurs se rendant plusieurs fois par mois au concert obtiennent 65% d’estimations correctes, contre 29,8% pour ceux n’allant jamais au concert.
Estimations du nombre d'interprétations en fonction de la fréquentation des concerts classiques 5,4%
5,3%
54,4%
46,4%
6,2%
7,5%
40,7%
17,5% Sur-estimations Sous-estimations
29,8% Jamais
41,1%
Une fois par an
50,6%
65,0%
Deux à cinq fois Plusieurs fois par par an mois
Taux de fréquentation des concerts classiques
33
Estimations correctes
Je n’ai pas pu vérifier les écarts de bonne connaissance ou de conscience du phénomène en fonction de la quantité de musique écoutée, car 90,8% des personnes interrogées m’ont répondu écouter de la musique « tous les jours ou presque ». Le pourcentage n’est pas assez équilibré pour que je puisse en déduire une quelconque tendance. Il ne semble pas non plus y avoir de corrélation entre la pratique de la musique et la bonne connaissance ou non des interprétations. Ce qui est assez surprenant car on s’imagine qu’en devenant interprète, on serait naturellement plus sensible au sujet de l’interprétation.
c. Enquête qualitative via entretiens individuels
En parallèle du questionnaire, j’ai réalisé trois entretiens individuels en face à face d’une durée d’1h30 chacun, auprès de personnes méconnaissant les différences d’interprétation : Philippe (non-amateur de classique), Catherine (amatrice et praticienne) et Claude (amateur mais s’intéressant depuis peu à la musique classique)49. Deux d’entre eux ont donc une consommation régulière de la musique classique et le dernier n’en écoute jamais. Je leur ai proposé une écoute comparée de cinq extraits d’interprétations différentes sur trois œuvres. Mon but était de voir si après une écoute répétée d’un même extrait et une discussion autour des différences repérées, les auditeurs pouvaient déjà entrevoir l’importance de l’interprétation, sa richesse et éventuellement, changer d’avis (positivement ou non) sur une œuvre. Dans un second temps, et en dehors de toute base de données liée au questionnaire préparatoire, j’ai effectué une interview avec Pierre-Yves Lascar, personnalité du milieu de la musique classique, fondateur du label Artalinna, ancien employé chez Qobuz et Universal, collectionneur de disques invétéré et passionné du compositeur Jean Sibelius.
49
Ces entretiens ont été retranscrits en annexes 3, 4 et 5 à partir de la page 72.
34
De ces entretiens, je tire les conclusions suivantes : -
Les deux auditeurs de musique classique ont des notes plus changeantes, plus extrêmes selon les interprétations que celui qui n’en écoute pas.
-
Selon l’expérience en matière d’écoute de la musique, les différences repérées relèvent plutôt du ressenti pour le non-amateur de classique et sont beaucoup plus précises pour les deux autres. Ces derniers utilisent plus de termes propres à l’orchestre (« violons », « cordes », « cuivres », « basse », « voix », « solistes », « chœur ») ou techniques (« attaque », « accompagnement », « frappe », « notes »). L’écoute et l’intérêt pour l’interprétation semble laisser supposer une
écoute déjà soutenue et répétée d’une œuvre. Ce n’est pas une chose vers laquelle on s’oriente naturellement dès une première écoute, ni sans une éducation musicale basique. À l’inverse, lorsque l’on commence à se familiariser avec une œuvre, notre écoute passe au-delà de la mélodie et on se concentre plus facilement sur l’effet que nous procure l’œuvre : « À partir du moment où tu connais une œuvre, tu la juges plus facilement et tu l’aimes plus. »50 D’autre part, la non-venue au concert ne semble pas provenir d’un manque de désir mais bien de freins extérieurs : personne pour accompagner, personne pour faire découvrir la musique en amont… Le concert est donc toujours vu comme en priorité une expérience sociale à partager avec quelqu’un de proche. Mon interview avec Pierre-Yves Lascar m’a permis de comparer les pratiques d’écoute de gens qui n’écoutent pas de classique, de gens qui en écoutent beaucoup depuis peu, et de personnes comme lui avec une consommation effrénée du fait de sa passion mais aussi et surtout de sa profession. Ce qui ressort majoritairement de mon entrevue avec lui est le fait qu’il prétende « ne plus avoir une écoute plaisir de la musique »51 du fait d’une déformation professionnelle : il écoute trop de musique. Le plaisir de l’écoute
50 51
Voir mon entretien avec Philippe en annexe n°3 p.70 Voir l’interview avec Pierre-Yves Lascar en annexe n°6 p.89
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d’une œuvre déjà connue a été dépassé par une trop grande connaissance de la musique, mais il garde le plaisir de la découverte : « Aujourd’hui dans mes écoutes quotidiennes, il y a beaucoup de choses que je découvre aussi par plaisir car je cherche des choses que je ne connais pas (côté œuvres et partitions), plus que des choses maintes fois ressassées. »52 Son amour pour Sibelius semble pourtant prendre le dessus sur sa déformation professionnelle lorsqu’il me décrit les prémisses de sa passion et ne pas coïncider avec cette perte de plaisir dont il me parle. Il est aussi très intéressant de noter que le basculement entre le dédain (ou l’indifférence) et l’appréciation peut se faire en une seule écoute du moment qu’elle est attentive. Dans le cas de Pierre-Yves, son déclic pour Sibelius, provoqué par une écoute plus attentive de la Symphonie n°6 dirigée par Sir John Barbirolli en 1970, a fait naître un amour pour le compositeur quasi-instantané, puisque sa « discothèque a été multipliée par 15 en quelques mois. […] Je dois avoir plus de 230 disques Sibelius dans ma discothèque. »53 Enfin, et ce qui me semble le point le plus important, Pierre-Yves explique que son écoute effrénée et sa connaissance de l’univers de Sibelius ont profondément modifié sa manière même d’écouter, car il se concentre à présent plus (en particulier chez ce compositeur) sur le son et les timbres, et il recherche dans les interprétations à savoir si les chefs d’orchestre et les interprètes ont intégré l’univers sonore nécessaire selon lui pour jouer cette musique. Il attend de percevoir « l’impact sonore d’une interprétation »54 qu’il définit chez Sibelius comme suit : « Pour moi l’un des éléments substantiels de l’univers sibelien est le son, la manière dont on le fait sonner, c’est une musique de résonances, de dialogues de (blocs de) sons qui peuvent paraître disparates. »55 Cette compréhension par les interprètes de l’univers de Sibelius semble être un prérequis pour Pierre-Yves afin de constituer une bonne interprétation.
52
LASCAR Pierre-Yves, op.cit p.35 : p.90 LASCAR Pierre-Yves, op.cit p.35 : p.91 54 LASCAR Pierre-Yves, op.cit p.35 : p.92 55 Ibid. 53
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En guise de bonus à ces différents entretiens, j’ai également eu une conversation par mail avec Alice, jeune amatrice lyonnaise de classique (et d’autres musiques) qui ne va pourtant jamais au concert et qui avait estimait le nombre d’interprétations d’une œuvre célèbre à seulement cinq56. Il est assez curieux de voir les raisons que celle-ci avance pour ne pas aller au concert classique : elle a décidé de ne pas consacrer son budget à ça, et elle n’a personne avec qui s’y rendre. Son attirance pour le concert pourrait donc se développer si elle avait un proche pour l’accompagner, voire même pour la guider dans ses choix de concerts. Quant au budget, si elle avoue elle-même que les prix sont très abordables et qu’elle a prévu de se rendre à l’Opéra ou à l’Auditorium de Lyon, elle préfère consacrer son argent à d’autres styles musicaux. Pendant l’écoute comparée (que j’ai volontairement raccourcie à une œuvre unique en quatre interprétations car l’écoute n’a pas été faite en face à face), un élément capital a également attiré mon attention : lorsque j’ai demandé à Alice quelle été son interprétation préférée, celle-ci m’a répondu : « La première. J’ai peur d’être influencée par le fait que ce soit l’originale, mais elle reste à mes oreilles la plus jolie, la moins brouillon, la plus gracieuse… ! »57 Alice semble suggérer par l’emploi du terme « original », qu’une interprétation pourrait être la première, l’originelle, ou pourrait être celle qui serait parfaitement en accord avec la volonté du compositeur. Autrement dit, une interprétation de référence qui serait la plus juste, la plus correcte et celle de laquelle il faudrait tenter de s’approcher.
III. Les trois publics de la musique De ces différentes études menées, additionnée de discussions de tous les jours et de mon expérience d’observation des publics, j’ai pu dégager trois profils d’auditeurs qu’il me semble intéressant de mettre en lumière :
56 57
Voir mon entretien avec Alice en annexe n°7 p.94 Annexe n°7, p.99
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-
Les non-amateurs de musique classique
-
Les amateurs de musique classique qui méconnaissent les interprétations
-
Les amateurs de musique classique experts
a. Les non-amateurs : un public en demande ou récalcitrant ?
Le public des non-amateurs est assez difficile à cerner. Alors qu’empiriquement, les gens me semblent assez réticents à l’idée d’écouter de la musique classique (beaucoup de gens ont refusé mon entretien à cause de l’écoute comparée), ils ne sont pas foncièrement opposés à cette musique (il suffit de voir l’entretien avec Philippe). Il semblerait pourtant qu’un blocage existe face à cette musique qui « fait peur ». On s’imagine peut-être trop que pour écouter du Mozart il faut savoir lire du Mozart. Or, pour écouter du Dire Straits, on n’apprend pas spécifiquement la guitare électrique et on ne sait pas plus lire de partition ou de tablature. La lecture de la partition, au contraire, est réservée à un nombre restreint d’amateurs de classique. De plus, le rôle de l’interprète-musicien est justement de traduire la partition en musique sonore, il n’est donc nul besoin pour l’auditeur de savoir impérativement la lire. Pour prendre simplement conscience des différences d’interprétation, mes différents entretiens m’ont prouvé qu’aucune éducation musicale n’était requise. Il est évident qu’une certaine habitude d’écoute permet d’approfondir sa connaissance des interprétations, mais encore une fois il est très facile d’en prendre conscience par une écoute simple et répétée de la même œuvre. Je remarque que les gens sont naturellement sensibles à la musique et ne nécessitent pas de compétences particulières pour tenter de la comprendre voire même de l’aimer. La musique fait d’ailleurs réagir des parties de notre cerveau plus primitives encore que le langage lui-même, elle est ancrée dans nos gènes, comme dans ceux des hommes de Neandertal qui communiquaient déjà par
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« altérations de hauteur et de temps : une bonne définition de la musique ».58 En cela, nous possédons par nature tout ce qu’il faut pour la percevoir et la comprendre (à moins bien entendu d’être atteint d’amusie). Ce qu’il manque à ce public n’est donc pas l’éducation à la musique ni une sensibilité outre mesure. Ce qu’ils réclament en revanche et ce qui les amènera à s’intéresser au concert ou à l’écoute au disque, c’est plutôt qu’on les prenne par la main et qu’on les guide à travers le foisonnement trop dense d’interprétations, d’œuvres, de compositeurs, d’époques. Car s’il est facile d’être ému ou surpris par une interprétation, encore faut-il savoir par où commencer son écoute. Il n’est pas évident, parmi le foisonnement d’enregistrements ou de concerts proposés, de pouvoir sélectionner la ou les bonnes interprétations pour débuter. Les non-amateurs ont besoin d’une aide orientée selon leurs goûts et d’un accompagnement au concert, événement qui pour eux est vu certainement comme un divertissement à partager avec autrui plus que comme une expérience individuelle de confrontation à l’œuvre musicale.
b. Les amateurs en pleine méconnaissance
Une grande partie des amateurs de musique classique (39,3% des personnes interrogées) a une méconnaissance des interprétations (ils sous-estiment globalement leur nombre) malgré une écoute quotidienne de musique. Pour analyser d’où vient cette lacune, nous pouvons déjà avancer que la plupart d’entre eux ne se rendant pas au concert, ils n’ont probablement pas encore assez développé une écoute comparative des œuvres. Or connaître pleinement la musique et apprendre à l’écouter, ce n’est pas seulement connaître un grand nombre d’œuvres, c’est connaître plusieurs aspects de plusieurs œuvres. De plus, à la manière d’un tableau dans un musée, la musique prend pleinement sens lors
58
« alterations in pitch and times: a good definition of music » : LEVITIN Daviel, « The World in Six Songs: How the Musical Brain Created Human Nature », dans Music and the Brain, 2009, Library of Congress, disponible sur : www.youtube.com/ watch?v=XyweM3CH-u0
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du concert et non lors de l’écoute d’un enregistrement. Elle est représentative en plus d’être un art interprétatif. Nous avons vu que la pratique régulière et soutenue du concert aidait probablement à prendre conscience des différences entre interprétations, il s’agirait donc pour eux d’avoir connaissance de cet apport bénéfique de la part du concert. Bien évidemment, le concert est « d’abord un lieu et un rituel de sociabilité, il donne à ceux qui le fréquentent le sentiment de former une communauté, où l’on éprouve la douceur d’être inclus »59. Mais il s’agit également d’un événement profondément intime, au cours duquel l’auditeur fait un travail sur lui-même et devient un créateur de sens : « Au fond, ne pas prononcer de mots, n’en pas recevoir, être seulement dans l’écoute de la musique, c’est accueillir une solitude créatrice, alors que parler, échanger des mots, chasse cette solitude créatrice. En renonçant à un monde fait de signes qui viennent du dehors, on devient soi-même le créateur de son propre monde. L’écoute, elle, est une création. »60 On peut se rendre seul à un concert, car on n’y va aussi pour partager et apprendre des choses avec soi-même avant de le faire avec les autres. Le concert convoque une approche personnelle autonome de l’œuvre.
c. Les passionnés acharnés d’interprétations
Le troisième public rassemble les passionnés de musique classique qui ont une excellente connaissance des interprétations. Ils ont une estimation très correcte du nombre d’interprétations enregistrées possibles pour une œuvre, sont de très gros consommateurs de concerts (plusieurs fois par mois) et écoutent énormément de musique. Convaincus de l’importance des
différences
d’interprétation, ils ont souvent à cœur de faire découvrir des œuvres à leurs proches, et choisissent scrupuleusement l’interprétation adéquate selon ce qu’ils estiment le plus correspondre aux goûts de l’auditeur. Ce sont de véritables
59
BIGET-MAINFROY Michelle, « Aux origines du concert public et payant », dans ESCAL Françoise (dir.) et NICOLAS François (dir.), Le Concert : enjeux, fonctions, modalités, op.cit. p.23 60 Ibid.
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médiateurs, des prescripteurs qui ont l’avantage de connaître en plus la plupart du temps leurs destinataires personnellement. Certains, comme nous l’avons vu avec Pierre-Yves Lascar, peuvent avoir, par déformation professionnelle, une consommation boulimique de la musique enregistrée. Malgré leur connaissance, ces auditeurs-là ont généralement toujours envie de découvrir de nouvelles œuvres, et c’est d’ailleurs dans cette recherche qu’ils trouvent de nouveaux plaisirs plus exotiques lorsqu’ils ont l’impression d’avoir fait le tour d’une œuvre. Ils croient profondément en la valeur de la musique : « On a tort de croire que la jouissance est donnée. En musique, comme en amour, elle se conquiert. »61 Acharnés, ils sont capables d’écouter plusieurs fois une œuvre qui ne leur plaît pas jusqu’à peut-être tomber sur l’interprétation qui la leur fera comprendre ou aimer, ils cherchent à atteindre la surprise et surtout à comprendre l’essence de la musique. Par cette recherche, ils créent une relation entre l’œuvre et eux qui, lorsqu’elle atteint enfin un degré affectif fort, leur permet de penser l’œuvre comme un tout plutôt que de s’attacher simplement à une mélodie comme prétexte.
61
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.195
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Troisième partie : Remédier à la méconnaissance : un levier de médiation possible pour amorcer un renouvellement des publics Nous avons vu à quel point les publics ont une connaissance limitée de l’importance des interprétations. Intéressons-nous maintenant aux possibilités qui s’offrent à nous en termes d’actions de médiation et avant cela, à ceux qui ont le pouvoir de réaliser cette médiation, ceux qui peuvent conseiller les publics qui méconnaissent la musique classique afin de leur apporter la connaissance et la possibilité de s’y plonger, ceux que j’appellerai les « prescripteurs de curiosité ». Car c’est bien de curiosité dont il s’agit, c’est « effectivement une qualité essentielle sur le plan intellectuel et qui peut apporter de bonnes et mauvaises surprises au mélomane, mais des surprises toujours enrichissantes »62. Il n’est pas question ici de prétendre des publics qu’ils ne sont pas curieux, mais bien que ces prescripteurs peuvent les aider à guider leur curiosité, les amener à s’intéresser de plus près à ce phénomène si particulier qu’est l’interprétation et, pourquoi pas, à leur donner envie de venir au concert traditionnel ou d’acheter un disque.
I.
Les prescripteurs de curiosité : qui doit faire une telle médiation ?
a. Les prescripteurs publics : institutions culturelles et Éducation Nationale
En premier lieu, il me paraît judicieux de parler des institutions culturelles et de l’Éducation Nationale, qui représentent les autorités officielles de la culture en France et qui sont la plupart du temps intimement liées par des partenariats. La musique à l’école n’est obligatoire que jusqu’au collège. En musique classique, on y apprend les grandes périodes stylistiques et parfois quelques 62
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.216
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compositeurs majeurs en détails, les principaux instruments de l’orchestre, quelques notions de solfège et autrefois on pratiquait la flûte à bec (pratique à présent quasi-révolue). Si depuis quelque années, l’accent est remis sur l’importance de l’écoute pour la formation de la culture musicale, car savoir écouter la musique « c’est savoir discriminer les sources, les identifier, les qualifier, les décrire »63, aucune ligne ne fait allusion à l’écoute des différences d’interprétation. L’interprétation n’est abordée que par le biais de la production de la musique par l’élève lui-même en tant que musicien-interprète et non en tant qu’auditeur. Lorsque l’influence culturelle de la famille ne le permet pas, c’est cependant bien à l’école, en premier lieu, que l’on forme sa culture musicale et son écoute. Au-delà des cours de musique, c’est ici que l’on y apprend pour la première fois discipline, travail et partage. Quant aux institutions culturelles, et les salles de spectacle en particulier, souvent en partenariat avec les écoles pour proposer aux enfants de venir voir des concerts ou de participer à des ateliers, elles servent de pont entre le cadre contraignant de l’école et la vie plus libre de tous les jours. Mais encore une fois ici, l’accent est peu mis sur l’écoute des interprétations et beaucoup plus souvent sur la pratique. La Philharmonie de Paris propose par exemple de nombreux ateliers à destination des plus jeunes dans lesquels la pratique ponctuelle ou à long terme d’un instrument ou de la voix est mise en avant.
b. Les prescripteurs professionnels : critiques musicaux et médiateurs Intéressons-nous
à la deuxième catégorie de prescripteurs : les
professionnels. Rassemblant majoritairement tous ceux avec qui nous pouvons
Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Les enjeux de l’éducation musicale dans la formation générale des élèves, Éduscol, Mars 2016, disponible sur : cache.media.eduscol.education.fr/file/Education_musicale/22/9/1_RA_C4_EM_Enjeux-form ation-generale-eleves_DM_570229.pdf 63
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interagir de manière indirecte et plus impersonnelle : les critiques musicaux, les professionnels du milieu de la musique et tous types de médiateurs. Dans la vie quotidienne et en dehors du cercle familial, les prescripteurs professionnels jouent un rôle majeur de diffuseur de la musique. Les médias, et en particulier la radio, sont des distributeurs de culture musicale aujourd’hui à la portée de tout le monde. Si bien évidemment, « les médias ne peuvent pas, à eux seuls, faire le travail d’éducation et de diffusion de la musique qui incombe à toutes les couches de la société »64, ils sont responsables de l’image véhiculée par la musique classique puisqu’ils en sont les transporteurs. Ces médiateurs sont comme leur catégorie l’indique, des professionnels, et possèdent donc une culture musicale supérieure à un non-amateur ou à la plupart des amateurs non-experts. Se pose donc devant eux le problème du langage à utiliser pour pouvoir s’adresser à tout le monde. Jean-Pierre Rousseau, très critique du rôle de la radio, l’accuse à ce sujet d’incompétence, ce qui peut être hélas le risque en voulant mal simplifier notre langage : « La seule question qui vaille, c’est que le public perçoive le respect qu’on a pour lui, […] en lui offrant toujours la plus haute exigence de qualité de sorte qu’il vous respecte et vous fasse confiance. Car c’est sur cette confiance que l’on bâtit les choses. C’est la même problématique en radio. De quoi souffrent les auditeurs autant sur une chaîne généraliste que sur une chaîne spécialisée ? Ce n’est pas de l’excès de compétence mais de l’incompétence. Et vous savez toujours que l’incompétence se cache toujours sous les traits de Diafoirus : on entend encore trop de mots qu’on utilise parce qu’on ne sait que dire de simple, de vrai et de direct. […] Pourquoi dans le domaine de la musique classique ne pourrait-on pas être abordable pour le plus grand nombre en étant le plus spécialisé possible ? Ce n’est jamais que la vertu première de la pédagogie. Nous avons tous le souvenir de grands professeurs qui nous enseignaient des matières peut-être extrêmement spécialisées et subtiles mais dans un langage accessible à tous, simplement parce qu’ils étaient très compétents. Ce 64
AGRECH Vincent, dans SEYS Pascale, Access : Quels publics pour la musique classique ?, Bruxelles, Mardaga, (coll. Musique-Musicologie), 2003
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dont nous souffrons le plus dans notre univers, c’est malheureusement souvent, soit d’un manque de compétence, soit d’un manque d’imagination. »65
Le propre d’une vulgarisation réussie n’est pas de dire moins, mais bien de dire la même chose avec un langage simplifié. Et le rôle de ces prescripteurs est bien de réaliser une vulgarisation correcte afin non seulement de bien se faire comprendre, mais d’éduquer en plus leurs publics.
c. Les prescripteurs amateurs : interprètes et cercle personnel d’influence
Enfin, concentrons-nous sur ceux que j’appellerai les « prescripteurs amateurs », c’est-à-dire ceux dont la fonction n’est pas d’attirer le public mais qui, malgré eux ou volontairement, exerce une influence positive sur l’intérêt que les gens portent à la musique. Il s’agit des interprètes et de notre cercle personnel d’influence (amis, famille, collègues ou inconnus rencontrés aux concerts ou croisés simplement dans la rue… ceux avec qui nous interagissons directement). Il est plus facile de se fier à quelqu’un dont la mission professionnelle n’est pas de nous faire aimer la musique. Nous accordons plus facilement notre confiance à celui qui offre volontairement et gratuitement son savoir, en nous guidant, par la connaissance qu’il a de nos goûts et de nos envies, de manière personnalisée. En résumé, on a confiance en celui qui n’essaie pas de nous vendre quelque chose mais qui nous propose de découvrir une part d’inconnu qu’il veut bien partager gracieusement avec nous car cela lui tient à cœur. De nombreux prétextes sont souvent trouvés pour ne pas se rendre au concert : cadre trop strict, prix trop élevé, programmation trop restreinte, contraintes géographiques, aucune personne avec qui s’y rendre… Si ces premiers barrages peuvent être aisément surmontés, en particulier en région parisienne (concerts aménagés, gratuits, orchestres nomades), il est plus compliqué pour une 65
ROUSSEAU Jean-Pierre, op.cit p.43 : p.161
45
institution de palier à la dernière. C’est souvent là qu’entre en jeu le cercle personnel : lorsqu’un ami nous emmène en concert. Le violoniste Renaud Capuçon, dans une interview à On n’est pas couché, explique comment il a offert un choc émotionnel à l’un de ses amis en l’emmenant à son premier concert : « Un jour je l’ai pris par la main je lui ai dit “tu vas venir avec moi” […]. Je l’ai emmené voir une symphonie de Mahler jouée par le Philharmonique de Berlin. J’ai bien choisi ! Dirigée par Abbado, c’est vrai qu’on pouvait difficilement faire mieux. Et je me souviendrai toute ma vie de ce type […] qui pleurait, il était totalement pris par cette musique. Il faut faire le pas d’aller au concert, parfois on ne sait pas où aller, il faut peut-être avoir la chance d’être conseillé. La musique, à partir du moment où elle est jouée, où elle est offerte, c’est un vrai don, c’est quelque chose qui peut être reçu par n’importe quelle personne de n’importe quel âge et de n’importe quelle classe sociale. »66
Nombre de gens ont découvert leur passion pour la musique en se rendant directement en concert, pour la simple raison que le concert, de par l’interprétation offerte frontalement à l’auditeur, est un événement éphémère, unique et donc précieux. En aucun cas le concert est un substitut de l’enregistrement, de la même manière que regarder la reproduction dans un livre d’une toile, ce n’est pas la même chose que de se rendre au musée pour la voir. La reproduction massive de l’œuvre ne lui ôte pas son caractère précieux profondément nécessiteux de relationnel entre l’interprète et l’auditeur.
II.
L’interprétation : médiation
un
nouveau
levier
a. Un outil oublié à portée de main : l’écoute
66
L’interview est disponible sur YouTube : www.youtube.com/watch?v=qzZZxA6NgQs
46
de
L’écoute n’a jamais semblé aussi importante qu’à notre ère numérique et individualisée. Notre vie ultra-connectée nous offre la possibilité d’accéder à n’importe quelle information en temps réel. Au milieu de cette surenchère d’informations qu’il nous faut encore apprendre à trier, nous essayons de ne pas laisser de place à l’ennui. C’est pourtant l’ennui qui créé l’attente, la patience et… l’écoute ! Car c’est en s’ennuyant et en réfléchissant sur soi-même qu’on apprend à s’écouter et par la suite à écouter : « La musique commencée, chacun se replie sur lui-même, entamant avec la musique et avec lui-même un dialogue intime, un voyage intérieur. Ecouter c’est toujours s’écouter soi-même. »67 L’écoute réclame la réflexion. La réflexion demande l’ennui. Et l’ennui prend du temps. Or il est difficile de bien vouloir prendre le temps lorsque tout paraît instantané et à la demande. Nous prenons pourtant bien le temps de regarder un film, pourquoi ne le prendrions-nous pas pour écouter une symphonie ? Il est nécessaire d’apprendre à écouter et de devenir un « écouteur idéal »68, celui que Jean-Yves Bras définit comme « un actif qui consacre à son audition une attention soutenue, un savoir appliqué, une mémoire dédiée, qui lui permettent d’intégrer tous les paramètres d’un langage musical dans une structure d’ensemble ».69 C’est par l’écoute que nous apprenons la concentration et l’analyse, par elle que nous pouvons critiquer et comparer les œuvres et donc grâce à elle que les interprétations peuvent nous apparaître aussi riches : « On écoutait autrefois les œuvres une seule fois, elles étaient ensuite destinées à n’être plus jouées (roi Louis XIV). Aujourd’hui, le mélomane peut écouter jusqu’à satiété le morceau de son choix, et dans des interprétations différentes : son écoute autrefois absolue est devenue relative, comparative, critique. »70 En mettant la pratique de l’écoute active au cœur de nouvelles médiations, je propose quelques idées et solutions pour valoriser les interprétations.
67
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.175 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.125 69 Ibid. 70 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : pp. 266-267 68
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Première proposition : A la manière de l’émission de radio La Tribune des critiques de disques, ne pouvons-nous créer des ateliers qui proposent seulement de venir écouter de la musique classique (sans pratique instrumentale ou vocale) et d’en comparer différentes versions ? Idéalement la programmation de cet atelier serait raccordée avec celle de la saison d’une salle afin de proposer un cheminement logique de l’écoute vers la démarche de la venue au concert. Dans ses débuts dans les années 1960, l’émission La Tribune des critiques de disques sur France Musique, proposait déjà cela puisque les œuvres comparées étaient celles au programme des concerts de l’après-midi. Armand Panigel décrit la démarche de l’émission ainsi : « Nous essayons, en comparant les divers enregistrements que ces œuvres ont connus […] d’amener les auditeurs même les moins prévenus en faveur de la musique en général ou des œuvres que nous écoutons, à concevoir qu’une œuvre n’est pas figée dans son interprétation, qu’une œuvre peut être interprétée de plusieurs manières différentes, peut-être comme un objet d’art, éclairé de manières différentes, et de ce fait révéler une structure propre et, chose curieuse, une structure qui effarouche moins l’amateur non prévenu, cet amateur qui à ce moment-là, pris peut-être par notre jeu […] commence à sentir poindre une opinion, un goût personnel sur chacune des œuvres que nous analysons. »71
Cependant, si en 1966 l’émission était à destination du grand public, son vocabulaire était tout de même déjà très complexe. Faut-il en déduire qu’un effort de médiation à ce niveau-là a été fait depuis pour s’adapter au plus grand nombre ou bien que les gens étaient plus éduqués à la musique ne serait-ce qu’en termes de vocabulaire musical ? Rien n’est moins sûr car la version actuelle de l’émission, si elle semble plus accessible utilise tout de même un vocabulaire trop éloigné pour les non-avertis : « dans la profondeur du clavier », « on a vraiment l’ossature en permanence avec ces accents martelés des basses », « il ferraille, il
La Tribune des critiques de disques, disponible sur l’Ina : www.ina.fr/video/CPF86625879/latribune-des-critiques-de-disques-le-grand-talent-du-petit-matin-sur-france-inter-le-cirad-video .html 71
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y a une densité explosive »72. Aujourd’hui, jamais une personne lambda ne comprendra la densité musicale ou ce genre de termes, sans un minimum d’éducation musicale. L’idée est donc de proposer une éducation à l’écoute par les institutions culturelles en amont de la venue à un concert afin d’obtenir avec le temps une écoute comparative, critique et affinée. Des ateliers mettant au cœur du sujet l’écoute comparative sont déjà menés à la Philharmonie de Paris sous le nom La Tribune et proposent, non pas de comparer différentes interprétations mais différentes œuvres au programme de la saison durant le week-end. Chaque participant est invité à donner son avis, avec ses propres mots, sur une œuvre qu’il a peut-être vue ou va peut-être voir, puis à comparer cette œuvre avec d’autres également au programme. Je suggère d’étendre cet atelier à un cycle de formation sur l’écoute pour tous les niveaux, et suivi de divers concerts, afin d’instruire le public à l’écoute comparative des interprétations. C’est cette prise de conscience de l’importance des interprétations qui attirera les non-amateurs ou les amateurs encore frileux à la pratique du concert.
Deuxième proposition : Comme nous l’avons vu, les interprètes jouent un rôle majeur dans la transmission d’une écoute éclairée de la musique. Loin des star-systems de l’interprète inatteignable et intouchable, permettons-lui de se remettre lui aussi en question dans sa lecture de la musique en lui demandant par exemple un concert au format restreint dans lequel il peut jouer plusieurs fois le même extrait d’une œuvre de manière différente. Au public d’en trouver les subtilités et de faire ses retours. A l’interprète de tenter d’expliquer les variations qu’il a choisi et parmi les propositions, laquelle lui semble la plus proche de ce qu’il désire transmettre musicalement et pourquoi.
72
FOTTORINO Elsa, FRIÉDÉRICH Stéphane, « Sonate n°2 op.35 de Frédéric Chopin » dans La Tribune des critiques de disques du 27 mars 2016
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Autrement dit, à la manière de Leonard Bernstein avec ses Young People’s Concerts ou de Jean-François Zygel et ses Clés de l’écoute, généralisons la pratique du concert-conférence et étendons-la à l’interprétation et non seulement à l’explication technique ou contextuelle de l’œuvre.
Troisième proposition : Écouter dans le noir, serait-ce la solution pour apprendre à écouter dans le silence ? Cela pourrait-il permettre « un dialogue intime, un voyage intérieur »73 ? Car « l’écoute active implique la concentration et donc un certain repli sur soi afin d’établir un contact intime avec la musique. Être à l’écoute et rien d’autre. Toute véritable audition est privée, intérieure, partagée entre l’intellectuel et le sensoriel. »74 L’expérience vaut la peine d’être tentée. Essayons-nous à être privés de notre vue pour développer notre écoute. Plus qu’un atelier d’écoute, il serait enrichissant de proposer un concert entier plongé dans le noir le plus total. Certes, le conservatoire du XVe arrondissement de Paris propose chaque année un « Concert dans le noir » qui invite le public à participer à une performance sonore sur divers styles musicaux. Mais l’idée ici est plutôt de mettre de côté la pratique de l’instrument pour justement mettre à profit la pratique de l’écoute seule et la développer. En proposant un concert intégralement dans le noir, nous éliminons toute relation visuelle à autrui, même avec l’interprète. Il ne s’agit donc plus de juger de la technique ou du visuel, mais bien de l’interprétation et des sentiments que nous recevons. En d’autres termes, comment ressentirions-nous la musique si nous étions privés de notre vue et que la seule chose qui nous relie à la réalité soit notre sens auditif ? L’œuvre deviendrait la seule chose qui nous relie à la vie, une chose devant laquelle Pierre Boulez dit qu’ « il faut avoir […] un respect profond comme devant l’existence même. Comme si c’était une question de vie ou de mort. »
73 74
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.175 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.178
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b. Retravailler le positionnement communicationnel
La communication, sous toutes ses formes, est le premier outil de la médiation, son premier prérequis. Du point de vue d’une organisation, d’une institution, d’une instance, la communication regroupe l’ensemble des outils lui permettant de transmettre des informations à ses publics.
Première proposition : En musique, il est un outil de communication et de médiation très répandu dans les institutions culturelles : la note de concert. Combien de fois une personne novice, en parcourant courageusement une note de concert s’est retrouvée complètement perdue parmi les indications à l’italienne et autre vocabulaire de solfège et s’est braquée en refermant violemment le programme, ou pire encore, a baissé les bras ? Certes, nombreux sont les orchestres qui font appel à des médiateurs lorsqu’il s’agit de programmer un concert pour enfants ou plus grand public (un ciné-concert par exemple). Mais qu’en est-il des curieux n’ayant jamais mis les pieds dans une école de musique et se rendant à un concert Arvo Pärt à la Philharmonie de Paris ? L’Orchestre symphonique de Toronto semble avoir trouvé une des solutions possibles afin de proposer un guide d’écoute précis et à la portée de tous durant le concert (et non une quantité de lignes décrivant les mouvements à retenir en amont de l’écoute). En faisant appel à la musicologue et rédactrice Hannah Chan-Hartley, le TSO s’est muni d’un outil novateur et attrayant, dont le design est basé sur le code morse75. Elle utilise un système de points et de traits, comme le morse, afin d’imager ce que l’auditeur est supposé entendre. De nombreuses informations sont données : la clé, les instruments mis en valeur, la structure (les
75
Voir un exemple de ce guide d’écoute en Annexe n°8, p.101
51
thèmes, les expositions ou développements…), le tempo, la durée, la manière de jouer…76 Un tel guide permet de consacrer plus de temps à une écoute active analytique qu’à relire la note de concert en essayant de se repérer dans l’œuvre. De plus, il incite à une seconde écoute, dans laquelle l’auditeur peut se détacher petit à petit du guide, pour finir par connaître l’œuvre par cœur. Enfin, il permet de donner une structure de base permanente au spectateur, qui peut ensuite apprivoiser l’interprétation en déterminant ce qui relève de la partition ou de l’interprète.
Deuxième proposition : Il faut repenser l’expérience du concert. Il ne s’agit pas de désacraliser le concert traditionnel comme tendent à le faire actuellement les projets alternatifs comme les concerts éducatifs ou participatifs, les concerts en plein air ou dans des lieux insolites ou les ciné-concerts. Le concert est bel et bien un événement précieux, un écrin qui permet à la musique de s’épanouir convenablement. Il est évident que des changements peuvent être apportés, afin de rendre l’événement moins strict, mais cela peut être fait sans que la qualité de l’écoute en pâtisse. Le respect de certains codes peut mener à la compréhension. Prenons par exemple le cas du silence total demandé pendant l’exécution de l’œuvre. Cette règle, loin d’avoir été instaurée pour empêcher les gens de communiquer entre eux, permet une grande concentration, premier prérequis pour une écoute active : « Quelle que soit l’heure, la musique réclame du temps, un temps où l’activité de l’écoute n’est pas perturbée par une autre. Elle exige une disponibilité, impose une priorité, réclame le retrait. »77 Nous ne sommes aujourd’hui plus au temps où nous allions à l’opéra pour se montrer du monde mais bien pour éprouver des émotions que nous recherchons désespérément.
76
Pour plus de précisions, voir SINCLAIR Mark, How the Toronto Symphony Orchestra uses graphic design to guide audiences, 26 mai 2016, disponible sur : www.creativereview.co.uk/howthe-toronto-symphony-orchestra-uses-graphic-design-to-guide-its-audiences-though-its-music/ 77 BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.172
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Et s’il est en effet, plus facile de « trouver le temps d’écouter une chanson de quelques minutes qu’une symphonie d’une demi-heure et, a fortiori, un opéra ou un oratorio de trois heures »78, cette attention nous apprend également à être plus patients et à effectuer un repli sur nous-mêmes afin de nous écouter. Que peut-on donc faire pour ne pas désacraliser le concert tout en le rendant plus attirant pour les non-publics ? En changeant radicalement la communication autour du concert en mettant en avant son caractère exceptionnel (non pas au sens de ponctuel mais bien d’incroyable) et en montrant au public qu’il est fait pour venir au concert, quel que soit son profil. Ce n’est pas le concert qui est fait pour le public, c’est le public qui est fait pour le concert. En opérant ce basculement, nous pouvons montrer aux plus réticents qu’ils ont la chance de pouvoir vivre quelque chose d’unique et de multiple à la fois, une porte d’entrée formidable sur le savoir et l’émotion. Il ne sert à rien de tenter de rendre la musique classique moins élitiste, sauf à la dégrader. Toute mission doit être de prouver aux gens qu’ils font partie de cette élite et qu’il leur suffit d’y participer pour s’en assurer.
Troisième proposition : Avec le web, des opportunités quasi-illimitées et à bas coût s’offrent aux prescripteurs de curiosité que nous avons vus plus haut pour permettre de sensibiliser leurs publics à l’écoute des interprétations. Pourtant trop peu d’initiatives sont pour le moment lancées, et aucune de grande envergure sur l’importance des différences d’interprétation. Il serait pourtant très simple et facile à mettre en place pour une grande salle symphonique par exemple ou pour un site spécialisé comme Medici.tv, de proposer des écoutes comparées d’interprétations sur un site ou une page dédiés ou sur ses réseaux sociaux. Imaginons une page web, à la navigation simple et ergonomique, dans laquelle l’auditeur aurait la possibilité de pouvoir rechercher parmi la base de 78
Ibid.
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données les vidéos de concert ou même les audios d’enregistrements qu’il souhaite voir ou écouter. Il a la liberté de pouvoir en afficher plusieurs simultanément, et de naviguer aisément sur tous à la fois par des repères correctement placés sur les différents mouvements et à l’intérieur de ceux-ci sur les passages les plus importants. Libre à la salle ensuite, de valoriser ses propres contenus audiovisuels en ne publiant que ses images d’archives (ou les enregistrements réalisés dedans) ou au site spécialisé de proposer des interprétations de référence afin de pouvoir les mesurer à d’autres.
c. Le traitement par les médias et l’art audiovisuels
La musique classique n’est ni ennuyeuse, ni réservée à une élite, ce que les jeunes ignorent car elle n’est pas médiatisée de la même manière que l’est la musique populaire. On la retrouve pourtant depuis des décennies parmi deux formes audiovisuelles qui se présentent à nous pour analyser son utilisation : -
L’art audiovisuel narratif : le cinéma
-
L’art audiovisuel informatif : les émissions télévisuelles
Première proposition : La pratique des ciné-concerts se généralisent de plus en plus et offre, par son exécution en direct et en public, sans qu’on y réfléchisse, une interprétation différente de celle qui fut gardée pour le film. Pourquoi ne pas étendre cette pratique et proposer un logiciel ou une plateforme web qui permette de visionner un film en en changeant l’interprétation de sa bande sonore. Prenons par exemple deux films réutilisant de la musique classique et dont la bande sonore est capitale et a marqué les esprits : Amadeus et Apocalypse Now. Dans le premier, proposons de remplacer les nombreux extraits des œuvres de Mozart, et en particulier le Requiem final par d’autres interprétations de ces
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mêmes extraits. Quelle compréhension et quelle réaction aurons-nous devant cette nouvelle œuvre recréée que sera le film Amadeus avec le Requiem de Mozart interprété non plus par Neville Marriner et l’Academy of St Martin in the fields mais par Teodor Currentzis et MusicAeterna ? Remplacer la version de Marriner, considérée comme une des grandes versions de référence, par celle de Currentzis, une interprétation baroque très différente ne changera-t-elle pas complètement notre vision du film et notre interprétation du sens de la musique dans le contexte cinématographique ? Dans Apocalypse Now, la célèbre scène de la PsyWarOp où les hélicoptères américains fusillent les plages vietnamiennes sur fond sonore de La Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner, a donné du fil à retordre à Walter Murch, le sound designer du film. Seule l’interprétation retenue (celle enregistrée par Sir Georg Solti avec le Vienna Philharmonic en 1965) semblait répondre à tous les critères de sélection : un rythme ectopique pour permettre un certain découpage des plans, des cuivres acides mis en valeur sur le plan de l’océan… Mais le label DECCA ne voulait pas céder les droits à Francis Ford Coppola pour l’utilisation de cet enregistrement. Après avoir écouté 19 autres interprétations différentes, Walter Murch s’est finalement rendu à l’évidence que seule la version de Solti conviendrait au film et il fallut que Coppola aille jusqu’à rencontrer Solti en personne pour avoir son accord79. Qu’adviendrait-il alors si nous pouvions tenter, comme Walter Murch, de voir le film par le prisme de diverses interprétations ? Nous pourrions tout simplement nous rendre compte des différences de sens créées par leur utilisation plus ou moins bien appropriée.
Deuxième proposition : A quelles émissions aujourd’hui avons-nous droit sur les chaînes publiques en musique classique ? Elles se comptent assez rapidement puisqu’il n’y en a que
79
Lire toute cette histoire sur nautil.us/issue/30/identity/how-i-tried-to-transplant-the-musicalheart-of-apocalypse-now
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deux : La Boîte à musique de Jean-François Zygel et les Victoires de la musique classique. Que l’on prétexte que les jeunes ne s’intéressent plus au classique « délivre les chaînes publiques de leur mission culturelle musicale, si ce n’est à dose homéopathique (“Victoires de la musique”) ou à des heures impossibles. »80 Elles rassemblent à elles deux seules les deux problèmes majeurs de la musique classique à la télévision : -
La Boîte à musique de Jean-François Zygel est une émission didactique qui existe depuis 2006 sur France 2. Le principe est de parler musique simplement, avec trois invités qui font l’actualité (personnalités de la culture, politique, des médias…) et un grand nombre de musiciens qui viennent sur le plateau. Explication d’œuvres, présentation d’instruments insolites, histoires de compositeurs… Une émission assez complète mais qui ne peut toucher un public conséquent puisqu’elle passe en seconde partie de soirée.
-
Les Victoires de la musique classique est une émission de remise de prix également sur France 2. Si sa jumelle Les Victoires de la musique peut se vanter d’attirer les foules et d’avoir l’air jeune, ce n’est pas le cas de la version classique. Ces animateurs, Frédéric Lodéon et Claire Chazal, moins sang-neuf que les jeunes Virginie Guilhaume et Bruno Guillon, présentent l’émission dans une salle symphonique (la Halle aux Grains pour les dernières éditions). Malgré cela, le son n’en est pas digne et ne rend jamais honneur aux œuvres. En 2015, les interprètes défilent et sont forcés de couper en plein milieu d’un unique mouvement de concerto de Liszt… en hommage à la mort de Pierre Boulez. L’événement est assez relayé sur Twitter pour être souligné, car effectivement la musique contemporaine est évitée au profit d’œuvres plus connues, déjà rejouées maintes fois :
80
BRAS Jean-Yves, op.cit. p.11 : p.192
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Proposons donc enfin un réel programme sur la musique classique, une seule émission hebdomadaire à une heure raisonnable, présentée dans de bonnes conditions et dans le respect de la musique classique par des médiateurs du milieu. Et lors de celle-ci, faisons des exercices d’écoute et jouons même sur la trivialité dont les œuvres sont chargées pour faire des parallèles entre les arts et ainsi montrer aux non-initiés qu’ils écoutent en fait de la musique classique sans même s’en rendre compte dans le cinéma, la publicité, les jeux vidéo…
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CONCLUSION Les différentes interprétations sont ce qui fait à la fois la richesse des possibilités et le sacré de l’unicité des œuvres. Leur multitude et les différences qui les opposent permettent de recréer continuellement le répertoire classique et de permettre, plusieurs siècles plus tard, de toujours jouer cette musique différemment, en proposant de nouvelles choses. Parmi ce foisonnement, l’auditeur doit trouver sa manière d’écouter et orienter ses écoutes en fonction de ses goûts. Il peut tester à loisir sa curiosité sur l’offre gigantesque proposée. Paradoxalement, les interprétations possèdent aussi un caractère unique grâce notamment à l’expérience du concert traditionnel live qui allie l’éphémère du moment à une expérience solitaire d’écoute de soi-même. L’interprète quant à lui est un recréateur de l’œuvre originelle qui choisit une seule approche à utiliser pour traduire la musique écrite en son. Enfin, l’auditeur en tant qu’interprètecréateur lui aussi, effectue un travail d’interprétation à son tour sur l’œuvre déjà représentée et lui confère encore un autre sens. L’interprétation est un phénomène globalement méconnu des publics même en partie initiés à la musique classique. Ces initiés non-experts ont connaissance du phénomène mais n’ont pas une pratique du concert assez développée pour avoir une excellente conscience de l’importance des interprétations. Les publics non-avertis en revanche, semblent ne demander qu’à être pris par la main pour qu’on leur montre qu’une meilleure connaissance de l’importance des différences d’interprétation peut déclencher la sortie au concert et dans une moindre mesure peut amener à s’intéresser à l’enregistrement au disque. L’exploration en termes de médiation de ce phénomène conduirait également à renforcer la pratique de l’écoute active et aiderait le grand public à former sa culture classique et son esprit critique.
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Pour cela, il nous faut surtout valoriser notre pratique de l’écoute, à travers les médias comme via notre vie quotidienne, en apprenant à développer notre curiosité et notre attente. Repensons également l’expérience du concert comme ouverte à tous puisque tous sont faits pour la vivre et proposons au public de le redécouvrir en lui prouvant qu’aller voir une œuvre en concert, ce n’est pas l’avoir vue pour toujours, c’est l’avoir seulement effleurée.
De la musique avant toute chose. Paul Verlaine, L’Art poétique
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(Consulté le 28 mai 2015)
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ANNEXES Annexe n°1 : questionnaire de pré-enquête
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OU
68
69
70
Annexe n°2 : Le panel de mon questionnaire
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Annexe n°3 : Première écoute comparée - Philippe
Questions préalables Ecoutez-vous de la musique classique ? Non, j’ai joué un peu de piano plus jeune mais je n’en écoute jamais. Avez-vous déjà écouté différentes interprétations d’une même œuvre ? Non, pas volontairement en tout cas.
Ecoute comparée Symphonie n°6 en la mineur ‘Tragique’ I. Allegro energico, ma non troppo – Gustav Mahler LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Non Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Je dirais que ça date du XIXe siècle voire XXe. On dirait une musique militaire ou de film. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Non… Je l’aurai bien vu au IIIe Reich cette musique ou utilisée pour un film de ce genre, presque un western ou un truc américain des années 1960. Pourquoi pas dans Les Oiseaux d’Hitchcock.
72
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui cette fois ! Si oui, lesquelles ? Cette version est plus rapide, plus saccadée. Ce n’est pas du Mendelssohn par hasard ? Ça manque de corps un peu, c’est plus haché que la première version et ça manque un peu de puissance.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Non Si oui, lesquelles ? C’est difficile, comme je n’aime pas trop le morceau, je n’arrive pas à me concentrer sur ce que j’entends.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Là ça flashe, ça sort, ça souffle dans le biniou, les autres sont tristes, celle-là est plus majestueuse. Je préfère largement !
Requiem en ré majeur IV. Offertorium : Domine Jesu – Wolfgang Amadeus Mozart LANCER L’ÉCOUTE A
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Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? (Philippe fait mine de s’endormir) Non je ne crois pas. Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Ça sonne religieux. En tout cas c’est en latin. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 5
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? C’est plus enlevé, plus léger, moins austère.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Au bout de cinq fois on finit peut-être par apprécier ! Elle mélange la légèreté de la version B avec plus de son, de volume, de relief. C’est vraiment mieux, je m’ennuie moins cette fois, la première m’endormait vraiment !
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 :
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5 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? On a l’impression que ce n’est pas le même volume. C’est plus dans le ton d’un Requiem mais elle m’endort. Les autres étaient plus pétillantes, avec plus de relief, celle-là est plus plate, plus langoureuse mais dans le mauvais sens du terme, un peu ennuyeuse.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Il y a plus de nuances, c’est plus dans la vitesse nécessaire, plus enlevé mais moins bien que la C. C’est plus vivant aussi mais ça c’est con pour un Requiem.
Les Quatre Saisons III. Presto (Estate) – Antonio Vivaldi LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Oui Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Il s’agit des Quatre Saisons de Vivaldi, je dirais que ça date du XVIIIe siècle. Je me souviens très bien de ce morceau car c’est le tout premier CD qu’on m’a offert à l’occasion de ma première communion. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 9
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LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : (Philippe est surpris et laisse sortir un petit « ouah ! ») 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? C’est plus rapide, plus rythmé, le temps est plus marqué. C’est aussi plus « prise de tête », plus énergique. La battue est plus forte, plus saccadée. Si je devais comparer ça à un style de musique populaire, je dirais du progressive rock. Ça me semble moins adéquat à Vivaldi, la version est plus hard, plus grave.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 8 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus souple que la B, moins emportée et moins nuancée que la A, les différences sont moins marquées. La A a plus d’élan, elle coule mieux.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : (Philippe tape du pied en rythme) 8 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Est-ce que les musiciens ont changé d’instruments ? On ne dirait pas les mêmes. Il me semble qu’il manque des sons et que ce n’est pas complet. (NdA : cet enregistrement est joué sur instruments d’époque)
LANCER L’ÉCOUTE E
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Notez cette interprétation entre 1 et 10 : (Philippe tape encore une fois du pied) 9 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? J’aime mieux parce que ça correspond plus à ce que je connais. Elle est très ressemblante à la première, surtout l’attaque du début. Je n’arrive pas trop à les différencier à part ça.
Globalement, quelle œuvre avez-vous préféré et pourquoi ? Le Vivaldi mais parce que je connaissais déjà avant je suppose. A partir du moment où tu connais une œuvre, tu la juges plus facilement et tu l’aimes plus. Même un tube naze, si on te le met à tour de bras c’est pour te le faire apprécier et te le vendre, on préprogramme à prendre ce pour quoi les producteurs paient. Là à part le Mozart qui n’est pas trop ma came (je n’aime pas trop les musiques religieuses), l’autre pourrait me plaire avec plusieurs écoutes. Vous iriez voir une œuvre qu’un proche vous recommande en concert sans la connaître ? Je préfère avoir écouté avant de voir, je prendrais pas le risque de quelque chose que je ne connais pas. Mais si on me faisait écouter un peu avant pour que j’ai des points de repères, et que ce que j’entends me plait, j’imagine que oui j’irai.
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Annexe n°4 : Première écoute comparée - Catherine
Questions préalables Ecoutez-vous de la musique classique ? Oui Si oui, à quelle fréquence ? Presque tous les jours Avez-vous déjà écouté différentes interprétations d’une même œuvre ? Oui Si oui, cela a-t-il une grande importance pour vous ? Oui, parce que certaines sont très plates et sur d’autres tu as une autre émotion, un autre ressenti.
Ecoute comparée Symphonie n°6 en la mineur ‘Tragique’ I. Allegro energico, ma non troppo – Gustav Mahler LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Oui Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) (Catherine chantonne en réfléchissant à ce que c’est) Ce serait pas la 8e de Mahler ? Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 78
Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus dramatique, chargée, pesante, on sent que le compositeur a du chagrin, regrette, souffre à cause de quelque chose.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 5 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Trop rapide, elle ne prend pas le temps, je reste sur ma faim c’est trop précipité.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 9 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Celle-ci j’adore ! Parfaite ! Bonne dose entre la lenteur, la longueur et un peu de vivacité, une bonne frappe qui ramène à la réalité et serre le ventre.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 9 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ?
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Brillante, éclatante, belle, prenante aux tripes, bonne dose de rapidité et de la force dans les notes, balance parfaite.
Requiem en ré majeur IV. Offertorium : Domine Jesu – Wolfgang Amadeus Mozart LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Oui Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Mahler ? La 10e ? Non… En tout cas c’est une œuvre pour orchestre et chœur, ça me fait penser à une œuvre allemande, il y a toujours des passages sombres sans qu’ils soient tristes pour autant. C’est fort, puissant, ça me fait penser à un château en Allemagne. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? L’œuvre est plus liée, j’aime beaucoup plus les solistes, la version est plus agréable car moins noire. L’orchestre est moins accentué, on prend plus de plaisir à écouter les voix. J’adore le son chargé d’émotion de l’alto.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 4
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Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? C’est trop rapide, ils expédient ça, on a l’impression que les solistes n’ont pas d’intérêt, que la version passe sur le texte et sa signification. Les cuivres sont un peu trop en arrière aussi.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 8 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Juste ce qu’il faut de douceur et de force, 15 minutes de plus et je pleure ! C’est à la plus pure exactitude de chaque voix. Tout est à égalité, on dirait une vague qui me berce, me balance, qui te chavire.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? NON ! Trop rapide, ils sont pressés, on n’a pas le temps d’apprécier la musique. C’est trop superficiel, on n’a pas le temps d’avoir une émotion.
Les Quatre Saisons III. Presto (Estate) – Antonio Vivaldi LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Oui
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Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Ce sont les Quatre Saisons de Vivaldi. Ça me rappelle mes cours d’italien, mon professeur de 4e était passionné de musique et d’opéra. A la fin de l’année scolaire il nous a fait écouter et présenter ça. On apprenait la Renaissance italienne, les grands peintres, et en fond elle avait mis ça. A l’écoute je vois forcément la Toscane et la région de Pise et je crois que c’est ce moment qui représente le mieux « l’éclosion de la vie ». Les violons sont saccadés, puissants, c’est l’éclosion avec le Soleil, la nature est belle, brillante, étincelante, les arbres se balancent. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Oui Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 8
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus rapide, plus accentuée, plus agressive, pas un contresens mais bien que ce soit l’été j’aurai tendance à imaginer une tempête arrivant plus violente, donnée par un chef plus perturbé.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 4 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Version sèche, saccadée, les coups d’archets sont secs et ça ne fait pas vibrer la note, là ça bute à chaque fois, les percussions sont plus fortes que les violons, elles
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donnent un son sec alors qu’on les percevait beaucoup moins dans les autres versions.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 5 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus rapide que la C et plus liée, plus agréable à l’écoute, plus enrobante, elle me transporte moins que la A, elle me laisse sur le rivage, il lui manque un petit peu plus d’envolée.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 9 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Parfaite ! Elle a la justesse qui prend aux tripes, la bonne rapidité des cordes, on entend bien les cuivres, on entend sublimement le clavecin.
A quel moment vous êtes-vous intéressé aux interprétations ? A force d’écoute ! Au départ je n’écoutais de la musique que pour le plaisir, en fond sonore. Et puis je suis entrée dans une chorale en tant que soprane et j’ai appris à écouter d’autres voix que la mienne et à les reconstituer pour faire un morceau entier. Ensuite c’est beaucoup plus facile d’écouter même un orchestre et d’arriver à séparer les instruments. Après, je n’ai pas l’occasion d’aller beaucoup en concert, mais j’adore ça. Et j’aimerai bien en voir plus pour voir les interprètes jouer. Qu’est-ce qui vous plait lorsque vous vous rendez à un concert ? J’adore le lieu, l’entrée dans un lieu si particulier, on n’est pas dans un lieu comme les autres. J’aime voir les instruments et les musiciens sur scène. J’adore
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l’acoustique des salles et j’aime avoir l’impression que chaque musicien joue pour moi. Et puis en concert on est dans un vrai contexte d’écoute, on est là juste pour ça et on se concentre plus, quand on connait l’œuvre, sur ce qu’on reconnait ou sur ce qui nous surprend.
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Annexe n°5 : Première écoute comparée - Claude
Questions préalables Ecoutez-vous de la musique classique ? Oui Si oui, à quelle fréquence ? Tous les jours Avez-vous déjà écouté différentes interprétations d’une même œuvre ? Oui mais je débute encore ! Si oui, cela a-t-il une grande importance pour vous ? Oui du moment que c’est bien joué (rires) et que c’est fidèle à la partition.
Ecoute comparée Symphonie n°6 en la mineur ‘Tragique’ I. Allegro energico, ma non troppo – Gustav Mahler LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Non Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Les instruments font une arrivée en déplacement. On dirait que les hautbois représentent des adversaires qui mettent une stratégie d’attaque en place. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 6
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Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus lente, plus lourde, les hautbois étaient plus clairs dans la A.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus légère, plus dans la vitesse, la rapidité, raconte une histoire plus gaie.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? C’est plus lent, pas aussi lourde que la B, on dirait les bateaux d’une armée qui attendent, qui sont en état de siège.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? On entend plus les caisses claires, ça renforce le côté armée qui avance.
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Requiem en ré majeur IV. Offertorium : Domine Jesu – Wolfgang Amadeus Mozart LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Non Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) Mozart ? Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Non Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : (Claude parle pendant l’écoute) 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Les violons sont plus présents, c’est plus grave, plus sombre, mais il n’y a pas beaucoup de différences.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : (Claude lève les sourcils) 8 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Les voix sont plus mises en avant que les instruments, c’est plus énergique, plus entrainant, on a l’impression qu’il faut surtout écouter les voix, l’accompagnent
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est discret, comme si on avait fait le choix de suggérer que l’accompagnement est accessoire.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? On se rapproche de la A, les voix et les instruments sont plus équilibrés, plus joyeux (d’autres paraissaient plus tristes), mais il y a une meilleure basse dans la A.
LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 8 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Semble plus moderne, plus joyeuse, plus saccadée aussi. Ils racontent quelque chose de plus gai, les enchainements sont plus doux.
Les Quatre Saisons III. Presto (Estate) – Antonio Vivaldi LANCER L’ÉCOUTE A Avez-vous déjà entendu cette œuvre ? Oui Que pouvez-vous me dire dessus ? (Époque, compositeur, titre, contexte, utilisations…) XIXe ? Postromantisme ? J’ai déjà entendu ça un peu partout, ça passe souvent à la radio. Avez-vous déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ?
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Oui Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 10
LANCER L’ÉCOUTE B Notez cette interprétation entre 1 et 10 : (Claude est surpris) 10 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Ça semble plus moderne comme de la musique électronique, c’est la même en plus rapide ? Les violons paraissent plus graves.
LANCER L’ÉCOUTE C Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus sec, tempo plus marqué un peu comme du Wagner où ça cartonne bien, c’est plus lourd, j’aime un peu moins.
LANCER L’ÉCOUTE D Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 7 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Plus doux, plus coulé que la C et la A, violoncelles plus atténués, contraste au début. Les dernières notes des violons sont plus appuyées.
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LANCER L’ÉCOUTE E Notez cette interprétation entre 1 et 10 : 8 Avez-vous perçu des différences entre les extraits ? Oui Si oui, lesquelles ? Ça se rapproche de la A, les basses sont très présentes à la fin par rapport à la A.
Vous écoutez de la musique classique depuis seulement quelques années, par où avez-vous commencé ? J’écoutais quand même beaucoup de musique mais souvent dans ma voiture à la radio, en fond. Et puis j’ai pris ma retraite ! Petit à petit j’ai acheté quelques CD, de jazz surtout, et j’en passais toute la journée. Je finissais par les connaître par cœur et par les chantonner. Je suis venu au classique par une amie qui m’a fait écouter une œuvre, puis deux, puis trois… Elle m’expliquait à chaque fois un peu le contexte de l’écriture, qui était le compositeur, de quand ça datait… Juste quelques infos, pas trop non plus. Et puis ensuite par-dessus l’œuvre elle me guidait dans mon écoute : « sois attentif à ça », « écoute tel instrument ». Elle faisait aussi des gestes pour expliquer le tout… Petit à petit j’ai écouté du classique, et de la même manière je tourne sur les mêmes CD en boucle un peu et je les chantonne. Les interprétations c’est un peu flou pour moi encore mais j’y viens, pour le moment je m’intéresse surtout à ce que ça me fait la musique, tant que ça me touche, ça me va ! Sinon, je passe.
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Annexe n°6 : Interview avec Pierre-Yves Lascar mené le 26 avril 2016 Pierre-Yves Lascar est le fondateur du label parisien de musique classique Artalinna, en grande partie spécialisé dans l’enregistrement de pianistes français et étrangers. Il a aussi travaillé plusieurs années pour Qobuz et Universal. C’est également un grand collectionneur qui a plusieurs milliers de disques.
Sarah – Bonjour Pierre-Yves ! Merci d’avoir bien voulu m’accorder un peu de temps pour répondre à quelques questions ! Je me lance ! Chez toi, comment consommes-tu la musique ? (A quelle fréquence, sur quels supports, avec quel matériel, dans quel(s) contexte(s), as-tu des rituels particuliers… ?) Pierre-Yves – La majorité du temps en streaming sur Qobuz (je peux aussi mettre quelques CDs dans ma platine parfois, mais comme je dois checker des choses sur des enregistrements qui me servent dans le cadre du travail, et que je n'ai pas forcément dans ma discothèque CD, ça fait que j'utilise majoritairement Qobuz en streaming même au final pour des choses que j'ai dans ma discothèque CD). Toute la journée, la plupart du temps, avec de rares interruption. Le casque sur les oreilles, branché à mon ordi direct. J’écoute via le player MP3. Je suis assez obsessionnel dans mes écoutes, je peux rester sur le même répertoire, la même œuvre une ou plusieurs journées entières, ou de manière très récurrente. S – Tu écoutes en MP3 ou en FLAC sur Qobuz ? PY – MP3 S – Comment ça se fait ? PY – Par facilité. Je n’ai pas installé leur mastodonte de player Hi-res. S – D’accord. Et est-ce que tu écoutes de la musique classique en dehors de ton travail, juste pour le plaisir et vraiment sans travailler par-dessus ? PY – Très très rarement parce que je préfère aller boire des bières quand j'ai envie de me reposer par exemple ! Plus sérieusement : je pense que je n'ai plus une écoute « plaisir » de la musique, et ne ressent pas le besoin d'en avoir une chez moi, en solitaire. Eventuellement parfois quand je suis hors de chez moi, avec un ou deux amis. S – C'est une déformation professionnelle j'imagine de ne plus écouter par plaisir chez toi ? PY – Absolument. C'était déjà un peu le cas quand j'étais salarié chez Qobuz.
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S – Parce que tu écoutais trop de musique finalement ? Et le concert dans tout ça ? Est-ce que, parce que c’est un peu plus ponctuel, ça reste un plaisir personnel ? PY – Oui trop de musique tout le temps. Aujourd'hui dans mes écoutes quotidiennes, il y a beaucoup de choses que je découvre aussi par plaisir car je cherche des choses que je ne connais pas (coté œuvres et partitions), plus que des choses maintes fois ressassées, mais c'est aussi dans une optique plus ou moins pro, car ça peut me servir après. Je vais aujourd'hui très peu au concert, et ça me procure assez peu souvent du plaisir. S – Ah, pourquoi ça ? Tu es devenu trop exigeant en matière d’interprétation ou est-ce que c’est le cadre du concert qui ne te va pas ? PY – Oui beaucoup de choses qui ne me conviennent pas sur le plan musical. Quant au cadre du concert, je n’ai pas de véritable point de vue sur cette question, je n’arrive plus à en avoir. S – Comme je te comprends ! Est-ce qu’il t’arrive de faire écouter une musique à quelqu’un qui ne la connaît pas (chez toi ou ailleurs) ou d’emmener quelqu’un d’un peu novice à un concert ? PY – Faire écouter chez moi ou chez des amis communs oui, mais pas assez souvent. Emmener quelqu’un à un concert non (je ne dois avoir personne à emmener !). S – Par « pas assez souvent », tu veux dire que tu aimerais le faire plus souvent ? PY – Sans doute oui. J’aime bien que des amis me fassent découvrir des choses, donc j’aime bien faire aussi découvrir. S – Et quand tu fais écouter des choses nouvelles à quelqu'un, quels éléments est-ce que tu fournis en amont ou pendant l'écoute ? PY – Présentation succincte (nom de l’œuvre, compositeur), je ne fais pas forcément des discours. Peut-être que je peux expliquer pourquoi j’aime particulièrement ceci. S – Tu ne fournis pas forcément d’éléments sur la structure ou la composition de l’œuvre ? PY – Oh non, pourquoi embêter les gens ! S – Mais par exemple si tu t’adresses à des gens qui n’écoutent pas particulièrement de classique, est-ce que tu cherches à leur faire comprendre ce qu’ils vont écouter ?
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PY – Plutôt après qu’avant l’écoute. Mieux vaut qu’ils soient séduits. L’émotion malheureusement ne se commande pas. S – Ou heureusement ! Te souviens-tu avoir agréablement redécouvert une œuvre que tu n’avais pas appréciée, après l’avoir entendu dans une interprétation différente (en concert ou au disque) ? PY – Oui, le Requiem de Fauré, quelques années après une tribune de comparaison sur France Musique (l’œuvre m’avait laissé alors au bord du chemin). Mon amour pour Sibelius n’a pas été immédiat non plus. Au départ je ne pouvais pas supporter et puis… banco ! S – Tu peux me raconter l’effet que cela t’a fait ? Comment ça a basculé ? PY – Ça a basculé à vie de toute évidence. En fait pendant mes concours aux grandes écoles de commerce en 2004, j'allais souvent pendant les pauses dans un magasin que je venais de découvrir (ex-chaumière) et j'achetais pas mal de disques que je trouvais enfin. J'ai assez vite sympathisé avec l'un des vendeurs, grand mélomane, dont je suis devenu un ami proche. À partir d’un certain moment il a facilité de nombreuses découvertes, de même que l’un de ses autres amis, qui s’avérait être la personne auprès de laquelle j’ai travaillé chez Universal. Enfin bref, du coup avec la curiosité aidant, j’ai commencé à m’intéresser un peu à Sibelius. Et puis un jour (ça devait être Noël 2005-2006) j’ai mis concrètement un truc que j’avais dans ma discothèque et puis j’ai été vraiment emballé à la fois par la musique et l’interprétation. Je veux dire : j’ai mis un truc dans ma chaîne Hi-Fi. Ce truc a été un déclic. Du coup pendant 6-8 mois je n’ai écouté que Sibelius, j’ai acheté plein de versions différentes de nombreuses œuvres, je comparais, je prenais des notes sur chaque interprétation. Carnet que j’ai toujours. Ma discothèque Sibelius a été multipliée par 15 en quelques mois. Après j'ai lu un bouquin entier sur Sibelius (Marc Vignal / Fayard). En fait ça m'a donné une nouvelle façon d'écouter : plus d'attention au son, aux timbres, une écoute différente de l'orchestre, ça a pas mal changé ma manière d'envisager l'art musical. Je n’ai plus la même écoute depuis que j’ai découvert Sibelius et que je me suis mis à explorer des tas d’interprétations. Je dois avoir plus de 230 disques Sibelius dans ma discothèque. S – Wow ! Sacré déclic ! Tu te souviens quel CD c'était et ce qui a fait que lui t'a provoqué ce choc ? Quelque part c'est Sibelius qui t'a fait découvrir l'importance de l'interprétation ? PY – Oui. Plus qu’un CD c’était une symphonie en particulier, la 6e dans l’interprétation de John Barbirolli (EMI, 1970). Depuis et en fait assez rapidement après, j’ai découvert naturellement qu’il y avait d’autres versions sans doute plus convaincantes de l’œuvre ! S – Et aujourd’hui la 6e reste ton œuvre préférée ?
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PY – Celle que je trouve la plus fascinante sans doute mais pas forcément celle que j’écoute en premier lieu – car elle est d’une grande difficulté musicale. Pour me faire plaisir avec Sibelius, je choisis plutôt la 3e ou la 5e ou des poèmes symphoniques. S – J'imagine (et on en a d'ailleurs déjà parlé plusieurs fois ensemble) que tu as tes propres versions de référence pour chacune. Saurais-tu me dire comment tu les choisis ? PY – Pas simple. Très compliqué même. Je passe ! S – C’est vrai qu’il est très difficile d’analyser ce qui nous touche le plus. Souvent c’est une conjugaison de plusieurs critères. Souvent pas les mêmes selon l’œuvre d’ailleurs. PY – Absolument. En général chez Sibelius j’accorde une importance particulière à l’impact sonore d’une interprétation. S – L’impact sonore ? Tu veux dire l’effet physique que te procure la musique ? PY – Non. Je vais réfléchir avant d’expliquer ! Pour moi l'un des éléments substantiels de l'univers sibelien est le son, la manière dont on le fait sonner, c'est une musique de résonances, de dialogues de (blocs de) sons qui peuvent paraître disparates, donc quand je dis impact sonore, je parle plutôt du fait de savoir si le chef par exemple a intégré cette dimension de l'univers sibelien. Bon c'est un peu compliqué peut-être. S – Non je comprends parfaitement ! Même si je ne le perçois pas parce que je connais trop peu Sibelius. S’en suit une longue discussion sur Sibelius, Mahler, Elgar, Strauss, et nos versions de référence à chacun. S – Passons maintenant aux questions un peu plus professionnelles. Selon quels critères choisis-tu les interprètes que tu vas signer sur ton label ? PY – S’ils me semblent intéressants sur le plan musical, s’ils témoignent d’une personnalité forte, et d’une expressivité originale. Je suis en train pas mal de repenser à ce qui fait le label, j'ai décidé il y a peu de faire peu de sorties, mais toujours plus intéressantes musicalement, et mieux travailler aussi autour : la promo, les concerts, etc. S – Qu’est-ce qui fait que selon toi un enregistrement est réussi ? PY – Un enregistrement est réussi avant tout quand l’artiste est bon, un peu inspiré. S – Et d’un point de vue technique, de mixage, tu fais pleinement confiance à ton ingénieur son ou est-ce que toi ou l’artiste contrôlez tout d’A à Z ?
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PY – Je donne mon avis tout le temps, je demande très souvent des corrections, mais je fais confiance à mon ingénieur son qui est très bon. Je l’ai choisi aussi car ses prises de son correspondent à ce que j’ai envie d’entendre en tant que mélomane. S – Et l’artiste en général ? Sauf exception, l’artiste ne fait en général aucune remarque sur le côté prise de son. Moi en tout cas aucun de mes artistes n’est vraiment très regardant là-dessus. Je fais moi-même très souvent le plan de montage, donc je fais les tout premiers choix artistiques, après évidemment il y a des corrections avec l’artiste. Bon il faut dire que les ingénieurs son ne vont pas dénaturer leur son. Il faut encore que les artistes eux-mêmes aient un son, ce qui n’est la plupart du temps pas le cas. S – En parallèle d’Artalinna, tu as travaillé longtemps chez Qobuz en partie pour faire du contenu, avais-tu des directives, des choses à mettre en valeur plus que d’autres ou étais-tu complètement libre ? PY – J’étais assez libre avec cependant plusieurs fois des obligations de parler de certains artistes. S – Et du point de vue de la ligne éditoriale, est-ce que tu avais des consignes ou des indications (par exemple ne pas trop utiliser de jargon musical, ou mettre en avant plutôt les compositeurs, ou les œuvres, ou les labels, ou les interprètes...) ? PY – Ça dépendait des produits, je dirai oui, mais comme les consignes étaient trop compliquées à respecter parfaitement (du fait du max de boulot), je m'en foutais un peu. Côté vulgarisation, pas de consignes particulières. S – J’ai une ultime question. Qu’est-ce qu’à ton avis on pourrait faire sur un site comme Qobuz pour que les gens qui n’écoutent pas de classique s’y essaient ? Comment piquer leur curiosité ? PY – Bonne question ! En les mettant plus à contribution, en leur faisant des cadeaux (albums, places de concert). S – Ça Qobuz le propose déjà pour les abonnés Hi-Fi. PY – Oui mais de manière tellement peu active que c’est totalement inutile. En faisant du contenu à la fois documenté, interactif, en créant aussi peut-être des profils visibles d’abonnés, un peu comme un réseau social. S – Super idée ! Comme un Sens Critique de la musique ! Merci pour tes réponses passionnantes ! Je te dis à très bientôt !
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Annexe n°7 : Entretien individuel avec Alice
Sarah – Dans le questionnaire, tu m’as indiqué avoir fait (ou faire encore) de la musique, de quoi joues-tu ? En tant qu’autodidacte, de quoi te sers-tu pour apprendre ? Alice – J'ai joué pendant presque un an du piano (synthé) en autodidacte. Je regardais des vidéos sur YouTube : des "tutos". N'ayant pas fait de solfège je ne pouvais lire une partition j'ai donc tout misé sur l'apprentissage visuel et sur l’écoute (je suis issue d’une famille de musiciens, je pense avoir une bonne oreille mais je n'ai pas su l’exploiter malheureusement...). J'ai également fait un peu de guitare que j'ai dû rapidement arrêter par manque de temps (c'était des cours). J'étais aussi très forte en flûte à bec au collège, mais ça c'est plutôt pour la blague ! S – Qu’écoutes-tu comme musique ? Et en musique classique ? A – J'écoute de tout, vraiment de tout... Tu peux aller fouiller sur mon compte Spotify « Alice Lblnc ». C'est trié par style à part "fourretout" que je ne range plus depuis un moment... On va dire que je suis quand même un peu plus branchée électro et rock. J'évoque des noms de style très large mais évidemment je n'aime pas tout dans l'électro et le rock. En classique, et bien... J'écoute les grands classiques ! Je ne m'y connais pas énormément. Mes parents m'ont pas mal aidé à en apprendre davantage. J'écoute en tout cas énormément de musique, je vais à des concerts et à des festivals très très souvent. S – Saurais-tu me dire pourquoi tu ne vas jamais voir du classique en concert ? A – À vrai dire car je m'intéresse moins à cette programmation et que je consacre mon budget sorties musiques à d'autres styles que le classique. C'est pourtant dans mes to do d'aller à l’Opéra et à l'Auditorium (NdA : de Lyon). Il ne s'agit pas d'une question de prix, enfin si, je viens de te parler budget global, mais je ne remets pas en cause les prix d'un concert classique. Les organismes font tout pour
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que les jeunes viennent de nos jours je trouve. Je peux aussi te dire que je n'y vais pas car je n'ai pas l'entourage avec qui y aller. C'est un peu une fausse excuse car il m'arrive bien d'aller au cinéma seule... S – Peux-tu me donner ta définition de l’interprétation en musique classique ? A – S'approprier une musique et la retranscrire à sa façon. Finalement c'est plutôt une définition générale d'interprétation... S – Si tu allais voir la même œuvre en concert à deux dates et avec des interprètes différents, tu t’attends à : aucune différence / très peu de différences / quelques différences / beaucoup de différences / énormément de différences ? A – Je me positionnerai entre quelques et beaucoup. S – Selon toi, qu’est-ce qui peut varier d’une interprétation à l’autre ? A – Instruments, voix, rythme, durée... Comme dans la musique pop commerciale finalement où tous ces jeunes chanteurs reprennent nos bons vieux classiques français. Mais la mélodie reste la même bien que modifiée, c'est ce qui fait que l'on reconnaît l'œuvre originale ! L'interprète peut avoir envie de véhiculer des émotions totalement différentes d'un autre etc.
ÉCOUTE COMPARÉE Pour cette partie, il est très important de suivre quelques consignes simples : -
Règle le volume en fonction de la première piste, assez fort pour entendre les détails, et ne le touche plus jusqu’à la fin de l’écoute (si tu as un casque c’est encore mieux).
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Ne cherche pas d’informations sur Internet, elles pourraient t’influencer. Encore une fois ce n’est pas un examen !
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N’hésite pas à réécouter les extraits autant de fois que tu le souhaites et à bien prendre le temps de réfléchir à tout ce que tu peux dire.
LANCER L’ÉCOUTE A
Peux-tu noter cette interprétation selon tes propres goûts entre 1 et 10 : 8/10 As-tu déjà entendu cette œuvre ? Oui
Si oui, que peux-tu me dire dessus ? (Compositeur, période, titre, interprètes, comment tu l’as connue…) Vivaldi ? Les Quatre Saisons ? J’ai connu par mes parents. As-tu déjà entendu plusieurs interprétations de cette œuvre ? Très certainement…
LANCER L’ÉCOUTE B
Peux-tu noter cette interprétation selon tes propres goûts entre 1 et 10 : 4/10
Quelles différences notes-tu entre les morceaux A et B ? Tempo plus rapide, distinction des instruments plus difficiles => bourdonnement + tapotement (type clavecin) constant sur la première partie. Là où certaines parties semblaient être jouées en solo sur le morceau A, elles sont ici jouées à plusieurs et inversement.
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LANCER L’ÉCOUTE C
Peux-tu noter cette interprétation selon tes propres goûts entre 1 et 10 : 5/10 Quelles différences notes-tu entre les morceaux B et C ? Ajout en fond d’une caisse claire ? Différence de volume qui s’intensifie puis diminue.
LANCER L’ÉCOUTE D
Peux-tu noter cette interprétation selon tes propres goûts entre 1 et 10 : 6/10
Quelles différences notes-tu entre les morceaux C et D ? On dirait qu’il y a de la guitare d’ajoutée en fond. Différence de volume qui s’intensifie puis diminue.
En te basant sur les quatre écoutes, peux-tu donner un sens à cette musique ? Qu’est-ce que le morceau semble raconter pour toi ? Première partie : quelque chose de grave qui se profile (le mauvais temps, l’orage), puis finalement beaucoup de légèreté, de rythme, de vie, quelque chose qui vole. En groupe puis tout seul pour revenir en groupe => des insectes ?
Finalement, quelle est ton interprétation préférée ? Pourquoi ? La première. J’ai peur d’être influencée par le fait que ce soit l’originale, mais elle reste à mes oreilles la plus jolie, la moins brouillon, la plus gracieuse… !
Quelle est celle que tu as le moins appréciée ? Pourquoi ? La B : beaucoup trop rapide, trop brouillon.
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Trouves-tu qu’il y a énormément de différences entre les interprétations ou seulement quelques-unes ? Entre les deux ! Je ne suis pas assez experte pour toutes les découvrir ou mettre des noms techniques dessus mais je pense que la réponse est oui. Mais à mon niveau je trouve qu’il y en a déjà « pas mal ».
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Annexe n°8 : Enregistrements utilisées pour l’écoute comparée
Symphonie n°6 en la mineur ‘Tragique’ I. Allegro energico, ma non troppo – Gustav Mahler
Interprétation A : Rafael Kubelik, Symphonie-Orchester des Bayerischen Rundfunks, 2001, Audite Interprétation B : Antonio Pappano, Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia, 2011, Warner Classics Interprétation C : Sir Georg Solti, Chicago Symphony Orchestra, 1991, Decca Interprétation D : Riccardo Chailly, Royal Concertgebouw Orchestra, 1995, Decca Interprétation E : Sir John Barbirolli, New Philharmonia Orchestra, 2008, Warner Classics
Requiem en ré majeur IV. Offertorium : Domine Jesu – Wolfgang Amadeus Mozart
Interprétation A : Mariss Jansons, Royal Concertgebouw Orchestra, Netherlands Radio Choir, Genia Kühmeier, Bernarda Fink, Mark Padmore, Gerald Finley, 2014, RCO Live Interprétation B : Leonard Bernstein, Chor & Symphonie-Orchester des Bayerischen Rundfunks, Marie McLaughlin, Maria Ewing, Jerry Hadley, Cornelius Hauptmann, 1989, Deutsche Grammophon Interprétation C : Leonardo Garcia Alarcón, New Century Baroque, Chœur de Chambre de Namur, Lucy Hall, Angélique Noldus, Hui Jin, Josef Wagner, 2013, Ambronay Interprétation D : Nikolaus Harnoncourt, Concentus Musicus Wien, Arnold Schoenberg Chor, Christine Schäfer, Bernarda Fink, Kurt Streit, Gerald Finley, 2015, Sony Interprétation E : Teodor Currentzis, MusicAeterna, The New Siberian Singers, Simone Kermes, Stéphanie Houtzeel, Markus Brutscher, Arnaud Richard, 2011, Alpha
Les Quatre Saisons III. Presto (Estate) – Antonio Vivaldi
Interprétation A : Claudio Abbado, London Symphony Orchestra, 1990, Deutsche Grammophon Interprétation B : Fabio Bondi, Europa Galante, 2013, Naïve Interprétation C : Midori Seiler, Les Éléments, 2011, Harmonia Mundi Interprétation D : Enrico Casazza, La Magnifica Comunità, 2007, Brilliant Classics Interprétation E : David Grimal, Les Dissonances, 2010, Aparté
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Annexe n°9 : Exemple de guide d’écoute de l’Orchestre symphonique de Toronto : Concerto pour piano n°4 en sol majeur, op.58 I. Moderato de Ludwig van Beethoven
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INDEX Remerciements.......................................................... 3 Introduction .............................................................. 7 Point de départ et concepts généraux ...................................................................... 7 État des travaux actuels sur le sujet ....................................................................... 11 Formulation de la problématique .......................................................................... 12 Présentation du corpus et du champ de recherche ................................................. 13 Démarche méthodologique.................................................................................... 14 Présentation du plan .............................................................................................. 15
Première partie : Les diverses interprétations : le joyau de la musique classique ................................ 16 I.
De l’intérêt de la multitude des interprétations ..................... 16
a. Un répertoire vivant en permanence recréé ........................................................... 16 b. La diversité des enregistrements : possibilité d’une approche personnelle de l’auditeur ............................................................................................................... 18 c. Quelles différences entre les interprétations pour quels effets ? ........................... 21
II.
Le caractère unique et individuel de l’interprétation ............. 22
a. Le concert live : une interprétation éphémère risquée........................................... 22 b. L’interprète : un recréateur de l’œuvre originelle ................................................. 25 c. L’individualité de l’auditeur : la méta-interprétation ............................................ 26
Deuxième partie : Connaissance et méconnaissance des interprétations auprès des publics .................. 29 I.
Présentation du terrain ........................................................... 29
a. Explication du choix du panel ............................................................................... 29 b. Pré-enquête quantitative via questionnaire............................................................ 30 c. Enquête qualitative via entretiens individuels ....................................................... 34
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II.
Les trois publics de la musique.............................................. 37
a. Les non-amateurs : un public en demande ou récalcitrant ? ................................. 38 b. Les amateurs en pleine méconnaissance ............................................................... 39 c. Les passionnés acharnés d’interprétations ............................................................ 40
Troisième partie : Remédier à la méconnaissance : un levier de médiation possible pour amorcer un renouvellement des publics ................................... 42 I.
Les prescripteurs de curiosité : qui doit faire une telle médiation ?............................................................................. 42
a. Les prescripteurs publics : institutions culturelles et Éducation Nationale ............ 42 b. Les prescripteurs professionnels : critiques musicaux et médiateurs ..................... 43 c. Les prescripteurs amateurs : interprètes et cercle personnel d’influence ............... 45
II.
L’interprétation : un nouveau levier de médiation ................ 46
a. Un outil oublié à portée de main : l’écoute ............................................................ 46 b. Retravailler le positionnement communicationnel ................................................. 51 c. Le traitement par les médias et l’art audiovisuel .................................................... 54
Conclusion ............................................................... 58 Bibliographie........................................................... 60 Annexes ................................................................... 67 Annexe n°1 : Questionnaire .................................................................................. 67 Annexe n°2 : Le panel de mon questionnaire........................................................ 71 Annexe n°3 : Écoute comparée avec Philippe....................................................... 72 Annexe n°4 : Écoute comparée avec Catherine .................................................... 78 Annexe n°5 : Écoute comparée avec Claude......................................................... 85 Annexe n°6 : Interview avec Pierre-Yves Lascar ................................................. 91 Annexe n°7 : Entretien individuel avec Alice ....................................................... 96 Annexe n°8 : Enregistrements utilisés pour l’écoute comparée .......................... 101 Annexe n°9 : Exemple de guide d’écoute de l’Orchestre symphonique de Toronto : Concerto pour piano n°4 en sol majeur, op.58 I. Moderato de Ludwig van Beethoven ..................................................................................................... 102
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Dans la musique savante occidentale, la place laissée aux différentes interprétations, donnant souvent lieu à un enregistrement ou à un concert, est capitale afin d’en faire un répertoire vivant. L’interprète-musicien transmet sa vision de l’œuvre par la traduction de la partition écrite en langage sonore. Mais l’auditeur est également un second créateur d’interprétation car il transmet lui aussi, par son écoute, sa compréhension de l’œuvre. Les différences entre les interprétations – ces dernières étant à la fois uniques et multiples – sont les témoins des possibilités offertes par l’œuvre et de la richesse du répertoire. Dans la perspective de redonner de l’importance à l’auditeur-créateur d’interprétation, quelle influence sur l’industrie phonographique pourrait avoir une meilleure connaissance des différences d’interprétations des œuvres de musique savante ? La
valorisation
des
interprétations
peut-elle
également
permettre
un
renouvellement du public des concerts ? En utilisant ce sujet comme nouveau levier de médiation, peut-on valoriser l’écoute afin d’améliorer la compréhension des œuvres ?
Mots clés : Interprétation, interprète, musique savante, musique classique, œuvre, médiation, écoute, concert, disque, enregistrement, public