rendre le design graphique sensible par les odeurs
Sarah Jullien Sous la direction de Clara Debailly Master de Direction de crĂŠation en design graphique 2017/2018
sentir le design Rendre le design graphique plus sensible par les odeurs
Par Sarah Jullien
Master de Direction de création en design graphique Session 2017-2018 Mémoire dirigé par Clara Debailly Campus de la Fonderie de l’Image 80, rue Jules Ferry, 93170 Bagnolet
remerciements
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Je remercie chaleureusement ma famille et mes proches, pour leur soutien et pour leur confiance. Je réserve une mention spéciale à Rémy Pinalie, Anissa Djebbari et Marion Ficheux, qui m’ont encouragé dans mon projet et qui m’ont aussi aider à souffler et à prendre du recul quand cela était nécessaire. Pour finir, je tiens à remercier ma directrice de Mémoire Clara Debailly et l’équipe pédagogique du Campus de la Fonderie de l’image, pour leur accompagnement et leurs conseils.
sommaire
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introduction
p. 8
id e n t i f i e r Les odeurs qui informent sur l’environnement
p. 14
Les odeurs qui informent sur la communauté
p. 20
Les mécanismes de l’odorat
p. 28
ma î t r i s e r La maîtrise de son environnement
p. 36
La maîtrise des autres
p. 42
Les limites de ces maîtrises
P. 50
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enr i c h i r Le monde olfactif comme sujet
p. 58
Les odeurs dans la signalétique
p. 68
Le design graphique plus sensible
p. 76
conclusion
p. 82
annexes
p. 84
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1. Définition de l’odorat d’après le C.N.R.T.L, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, source: http://www.cnrtl.fr/ definition/odorat 2. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, « Quatrième partie : le nez des philosophes », chapitre VII « Ambivalence de l’odorat et de l’odeur dans la philosophie gréco-latine ». 3. Définition « marketing sensoriel » du site Définitions-Marketing. source: https:// www.definitions-marketing.com/definition/ marketing-olfactif/
introduction
L’odorat — sens par lequel sont perçues les odeurs1 — est l’un des cinq sens le plus déprécié et le plus méconnu dans la société. Souvent lié à l’animalité, la sexualité et la partie primitive de notre histoire, il est considéré comme inutile et finira par disparaître par manque d’entraînement de notre part et de stimulations dans notre environnement.On attribue cet appauvrissement de l’odorat à notre mode de vie actuel. Dès l’Antiquité, les philosophes comme Platon ou Aristote cherchaient déjà les raisons de notre manque de flair par rapport à l’animal2. Nous possédons toujours les mêmes compétences olfactives depuis ce temps, depuis le moment où l’Homme n’a plus eu besoin de sentir pour se nourrir ou s’orienter. La différence, c’est le rapport que nous avons avec notre odorat. Tantôt discrédité, tantôt glorifié, dans certains domaines comme la psychologie, l’art, la médecine ou la philosophie. L’odorat bénéficie aujourd’hui d’un renouveau d’intérêt par ces mêmes domaines mais également dans l’innovation technologique ou le marketing. L’odorat est depuis peu le centre d’intérêt de nombreuses recherches scientifiques qui exploitent, mettent en évidence, prouvent, constatent, les infinis pouvoirs des odeurs sur l’Homme. Une nouvelle éducation olfactive émerge depuis ces résultats et s’inscrit dans le phénomène de renouement avec la nature et l’émergence des médecines parallèles telles que l’aromathérapie ou l’olfactothérapie. Des chercheurs en médecine proposent de nouvelles méthodes de diagnostics pour certaines maladies ou pathologies. Le domaine de l’art s’est souvent inspiré d’odeurs et de parfums comme dans la littérature ou la peinture, mais l’on voit maintenant de plus en plus d’œuvres centrées sur l’odorat comme le premier odorama français de Jacqueline Blanc-Mouchet en 1986. De plus, la création de l’Osmothèque à Versailles (1990), le musée du parfum à Paris (2016) entre autres institutions de la parfumerie œuvrent tous pour l’habilitation du parfum comme œuvre d’art. Enfin, le marketing a développé le marketing sensoriel qui consiste à utiliser un ou plusieurs des cinq sens pour favoriser l’achat d’un produit ou service et/ou son expérience d’utilisation3. Les parfums d’ambiance sont alors apparus comme un dispositif de communication très fonctionnel car invisible. Des expériences immersives ont été développées et mises à la disposition du consommateur. Les casques de réalité virtuelle par exemple sont de plus en plus utilisés dans des expériences commerciales et sont souvent accompagnés de stimuli odorants pour plus de réalisme et de sensation.
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Il est toujours impressionnant de se retrouver submergé de souvenirs et de sensations fortes face à une odeur semblant venir de notre passé. Ce lien immédiat qui se crée en nous, entre le moment présent et un moment passé est tellement puissant mais aussi fragile dans sa forme impalpable. Le design graphique serait-il capable de créer une telle sensation? Dans un monde de plus en plus intéressé par l’expérience et les sensations, le design graphique ne semble pas s’inscrire dans ce mouvement de renouement avec le monde olfactif. Le designer graphique ne s’est pas suffisamment saisi du pouvoir des odeurs qu’il pourrait exploiter dans son processus de création. Il est important de définir si le designer graphique a quelque utilité à intégrer des odeurs et des parfums. Que peuvent apporter les odeurs au design graphique? Comment l’utilisation des odeurs dans le design graphique permettrait de lui donner une dimension sensationnelle? Quel rôle peut jouer le designer graphique dans le renouveau d’intérêt de la société dans ce sens oublié? Dans un premier temps, le premier pouvoir des odeurs et des parfums, le plus immédiat et le plus naturel, est celui de donner des informations sur ce qui entoure l’individu qui sent. En effet, les odeurs informent, font ressentir des émotions, apportent des informations sensitives et cognitives qui induisent des réactions chez l’individu. Ces odeurs se partagent en deux groupes : celles issues de l’environnement comme la nourriture, les lieux ou les objets et puis celles venant des autres individus. Ce travail d’identification est la base des mécanismes de la mémoire et du rattachement de ces souvenirs olfactives aux émotions, car l’odorat est le sens qui a le plus accès « aux parties primitives du cerveau humain, là où sont stockées les émotions »1. Il est important de comprendre les mécanismes biologiques et physionomiques pour pouvoir dépasser le stade de soumission aux odeurs. Dans un deuxième temps, le deuxième pouvoir à étudier est celui de manipuler, d’induire une réaction émotionnelle, physiologique ou cognitive à l’individu qui sent. Ses réactions sont aujourd’hui provoquées artificiellement grâce aux recherches scientifiques — qui ont pu déterminer quelle odeur ou parfum induit la réaction recherchée — et grâce aux avancées technologiques — qui ont permis au marketing par exemple de mettre au point des dispositifs de diffusion d’odeurs. Il est important de rappeler, avant de présenter les méthodes et les implications de cette stimulation olfactive
1. Citation de Hanns Hatt (professeur de physiologie cellulaire à la Faculté de Biologie et Biotechnologie de l’Université de la Ruhr à Bochum) extraite du documentaire Xenius « Le non verbal des odeurs » (2014).
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introduction
orientée, que dans l’histoire de l’olfaction1, il a était nécessaire à l’Homme de maîtriser son environnement par une aseptisation systématique. Il existe évidemment des limites à ces dispositifs de manipulations et des cas pratiques où le marketing sensoriel n’a pas eu la réponse souhaitée des consommateurs ou a même induit un comportement inverse à celui attendu. Dans un troisième temps, ceci met en exergue le fait que l’odorat a certes des pouvoirs et donc une importance insoupçonnée dans notre société mais qu’il est d’autant plus efficace associé à d’autres sens. Les odeurs peuvent enrichir une expérience, un message, un objet, un lieu, ou autres si elles sont liées et justifiées par d’autres éléments. L’odeur peut être un outil de communication pour une marque. L’odeur devient alors messagère et s’articule autour d’autres outils de communication. Elle peut aussi être considérée comme un matériau au même titre que la couleur par exemple. Il existe depuis peu un véritable art contemporain olfactif qui présente autant des objets à sentir qu’un parfum lui-même. On assiste ici à un changement de statut du parfum à travers l’art et une reconnaissance du métier d’artiste parfumeur. Il serait possible, pour finir, de comparer le potentiel de l’utilisation des odeurs dans le design graphique avec l’utilisation du goût dans ce même domaine, car le design culinaire bénéficie de plus d’expérience que le design olfactif.
1. Définition: Sens, fonction permettant la perception des odeurs. Acte de sentir ; résultat de cette action. Source : C.N.R.T.L, http:// www.cnrtl.fr/definition/olfaction
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Les odeurs qui informent sur l’environnement L’idée commune veut que les odeurs aient perdu de leur intérêt pour l’Homme d’aujourd’hui depuis que sa survie ne dépend plus de son flair. Or, les odeurs ont un lien encore fort avec une partie de notre cerveau : la zone de la mémoire et des émotions. C’est une des zones les plus primitives de notre cerveau. L’emprise des odeurs sur nous se matérialise déjà dans notre rapport à l’environnement.
1. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 185. 2. ibid. 3. Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), trad. M Foucault, Paris, Vrin, 1979, p. 40. 4. ibid.
La première impression Malgré l’idée selon laquelle l’Homme ne se sert plus de son odorat, il existe encore de nombreuses situations où l’odorat aide à appréhender l’environnement dans lequel l’individu se trouve. Le mécanisme d’olfaction est instinctif, car il est induit par la respiration. L’individu qui respire de l’air, inspire forcément des molécules odorantes. C’est un acte qui selon Emmanuel Kant (1724-1804) « s’oppose à la liberté »1, car « la perception olfactive se fait, la plupart du temps, de façon involontaire. Ne pouvant être évitée ou évacuée par un processus de rejet comparable au vomissement, elle s’impose à nous »2. L’individu ne peut ignorer les odeurs. Elles tissent un lien très intime, pénètrent dans notre corps par les poumons et ne peuvent pas en ressortir facilement. Lorsque nous nous apercevons qu’il flotte dans l’air une odeur qui nous est désagréable, il est déjà trop tard pour l’éviter. Lorsque cet évènement intervient, une sensation de violation y est souvent associée. C’est ce que Kant qualifie de sens antisocial : « L’odorat est une sorte de goût à distance ; les autres sont contraints de participer, bon gré, mal gré, à ce plaisir »3. Par son caractère inévitable et imposé, l’odorat occupe la dernière place dans la hiérarchie sensorielle du philosophe. Il ne lui octroie qu’une seule utilité : « En tant que condition négative du bien-être, quand il s’agit de ne pas respirer un air nocif (les émanations des fourneaux, la puanteur des marais et de la charogne) ou de ne pas prendre une nourriture avariée, ce sens n’est pas dépourvu d’importance »4. Kant considère qu’il existe plus de cas où l’odorat dérange, car il existe plus de chance de sentir une odeur désagréable qu’une odeur agréable. Même lorsqu’elle peut plaire, une bonne odeur reste trop futile et éphémère pour que Kant considère intéressant le fait de développer le sens de l’odorat. Les odeurs ont donc pour lui une utilité de bien-être, une sorte de survie mentale
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à son équilibre de vie. Il n’évoque d’ailleurs ici que les odeurs de l’environnement, c’est-à-dire un lieu, un objet et de la nourriture. Son odorat lui sert de repère, lui indique ce qu’il doit éviter de faire ou de manger pour ne pas être dérangé ou tombé malade. Kant fait référence à l’état primaire de l’odorat, celui considéré comme sauvage, car il agit sur notre survie ou en tout cas sur notre bien-être. Il interprète les odeurs pour en tirer une information qu’il traitera ensuite, favorablement ou non. Cette capacité de l’odorat à nous indiquer si notre environnement est sans danger ou pas représente son premier rôle de sens. C’est un mécanisme instinctif pour deux raisons. La première est que, comme déjà évoqué en amont, l’olfaction est une action inéluctable puisqu’elle accompagne la respiration, un phénomène involontaire. La deuxième est que l’interprétation est aussi imposée, car l’odorat fait appel aux zones primaires de notre cerveau. Cette interprétation génère une réaction de la part du corps. Si une odeur est désagréable à un individu, son corps rentrera dans un état de stress et d’attention, sentant le danger et cherchant la cause de cette émanation. Dans le cas d’une odeur de brûlé, la majorité des individus se mettent en alerte. C’est une réaction instinctive chez une grande partie des mammifères et l’Homme, même après avoir perdu de son acuité olfactive, ne déroge pas à la règle. L’Homme interprète chaque odeur qu’il intercepte, même s’il est dans l’incapacité de la nommer ou de l’identifier, et même s’il ne s’en rend pas compte. Une expérience menée par Bettina Pause de l’Université Heinrich Heine de Düsseldorf a démontré qu’en présence d’une odeur de peur (de la sueur d’une personne claustrophobe coincée dans un ascenseur) les individus testés ont ressenti un malaise, « une mauvaise impression » ou « une intuition négative » et ont cherché à fuir la situation. Ils n’ont pas eu conscience de ce qu’il se passait, ils ne pouvaient pas en trouver l’origine. Cela démontre que l’Homme est effectivement soumis aux odeurs, même s’il a arrêté d’éduquer son flair et qu’il n’arrive pas à identifier la cause de ses odeurs. L’ineffabilité de l’odeur Le fait de ne pouvoir mettre un mot sur ce que l’on peut ressentir d’une odeur met en lumière un autre problème que rencontre l’odorat dans son appréciation dans notre société. En effet, il est acquis que la description d’une odeur reste relativement succincte et revient généralement à évoquer l’origine de l’odeur. « Il est frappant que l’on ne puisse désigner une odeur qu’en utilisant la formule : “c’est une odeur de…”. Odeur de rose, odeur de jasmin, odeur de café, odeur de camphre…
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1. André Holley, Éloge de l’odorat, Odile Jacob, Paris, 1999, p. 129. 2. Mouélé Médard, L’apprentissage des odeurs chez les Waanzi : note de recherche. In: Enfance, n°1, 1997. pp. 209-222.
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On chercherait longtemps en français comme en anglais un terme qui désignerait sans ambiguïté une odeur et seulement une odeur »1. Les odeurs semblent ineffables tant dans le fait qu’il est rarement possible d’identifier exactement l’origine de cette odeur que dans le fait que le vocabulaire nécessaire à la description d’une odeur reste un lexique peu commun ou essentiellement connu par des initiés à l’art de l’olfaction (les sommeliers, les cuisiniers et les parfumeurs par exemple). Il existe dans ce cas un manque d’éducation dans le simple fait de reconnaître les odeurs et d’exprimer cette reconnaissance. Il devient difficile pour un individu de communiquer sur sa perception d’une odeur. André Holley (?-2017) explique ce manque de termes en deux raisons. La première est que l’Homme, de tout temps, attendait des odeurs qu’elles lui indiquent simplement la présence des objets qui les émettent. Les odeurs n’existent que par la présence des choses qui les produisent. Les termes de description propres aux odeurs ne sont donc pas nécessaires, l’Homme n’a pas cherché à inventer ou assimiler des mots pour décrire les odeurs. La deuxième raison répond à l’objection que l’on peut former contre le manque d’intérêt de l’Homme à chercher du vocabulaire propre aux odeurs. Car dans les métiers liés à l’olfaction comme ceux déjà cités, et particulièrement les créateurs de parfums, leur travail implique de citer les odeurs pour ce qu’elles sont dans un souci de détail et d’exactitude. Or André Holley avance le fait que ce vocabulaire, étant trop jeune et trop peu partagé, n’a pas encore influencé la langue. Cela dépend donc des mutations de la société au niveau des activités économiques. L’exemple marquant se trouve dans les sociétés qui possèdent un vocabulaire exclusif aux odeurs. C’est le cas avec certaines langues africaines, comme chez les Waanzi, un groupe ethnique bantou vivant dans la partie sud-est du Gabon, qui possèdent un vocabulaire olfactif extrêmement riche. Ils possèdent par exemple plusieurs mots pour décrire l’odeur d’un même fruit, mais qui diffère si le fruit vient de la forêt ou de l’agriculture2. Ce peuple est très influencé par l’agriculture, la pêche et la chasse, son vocabulaire s’est donc nourri de termes adaptés à leurs activités. Ce sont les métiers liés à l’olfaction qui jouent un rôle déterminant dans l’acquisition par la communauté d’un vocabulaire riche et adapté. Il est déjà observable que des professionnels de l’odorat comme les créateurs de parfum s’impliquent dans la vulgarisation de pans de leur métier. Il se trouve par exemple que de nombreux parfumeurs comme Jean-Claude Ellena (1947) ou Jean-Charles Sommerard (1971) partagent de plus en plus leurs expériences et leurs
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connaissances à travers des ouvrages, des conférences ou des interviews. La revue Nez, dédiée au parfum et aux odeurs, propose de parler de l’odorat à travers divers sujets comme la littérature, l’histoire ou la photographie. Cela contribue à l’assimilation d’un lexique olfactif dans la langue française. Car l’Homme peut difficilement réfléchir et parler d’une chose qu’il a du mal à désigner ou à décrire. Si l’Homme n’a pas le mot pour parler d’une chose, il ne pourra le faire : « C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée »1. L’externe concerne l’objet de notre attention, l’odeur dans le cas présent, et l’interne la pensée que l’on y assimile, la sensation que cette odeur nous donne ou ce qu’elle nous semble être. L’incapacité de l’Homme à mettre les mots sur sa pensée, sur l’odeur intérieure, l’empêche de l’exprimer. Pour que l’odeur intérieure correspond à l’odeur extérieure, l’Homme a besoin de l’exprimer par des mots. Les mots donnent une réalité objective à notre pensée. Par manque de vocabulaire, l’odeur reste à l’intérieur de l’Homme, elle reste subjective. L’odorat reste le propre de chacun, il permet d’expérimenter des odeurs seulement en solitaire, car on ne peut les exprimer et donc les partager. Toute cette subjectivité a freiné la théorisation d’un odorat commun aux individus. Elle a aussi empêché la continuité d’une éducation olfactive. L’Homme a arrêté d’apprendre à sentir, car il ne pouvait enseigner ses connaissances. Cette barrière linguistique a impliqué le fait que notre société a perdu l’habitude de se servir de son odorat. Sens de la vérité L’Homme a fini par perdre le réflexe de flairer les objets et les lieux. Nous avons prouvé précédemment que l’Homme sentait tout de même son environnement, car il y est soumis par sa nature, mais il doute de son odorat. L’odorat est effectivement subjectif par son manque de reconnaissance linguistique, mais aussi par son aura animale et sexuelle. Les philosophes idéalistes tels que Hegel (1770-1831) ou Kant lui reprochent le fait d’être trop associé à la volupté et à la bestialité. Dans l’imaginaire commun, un individu qui flaire avec insistance et possède des habilités à reconnaître des odeurs apparaît comme un sauvage, une personne manquant d’éducation. Cette image représente un individu qui laisserait parler ses instincts, ne contrôlerait plus son esprit et serait alors soumis aux lois de son corps. La société et la religion ont réprimé ce genre de comportement qui représente une perte de contrôle
1. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Philosophie de l’esprit (1817).
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1. Jean-Claude de La Méthérie, De l’homme considéré moralement, de ses mœurs et de celles des animaux, Paris, 1802, p. 157. 2. Définition : perte de la fonction sensorielle du goût ou incapacité de reconnaître les saveurs. Source : <http://dictionnaire. academie-medecine.fr/?q=Agueusie> consulté le 14/02/2018n°1, 1997. pp. 209-222.
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d’humanité. Pour les philosophes idéalistes comme Hegel et pour le christianisme, la pensée, ou l’âme, est le propre de l’Homme. Les sens et particulièrement l’odorat brouillent l’esprit, induisant des émotions et altèrent la réflexion objective. L’odorat est pour eux d’autant plus scandaleux qu’il est lié à la sexualité, au désir et à la séduction. Ce qui le rend encore plus condamnable aux yeux de l’Église. L’odorat est donc considéré comme un sens trompeur et décadent. Il ne fait l’objet d’aucune éducation et est même restreint selon La Méthérie (1743-1817): « Car l’usage continuel des odeurs conduit à la volupté ; aussi ne le pardonne-t-on pas à l’homme mûr »1. Les parfums et les fleurs sont à cette époque réservés aux courtisanes et à peine tolérés pour les femmes de plus haute condition. Le plaisir par l’odorat ne fut que plus tard accepté dans la société, coïncidant avec les très jeunes débuts de libération des mœurs et avec l’émergence du parfum de luxe grâce aux grandes maisons de parfumerie. Aujourd’hui, l’odorat souffre encore de cette image rémanente. L’Homme a donc formé ses autres sens, sur lesquels il compte beaucoup plus que sur son odorat. L’olfaction est une évidence chez l’individu, mais l’interprétation des odeurs et des signaux que le corps développe instinctivement ne correspond pas pour l’individu à des informations pertinentes. Il se servira de ses autres sens pour confirmer ou désapprouver ses impressions olfactives. L’odorat garde ainsi son statut de première impression, de résidu d’instinct animal qui sommeille en l’Homme. Lorsqu’il s’agit de découvrir ou de reconnaître un lieu ou un objet, l’odorat reste l’un des premiers sens à intervenir avec la vue. La vue semble effectivement être le sens considéré comme le plus apprécié et le plus vital. Si l’on considère que la perte de la vue est une infirmité très handicapante, la perte de l’odorat appelée anosmie est peu connue et ses inconvénients sont encore des sujets de recherche. En effet, l’anosmie et en général associée à l’agueusie2, le goût étant un sens très proche et évidemment lié à l’odorat. Le courant philosophique matérialiste porté par Ludwig Feuerbach (1804-1872) va s’opposer à cette image réductrice des sens et surtout de l’odorat. Feuerbach, ancien disciple de Hegel, reproche à celui-ci le caractère trop religieux et trop conservateur de sa théorie concernant cette image idéale de l’esprit abstrait, libéré de son enveloppe charnelle. Il considère que les sens aident à penser, que sans eux, il n’y aurait pas d’appréhension du monde et donc de quoi philosopher. Il compare la vieille philosophie, qui revendique l’être abstrait et seulement pensant, avec la nouvelle philosophie qui prend en considération le corps et qui est un corps sensible : « Je
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rejette de façon absolument radicale la spéculation absolue, immatérielle, que se complaît en elle-même. Il y a un monde entre moi et ces philosophes qui s’arrachent les yeux de la tête pour pouvoir d’autant mieux penser ; j’ai besoin des sens pour penser »1. Il entend que l’Homme est un être pensant dans sa globalité, le corps et l’esprit ne formant qu’un et multipliant leur force de réflexion. Toute hiérarchie des sens est alors abolie, chaque sens est capable à lui seul de raisonner. Friedrich Nietzsche (1844-1900) va aller plus loin dans le rejet de l’être abstrait en critiquant aussi Feuerbach dans sa tentative de spiritualiser et d’intellectualiser l’odorat. Nietzsche revendique le renouement avec l’animalité de l’Homme, qui selon lui fait son essence. L’Homme doit assumer ses instincts, se servir de ses sens. Il reproche à l’Église et aux idéalistes la promotion d’un « pur esprit » aux dépens des besoins de son enveloppe charnelle. Les sens sont l’expression des besoins du corps, les ignorer revient à se laisser mourir. La citation de Juvénal « un esprit sain dans un corps sain »2 illustre relativement bien la pensée de Nietzsche, dans le sens où l’ascension spirituelle, l’élévation de l’Homme dans sa condition ne peut se faire sans une attention au corps et ses besoins. La preuve que les odeurs ont encore de l’importance pour l’individu d’aujourd’hui est que c’est un sens naturel et instinctif, tant que nous sentons nous ne pouvons pas ignorer les effets des odeurs sur notre cerveau. Il est même important de faire attention aux signaux qu’envoie notre perception des odeurs. La deuxième preuve que les odeurs ont encore de l’importance pour l’Homme se trouve dans les rapports sociaux où les odeurs des autres influencent encore plus les individus et interviennent énormément dans la construction des catégories sociales.
1. Ludwig Feuerbach, « L’essence du christianisme dans son rapport à l’Unique et sa propriété » (1841), in Manifestes philosophiques, trad. L. Althusser, Paris, PUF, 1960, p. 207. 2. Mens sana in corpore sano, citation extraite de la dixième Satire de Juvénal, poète satirique latin de la fin du Ier siècle et du début du IIe siècle.
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Les odeurs qui informent sur la communauté Nous avons vu en amont que l’odorat est un sens de l’intime, car les odeurs pénètrent notre corps par le nez et les poumons et qu’il est presque impossible de les déloger. Nous avons vu aussi que l’olfaction volontaire, c’est-à-dire de renifler consciemment les objets, les lieux ou les autres était une marque de bestialité, d’un manque de savoir-vivre et une forme d’impolitesse. Ces odeurs qui s’imposent à nous En effet, les actes ressemblant aux habitudes animales sont fortement réprimandés dans notre société. Il serait déplacé et fortement critiqué qu’un individu plonge son nez dans chacun de ses plats et ceux de ses voisins de table dans un restaurant. Pourtant, il aurait été justifié de s’informer ou simplement d’apprécier l’odeur de la nourriture présente à la table. Il est encore plus déprécié de sentir avec application une personne. L’odorat étant subjectif, l’odeur corporelle est très personnelle et intime. Le fait de s’approprier l’odeur de quelqu’un d’autre — car nous verrons qu’une odeur une fois sentie est une odeur mémorisée dans notre cerveau — revient à s’approprier la personne elle-même. Plus complexe encore que l’empreinte digitale, l’odeur d’un individu est unique et se modifie dans le temps. Le fait de connaître l’odeur d’une personne permet de connaître cette personne. Il est toujours délicat de parler de l’odeur des autres, car cela revient à assumer un lien intime avec eux et la bienséance nous enseigne que l’intime est tabou en société. Parler de l’odeur d’une personne, de sa trace olfactive personnelle, implique d’assumer la part animal de notre comportement. Cela reviendrait à nous sentir comme une meute pour se reconnaître et s’affilier à un groupe. Notre société a rejeté ce type de comportement au profit de la morale, « [...] est mise au grand jour la nature maladive du civilisé castré par une morale qui lui apprend à rougir de ses instincts. Ne pouvons plus les développer librement, il les refoule et se détruit. La mutation de ce “fauve humain” en homme de la “mauvaise conscience” exhale une puanteur : celle d’un être en train de perdre sa bestialité et sa volonté de puissance »1. Le fait d’avoir abandonné ses instincts a rendu l’Homme fragile, faible et malade car il s’est trop éloigné de sa nature. Pour regagner sa pleine puissance, l’Homme doit renouer avec sa force intérieure, son intimité. Il s’agit de partager son intimité avec celles des
1. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 194
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1. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 186. 2. ibid, p. 26. 3. ibid, p. 27.
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autres, car cela fait partie de la nature humaine. L’individu a peur d’utiliser son odorat, de lier son intériorité à celles des autres individus, car la morale lui a enseigné que c’était mal, que c’était impoli et contraire au propre de l’Homme civilisé. L’intériorité faisant aussi référence à la sexualité, il est d’autant plus tabou pour la société d’en parler ouvertement. L’odorat est le sens le plus sensuel1 est a souffert de cette qualification tout au long de son histoire philosophique. La sexualité étant ce qu’il y a de plus bestiale dans les relations sociales, l’odorat y a toujours été affilié avec la séduction. De tout temps, l’odorat a été stimulé pendant les actes de séduction. « Entre les parfums et le désir, existe d’ailleurs un lien constant. Lorsque Circé veut reconquérir Ulysse, elle utilise de puissants philtres aromatiques. Quand la reine de Saba se rend à Jérusalem, les gommes précieuses qui font la renommée de l’Arabie l’aide à gagner le cœur du roi Salomon. »2 : le mythe des parfums magiques qui séduisent apparaît de nombreuses fois dans les légendes. Ils sont la représentation du lien invisible qui se tisse entre deux individus, ce désir inexplicable qui attire deux personnes l’une vers l’autre. Ils sont aussi l’image matérielle de la force d’attraction de la femme, le mythe de la séductrice à qui aucun homme ne résiste. Ce sont les allégories des forces invisibles d’attirance. Mais ces parfums ne sont pas que mythes et sont encore de nos jours utilisés dans des rituels parmi des sociétés traditionnelles. Ce sont en général ces mêmes sociétés qui possèdent un champ lexical et une éducation olfactive beaucoup plus importants que dans notre société. « Ainsi à Nauru, petite île de Micronésie, les femmes usent-elles à la fois d’un parfumage interne et externe. [...] les Nauruanes prennent des bains de vapeur embaumés, s’enduisent le corps et la chevelure d’huiles de fleur et de lait de coco, mais se servent aussi de mixtures de feuilles odorantes et de potions aromatiques pour se “parfumer de l’intérieur” »3: il est certain que l’olfaction joue un rôle déterminant dans l’acte de séduction pour cette société. Ces individus ont fait d’un acte de parfumage de leur corps un rituel de préparation à la séduction. Leurs odeurs font partie de l’image de la sensualité dans leur société. La différence avec notre société, c’est que cet acte est assumé, le lien entre l’odeur corporelle et la sexualité est affirmé et affiché. Nous n’assumons pas autant l’importance de notre odeur corporelle et celles des autres dans nos critères de séduction. Pourtant comme le montre Annick le Guérer: « les thèmes développés aujourd’hui autour des parfums renvoient l’écho de forces obscures et de vertus puissantes. [...] Ce décalage avec leur fonction de séduction intrigue. Faut-il ne voir là que l’emphase du langage publicitaire
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ou le reflet de représentations inconscientes ? L’histoire des parfums et les mythes qui s’y rattachent le suggèrent »1. Il est important de mettre en lumière le fait que les odeurs ont un pouvoir puissant d’attirance sociale, notamment dans le choix de partenaire. Les odeurs qui rapprochent Il existerait un lien entre les effluves corporels et les liens sociaux que l’on créés avec nos congénères. L’odeur personnelle interviendrait entre autres dans le choix de son partenaire. La première cause de ce lien serait liée aux phéromones2 humaines. Il fut longtemps convenu que l’Homme ne sécrétait pas et n’était donc pas réceptif à ces substances. Il a été pourtant découvert dans les années 1970-1980 que dans des sécrétions humaines tels que la salive, la sueur, l’urine et les sécrétions des organes génitaux se trouvent des molécules odorantes identifiés comme étant des phéromones chez l’animal, ce qui pouvait induire une communication phéromonale chez l’Homme. Il a fallu de nombreuses études et expériences pour démontrer qu’il existe un lien entre l’odeur corporelle et une réaction physiologique ou psychologique chez l’individu sentant cette odeur. Il a fallu une autre découverte pour étayer l’hypothèse de l’action des odeurs corporelles sur la sexualité. En 1703, le médecin et anatomiste hollandais Frederick Ruysch (1638-1731) découvre l’organe voméronasal sur un enfant. Cet organe est connu chez les mammifères pour être le siège de la réception des phéromones animales et fonctionne en parallèle de l’organe olfactif. Longtemps considéré comme atrophié et inutile, son étude véritable nous est contemporaine. En effet, l’anatomiste américain David Berliner en 1996 a démontré que la stimulation de cet organe par des substances chimiques porteuses d’odeurs corporelles déclenchent des signaux électriques dans l’organe voméronasal, qui indiquerait une transmission d’informations au cerveau3. L’existence de phéromones humaines est encore à démontrer, les scientifiques sont encore aujourd’hui partagés sur ce point. Mais il a été tout aussi prouvé que les odeurs corporelles, sans parler de phéromones, interfèrent dans le choix du partenaire. Il s’agit d’une orientation culturelle et instinctive du choix de l’autre. Les émanations personnelles sont le résultat du mode de vie de l’individu, de son alimentation, de son hygiène, de ses activités, et même de son état de santé. Elle indiquerait le partenaire sexuel le plus apte à la procréation. Le désir sexuel chez une femme hétérosexuelle sera en majorité plus grand pour un individu sentant l’hormone de testostérone qu’un
1. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 11. 2. Sécrétion glandulaire analogue aux hormones mais qui est rejetée hors de l’organisme par un individu, et constitue un message qui influence le comportement d’autres individus d’une même espèce ou provoque une modification physiologique. Définition du C.N.R.T.L, source : <http://www. cnrtl.fr/definition/PHEROMONE>, consulté le 14/02/2018. 3. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 24.
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autre individu avec cette émanation plus faible. Cela ressemble à la proportion des mammifères à choisir leur partenaire en fonction de son rang dans le groupe, sa force et sa santé, car il représente le conjoint le plus apte à assurer une descendance à la femelle. Ce serait une rémanence du choix de son partenaire sexuel dans l’objectif de la reproduction et donc de la survie de l’espèce. Il existe d’autres expériences faites sur l’intervention de l’odeur dans le choix du partenaire selon les corps de métier. Les individus auront tendance à se marier avec d’autres individus du même métier, ce qui est très remarquable avec des métiers où les odeurs sont fortes. Les individus ont tendance, outre la promiscuité sociale dans un même lieu de travail, à choisir un partenaire du même métier qu’eux, car les odeurs dont ils sont accoutumés sont les mêmes pour leurs collègues. Ces odeurs communes font partie du patrimoine du groupe socioéconomique, c’est une des composantes de l’appartenance à une classe sociale. En effet, il a été observé que chez certaines ethnies comme les Esquimaux, l’odorat est privilégié dans la façon de saluer et de se reconnaître : ils se frottent nez contre nez et se reniflent le visage pour faire connaissance. Cet acte, ce rituel de politesse représente un geste d’appartenance au groupe. Cette coutume fait partie de leur patrimoine social et les distingue des autres sociétés. Même si dans notre société, il n’existe pas de pratique semblable, l’odeur de l’autre influence notre comportement selon l’appartenance à une catégorie sociale que nous lui attribuons. Les odeurs qui séparent L’odeur personnelle d’un individu induit son affiliation à un groupe social. On distingue deux types d’odeur personnelle. La première odeur est une odeur absente, contrôlée ou artificielle, peu présente et généralement agréable. Alors que la deuxième odeur est forte, très corporelle ou trop artificielle, elle est considérée comme incommodante. Ces odeurs s’interprètent de manières forcément différentes. Il est d’usage dans notre société de faire preuve de contrôle en présence d’autrui, tant dans le langage que dans l’attitude. Il s’agit de ne pas s’imposer aux autres, de montrer de la réserve, de ne pas s’afficher publiquement. On remarque plus facilement une personne qui parle fort, qui possède un langage vulgaire, qui prend beaucoup d’espace ou qui gesticule dans tous les sens. Ce genre de comportement fait d’ailleurs l’objet de réprobation de la part de la majorité des individus témoins. Il s’agit avant tout de rompre le lien avec l’animal, de contrôler son corps et donc ses effluves personnels. L’odeur personnelle ne déroge pas à cette règle :
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une odeur trop forte, qu’elle soit agréable, mais encore plus si elle est dérangeante, déplaît à la plupart des individus de notre société. Cela revient à mettre sa présence sous le nez de tous, la personne forte odorante s’impose et occupe une place plus grande que les autres dans l’espace. Cette occupation devient presque palpable tout en restant volatile. Outre le fait que la puissance d’une odeur personnelle peut indisposer, l’origine de cette odeur est fortement connotée. Si elle est artificielle, c’est-à-dire vient d’un parfum, l’impression que donnera la personne qui la porte sera plus dense. Autrement dit, sa présence résolument plus importante qu’attendue semble être provoquée de façon volontaire. Cet individu donne l’impression aux autres qu’il s’impose volontairement, que c’est un acte conscient. Ce qui rend encore plus impoli son acte. Si au contraire, l’odeur est naturelle, provenant d’odeur corporelle comme la sueur, l’information envoyée est différente. Les autres individus auront tendance à s’inquiéter de l’état de l’hygiène de la personne qui émet cette odeur. Pire, elle donnera à penser que cet individu mal odorant fait partie d’une couche sociale défavorisée, l’hygiène étant semble-til une donnée de représentation du niveau de revenus. C’est une réminiscence des différences entre les travailleurs et les nobles, car les pauvres étaient les individus qui travaillaient, suaient et finissaient par sentir fort. Ces distinctions ne semblent plus de mise aujourd’hui, mais elles restent encore ancrée dans notre inconscient collectif. Comme le fait d’associer une odeur désagréable, une odeur qui pue, à de la saleté et donc convenir que l’objet ou l’être dont émane cette odeur est contaminé et doit être évité. Ce sont ici les stigmates des grandes épidémies comme la peste, associée au détritus de la rue et au développement des rats porteurs de la maladie. S’en suivit une grande étape de désinsectisation de la société qui n’empêche le souvenir de rester intact dans notre inconscient collectif. Tout ce qui sent fort et ce qui pue est associé à l’animalité, à l’état naturel et primitif des choses et de l’Homme. L’Homme les a rejetés pour évoluer en individu civilisé. Dans les cas précédemment étudiés, les individus semblent faire énormément confiance à leur odorat et donc leur première impression sur autrui. Contrairement à l’idée reçue que l’odorat est un sens subjectif, il paraît ici d’une grande justesse. Les individus, lorsqu’il s’agit de juger leurs congénères, font confiance en leur odorat et en leur instinct, même si cela doit les induire en erreur. L’odorat occupe une plus grande place dans les rapports sociaux, comme le concède notre vocabulaire : on dit « sentir quelqu’un », ne pas pouvoir « blairer
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» quelqu’un, « avoir dans le nez », on dit aussi qu’une personne est « puante », un « fumier », une « charogne ». Notre langue est riche en métaphore olfactive concernant le jugement négatif d’autrui. « Toutes les catégories considérées comme méprisables ou inférieures sont dévalorisées olfactivement »1 : la mauvaise odeur est liée à la haine et au rejet de l’autre. D’un point de vue chimique et physiologique, il est incontestable que l’odorat est un sens encore important pour l’Homme. Certes, il a perdu de son acuité durant son évolution, mais ses pouvoirs sont encore puissants. Il est impossible pour les individus de notre société de réfuter l’impact des odeurs sur leur comportement. Il serait même important de recréer une habitude d’écoute, de développer une attention à ce sens de l’instinct et de l’émotion. Pour prouver l’importance de l’odorat, il a fallu citer en exemple des situations où les odeurs incommodes, dérangent ou provoquent des réactions fortes ou négatives. Mais les odeurs sont aussi capables de créer chez l’individu d’autres émotions plus subtiles. L’odorat est en effet le sens qui a un lien avec la partie la plus primitive de notre cerveau, mais c’est à cet endroit que sont situées la mémoire et les émotions.
1. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, Paris, 2010, p. 89.
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1. Doctrine selon laquelle l’expérience est la donnée première et la source de la connaissance. Définition du C.N.R.T.L, source : <http://www.cnrtl.fr/definition/empirisme>, consulté le 14/02/2018. 2. Étienne Bonnot de Condillac, Traité des sensations, Paris, Corpus, Fayard, 1984, p. 57.
La statue de Condillac À chaque inspiration, des molécules odorantes pénètrent dans le nez. La muqueuse nasale comporte des cellules olfactives dotées de différents récepteurs, lesquels correspondent chacun à une molécule odorante. Quand la molécule trouve son récepteur, cela déclenche une réaction biochimique. Une impulsion électrique la transmet au cerveau qui va alors la traiter. En fonction à ce que nous associons à cette odeur, des souvenirs, des images et des émotions vont apparaître sans que l’on en ait conscience. Pour comprendre ce processus et acquérir la certitude que l’odorat possède un lien fort avec la mémoire et les émotions, l’expérience de Condillac est très efficace. Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780) est un philosophe, écrivain, académicien et économiste français. Disciple de Locke (1632-1704), il répand sa pensée philosophique qu’est l’empirisme1 et en est le seul représentant en France. Il théorise ce principe dans sa légendaire allégorie de la statue dans le Traité des sensations (1754) : il imagine une statue dont l’intérieur est organisé comme un homme, mais avec un esprit vidé de toutes pensées et idées. L’extérieur de la statue est, au départ, incapable d’utiliser ses sens. Ce procédé permet de faire des suppositions concernant la formation des connaissances et prouver qu’elle passe par les sensations. Condillac attribuera un sens à la statue et en développera les résultats de cette attribution. Il est important d’étudier un sens à la fois, en repartant à zéro pour l’objectivité de l’expérience et comprendre quelle faculté est dû à quel sens. Il peut ainsi observer les progrès de ses facultés et comment les sens entre eux se complètent. Condillac commence son expérience avec l’odorat, car il apparaît comme le sens qui contribue le moins à la création de facultés de l’esprit. Il prend donc comme point de départ un individu borné au sens de l’odorat qui est soumis au bon vouloir d’une personne qui agira autour de lui. Il tient à démontrer qu’ « avec un seul sens, l’entendement a autant de facultés qu’avec les cinq réunis »2. Puis il ajoutera peu à peu les autres sens et les étudiera à chaque ajout. Il n’aura pas à les étudier dans les mêmes conditions que l’odorat car s’il réussit à démontrer que le sens qui semble être le moins favorable au développement d’idées et de connaissances possède en son germe toutes les facultés de l’esprit, alors cette thèse s’appliquera dans les autres cas de figure, c’est-à-dire avec les autres sens.
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Lorsque Condillac observe la statue bornée au sens de l’odorat, il révèle que la statue ne fait pas que sentir, mais qu’elle est cette action toute entière, car elle n’a pas la notion du monde et du soi. Quand elle sent une odeur, elle devient cette odeur et ne devient que cette sensation. Cela implique que l’odorat sera incapable seul de donner la notion de monde extérieur et de monde intérieur, de faire la distinction entre le sujet et l’objet. Il précise d’ailleurs que ce serait le cas aussi pour la vue, l’ouïe et le goût alors que le toucher et le seul sens à interagir avec les objets extérieurs. Il va alors parler d’expérimentateur, une personne observatrice à l’expérience qui va alors agir aussi sur la statue pour créer des évènements arbitraires et induire un changement dans les facultés de la statue. La notion de monde est alors acquise, mais seulement pour cet expérimentateur et nous. Au début de l’expérience, l’expérimentateur fait sentir une rose à la statue. Nous conviendrons que nous décrirons cette odeur extérieure à nous et que c’est une odeur de rose. Or, la statue sent la rose, dans le sens où l’odeur l’imprègne au point où elle n’est que sensation. Elle ne fait qu’un avec cette odeur de rose et n’a donc aucune notion de matière. Dans son état de réceptivité passive, il semble difficile pour la statue de formuler des idées et d’apprendre des connaissances. Condillac va alors montrer que « toutes les facultés de l’âme ne sont rien d’autre que la sensation transformée de diverses manières »1. La mémoire à l’origine du jugement La première faculté qu’engendre la sensation est l’attention, car la statue est tout entière à la sensation lorsqu’elle sent, au point de devenir la sensation même. L’attention est la manière dont une sensation occupe l’esprit. Dans le cas de l’odorat, l’odeur est à l’esprit et l’esprit est à l’odeur. Il faut que l’odeur soit présente et que l’esprit s’y concentre pour constituer l’attention. Cette attention va développer le principe de jouissance et de souffrance chez la statue. Si elle sent une odeur agréable, elle l’appréciera et à l’inverse si l’odeur est désagréable elle en sentira le désagrément. « Contrairement à toute attente, [le plaisir et la peine] n’ont pas pour premier effet d’engendrer des désirs, mais des souvenirs »2 : la statue est encore incapable de se projeter dans le futur, de souhaiter un changement de situation. Elle vit seulement le moment présent et est tout entière aux sensations. Dans le cas présent, la statue n’a senti qu’une odeur de rose et n’a donc aucune expérience d’une autre odeur. Cette première odeur aurait pu être une odeur désagréable, elle n’aurait été que cette odeur aussi. Pour que la statue ressente le désir, il faudrait qu’elle connaisse une sensation antérieure à celle ressentie dans le
1. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, Paris, 2010, p. 373. 2. ibid, p. 374.
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1. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, Paris, 2010, p. 376.
moment présent. Ce qui implique un changement d’odeur, mais surtout une faculté de le sentir et de l’enregistrer. Et c’est grâce aux notions de plaisir et de douleur que vont se faire ces comparaisons de changements d’odeur. La mémoire joue un rôle décisif dans la conscience des changements de joie ou de peine qui impliquent alors le désir. « La mémoire naît de l’attention »1. Le moment où l’odeur disparaît, mais que l’attention y est encore connecté crée le souvenir. Cette attention qui retient la présence de la sensation maintenant disparue crée le lien avec le passé. Son attention se dédouble : une attention sur le présent et une autre sur le passé. Donc lorsque la statue sent une nouvelle odeur, ou plutôt qu’elle est une nouvelle odeur — puisqu’elle n’est que sensation — elle est à la fois l’odeur qu’elle sent et l’odeur dont elle se souvient. L’olfaction présente et le souvenir d’une odeur sont deux manières de sentir identiques. Ce qui les différencie, c’est que l’une tient de la sensation actuelle alors que l’autre est une réminiscence. Cela peut même inverser le principe de réalité : la statue peut alors sentir plus fortement une odeur d’un souvenir que l’odeur qu’elle sent véritablement. Elle n’a pas la capacité de différencier les deux par manque de conscience des objets extérieurs. Un souvenir peut lui sembler plus réel qu’une sensation. Il faut alors prendre conscience que la succession des sensations s’opérant dans l’esprit de la statue peut être différente que la succession des actions de l’expérimentateur. C’est-à-dire que l’expérimentateur peut changer autant de fois d’odeurs qu’il veut, la statue fera sûrement son propre cheminement. La statue n’a pas conscience de la différence entre la sensation et la mémoire, cette différence se fait selon Condillac grâce au toucher. Le toucher permet de prendre conscience des objets extérieurs et leur éloignement du nez de la statue lui ferait savoir que la sensation qu’elle a n’a plus de cause et donc que c’est un souvenir. Malgré tout, la statue a maintenant la capacité de passer en revue ses changements successifs de sensation et commence à les comparer entre eux. Cette comparaison est une étape décisive qui va donner lieu au jugement. L’attention se porte sur deux idées en même temps et la statue va les comparer, remarquant leurs différences. Ces différences seront toujours marquées par le plaisir et la souffrance, car ce sont les moteurs de son entendement. Sans cette opposition entre ces deux états, il n’y a pas de jugement possible. La dernière étape entre la mémoire et les émotions est qu’après avoir jugé des sensations comme des sensations agréables et d’autres désagréables, la statue va développer le besoin. Il faut qu’elle puisse connaître un état de bien qu’elle peut désirer et elle
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doit pouvoir reconnaître un état de souffrance qu’elle souhaite sentir disparaître. Le désir est ici l’expression du besoin. La statue ressent le besoin d’arrêter une sensation douloureuse ou moins agréable qu’un souvenir de sensation passée. Alors elle désire cette sensation passée qui lui paraît mieux que celle actuelle. Plus la différence entre la sensation actuelle et celle souvenue est grande, plus le désir sera puissant. La naissance des émotions « Dès qu’il y a en elle jouissance, souffrance, désir, passion, il y a aussi amour et haine. Car elle aime une odeur agréable, dont elle jouit, ou qu’elle désire. Elle hait une odeur désagréable, qui la fait souffrir ; enfin elle aime moins une odeur moins agréable qu’elle voudrait changer contre une autre »1. Ainsi Condillac annonce l’origine des sentiments, représentés par la haine et l’amour, chez la statue bornée au sens de l’odorat. Pour y arriver, Condillac rapporte chaque étape entre la mémoire et les sentiments. Comme précédemment vu, la mémoire engendre le jugement par comparaison de deux odeurs, de deux états de la statue bornée à l’odorat. Elle ressent des besoins, induit par des situations désagréables qu’elle souhaite sentir disparaître au profit d’états mémorisés agréables. Le désir naît de ses besoins, car il est l’expression de l’attention de la statue dirigée vers un besoin. Le désir sera alors plus ou moins fort selon la différence entre deux états, « ce que Condillac appelle malaise ou léger mécontentement selon que la différence est considérable et prend la forme du tourment ou de l’inquiétude. »2 Le désir concerne principalement une comparaison entre un état actuel de mal-être et un état de bien-être souvenu et souhaité par la statue. L’attention portée par la statue sur les différences entre deux états ou deux odeurs sera plus forte s’il s’agit de vivre une situation désagréable, et même de douleur. Les besoins semblent s’exprimer — à travers le désir — seulement si la statue peut tendre à une situation meilleure. Lorsque la statue souffre trop par rapport à un souvenir, Condillac parle de tourment. Ce tourment intensifie son désir et le rend passionné. La passion est ici un désir de faire cesser un état de souffrance contre un état de bien, mais dans une expression ardente et puissante. Ce désir est tellement puissant qu’il occupe toute l’attention de la statue, elle se passionne pour l’odeur souhaitée, pour l’état désiré. Cette ascension d’émotion va permettre à la statue de ressentir de l’amour et de la haine, car elle aime une odeur agréable qui lui fait du bien et elle hait une odeur désagréable qui la fait souffrir. « L’amour est ainsi jouissance et désir d’une odeur agréable et la haine souffrance et répulsion envers une odeur déplaisante »1 : les sentiments sont l’addition d’une
1. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, Paris, 2010, p. 376. 2. ibid, p. 385.
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1. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, Paris, 2010, p. 385 2. ibid.
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sensation et d’un désir. Dans le cas de l’amour, il s’agit d’une sensation plaisante et d’un désir de ressentir ce bien-être de nouveau ou de le voir se poursuivre, alors que dans le cas de la haine, il s’agit d’une sensation déplaisante et d’un désir de ne plus ressentir cette souffrance et de la sentir disparaître. Dans son étude du Traité des sensations de Condillac, Chantal Jaquet rappelle ici que la statue ne peut pas diriger ses sensations vers des objets extérieurs. La statue ne peut désirer, souffrir, apprécier, aimer ou haïr une chose extérieure à ellemême, car elle n’a pas connaissance de ce monde extérieur. La philosophe met donc en avant le fait que « la première forme d’amour-propre est ainsi d’essence olfactive. »2 La statue étant seulement sensation, elle est l’odeur qu’elle sent, elle aime ce qu’elle est lorsqu’elle est une odeur agréable. L’auteure de Philosophie de l’odorat précise cependant que Condillac n’évoque pas la haine de soi et postule sur le fait ce sentiment n’est pas une finalité. Si la statue hait une odeur et donc se hait soi-même cela ne pourra s’exprimer que par un désir de sentir cette sensation se finir au profit d’une autre, la haine n’est pas une fin en soi et réitère la répulsion à son origine. De ces deux sentiments, naissent l’espérance et la crainte. Ils sont respectivement l’expression de la jouissance et de la souffrance combinés au jugement concernant l’avenir, autrement appelé les habitudes. En effet, les habitudes sont issues de la faculté de la statue à juger que si elle a pu éprouver des sensations plaisantes ou déplaisantes elle peut encore en ressentir. Elle peut donc espérer ou craindre qu’une sensation réapparaisse. Pour conclure son étude de l’affect de la statue, Condillac explique qu’une personne bornée à l’odorat peut aussi ressentir de la volonté. La volonté est le prolongement du désir dans le sens où le désir est le début de la réalisation ou de l’exaucement d’un besoin grâce à la direction de l’attention sur des éléments susceptibles de produire de la jouissance. Alors que la volonté est de croire que cet objectif, cet aboutissement de besoin peut être fait par cette action de concentration. La volonté est de croire que vouloir une chose fera qu’elle se réalise. La différence entre la volonté est le désir se trouve dans l’expérience, car grâce à la mémoire, la statue peut se souvenir qu’un état désagréable a déjà cédé à un état agréable. Son vœu a été exaucé dans ce souvenir-là, la statue conclut que cela peut se reproduire et elle le souhaite tellement que son désir se mue en volonté. Une personne seulement capable d’odorat a la capacité de désirer, juger, mémoriser, jouir, souffrir, aimer, haïr, espérer, craindre et vouloir. Le développement de nombreuses autres
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facultés est par la suite démontré par Condillac, mais il est suffisant de constater que les odeurs influencent les sentiments et les facultés mentales de l’Homme. La mémoire étant l’élément le plus associé à l’odorat comme le rappelle André Holley : « L’une des caractéristiques les plus populaires des odeurs est la force et la persistance des souvenirs qu’elles évoquent. Les odeurs paraissent dotées d’un pouvoir de méditation entre le présent et le passé »1. Un des exemples les plus connus de témoignages de ce pouvoir est l’expérience de Marcel Proust décrite dans son ouvrage À la recherche du temps perdu (1913) lorsqu’il exprime l’abondance d’images mentales et de sensations de son enfance évoquées par l’odeur de la madeleine. Un tel pouvoir fut l’objet de nombreuses études scientifiques et anthropologiques pour déterminer les causes et les aboutissants de cet effet de remémoration incontrôlé et puissant. Ces études ont trouvé un écho dans le domaine du marketing qui a su les mettre à profit dans leur processus de communication avec les usagers et les consommateurs.
1. André Holley, Éloge de l’odorat, Odile Jacob, Paris, 1999, p. 139.
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la maîtrise de son environnement La puanteur de Paris L’origine de l’épuration olfactive de notre société remonte à la deuxième pandémie de peste d’importance mondiale, commençant par la peste noire en 1348 et se répercutant jusqu’en 17201 en France. Sur les deux derniers siècles d’épidémies, les médecins pensaient que les odeurs possédaient des pouvoirs de guérison, mais aussi de contamination et de mort. Une mauvaise odeur pouvait rendre malade, car elle était chargée de maladie. Annick le Guérer dans son ouvrage Les pouvoirs de l’odeur rapporte des recommandations de membres de la faculté de médecine de Paris à l’attention de la population : « [se] tenir éloignés de toutes les maladies qui répandent une mauvaise odeur parce que ces maladies sont contagieuses »2. La quarantaine s’étend jusqu’à tout ce qui touche aux contaminés car ces mauvaises odeurs s’accrochent à la peau et au tissu. Les médecins, les chirurgiens, les apothicaires, les places publiques, les maisons des malades, et même les meubles récupérés après le décès du propriétaire sont fuis. Cette idée d’air contaminé et nauséabond s’en trouve renforcée par la découverte d’Athanase Kircher (16021680) au microscope en 1658 de « petits insectes ailés qui partent des choses infectées de ce mal et le communiquent en s’introduisant dans le corps des personnes qui les approchent. »3 Cette métaphore des germes vivants accentue la peur de la contamination de la peste qui était effectivement très virulente. C’est cette propagation rapide et sans limites qui plonge les populations dans la terreur, cherchant par tous les moyens de s’en préserver. Pour contrer ce mauvais air, les médecins et apothicaires préconisent l’utilisation de crèmes, d’encens, d’eaux florales et de pommes de senteurs en prévention de la maladie, mais aussi en traitement curatif. « L’utilisation des résines aromatiques dans l’embaumement des morts montre à l’évidence, selon Jérôme Fracastor, leur efficacité contre la corruption et la puanteur »4. Les puissantes odeurs d’aromates et de plantes séchées en tout genre rivalisent avec les odeurs puantes de la ville et de la maladie. En effet, chaque occasion est bonne pour parfumer, embaumer ou imprégner les vêtements, les objets du quotidien et les lieux de vie. L’amalgame entre la puissance d’une odeur et son pouvoir
1. La peste de Marseille en 1720 est la dernière épidémie de peste déclarée en France. 2. Consultation sur l’épidémie faite par le collège de la faculté de médecine de Paris en 1348, in H.E. Rébouis, Étude historique et critique de la peste, Paris, 1888. 3. Athanase Kircher, Scrutinium physicomedicum contagiosae luis, quae dicitur pestis, Rome, 1658, cité J.-J. Manget, Traité de la peste recueilli des meilleurs auteurs anciens et modernes et enrichi de remarques et observations théoriques et pratiques, Genève, 1721, p. 44-45. 4. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 88.
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curatif incite les médecins tels que Jean de Lampérière (15731651) à créer des parfums violents à base de produits caustiques ou d’ingrédients extravagants comme de la poudre de belette. Ces recettes de fumigations ou de lessives aromatiques relèvent plus de la sorcellerie que de la médecine : « il évoque des pratiques alchimiques secrètes, des coutumes éloignées, ou bien encore des ingrédients imaginaires, toutes choses susceptibles de conforter le halo merveilleux qui entoure l’aromate »1. À cette époque, que les odeurs soient de morts, curatives, agréables ou pestilentielles, il existe un bouillon de mélange d’émanations incessant et prenant. Ce qui est difficile à concevoir pour les individus d’aujourd’hui, c’est cette présence constante et puissante d’odeurs dans tout l’environnement, dans la rue, en intérieur et provenant des individus. Chaque métier était associé à des odeurs très distinctes. Le tanneur sentait le cuir et les produits corrosifs, l’apothicaire sentait les herbes médicinales, le boucher sentait le sang séché, le notaire sentait la poudre à perruque et le vieux papier. Patrick Süskind dans son roman Le parfum commence son récit en rappelant que « à l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes »2.
1. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 93. 2. Patrick Süskind, Le parfum, Fayard, Paris, 1988. 3. Jean-Noël Hallé, Recherches sur la nature et les effets du méphitisme des fosses d’aisances, Paris, 1785, p.11. 4. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 66.
La grande épuration C’est dans cet environnement chargé d’odeurs que la grande épuration de Paris puis des autres villes fût porter par les docteurs Jean-Noël Hallé (1754-1822) — grâce aux nouvelles normes d’hygiène qu’il énoncera en 1837 dans un traité d’Hygiène —, Alexandre Parent-Duchâtelet (1790-1836), Mathieu Orfila (1787-1853), Louis René Villermé (1782-1863), Joseph-Marie Audin-Rouvière (176-1832) et Claude Lachaise (1797-1881). Leurs thèses dénoncent la confusion entre la puanteur et la nocivité d’une odeur : « Les fosses les plus infectes ne sont pas les plus dangereuses »3. Malgré les avancées de la médecine, les découvertes sur la composition de l’air d’Antoine Lavoisier (1743-1794) et les plaidoiries de ces six docteurs, le lien entre insalubrité et mauvaises odeurs reste ancré dans l’esprit des populations. Ce qui n’empêche pas les travaux de nettoyage des rues et des aménagements de traitement des eaux usées et ordures en tout genre. Ces changements commencent par le nettoyage des rues. Les quais sont épurés, les caniveaux sont drainés, les égouts sont éloignés des lieux de vie. Les quartiers les plus touchés par la mauvaise hygiène et donc par les maladies sont les quartiers
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les plus défavorisés où l’entassement de la population dans des habitations fragiles et encombrés empêche la bonne circulation de l’air nécessaire à son renouvellement. L’architecture s’en voit modifiée par la construction de rues plus larges et plus aérées, les égouts sont ensevelis et l’accès à l’hygiène est facilité. Les intérieurs font très largement partie des préoccupations des docteurs. Il faut aérer les habitations à l’aide de grandes fenêtres « en espagnolette ». Les premiers lieux publics soumis aux modifications sont les lieux dits de concentration humaine : les prisons, les hôpitaux, les casernes ou les salles de spectacle et de réunion. L’un des cas de lieux publics étudiés le plus connu est celui de l’hôpital Hôtel-Dieu à la réputation sinistre : « L’insalubrité effrayante qui y règne lui vaut le triste privilège de connaître le taux de mortalité le plus élevé d’Europe »1. La surpopulation, les fenêtres trop étroites et trop peu nombreuses ainsi que la qualité médiocre des linges constituent un lieu malsain et extrêmement infect. Les émanations puantes accentuent l’impression d’un air saturé de maladies. Dans un rapport fait en 1786, il est conclu que « l’air qui circule à l’Hôtel-Dieu, d’une extrémité des salles à l’autre et du rez-de-chaussée au troisième ou quatrième étage, n’est qu’une grande masse d’air corrompu »2. Pour finir, l’hygiène corporelle et de vie en générale fait l’objet de nombreux changements aussi. Il est conseillé à la population de faire usage « de vêtements de toile bleue faisant écran aux miasmes, de lits individuels ou, du moins, à deux places, de désinfection et de bains »3. Les normes d’hygiène se modifient, la peur d’autrefois de l’eau s’efface lentement et une nouvelle éducation à propos des germes — qui sera entérinée en France grâce à Louis Pasteur (1822-1895) — fait surface. Cette mise en avant de l’air pur trouve son paroxysme dans l’exhortation à la population urbaine d’aller s’aérer le plus possible à la campagne : « quitter l’air stupéfiant des villes, venez faire prendre à votre cerveau une dose salutaire d’air de la campagne »4. Pour Johann Heinrich Pott (1692-1777) l’air le plus pur est celui de la montagne. Patrick Süskind fait état de cette croyance de l’époque dans son roman Le Parfum lorsque Jean-Baptiste Grenouille rencontre le marquis de la Taillade-Espinasse. Ce marquis défend la thèse selon laquelle la terre libère un gaz toxique appelé fluidum letale et essaie de guérir Grenouille de ce gaz en l’enfermant dans une petite pièce étanche alimentée en air pur venant de très haut grâce à une cheminée et en l’alimentant de produits « terrifuges ». Ce gaz n’existant manifestement pas, Grenouille devait son rétablissement à une bonne hygiène de vie et une volonté de vivre qui lui est propre dès sa naissance.
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1. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 66. 2. « Rapport des commissaires chargés, par l’Académie, de l’examen du projet d’un nouvel Hôtel-Dieu » par MM. de Lassone, Daubenton, Tenon, Lavoisier, Laplace, Coulomb, d’Arcet, Bailly, rapporteur, Mémoires de l’Académie des sciences, 1786, Lavoisier, Œuvres, t. III, p. 647. 3. Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 66. 4. Jean-Claude Pingeron, « Lettre sur les agréments de la vie champêtre » traduite de l’anglois et tirée du Sentimental Magazine juin 1773 in Recueil de différens projets tendans au bonheur des citoyens, Paris, 1789, p.146-147.
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Ces modifications de notre société, qu’elles étaient fondées sur des principes scientifiques ou non, furent bénéfiques à l’état de la population et à l’amélioration des conditions de vie. Ces préceptes sont encore de mise aujourd’hui.
1. Noms des différents produits de la gamme de désodorisants de la marque Febreze.
Un pas en arrière Aujourd’hui encore, l’odeur du grand air ravit les consommateurs. On ne compte plus les parfums d’ambiance inspirés de la nature : « Fleur naissante », « Rosée du matin », « Envolée marine », « Lavande au clair de lune » ou encore « Eveil printanier »1. Ce qui représente deux paradoxes pour les industries. Le premier paradoxe se trouve dans le fait que, suite à la grande épuration olfactive, l’environnement s’est appauvrie en odeur, mais que l’individu moderne exige plus d’expérience olfactive dans ses produits de consommation. En effet, un mouvement de « retour aux sources » s’est amorcé au sein de notre société, où le fait de consommer des produits naturels s’inscrit dans une logique écologique et sanitaire. Il a été démontré par plusieurs études que nos moyens de production et de consommation sont dévastateurs pour l’écologie et pour la santé. La surproduction industrielle amenuise nos ressources naturelles et la surconsommation de produits transformés est mauvaise pour la santé. Les industries modernes qui dégagent des odeurs désagréables ont été éloignées de la ville et regroupées dans des zones d’activité avec peu d’habitations à proximité. Les métiers anciens attachés à un univers odorant fort, tels que ferronnier ou tanneur, ont presque disparus. Notre odorat est aujourd’hui beaucoup moins assaillis que nos ancêtres du XVIIIe siècle par exemple. De plus, le développement de la grande distribution a mis de nombreux produits transformés en avant, la population s’est petit à petit habituée à des produits avec moins de goût, de couleurs et d’odeurs que naturellement. Mais le consommateur réclame des produits authentiques, il ne veut plus des produits sous vide et sans âme. Car dans l’inconscient des individus, la nature a une odeur, les bêtes sentent forts et chaque fruit et légume possède une odeur qui lui est propre. L’authenticité est synonyme dans ce cas de brut et de non-transformé, il est alors odorant. Le consommateur veut mieux consommer, dans le sens où s’il consomme un produit qui a la couleur, l’odeur et le goût qui semblent naturels, alors c’est que le produit est naturel. Dans un souci de rendement, d’efficacité et de conservation, les techniques de production dans l’alimentaire dénaturent les produits naturels : « Ainsi, la production d’odeurs n’a pas
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seulement pour objectif d’enrichir en qualité ou de diversifier l’environnement olfactif naturel de l’homme. Elle est en partie correctrice, réparatrice »1. Les industriels enlèvent, par nécessité technique et donc sans le vouloir, les odeurs des produits qu’ils fabriquent. Ils sont alors obligés de les rétablir et d’inclure une nouvelle étape de transformation dans le processus de production alimentaire. Ils retirent une odeur pour ensuite la remettre, rendant le processus plus long et onéreux. Le consommateur pense consommer un produit issu de la nature alors qu’il consomme un produit qui a été encore plus modifié qu’avant le travail de synthétisation naturelle. Le deuxième paradoxe de cette société de consommation, c’est que ce rétablissement de l’odeur « naturelle » du produit est artificiel. En effet, les industries usent d’arômes chimiques synthétisés en laboratoire pour ressembler aux arômes naturels de leurs produits avant la transformation industrielle. Ce qui finalement semble encore plus dénaturer le produit de base. En réclamant plus d’authenticité, le consommateur accentue l’altération des aliments qu’il consomme. Le consommateur pense améliorer sa santé en consommant des produits « plus vrais que nature » issus de la grande distribution alors qu’il ne fait qu’accroître la présence d’ingrédients artificiels dans son alimentation. Ces deux paradoxes touchent aussi les industries du parfum, de la cosmétiques, de produits d’hygiène et autres industries qui utilisent des fragrances dans leurs produits. Ce qui amène à se questionner plus sérieusement sur les raisons de l’utilisation d’odeurs dans des domaines où l’odorat n’est pas la priorité. Le marketing a su très vite appréhender et utiliser les études faites sur l’influence des odeurs sur les individus.
1. André Holley, Éloge de l’odorat, Odile Jacob, Paris, 1999, p. 216.
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la maîtrise des autres Suite à ce renouveau d’intérêt, de nombreuses recherches ont mis en exergue les pouvoirs des odeurs. Le marketing s’est emparé de ses découvertes pour s’en servir dans leur processus de mise en avant de produits commerciaux.
1. Kirk-Smith M.D and Booth D.A., « Chemoreception in human behavior : Experimental analysis of the social effects of fragrance », Chemical Senses, 1987, 12, p. 159-168. 2. André Holley, Éloge de l’odorat, Odile Jacob, Paris, 1999, p. 185.
Un environnement rassurant Les odeurs influencent l’appréhension de notre environnement. Elles communiquent avec la partie inconsciente du cerveau. Le message olfactif est d’abord traité de façon affective, car la partie la plus primitive du cerveau est le siège des émotions. Une expérience de 1987 menée par les docteurs Kirk-Smith et Booth a permis de démontrer que des odeurs agréables et désagréables peuvent influencer les humeurs d’hommes et de femmes de façon inconsciente. Un parfum comme Shalimar de Guerlain leur donnent l’impression d’être plus sexy et extravertis, l’androsténone — une phéromone — les rend plus forts et l’essence de banane les rend moins amicaux1. La diffusion de ses odeurs s’est faite en faible quantité et à l’insu des sujets. On ne peut pas parler dans ce cas de manipulation des sujets, mais plutôt d’une incitation ou d’une inclination à ressentir des humeurs. Ces humeurs peuvent par la suite inciter les sujets à agir différemment qu’en l’absence de stimulation olfactive. C’est sur ce postulat que le marketing fonde ses techniques de marketing olfactif. Le but est de proposer une expérience qui incite les consommateurs à fréquenter davantage ou plus longtemps un espace commercial. Les parfums et odeurs qui invitent à la détente, à la sérénité et au bien-être sont les plus utilisés. De nombreuses études ont mis en avant l’existence d’un lien entre les odeurs et le stress : « les auteurs de plusieurs études signalent des modifications de l’un des paramètres étudiés ou de plusieurs, modifications qui peuvent être interprétées comme un effet des odeurs sur le niveau de stress. Les odeurs agréables ont tendance à abaisser le niveau d’anxiété »2. Les odeurs qu’un individu trouve agréables le rassurent, le détendent et réduisent donc son niveau de stress. Selon le marketing sensoriel, un consommateur qui se sent bien a plus tendance à prolonger son expérience commerciale et les chances de passer à l’acte d’achat sont plus grandes. C’est ce qu’explique Françoise Vernet, directrice marketing de Nature & Découvertes, lorsqu’elle cite les résultats des entretiens qualitatifs sur une population peu familière de
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l’enseigne : « sur douze personnes de l’entretien de groupe, sept citaient spontanément l’odeur comme un motif d’entrée chez Nature & Découvertes »1. L’odorat et l’ouïe sont sciemment stimulés en dehors et à l’intérieur des magasins de la marque. C’est l’odeur de cèdre qui est la plus utilisée par l’enseigne, une odeur que peu de consommateurs reconnaissent : « ils ne sont généralement pas en mesure de mettre un nom sur cette odeur : ils ne l’identifient pas comme étant une odeur de cèdre »2. Ce parfum fut choisi pour s’inscrire dans leur volonté d’être les représentants de la nature. Le fait est que ce choix consciencieux n’est pas forcément compris, en tout cas dans sa globalité. Le consommateur sent une odeur « de nature » mais ne la reconnaît pas, il va tout de même l’associer à l’enseigne et s’en souviendra lors de ses prochains passages devant une des boutiques Nature & Découvertes : « cette note est inscrite dans leur mémoire olfactive »3. L’expérience sensorielle proposée par Nature & Découvertes fait partie intégrante de leur identité de marque. En effet, les odeurs, mais aussi les sons, diffusés dans les boutiques communiquent le message de la marque qui est de découvrir la nature, de l’explorer et d’en profiter. Des consommateurs de la marque décrivaient leur expérience « comme un retour à la nature originelle, une sorte d’Eden. Plusieurs nous ont dit qu’ils prenaient du temps sur leur pause déjeuner pour venir nous rendre visite et s’accorder ainsi une bouffée de nature et de calme »4. Les messages délivrés par les stimulations sensorielles sont tellement clairs et parfaitement intégrés par les individus qu’ils considèrent que visiter une boutique de Nature & Découvertes est aussi vivifiant qu’une balade dans la nature. Ils vivent leurs visites comme une pause sensorielle, un moment de détente. C’est toute la force de la communication de la marque, qui est de laisser un souvenir marquant dans l’esprit de ses visiteurs. Le logolf Cette odeur de cèdre fait presque office de logo olfactif. Appelé logolf — contraction entre le mot « logo » et « olfactif » —, cette signature olfactive unique séduit de plus en plus de marques qui souhaitent se démarquer davantage. Le logolf fait ainsi partie de l’identité de la marque et s’inscrit dans une volonté d’offrir une expérience consommateur plus intéressante ou en tout cas plus marquée. Le logolf est l’équivalent du logo-type dans le domaine visuel, c’est-à-dire un ensemble d’éléments qui symbolise spécifiquement une marque, une entreprise ou une organisation. Pour que cette signature olfactive soit considéré
1. Sophie Rieunier, « Le marketing sensoriel chez Natures & Découvertes : 10 ans d’évolution de l’offre sensorielle en restant à l’écoute du consommateur » in Décisions Marketing, n°33, 2004, p. 77. 2. ibid, p. 78. 3. ibid. 4. ibid, p.77.
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1. André Holley, Éloge de l’odorat, Odile Jacob, Paris, 1999, p. 143-144. 2. ibid, p. 139. 3. George Lewi et Jérôme Lacoeuilhe, Branding management : branding et e-branding : la marque, de l’idée à l’action, Pearson France, 2012, Paris, p. 92.
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comme un logolf, il faut qu’elle soit diffusée de façon artificielle. Par exemple, la marque Lu ne peut s’approprier l’odeur de ses biscuits comme logolf. Par le biais de cette fragrance faite sur-mesure, les marques souhaitent marquer davantage les mémoires de leurs consommateurs. En effet, la mémoire olfactive est l’une des mémoires les plus puissantes. Des études ont prouvé que, comparé à la mémoire visuelle, la reconnaissance d’odeurs venant d’être senties est plutôt médiocre : lors d’une expérience avec quelques minutes d’intervalle entre la première phase et la deuxième phase de présentation d’images et d’odeurs, la reconnaissance des odeurs obtient un résultat de 70 à 80% alors que la reconnaissance visuelle est de 100%. Mais lorsque le délai entre les deux phases est d’un mois, la mémoire visuelle s’essouffle et la reconnaissance olfactive atteint encore 65%1. La puissance de la mémoire olfactive se trouve dans ces souvenirs qui ne souffrent pas du temps. La force de la mémoire olfactive sur les autres types de mémoire réside aussi dans la puissance de remémoration d’événements, de situations ou d’émotions du passé : « ce qui frappe celui qui vient de se rappeler un fragment de son passé lointain, c’est le contraste entre l’immatérialité apparente de la cause et la puissance émotionnelle de l’effet »2. Si la mémoire olfactive est comparée une fois de plus à la mémoire visuelle, le fait de se souvenir à la vue d’une chose est beaucoup moins impressionnant que de voyager dans son passé grâce à une chose invisible et qui s’impose davantage à l’individu. L’aspect pénétrant d’une odeur, au-delà de la cause physiologique, est exacerbé par l’intériorité de l’effet qu’elle provoque chez l’individu qui la sent. Il y a donc un lien intime qui se tisse entre la marque et le consommateur. L’identité de l’entreprise pénètre dans l’inconscient de l’individu jusqu’à marquer sa mémoire et ainsi se différencier de la concurrence. Elle souhaite que le choix de leur enseigne plutôt qu’une autre se fasse de façon affective, inconsciente et systématique. Comme l’odeur est un élément très personnel, « c’est pourquoi les ingénieurs travaillent sur des systèmes de diffusion lente et font des tests [...] »3. L’utilisation des odeurs et des parfums dans le marketing a deux objectifs. Le premier est, comme le logo et l’identité visuelle, de permettre à une marque d’être remarquable et différenciée de ses concurrents. Leur signature olfactive représente leur personnalité, transporte leurs valeurs et communique leur unicité. Elle amène un « supplément d’âme », elle permet d’humaniser un objet ou un lieu. Le deuxième objectif est de tisser un lien particulier avec le consommateur.
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Par l’humanisation, le lien entre eux devient affectif et subjectif. L’expérience que le consommateur a dans un lieu marqué par une odeur spécifique restera plus ancrée en lui, et le souvenir qui en résulte sera plus fort et puissant quand il est réveillé par cette même odeur. L’idée de présenter des expériences uniques et multisensorielles est une préoccupation pour les marques d’aujourd’hui. Le Nosulus Rift Une marque a récemment proposé un périphérique unique dans son domaine, loin de celui de l’olfaction. Le studio de création de jeux vidéo Ubisoft a créé spécialement pour la sortie d’un nouveau jeu vidéo en 2016 un appareil capable de diffuser des odeurs suivant l’interaction du joueur dans l’univers vidéoludique. Ce dispositif a été créé pour ressembler à un masque, agrémenté de LED pour indiquer la diffusion des odeurs. De forme ergonomique, il se positionne sur le visage au niveau du nez et est maintenu en place grâce à un ruban élastique à l’arrière de la tête. Deux capsules chargées en fragrances s’insèrent sur les deux côtés de l’appareil. Cet objet possède un design épuré et élégant, presque futuriste. Une attention particulière portée à l’aspect de l’objet démontre une volonté de l’équipe de designers à le rendre attractif et moderne, inspirant la confiance aux joueurs habitués au design des consoles et manettes de jeux vidéo. Le Nosulus Rift — le nom est inspiré du casque de réalité virtuelle l’Occulus Rift de l’entreprise Occulus VR — permet au joueur d’être au plus près de son expérience dans le jeu vidéo en expérimentant le domaine olfactif. Une nouvelle dimension sensorielle est à découvrir pour le joueur, engendrant un nouveau mode de jeu et d’exploration. C’est une grande innovation dans le monde du jeu vidéo et dans le domaine technologique, c’est le premier objet de ce genre. Il regroupe plusieurs technologies : un système connecté à la console de jeux via Bluetooth — pour créer le lien entre les actions du joueur et la libération des odeurs —, un système aéraulique — le système qui gère les flux d’air — et une technologie embarquée — qui permet de minimiser les composants et en faire un objet léger et portatif. Il existe des technologies similaires dans le domaine du divertissement comme les cinémas 4DX — cinémas proposant des séances de films à sensations, avec des sièges mécaniques et des effets sonores, visuels, atmosphériques et olfactifs — mais le Nosulus Rift se distingue en proposant de l’interactivité.
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L’individu n’est pas passif, il peut interagir avec ces odeurs comme les provoquer ou les éviter. On lui attribue une certaine maîtrise de son environnement olfactif lors de sa session de jeu. Elle n’est pas encore totale, car les capsules contenant les fragrances sont limitées et qu’il n’y a pour l’instant qu’un seul jeu vidéo compatible avec ce périphérique. Dans ce jeu — « South Park : L’Annale du destin » —, les odeurs ont plus une utilité décorative qu’une utilité dans l’avancée du jeu. Il est néanmoins facile d’imaginer un jeu où les odeurs influencent réellement la jouabilité et le déroulé de l’aventure. Le son est par exemple dans le monde du jeu vidéo une dimension d’abord esthétique puis qui est devenu de plus en plus importante jusqu’à être parfois l’intérêt principal du jeu. Il existe trois types de bande son dans un jeu vidéo : la musique, les paroles et les bruitages. Chacun peut avoir pour rôle d’habiller l’espace sonore, dans un seul but esthétique — une musique de fond par exemple. Dans un second temps, ils peuvent avoir un but informatif comme annoncer un événement, une action ou une étape du jeu — dans certains jeux vidéo la présence d’un ennemi déclenche une bande son spécifique et peut s’accompagner d’éléments visuels particuliers. Pour finir, ils peuvent aussi devenir le centre du jeu, le point de départ de la création du jeu — comme les jeux vidéo musicaux. L’utilisation du Nosulus Rift peut proposer au concepteur de jeu vidéo une nouvelle dimension sensorielle à explorer ou à faire explorer aux joueurs. Comme pour la dimension sonore, il pourrait s’agir d’expériences entièrement concentrées sur des fragrances et faire évoluer le joueur différemment, se laissant guider par son odorat et non plus par sa vue et son ouïe. Le jeu vidéo étant un divertissement de masse, le Nosulus Rift pourrait être utilisé comme ambassadeur de la démocratisation de l’olfaction auprès de la population. Ce serait un moyen ludique d’apprendre aux individus à reconnaître des odeurs, à se fier à leur odorat et à ouvrir leur conscience au monde olfactif réel. Malheureusement, le Nosulus Rift n’a pas reçu l’accueil escompté et est passé pour plaisanterie ou un accessoire désuet. Le marketing olfactif a ses limites en maîtrises de la population et, par ses techniques de manipulation insidieuses, n’œuvre pas à la réhabilitation de l’odorat au sein de notre société.
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Extrait de la vidĂŠo publicitaire du Nosulus Rift.
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Les limites de ces maîtrises La manipulation de l’environnement par les odeurs a pu prouver son efficacité dans de nombreux cas, mais il existe aussi un nombre non-négligeable de cas où cette manipulation fut mal accueillie. Une occasion manquée Le Nosulus Rift a reçu un accueil mitigé de la part du public. Tout d’abord, il a cru à une farce de la part du studio de production de jeu vidéo. Le nom de l’appareil fait clairement référence au périphérique de réalité virtuelle Oculus Rift, créé par l’entreprise Oculus VR. L’Oculus Rift est un casque de réalité virtuelle qui présente des similitudes au niveau du design avec le Nosulus Rift. En effet, les designers appelés par Ubisoft semblent s’être inspirés du casque, utilisant du plastique noir mat pour la structure. La ressemblance se retrouve aussi dans la campagne publicitaire où Ubisoft promu le Nosulus Rift avec une vidéo de lancement et un site internet dédié utilisant presque les mêmes codes visuels et le même web design. Toutes ses concordances amènent le public à croire que le Nosulus Rift est une parodie de l’Oculus Rift est qu’il n’est pas question d’un véritable objet. Dans cette publicité, les témoignages censés montrer l’utilité de l’appareil sont davantage perçus comme de l’autodérision plus que de la promotion. Ces témoins sont mis en scène dans des situations où ils utilisent le Nosulus Rift et leur jeu d’acteur autant que leur discours expriment beaucoup trop d’enthousiasme pour que cela soit pris au sérieux. Ubisoft est allé plus loin en faisant appel à des nez pour synthétiser des odeurs de pet. Le fait de traiter un sujet aussi décalé de manière aussi sérieuse s’inscrit tout à fait dans l’univers de South Park. De plus, le jeu vidéo associé au Nosulus Rift est un produit dérivé de la série américaine South Park connue pour son humour noir, son univers décalé et pour ses situations impossibles et grotesques. La notoriété de la série et du jeu vidéo influence l’image du Nosulus Rift. Le jeu vidéo met en scène des personnages tirés de la série dans des combats au tour par tour en utilisant des objets ou des techniques absurdes et drôles. L’une de ses techniques et d’utiliser des pets pour se déplacer et attaquer l’adversaire. Le Nosulus Rift a été créé pour sentir ces pets, pour être au plus proche de l’action selon Ubisoft. L’absurdité de l’utilité de sentir des pets virtuels indique encore une fois qu’Ubisoft ne propose pas sérieusement un objet capable de diffuser des odeurs par rapport à un jeu vidéo. Ne voyant pas là une réelle utilité au Nosulus Rift, le public a suivi
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la piste de la parodie, si chère à l’univers de South Park. Tous ces éléments mettent en avant le fait que le Nosulus Rift ne pouvait pas être accepté comme une révolution dans le domaine olfactif. Il n’est pas présenté comme un outil capable de proposer une expérience sensorielle nouvelle, comme un premier pas vers l’utilisation des odeurs et des parfums dans le quotidien. Les odeurs sont pour Ubisoft un moyen sensationnel de promouvoir leur nouveau jeu vidéo. Elles sont un accessoire pour attirer l’attention du public en piquant leur curiosité et en communiquant davantage sur l’univers du jeu vidéo. C’est une manière pour Ubisoft de s’adresser aux fans de la série télévisée, pour leur montrer l’implication du studio dans la volonté de créer un jeu vidéo fidèle à l’esprit de South Park. On pourrait croire qu’Ubisoft a voulu tester la réception du Nosulus Rift par le public a travers la promotion d’un jeu vidéo d’une série télévisée culte, mais le studio de création de jeu vidéo n’a pas communiqué sur une éventuelle autre utilisation de l’appareil connecté et n’a pas non plus communiqué sur sa commercialisation. Actuellement, le Nosulus Rift n’est disponible que pour des démonstrations pendant des salons du jeu vidéo et n’a été fabriqué qu’en peu d’exemplaires. Le Nosulus Rift peut encore être un moyen de démocratisation de l’utilisation des odeurs dans notre quotidien, par le domaine du jeu vidéo qui est bien loin de cette dimension sensorielle. Encore faut-il trouver une utilisation qui promeut la découverte olfactive, qui placerait les odeurs et les parfums comme sujet central ou tout au plus sujet important dans l’évolution d’un jeu vidéo et non plus comme accessoire commercial. La manipulation refusée Le Nosulus Rift n’a pas encore permis d’aider à la réhabilitation des odeurs dans notre société, mais il existe des cas plus problématiques où la tentative d’utiliser des parfums ou des odeurs a été un échec, ce qui ne participe pas non plus à l’appréciation des manipulations olfactives dans l’environnement par les individus. Les milieux urbains dans notre société sont connus pour transporter des odeurs peu appréciées, notamment celles présentes dans les transports publics. L’odeur des couloirs, des stations et des rames du métro parisien regroupent un ensemble d’odeurs nauséabondes mais très reconnaissables. Cinq sources principales d’odeurs ont été identifiées1 : les produits d’entretien, les installations fixes, les usagers, le soussol et la qualité du mobilier dans les trains. Ces différentes odeurs se mélangent et composent un bouquet particulier à
1. Emmanuel Lorans, Contribution à la caractérisation de la qualité de l’air des ouvrages souterrains de la ratp. Les sources de composés volatils et leur impact olfactif,Thèse de doctorat en Sciences appliquées soutenue en 1996 à RENNES 1.
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1. Créatrice de parfum française depuis 1994 et auteure du blog Chroniques Olfactives depuis 2009. 2. Interviewée par Melissa Bounoua pour Megapolis/rue89.
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chaque station. Par exemple, Cécile Ellena1 décompose l’odeur de la station Châtelet-les-Halles : « odeur de soufre, d’œufs pourris, de chaussettes très sales, de pipi de chat, camouflée par un emploi excessif de parfum à l’odeur de muguet et de pamplemousse. »2 La RATP a mis en place plusieurs essais de désodorisation et de diffusion d’odeur. Mais à chaque tentative, les usagers se plaignaient et le dispositif était retiré. Anne Garrot, responsable du plan d’aménagement de l’ambiance olfactive du département « Environnement et Sécurité » de la RATP, rapporte que le parfumage doit être fait de manière précautionneuse, car s’il est trop important, il peut empêcher la perception de danger comme un incendie et il peut créer une gêne olfactive. De plus, « un usager attend la présence de certaines puanteurs liées au matériel, qui font partie de l’identité du métro ». Les individus n’ont pas apprécié le fait que des odeurs particulières soient masquées et remplacées par des odeurs plus agréables. La présence de ces odeurs - lavande, citron, jasmin et musc constituent la recette de Madeleine diffusée à partir de 2002 - ne convient pas au contexte dans lequel se trouve l’usager. Ce décalage le déstabilise et il finit par préférer les odeurs d’origine, même si elles sont désagréables, tant qu’elles sont en accord avec l’environnement. Les parfums de désodorisation du métro parisien n’ont pas pour seul but de masquer les mauvaises odeurs. La finalité de cette utilisation par la RATP est de modifier les odeurs pour modifier l’appréhension du lieu, de modifier la perception des usagers dans la réalité. Ces odeurs sont diffusées pour rassurer, calmer ou détendre les passagers et ainsi les fidéliser. Les individus ne sont pas prêts à être autant manipulés olfactivement, même si c’est apparemment pour leur bienêtre. Ils refusent qu’une situation soit aussi contradictoire, qu’un lieu sous-terre, vieux, poussiéreux, sale, avec des engins mécaniques et beaucoup de passagers puisse avoir une odeur fleurie et fraîche. L’utilisation des odeurs pour influencer les individus n’a pu fonctionner dans le cas de la RATP, car elle s’est heurtée à la perception visuelle du lieu et à la notoriété du métro parisien comme un lieu sale et mal-entretenu. Les odeurs ne peuvent modifier ou cacher la réalité, celle qui se voit et se ressent autrement qu’olfactivement. Ce qui reste à prendre en compte pour bien cerner les limites de la maîtrise d’individus par les odeurs est la personnalité de ces derniers. En effet, ils peuvent être hermétiques à tous les moyens marketing qu’une entreprise ou une marque a à sa disposition, car ils possèdent une indépendance de pensée.
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Le système de consommation indépendant Selon Jean Baudrillard (1929-2007), le problème du capitalisme contemporain est qu’il existe une contradiction entre une productivité virtuellement illimitée et la nécessité d’écouler les stocks. Plus simplement, les entreprises de production ont la capacité de produire d’énormes quantités et font en sorte de toujours améliorer leur rendement, ce qui pose le problème de comment vendre autant de produits. Il est devenu vital pour les entreprises de production de maîtriser leur propre système de production, mais aussi la demande de consommation. Par le biais des prix et ce que Galibraith appelle des « accélérateurs artificiels », les entreprises de production poussent les consommateurs à consommer pour atteindre les objectifs de ventes et donc d’écoulement des produits fixés avant la production. Cette notion est appelée « filière inversée », car ce n’est plus le consommateur qui contrôle le marché par la demande, mais ce sont les entreprises de production qui contrôlent le comportement du marché en créant des modèles de besoins. Cela devient possible par des « accélérateurs artificiels » que Galibraith présente de deux manières : les sondages et études de marché — les techniques d’études sociologiques avant la production — puis la publicité et le marketing — les techniques de manipulations après la production. Grâce à ses méthodes, les entreprises de production ont le pouvoir de décision de ce qu’achète le consommateur. Se développe alors des études psycho-sociologiques, de marché et de motivation. C’est ici la deuxième mutation du système que Galibraith théorise en parlant de technostructure : les détenteurs de capitaux, les grosses entreprises, ont acquis des connaissances techniques du consommateur et deviennent des gestionnaires. Leurs doubles compétences leur permettent alors d’imposer des choix à leurs propres clients et donc à influencer le marché. La technostructure utilise donc des « accélérateurs artificiels » pour faire augmenter la demande continuellement, alimentant le cercle vicieux du système de consommation : revenus, achats de prestige et surtravail. La publicité est un des accélérateurs artificiels les plus performants. Selon Galibraith, « elle semble accordée aux besoins de l’individu et aux biens », alors qu’elle ne soutient que les objectifs de la technostructure en créant des objectifs sociaux pour le consommateur. Dans La société de consommation (1970), Jean Baudrillard s’accorde avec lui pour admettre que la liberté et la souveraineté du consommateur n’est qu’illusoire, « que mystification ». La publicité donne
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l’impression au consommateur qu’il a le choix et une satisfaction de consommer. L’auteur ose même comparer la filière inversée au système électoral. La démocratie comme la publicité donne l’illusion d’une liberté individuelle par des choix déjà organisés par le système de consommation ou par le gouvernement. Mais Jean Baudrillard refuse la vision de Galibraith des individus comme des victimes passives du système. Il considère que les consommateurs sont à la fois complices et résistants des stratégies de marketing et de publicité mises en œuvre par la technostructure. Les consommateurs ont leur propre système de besoin, basé sur la logique sociale de différenciation. Ce système de consommateur peut s’accorder sur celui créé par la technostructure, ce qui rend les consommateurs réceptifs à la publicité et au marketing. Mais ils peuvent montrer une grande force de résistance, car ils sont avant tout fidèles à leurs idéaux sociaux et réagissent davantage aux pressions sociales. Par exemple, il existe une réelle communauté autour de l’Iphone de la marque Apple. Ces consommateurs, forts de cette appartenance aux groupes d’utilisateurs Apple, résistent en masse à tous les arguments marketings et publicitaires mis en place par les concurrents de la marque. Le marketing sensoriel — dont le marketing olfactif — est un moyen publicitaire comme un autre, soumis aux limites du consommateur. Il ne peut changer la réalité de ce dernier, mais il peut s’accorder à son système de besoin. Le marketing sensoriel est un domaine qui a bien intégré les possibilités d’utilisation des odeurs. Elles sont de plus en plus présentes dans nos espaces de vente et elles sont mieux considérées dans nos produits du quotidien. Mais elles sont aussi utilisées à outrance quand elles sont destinées à modifier complètement la perception d’une chose, d’un lieu ou d’une marque. Dans une société de plus en plus attirée vers l’expérience multisensorielle, l’odorat possède un bel avenir. Le design graphique est aussi concerné par ce renouveau d’intérêt pour ce sens mal-aimé, autant pour l’inspiration, le défi de communiquer l’invisible ou pour les effets des odeurs sur l’être humain. Cette association n’en est qu’à ses débuts, mais elle reste prometteuse.
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Le monde olfactif comme sujet La réhabilitation de l’odorat dans notre société, déjà initiée depuis quelques années, a quand même influencé le design graphique. Les odeurs et les parfums sont une source d’inspiration pour les designers graphiques comme peut l’être la musique ou les saveurs. Certains ont travaillé notamment sur la retranscription visuelle des odeurs, se confrontant à la problématique de comment communiquer une chose invisible ou une sensation. L’enveloppe du parfum Les odeurs et les parfums peuvent être intégrés indirectement en devenant le sujet de création du designer graphique. Le packaging, l’image de marque et la communication d’un parfum sont une des premières formes de lien entre le design graphique et les odeurs. C’est par le contenant que le designer graphique parle du contenu. L’enveloppe extérieure d’un parfum fait office de présentation ou d’aperçu de la fragrance elle-même. La première impression d’un parfum se fait visuellement et tactilement. Le packaging a donc un rôle essentiel dans la parfumerie. Il décrit visuellement les odeurs, mais par un code particulier. Il suit une logique d’adjectif, comme pour décrire une personnalité ou un corps. On utilise davantage des mots comme élégant, fin, charnu, élancé, opaque ou fuselé pour décrire un flacon. Ce vocabulaire est utilisé pour le design de l’objet, mais ces choix d’apparence sont faits pour illustrer la fragrance. L’esthétique du flaconnage donne une idée de la personnalité du parfum. Le nom, l’identité de marque et la communication faite autour du produit sont aussi utiles pour souligner le caractère du parfum. Ils le décrivent dans un ensemble, sans évoquer spécifiquement chaque odeur, chaque composant du bouquet final. C’est un travail de simplification et d’unification du parfum qui est fait par le flaconnage et le design de la communication visuelle. Le designer humanise le parfum en lui donnant une forme et une unicité. Ainsi est le rôle du designer graphique : observer et traiter des informations, puis les assembler et les simplifier pour donner à l’ensemble une image unique. L’atelier Ich&Kar a dessiné en 2006 l’identité visuelle de la marque de parfum Etat Libre d’Orange ainsi que le packaging et l’identité de chaque parfum. Helena Ichbiah
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et Piotr Karczewski ont à cœur d’illustrer graphiquement la personnalité de la marque et celle de son créateur Etienne de Swardt, qui revendique son indépendance au monde de la parfumerie commercial et sa liberté de créativité. Le logo se compose d’une cocarde tricolore, symbole de la République française, de la révolution et de la liberté. Le nom de la marque est discrètement ajouté en bas de la cocarde. Pour chaque parfum, son nom est inscrit autour de la cocarde. L’ensemble est apposé sur l’arête du flacon, « soulignant inconsciemment le caractère décalé du parfumeur »1. Cette identité visuelle est propre au concept du parfumeur, elle révèle son ambition anticonformiste mais chic. Les deux designers graphiques ont aussi réalisé des illustrations pour des fragrances de la marque telles que « Vraie Blonde », « Sécrétions Magnifiques », ou « Don’t get me wrong baby, I don’t swallow ». Des noms explicites et provocateurs, représentés par des illustrations très évocatrices et décalés. Là encore, l’enjeu pour Ich&Kar est de communiquer la personnalité du parfum, ils choisissent de représenter visuellement son nom de façon crue et directe. Ce qui correspond parfaitement à l’identité de la marque, provocatrice et originale. Ich&Kar ont choisi de représenter la marque Etat Libre d’Orange et ses parfums par la visualisation de leur personnalité. De cette façon, ils ont personnifié les fragrances, ils ont illustré ce qu’elles représentent. La traduction de sens Il est possible pour le designer graphique d’aller plus loin dans la représentation des odeurs. Après avoir mis en avant la personnalité d’un parfum, il peut se concentrer sur ce que représente l’odeur même, ses caractéristiques et ses particularités en tant que phénomène chimique et sensoriel. Une autre façon de représenter le monde olfactif et de signifier ce que les odeurs sont à proprement parler. Il n’est plus question de ce qu’elles évoquent par l’odorat. Le designer graphique s’intéresse à ce qu’elles représentent physiquement, comment elles évoluent dans l’espace. Cette réflexion permet de parler des odeurs en général, de ce qu’elles ont en commun. Le studio Des Signes a été choisi pour réaliser l’identité visuelle et la signalétique ainsi que la communication du Grand musée du Parfum à Paris en 2017. Ce nouveau musée est dédié à l’histoire, la fabrication, l’utilisation et aux grands noms de la parfumerie. L’identité visuelle se compose d’un alphabet de titrage et d’une palette de dégradés de couleurs. Leur particularité est qu’ils représentent la matière d’une odeur. En
1. Description du projet sur le site internet du studio Ich&Kar, source : <https://www.ichetkar. fr/etat-libre-dorange-assume-revolution/> consulté le 19/03/2018
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1. Description du projet sur le site internet du studio Des Signes, source : <http://www.dessignes.fr/clients/grand-musee-du-parfum/ charte-graphique-du-grand-musee-duparfum/> consulté le 19/03/2018 2. Définition C.N.R.T.L. : Phénomène d’association constante, chez un même sujet, d’impressions venant de domaines sensoriels différents. source : <http://www.cnrtl.fr/ definition/synesth%C3%A9sie> consulté le 19/03/2018
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effet, Des Signes a représenté le caractère volatile, sensuel et vibrant par des trames ondulantes sur les lettres. Les dégradés de couleurs marque les oppositions qu’offrent les parfums : il est invisible, mais peut être capiteux et entêtant, il peut être fleuri ou musqué, léger ou tenace. La signalétique est plus discrète : les indications sont dorées ou blanches, mais avec toujours la trame ondulante, les lettres dans les paragraphes fuient les lignes. Cette simplicité s’inscrit dans une volonté de clarifier les informations, d’alléger l’espace pour privilégier l’expérience olfactive. Cette signalétique reflète l’élégance et le luxe du monde de la parfumerie. « Comme tout art, le parfum a son propre langage, ses codes, son lexique et ses manifestations, intimes et collectives. Tout l’enjeu pour le Grand Musée du Parfum est de l’évoquer par la mise en place de signes graphiques, de raconter sa nature intrinsèque, précise et volatile. Le parfum, à l’instar de la musique, crée une résonance dans l’air et se répercute en vibrations sensuelles. Il est de l’ordre de l’apparition et les traces olfactives s’engouffrent dans son sillage. Le parfum créé un monde flottant. Se déploie un principe de flottaison, comme une atmosphère délicate. Nous proposons un alphabet de titrage tramé, enrichi d’une trame ondulante. À la manière d’un effluve, il s’estompe à certains endroits et se densifie à d’autres. Chaque composition de mot est unique. Le langage graphique cherche à s’adapter de façon subtile et ludique pour accompagner le visiteur dans la pluralité de ses perceptions. Entre le concret et l’éthéré, le tenace et le fugitif, le printanier et le musqué. »1 Le défi pour le studio de création graphique est d’utiliser des moyens de représentations visuelles communes à tous les parfums. Ils ont alors utilisé un lexique propre au comportement des parfums - mais aussi plus largement aux odeurs - dans l’espace. Ils souhaitent rendre visible le parfum, imaginer la matière qui se diffuse dans l’air et s’estompe au fur et à mesure qu’elle s’étend. Des Signes a créé un lien entre le langage olfactif et le langage visuel. Ils ont traduit de manière visuelle des mouvements et des comportements invisibles. Le rôle du designer graphique est un rôle de traducteur, il transpose des informations du domaine sensoriel à un autre. Il donne au public à voir une chose qui n’est pas visible grâce à un langage basé sur des codes communs. En utilisant un vocabulaire partagé par la population, il est en mesure de leur parler et de leur faire comprendre le message. On peut parler d’une forme de synesthésie2 puisque ces deux lexiques cohabitent et finissent par être assimilés ensemble dans l’inconscient collectif d’une société.
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Dans ce cas précis, le designer graphique utilise des codes qui existent et qui sont déjà partagés par les individus. Il est aussi possible de créer son propre langage de représentation visuelle. Cela permet notamment de créer des représentations visuelles des spécificités des odeurs. Rendre lisible l’invisible Le monde olfactif est paradoxal : toutes les odeurs sont identiques dans leur invisibilité, mais toutes différentes dans leur multiplicité et leur unicité. Il devient alors compliqué pour le designer graphique de toutes les communiquer visuellement. Son recours est de mettre en place un langage personnalisé, un lexique particulier et de l’apprendre aux autres pour pouvoir communiquer ensemble. Le designer graphique a toujours pour rôle de traduire des informations visuellement, il peut dans un premier cas suivre les codes propres à la société ou s’en créer des nouveaux pour combler par exemple les lacunes des premiers. La communication visuelle des odeurs est un sujet d’étude qui a de nombreuses fois intéressé les designers graphiques, plusieurs projets de diplômes ont été réalisés dans ce but. Ce qui est le cas de « Double Sens », un projet de diplôme d’Adrien Ledoux et Maxime Matias élèves de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris en 2016. Dans un premier temps, ils ont récolté de nombreux avis subjectifs sur six types d’odeurs parmi les familles olfactives. Ces données sont alors créées visuellement, ce qui leur permet de développer une série de posters représentant les quarante-cinq molécules odorantes du « Champ des Odeurs » de Jean-Noël Jaubert1. Ils inversent leur démarche en confiant une de leur création graphique à une créatrice de parfum de l’International Flavors & Fragrances Incorporation (IFF) qui l’interprète de manière olfactive. Leur travail s’axe autour de la synesthésie entre l’image et l’odeur, comment rendre une odeur visible et comment donner une odeur à une image. « Nous avons exploré la possibilité de représenter des stimuli olfactifs par le visuel, en s’attachant à la compréhension d’une odeur, sur les plans objectif et subjectif. »2 Les deux designers graphiques ont créé des liens nécessaires à la traduction entre les deux langages. Ils se sont servis de différentes informations provenant de l’odeur - la description sensorielle, la composition ou l’origine - car ils considèrent qu’une odeur doit être communiquée dans son ensemble, pour ce qu’elle est entièrement. Un designer graphique est capable de transmettre des informations subjectives et objectives, il peut communiquer des sensations et des impressions. Grâce à un questionnement
1. Le « Champ des Odeurs® » a été créé en 1983 par Jean-Noël JAUBERT et IAP-SENTIC, à partir d’un programme de recherche sur les relations structure/activité des molécules odorantes, conduit en relation avec le CNRS. Cette méthodologie innovante associe une collection organisée de référents odorants à des référents quantitatifs et permet d’étudier et de maîtriser l’espace des odeurs à l’abri de toute subjectivité. source : <http://www. iapsentic.com/champ-des-odeurs.php> consulté le 19/03/2018 2. source : <http://www.rimasuu.com/> consulté le 19/03/2018
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plus poussé et des codes visuels plus proches encore du vocabulaire olfactif, il est possible pour le designer graphique de signifier une odeur seule ou une combinaison parfumée, autant sur le plan physique qu’émotionnel. Une odeur est plus qu’une sensation. Elle transmet des informations plus ou moins importantes et influence l’être humaine. Elle peut donner faim, dégoûter, avertir, détendre ou ravir. Comme une couleur, elle peut devenir un outil au service de designer graphique.
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Illustrations des parfums d’Etat libre d’Orange, réalisées par Ich&Kar.
Parfums d’Etat libre d’Orange.
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Signalétique du Grand Musée du Parfum à Paris.
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Brochure du Grand Musée du Parfum à Paris, réalisée par le studio des Signes.
Alphabet utilisé par le studio des Signes pour l’identité visuelle du Grand Musée du Parufm à Paris.
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Diplôme « Double Sens » de Adrien Ledoux et Maxime Matias.
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Les odeurs dans la signalétique La puissance de l’impact des odeurs sur l’appréhension de notre environnement est sous-estimée dans la signalétique. En effet, en espace urbain, l’omniprésence d’éléments visuels sature l’espace et accapare l’attention des individus. Le risque de rater des informations importantes est plus grand. L’utilisation des odeurs dans l’espace urbain dans un but informatif permettrait de désencombrer les villes. Cela contribuerait aussi à la réhabilitation de notre odorat dans notre société. L’hyper-sollicitation visuelle Nous vivons dans une société de l’image, elle y est omniprésente. Il en résulte une hyper-sollicitation visuelle dans l’espace urbain : signalisation, publicité, plan, affiche, tag, devanture, etc. Ce trop-plein d’informations visuelles perd l’individu qui risque de plus en plus de manquer les informations qui lui sont utiles. «Trop de choix à faire qui n’ont rien à voir avec le besoin. Trop de fantaisie. »1 Rick Poynor décrit dans son ouvrage La loi du plus fort, la société de l’image (2002) comment les designers sont soumis à la commercialisation du monde de l’image, ce qui les amène à la surenchère constante. C’est au final le passant qui en pâtit, car il se retrouve noyé dans toute cette agitation visuelle. Il est déjà possible aujourd’hui pour ce passant de repérer à l’odorat la présence d’une boulangerie par exemple, grâce à l’odeur du pain chaud. Il peut aussi sentir le danger avec une odeur de brûlé ou de gaz. L’odorat lui permet de repérer des éléments et des indications dans l’espace. Comme vu dans la première partie, l’individu est capable d’appréhender des informations essentielles sur son environnement, il n’a en revanche pas encore acquis assez de confiance dans son flair pour en interpréter la signification et adapter sa conduite. La designer graphique Kate McLean a créé le concept de « smellmap » en 2011 lorsqu’elle a souhaité explorer l’odeur d’Edimbourg. Elle arpente la ville et cartographie les odeurs. Le concept s’est étendu aux « smellwalks » qu’elle organise dans des grandes villes du monde. Les odeurs deviennent des repères géographiques, qu’elle retranscrit visuellement sur des cartes. Elle identifie, répertorie et traduit graphiquement les odeurs. Sa démarche reste objective, il n’y a pas d’interprétation émotionnelle de sa part, cela relève de l’expérience de chaque individu qui se sert de ses cartes. Elle crée ainsi un
1. Rick Poynor, La loi du plus fort, la société de l’image, 2002, Pyramyd Éditions, Paris.
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nouveau mode de découverte de la ville, un nouveau code de déplacement. Elle prouve qu’il est possible pour un designer graphique d’enseigner un nouveau langage. Elle encourage ainsi la réappropriation de notre odorat et à sa réhabilitation dans notre société. La mise en place d’une signalétique olfactive permettrait d’alléger l’espace urbain visuellement. En créant un code, un langage olfactif propre à la signalisation assimilable par la population, il devient possible de réduire la sollicitation visuelle en ville. Cela devient d’autant plus intéressant qu’une partie de la population souffrent, à l’inverse, d’un manque d’informations spatiales. Les malvoyants ne souffrent pas ou peu de l’hypersollicitation visuelle, mais d’un manque d’autonomie en milieu urbain.
1. source : <https://www.aveuglesdefrance. org/quelques-chiffres-sur-la-deficiencevisuelle> consulté le 19/03/2018 2. ibid. 3. source : <http://www.who.int/mediacentre/ factsheets/fs282/fr/> consulté le 19/03/2018
Une minorité oubliée En France, 1,7 million de personnes sont atteintes d’un trouble de la vision1, ce qui représente environ 2,5% de la population française. Actuellement, la moitié de ces personnes déficientes visuelles sont au chômage2. De plus, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que le nombre de personnes atteintes d’une déficience visuelle pourrait tripler, en raison de la croissance démographique et du vieillissement de la population3. Avec la maladie d’Alzheimer et de Parkinson, la cécité et la malvoyante vont devenir les malheurs du grand âge. Le designer graphique a une grande importance dans notre société. Par son rôle de traducteur de sens entre les différents domaines sensoriels, il a pour responsabilité de prendre en compte les particularités de la population. Il détient une place clé dans l’intégration des minorités grâce à sa maîtrise des langages sensibles. Le designer graphique doit s’inscrire dans la réalité des autres, car il s’adresse à eux et ne peut exister sans un public. Il est dépendant de la communauté et des évolutions de la société. Être conscient de son environnement et de ses enjeux est une priorité dans son travail. Andrea Giorgi a créé en 2010 un concept de packaging de tablette de chocolat amélioré à destination des malvoyants. Du braille et des ouvertures pour sentir le chocolat permet de différencier les variétés de chocolat - chocolat au lait, chocolat noir et chocolat aux noisettes. En intégrant une dimension tactile et olfactive à son packaging, elle s’adresse à un public plus élargi, comprenant les voyants et les malvoyants. En utilisant des codes de la société déjà à sa disposition, sa démarche devient responsable et engagée. L’utilisation des autres domaines sensoriels autre que visuel permet de
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s’impliquer dans la société et de créer un design graphique plus responsable, honnête et impliqué. Il est donc important de prendre en considération dans la signalétique — et plus largement dans l’organisation de l’espace urbain — les personnes souffrantes de déficiences visuelles. Une récente étude a démontré que les malvoyants n’ont pas un odorat plus développé que les voyants1, mais ils ont davantage d’attention à porter à ce sens. Par cette plus grande part de concentration, ils ont développé un lien de conscience plus important que le reste de la population. Ils sont donc plus sensibles aux stimuli olfactifs. Une signalétique utilisant des odeurs comme informations pourrait se montrer plus efficace avec ces personnes. Cette signalétique olfactive peut sembler être de l’ordre du design spéculatif, mais grâce aux avancées technologiques, il est déjà possible de mettre en place des appareils et des structures odorantes dans un espace ouvert. Des moyens déjà existants La maison Cartier à présenter lors de la FIAC — du 19 au 22 octobre 2017 à Paris — sur le parvis du palais de Tokyo leur premier OSNI. « Objet sentant non identifié », il s’agit d’une série d’évènements mettant en avant l’olfaction dans des installations sensorielles. L’OSNI 1 Nuage Parfumé se présente sous la forme d’un cube en verre de six mètres de côté à un étage avec un escalier en colimaçon et une plateforme. Un nuage blanc flotte dans le cube et est composé de molécules du parfum L’Envol de Cartier. Cette installation invite le visiteur à entrer dans le cube et à monter l’escalier jusqu’à la plateforme. Cette élévation permet de traverser le nuage et donc de s’imprégner du parfum. C’est une métaphore du nom du parfum lui-même : l’installation invite le visiteur à s’élever, à rencontrer les cieux au milieu d’un nuage blanc et pur et d’appréhender une fragrance sans corps, sans flacon et hors d’un milieu commercial comme une parfumerie. L’effet onirique et irréel de l’installation a été rendu possible grâce aux compétences en ingénierie climatique de la société Transsolar. En manipulant la pression atmosphérique dans le cube en verre, les ingénieurs de Transsolar sont capables de créer et maintenir un micro climat. Un mélange d’eau et de parfum diffusé dans l’air permet de créer assez d’humidité ambiante et de fabriquer un nuage odorant artificiel. Cette œuvre est un parfait mariage entre le parfum et l’ingénierie, entre le rêve et le concret. Un autre exemple de technologie olfactive se trouve au Grand musée du Parfum à Paris. Créé par l’atelier Projectiles,
1. Mathilde Beaulieu Lefebvre, Les habiletés olfactives des aveugles de naissance : organisation anatomo-fonctionnelle et aspects comportementaux, thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université de Montréal.
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le « Jardin des Senteurs » est pensé comme un trajet de découverte de senteurs, un jeu de mémoire d’odeurs et d’évocation de souvenirs. Cet espace blanc et épuré propose onze structures florales odorantes géantes. Chaque fleurcloche possède un dispositif de détection de mouvement. Lorsqu’un visiteur se place en dessous de la cloque, le cœur gravé d’une image s’illumine et l’odeur qu’y correspond se libère. Le visiteur doit alors reconnaître le parfum et se laisser porter par ses propres souvenirs. Le geste est lié à l’olfaction, le visiteur vient sentir et toute son attention est dirigée vers ce sens. Ce qui est intéressant dans cette œuvre pour imaginer de la signalétique olfactive est que le dispositif est intelligent, c’està-dire qu’il est programmé pour interagir avec la présence d’un individu. Il est alors possible de diriger les odeurs vers cette personne uniquement. Cet appareil pourrait être intégré dans l’espace urbain et servir à diffuser des odeurs en signe d’alerte ou d’information. Le designer graphique aujourd’hui est polyvalent, les barrières entre les domaines tombent et il utilise différents outils et différentes techniques dans son travail. En s’inscrivant dans la réalité de la société, il prend conscience des moyens qui l’entourent et qui lui permettront de réaliser ses projets, à destination d’un public en constante évolution. Les designers ont la possibilité d’agrandir leur public en incluant des minorités. Ils ont un rôle important dans l’intégration de ses populations dans la société. En tant que médiateur et de traducteur de signes, le designer graphique doit savoir évoluer au gré de la communauté et des avancées technologiques et scientifiques. C’est une relation d’échange qui existe entre lui et autrui. Il est capable de créer plus de sensibilité dans le monde.
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« Smellmaps » de Kate McLean.
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Packaging odorant et tactile crĂŠĂŠ par Andrea Giorgi.
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OSNI 1 « Nuage Parfumé » de la maison Cartier.
« Le Jardin des Senteurs » du Grand Musée du Parfum à Paris.
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le design graphique plus sensible Dans un principe de diffusion et de vulgarisation du design graphique, les odeurs ont la possibilité d’ajouter ou d’amplifier la dimension sensible d’une création graphique. Le pouvoir des odeurs sur nos émotions et notamment par la mémoire olfactive a un impact important sur l’appréhension et la découverte du design graphique par un public néophyte. Une nouvelle façon de présenter le design graphique à un public inhabitué peut naître grâce aux liens affectifs entre odeurs et souvenirs ou réminiscences. Le designer graphique a déjà à sa disposition des moyens et des outils pour intégrer des odeurs à ses créations graphiques. La sensibilité d’une œuvre Comme énoncé précédemment, les odeurs sont porteuses de messages et d’informations. Elles sont surtout très liées aux sentiments et à la mémoire. Les odeurs ont un fort pouvoir de réminiscence, elles peuvent faire revivre un événement ou un souvenir et nous transporter à travers notre mémoire. Elles ont la capacité de raviver des sensations qui sont très chargées émotionnellement. Les odeurs ont un lien très fort avec notre intériorité, ce qui les rend extrêmement subjectives. Au même titre que la couleur, la texture, la matière ou encore les sons, les odeurs sont des matériaux malléables et maîtrisables avec des significations fortes. Elles portent un message, une information, et peuvent appuyer un propos. En les utilisant pour leur puissance, elles peuvent enrichir une œuvre et apporter une nouvelle dimension à celle-ci. Elles ouvrent sur un nouveau domaine sensoriel. C’est le cas de la compagnie de théâtre Le T.I.R et la Lyre de Violaine de Carné qui développe depuis 2008 une recherche artistique innovante : le théâtre olfactif. L’utilisation des odeurs dans leurs pièces de théâtre leur permet de convoquer l’imagination déjà soutenue par le théâtre, elle inclut le spectateur dans la pièce. Elle permet aussi de capter son attention différemment, de le surprendre et de lui faire vivre une expérience unique. Les odeurs ne sont pas considérées comme des accessoires esthétiques, mais bien comme le sujet central des pièces. L’écriture de ces œuvres inclut un questionnement sur l’environnement olfactif ou l’importance des odeurs dans notre existence. « En 2006, le travail d’écriture et de mise en scène se poursuit avec L’Encens et le Goudron, un
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spectacle sensible qui traite des troubles du langage et de la mémoire. Pour l’écrire, elle [Violaine de Carné] suit, pendant huit mois, des patients en rééducation à l’hôpital de Garches. Ce spectacle qu’elle joue, seule en scène en interprétant sept personnages, aborde un thème qui lui est cher, celui de l’altérité et de la différence. À la musique et au texte s’ajoutent la vidéo et… les odeurs. Elle oriente alors son travail théâtral autour de l’olfactif, des sens et de nos perceptions.»1 Cette autrice-metteuse en scène se place en tant que tutrice sensorielle. Elle communique avec son public grâce à plusieurs media qui font chacun appel à un sens différent. Elle participe activement à la réhabilitation de l’odorat dans notre société par l’art et l’apprentissage, car elle a développé des ateliers de recherche olfactive et autres manifestations culturelles. Dans ce cas, les odeurs sont à la fois le sujet et les accessoires de l’œuvre. Elles sont au centre du questionnement et du concept ainsi qu’elles enrichissent esthétiquement et émotionnellement. Dans une société de plus en plus portée sur l’expérience et la sensation, les odeurs sont un avantage dans la création artistique et par extension graphique. Le designer graphique ne doit pas ignorer les liens qui existent entre les odeurs et l’affect. Elles ont la capacité de rendre les productions graphiques plus sensibles, plus vibrantes de sensations. Ce qui permet de communiquer davantage d’informations et de contenu avec le public. Une œuvre chargée émotionnellement à plus d’impact sur les individus. L’utilisation des odeurs par le designer graphique serait une réelle force au service de son message.
1. source : <https://www.tiretlalyre.com/ compagnie-violainedecarne> consulté le 19/03/2018
L’odeur du graphisme Sans parler d’ajouter des odeurs artificiellement, les matériaux et les outils à disposition des designers graphiques sont riches d’odeurs. Au point que certaines sont reconnaissables et deviennent des symboles. Il s’agirait de la part du designer graphique de se questionner sur son environnement et de comprendre son monde olfactif. Le designer graphique est ancré dans la société et suit les évolutions. Il doit tout aussi être pleinement conscient de son propre environnement. Pour mieux répondre à la réalité, il doit être éveillé sur ce qui l’entoure et agir en connaissance de cause. Il s’agit notamment de bien connaître ses outils, ses techniques et ses matériaux à disposition. Cela concerne par exemple les logiciels de création, les papiers, les encres, les polices de caractères, les couleurs, etc. Il se doit de les connaître. Le métier de designer graphique implique aujourd’hui de maîtriser plusieurs de ces composants et de les combiner.
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Prendre conscience que chacune de ces techniques, chacun de ces matériaux ou outils possèdent un univers odorant est essentiel pour le designer graphique. Connaître et discipliner les odeurs permet de mieux posséder son environnement. Un designer graphique, qui est informé de toutes les dimensions de ses outils et équipements, a une plus grande maîtrise de son environnement et donc de son travail. Il est à même d’anticiper les étapes de création et de production. Comme un nuancier Pantone ou Fedrigoni, le designer graphique doit se composer un inventaire d’odeurs impliquées dans son travail et dans ses créations. Il pourra comprendre leurs origines, leurs effets sur le public et comment « vivent » ces odeurs à travers le temps. Il est important pour lui d’être conscient que chaque chose a une odeur et que cela a des conséquences. Ce sont des données, des informations, des signes à prendre en compte selon son rôle de traducteur. Car tous ses choix graphiques, techniques ou matériels sont guidés par un concept ou une volonté et le fait d’ignorer le domaine olfactif qui émane de son environnement l’éloigne de la réalité. Il ne peut ignorer ses éléments olfactifs. Après les avoir appréhendées, il doit agir selon ses connaissances au même titre qu’un choix de papier ou de couleur. Le design engagé Ce questionnement sur l’odeur des matériaux et outils à disposition du designer graphique peut induire une prise de conscience dans leurs utilisations, leur économie, leurs origines et leurs répercussions sur l’environnement et la santé. Les odeurs sont pour le public des marqueurs de propreté et de santé. Les fortes odeurs chimiques sont associées à des produits toxiques tels que les solvants, les détergents, l’essence, etc. La prise de conscience de la présence de ses odeurs dans les imprimeries par exemple pourrait amener les designers graphiques à produire plus éthiquement et plus écologiquement, une démarche importante dans la société d’aujourd’hui. Cette démarche de remise en question de son environnement permet de prendre conscience des odeurs qui nous entourent. Après les avoir identifiées, la deuxième étape est de trouver leurs origines. Ce procédé de recherches et d’enquête sur les composants des encres ou des matières premières en général peut être à l’origine d’une réalisation de l’impact des choix du designer graphique sur son environnement. En effet, le designer graphique peut alors reconsidérer son comportement de travail et choisir d’autres modes de création et de production moins impactant sur la santé et l’écologie.
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Il est important que la conscience écologique trouve une place dans le processus de travail du designer graphique, car il est un acteur de la société. Il endosse un rôle majeur en sa qualité de traducteur de signe et médiateur entre les domaines sensoriels. L’Histoire du graphisme est marquée par de nombreux graphistes engagés tels que Pierre Bernard, Vincent Perrottet, Gérard Paris-Clavel ou Guillaume Lanneau. Ces illustres figures, communément appelées des graphiques « d’utilité publique », portaient et portent encore des messages forts et engagés à travers leurs créations graphiques. Ils utilisent des images pour transporter leurs concepts. Utiliser des odeurs dans cette même optique peut avoir un avantage sur la réception de l’œuvre par le public. Une oeuvre plus sensible a les moyens d’impressionner et de marquer les esprits. Les odeurs peuvent être utilisées aux services de grands messages.
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conclusion
L’odorat est actuellement un sens peu connu, mais de nombreuses recherches scientifiques, des ateliers de découverte, des œuvres d’art ou des événements culturels tendent à intégrer de plus en plus des odeurs. L’odorat vit un retour d’attention de la part d’une partie de la population de plus en plus grande. Son avenir au sein de notre société semble dans ce cas assuré. Le graphisme a tout intérêt à lui aussi trouver une place aux odeurs. La société évolue constamment et il est important que le graphisme suive en harmonie ces évolutions. Pour un graphisme plus fort, plus sensible et plus grand, les odeurs ont un rôle à jouer. La population a à sa disposition les moyens de se former à l’appréhension des odeurs, elle commence d’ores et déjà à former son odorat. L’étape suivante serait plutôt d’éduquer les communicants, les traducteurs de signes à l’utilisation et à l’intégration des odeurs dans leurs productions à destination du public. Comme l’apprentissage des correspondances des couleurs avec des émotions, les designers graphiques apprendront à discerner des odeurs, à leur trouver une utilité et les techniques d’assimilation dans leurs créations graphiques. Comme les motion designers et les vidéastes, ils manipuleront en synergie des éléments de deux dimensions sensorielles — l’image et le son pour la vidéo. Une nouvelle spécialisation dans le graphisme pourrait faire son apparition.
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Anosmie : une perte totale de l’odorat Filière inversée : désigne une situation de concurrence imparfaite dans le cadre de laquelle, c’est l’entreprise qui influence le consommateur pour qu’il achète ce qu’elle produit. Hyposmie : Diminution de l’olfaction Ineffable : Qu’il est impossible de nommer ou de décrire, en raison de sa nature, de sa force, de sa beauté. Logolf : Odeur spécifique et permanente qui symbolise une marque. Marketing olfactif : Le marketing olfactif consiste à utiliser les odeurs à des fins marketing et commerciales. Le marketing olfactif peut s’appliquer à la politique produit, au point de vente et à la communication Marketing sensoriel : Le marketing sensoriel regroupe l’ensemble des techniques marketing visant à utiliser un ou plusieurs des 5 sens pour favoriser l’achat d’un produit ou service et / ou son expérience d’utilisation. Normosmie : Perception olfactive normale. Odorat : Sens par odeurs. Synon. olfaction.
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Olfaction : Sens, fonction permettant la perception des odeurs. Acte de sentir; résultat de cette action. Rémanence : Fait de se maintenir, de persister; durée, permanence de quelque chose. Synon. persistance. Persistance partielle d’un phénomène après disparition de la cause qui l’a provoqué. Science cognitive : Les sciences cognitives ont pour objet de décrire, d’expliquer et le cas échéant de simuler voire d’amplifier les principales dispositions et capacités de l’esprit humain – langage, raisonnement, perception, coordination motrice, planification, décision, émotion, conscience, culture... Synesthésie : Trouble de la perception sensorielle dans lequel une sensation normale s’accompagne automatiquement d’une sensation complémentaire simultanée dans une région
glossaire
du corps différente de celle où se produit l’excitation ou dans un domaine sensoriel différent. Phénomène d’association constante, chez un même sujet, d’impressions venant de domaines sensoriels différents. Technostructure : Configuration économique et sociale résultant de la prédominance de techniciens dans la direction et la gestion effectives des entreprises.
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Bibliographie
Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, Paris, 2002. Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), trad. M Foucault, Paris, Vrin, 1979. André Holley, Éloge de l’odorat, Odile Jacob, Paris, 1999. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Philosophie de l’esprit (1817). Jean-Claude de La Méthérie, De l’homme considéré moralement, de ses mœurs et de celles des animaux, Paris, 1802. Ludwig Feuerbach, « L’essence du christianisme dans son rapport à l’Unique et sa propriété » (1841), in Manifestes philosophiques, trad. L. Althusser, Paris, PUF, 1960. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, Paris, 2010. Étienne Bonnot de Condillac, Traité des sensations, Paris, Corpus, Fayard, 1984. « Consultation sur l’épidémie faite par le collège de la faculté de médecine de Paris en 1348 », in H.E. Rébouis, Étude historique et critique de la peste, Paris, 1888. Athanase Kircher, « Scrutinium physico-medicum contagiosae luis, quae dicitur pestis, Rome, 1658» cité J.-J. Manget, Traité de la peste recueilli des meilleurs auteurs anciens et modernes et enrichi de remarques et observations théoriques et pratiques, Genève, 1721, p. 44-45. George Lewi et Jérôme Lacoeuilhe, Branding management : branding et e-branding : la marque, de l’idée à l’action, Pearson France, 2012, Paris, p. 92. 1. Rick Poynor, La loi du plus fort, la société de l’image, 2002, Pyramyd Éditions, Paris. Chantal Jaquet, L’Art olfactif contemporain, Classiques Garnier, 2015. Patrick Süskind, Le Parfum, Fayard, 1986.
références
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articles
Sophie Rieunier, « Le marketing sensoriel chez Nature & Découvertes : 10 ans d’évolution de l’offre sensorielle en restant à l’écoute du consommateur » In: Décisions Marketing, n°33, 2004, p. 77. Mouélé Médard, « L’apprentissage des odeurs chez les Waanzi : note de recherche. » In: Enfance, n°1, 1997.
thèses
Emmanuel Lorans, « Contribution à la caractérisation de la qualité de l’air des ouvrages souterrains de la ratp. Les sources de composés volatils et leur impact olfactif », Thèse de doctorat en Sciences appliquées soutenue en 1996 à RENNES 1. Mathilde Beaulieu Lefebvre, « Les habiletés olfactives des aveugles de naissance : organisation anatomo-fonctionnelle et aspects comportementaux », thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université de Montréal.
sitographie
https://www.ichetkar.fr/ http://www.des-signes.fr/ https://www.etatlibredorange.com/ http://nosulusrift.ubisoft.com/ http://www.grandmuseeduparfum.fr/ http://www.rimasuu.com/ http://sensorymaps.com/ https://www.tiretlalyre.com/
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